Speaker #0Bonjour, bonsoir, bonne nuit, bienvenue dans cet été, le Spina Festival de cette semaine. Aujourd'hui on parle de Fabienne Claire Nothomb, plus connue sous le nom d'Amélie Nothomb, née le 9 juillet 1966 à Heterbeck. Autrice prolifique, elle publie un ouvrage par an depuis 1992, année de publication de son premier roman, Hygiène de l'Assassin. Ses romans font partie des meilleures ventes littéraires et certains sont traduits en de nombreuses langues. Elle passe une partie de son enfance au Japon, puis à Pékin, New York, le Laos, le Bangladesh, la Birmanie, suivant les déplacements de son père, alors diplomate. Elle revient en Belgique à ses 17 ans pour terminer ses études, puis retourne au Japon où elle va travailler comme traductrice, ce qui lui donnera la matière de deux romans, Stupeur et Tremblement et Ni Dave Ni Dadan, sortis respectivement en 1999 et 2016. Commençons cette sélection avec son premier roman sorti en 92, donc Hygiène de l'Assassin. Souffrant de la maladie d'Elzenweiverplatz, cancer d'écartilage inventé par l'autrice, prétexte à Tatch et sur le point de mourir. Pré-Nobel de littérature, mis en trempe et obèse, il suscite un engouement sans précédent chez les journalistes du monde entier. Rares sont ceux qui ont le privilège d'approcher le grand homme. Les quatre premiers journalistes, trahis par leur incompétence et leur fatuité, sont écondus de façon grossière. Le premier est épinglé pour sa bêtise, le deuxième, écœuré, fuit au récit des orgies rituelles de Tatch. Les autres n'échappent pas non plus aux vexations orchestrées avec jubilation. Seule Nina, par sa parfaite connaissance de l'œuvre de l'écrivain, parvient à faire face au mépris et au sadisme affiché par Tatch. Tous deux encagent alors un duel à fleur et moucher, qui va amener l'écrivain à se dévoiler et à révéler son surprenant passé. Amélie Nothomb aime les personnages méchants, égocentriques, cruels et vils, et elle le montre dès son premier roman avec le personnage détestable de Prétexte Arte. Elle aime aussi les personnages naïfs, du moins en apparence, qui savent cacher leur jeu pour atteindre leur fin. Romand tout en dialogue, ping-pong incessant entre nos deux protagonistes aussi pressés de se débarrasser l'un de l'autre que de s'amadouer. Amélie Nothomb pose ici ses bases avec des dialogues courts mais incisifs, un sarcasme à toute épreuve et des narrations jamais trop classiques. Un goût pour les prénoms improbables aussi. Et les secrets d'enfance qui façonnent ces adultes dysfonctionnels qu'elle aime tant. Un roman qui, de par les excentricités de son héros, nous soulèvera le cœur à plusieurs reprises. Les 265 premières pages d'une carrière qui nous régale encore tous les ans d'un nouveau cru. Je parlais de l'amour d'Amélie Nothomb pour les prénoms un peu étranges. En voici un autre, Épicène. Utilisé normalement pour catégoriser un prénom ne pouvant être porté aussi bien aux féminins qu'aux masculins, c'est ici le nom de notre héroïne, fille de Dominique et Claude, dans... Les prénoms d'Épicène. Épicène n'est pas une enfant comme les autres. Très vive d'esprit, elle a très vite compris que son père ne l'aimait pas, et a toujours entretenu une relation fusionnelle avec sa mère, alors que c'est pourtant Claude qui a tanné sa femme pour qu'elle lui fasse un enfant. C'est sur cette première partie qu'on se concentre. Le parcours de la jeune Dominique, qui se laisse séduire bien malgré elle par Claude, tout cela à cause d'une histoire de parfum. Vous découvrirez à tout seul de quoi il en retourne exactement, mais sachez qu'à travers ce parfum, Dominique se voit enfin belle et surtout aimée. Les premiers temps du couple seront tranquilles, mais cela ne va pas durer car Claude, ne comprenant pas que sa femme ne soit toujours pas enceinte, va exercer sur elle une pression mentale importante jusqu'à l'arrivée de cet enfant si ardemment désiré, mais instantanément rejeté. Voilà les conditions dans lesquelles Épicène est venue au monde. Adorée par un parent, méprisée voire détestée par l'autre, elle ne cherchera pas longtemps à se faire aimer de lui à tout prix. Quand les explications sur cette détestation arrivent enfin, il sera sans doute trop tard pour réparer quoi que ce soit. Beaucoup moins de sarcasme dans ces 154 pages, mais de la douleur, malgré la noirceur du propos. car les motivations de Claude sont terribles. Je vous ai dit qu'elle aimait les personnages méchants, en voilà un nouvel exemple. Le résumé éditeur indique que les personnes qui aiment sont les plus fortes, effectivement, laissant les méchants de côté et concentrant nous sur l'amour. Après les relations père-fille, les relations entre sœurs, avec Le Livre des Sœurs, sorti en 2022. Les relations parents-enfants difficiles, les relations entre sœurs, les troubles des conduites alimentaires, et surtout l'impact énorme des paroles qu'on prononce, sont au cœur de cette histoire qui se lit d'une traite. Car les mots, comme elle l'écrit, peuvent blesser ou guérir, puisqu'ils ont le pouvoir qu'on leur donne. Nora et Florence se rencontrent et c'est le grand amour instantané. Leur entourage pense que cela leur passera mais rien n'y fait. Ils s'aiment toujours passionnément. Pour faire baisser leur passion, leur entourage leur conseille de faire un enfant. Drôle de conception de l'amour et de la famille, mais soit. Leur premier bébé, Tristan, pleure sans discontinuer. Mais un jour, Florence, son papa, la supplie de ne plus jamais pleurer. Et les pleurs s'arrêtent instantanément. La méthode rêvée par tous les parents. Les nouveaux parents s'aiment toujours avec entrain, au point que la petite n'a pas de place pour eux. et ils délaissent leur fille en la laissant très souvent seule avec elle-même. Et c'est là qu'elle n'ose plus faire de bruit de peur de déranger ses parents. Quelques années plus tard, la petite sœur Laetitia arrive. Tristan va avoir une vie transformée grâce à ce petit être revenu au monde. Si leurs parents ne sont pas capables d'aimer leurs enfants, Tristan va se charger d'aimer sa sœur assez pour trois personnes. Sans qu'il soit particulièrement autobiographique, c'est un des romans récents d'Amélie Nothomb que je trouve le plus en accord avec elle. Les personnages ont beaucoup de choses en commun avec l'autrice. Amour de la musique rock, celui de la lecture et des lettres. L'anorexie dont elle a souffert pendant des années et la relation entre deux sœurs, même si Amélie a expliqué que la relation qu'elle entretient avec sa sœur est bien moins complexe que celle de Tristan et Laetitia. Une histoire de famille complexe et tordue dont elle a le secret. Parmi ses dernières parutions, c'est mon roman préféré. Je pense que sur les dix derniers romans, c'est un de mes préférés. Et j'ai tout de suite été happée par ce contexte malsain, parents-enfants, curiosité malsaine à savoir quand allait avoir lieu le drame. Parce que drame en attend, évidemment. Et on poursuit avec le livre sorti à la rentrée littéraire de 2005, Attentat. Dans Attentat, la romancière nous propose deux personnages originaux. D'un côté, Epiphan Otos, monstre de laideur mais esprit éclairé, fin et délicat. De l'autre, Ethel, jeune comédienne astucieuse mais surtout d'une beauté incroyable. L'histoire est celle de l'amour qu'Epiphan voue à Ethel. C'est également et surtout un prétexte pour disserter sur l'idée de Norme. Entre Notre-Dame de Paris et Relecture de la Belle au bois dormant, c'est, je pense, le livre d'Amélie Nothomb qui joue le plus avec la langue. Le vocabulaire est inhabituel, travaillé, cruel, ironique. Un conte méchant qui parle de la société qui nous incite, à la manière d'un magazine féminin, à nous aimer comme on est page 4, à perdre 5 kilos avant l'été page 12, et qui termine page 60 par les meilleures recettes de fondant au chocolat des pâtissiers d'une quelconque émission de télé. Une déclaration d'amour de l'autrice à la laideur. Comme elle le dit souvent en interview, c'est quelque chose qu'elle aime, la laideur, qu'elle trouve fascinante. Elle explique manger essentiellement des fruits qu'elle laisse mûrir jusqu'à la presque putréfaction, car c'est dans leur laideur qu'ils trouvent leur goût. La laideur a quelque chose de fascinant, car c'est beaucoup de travail d'être laide. Être beau c'est facile, généralement vous n'avez rien à faire. Vous êtes beau naturellement. Pour être laid au point qu'on vous remarque, il faut se donner du mal. Ce n'est pas donner à tout le monde. Et puis Fan l'a bien compris, et c'est pour ça qu'il se rend en colère quand est-elle tombera sous le charme d'un bel âtre plutôt idiot qui n'aimait-elle que pour sa plastique de rêve. Ce n'est pas parce qu'on est beau qu'on est une belle personne, et être laid ne fait pas de vous une mauvaise personne non plus. Ni une belle personne à vrai dire. Continuons sur le thème de la beauté avec Cosmétiques de l'ennemi. Qu'on s'aide dans un aéroport alors qu'il s'apprête à embarquer pour Barcelone, l'homme d'affaires Jérôme Anguste... se voit contraint de supporter, en plus du retard de son vol, la logorée d'un étrange individu bien décidé à lui imposer le récit de sa vie. Qui est donc ce Textor Texel qui le harcèle ? Pourquoi ce raseur a-t-il jeté son dévolu sur lui ? Le dialogue s'engage pourtant entre Loportin et sa victime. Vif, alerte, ponctué de réparties cinglantes, prenant les allures d'une joute de haute tenue et dévoilant le passé trouble de Textor en même temps que le malaise croissant de Jérôme. Car il se sent cerné, l'homme d'affaires irréprochable, par cet étranger qui semble si bien connaître les tréfonds de sa conscience et dont les crimes font douloureusement écho à un passé qu'il croit y enterrer. Étranger cet ennemi ? Pas tant que ça. Et si finalement cette rencontre n'était pas tant le fruit du hasard que l'objet d'une préméditation diabolique destinée à l'anéantir. Attentat, c'est souvent le livre le plus aimé des amateurs d'Amélie Nothomb, mais surtout le plus aimé de ceux qui avaient des doutes ou un manque d'affinité avec l'autrice. C'est peut-être un des plus faciles à appréhender. Pourtant son rythme est dense, faire tenir tous ces dialogues et toute cette tension en 120 pages sans bâcler son histoire, ce n'était pas quelque chose de facile sur le papier. Et comme d'habitude, c'est une réussite. L'explication du titre arrive toujours avec son lot de faces ici, et on se dit. Ah, c'était pour ça ! C'est aussi ça le style nos ombres, parvenir à amener de la surprise même dans son dixième roman avec une technique que l'on retrouve pourtant quasiment tous les ans. L'écriture est atypique, certes, mais elle a ce côté réconfortant pour qu'il l'apprécie et accepte ses petites maladresses, simplicité et répétition. Sorti l'année d'après, le Robert des Noms Propres est le prochain livre de cette sélection. L'histoire de cet enfant né en prison, dont la mère a flingué sèchement le père avant de baptiser sa fille Plectrude et de se suicider dans sa cellule. Il y a mieux comme géniteur. Surtout quand par la suite on est recueillis par un oncle et une tante qui vous élèvent comme une princesse, adorée à travers, avec qui tous les coups sont permis, les plus excentriques comme les plus capricieux. C'est là l'itinéraire d'une gamine hors norme, belle, farouche, rebelle et prodigieusement intelligente, cancre et douée à la fois, qui se voit danseuse et peut tirer à de l'opéra, se nourrit des pages du dictionnaire Le Robert, sombre dans l'anorexie avant de connaître les révélations de sa naissance et de vivre avec l'homme de sa vie et de faire des rencontres décisives lorsqu'elle prend connaissance de l'histoire de ses parents. Plektrude, encore un prénom peu simple à porter, décide qu'elle suivra le même parcours. Mais il reste seulement deux ans pour mettre son plan en exécution. Inspirée de la vie de la chanteuse ex-danseuse Robert, avec qui Amélie Nothomb a une relation quasi fusionnelle, le troisième album de la chanteuse, Celle qui tue, contient 13 titres, dont 6 écrits par l'autrice belge, dont Requiem pour une soeur perdue qui est une de mes chansons préférées de Robert et que je vous invite à écouter dès la fin de cet épisode. Ce que j'aime avec l'écriture d'Amélie, c'est sa fausse simplicité. Les romans sont courts, on les lit toujours très facilement, mais derrière il y a une vraie exigence, un vrai travail sur le style, le fond et la forme. Chaque mot est précieusement et précisément choisi pour trouver sa place de la meilleure façon possible sur la page. L'autrice est très prolifique, on le sait, elle écrit plusieurs romans par an dont un seul sera présenté au public, mais chacun de ses opus répond aux mêmes exigences et c'est ce qui lui permet d'être là toujours 30 ans après ses débuts. Et on termine cette sélection estivale avec le seul roman d'anticipation écrit par Amélie Nothomb, qui est aussi son titre le plus polémique. Écrit en 2005, il s'agit d'Acide Sulfurique. Une émission de télé nommée Concentration est lancée. On y filme des prisonniers choisis au hasard parmi la population et enlevés par rafle. Leurs conditions de vie sont épouvantables. Ils sont peu nourris, insultés, battus par des surveillants appelés capots. Chaque jour, deux prisonniers sont choisis et tués sous le regard des télés. Zdena, une des capos tombée perdument amoureuse de Panonik, héroïne du livre et prisonnière connue sous le matricule CKZ114. La capo veut absolument connaître son nom et est prête à tout pour cela, même à tuer les prisonniers qui sont chers à Panonik. Pendant ce temps, les médias s'offusquent de l'horreur de l'émission, ce qui incite de plus en plus de gens à la regarder. Concentration arrive au paroxysme du scandale quand les producteurs décident d'accorder le choix des prisonniers tués au public. Les téléspectateurs votent en masse, de plus en plus de personnes regardent l'émission. Au fur et à mesure du temps, les règles du jeu vont changer en devenant de plus en plus exécrables. Descriptions d'une dystopie où personne ne sait mieux qu'une telle émission voit le jour. On ne sait pas en quelle année ça se passe l'histoire et on aimerait bien que ce soit dans très longtemps, mais rien ne nous permet d'être rassurés. On y retrouve les éléments clés du style Notomia. L'importance du prénom qui sera ici la clé de l'intrigue, l'importance du langage avec les différentes prises de paroles de panoniques, la normativité de la société, Ne pas regarder cette émission, faites-vous quelqu'un de bizarre. Le rapport à la nourriture avec les différentes privations des prisonniers, l'importance de la beauté, car Zdena est fascinée par la beauté de CKZ114. J'ai été fascinée par ses romans comme les gens sont fascinés par cette expérience télévisuelle. Jusqu'à la fin, qui est pour moi une des plus belles fins d'Amélie Nothomb. Amélie Nothomb, c'est vraiment quelqu'un qui a été important pour moi dans ma découverte et dans mon amour de la littérature. Je lisais beaucoup avant de découvrir son travail, mais c'est vraiment par ses romans que j'ai toujours eu une petite accroche à la littérature, même dans les périodes où je ne lisais pas beaucoup. Je savais qu'au moins tous les ans, j'avais un Amélie Nothomb à lire, et qu'en général, du coup, de septembre à décembre, ça allait recréer un engouement pour la littérature pour moi, et c'est vraiment une autrice que je vais suivre encore longtemps, je pense. C'est la fin de cet été, on parle du réalisateur préféré des odogothiques. Bonne semaine !