Speaker #0Et si on tirait un fil ? Celui qui relie ce qu'on vit, ce qu'on ressent et ce qu'on peut encore transformer. Un fil discret mais solide. Bonjour et bienvenue dans Au fil des enjeux, un podcast qui prend le temps. Le temps d'écouter, de réfléchir, sans donner de leçons, sans tout simplifier. Moi c'est Manuel et aujourd'hui on va parler de climat, de conflit, de frontières. Pas pour désigner un coupable, pas pour dire que le climat déclenche la guerre, mais pour comprendre comment il rend les frontières plus poreuses. Comment il transforme des tensions locales en crises régionales. comment il permet aux violences de circuler, de se répandre là où les fragilités s'accumulent et les réponses manquent. Quand on parle du lien entre climat et conflit, on pense souvent à des chiffres, à des tendances globales. Mais derrière ces dynamiques, il y a des histoires d'État qui vacillent, et des sociétés qui s'effritent et des populations qui, peu à peu, perdent confiance. En Somalie, par exemple, on voit comment l'interaction entre crise écologique et insécurité prolongée a fini par tisser une spirale sans fin. Une spirale où chaque choc... Qu'il soit climatique ou politique, fragilise un peu plus ce qui reste des structures de gouvernance. Et ce qu'on observe là-bas n'est pas unique. D'autres pays, à l'instar du Niger, vivent des réalités similaires. Là-bas, près de 80% de la population vit de l'agriculture. Mais chaque année, des dizaines de milliers d'hectares de terre deviennent impropres à la culture. Le sol s'épuise, le désert avance, les pluies se font attendre ou tombent trop fort, trop vite. Et dans ces régions où l'agriculture est une question de survie, ces bouleversements deviennent des menaces existentielles. Mais les dommages ne s'arrêtent pas à la terre, ils atteignent aussi les institutions. Parce qu'un état qui peine déjà à assurer la sécurité de ses citoyens, à garantir un accès à l'eau, à la santé ou à l'éducation, se retrouve vite dépassé quand les catastrophes naturelles se multiplient. Les infrastructures cèdent, les écoles ferment, les hôpitaux manquent d'électricité. Et la reconstruction devient de plus en plus difficile, de plus en plus chère, surtout quand les ressources financières sont englouties dans les dépenses militaires. Dans ces conditions, la confiance entre les populations et leur gouvernement s'effrite. La légitimité des institutions est remise en question, et sans cette confiance minimale il devient presque impossible de faire face collectivement aux défis qui s'annoncent. Ce n'est pas seulement une question d'économie ou de gouvernance, c'est aussi une réalité humaine. Parce qu'à la croisée du climat et des conflits, il y a des millions de personnes qui fuient. En 2023, on comptait 76 millions de déplacés internes dans le monde, chassés par les combats ou par les sécheresses, par les inondations ou les bombardements. Ces déplacements bouleversent les équilibres, les villes se transforment à toute vitesse sans toujours être prêtes. Dans certains quartiers, les services publics sont saturés, les logements manquent, les systèmes d'eau ne tiennent plus, l'école devient un luxe avec parfois une centaine d'enfants par classe. Et dans cette surpopulation, dans cette promiscuité, les tensions sociales se multiplient. La xénophobie, les conflits religieux ou ethniques, les violences faites aux femmes, tout cela prospère là où l'État est absent. Ce sont des territoires où les solidarités locales s'effritent, où les inégalités se creusent encore un peu plus. Et dans ces contextes déjà sous pression, la capacité à prévenir de nouvelles crises, qu'elles soient climatiques ou sécuritaires, s'effondre. Lors de la COP28, plusieurs voix ont d'ailleurs alerté que les conflits détruisent les fondations sur lesquelles on pourrait construire l'adaptation au climat. Et le climat, de son côté, fragilise un peu plus ces fondations à chaque saison extrême, à chaque catastrophe. Pour les États les plus fragiles, cette double charge devient insoutenable. Ce n'est pas seulement une crise à gérer, c'est un engrenage à enrayer. Parce qu'à force de subir sans pouvoir répondre, à force de reconstruire ce qui est sans cesse détruit, certains pays s'enfoncent dans une spirale où le climat nourrit l'instabilité et où l'instabilité empêche toute réponse durable au climat. C'est là que le nexus climat-conflit devient une mécanique dangereuse, une mécanique qu'il faut comprendre pour espérer la déjouer. Et un autre effet de ce nexus est aussi particulièrement inquiétant, le changement climatique en détériorant les conditions de vie de millions de personnes peut agir comme un catalyseur de dynamiques conflictuelles plus larges. Dans certaines régions déjà marquées par des tensions, elles favorisent l'apparition de cercles vicieux. Instabilité politique, tensions communautaires, effondrement économique, etc. Autant de facteurs qui se renforcent mutuellement. Et lorsque ces tensions explosent dans un état, elles ne restent pas toujours confinées à ces frontières administratives. Il faut bien comprendre que lorsqu'on cherche à comprendre le lien entre climat et conflit, le prisme d'observation qu'on utilise, qu'il soit national, local ou transfrontalier, influencent fortement notre perception. Choisir de limiter nos observations des différentes dynamiques en jeu aux frontières d'un pays peut donc masquer la réalité des tensions. Les conflits ne s'arrêtent pas aux frontières, ils se diffusent là où les contextes sociaux, économiques ou environnementaux sont similaires, là où les sols sont appauvris, où les ressources sont rares, où les communautés se sentent abandonnées. Dans ce contexte, le changement climatique peut devenir un facteur aggravant en intensifiant la pression sur les ressources ou en perturbant les équilibres économiques fragiles. La propagation des conflits se fait alors de manière insidieuse, lorsque deux régions partagent des caractéristiques communes, un climat aride, des tensions intercommunautaires, une économie rurale exposée, etc. les violences peuvent circuler plus facilement d'un territoire à un autre. A cela s'ajoutent les flux transfrontaliers, comme les échanges économiques, du commerce informel, les déplaçants de population, etc. Lorsqu'un État n'a plus les moyens de contrôler ses frontières, celles-ci deviennent poreuses. Des groupes armés peuvent s'en emparer, contrôler les routes, les ressources, les passages. Les tensions internes débordent alors vers les pays voisins. Ce phénomène est particulièrement visible dans certaines régions d'Afrique, comme le Sahel. Dans cette vaste bande de terre traversant le continent d'ouest en est, les conflits internes se nourrissent des fragilités climatiques et se diffusent au-delà des frontières nationales. L'élevage et l'agriculture qui occupent la majorité de la population dépendent directement des conditions météorologiques. Lorsque les pluies deviennent plus rares, les terres moins fertiles, les tensions pour l'accès à l'eau ou au pâturage se multiplient. Dans un tel contexte, les groupes armés trouvent un terreau favorable pour s'implanter. Ils exploitent les frustrations, promettent des revenus et s'appuient sur des divisions communautaires. Au fil des années, cette dynamique transforme les conflits en crise régionale. Des milices circulent librement entre plusieurs pays, les violences se propagent d'un village à l'autre, d'un pays à l'autre. Les états les plus exposés comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger peinent à reprendre le contrôle. Les frontières ne jouent plus leur rôle de barrière, elles deviennent des lignes perméables traversées par les armes, les populations, les flux économiques informels. mais aussi par la peur, la méfiance, la colère. Et face à cette dynamique, la gestion strictement nationale des conflits montre ses limites. Pour comprendre et répondre à ces crises, il faut dorénavant penser à l'échelle des territoires, des écosystèmes, des communautés, au-delà des cartes politiques. Alors merci d'avoir suivi ce fil avec moi. Ce qu'on observe, c'est que les conflits, comme les effets du climat, ignorent les frontières. Ils se déplacent, se transforment, se nourrissent des fragilités voisines. Et quand l'instabilité gagne du terrain, quand les états perdent prise, ce sont des régions entières qui vacillent. Alors pour répondre à ces crises, il faut changer d'échelle. Pensez au-delà des cartes politiques, regardez les liens invisibles et dynamiques qui circulent. Parce que c'est à cette échelle, celle des territoires et des interdépendances, qu'on pourra espérer rompre les cercles vicieux. A bientôt, pour tirer ensemble un nouveau fil.