Speaker #0Et si on tirait un fil, celui qui relie ce qu'on vit, ce qu'on ressent et ce qu'on peut encore transformer ? Un fil discret mais solide. Bonjour et bienvenue dans Au fil des enjeux, un podcast qui prend le temps. Le temps d'écouter, de réfléchir, s'endouer de leçons, sans tout simplifier. Moi c'est Manuel, et aujourd'hui on va prolonger notre exploration du nexieuse climat-conflit. Après avoir vu comment le changement climatique peut influencer les situations de conflit armé dans leur globalité, une autre question se pose, et si les réponses qu'on y apporte... pourrait devenir des leviers de paix. Dans cet épisode, on va parler d'adaptation, on verra pourquoi certaines stratégies d'adaptation peuvent renforcer la résilience et la cohésion sociale, mais aussi comment malpenser elles peuvent creuser les fractures existantes. Le changement climatique agit comme un facteur de perturbation majeur, il modifie les équilibres environnementaux, économiques, sociaux et politiques. Et selon les projections les plus sérieuse. Ces effets devraient non seulement s'intensifier mais aussi se multiplier. Face à cela, deux types de réponses sont envisagées, l'atténuation, qui cherche à limiter le changement lui-même, et l'adaptation, qui consiste à en réduire les effets. Mais les efforts engagés en matière d'atténuation sont aujourd'hui encore très largement insuffisants. Dans de nombreux pays, l'adaptation devient donc le levier principal pour faire face aux impacts du climat, en particulier lorsqu'il se combine à des situations de fragilité ou de conflit. L'un des objectifs centraux de l'adaptation, c'est de renforcer la résilience, autrement dit la capacité des sociétés à absorber les chocs sans s'effondrer. Mais pour cela, encore faut-il comprendre comment les sociétés sont vulnérables, et à quoi exactement. Est-ce aux sécheresses, aux inondations, aux tensions liées à l'accès à la terre ou à l'eau ? Ces vulnérabilités ne sont jamais uniquement climatiques, elles s'enracinent souvent dans des inégalités structurelles, l'accès aux ressources, aux revenus, aux services, à la représentation politique. Ignorer cette dimension, c'est risquer de concevoir des politiques d'adaptation à la fois incomplètes et inefficaces. Utilisons l'exemple du Nigeria. Ces dernières années, le pays a mis en place plusieurs dispositifs d'adaptation, soutenus par des partenaires internationaux comme la Banque mondiale. Des programmes ont été lancés, des engagements ont été pris, mais la plupart de ces initiatives ont abordé le changement climatique de manière isolée, sans prendre en compte les dynamiques propres au nexus climat-conflit. Autrement dit... elles ont fait l'impasse sur des facteurs sociaux, économiques et politiques qui conditionnent la réussite ou l'échec de l'adaptation. Et cela dans un pays marqué par une forte instabilité et des institutions fragiles, une gouvernance inégale et des tensions persistantes autour des ressources. Le résultat est que les politiques mises en œuvre n'ont pas produit les effets escomptés et leur durabilité reste très incertaine. Ce constat dépasse largement le cas du Nigeria. Dans bien des contextes fragiles, l'adaptation souffre d'un manque criant de données précises, de ressources adéquates, de cadres juridiques solides et de capacités administratives. Sans ces fondations, difficile d'élaborer des réponses adaptées à la réalité du terrain. Et avec le temps, plusieurs catégories d'adaptation ont été définies. On parle notamment d'adaptation grise lorsqu'elle repose sur des infrastructures techniques comme les digues ou les réservoirs d'eau. Ou d'adaptation verte lorsqu'elle s'appuie sur les écosystèmes, par exemple la restauration de mangroves pour limiter l'érosion côtière. On distingue aussi des mesures dites « dures » , souvent structurelles ou réglementaires, et des mesures plus douces, centrées sur les comportements ou les pratiques sociales. Certaines sont planifiées, d'autres émergent de manière spontanée, à l'échelle individuelle ou communautaire. Mais dans les zones touchées par des conflits, cette diversité pose un défi supplémentaire l'interdépendance territoriale. Ce que cela signifie, concrètement, c'est qu'une stratégie d'adaptation locale peut être rendue inopérante si les régions voisines restent vulnérables. Autrement dit, on ne peut pas penser l'adaptation comme un processus isolé limité à un territoire restreint. Elle nécessite une approche coordonnée, ancrée dans les dynamiques sociales, économiques et politiques du territoire dans son ensemble. Ce besoin de coordination s'exprime d'autant plus dans les contextes de conflits où les équilibres sont précaires. Faux d'une telle approche, on se tente souvent vers des stratégies incrémentales, plus faciles à mettre en œuvre dans un environnement instable. Celle-ci vise à réduire progressivement les risques sans transformation structurelle. mais elles atteignent rapidement leurs limites dès lors que les impacts climatiques deviennent trop importants. Dans ces cas-là, seule une refonte en profondeur des modèles de développement, des politiques foncières ou des modes de gouvernance peut permettre une adaptation efficace. Un autre enjeu clé est celui de l'information. Sans données précises, contextualisées, il est très difficile d'identifier les groupes les plus vulnérables et d'éviter que les politiques d'adaptation ne reproduisent, voire n'aggravent, des inégalités existantes. Lorsqu'on ne prend pas en compte les rapports de pouvoir ou les formes d'exclusion, les ressources investies dans la résilience bénéficient souvent aux groupes les plus influents, et laissent donc de côté les communautés les plus marginalisées. C'est exactement ce qui s'est produit dans le comté de Turkana au Kenya. Pour répondre aux sécheresses récurrentes, des projets d'infrastructures hydriques ont été mis en place, mais faute d'une analyse fine des dynamiques sociales locales, ces projets ont parfois contribué à accentuer les tensions. En favorisant certains groupes au détriment d'autres, ils ont nourri la compétition pour l'eau jusqu'à provoquer des violences entre communautés. Ce cas montre clairement que des politiques d'adaptation, si elles sont conçues de manière technocratique, sans prise en compte des équilibres locaux, peuvent produire l'effet inverse de celui recherché. L'adaptation, surtout en contexte de conflit, ne peut pas être une réponse standardisée. Elle doit être attentive aux réalités sociales, aux rapports de pouvoir, aux histoires territoriales. C'est à cette condition seulement qu'elle peut réduire les vulnérabilités plutôt que de les déplacer ou de les aggraver. Avant même de parler de solutions concrètes, une chose reste en tout cas très claire. On ne peut pas construire des stratégies d'adaptation solides sur un sol instable. Dans de nombreux contextes marqués par la fragilité institutionnelle ou les tensions sociales, il faut d'abord créer un environnement propice à l'adaptation. Cela signifie poser les fondations politiques, sociales et institutionnelles nécessaires pour répondre durablement aux impacts du changement climatique. Dans cette perspective, la gouvernance joue un rôle central. Adapter une société au bouleversement climatique ne se résume pas à une décision technique, cela demande une coordination étroite entre les niveaux local, régional et national. Cela suppose également une gouvernance plus souple, parfois plus décentralisée, afin d'agir au plus près des besoins concrets des populations. Or, les états en situation de fragilité sont souvent les moins bien préparés pour engager ce type de processus. Et pourtant, même dans ces contextes, les recherches montrent que là où les institutions sont un peu plus fortes, un peu plus stables, les effets d'adaptation sont souvent plus efficaces. Parce que ces institutions fournissent des cadres légaux, des mécanismes de financement, des systèmes d'appui techniques qui rendent possible l'adaptation au quotidien. Mais cela ne suffit pas, à l'échelle locale, les disparités persistent. Dans une même communauté, des ménages peuvent avoir un accès très inégal aux ressources, à l'information ou aux réseaux d'influence. Cela reflète un problème plus profond, un manque d'échanges entre les échelons de gouvernance et surtout un déficit d'inclusivité dans les espaces décisionnels. Dans ce contexte, renforcer la cohésion sociale devient un levier d'action fondamental. Lorsqu'une communauté est unie, elle est plus à même de participer aux décisions qui la concernent. Cette inclusion permet de mieux comprendre les vulnérabilités spécifiques de chaque groupe, et d'adapter les politiques en conséquence. Cela réduit aussi les risques de tensions, en garantissant que les bénéfices des politiques climatiques soient partagés de manière plus équitable. Les organisations régionales peuvent aussi jouer un rôle essentiel. En les rendant plus représentatives des populations concernées, on peut améliorer la compréhension des risques perçus par les citoyens, ce qui oriente plus finement les priorités d'adaptation. Car au fond, Notre volonté d'agir pour l'adaptation dépend en grande partie de notre sentiment d'appartenance à une communauté. Plus les citoyens se sentent écoutés, plus ils s'engagent. Cette dynamique d'inclusion est aussi cruciale pour faciliter la collaboration entre les différents acteurs. Gouvernements, entreprises ou ONG, institutions internationales, tous ont un rôle à jouer. Mais pour que cela fonctionne, il faut des espaces de dialogue, de co-construction, où l'on peut partager connaissances, ressources et expériences. Par exemple, les établissements éducatifs ont un rôle déterminant dans la diffusion de savoirs utiles à l'adaptation, notamment dans les secteurs agricoles ou hydriques. Mais encore faut-il que ces connaissances soient accessibles et que les moyens pour les appliquer existent vraiment sur le terrain. Les acteurs privés eux aussi peuvent contribuer à l'adaptation, mais leurs intérêts ne coïncident pas toujours avec les besoins des communautés locales. Cela renforce l'importance de créer des mécanismes de concertation à plusieurs niveaux pour garantir que l'adaptation soit à la fois efficace, juste et efficace. et durable. Enfin, dans des contextes aussi incertains que celui du nexus climat-conflit, il est crucial que les stratégies d'adaptation soient flexibles. Les conditions changent rapidement, les conflits évoluent, les impacts climatiques aussi. Il faut donc être capable d'ajuster les politiques en continu, de faire preuve d'agilité institutionnelle et d'encourager l'innovation. Cela implique des formes de gouvernance moins rigides, plus collaboratives et capables d'intégrer une diversité d'expériences et de savoirs, y compris ceux des populations concernées elles-mêmes. Pour cela, l'éducation populaire et la reconnaissance des savoirs locaux ne sont pas de simples compléments, ce sont des éléments centraux d'une adaptation juste. Mais encore une fois, cela ne peut se faire sans tenir compte des dynamiques de pouvoir qui influencent en profondeur qui peut parler, qui peut décider et qui peut bénéficier. En somme, l'adaptation ne commence pas avec une solution technique. mais avec la construction d'un cadre solide, inclusif et résilient. Ce cadre est la condition même de toute stratégie d'adaptation durable dans des contextes où climat et conflit s'entremêlent. Dans les contextes marqués par l'interaction entre climat et conflit, les acteurs internationaux jouent un rôle déterminant. Leur capacité à mobiliser des ressources financières, fournir une expertise technique et assurer une coordination diplomatique peut renforcer considérablement la résilience des États et des communautés vulnérables. Certaines initiatives, comme AdaptAction, soutenues par l'Agence française de développement, illustrent cette approche en finançant des infrastructures résilientes, des systèmes d'alerte précoces ou encore des programmes de renforcement des capacités locales. Mais ces soutiens ne se limitent pas aux techniques ou aux financiers. Ils peuvent aussi structurer les processus décisionnels autour d'une meilleure compréhension du lien climat-conflit et favoriser des solutions ancrées dans les réalités du terrain. Depuis l'accord de Paris, la question du financement de l'adaptation est devenue centrale. Ce dernier préconise un équilibre entre atténuation et adaptation. Mais dans les faits, aujourd'hui, seuls 35% des financements sont dirigés vers l'adaptation, contre 54% pour l'atténuation. Or, les besoins des pays en développement sont pressants. Ces pays réclament le respect des engagements financiers des pays du Nord, particulièrement à l'approche des grandes négociations comme la COP28. Le seuil symbolique des 100 milliards de dollars annuels reste difficile à atteindre, et encore plus à répartir équitablement. Les pays les moins avancés, les petits états insulaires en développement, pourtant parmi les plus vulnérables, ne reçoivent que 14% et 2% de ces financements respectivement. Au-delà des montants, l'accès aux financements reste un véritable obstacle. Les normes fiduciaires, le manque de capacité humaine et administrative ou encore l'orientation des fonds vers les gouvernements nationaux au détriment des ONG locales ou du secteur privé limitent l'efficacité de l'aide. A cela s'ajoutent les coûts accrus pour les pays vulnérables qui doivent souvent payer des taux d'intérêt sur leurs dettes plus élevés en raison des risques climatiques auxquels ils sont exposés. Dans ce contexte, des mécanismes comme l'allègement de la dette ou les échanges de dette contre actions climatiques pourraient offrir une marge de manœuvre bienvenue. Mais augmenter les financements ne suffit pas, leur efficacité dépend de la qualité de leur orientation et donc des connaissances disponibles sur le terrain. Le rôle des acteurs internationaux et nationaux est aussi de collecter et diffuser des données pertinentes sur les impacts climatiques et les dynamiques conflictuelles. Une information fine et contextualisée est indispensable pour concevoir des projets qui ne renforcent pas, parfois involontairement, les inégalités ou les tensions locales. L'inclusion des acteurs locaux souvent absents des grandes négociations est essentielle. Des processus de décision plus ouverts, intégrant les voix des femmes, des jeunes, des minorités ou des communautés marginalisées peuvent générer des solutions mieux adaptées aux besoins réels et surtout plus durables. En soutenant ces approches, les acteurs internationaux ne renforcent pas seulement l'efficacité de l'adaptation, mais aussi sa légitimité. Ils permettent aux communautés concernées de devenir des acteurs à part entière des réponses aux crises climatiques et sécuritaires, et non de simples bénéficiaires. Enfin, ces acteurs peuvent aussi jouer un rôle diplomatique stratégique. En facilitant la coordination entre différents niveaux de gouvernance, en assurant la cohérence des interventions, et en comblant les lacunes en matière de financement, ils contribuent à une réponse globale au défi du nexus climat-conflit. Mais face à l'ampleur des besoins, l'écart reste immense. Et sans une approche réellement durable, inclusive et contextuelle, le risque de mal orienter, voire de gaspiller des fonds déjà bien en dessous des demandes, reste très important. Alors merci d'avoir suivi ce fil avec moi. En conclusion, l'adaptation du changement climatique ne se limite pas à des solutions techniques. Elle peut devenir un véritable levier de paix, à condition d'être pensée de manière inclusive, équitable et sensible aux contextes locaux. Certaines initiatives montrent que renforcer la résilience face au climat, c'est aussi renforcer les liens sociaux, reconstruire la confiance et prévenir les violences. Mais ces stratégies ne sont pas neutres mal conçues, elles peuvent aggraver les inégalités, alimenter la méfiance ou exclure des groupes déjà marginalisés. C'est pourquoi intégrer l'adaptation dans les processus de paix exige une approche transversale qui relie les enjeux climatiques aux dynamiques sociales, économiques et politiques. Finalement, consolider la paix à l'ère du changement climatique, ce n'est pas seulement réparer le passé ou répondre à une crise, c'est aussi imaginer un avenir commun plus juste et plus stable face à des bouleversements qui ne font que commencer. A bientôt pour tirer ensemble un nouveau fil. Si ce podcast vous parle et que vous voulez le soutenir, vous pouvez le faire sur Ko-fi. Le lien est dans la description. Merci.