- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous, vous êtes sur Babillage Social, le podcast du social et du médico-social. Ce podcast vise à donner la parole aux professionnels de l'accompagnement à la personne pour partager des moments marquants de leur vie professionnelle. Je suis Hayat Kanissi, chef de service dans le médico-social.
- Speaker #1
Je suis Sylvain Barieux, chef de service aussi dans le médico-social. Aujourd'hui pour notre babillage, on accueille Marc Dantonville et Emeline Bouchard. Alors je vais les laisser... se présenter. On va peut-être commencer par Marc.
- Speaker #2
Oui, bonjour à tous. Je m'appelle Marc D'Antangilles, effectivement. J'ai 39 ans, je suis éducateur spécialisé depuis une quinzaine d'années à peu près maintenant. J'ai travaillé tout particulièrement auprès du public sourd pendant l'ensemble de mes expériences professionnelles.
- Speaker #3
Et moi, je suis Meline Bouchard, je suis psychologue clinicienne. Je travaille au CESDA, qui est un centre d'éducation spécialisé pour déficients auditifs. Et j'accueille donc des adolescents. j'accompagne ces adolescents qui ont une surdité et qui ont pour la plupart des troubles associés.
- Speaker #1
Donc l'idée là, c'est de laisser la parole à Marc, qui puisse nous parler un petit peu d'une expérience que lui, il estime être une expérience un peu phare, une expérience clé de son parcours professionnel. Alors on a hâte de savoir, on peut mettre un peu la pression.
- Speaker #2
Juste pour faire un petit point un peu historique, on va dire, le mot est un peu fort, sur mon parcours, pour illustrer un petit peu. Donc moi, j'ai commencé juste après mon diplôme à travailler au CESDA Richard Chapon pendant trois ans, où là j'ai découvert en fait, complètement par hasard, puisque j'avais candidaté pour le poste sans pas grand-chose connaître à ce public. J'ai découvert le monde de la surdité, de la LSF, et donc pendant trois années j'ai pu acquérir comme ça un petit niveau, et puis j'ai vraiment été enchanté de la découverte de ce public. Ça m'a posé énormément de questions, ça m'a poussé à complètement réinterroger ma pratique, et notamment le lien auprès des usagers. Donc après trois ans au 16 d'âge, auprès d'adolescents sourds... avec handicap associé, je suis parti aux Antilles pendant 7 ans, où j'ai d'abord travaillé dans un IME en Guadeloupe auprès de jeunes autistes. Donc pareil, une découverte du monde de l'autisme, des techniques appliquées dans l'accompagnement, c'était assez enrichissant également. Et ensuite, je ne voulais pas perdre la langue des signes, donc j'ai commencé à travailler comme bénévole dans une association qui œuvrait pour l'intégration professionnelle des sourds. et puis de bénévole je suis devenu formateur donc j'ai quitté un peu la casquette d'éduc pour devenir formateur en maths et en français auprès de sourds c'était tout un changement et j'ai fini par ouvrir en fait en martinique une antenne de cette association où là pour le coup c'est moi qui étais en responsabilité donc c'est pareil c'était une expérience hyper hyper riche ça m'a ça m'a appris énormément de choses je faisais de l'intégration professionnelle on organisait des formations donc des signes Je faisais de la sensibilisation langue des signes dans les écoles. Donc c'était hyper diversifié. Malgré tout, au bout d'un certain temps, l'envie de retrouver la métropole est venue. Donc on est retourné s'installer à Bordeaux. Et j'ai travaillé pendant quatre ans dans un foyer d'hébergement pour adultes, travailleurs handicapés, toujours avec cette spécificité d'efficience sensorielle, qui accueillait des sourds, mais aussi des malvoyants et aussi des personnes en situation de handicap. C'est de cette expérience dont j'ai tiré la situation que je voulais vous présenter aujourd'hui. Voilà, c'est pour ça, c'était histoire d'illustrer un petit peu le parcours. Donc j'ai travaillé quatre ans là-bas avant de revenir maintenant au CESDA depuis deux ans. La situation dont je voulais parler ce matin, pour placer un peu le contexte, je travaille depuis une année dans ce foyer qui accueille des adultes travailleurs handicapés. qui travaillent en ESAT, quasiment tous.
- Speaker #1
Alors l'ESAT, établissement...
- Speaker #2
Le service des dettes par le travail.
- Speaker #1
Merci de m'aider.
- Speaker #2
Donc c'est des établissements spécialisés, mais qui sont tournés autour du travail, des ateliers. Donc c'est des personnes, quand elles rentrent sur le foyer, c'est pour se reposer. C'est vraiment du temps, de détente. Mais à côté de ça, ça ne veut pas dire qu'on ne fait rien. On ne joue pas au ping-pong le soir avec eux. Parfois, mais pas tout le temps. L'idée c'est vraiment de les accompagner vers plus d'autonomie, c'est peut-être prendre le virage d'une vie autonome en appartement, c'est beaucoup de choses, intégrer la ville, essayer de faire des sorties, avoir un agenda rempli, faire des rencontres. Il y a plein de choses qui se passent dans cet établissement et qui moi m'intéressent beaucoup. Donc voilà, je suis éduque là-bas, ça se passe bien, j'ai une place un peu spéciale aussi parce que au fil de mes expériences j'ai quand même acquis un niveau de langue des signes relativement correct, j'arrive à bien m'exprimer, j'arrive à bien me faire comprendre, à bien comprendre aussi évidemment, et j'étais un des rares professionnels à avoir un tel niveau dans cet établissement.
- Speaker #1
Parce que les autres professionnels étaient formés, ils avaient un niveau...
- Speaker #2
Ils étaient formés mais si tu veux... La langue des signes, il faut la pratiquer. Dans cet établissement, il y avait des sourds, il y avait aussi des malvoyants, il y avait aussi des entendants, il y avait des personnes en situation de déficience, simplement. Donc on est beaucoup moins dans un bain langagier qu'ici, où on est constamment en échange avec des jeunes sourds et on est obligé d'apprendre. Donc j'ai beaucoup de mes collègues qui n'étaient pas passés par cette étape-là et qui du coup n'étaient pas fluides dans leur langue des signes. Donc quand je suis arrivé, j'ai tout de suite eu cette place de voilà Marc qui s'est signé, Marc on peut échanger avec lui donc j'avais quand même une relation un peu spéciale auprès des sourds accueillis dans l'établissement. Donc arrive ce jeune qui est un jeune sourd, alors je sais plus comment je l'ai appelé, j'ai changé les prénoms, je sais plus si vous avez mon...
- Speaker #1
Non je l'ai pas là. Tu l'as appelé
- Speaker #2
Karim. Karim voilà donc arrive Karim. qui est un jeune adulte sourd profond qui travaille en ESAT, avec qui on échange beaucoup, et qui rencontre une jeune stagiaire qui arrive dans l'établissement, pareil, une jeune travailleuse handicapée, et dont il tombe éperdument amoureux. Karim est sourd profond, il a aussi quand même certaines autres difficultés qui s'apparentent quand même beaucoup à la psychose. Donc la relation aux autres est quand même un peu alternée, un peu complexe.
- Speaker #1
Quand tu dis psychose, du coup là c'est un peu plus la partie d'Emeline, mais c'était quelque chose qui était diagnostiqué, on va dire officiel, ou alors c'était plus du...
- Speaker #2
Non, c'était quelque chose qui était diagnostiqué. Il y avait un philippe sénic, il avait un traitement aussi associé à cela. Oui, il y avait vraiment un diagnostic clair posé.
- Speaker #1
Stabilisé ?
- Speaker #2
Oui, oui, oui, relativement stabilisé. Relativement stabilisé. Au final, avant l'arrivée de cette jeune fille, ce jeune homme, Karim, il avait sa petite vie, il travaillait, le soir il avait sa console de jeux dans sa chambre... Voilà, il avait des activités à l'extérieur, il avait des amis, enfin tout ça, ça se passait plutôt bien quoi. Donc arrive cette jeune fille, Nathalie, dont il tombe éperdument amoureux, il semble avoir une petite relation d'une semaine ou deux au début, et puis tout d'un coup je crois que Nathalie ne souhaite plus poursuivre cette relation, et donc on vient à une période extrêmement complexe pour nous, parce que Karim ne l'entend pas de cette oreille, il n'est pas du tout d'accord, de la fin de cette relation et voilà, ça fait écho forcément à sa pathologie donc il a lui ses envies et lui ce qu'il veut et finalement l'autre et ce que l'autre veut c'est un peu mis de côté et moi j'ai cette place de la personne qui va accueillir toute la parole de Karim et toutes les difficultés qu'il ressent à gérer cette frustration et à... J'ai l'impossibilité d'avoir une relation avec cette jeune fille. Donc c'est des heures et des heures par semaine à discuter avec lui. C'est Karim qui ne fait plus rien de ses journées. refuse maintenant d'aller au travail, qui épie tous les faits et gestes de Nathalie, à essayer de capter des signaux qui pourraient lui sembler intéressants, se dire ah là là, mais là elle m'a regardé à tel moment, peut-être que ça signifie ça Donc moi je suis derrière à essayer de capter cette parole, de la réguler au maximum, avec un peu d'appui de mes collègues, mais c'est quand même moi qui ai la parole auprès de lui, et c'est très très compliqué à gérer.
- Speaker #1
Parce que j'imagine qu'il devait y avoir beaucoup d'interprétations sur tous les faits et gestes.
- Speaker #2
Alors c'est ça aussi pour moi qui est intéressant dans cette situation, Karim c'est un jeune sourd au milieu d'un établissement où il y a quelques sourds effectivement. mais il y a quand même une majorité d'entendants, et surtout dans les professionnels. Il n'y a que des professionnels entendants. Donc pour Karim, il y a un monde qui gravite autour de lui, avec des gens qui savent des choses, et lui qui est complètement hermétique à ça et qui a envie de savoir. Donc il y a vraiment une institution qui, je pense, n'est pas forcément aidante dans la gestion de cette relation-là. Donc ça, ce n'est vraiment pas évident. Karim dépérit vraiment au fur et à mesure. il ne se lève plus le matin, il reste enfermé dans sa chambre et il attend qu'une chose, c'est mon arrivée le soir pour pouvoir discuter au bureau et que est-ce que je l'apaise, est-ce que j'alimente ces projections, enfin c'est très très compliqué à dire et on était un petit peu perdu moi et l'équipe face à ça. Donc on s'est dit à un moment on va réguler, on va essayer de limiter dans le temps ces entretiens, on va essayer de trouver une ressource. à Bordeaux on a la chance d'avoir un pôle sourd. qui est un dispositif médical directement dans le CHU, où il y a un médecin généraliste et un psychologue qui sont signants. Donc on essaye d'orienter Karim vers le pôle sourd, il trouve de la ressource. Dans la région à Poitiers, il y a également une psychiatre qui reçoit des sourds avec une médiatrice linguistique, donc c'est plutôt intéressant. Donc moi je suis carrément allé à Poitiers en train avec lui pour qu'il rencontre cette psychiatre, qu'il puisse échanger. le diagnostic est un petit peu changé, il y a un autre traitement qui est essayé.
- Speaker #1
Ça veut dire que lui, quand même, il est dans cette démarche, ou en tout cas, il a conscience des difficultés dans lesquelles il est. Il n'est pas dans du refus de soins.
- Speaker #2
Il n'est pas dans du refus de soins. Après, je pense qu'il ne se rend absolument pas compte de la place qu'il prend auprès de nous. C'est-à-dire que moi, j'étais dans une extrême difficulté à pouvoir m'occuper des dossiers que je gérais autrement. Il y a des autres jeunes dont j'étais référent. qu'il fallait que je suive, il y avait des préparations à la sortie, d'autant plus que j'étais le référent éducatif de Nathalie, cette jeune fille qui, donc voilà, je pense que ça multiplie encore pour Karim les possibilités de... De passer des impôts. Exactement, ouais, voilà, tout à fait. Donc c'était vraiment une place assez complexe à gérer. Donc il y a ce changement de traitement, il y a un suivi psychiatrique qui se met en place, mais qui est extrêmement compliqué à gérer pour Karim. Nous, on ne voit pas non plus de changement miraculeux dans son comportement. Et en fait, il prend de plus en plus de place. C'est plus que moi, c'est mes collègues aussi qu'il va voir. Tous les soirs, il attend devant la porte du bureau éducatif pour parler de tout et de rien, mais constamment centré autour de cette jeune fille. Il y a évidemment des situations extrêmement préoccupantes. Cette jeune fille, elle se plaint beaucoup d'être suivie par Karim, qui veut constamment rentrer dans sa chambre, discuter avec elle. Cette jeune fille, elle est entendante en plus, donc il y a cette barrière de la langue. L'équipe commence à s'interroger. On est vraiment dans une dynamique pour cette jeune fille de harcèlement. Et pour ce jeune homme, d'une souffrance absolue.
- Speaker #1
Est-ce que cette jeune fille, ça a été travaillé avec l'équipe sur aller porter plainte puisqu'elle a… ?
- Speaker #2
Alors, il y a eu effectivement des plaintes, il y a eu des enquêtes. Après, il y a le temps de la police et de la justice qui est très très long et nous, derrière, on doit gérer cette situation qui est extrêmement compliquée.
- Speaker #0
Moi, j'ai une petite question parce qu'en fait… cette histoire c'est avant tout une histoire d'amour alors qu'il est peut-être pas réciproque mais en tout cas on le sentiment amoureux que qui habite ce jeune homme avec les bons côtés parce qu'il ya au départ une histoire mais qui se finit à finalement il ya tous les travers avec la question du harcèlement l'isolement de ce jeune finalement qui ne vit qu'à travers cette histoire Peut-être un peu de la dépression. Et finalement, c'est... Alors, quelque part, ça pose la question de comment on accompagne ces personnes-là dans cette vie affective, dans cette vie amoureuse. Et vous, en fait, tout ce que ça projette aussi sur vous.
- Speaker #2
C'est une vaste question, ça. Oui, oui. Comment on les accompagne ? Après, c'est des adultes. Donc, il y a vraiment... Il y a une infirmière sur l'établissement, il y a des ateliers vie affectueuse et sexuelle, il y a le CASSIS qui est intervenu dans l'institution pour sensibiliser sur ces problématiques-là. Du fait que ce soit des adultes, nous il y a vraiment une liberté quand même assez importante concernant les relations que peuvent avoir les jeunes. Je veux dire, ils sont adultes, ils ont le droit de sortir, certains vont dans les bars le soir, vont en boîte de nuit, il y a vraiment... une grande liberté dont ils peuvent jouir. La question, elle est plus de l'ordre de la régulation, parfois, et de notre place, en fait, face à ça. Moi, je sais que je me suis toujours beaucoup interrogé. Est-ce que c'est notre place d'éduc, d'aller réguler ces relations auprès des jeunes ? Est-ce qu'à un moment, il ne faut pas se dire Attention, là, ce n'est pas spécialement mon territoire, il faut trouver un relais ailleurs, et on ne peut pas... On ne peut pas être constamment auprès d'eux et vouloir tout contrôler dans leur vie affective, leur vie personnelle et leur vie professionnelle, et leur perspective d'autonomie. À un moment, il faut trouver un relais. Là se pose aussi la question de la langue des signes, en fait, et de la difficulté de trouver des relais signants, de trouver des espaces où ces jeunes peuvent être écoutés, accompagnés de la meilleure manière possible.
- Speaker #0
psychose tout à l'heure. Comment, quand il est question de psychose et sentiments amoureux, comment ça se manifeste ?
- Speaker #3
Alors c'est compliqué parce que la psychose, elle peut s'illustrer de façon très très différente. Pour certains, ça va être plus marqué par des angoisses importantes, des angoisses corporelles. Pour d'autres... dans des difficultés dans la relation à l'autre. Pour certains, et je pense que c'est plus le cas de Karim, outre des difficultés relationnelles et d'adaptation sociale, il y a ces questions de projection et d'interprétation. Donc on peut en tout cas supposer que quand il y a une décompensation qui se manifeste, elle se traduit par beaucoup d'interprétations. Et en même temps, dans cette situation, ce qui est compliqué, c'est qu'au départ, comme tu le disais tout à l'heure, il y a un sentiment amoureux. Et ce sentiment amoureux, tel que toute personne lambda le connaît, peut être un sentiment très obsédant à un moment donné. Ou quand on est très amoureux, on cherche, on est en quête de trouver le moindre signe qui pourrait faire dire que ce désir est potentiellement réciproque et que cette relation peut potentiellement aboutir. Donc au départ ça s'origine dans quelque chose de finalement de très normal que chacun traverse, sauf que le trouble psychique va venir intensifier et prendre une place très très importante dans l'esprit de la personne et cette place que ça prend peut venir réveiller les symptômes. de la psychose, donc du côté de l'interprétatif, du côté de la projection. Et dans le cas de Karim, ça vient véritablement l'anéantir, parce que lui qui était quand même très bien intégré, vient s'isoler, ne va plus travailler, vraiment bascule du côté d'un sentiment dépressif. Mais là encore, c'est quelque chose qu'on peut vivre sans... être atteint d'un trouble psychique à un moment donné. Donc c'est difficile en tout cas de faire la part des choses entre ce qui peut être normal et inhérent à tout sujet et la part du pathologique qui vient venir se greffer dans ce genre de situation. Et la part institutionnelle aussi qui vient, elle aussi, accroître quelque chose puisque Marc est le seul signant. Donc évidemment... On a besoin d'être rassuré dans ce genre de situation, d'aller vérifier ce que l'autre pense et si l'autre partage le fait que potentiellement cette jeune fille......des signes qui peuvent... être un support dans le langage et les signes en tout cas que l'autre peut éventuellement repérer chez cette jeune fille vont être la quête permanente, en tout cas chez Karim.
- Speaker #2
Moi j'avais cette impression qu'il venait se nourrir auprès de moi presque, vraiment qu'il venait absorber ma parole et qu'il avait besoin de cette parole-là pour nourrir son interprétation, pour nourrir ses fantasmes autour de cette situation. Donc c'était assez compliqué à vivre. J'ai même été amené à l'amener aux urgences psychiatriques, où là, du coup, c'était des heures et des heures d'attente, moi seul avec lui, et des questions, des questions, des questions de sa part. Donc constamment essayer de réguler, constamment essayer d'apaiser, d'être le plus binaire possible dans mes réponses, ne pas alimenter ses fantasmes. Enfin, c'était... épuisant, c'était vraiment une situation épuisante pour moi.
- Speaker #0
Est-ce que on sent qu'il y a une volonté d'inscrire la personne dans quelque chose, dans le réel en fait ?
- Speaker #3
Après je pense que Karim il se pose aussi peut-être la question de ce qui est réel ou pas, est-ce que c'est vrai quand il vient vérifier est-ce que c'est de l'interprétation, est-ce que c'est du fantasme, est-ce qu'il vient vérifier que voilà, s'il se passe réellement quelque chose ou pas ? je pense que c'est vraiment au travers de l'autre et là on voit qu'à la fois il n'est pas complètement déconnecté de la réalité mais il y a quelque chose d'étrange en tout cas qui se passe en lui et cette étrangeté est-ce qu'elle est normale ? parce que bon malgré tout on est sur le registre de la psychose donc la perception de la réalité elle est tronquée et il vient chercher aussi une connaissance je crois ou une méconnaissance au travers de l'autre et ça puis donc beaucoup sur Marc, mais d'une façon presque à un moment vampirisante, puisque ça vient épuiser l'autre et l'embarquer un petit peu aussi, quelque part, dans cette folie psychique et amoureuse.
- Speaker #1
Et du coup, la question que je me posais, c'était, dans quelle mesure ça a pu être discuté avec tes collègues ? Alors, tu en as un petit peu parlé, mais aussi avec l'équipe de direction, parce que... Je trouve que la place de la structure, l'établissement, que ce soit cette établissement, mais le fonctionnement établissement, avec le manque d'agilité parfois, j'ai l'impression dans ce que tu dis, est vraiment venu renforcer ce syndrome un peu dépressif qu'a pu avoir Karim à ce moment-là.
- Speaker #2
Tout à fait. En fait... J'avais évidemment du soutien, du relais de la part de mes collègues, mais il y avait à côté de ça l'attitude de ce jeune qui voulait malgré tout échanger avec moi, et principalement avec moi. Ce qui nous a vraiment aidé et ce qui nous a poussé aussi à réfléchir et à trouver une issue relativement favorable à cette situation, c'est l'analyse des pratiques, en fait, simplement. C'est avoir, à l'époque c'était une fois par semaine, une heure de... de discussions et c'est un sujet qui revenait très très régulièrement lors de ces analyses des pratiques. Et à un moment, l'intervenant nous dit mais finalement ce jeune, il a des capacités, il travaille, il est quand même relativement autonome. Est-ce qu'à un moment, ce n'est pas toute l'institution qui gravite autour qui ne va pas alimenter encore plus ce trouble ? et on se dit oui c'est vrai que c'est pas inintéressant et surtout on nous demande de nous inscrire dans une dynamique de projet auprès de ce jeune c'est à dire qu'on n'est plus forcément dans traiter la difficulté et réguler les problématiques auxquelles il est confronté on se dit il faut l'orienter vers un projet ce jeune il faut prendre ses difficultés arriver à les surmonter et lui lui dire Bon bah écoute, on voit que ça va pas, on voit qu'en ce moment c'est compliqué, mais à côté de ça, t'es en capacité de faire ça, t'es en capacité de travailler, t'es en capacité peut-être plus tard d'avoir une vie autonome, et donc on décide de l'inscrire dans un dispositif de sortie de l'établissement. Donc ce n'est pas l'exclure du tout, c'est vraiment construire avec lui un projet de vie en appartement autonome. Ce qui l'a poussé vraiment à s'inscrire dans ce projet, c'était d'avoir un animal de compagnie. Lui, c'était quelque chose qu'il investissait énormément. Il trouvait que c'était... Il en avait toujours rêvé, un chat, un chien, peu importe. Mais en tout cas, ça l'inscrivait dans quelque chose de positif et il s'est vraiment saisi de ça, en fait. C'était, je veux avoir mon appartement. Comme ça, je pourrais avoir mon chat. Comme ça, je pourrais être de plus en plus autonome. Je vais pouvoir aller travailler par moi-même. Et donc, il a fini. Après, je pense que ça a duré à peu près une année de préparation. Sur l'établissement, on avait un lieu spécifique pour les personnes qui se dirigeaient vers une sortie. Où c'était des petits appartements. On travaillait une autonomie un peu plus importante avec des préparations de repas, etc. Ça n'a pas toujours été très facile à gérer, mais au moins il était dans cette dynamique. Et nous, on avait quelque chose sur lequel le rattraper un petit peu. C'est-à-dire, attention, pense que oui, effectivement, il y a cette problématique avec cette jeune fille. Mais pense aussi que derrière, il y a l'appartement bientôt, il y a l'animal, il y a ce que tu vas pouvoir faire à l'extérieur. Et ça a fini par fonctionner, en fait. Il est parti de l'établissement. Aujourd'hui, il vit en appartement. Aujourd'hui, il a passé son permis de conduire. Moi, je trouvais ça complètement inaccessible à la période où je l'ai rencontré, cette personne. Et il travaille. Alors, il y a des hauts et des bas, forcément. Je ne vais pas non plus dire que c'est le monde des bison-ours. Mais dans l'ensemble, il est quand même beaucoup plus apaisé par rapport à cette situation.
- Speaker #1
Parce que tu as gardé un petit peu contact après ?
- Speaker #2
Alors, je l'ai croisé. Oui, oui, je l'ai croisé. En diverses institutions, je l'ai croisé à certains moments, voilà, plutôt informel. Donc oui, oui, j'ai gardé contact. Et puis évidemment, avec mes anciens collègues, c'est un sujet qui revient toujours. Parce que moi, j'ai été le premier impacté, mais mes collègues aussi, évidemment. Je n'étais pas le seul à souffrir de cette situation. Là où c'est intéressant, je trouve, c'est qu'un moment, c'est se dire, l'institution, en fait, elle ne peut pas tout. à quel point on vient pas alimenter les difficultés que rencontre ce jeune c'est pas nous qui allons lui apporter la rédemption ou c'est pas nous qui allons le sauver en fait c'est l'ailleurs quoi et c'est c'est que lui fasse le choix d'un ailleurs c'est que lui s'empare à nouveau de son projet et s'inscrivent dans une dynamique positive et en fait L'institution, pour lui, le rendait encore plus malade, moi, je pense, vraiment.
- Speaker #1
Après, c'est quelque chose aussi, souvent, pour qu'ils acceptent de partir, il faut aussi que l'équipe accepte ça,
- Speaker #2
le fait qu'on ne quitte pas tout.
- Speaker #1
Ok, mais là, ce n'est plus de notre sort, finalement, accepter qu'on...
- Speaker #0
Finalement, le fait de ne pas être maltraitant, c'est être bienveillant. C'est ça. Finalement, vous n'étiez pas maltraitant avec Harry, mais est-ce que ça suffisait pour pouvoir l'accompagner dans sa pathologie ? À un moment donné, c'est comment l'équipe et l'établissement acceptent aussi.
- Speaker #1
Oui, absolument.
- Speaker #2
Après, je pense que comment aussi la pathologie peut venir, en quelque sorte, un peu contaminée. voilà l'institution parce que on voit bien que vous êtes à votre tour envahis par cette problématique et vous n'arrivez plus forcément à voir autour quel autre projet, c'est parce qu'un tiers intervient que vous arrivez à vous dégager et que lui aussi un moment peut se dégager et c'est vrai que parfois l'institution elle vit en miroir les difficultés des jeunes qu'on accompagne. Et il est important d'avoir cette vigilance. Je pense que nous, au CSDEF, d'une certaine manière, se confronte le monde des sourds et le monde des entendants avec les difficultés de communication et les difficultés de compréhension. Et c'est vrai que dans le travail institutionnel... Se comprendre, communiquer ensemble peut faire partie d'une difficulté qu'on a au quotidien, qu'on met au travail, mais ça vient quand même colorer très régulièrement des échanges ou nourrir des insatisfactions. Mais je crois qu'il y a quelque chose qui se retranscrit chez nous en tant que professionnels, mais qui est le reflet de ce que vivent. En tout cas, le public qu'on accompagne, je crois que c'est un peu similaire. En tout cas, moi, ça me fait écho. Écho, oui,
- Speaker #1
bien sûr. Je me rejoins vraiment sur l'intérêt du tiers, en fait. D'avoir quelqu'un de l'extérieur qui vient et qui alerte, ou même pas forcément, qui sensibilise l'équipe au fait que peut-être on pourrait voir les choses autrement. Et ça a permis aussi à l'équipe de s'unir sur ce projet. d'en discuter évidemment ça rejoint ce que tu disais tout à l'heure sylvain c'est vraiment la difficulté de se dire stop en fait là c'est on n'apporte pas quelque chose de bien à ce jeune et ça va pas il faut qu'on s'interroge et qu'on voit les choses autrement je crois que oui on
- Speaker #2
le voit enfin ce jeune dépressif avec ce que ça représente en tout cas comme perte d'intérêt perte d'envié et vous aussi fin ne voyez plus fin ne pouvez plus, en tout cas porté, ce jeune dans une dynamique de projet, n'avait plus véritablement de désir ou de projection pour lui parce que vous êtes vraiment enfermé, vous aussi, un peu dans cet état. Et c'est vrai que là, ce tiers vient je dirais réveiller un petit peu et sortir de cet état dépressif et ces jeunes sont très portés, en tout cas, par... la relation et par le désir qu'on a pour eux. Parce que c'est souvent, et particulièrement dans la psychose, un sentiment de vide qui les habite énormément.
- Speaker #3
Finalement, c'est un autre sentiment qui vient le porter, le nourrir de manière positive.
- Speaker #1
Oui, absolument.
- Speaker #0
C'est encore un sentiment affectif, parce que c'est ce qui l'a un peu détruit, c'est ce sentiment... cette charge affective, mais finalement, avec le chat, le chien, peu importe, mais il doit se rejouer des choses de l'ordre de l'affect qu'on réinvestit de manière positive. J'espère qu'il a eu un chat.
- Speaker #1
Il a eu un animal, oui, absolument. Il a eu un chat, je crois.
- Speaker #0
Et je me posais la question aussi, en t'écoutant, parce que, donc, toi, tu étais le référent de Nathalie, ce qui veut dire que tu n'étais pas... pas le référent de Karim, mais pour autant, on voit bien dans cette situation que tu l'étais le référent, puisque lui, il t'avait auto-désigné comme référent. Et je trouve ça intéressant aussi, parce que l'institution, on pense les choses, voilà, le référent, le co-référent, etc. Mais ça tient peu, finalement, quand on est élu par une personne en tant que référent. Et du coup, ma question, c'était comment t'as pu travailler, t'organiser avec celui-là ? le référent de Karim parce que j'imagine que c'est compliqué de faire de la place en fait
- Speaker #1
Après, on avait la chance de pouvoir beaucoup échanger, d'avoir du temps pour échanger entre collègues sur ces problématiques-là. Donc non, c'était au quotidien. Moi, je lui rapportais évidemment ce qu'il pouvait exprimer, Karim. Et puis après, oui, ça date un petit peu, mais je pense qu'on a un peu co-construit ce projet malgré tout. Parce que l'intérêt à l'époque, c'est que... On travaillait auprès de ce public vraiment dans une dynamique de projet personnalisé assez concret, assez quantifiable pour l'usager aussi, avec un projet qui était dynamique, dans lequel il pouvait facilement s'inscrire, et dont il était aussi, lui, le garant. Donc c'était discuté, c'était échangé. À chaque rencontre avec son référent Karim, on sortait le projet personnalisé. On disait, voilà, l'appartement, à tel moment, c'est... il faut que tu fasses ci, il faut que tu fasses ça, il faut que tu ailles rencontrer telle personne. Donc c'était des actions très concrètes en fait, qui permettaient de l'accompagner. Donc j'ai pu guider à ce moment-là, mais il arrivait quand même à faire la frontière entre ces deux mondes. Moi j'étais la personne à qui il pouvait lâcher un petit peu, ou en tout cas capter des informations dont il avait besoin pour se nourrir, et à côté il allait aussi régulièrement rencontrer son référent.
- Speaker #2
C'est important justement dans cette situation de pouvoir s'appuyer sur l'équipe parce que tu étais partagé entre cette référence auprès de cette jeune, lui est amoureux de cette jeune mais tu es le seul signant donc il vient te déposer des choses mais tu aurais pu être mis à une place de mauvais objet ou utilisé dans cette relation. Et l'équipe, le partenariat avec ton collègue permet d'échapper un petit peu à ça parce que ça aurait pu aussi venir intensifier quelque chose du côté de l'interprétation, le fait d'être utilisé quelque part pour aller capter des informations et les rapporter. Donc c'est vraiment important. Le travail en équipe pluridisciplinaire.
- Speaker #1
Ça, c'est clair. Je pense qu'il n'y a pas meilleure illustration. C'est certain. Il faut pouvoir échanger. Il faut pouvoir passer le relais aussi à certains moments. Et ça nous a permis de surmonter ça. C'est certain.
- Speaker #0
On va s'arrêter là ?
- Speaker #1
Oui. Merci.
- Speaker #0
Eh bien, merci à toutes et à tous. Merci à nos deux invités.
- Speaker #3
Merci.
- Speaker #1
Merci.
- Speaker #4
Merci à toutes et à tous. Merci à nos invités. C'était Babillage Social. Nous vous donnons rendez-vous très prochainement pour échanger de nouveau autour des situations du social et du médico-social. Si vous aussi, vous avez une situation professionnelle que vous aimeriez partager, vous pouvez nous contacter sur contact-babillage-social.fr. En attendant, n'hésitez pas à vous abonner, liker et partager cette émission.