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Beyond the Veil - un podcast sur la mort

Photos de morts : les secrets de l'époque Victorienne

Photos de morts : les secrets de l'époque Victorienne

16min |04/06/2025
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16min |04/06/2025
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Description

📾 Photographie post-mortem, art victorien et mĂ©moire du deuil : plongez dans l’épisode 5 de Beyond the Veil.


Au XIXe siĂšcle, photographier les dĂ©funts n'Ă©tait pas un tabou, mais une façon d’aimer encore un peu. Un geste tendre, un rempart contre l’oubli.


De l’émouvant dernier portrait de Victor Hugo (1885) Ă  l’affaire judiciaire autour de l’actrice Rachel, cet Ă©pisode explore :


đŸ–Œïž l’histoire de la photographie post-mortem,
⚖ les dĂ©bats sur le droit Ă  l’image,
🧠 et ce que cela rĂ©vĂšle aujourd’hui de notre rapport Ă  la disparition.


Artistes contemporains, rĂ©cits personnels, tabous modernes : pourquoi ces images nous troublent-elles autant ? Hommage ou transgression ? À vous d’en juger.


Pour aller plus loin sur le sujet de la photo posthume, les liens et références dont je parle dans le podcast :


Ce podcast n’est ni une apologie de la mort, ni une tentative de la banaliser et encore moins un discours morbide. C’est un espace de rĂ©flexion et d’échange pour explorer les multiples façons dont la mort façonne nos vies et lui redonner une place dans nos conversations, sans tabou ni peur.


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Vous Ă©coutez Beyond the Veil, le podcast qui va vous rĂ©concilier avec la mort. Ce podcast vous est prĂ©sentĂ© par Virginie, moi, conseillĂšre funĂ©raire de formation et passionnĂ©e par ce sujet si tabou encore en 2025. Ce podcast traite d'un sujet sensible et n'est ni une apologie, ni une façon de le banaliser. Il y a des images qu'on n'oublie pas. Un regard figĂ©, une main posĂ©e sur un drap blanc, un visage apaisĂ© ou contractĂ©. Et s'il s'agissait de la derniĂšre image qu'on ait de quelqu'un ? Parlons d'un art oubliĂ©, mais pourtant trĂšs rĂ©pandu Ă  l'Ă©poque victorienne. La photographie post-mortem, ou l'art de prendre des photos des morts, un art Ă  part entiĂšre au XIXe siĂšcle. Cet art, qui capture la mort d'une maniĂšre Ă  la fois intime et dĂ©rangeante, nous transporte dans un autre temps, celui oĂč la photo funĂ©raire Ă©tait vue comme un geste bienveillant, comme un souvenir. Alors, accrochez-vous mes petits soleils, on va remonter le temps jusqu'en 1885 pour le dernier portrait de Victor Hugo, plonger dans une affaire judiciaire autour de l'actrice Rachel, tout en soulevant des questions Ă©tonnamment actuelles, celles de la mĂ©moire, de l'intimitĂ©, du droit Ă  l'image et du deuil. Tout un programme ! Nous sommes au XIXe siĂšcle, en 1850, et la photographie est une technologie toute nouvelle. InventĂ©e en 1839 par Louis Daguerre, le daguerrĂ©otype capture un instant avec une clartĂ© saisissante. Une rĂ©volution pour l'Ă©poque ! Mais se faire photographier reste un luxe. Le procĂ©dĂ© est coĂ»teux, long et rare. Pour beaucoup une photo est un Ă©vĂ©nement unique, souvent le seul souvenir tangible d'une vie. Et, chose surprenante pour nous aujourd'hui, cet Ă©vĂ©nement survient parfois aprĂšs la mort, comme une maniĂšre de figer la mĂ©moire d'un ĂȘtre cher, de refuser sa disparition. La photographie post-mortem, pratique courante en Europe et en AmĂ©rique du Nord Ă  l'Ă©poque victorienne, n'avait rien de morbide pour les gens d'alors. Les familles engageaient des photographes pour immortaliser leurs proches disparus, souvent mis en scĂšne comme s'ils Ă©taient encore en vie. On installait les dĂ©funts sur des chaises, dans des poses naturelles, Parfois dans les bras d'un parent. Les bĂ©bĂ©s, notamment, Ă©taient souvent photographiĂ©s dans les bras de leur mĂšre. Dans certains cas, on peignait des yeux sur leurs paupiĂšres closes pour donner l'illusion de la vie. Ces images Ă©taient des trĂ©sors, des souvenirs prĂ©cieux dans une sociĂ©tĂ© oĂč la mort, surtout infantile, Ă©tait omniprĂ©sente. PrĂšs d'un bĂ©bĂ© sur cinq ne survivait pas Ă  sa premiĂšre annĂ©e. Pourquoi cette pratique Ă©tait-elle si rĂ©pandue ? A l'Ă©poque, la mort n'Ă©tait pas un tabou. Elle faisait partie intĂ©grante de la vie. Les maladies, comme la tuberculose, ou la diphtĂ©rie, les conditions sanitaires prĂ©caires et les limites de la mĂ©decine emportaient souvent les plus jeunes. Les familles vivaient avec la mort au quotidien, sans la cacher. On portait des bijoux tressĂ©s avec les cheveux des dĂ©funts, on organisait des piqueniques dans les cimetiĂšres, on arborait des vĂȘtements noirs pendant des mois selon des codes de deuil stricts. La photographie post-mortem s'inscrivait dans cette culture. Elle ritualisait l'absence, rendait visible le souvenir. Ces photos Ă©taient bien plus qu'un simple clichĂ©. Elles Ă©taient un acte de mĂ©moire, une façon de faire son deuil, mais aussi un marqueur social. Pouvoir s'offrir une telle photographie Ă©tait un signe de statut, et ces images trĂŽnaient fiĂšrement dans les salons, glissaient dans des albums ou envoyaient Ă  des proches. Dans les foyers modestes, c'Ă©tait souvent la seule photo jamais prise d'un ĂȘtre cher, un lĂšgue inestimable. Mais la photographie post-mortem ne se limitait pas aux familles. Elle trouvait aussi une utilitĂ© dans le domaine judiciaire. A la fin du XIXe siĂšcle, on photographiait les corps pour identifier des victimes ou analyser des crimes. Par exemple, dans l'affaire de Jack l'Ă©ventreur, les photos des victimes ont servi Ă  Ă©tudier les mĂ©thodes du tueur, offrant un tĂ©moignage brut de cette Ă©poque trouble. Si vous ĂȘtes curieux de voir ces images, je vous recommande le compte Instagram victorianephotography1800, le lien sera dans la description. Ce compte archive des photos de l'Ă©poque victorienne, des instants de vie comme des portraits post-mortem. En les numĂ©risant, il prĂ©serve une mĂ©moire collective fascinante oĂč chaque clichĂ© raconte une histoire, un visage, un moment. Si l'Ă©poque victorienne vous intrigue, allez-y jeter un oeil, c'est une plongĂ©e dans le passĂ©. En prĂ©parant cet Ă©pisode, j'ai fait une dĂ©couverte qui m'a marquĂ©e. Et c'est ça la magie de ce podcast, on apprend tout le temps. Saviez-vous que Victor Hugo, l'immense Ă©crivain, a lui aussi Ă©tĂ© photographiĂ© sur son lit de mort ? Cette image capture un moment chargĂ© d'histoire, mais avant de vous parler de l'histoire de cette photo iconique, je voudrais vous parler du droit Ă  l'image. Parce que oui, au final, est-ce que c'Ă©tait lĂ©gal de prendre des photos des morts et de les diffuser Ă  l'Ă©poque ? Partons ensemble dans le Paris de 1858. La grande tragĂ©dienne Mademoiselle Rachel, de son vrai nom... Elisabeth Rachel FĂ©lix vient de s'Ă©teindre. Ses performances enflammĂ©es ont captivĂ© les scĂšnes europĂ©ennes et sa mort marque la fin d'une icĂŽne. Comme le veut la coutume pour une figure de son rang, son lit de mort est photographiĂ©. Une image intime, solennelle, censĂ©e rester dans le cadre privĂ©. Mais l'une de ses photos tombe entre les mains de FrĂ©dĂ©rique O'Connell, une peintre parisienne en vogue. FascinĂ©e, elle en tire un dessin au fusain qu'elle publie dans la presse. Ce qui suit, c'est une tempĂȘte. La famille de Rachel est scandalisĂ©e. Faire circuler l'image de leurs proches dans un moment aussi vulnĂ©rable est pour eux une atteinte Ă  sa dignitĂ©. Ils saisissent les tribunaux et la dĂ©cision rendue, elle est historique. Nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire ou livrer Ă  la publicitĂ© les traits d'une personne sur son lit de mort. Ce jugement marque un tournant. Il pose les bases du droit Ă  l'image en France, un principe qui commence Ă  encadrer la vie privĂ©e et le respect des dĂ©funts. Cette affaire, elle rĂ©vĂšle que la photographie post-mortem, au-delĂ  de son rĂŽle de mĂ©moire, soulĂšve des questions Ă©thiques profondes. Ces images, chargĂ©es d'Ă©motions, ne sont pas de simples souvenirs. Elles touchent Ă  l'intimitĂ©, au consentement. Ă  la dignitĂ©. A l'Ă©poque, la mort est publique, ritualisĂ©e, mais cette affaire montre que des limites Ă©mergent. Ce principe du droit Ă  l'image, ancrĂ© dans l'article 9 du Code civil, fait partie des droits de la personnalitĂ©. Mais il y a un hic. Ce droit s'Ă©teint avec la mort, car la personnalitĂ© juridique disparaĂźt. Longtemps, les plaintes pour atteinte Ă  l'image post-mortem concernaient surtout des cĂ©lĂ©britĂ©s, comme par exemple Mlle Rachel. Les familles des anonymes avaient peu de recours. Pourtant, le regard sur ce droit Ă©volue. Prenons un exemple marquant. En 2015, aprĂšs la tragĂ©die du Bataclan, une photo d'une victime est publiĂ©e par le magazine VSD, prise par une photographe d'une agence de presse amĂ©ricaine. La famille, bouleversĂ©e, porte plainte pour « atteinte Ă  la dignitĂ© de la victime » . En appel, le magazine est condamnĂ© Ă  verser 26 000 euros Ă  la famille. Ce cas montre qu'il y a une Ă©volution. MĂȘme les non-cĂ©lĂ©britĂ©s peuvent dĂ©sormais obtenir rĂ©paration. Et c'est pas tout. Le 18 janvier 2024, le Conseil constitutionnel rend un arrĂȘt historique. Pour la premiĂšre fois, il consacre l'extension de la dignitĂ© humaine aprĂšs la mort. Ce principe, liĂ© au droit Ă  l'image, redĂ©finit la protection post-mortem. DĂ©sormais, la mĂ©moire des dĂ©funts, cĂ©lĂšbre ou non, est mieux protĂ©gĂ©e. Mais cette Ă©volution soulĂšve une question. Dans un monde oĂč les images circulent Ă  une vitesse fulgurante, comment prĂ©server la dignitĂ© des dĂ©funts ? Ces photos, qu'elles soient prises en 1858 ou en 2015, nous rappellent que derriĂšre chaque image, il y a une histoire, il y a une famille, une mĂ©moire et c'est Ă  nous de dĂ©cider comment les honorer. Mais revenons Ă  notre Ă©poque victorienne. Nous sommes le 22 mai 1885 Ă  Paris. Un message urgent parvient Ă  FĂ©lix Nadar, le photographe lĂ©gendaire. Victor Hugo est mort. L'Ă©crivain, poĂšte et dramaturge, gĂ©ant de la littĂ©rature française, s'est Ă©teint Ă  83 ans. Nadar prend son appareil et se rend au chevet de son ami. Dans le silence d'une chambre baignĂ©e de lumiĂšre douce, il capture le dernier portrait de Victor Hugo. Une image solennelle, presque sacrĂ©e. qui semble clore un siĂšcle de littĂ©rature. Nadar n'est pas un simple photographe. C'est une rockstar de la photo Ă  son Ă©poque. Il a immortalisĂ© les visages qui ont marquĂ© le XIXe siĂšcle. Baudelaire, Sarah Bernard ou Georges Sand. Il a mĂȘme osĂ© prendre des clichĂ©s depuis une montgolfiĂšre, une prouesse qui, Ă  l'Ă©poque, fait l'effet d'un exploit digne d'un roman de Jules Verne. Avec Hugo, Nadar ne se contente pas de photographier un corps. Il compose une Ɠuvre. Le visage de l'Ă©crivain, saisi de profil, est serein, presque intemporel. baignĂ© d'une lumiĂšre qu'il maĂźtrise comme personne. Les ombres et les contours semblent murmurer une dignitĂ© profonde, presque surnaturelle. Cette photographie n'est pas qu'un portrait post-mortem. C'est un hommage, un acte chargĂ© de sens. L'image est rapidement diffusĂ©e, reproduite dans la presse, gravĂ©e, vendue comme une relique. Elle devient l'emblĂšme d'un deuil national, un symbole consenti par la famille et la sociĂ©tĂ©. Contrairement aux affaires qui ont secouĂ© l'Ă©poque, comme celle de Mademoiselle Rachel, cette photo n'est pas une intrusion. Elle est un geste public, presque politique, destinĂ© Ă  graver l'hĂ©ritage de Victor Hugo dans la mĂ©moire collective. Et si on remonte le temps jusqu'Ă  aujourd'hui, est-ce que la photographie post-mortem, si courante Ă  l'Ă©poque victorienne, a vraiment disparu ? Pas tout Ă  fait. Elle a simplement changĂ© de visage, Ă©voluant dans l'ombre des tabous modernes. MystĂ©rieuse, hein, cette phrase ? Dans certaines cultures, comme au Mexique ou en IndonĂ©sie, photographier les dĂ©funts reste une pratique vivante, intĂ©grĂ©e au rituel funĂ©raire. Les familles ou les professionnels des pompes funĂšbres capturent ces images pour honorer la mĂ©moire, pour ancrer un dernier souvenir. En Occident, c'est plus discret, presque secret. Dans les hĂŽpitaux ou les hospices, on photographie parfois des nourrissons mornĂ©s avec une infinie dĂ©licatesse pour offrir aux parents un souvenir tangible d'une vie trop brĂšve. Ces images, loin d'ĂȘtre morbides, sont une maniĂšre d'accepter l'inacceptable, de reconnaĂźtre une existence mĂȘme Ă©phĂ©mĂšre. C'est Aous Merakchi, dans son podcast Mortel en 2019, qui a brisĂ© le silence sur ce sujet. Elle parle d'un club, d'un club secret, presque clandestin. Celui des gens qui photographient leurs proches dĂ©funts. Des gens comme vous, comme moi, qui ressentent ce besoin intime de garder une trace. Et j'en fais partie. Et vous ? Quoi ? Y'a rien de honteux Ă  prendre sur des fins en photo ? Oui, j'ai photographiĂ© ma mĂšre dans son cercueil en 2013. Est-ce que je regrette ? Non. Est-ce que je regarde cette photo ? Parfois. Est-ce que cette photo trĂŽne dans un cadre dans mon salon Ă  la vue de tous ? Je suis certaine que vous pensez que oui. Bah non ! La photo, elle est dans son Ă©tui dans un carnet, et ce carnet il est dans mon salon. Mais Ă  dire vrai, ça ne me rend pas triste. Je la regarde et je me dis « ok » et je la repose. Et puis, maintenant, avec le recul et mon mĂ©tier de conseiller funĂ©raire, je remarque les petits dĂ©tails et je sais vous dire quand la photo a Ă©tĂ© prise juste en regardant ma maman. Sur le moment, je me suis dit « allez, tu ne la reverras plus jamais, immortalise ce moment. Elle est belle, elle a l'air endormie. » Et puis, je me suis dit « ma mamie en voudra peut-ĂȘtre. » Et est-ce que ma mamie en a voulu ? Oui. Et puis, ma grand-mĂšre fait aussi partie de ce club. Elle Ă©tait mĂȘme la premiĂšre. En 2005, lors du dĂ©cĂšs de mon grand-pĂšre, juste avant la fermeture de cercueil, j'ai vu ma grand-mĂšre dĂ©gainer un appareil photo jetable. Et elle m'a demandĂ© de prendre une photo de mon papy. Sur le moment, j'Ă©tais mal Ă  l'aise. Mais pour ma grand-mĂšre, ça avait l'air naturel. Elle voulait un dernier souvenir, une image de celui qu'elle avait aimĂ©. Et plus tard, quand j'ai photographiĂ© ma mĂšre, j'ai compris. A l'Ă©poque, on dĂ©veloppait encore des photos manuellement. Et je suis dĂ©solĂ©e pour cette personne qui a vu mon grand-pĂšre dans son cercueil. Malaiiiiise ! Ce club, il est tabou. On n'en parle pas, par peur du jugement, parce que la mort, aujourd'hui, on la cache. Exit les photos exposĂ©es fiĂšrement au XIXe siĂšcle. Aujourd'hui, elles dorment dans des tiroirs, dans des carnets, des tĂ©lĂ©phones. Mais pourquoi avoir honte ? Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est humain. C'est un au revoir, une façon de rendre la mort rĂ©elle, de dire « t'as existĂ© » . Pour certains, c'est apaisant, thĂ©rapeutique mĂȘme, comme le disent les psychologues. Pour d'autres, ça peut sembler morbide, voyeuriste. Mais vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que vous prendriez une photo d'un proche dĂ©cĂ©dĂ© ? Ou est-ce que ça vous mettrait mal Ă  l'aise ? Mais pourtant, il y a une curiositĂ© parfois qu'on n'ose pas avouer. Pourquoi ces images nous attirent-elles ? Est-ce qu'on cherche Ă  apprivoiser la mort, Ă  dĂ©fier ce tabou qui nous pousse Ă  la dissimuler ? Les photographes funĂ©raires comme Lisa Holloway, aux Etats-Unis, l'ont bien compris. Ils se spĂ©cialisent dans les portraits post-mortem, rĂ©alisĂ©s avec respect, pour offrir aux familles un souvenir digne. Mais en France, c'est rare, presque inavouable. Alors, ce club secret, il existe, dans l'ombre. dans nos tiroirs, dans nos cƓurs. Et si justement on osait en parler ? Et puis, fermez les yeux. Oui, oui, fermez les yeux. Imaginez un instant, un monde oĂč parler de la mort n'est plus un tabou, oĂč les images de nos dĂ©funts ne sont plus cachĂ©es dans des tiroirs, mais cĂ©lĂ©brĂ©es comme des actes de mĂ©moire. Ce monde, certains artistes contemporains le construisent dĂ©jĂ . Ils osent regarder la mort en face, et leurs Ɠuvres nous invitent Ă  faire de mĂȘme. Prenez HervĂ© Bonner, par exemple. Dans son livre Postume, il a rassemblĂ© une centaine de clichĂ©s de dĂ©funts et d'objets funĂ©raires, des images qui capturent l'intimitĂ© et la solennitĂ© de l'aprĂšs-vie. Ou encore, par exemple, l'exposition Les Immortels, photographie de l'aprĂšs-vie, 1850-1950, qui s'est tenue en novembre 2024 Ă  Paris. Ces initiatives plongent dans l'histoire mĂ©connue de la photographie post-mortem, rĂ©vĂ©lant sa beautĂ© et sa profondeur. Mais l'art ne s'arrĂȘte pas au passĂ©. Aujourd'hui, des projets contemporains explorent la mort sous toutes ses facettes. Certains documentent les rituels funĂ©raires, d'autres capturent les derniers instants d'un corps ou interrogent l'absence, la trace laissĂ©e derriĂšre. Un projet m'a particuliĂšrement touchĂ©e, celui de Sophie Kahl, artiste française, dans son Ɠuvre Pas pu saisir la mort, en 2007. Elle filme les derniers instants de sa mĂšre, non pas pour choquer, mais pour saisir la fragilitĂ© de ce passage. Avec des vidĂ©os, des photos et des textes, elle pose une question essentielle. Que signifie voir quelqu'un partir ? Ce n'est pas une photo post-mortem au sens classique, mais c'est l'hĂ©ritier direct de cette tradition. Utilisez l'art. pour apprivoiser la mort. Ces projets, c'est comme des ponts entre l'Ă©poque victorienne, oĂč les photos post-mortem Ă©taient des trĂ©sors exposĂ©s avec fiertĂ©, et notre Ă©poque, oĂč la mort est souvent effacĂ©e, relĂ©guĂ©e Ă  l'ombre. Les artistes d'aujourd'hui nous demandent qu'est-ce qu'on fait de la mort dans un monde qui la fuit ? Une image peut-elle nous aider Ă  accepter, Ă  comprendre ou simplement Ă  ne pas oublier ? Et puis, j'ai envie de vous parler d'un projet fou, beau et nĂ©cessaire que je soutiens Ă  1000% tellement il fait sens dans ce monde oĂč on oublie que la mort, au-delĂ  de l'absence, c'est d'abord un corps sans vie. C'est celui de Wanda Spengler, une artiste suisse qui veut redonner une place Ă  nos morts et avec qui j'ai eu la chance d'Ă©changer. Wanda, elle a grandi dans une famille oĂč les mots et la transgression Ă©taient rois, bercĂ©e par l'hĂ©ritage de sa grand-mĂšre, la romanciĂšre fĂ©ministe RĂ©gine Deforge. PassionnĂ©e de cinĂ©ma, Wanda a d'abord explorĂ© l'autoportrait, avant de se tourner vers les corps dans leur vĂ©ritĂ© brute, dĂ©sĂ©quilibrĂ©e. Son combat, c'est mettre en lumiĂšre la diversitĂ© des corps et des expĂ©riences, y compris celle de la mort. L'idĂ©e de son projet est nĂ©e il y a un an, lors de sa visite Ă  l'exposition « Et nos morts, la photographie post-mortem aujourd'hui en Europe » Ă  la Maison de la Photographie Robert Douanou. LĂ , elle dĂ©cide de crĂ©er une sĂ©rie de photos post-mortem, un projet Ă  la fois artistique et documentaire, ancrĂ© dans le respect des dĂ©funts et de leur famille. Mais la route est semĂ©e d'embĂ»ches. Vanda frappe Ă  toutes les portes. Pompes funĂšbre, coopĂ©rative funĂ©raire, thanatopracteur, association. Peu rĂ©pondent. Pourquoi ? Parce que ce sujet fait peur. MĂȘme chez les professionnels, oĂč la dĂ©ontologie et l'Ă©thique sont pourtant claires, l'idĂ©e d'un tel projet dĂ©range tant sur le plan humain que juridique. Et pourtant, Wanda persĂ©vĂšre. Elle sait que son projet n'est ni voyeuriste, ni irrespectueux. Il s'agit de rendre visible ce que notre sociĂ©tĂ© cache. La mort, c'est d'abord un corps, une rĂ©alitĂ© qu'on ne peut ignorer. C'est se rappeler que nous aussi on va mourir, et oh lĂ  lĂ  non, n'en parlons pas. Mais moi ce qui me fout en l'air, et je vais parler vrai, ce qui me fout en l'air c'est l'hypocrisie. On s'offusque d'un projet comme celui de Wanda, on sort des arguments Ă©motifs comme « et si c'Ă©tait ton fils sur ces photos ? » Mais ces mĂȘmes personnes, elles n'hĂ©sitent pas Ă  consommer des images et des vidĂ©os de corps... anonyme laissĂ© pour mort dans des conflits mondiaux, comme si ces villas valaient moins. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Pourquoi nos morts seraient-ils plus sacrĂ©s que ceux des autres ? VoilĂ , c'est dit. Je pense que c'est important de rĂ©flĂ©chir Ă  ça. Alors, comment soutenir Vanda ? Eh bien, c'est simple. Parlons-en. Partageons son projet autour de nous. Vanda cherche des familles prĂȘtes Ă  participer, Ă  intĂ©grer leur funĂ©rail dans ce projet vivant, humain. Elle veut aussi des tĂ©moignages de personnes endeuillĂ©es ou en fin de vie. Alors, mon aide... C'est cet appel Ă  participation, ici, dans ce podcast. Vous trouverez tous les liens pour contacter Vanda dans la description de cet Ă©pisode. Ensemble, faisons tomber les tabous. Donnons Ă  la mort et Ă  nos morts la place qu'ils mĂ©ritent. Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est arrĂȘter le temps. C'est dire, je t'ai vu partir, mais tu resteras toujours. Alors, osons regarder, osons se souvenir, parce que dans chaque image, il y a un bout de nous, un bout d'humanitĂ© qui refuse de disparaĂźtre. Merci d'avoir Ă©coutĂ© cet Ă©pisode de Beyond the Veil. Vous pouvez retrouver les liens et ressources citĂ©es dans la description. L'Ă©pisode vous a plu ? Laissez votre avis en commentaire sur Spotify ou Apple Podcasts et partagez-le Ă  une personne de votre entourage intĂ©ressĂ©e par le sujet. Et puis, si ce sujet vous touche ou si vous avez une histoire Ă  partager, ou encore mieux, c'est cette partie du club, Ă©crivez-moi sur Instagram, je serai ravie de vous lire.

Chapters

  • L'art de photographie post-mortem Ă  l'Ă©poque Victorienne

    00:00

  • L'affaire Mademoiselle Rachel ou le droit Ă  l'image posthume

    04:14

  • Nadar et la photographie posthume de Victor Hugo

    07:00

  • La photographie post-mortem aujourd’hui

    08:33

  • Refuser l'oubli

    16:10

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📾 Photographie post-mortem, art victorien et mĂ©moire du deuil : plongez dans l’épisode 5 de Beyond the Veil.


Au XIXe siĂšcle, photographier les dĂ©funts n'Ă©tait pas un tabou, mais une façon d’aimer encore un peu. Un geste tendre, un rempart contre l’oubli.


De l’émouvant dernier portrait de Victor Hugo (1885) Ă  l’affaire judiciaire autour de l’actrice Rachel, cet Ă©pisode explore :


đŸ–Œïž l’histoire de la photographie post-mortem,
⚖ les dĂ©bats sur le droit Ă  l’image,
🧠 et ce que cela rĂ©vĂšle aujourd’hui de notre rapport Ă  la disparition.


Artistes contemporains, rĂ©cits personnels, tabous modernes : pourquoi ces images nous troublent-elles autant ? Hommage ou transgression ? À vous d’en juger.


Pour aller plus loin sur le sujet de la photo posthume, les liens et références dont je parle dans le podcast :


Ce podcast n’est ni une apologie de la mort, ni une tentative de la banaliser et encore moins un discours morbide. C’est un espace de rĂ©flexion et d’échange pour explorer les multiples façons dont la mort façonne nos vies et lui redonner une place dans nos conversations, sans tabou ni peur.


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Transcription

  • Vous Ă©coutez Beyond the Veil, le podcast qui va vous rĂ©concilier avec la mort. Ce podcast vous est prĂ©sentĂ© par Virginie, moi, conseillĂšre funĂ©raire de formation et passionnĂ©e par ce sujet si tabou encore en 2025. Ce podcast traite d'un sujet sensible et n'est ni une apologie, ni une façon de le banaliser. Il y a des images qu'on n'oublie pas. Un regard figĂ©, une main posĂ©e sur un drap blanc, un visage apaisĂ© ou contractĂ©. Et s'il s'agissait de la derniĂšre image qu'on ait de quelqu'un ? Parlons d'un art oubliĂ©, mais pourtant trĂšs rĂ©pandu Ă  l'Ă©poque victorienne. La photographie post-mortem, ou l'art de prendre des photos des morts, un art Ă  part entiĂšre au XIXe siĂšcle. Cet art, qui capture la mort d'une maniĂšre Ă  la fois intime et dĂ©rangeante, nous transporte dans un autre temps, celui oĂč la photo funĂ©raire Ă©tait vue comme un geste bienveillant, comme un souvenir. Alors, accrochez-vous mes petits soleils, on va remonter le temps jusqu'en 1885 pour le dernier portrait de Victor Hugo, plonger dans une affaire judiciaire autour de l'actrice Rachel, tout en soulevant des questions Ă©tonnamment actuelles, celles de la mĂ©moire, de l'intimitĂ©, du droit Ă  l'image et du deuil. Tout un programme ! Nous sommes au XIXe siĂšcle, en 1850, et la photographie est une technologie toute nouvelle. InventĂ©e en 1839 par Louis Daguerre, le daguerrĂ©otype capture un instant avec une clartĂ© saisissante. Une rĂ©volution pour l'Ă©poque ! Mais se faire photographier reste un luxe. Le procĂ©dĂ© est coĂ»teux, long et rare. Pour beaucoup une photo est un Ă©vĂ©nement unique, souvent le seul souvenir tangible d'une vie. Et, chose surprenante pour nous aujourd'hui, cet Ă©vĂ©nement survient parfois aprĂšs la mort, comme une maniĂšre de figer la mĂ©moire d'un ĂȘtre cher, de refuser sa disparition. La photographie post-mortem, pratique courante en Europe et en AmĂ©rique du Nord Ă  l'Ă©poque victorienne, n'avait rien de morbide pour les gens d'alors. Les familles engageaient des photographes pour immortaliser leurs proches disparus, souvent mis en scĂšne comme s'ils Ă©taient encore en vie. On installait les dĂ©funts sur des chaises, dans des poses naturelles, Parfois dans les bras d'un parent. Les bĂ©bĂ©s, notamment, Ă©taient souvent photographiĂ©s dans les bras de leur mĂšre. Dans certains cas, on peignait des yeux sur leurs paupiĂšres closes pour donner l'illusion de la vie. Ces images Ă©taient des trĂ©sors, des souvenirs prĂ©cieux dans une sociĂ©tĂ© oĂč la mort, surtout infantile, Ă©tait omniprĂ©sente. PrĂšs d'un bĂ©bĂ© sur cinq ne survivait pas Ă  sa premiĂšre annĂ©e. Pourquoi cette pratique Ă©tait-elle si rĂ©pandue ? A l'Ă©poque, la mort n'Ă©tait pas un tabou. Elle faisait partie intĂ©grante de la vie. Les maladies, comme la tuberculose, ou la diphtĂ©rie, les conditions sanitaires prĂ©caires et les limites de la mĂ©decine emportaient souvent les plus jeunes. Les familles vivaient avec la mort au quotidien, sans la cacher. On portait des bijoux tressĂ©s avec les cheveux des dĂ©funts, on organisait des piqueniques dans les cimetiĂšres, on arborait des vĂȘtements noirs pendant des mois selon des codes de deuil stricts. La photographie post-mortem s'inscrivait dans cette culture. Elle ritualisait l'absence, rendait visible le souvenir. Ces photos Ă©taient bien plus qu'un simple clichĂ©. Elles Ă©taient un acte de mĂ©moire, une façon de faire son deuil, mais aussi un marqueur social. Pouvoir s'offrir une telle photographie Ă©tait un signe de statut, et ces images trĂŽnaient fiĂšrement dans les salons, glissaient dans des albums ou envoyaient Ă  des proches. Dans les foyers modestes, c'Ă©tait souvent la seule photo jamais prise d'un ĂȘtre cher, un lĂšgue inestimable. Mais la photographie post-mortem ne se limitait pas aux familles. Elle trouvait aussi une utilitĂ© dans le domaine judiciaire. A la fin du XIXe siĂšcle, on photographiait les corps pour identifier des victimes ou analyser des crimes. Par exemple, dans l'affaire de Jack l'Ă©ventreur, les photos des victimes ont servi Ă  Ă©tudier les mĂ©thodes du tueur, offrant un tĂ©moignage brut de cette Ă©poque trouble. Si vous ĂȘtes curieux de voir ces images, je vous recommande le compte Instagram victorianephotography1800, le lien sera dans la description. Ce compte archive des photos de l'Ă©poque victorienne, des instants de vie comme des portraits post-mortem. En les numĂ©risant, il prĂ©serve une mĂ©moire collective fascinante oĂč chaque clichĂ© raconte une histoire, un visage, un moment. Si l'Ă©poque victorienne vous intrigue, allez-y jeter un oeil, c'est une plongĂ©e dans le passĂ©. En prĂ©parant cet Ă©pisode, j'ai fait une dĂ©couverte qui m'a marquĂ©e. Et c'est ça la magie de ce podcast, on apprend tout le temps. Saviez-vous que Victor Hugo, l'immense Ă©crivain, a lui aussi Ă©tĂ© photographiĂ© sur son lit de mort ? Cette image capture un moment chargĂ© d'histoire, mais avant de vous parler de l'histoire de cette photo iconique, je voudrais vous parler du droit Ă  l'image. Parce que oui, au final, est-ce que c'Ă©tait lĂ©gal de prendre des photos des morts et de les diffuser Ă  l'Ă©poque ? Partons ensemble dans le Paris de 1858. La grande tragĂ©dienne Mademoiselle Rachel, de son vrai nom... Elisabeth Rachel FĂ©lix vient de s'Ă©teindre. Ses performances enflammĂ©es ont captivĂ© les scĂšnes europĂ©ennes et sa mort marque la fin d'une icĂŽne. Comme le veut la coutume pour une figure de son rang, son lit de mort est photographiĂ©. Une image intime, solennelle, censĂ©e rester dans le cadre privĂ©. Mais l'une de ses photos tombe entre les mains de FrĂ©dĂ©rique O'Connell, une peintre parisienne en vogue. FascinĂ©e, elle en tire un dessin au fusain qu'elle publie dans la presse. Ce qui suit, c'est une tempĂȘte. La famille de Rachel est scandalisĂ©e. Faire circuler l'image de leurs proches dans un moment aussi vulnĂ©rable est pour eux une atteinte Ă  sa dignitĂ©. Ils saisissent les tribunaux et la dĂ©cision rendue, elle est historique. Nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire ou livrer Ă  la publicitĂ© les traits d'une personne sur son lit de mort. Ce jugement marque un tournant. Il pose les bases du droit Ă  l'image en France, un principe qui commence Ă  encadrer la vie privĂ©e et le respect des dĂ©funts. Cette affaire, elle rĂ©vĂšle que la photographie post-mortem, au-delĂ  de son rĂŽle de mĂ©moire, soulĂšve des questions Ă©thiques profondes. Ces images, chargĂ©es d'Ă©motions, ne sont pas de simples souvenirs. Elles touchent Ă  l'intimitĂ©, au consentement. Ă  la dignitĂ©. A l'Ă©poque, la mort est publique, ritualisĂ©e, mais cette affaire montre que des limites Ă©mergent. Ce principe du droit Ă  l'image, ancrĂ© dans l'article 9 du Code civil, fait partie des droits de la personnalitĂ©. Mais il y a un hic. Ce droit s'Ă©teint avec la mort, car la personnalitĂ© juridique disparaĂźt. Longtemps, les plaintes pour atteinte Ă  l'image post-mortem concernaient surtout des cĂ©lĂ©britĂ©s, comme par exemple Mlle Rachel. Les familles des anonymes avaient peu de recours. Pourtant, le regard sur ce droit Ă©volue. Prenons un exemple marquant. En 2015, aprĂšs la tragĂ©die du Bataclan, une photo d'une victime est publiĂ©e par le magazine VSD, prise par une photographe d'une agence de presse amĂ©ricaine. La famille, bouleversĂ©e, porte plainte pour « atteinte Ă  la dignitĂ© de la victime » . En appel, le magazine est condamnĂ© Ă  verser 26 000 euros Ă  la famille. Ce cas montre qu'il y a une Ă©volution. MĂȘme les non-cĂ©lĂ©britĂ©s peuvent dĂ©sormais obtenir rĂ©paration. Et c'est pas tout. Le 18 janvier 2024, le Conseil constitutionnel rend un arrĂȘt historique. Pour la premiĂšre fois, il consacre l'extension de la dignitĂ© humaine aprĂšs la mort. Ce principe, liĂ© au droit Ă  l'image, redĂ©finit la protection post-mortem. DĂ©sormais, la mĂ©moire des dĂ©funts, cĂ©lĂšbre ou non, est mieux protĂ©gĂ©e. Mais cette Ă©volution soulĂšve une question. Dans un monde oĂč les images circulent Ă  une vitesse fulgurante, comment prĂ©server la dignitĂ© des dĂ©funts ? Ces photos, qu'elles soient prises en 1858 ou en 2015, nous rappellent que derriĂšre chaque image, il y a une histoire, il y a une famille, une mĂ©moire et c'est Ă  nous de dĂ©cider comment les honorer. Mais revenons Ă  notre Ă©poque victorienne. Nous sommes le 22 mai 1885 Ă  Paris. Un message urgent parvient Ă  FĂ©lix Nadar, le photographe lĂ©gendaire. Victor Hugo est mort. L'Ă©crivain, poĂšte et dramaturge, gĂ©ant de la littĂ©rature française, s'est Ă©teint Ă  83 ans. Nadar prend son appareil et se rend au chevet de son ami. Dans le silence d'une chambre baignĂ©e de lumiĂšre douce, il capture le dernier portrait de Victor Hugo. Une image solennelle, presque sacrĂ©e. qui semble clore un siĂšcle de littĂ©rature. Nadar n'est pas un simple photographe. C'est une rockstar de la photo Ă  son Ă©poque. Il a immortalisĂ© les visages qui ont marquĂ© le XIXe siĂšcle. Baudelaire, Sarah Bernard ou Georges Sand. Il a mĂȘme osĂ© prendre des clichĂ©s depuis une montgolfiĂšre, une prouesse qui, Ă  l'Ă©poque, fait l'effet d'un exploit digne d'un roman de Jules Verne. Avec Hugo, Nadar ne se contente pas de photographier un corps. Il compose une Ɠuvre. Le visage de l'Ă©crivain, saisi de profil, est serein, presque intemporel. baignĂ© d'une lumiĂšre qu'il maĂźtrise comme personne. Les ombres et les contours semblent murmurer une dignitĂ© profonde, presque surnaturelle. Cette photographie n'est pas qu'un portrait post-mortem. C'est un hommage, un acte chargĂ© de sens. L'image est rapidement diffusĂ©e, reproduite dans la presse, gravĂ©e, vendue comme une relique. Elle devient l'emblĂšme d'un deuil national, un symbole consenti par la famille et la sociĂ©tĂ©. Contrairement aux affaires qui ont secouĂ© l'Ă©poque, comme celle de Mademoiselle Rachel, cette photo n'est pas une intrusion. Elle est un geste public, presque politique, destinĂ© Ă  graver l'hĂ©ritage de Victor Hugo dans la mĂ©moire collective. Et si on remonte le temps jusqu'Ă  aujourd'hui, est-ce que la photographie post-mortem, si courante Ă  l'Ă©poque victorienne, a vraiment disparu ? Pas tout Ă  fait. Elle a simplement changĂ© de visage, Ă©voluant dans l'ombre des tabous modernes. MystĂ©rieuse, hein, cette phrase ? Dans certaines cultures, comme au Mexique ou en IndonĂ©sie, photographier les dĂ©funts reste une pratique vivante, intĂ©grĂ©e au rituel funĂ©raire. Les familles ou les professionnels des pompes funĂšbres capturent ces images pour honorer la mĂ©moire, pour ancrer un dernier souvenir. En Occident, c'est plus discret, presque secret. Dans les hĂŽpitaux ou les hospices, on photographie parfois des nourrissons mornĂ©s avec une infinie dĂ©licatesse pour offrir aux parents un souvenir tangible d'une vie trop brĂšve. Ces images, loin d'ĂȘtre morbides, sont une maniĂšre d'accepter l'inacceptable, de reconnaĂźtre une existence mĂȘme Ă©phĂ©mĂšre. C'est Aous Merakchi, dans son podcast Mortel en 2019, qui a brisĂ© le silence sur ce sujet. Elle parle d'un club, d'un club secret, presque clandestin. Celui des gens qui photographient leurs proches dĂ©funts. Des gens comme vous, comme moi, qui ressentent ce besoin intime de garder une trace. Et j'en fais partie. Et vous ? Quoi ? Y'a rien de honteux Ă  prendre sur des fins en photo ? Oui, j'ai photographiĂ© ma mĂšre dans son cercueil en 2013. Est-ce que je regrette ? Non. Est-ce que je regarde cette photo ? Parfois. Est-ce que cette photo trĂŽne dans un cadre dans mon salon Ă  la vue de tous ? Je suis certaine que vous pensez que oui. Bah non ! La photo, elle est dans son Ă©tui dans un carnet, et ce carnet il est dans mon salon. Mais Ă  dire vrai, ça ne me rend pas triste. Je la regarde et je me dis « ok » et je la repose. Et puis, maintenant, avec le recul et mon mĂ©tier de conseiller funĂ©raire, je remarque les petits dĂ©tails et je sais vous dire quand la photo a Ă©tĂ© prise juste en regardant ma maman. Sur le moment, je me suis dit « allez, tu ne la reverras plus jamais, immortalise ce moment. Elle est belle, elle a l'air endormie. » Et puis, je me suis dit « ma mamie en voudra peut-ĂȘtre. » Et est-ce que ma mamie en a voulu ? Oui. Et puis, ma grand-mĂšre fait aussi partie de ce club. Elle Ă©tait mĂȘme la premiĂšre. En 2005, lors du dĂ©cĂšs de mon grand-pĂšre, juste avant la fermeture de cercueil, j'ai vu ma grand-mĂšre dĂ©gainer un appareil photo jetable. Et elle m'a demandĂ© de prendre une photo de mon papy. Sur le moment, j'Ă©tais mal Ă  l'aise. Mais pour ma grand-mĂšre, ça avait l'air naturel. Elle voulait un dernier souvenir, une image de celui qu'elle avait aimĂ©. Et plus tard, quand j'ai photographiĂ© ma mĂšre, j'ai compris. A l'Ă©poque, on dĂ©veloppait encore des photos manuellement. Et je suis dĂ©solĂ©e pour cette personne qui a vu mon grand-pĂšre dans son cercueil. Malaiiiiise ! Ce club, il est tabou. On n'en parle pas, par peur du jugement, parce que la mort, aujourd'hui, on la cache. Exit les photos exposĂ©es fiĂšrement au XIXe siĂšcle. Aujourd'hui, elles dorment dans des tiroirs, dans des carnets, des tĂ©lĂ©phones. Mais pourquoi avoir honte ? Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est humain. C'est un au revoir, une façon de rendre la mort rĂ©elle, de dire « t'as existĂ© » . Pour certains, c'est apaisant, thĂ©rapeutique mĂȘme, comme le disent les psychologues. Pour d'autres, ça peut sembler morbide, voyeuriste. Mais vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que vous prendriez une photo d'un proche dĂ©cĂ©dĂ© ? Ou est-ce que ça vous mettrait mal Ă  l'aise ? Mais pourtant, il y a une curiositĂ© parfois qu'on n'ose pas avouer. Pourquoi ces images nous attirent-elles ? Est-ce qu'on cherche Ă  apprivoiser la mort, Ă  dĂ©fier ce tabou qui nous pousse Ă  la dissimuler ? Les photographes funĂ©raires comme Lisa Holloway, aux Etats-Unis, l'ont bien compris. Ils se spĂ©cialisent dans les portraits post-mortem, rĂ©alisĂ©s avec respect, pour offrir aux familles un souvenir digne. Mais en France, c'est rare, presque inavouable. Alors, ce club secret, il existe, dans l'ombre. dans nos tiroirs, dans nos cƓurs. Et si justement on osait en parler ? Et puis, fermez les yeux. Oui, oui, fermez les yeux. Imaginez un instant, un monde oĂč parler de la mort n'est plus un tabou, oĂč les images de nos dĂ©funts ne sont plus cachĂ©es dans des tiroirs, mais cĂ©lĂ©brĂ©es comme des actes de mĂ©moire. Ce monde, certains artistes contemporains le construisent dĂ©jĂ . Ils osent regarder la mort en face, et leurs Ɠuvres nous invitent Ă  faire de mĂȘme. Prenez HervĂ© Bonner, par exemple. Dans son livre Postume, il a rassemblĂ© une centaine de clichĂ©s de dĂ©funts et d'objets funĂ©raires, des images qui capturent l'intimitĂ© et la solennitĂ© de l'aprĂšs-vie. Ou encore, par exemple, l'exposition Les Immortels, photographie de l'aprĂšs-vie, 1850-1950, qui s'est tenue en novembre 2024 Ă  Paris. Ces initiatives plongent dans l'histoire mĂ©connue de la photographie post-mortem, rĂ©vĂ©lant sa beautĂ© et sa profondeur. Mais l'art ne s'arrĂȘte pas au passĂ©. Aujourd'hui, des projets contemporains explorent la mort sous toutes ses facettes. Certains documentent les rituels funĂ©raires, d'autres capturent les derniers instants d'un corps ou interrogent l'absence, la trace laissĂ©e derriĂšre. Un projet m'a particuliĂšrement touchĂ©e, celui de Sophie Kahl, artiste française, dans son Ɠuvre Pas pu saisir la mort, en 2007. Elle filme les derniers instants de sa mĂšre, non pas pour choquer, mais pour saisir la fragilitĂ© de ce passage. Avec des vidĂ©os, des photos et des textes, elle pose une question essentielle. Que signifie voir quelqu'un partir ? Ce n'est pas une photo post-mortem au sens classique, mais c'est l'hĂ©ritier direct de cette tradition. Utilisez l'art. pour apprivoiser la mort. Ces projets, c'est comme des ponts entre l'Ă©poque victorienne, oĂč les photos post-mortem Ă©taient des trĂ©sors exposĂ©s avec fiertĂ©, et notre Ă©poque, oĂč la mort est souvent effacĂ©e, relĂ©guĂ©e Ă  l'ombre. Les artistes d'aujourd'hui nous demandent qu'est-ce qu'on fait de la mort dans un monde qui la fuit ? Une image peut-elle nous aider Ă  accepter, Ă  comprendre ou simplement Ă  ne pas oublier ? Et puis, j'ai envie de vous parler d'un projet fou, beau et nĂ©cessaire que je soutiens Ă  1000% tellement il fait sens dans ce monde oĂč on oublie que la mort, au-delĂ  de l'absence, c'est d'abord un corps sans vie. C'est celui de Wanda Spengler, une artiste suisse qui veut redonner une place Ă  nos morts et avec qui j'ai eu la chance d'Ă©changer. Wanda, elle a grandi dans une famille oĂč les mots et la transgression Ă©taient rois, bercĂ©e par l'hĂ©ritage de sa grand-mĂšre, la romanciĂšre fĂ©ministe RĂ©gine Deforge. PassionnĂ©e de cinĂ©ma, Wanda a d'abord explorĂ© l'autoportrait, avant de se tourner vers les corps dans leur vĂ©ritĂ© brute, dĂ©sĂ©quilibrĂ©e. Son combat, c'est mettre en lumiĂšre la diversitĂ© des corps et des expĂ©riences, y compris celle de la mort. L'idĂ©e de son projet est nĂ©e il y a un an, lors de sa visite Ă  l'exposition « Et nos morts, la photographie post-mortem aujourd'hui en Europe » Ă  la Maison de la Photographie Robert Douanou. LĂ , elle dĂ©cide de crĂ©er une sĂ©rie de photos post-mortem, un projet Ă  la fois artistique et documentaire, ancrĂ© dans le respect des dĂ©funts et de leur famille. Mais la route est semĂ©e d'embĂ»ches. Vanda frappe Ă  toutes les portes. Pompes funĂšbre, coopĂ©rative funĂ©raire, thanatopracteur, association. Peu rĂ©pondent. Pourquoi ? Parce que ce sujet fait peur. MĂȘme chez les professionnels, oĂč la dĂ©ontologie et l'Ă©thique sont pourtant claires, l'idĂ©e d'un tel projet dĂ©range tant sur le plan humain que juridique. Et pourtant, Wanda persĂ©vĂšre. Elle sait que son projet n'est ni voyeuriste, ni irrespectueux. Il s'agit de rendre visible ce que notre sociĂ©tĂ© cache. La mort, c'est d'abord un corps, une rĂ©alitĂ© qu'on ne peut ignorer. C'est se rappeler que nous aussi on va mourir, et oh lĂ  lĂ  non, n'en parlons pas. Mais moi ce qui me fout en l'air, et je vais parler vrai, ce qui me fout en l'air c'est l'hypocrisie. On s'offusque d'un projet comme celui de Wanda, on sort des arguments Ă©motifs comme « et si c'Ă©tait ton fils sur ces photos ? » Mais ces mĂȘmes personnes, elles n'hĂ©sitent pas Ă  consommer des images et des vidĂ©os de corps... anonyme laissĂ© pour mort dans des conflits mondiaux, comme si ces villas valaient moins. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Pourquoi nos morts seraient-ils plus sacrĂ©s que ceux des autres ? VoilĂ , c'est dit. Je pense que c'est important de rĂ©flĂ©chir Ă  ça. Alors, comment soutenir Vanda ? Eh bien, c'est simple. Parlons-en. Partageons son projet autour de nous. Vanda cherche des familles prĂȘtes Ă  participer, Ă  intĂ©grer leur funĂ©rail dans ce projet vivant, humain. Elle veut aussi des tĂ©moignages de personnes endeuillĂ©es ou en fin de vie. Alors, mon aide... C'est cet appel Ă  participation, ici, dans ce podcast. Vous trouverez tous les liens pour contacter Vanda dans la description de cet Ă©pisode. Ensemble, faisons tomber les tabous. Donnons Ă  la mort et Ă  nos morts la place qu'ils mĂ©ritent. Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est arrĂȘter le temps. C'est dire, je t'ai vu partir, mais tu resteras toujours. Alors, osons regarder, osons se souvenir, parce que dans chaque image, il y a un bout de nous, un bout d'humanitĂ© qui refuse de disparaĂźtre. Merci d'avoir Ă©coutĂ© cet Ă©pisode de Beyond the Veil. Vous pouvez retrouver les liens et ressources citĂ©es dans la description. L'Ă©pisode vous a plu ? Laissez votre avis en commentaire sur Spotify ou Apple Podcasts et partagez-le Ă  une personne de votre entourage intĂ©ressĂ©e par le sujet. Et puis, si ce sujet vous touche ou si vous avez une histoire Ă  partager, ou encore mieux, c'est cette partie du club, Ă©crivez-moi sur Instagram, je serai ravie de vous lire.

Chapters

  • L'art de photographie post-mortem Ă  l'Ă©poque Victorienne

    00:00

  • L'affaire Mademoiselle Rachel ou le droit Ă  l'image posthume

    04:14

  • Nadar et la photographie posthume de Victor Hugo

    07:00

  • La photographie post-mortem aujourd’hui

    08:33

  • Refuser l'oubli

    16:10

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Description

📾 Photographie post-mortem, art victorien et mĂ©moire du deuil : plongez dans l’épisode 5 de Beyond the Veil.


Au XIXe siĂšcle, photographier les dĂ©funts n'Ă©tait pas un tabou, mais une façon d’aimer encore un peu. Un geste tendre, un rempart contre l’oubli.


De l’émouvant dernier portrait de Victor Hugo (1885) Ă  l’affaire judiciaire autour de l’actrice Rachel, cet Ă©pisode explore :


đŸ–Œïž l’histoire de la photographie post-mortem,
⚖ les dĂ©bats sur le droit Ă  l’image,
🧠 et ce que cela rĂ©vĂšle aujourd’hui de notre rapport Ă  la disparition.


Artistes contemporains, rĂ©cits personnels, tabous modernes : pourquoi ces images nous troublent-elles autant ? Hommage ou transgression ? À vous d’en juger.


Pour aller plus loin sur le sujet de la photo posthume, les liens et références dont je parle dans le podcast :


Ce podcast n’est ni une apologie de la mort, ni une tentative de la banaliser et encore moins un discours morbide. C’est un espace de rĂ©flexion et d’échange pour explorer les multiples façons dont la mort façonne nos vies et lui redonner une place dans nos conversations, sans tabou ni peur.


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Transcription

  • Vous Ă©coutez Beyond the Veil, le podcast qui va vous rĂ©concilier avec la mort. Ce podcast vous est prĂ©sentĂ© par Virginie, moi, conseillĂšre funĂ©raire de formation et passionnĂ©e par ce sujet si tabou encore en 2025. Ce podcast traite d'un sujet sensible et n'est ni une apologie, ni une façon de le banaliser. Il y a des images qu'on n'oublie pas. Un regard figĂ©, une main posĂ©e sur un drap blanc, un visage apaisĂ© ou contractĂ©. Et s'il s'agissait de la derniĂšre image qu'on ait de quelqu'un ? Parlons d'un art oubliĂ©, mais pourtant trĂšs rĂ©pandu Ă  l'Ă©poque victorienne. La photographie post-mortem, ou l'art de prendre des photos des morts, un art Ă  part entiĂšre au XIXe siĂšcle. Cet art, qui capture la mort d'une maniĂšre Ă  la fois intime et dĂ©rangeante, nous transporte dans un autre temps, celui oĂč la photo funĂ©raire Ă©tait vue comme un geste bienveillant, comme un souvenir. Alors, accrochez-vous mes petits soleils, on va remonter le temps jusqu'en 1885 pour le dernier portrait de Victor Hugo, plonger dans une affaire judiciaire autour de l'actrice Rachel, tout en soulevant des questions Ă©tonnamment actuelles, celles de la mĂ©moire, de l'intimitĂ©, du droit Ă  l'image et du deuil. Tout un programme ! Nous sommes au XIXe siĂšcle, en 1850, et la photographie est une technologie toute nouvelle. InventĂ©e en 1839 par Louis Daguerre, le daguerrĂ©otype capture un instant avec une clartĂ© saisissante. Une rĂ©volution pour l'Ă©poque ! Mais se faire photographier reste un luxe. Le procĂ©dĂ© est coĂ»teux, long et rare. Pour beaucoup une photo est un Ă©vĂ©nement unique, souvent le seul souvenir tangible d'une vie. Et, chose surprenante pour nous aujourd'hui, cet Ă©vĂ©nement survient parfois aprĂšs la mort, comme une maniĂšre de figer la mĂ©moire d'un ĂȘtre cher, de refuser sa disparition. La photographie post-mortem, pratique courante en Europe et en AmĂ©rique du Nord Ă  l'Ă©poque victorienne, n'avait rien de morbide pour les gens d'alors. Les familles engageaient des photographes pour immortaliser leurs proches disparus, souvent mis en scĂšne comme s'ils Ă©taient encore en vie. On installait les dĂ©funts sur des chaises, dans des poses naturelles, Parfois dans les bras d'un parent. Les bĂ©bĂ©s, notamment, Ă©taient souvent photographiĂ©s dans les bras de leur mĂšre. Dans certains cas, on peignait des yeux sur leurs paupiĂšres closes pour donner l'illusion de la vie. Ces images Ă©taient des trĂ©sors, des souvenirs prĂ©cieux dans une sociĂ©tĂ© oĂč la mort, surtout infantile, Ă©tait omniprĂ©sente. PrĂšs d'un bĂ©bĂ© sur cinq ne survivait pas Ă  sa premiĂšre annĂ©e. Pourquoi cette pratique Ă©tait-elle si rĂ©pandue ? A l'Ă©poque, la mort n'Ă©tait pas un tabou. Elle faisait partie intĂ©grante de la vie. Les maladies, comme la tuberculose, ou la diphtĂ©rie, les conditions sanitaires prĂ©caires et les limites de la mĂ©decine emportaient souvent les plus jeunes. Les familles vivaient avec la mort au quotidien, sans la cacher. On portait des bijoux tressĂ©s avec les cheveux des dĂ©funts, on organisait des piqueniques dans les cimetiĂšres, on arborait des vĂȘtements noirs pendant des mois selon des codes de deuil stricts. La photographie post-mortem s'inscrivait dans cette culture. Elle ritualisait l'absence, rendait visible le souvenir. Ces photos Ă©taient bien plus qu'un simple clichĂ©. Elles Ă©taient un acte de mĂ©moire, une façon de faire son deuil, mais aussi un marqueur social. Pouvoir s'offrir une telle photographie Ă©tait un signe de statut, et ces images trĂŽnaient fiĂšrement dans les salons, glissaient dans des albums ou envoyaient Ă  des proches. Dans les foyers modestes, c'Ă©tait souvent la seule photo jamais prise d'un ĂȘtre cher, un lĂšgue inestimable. Mais la photographie post-mortem ne se limitait pas aux familles. Elle trouvait aussi une utilitĂ© dans le domaine judiciaire. A la fin du XIXe siĂšcle, on photographiait les corps pour identifier des victimes ou analyser des crimes. Par exemple, dans l'affaire de Jack l'Ă©ventreur, les photos des victimes ont servi Ă  Ă©tudier les mĂ©thodes du tueur, offrant un tĂ©moignage brut de cette Ă©poque trouble. Si vous ĂȘtes curieux de voir ces images, je vous recommande le compte Instagram victorianephotography1800, le lien sera dans la description. Ce compte archive des photos de l'Ă©poque victorienne, des instants de vie comme des portraits post-mortem. En les numĂ©risant, il prĂ©serve une mĂ©moire collective fascinante oĂč chaque clichĂ© raconte une histoire, un visage, un moment. Si l'Ă©poque victorienne vous intrigue, allez-y jeter un oeil, c'est une plongĂ©e dans le passĂ©. En prĂ©parant cet Ă©pisode, j'ai fait une dĂ©couverte qui m'a marquĂ©e. Et c'est ça la magie de ce podcast, on apprend tout le temps. Saviez-vous que Victor Hugo, l'immense Ă©crivain, a lui aussi Ă©tĂ© photographiĂ© sur son lit de mort ? Cette image capture un moment chargĂ© d'histoire, mais avant de vous parler de l'histoire de cette photo iconique, je voudrais vous parler du droit Ă  l'image. Parce que oui, au final, est-ce que c'Ă©tait lĂ©gal de prendre des photos des morts et de les diffuser Ă  l'Ă©poque ? Partons ensemble dans le Paris de 1858. La grande tragĂ©dienne Mademoiselle Rachel, de son vrai nom... Elisabeth Rachel FĂ©lix vient de s'Ă©teindre. Ses performances enflammĂ©es ont captivĂ© les scĂšnes europĂ©ennes et sa mort marque la fin d'une icĂŽne. Comme le veut la coutume pour une figure de son rang, son lit de mort est photographiĂ©. Une image intime, solennelle, censĂ©e rester dans le cadre privĂ©. Mais l'une de ses photos tombe entre les mains de FrĂ©dĂ©rique O'Connell, une peintre parisienne en vogue. FascinĂ©e, elle en tire un dessin au fusain qu'elle publie dans la presse. Ce qui suit, c'est une tempĂȘte. La famille de Rachel est scandalisĂ©e. Faire circuler l'image de leurs proches dans un moment aussi vulnĂ©rable est pour eux une atteinte Ă  sa dignitĂ©. Ils saisissent les tribunaux et la dĂ©cision rendue, elle est historique. Nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire ou livrer Ă  la publicitĂ© les traits d'une personne sur son lit de mort. Ce jugement marque un tournant. Il pose les bases du droit Ă  l'image en France, un principe qui commence Ă  encadrer la vie privĂ©e et le respect des dĂ©funts. Cette affaire, elle rĂ©vĂšle que la photographie post-mortem, au-delĂ  de son rĂŽle de mĂ©moire, soulĂšve des questions Ă©thiques profondes. Ces images, chargĂ©es d'Ă©motions, ne sont pas de simples souvenirs. Elles touchent Ă  l'intimitĂ©, au consentement. Ă  la dignitĂ©. A l'Ă©poque, la mort est publique, ritualisĂ©e, mais cette affaire montre que des limites Ă©mergent. Ce principe du droit Ă  l'image, ancrĂ© dans l'article 9 du Code civil, fait partie des droits de la personnalitĂ©. Mais il y a un hic. Ce droit s'Ă©teint avec la mort, car la personnalitĂ© juridique disparaĂźt. Longtemps, les plaintes pour atteinte Ă  l'image post-mortem concernaient surtout des cĂ©lĂ©britĂ©s, comme par exemple Mlle Rachel. Les familles des anonymes avaient peu de recours. Pourtant, le regard sur ce droit Ă©volue. Prenons un exemple marquant. En 2015, aprĂšs la tragĂ©die du Bataclan, une photo d'une victime est publiĂ©e par le magazine VSD, prise par une photographe d'une agence de presse amĂ©ricaine. La famille, bouleversĂ©e, porte plainte pour « atteinte Ă  la dignitĂ© de la victime » . En appel, le magazine est condamnĂ© Ă  verser 26 000 euros Ă  la famille. Ce cas montre qu'il y a une Ă©volution. MĂȘme les non-cĂ©lĂ©britĂ©s peuvent dĂ©sormais obtenir rĂ©paration. Et c'est pas tout. Le 18 janvier 2024, le Conseil constitutionnel rend un arrĂȘt historique. Pour la premiĂšre fois, il consacre l'extension de la dignitĂ© humaine aprĂšs la mort. Ce principe, liĂ© au droit Ă  l'image, redĂ©finit la protection post-mortem. DĂ©sormais, la mĂ©moire des dĂ©funts, cĂ©lĂšbre ou non, est mieux protĂ©gĂ©e. Mais cette Ă©volution soulĂšve une question. Dans un monde oĂč les images circulent Ă  une vitesse fulgurante, comment prĂ©server la dignitĂ© des dĂ©funts ? Ces photos, qu'elles soient prises en 1858 ou en 2015, nous rappellent que derriĂšre chaque image, il y a une histoire, il y a une famille, une mĂ©moire et c'est Ă  nous de dĂ©cider comment les honorer. Mais revenons Ă  notre Ă©poque victorienne. Nous sommes le 22 mai 1885 Ă  Paris. Un message urgent parvient Ă  FĂ©lix Nadar, le photographe lĂ©gendaire. Victor Hugo est mort. L'Ă©crivain, poĂšte et dramaturge, gĂ©ant de la littĂ©rature française, s'est Ă©teint Ă  83 ans. Nadar prend son appareil et se rend au chevet de son ami. Dans le silence d'une chambre baignĂ©e de lumiĂšre douce, il capture le dernier portrait de Victor Hugo. Une image solennelle, presque sacrĂ©e. qui semble clore un siĂšcle de littĂ©rature. Nadar n'est pas un simple photographe. C'est une rockstar de la photo Ă  son Ă©poque. Il a immortalisĂ© les visages qui ont marquĂ© le XIXe siĂšcle. Baudelaire, Sarah Bernard ou Georges Sand. Il a mĂȘme osĂ© prendre des clichĂ©s depuis une montgolfiĂšre, une prouesse qui, Ă  l'Ă©poque, fait l'effet d'un exploit digne d'un roman de Jules Verne. Avec Hugo, Nadar ne se contente pas de photographier un corps. Il compose une Ɠuvre. Le visage de l'Ă©crivain, saisi de profil, est serein, presque intemporel. baignĂ© d'une lumiĂšre qu'il maĂźtrise comme personne. Les ombres et les contours semblent murmurer une dignitĂ© profonde, presque surnaturelle. Cette photographie n'est pas qu'un portrait post-mortem. C'est un hommage, un acte chargĂ© de sens. L'image est rapidement diffusĂ©e, reproduite dans la presse, gravĂ©e, vendue comme une relique. Elle devient l'emblĂšme d'un deuil national, un symbole consenti par la famille et la sociĂ©tĂ©. Contrairement aux affaires qui ont secouĂ© l'Ă©poque, comme celle de Mademoiselle Rachel, cette photo n'est pas une intrusion. Elle est un geste public, presque politique, destinĂ© Ă  graver l'hĂ©ritage de Victor Hugo dans la mĂ©moire collective. Et si on remonte le temps jusqu'Ă  aujourd'hui, est-ce que la photographie post-mortem, si courante Ă  l'Ă©poque victorienne, a vraiment disparu ? Pas tout Ă  fait. Elle a simplement changĂ© de visage, Ă©voluant dans l'ombre des tabous modernes. MystĂ©rieuse, hein, cette phrase ? Dans certaines cultures, comme au Mexique ou en IndonĂ©sie, photographier les dĂ©funts reste une pratique vivante, intĂ©grĂ©e au rituel funĂ©raire. Les familles ou les professionnels des pompes funĂšbres capturent ces images pour honorer la mĂ©moire, pour ancrer un dernier souvenir. En Occident, c'est plus discret, presque secret. Dans les hĂŽpitaux ou les hospices, on photographie parfois des nourrissons mornĂ©s avec une infinie dĂ©licatesse pour offrir aux parents un souvenir tangible d'une vie trop brĂšve. Ces images, loin d'ĂȘtre morbides, sont une maniĂšre d'accepter l'inacceptable, de reconnaĂźtre une existence mĂȘme Ă©phĂ©mĂšre. C'est Aous Merakchi, dans son podcast Mortel en 2019, qui a brisĂ© le silence sur ce sujet. Elle parle d'un club, d'un club secret, presque clandestin. Celui des gens qui photographient leurs proches dĂ©funts. Des gens comme vous, comme moi, qui ressentent ce besoin intime de garder une trace. Et j'en fais partie. Et vous ? Quoi ? Y'a rien de honteux Ă  prendre sur des fins en photo ? Oui, j'ai photographiĂ© ma mĂšre dans son cercueil en 2013. Est-ce que je regrette ? Non. Est-ce que je regarde cette photo ? Parfois. Est-ce que cette photo trĂŽne dans un cadre dans mon salon Ă  la vue de tous ? Je suis certaine que vous pensez que oui. Bah non ! La photo, elle est dans son Ă©tui dans un carnet, et ce carnet il est dans mon salon. Mais Ă  dire vrai, ça ne me rend pas triste. Je la regarde et je me dis « ok » et je la repose. Et puis, maintenant, avec le recul et mon mĂ©tier de conseiller funĂ©raire, je remarque les petits dĂ©tails et je sais vous dire quand la photo a Ă©tĂ© prise juste en regardant ma maman. Sur le moment, je me suis dit « allez, tu ne la reverras plus jamais, immortalise ce moment. Elle est belle, elle a l'air endormie. » Et puis, je me suis dit « ma mamie en voudra peut-ĂȘtre. » Et est-ce que ma mamie en a voulu ? Oui. Et puis, ma grand-mĂšre fait aussi partie de ce club. Elle Ă©tait mĂȘme la premiĂšre. En 2005, lors du dĂ©cĂšs de mon grand-pĂšre, juste avant la fermeture de cercueil, j'ai vu ma grand-mĂšre dĂ©gainer un appareil photo jetable. Et elle m'a demandĂ© de prendre une photo de mon papy. Sur le moment, j'Ă©tais mal Ă  l'aise. Mais pour ma grand-mĂšre, ça avait l'air naturel. Elle voulait un dernier souvenir, une image de celui qu'elle avait aimĂ©. Et plus tard, quand j'ai photographiĂ© ma mĂšre, j'ai compris. A l'Ă©poque, on dĂ©veloppait encore des photos manuellement. Et je suis dĂ©solĂ©e pour cette personne qui a vu mon grand-pĂšre dans son cercueil. Malaiiiiise ! Ce club, il est tabou. On n'en parle pas, par peur du jugement, parce que la mort, aujourd'hui, on la cache. Exit les photos exposĂ©es fiĂšrement au XIXe siĂšcle. Aujourd'hui, elles dorment dans des tiroirs, dans des carnets, des tĂ©lĂ©phones. Mais pourquoi avoir honte ? Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est humain. C'est un au revoir, une façon de rendre la mort rĂ©elle, de dire « t'as existĂ© » . Pour certains, c'est apaisant, thĂ©rapeutique mĂȘme, comme le disent les psychologues. Pour d'autres, ça peut sembler morbide, voyeuriste. Mais vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que vous prendriez une photo d'un proche dĂ©cĂ©dĂ© ? Ou est-ce que ça vous mettrait mal Ă  l'aise ? Mais pourtant, il y a une curiositĂ© parfois qu'on n'ose pas avouer. Pourquoi ces images nous attirent-elles ? Est-ce qu'on cherche Ă  apprivoiser la mort, Ă  dĂ©fier ce tabou qui nous pousse Ă  la dissimuler ? Les photographes funĂ©raires comme Lisa Holloway, aux Etats-Unis, l'ont bien compris. Ils se spĂ©cialisent dans les portraits post-mortem, rĂ©alisĂ©s avec respect, pour offrir aux familles un souvenir digne. Mais en France, c'est rare, presque inavouable. Alors, ce club secret, il existe, dans l'ombre. dans nos tiroirs, dans nos cƓurs. Et si justement on osait en parler ? Et puis, fermez les yeux. Oui, oui, fermez les yeux. Imaginez un instant, un monde oĂč parler de la mort n'est plus un tabou, oĂč les images de nos dĂ©funts ne sont plus cachĂ©es dans des tiroirs, mais cĂ©lĂ©brĂ©es comme des actes de mĂ©moire. Ce monde, certains artistes contemporains le construisent dĂ©jĂ . Ils osent regarder la mort en face, et leurs Ɠuvres nous invitent Ă  faire de mĂȘme. Prenez HervĂ© Bonner, par exemple. Dans son livre Postume, il a rassemblĂ© une centaine de clichĂ©s de dĂ©funts et d'objets funĂ©raires, des images qui capturent l'intimitĂ© et la solennitĂ© de l'aprĂšs-vie. Ou encore, par exemple, l'exposition Les Immortels, photographie de l'aprĂšs-vie, 1850-1950, qui s'est tenue en novembre 2024 Ă  Paris. Ces initiatives plongent dans l'histoire mĂ©connue de la photographie post-mortem, rĂ©vĂ©lant sa beautĂ© et sa profondeur. Mais l'art ne s'arrĂȘte pas au passĂ©. Aujourd'hui, des projets contemporains explorent la mort sous toutes ses facettes. Certains documentent les rituels funĂ©raires, d'autres capturent les derniers instants d'un corps ou interrogent l'absence, la trace laissĂ©e derriĂšre. Un projet m'a particuliĂšrement touchĂ©e, celui de Sophie Kahl, artiste française, dans son Ɠuvre Pas pu saisir la mort, en 2007. Elle filme les derniers instants de sa mĂšre, non pas pour choquer, mais pour saisir la fragilitĂ© de ce passage. Avec des vidĂ©os, des photos et des textes, elle pose une question essentielle. Que signifie voir quelqu'un partir ? Ce n'est pas une photo post-mortem au sens classique, mais c'est l'hĂ©ritier direct de cette tradition. Utilisez l'art. pour apprivoiser la mort. Ces projets, c'est comme des ponts entre l'Ă©poque victorienne, oĂč les photos post-mortem Ă©taient des trĂ©sors exposĂ©s avec fiertĂ©, et notre Ă©poque, oĂč la mort est souvent effacĂ©e, relĂ©guĂ©e Ă  l'ombre. Les artistes d'aujourd'hui nous demandent qu'est-ce qu'on fait de la mort dans un monde qui la fuit ? Une image peut-elle nous aider Ă  accepter, Ă  comprendre ou simplement Ă  ne pas oublier ? Et puis, j'ai envie de vous parler d'un projet fou, beau et nĂ©cessaire que je soutiens Ă  1000% tellement il fait sens dans ce monde oĂč on oublie que la mort, au-delĂ  de l'absence, c'est d'abord un corps sans vie. C'est celui de Wanda Spengler, une artiste suisse qui veut redonner une place Ă  nos morts et avec qui j'ai eu la chance d'Ă©changer. Wanda, elle a grandi dans une famille oĂč les mots et la transgression Ă©taient rois, bercĂ©e par l'hĂ©ritage de sa grand-mĂšre, la romanciĂšre fĂ©ministe RĂ©gine Deforge. PassionnĂ©e de cinĂ©ma, Wanda a d'abord explorĂ© l'autoportrait, avant de se tourner vers les corps dans leur vĂ©ritĂ© brute, dĂ©sĂ©quilibrĂ©e. Son combat, c'est mettre en lumiĂšre la diversitĂ© des corps et des expĂ©riences, y compris celle de la mort. L'idĂ©e de son projet est nĂ©e il y a un an, lors de sa visite Ă  l'exposition « Et nos morts, la photographie post-mortem aujourd'hui en Europe » Ă  la Maison de la Photographie Robert Douanou. LĂ , elle dĂ©cide de crĂ©er une sĂ©rie de photos post-mortem, un projet Ă  la fois artistique et documentaire, ancrĂ© dans le respect des dĂ©funts et de leur famille. Mais la route est semĂ©e d'embĂ»ches. Vanda frappe Ă  toutes les portes. Pompes funĂšbre, coopĂ©rative funĂ©raire, thanatopracteur, association. Peu rĂ©pondent. Pourquoi ? Parce que ce sujet fait peur. MĂȘme chez les professionnels, oĂč la dĂ©ontologie et l'Ă©thique sont pourtant claires, l'idĂ©e d'un tel projet dĂ©range tant sur le plan humain que juridique. Et pourtant, Wanda persĂ©vĂšre. Elle sait que son projet n'est ni voyeuriste, ni irrespectueux. Il s'agit de rendre visible ce que notre sociĂ©tĂ© cache. La mort, c'est d'abord un corps, une rĂ©alitĂ© qu'on ne peut ignorer. C'est se rappeler que nous aussi on va mourir, et oh lĂ  lĂ  non, n'en parlons pas. Mais moi ce qui me fout en l'air, et je vais parler vrai, ce qui me fout en l'air c'est l'hypocrisie. On s'offusque d'un projet comme celui de Wanda, on sort des arguments Ă©motifs comme « et si c'Ă©tait ton fils sur ces photos ? » Mais ces mĂȘmes personnes, elles n'hĂ©sitent pas Ă  consommer des images et des vidĂ©os de corps... anonyme laissĂ© pour mort dans des conflits mondiaux, comme si ces villas valaient moins. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Pourquoi nos morts seraient-ils plus sacrĂ©s que ceux des autres ? VoilĂ , c'est dit. Je pense que c'est important de rĂ©flĂ©chir Ă  ça. Alors, comment soutenir Vanda ? Eh bien, c'est simple. Parlons-en. Partageons son projet autour de nous. Vanda cherche des familles prĂȘtes Ă  participer, Ă  intĂ©grer leur funĂ©rail dans ce projet vivant, humain. Elle veut aussi des tĂ©moignages de personnes endeuillĂ©es ou en fin de vie. Alors, mon aide... C'est cet appel Ă  participation, ici, dans ce podcast. Vous trouverez tous les liens pour contacter Vanda dans la description de cet Ă©pisode. Ensemble, faisons tomber les tabous. Donnons Ă  la mort et Ă  nos morts la place qu'ils mĂ©ritent. Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est arrĂȘter le temps. C'est dire, je t'ai vu partir, mais tu resteras toujours. Alors, osons regarder, osons se souvenir, parce que dans chaque image, il y a un bout de nous, un bout d'humanitĂ© qui refuse de disparaĂźtre. Merci d'avoir Ă©coutĂ© cet Ă©pisode de Beyond the Veil. Vous pouvez retrouver les liens et ressources citĂ©es dans la description. L'Ă©pisode vous a plu ? Laissez votre avis en commentaire sur Spotify ou Apple Podcasts et partagez-le Ă  une personne de votre entourage intĂ©ressĂ©e par le sujet. Et puis, si ce sujet vous touche ou si vous avez une histoire Ă  partager, ou encore mieux, c'est cette partie du club, Ă©crivez-moi sur Instagram, je serai ravie de vous lire.

Chapters

  • L'art de photographie post-mortem Ă  l'Ă©poque Victorienne

    00:00

  • L'affaire Mademoiselle Rachel ou le droit Ă  l'image posthume

    04:14

  • Nadar et la photographie posthume de Victor Hugo

    07:00

  • La photographie post-mortem aujourd’hui

    08:33

  • Refuser l'oubli

    16:10

Description

📾 Photographie post-mortem, art victorien et mĂ©moire du deuil : plongez dans l’épisode 5 de Beyond the Veil.


Au XIXe siĂšcle, photographier les dĂ©funts n'Ă©tait pas un tabou, mais une façon d’aimer encore un peu. Un geste tendre, un rempart contre l’oubli.


De l’émouvant dernier portrait de Victor Hugo (1885) Ă  l’affaire judiciaire autour de l’actrice Rachel, cet Ă©pisode explore :


đŸ–Œïž l’histoire de la photographie post-mortem,
⚖ les dĂ©bats sur le droit Ă  l’image,
🧠 et ce que cela rĂ©vĂšle aujourd’hui de notre rapport Ă  la disparition.


Artistes contemporains, rĂ©cits personnels, tabous modernes : pourquoi ces images nous troublent-elles autant ? Hommage ou transgression ? À vous d’en juger.


Pour aller plus loin sur le sujet de la photo posthume, les liens et références dont je parle dans le podcast :


Ce podcast n’est ni une apologie de la mort, ni une tentative de la banaliser et encore moins un discours morbide. C’est un espace de rĂ©flexion et d’échange pour explorer les multiples façons dont la mort façonne nos vies et lui redonner une place dans nos conversations, sans tabou ni peur.


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Transcription

  • Vous Ă©coutez Beyond the Veil, le podcast qui va vous rĂ©concilier avec la mort. Ce podcast vous est prĂ©sentĂ© par Virginie, moi, conseillĂšre funĂ©raire de formation et passionnĂ©e par ce sujet si tabou encore en 2025. Ce podcast traite d'un sujet sensible et n'est ni une apologie, ni une façon de le banaliser. Il y a des images qu'on n'oublie pas. Un regard figĂ©, une main posĂ©e sur un drap blanc, un visage apaisĂ© ou contractĂ©. Et s'il s'agissait de la derniĂšre image qu'on ait de quelqu'un ? Parlons d'un art oubliĂ©, mais pourtant trĂšs rĂ©pandu Ă  l'Ă©poque victorienne. La photographie post-mortem, ou l'art de prendre des photos des morts, un art Ă  part entiĂšre au XIXe siĂšcle. Cet art, qui capture la mort d'une maniĂšre Ă  la fois intime et dĂ©rangeante, nous transporte dans un autre temps, celui oĂč la photo funĂ©raire Ă©tait vue comme un geste bienveillant, comme un souvenir. Alors, accrochez-vous mes petits soleils, on va remonter le temps jusqu'en 1885 pour le dernier portrait de Victor Hugo, plonger dans une affaire judiciaire autour de l'actrice Rachel, tout en soulevant des questions Ă©tonnamment actuelles, celles de la mĂ©moire, de l'intimitĂ©, du droit Ă  l'image et du deuil. Tout un programme ! Nous sommes au XIXe siĂšcle, en 1850, et la photographie est une technologie toute nouvelle. InventĂ©e en 1839 par Louis Daguerre, le daguerrĂ©otype capture un instant avec une clartĂ© saisissante. Une rĂ©volution pour l'Ă©poque ! Mais se faire photographier reste un luxe. Le procĂ©dĂ© est coĂ»teux, long et rare. Pour beaucoup une photo est un Ă©vĂ©nement unique, souvent le seul souvenir tangible d'une vie. Et, chose surprenante pour nous aujourd'hui, cet Ă©vĂ©nement survient parfois aprĂšs la mort, comme une maniĂšre de figer la mĂ©moire d'un ĂȘtre cher, de refuser sa disparition. La photographie post-mortem, pratique courante en Europe et en AmĂ©rique du Nord Ă  l'Ă©poque victorienne, n'avait rien de morbide pour les gens d'alors. Les familles engageaient des photographes pour immortaliser leurs proches disparus, souvent mis en scĂšne comme s'ils Ă©taient encore en vie. On installait les dĂ©funts sur des chaises, dans des poses naturelles, Parfois dans les bras d'un parent. Les bĂ©bĂ©s, notamment, Ă©taient souvent photographiĂ©s dans les bras de leur mĂšre. Dans certains cas, on peignait des yeux sur leurs paupiĂšres closes pour donner l'illusion de la vie. Ces images Ă©taient des trĂ©sors, des souvenirs prĂ©cieux dans une sociĂ©tĂ© oĂč la mort, surtout infantile, Ă©tait omniprĂ©sente. PrĂšs d'un bĂ©bĂ© sur cinq ne survivait pas Ă  sa premiĂšre annĂ©e. Pourquoi cette pratique Ă©tait-elle si rĂ©pandue ? A l'Ă©poque, la mort n'Ă©tait pas un tabou. Elle faisait partie intĂ©grante de la vie. Les maladies, comme la tuberculose, ou la diphtĂ©rie, les conditions sanitaires prĂ©caires et les limites de la mĂ©decine emportaient souvent les plus jeunes. Les familles vivaient avec la mort au quotidien, sans la cacher. On portait des bijoux tressĂ©s avec les cheveux des dĂ©funts, on organisait des piqueniques dans les cimetiĂšres, on arborait des vĂȘtements noirs pendant des mois selon des codes de deuil stricts. La photographie post-mortem s'inscrivait dans cette culture. Elle ritualisait l'absence, rendait visible le souvenir. Ces photos Ă©taient bien plus qu'un simple clichĂ©. Elles Ă©taient un acte de mĂ©moire, une façon de faire son deuil, mais aussi un marqueur social. Pouvoir s'offrir une telle photographie Ă©tait un signe de statut, et ces images trĂŽnaient fiĂšrement dans les salons, glissaient dans des albums ou envoyaient Ă  des proches. Dans les foyers modestes, c'Ă©tait souvent la seule photo jamais prise d'un ĂȘtre cher, un lĂšgue inestimable. Mais la photographie post-mortem ne se limitait pas aux familles. Elle trouvait aussi une utilitĂ© dans le domaine judiciaire. A la fin du XIXe siĂšcle, on photographiait les corps pour identifier des victimes ou analyser des crimes. Par exemple, dans l'affaire de Jack l'Ă©ventreur, les photos des victimes ont servi Ă  Ă©tudier les mĂ©thodes du tueur, offrant un tĂ©moignage brut de cette Ă©poque trouble. Si vous ĂȘtes curieux de voir ces images, je vous recommande le compte Instagram victorianephotography1800, le lien sera dans la description. Ce compte archive des photos de l'Ă©poque victorienne, des instants de vie comme des portraits post-mortem. En les numĂ©risant, il prĂ©serve une mĂ©moire collective fascinante oĂč chaque clichĂ© raconte une histoire, un visage, un moment. Si l'Ă©poque victorienne vous intrigue, allez-y jeter un oeil, c'est une plongĂ©e dans le passĂ©. En prĂ©parant cet Ă©pisode, j'ai fait une dĂ©couverte qui m'a marquĂ©e. Et c'est ça la magie de ce podcast, on apprend tout le temps. Saviez-vous que Victor Hugo, l'immense Ă©crivain, a lui aussi Ă©tĂ© photographiĂ© sur son lit de mort ? Cette image capture un moment chargĂ© d'histoire, mais avant de vous parler de l'histoire de cette photo iconique, je voudrais vous parler du droit Ă  l'image. Parce que oui, au final, est-ce que c'Ă©tait lĂ©gal de prendre des photos des morts et de les diffuser Ă  l'Ă©poque ? Partons ensemble dans le Paris de 1858. La grande tragĂ©dienne Mademoiselle Rachel, de son vrai nom... Elisabeth Rachel FĂ©lix vient de s'Ă©teindre. Ses performances enflammĂ©es ont captivĂ© les scĂšnes europĂ©ennes et sa mort marque la fin d'une icĂŽne. Comme le veut la coutume pour une figure de son rang, son lit de mort est photographiĂ©. Une image intime, solennelle, censĂ©e rester dans le cadre privĂ©. Mais l'une de ses photos tombe entre les mains de FrĂ©dĂ©rique O'Connell, une peintre parisienne en vogue. FascinĂ©e, elle en tire un dessin au fusain qu'elle publie dans la presse. Ce qui suit, c'est une tempĂȘte. La famille de Rachel est scandalisĂ©e. Faire circuler l'image de leurs proches dans un moment aussi vulnĂ©rable est pour eux une atteinte Ă  sa dignitĂ©. Ils saisissent les tribunaux et la dĂ©cision rendue, elle est historique. Nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire ou livrer Ă  la publicitĂ© les traits d'une personne sur son lit de mort. Ce jugement marque un tournant. Il pose les bases du droit Ă  l'image en France, un principe qui commence Ă  encadrer la vie privĂ©e et le respect des dĂ©funts. Cette affaire, elle rĂ©vĂšle que la photographie post-mortem, au-delĂ  de son rĂŽle de mĂ©moire, soulĂšve des questions Ă©thiques profondes. Ces images, chargĂ©es d'Ă©motions, ne sont pas de simples souvenirs. Elles touchent Ă  l'intimitĂ©, au consentement. Ă  la dignitĂ©. A l'Ă©poque, la mort est publique, ritualisĂ©e, mais cette affaire montre que des limites Ă©mergent. Ce principe du droit Ă  l'image, ancrĂ© dans l'article 9 du Code civil, fait partie des droits de la personnalitĂ©. Mais il y a un hic. Ce droit s'Ă©teint avec la mort, car la personnalitĂ© juridique disparaĂźt. Longtemps, les plaintes pour atteinte Ă  l'image post-mortem concernaient surtout des cĂ©lĂ©britĂ©s, comme par exemple Mlle Rachel. Les familles des anonymes avaient peu de recours. Pourtant, le regard sur ce droit Ă©volue. Prenons un exemple marquant. En 2015, aprĂšs la tragĂ©die du Bataclan, une photo d'une victime est publiĂ©e par le magazine VSD, prise par une photographe d'une agence de presse amĂ©ricaine. La famille, bouleversĂ©e, porte plainte pour « atteinte Ă  la dignitĂ© de la victime » . En appel, le magazine est condamnĂ© Ă  verser 26 000 euros Ă  la famille. Ce cas montre qu'il y a une Ă©volution. MĂȘme les non-cĂ©lĂ©britĂ©s peuvent dĂ©sormais obtenir rĂ©paration. Et c'est pas tout. Le 18 janvier 2024, le Conseil constitutionnel rend un arrĂȘt historique. Pour la premiĂšre fois, il consacre l'extension de la dignitĂ© humaine aprĂšs la mort. Ce principe, liĂ© au droit Ă  l'image, redĂ©finit la protection post-mortem. DĂ©sormais, la mĂ©moire des dĂ©funts, cĂ©lĂšbre ou non, est mieux protĂ©gĂ©e. Mais cette Ă©volution soulĂšve une question. Dans un monde oĂč les images circulent Ă  une vitesse fulgurante, comment prĂ©server la dignitĂ© des dĂ©funts ? Ces photos, qu'elles soient prises en 1858 ou en 2015, nous rappellent que derriĂšre chaque image, il y a une histoire, il y a une famille, une mĂ©moire et c'est Ă  nous de dĂ©cider comment les honorer. Mais revenons Ă  notre Ă©poque victorienne. Nous sommes le 22 mai 1885 Ă  Paris. Un message urgent parvient Ă  FĂ©lix Nadar, le photographe lĂ©gendaire. Victor Hugo est mort. L'Ă©crivain, poĂšte et dramaturge, gĂ©ant de la littĂ©rature française, s'est Ă©teint Ă  83 ans. Nadar prend son appareil et se rend au chevet de son ami. Dans le silence d'une chambre baignĂ©e de lumiĂšre douce, il capture le dernier portrait de Victor Hugo. Une image solennelle, presque sacrĂ©e. qui semble clore un siĂšcle de littĂ©rature. Nadar n'est pas un simple photographe. C'est une rockstar de la photo Ă  son Ă©poque. Il a immortalisĂ© les visages qui ont marquĂ© le XIXe siĂšcle. Baudelaire, Sarah Bernard ou Georges Sand. Il a mĂȘme osĂ© prendre des clichĂ©s depuis une montgolfiĂšre, une prouesse qui, Ă  l'Ă©poque, fait l'effet d'un exploit digne d'un roman de Jules Verne. Avec Hugo, Nadar ne se contente pas de photographier un corps. Il compose une Ɠuvre. Le visage de l'Ă©crivain, saisi de profil, est serein, presque intemporel. baignĂ© d'une lumiĂšre qu'il maĂźtrise comme personne. Les ombres et les contours semblent murmurer une dignitĂ© profonde, presque surnaturelle. Cette photographie n'est pas qu'un portrait post-mortem. C'est un hommage, un acte chargĂ© de sens. L'image est rapidement diffusĂ©e, reproduite dans la presse, gravĂ©e, vendue comme une relique. Elle devient l'emblĂšme d'un deuil national, un symbole consenti par la famille et la sociĂ©tĂ©. Contrairement aux affaires qui ont secouĂ© l'Ă©poque, comme celle de Mademoiselle Rachel, cette photo n'est pas une intrusion. Elle est un geste public, presque politique, destinĂ© Ă  graver l'hĂ©ritage de Victor Hugo dans la mĂ©moire collective. Et si on remonte le temps jusqu'Ă  aujourd'hui, est-ce que la photographie post-mortem, si courante Ă  l'Ă©poque victorienne, a vraiment disparu ? Pas tout Ă  fait. Elle a simplement changĂ© de visage, Ă©voluant dans l'ombre des tabous modernes. MystĂ©rieuse, hein, cette phrase ? Dans certaines cultures, comme au Mexique ou en IndonĂ©sie, photographier les dĂ©funts reste une pratique vivante, intĂ©grĂ©e au rituel funĂ©raire. Les familles ou les professionnels des pompes funĂšbres capturent ces images pour honorer la mĂ©moire, pour ancrer un dernier souvenir. En Occident, c'est plus discret, presque secret. Dans les hĂŽpitaux ou les hospices, on photographie parfois des nourrissons mornĂ©s avec une infinie dĂ©licatesse pour offrir aux parents un souvenir tangible d'une vie trop brĂšve. Ces images, loin d'ĂȘtre morbides, sont une maniĂšre d'accepter l'inacceptable, de reconnaĂźtre une existence mĂȘme Ă©phĂ©mĂšre. C'est Aous Merakchi, dans son podcast Mortel en 2019, qui a brisĂ© le silence sur ce sujet. Elle parle d'un club, d'un club secret, presque clandestin. Celui des gens qui photographient leurs proches dĂ©funts. Des gens comme vous, comme moi, qui ressentent ce besoin intime de garder une trace. Et j'en fais partie. Et vous ? Quoi ? Y'a rien de honteux Ă  prendre sur des fins en photo ? Oui, j'ai photographiĂ© ma mĂšre dans son cercueil en 2013. Est-ce que je regrette ? Non. Est-ce que je regarde cette photo ? Parfois. Est-ce que cette photo trĂŽne dans un cadre dans mon salon Ă  la vue de tous ? Je suis certaine que vous pensez que oui. Bah non ! La photo, elle est dans son Ă©tui dans un carnet, et ce carnet il est dans mon salon. Mais Ă  dire vrai, ça ne me rend pas triste. Je la regarde et je me dis « ok » et je la repose. Et puis, maintenant, avec le recul et mon mĂ©tier de conseiller funĂ©raire, je remarque les petits dĂ©tails et je sais vous dire quand la photo a Ă©tĂ© prise juste en regardant ma maman. Sur le moment, je me suis dit « allez, tu ne la reverras plus jamais, immortalise ce moment. Elle est belle, elle a l'air endormie. » Et puis, je me suis dit « ma mamie en voudra peut-ĂȘtre. » Et est-ce que ma mamie en a voulu ? Oui. Et puis, ma grand-mĂšre fait aussi partie de ce club. Elle Ă©tait mĂȘme la premiĂšre. En 2005, lors du dĂ©cĂšs de mon grand-pĂšre, juste avant la fermeture de cercueil, j'ai vu ma grand-mĂšre dĂ©gainer un appareil photo jetable. Et elle m'a demandĂ© de prendre une photo de mon papy. Sur le moment, j'Ă©tais mal Ă  l'aise. Mais pour ma grand-mĂšre, ça avait l'air naturel. Elle voulait un dernier souvenir, une image de celui qu'elle avait aimĂ©. Et plus tard, quand j'ai photographiĂ© ma mĂšre, j'ai compris. A l'Ă©poque, on dĂ©veloppait encore des photos manuellement. Et je suis dĂ©solĂ©e pour cette personne qui a vu mon grand-pĂšre dans son cercueil. Malaiiiiise ! Ce club, il est tabou. On n'en parle pas, par peur du jugement, parce que la mort, aujourd'hui, on la cache. Exit les photos exposĂ©es fiĂšrement au XIXe siĂšcle. Aujourd'hui, elles dorment dans des tiroirs, dans des carnets, des tĂ©lĂ©phones. Mais pourquoi avoir honte ? Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est humain. C'est un au revoir, une façon de rendre la mort rĂ©elle, de dire « t'as existĂ© » . Pour certains, c'est apaisant, thĂ©rapeutique mĂȘme, comme le disent les psychologues. Pour d'autres, ça peut sembler morbide, voyeuriste. Mais vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que vous prendriez une photo d'un proche dĂ©cĂ©dĂ© ? Ou est-ce que ça vous mettrait mal Ă  l'aise ? Mais pourtant, il y a une curiositĂ© parfois qu'on n'ose pas avouer. Pourquoi ces images nous attirent-elles ? Est-ce qu'on cherche Ă  apprivoiser la mort, Ă  dĂ©fier ce tabou qui nous pousse Ă  la dissimuler ? Les photographes funĂ©raires comme Lisa Holloway, aux Etats-Unis, l'ont bien compris. Ils se spĂ©cialisent dans les portraits post-mortem, rĂ©alisĂ©s avec respect, pour offrir aux familles un souvenir digne. Mais en France, c'est rare, presque inavouable. Alors, ce club secret, il existe, dans l'ombre. dans nos tiroirs, dans nos cƓurs. Et si justement on osait en parler ? Et puis, fermez les yeux. Oui, oui, fermez les yeux. Imaginez un instant, un monde oĂč parler de la mort n'est plus un tabou, oĂč les images de nos dĂ©funts ne sont plus cachĂ©es dans des tiroirs, mais cĂ©lĂ©brĂ©es comme des actes de mĂ©moire. Ce monde, certains artistes contemporains le construisent dĂ©jĂ . Ils osent regarder la mort en face, et leurs Ɠuvres nous invitent Ă  faire de mĂȘme. Prenez HervĂ© Bonner, par exemple. Dans son livre Postume, il a rassemblĂ© une centaine de clichĂ©s de dĂ©funts et d'objets funĂ©raires, des images qui capturent l'intimitĂ© et la solennitĂ© de l'aprĂšs-vie. Ou encore, par exemple, l'exposition Les Immortels, photographie de l'aprĂšs-vie, 1850-1950, qui s'est tenue en novembre 2024 Ă  Paris. Ces initiatives plongent dans l'histoire mĂ©connue de la photographie post-mortem, rĂ©vĂ©lant sa beautĂ© et sa profondeur. Mais l'art ne s'arrĂȘte pas au passĂ©. Aujourd'hui, des projets contemporains explorent la mort sous toutes ses facettes. Certains documentent les rituels funĂ©raires, d'autres capturent les derniers instants d'un corps ou interrogent l'absence, la trace laissĂ©e derriĂšre. Un projet m'a particuliĂšrement touchĂ©e, celui de Sophie Kahl, artiste française, dans son Ɠuvre Pas pu saisir la mort, en 2007. Elle filme les derniers instants de sa mĂšre, non pas pour choquer, mais pour saisir la fragilitĂ© de ce passage. Avec des vidĂ©os, des photos et des textes, elle pose une question essentielle. Que signifie voir quelqu'un partir ? Ce n'est pas une photo post-mortem au sens classique, mais c'est l'hĂ©ritier direct de cette tradition. Utilisez l'art. pour apprivoiser la mort. Ces projets, c'est comme des ponts entre l'Ă©poque victorienne, oĂč les photos post-mortem Ă©taient des trĂ©sors exposĂ©s avec fiertĂ©, et notre Ă©poque, oĂč la mort est souvent effacĂ©e, relĂ©guĂ©e Ă  l'ombre. Les artistes d'aujourd'hui nous demandent qu'est-ce qu'on fait de la mort dans un monde qui la fuit ? Une image peut-elle nous aider Ă  accepter, Ă  comprendre ou simplement Ă  ne pas oublier ? Et puis, j'ai envie de vous parler d'un projet fou, beau et nĂ©cessaire que je soutiens Ă  1000% tellement il fait sens dans ce monde oĂč on oublie que la mort, au-delĂ  de l'absence, c'est d'abord un corps sans vie. C'est celui de Wanda Spengler, une artiste suisse qui veut redonner une place Ă  nos morts et avec qui j'ai eu la chance d'Ă©changer. Wanda, elle a grandi dans une famille oĂč les mots et la transgression Ă©taient rois, bercĂ©e par l'hĂ©ritage de sa grand-mĂšre, la romanciĂšre fĂ©ministe RĂ©gine Deforge. PassionnĂ©e de cinĂ©ma, Wanda a d'abord explorĂ© l'autoportrait, avant de se tourner vers les corps dans leur vĂ©ritĂ© brute, dĂ©sĂ©quilibrĂ©e. Son combat, c'est mettre en lumiĂšre la diversitĂ© des corps et des expĂ©riences, y compris celle de la mort. L'idĂ©e de son projet est nĂ©e il y a un an, lors de sa visite Ă  l'exposition « Et nos morts, la photographie post-mortem aujourd'hui en Europe » Ă  la Maison de la Photographie Robert Douanou. LĂ , elle dĂ©cide de crĂ©er une sĂ©rie de photos post-mortem, un projet Ă  la fois artistique et documentaire, ancrĂ© dans le respect des dĂ©funts et de leur famille. Mais la route est semĂ©e d'embĂ»ches. Vanda frappe Ă  toutes les portes. Pompes funĂšbre, coopĂ©rative funĂ©raire, thanatopracteur, association. Peu rĂ©pondent. Pourquoi ? Parce que ce sujet fait peur. MĂȘme chez les professionnels, oĂč la dĂ©ontologie et l'Ă©thique sont pourtant claires, l'idĂ©e d'un tel projet dĂ©range tant sur le plan humain que juridique. Et pourtant, Wanda persĂ©vĂšre. Elle sait que son projet n'est ni voyeuriste, ni irrespectueux. Il s'agit de rendre visible ce que notre sociĂ©tĂ© cache. La mort, c'est d'abord un corps, une rĂ©alitĂ© qu'on ne peut ignorer. C'est se rappeler que nous aussi on va mourir, et oh lĂ  lĂ  non, n'en parlons pas. Mais moi ce qui me fout en l'air, et je vais parler vrai, ce qui me fout en l'air c'est l'hypocrisie. On s'offusque d'un projet comme celui de Wanda, on sort des arguments Ă©motifs comme « et si c'Ă©tait ton fils sur ces photos ? » Mais ces mĂȘmes personnes, elles n'hĂ©sitent pas Ă  consommer des images et des vidĂ©os de corps... anonyme laissĂ© pour mort dans des conflits mondiaux, comme si ces villas valaient moins. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Pourquoi nos morts seraient-ils plus sacrĂ©s que ceux des autres ? VoilĂ , c'est dit. Je pense que c'est important de rĂ©flĂ©chir Ă  ça. Alors, comment soutenir Vanda ? Eh bien, c'est simple. Parlons-en. Partageons son projet autour de nous. Vanda cherche des familles prĂȘtes Ă  participer, Ă  intĂ©grer leur funĂ©rail dans ce projet vivant, humain. Elle veut aussi des tĂ©moignages de personnes endeuillĂ©es ou en fin de vie. Alors, mon aide... C'est cet appel Ă  participation, ici, dans ce podcast. Vous trouverez tous les liens pour contacter Vanda dans la description de cet Ă©pisode. Ensemble, faisons tomber les tabous. Donnons Ă  la mort et Ă  nos morts la place qu'ils mĂ©ritent. Prendre une photo d'un dĂ©funt, c'est arrĂȘter le temps. C'est dire, je t'ai vu partir, mais tu resteras toujours. Alors, osons regarder, osons se souvenir, parce que dans chaque image, il y a un bout de nous, un bout d'humanitĂ© qui refuse de disparaĂźtre. Merci d'avoir Ă©coutĂ© cet Ă©pisode de Beyond the Veil. Vous pouvez retrouver les liens et ressources citĂ©es dans la description. L'Ă©pisode vous a plu ? Laissez votre avis en commentaire sur Spotify ou Apple Podcasts et partagez-le Ă  une personne de votre entourage intĂ©ressĂ©e par le sujet. Et puis, si ce sujet vous touche ou si vous avez une histoire Ă  partager, ou encore mieux, c'est cette partie du club, Ă©crivez-moi sur Instagram, je serai ravie de vous lire.

Chapters

  • L'art de photographie post-mortem Ă  l'Ă©poque Victorienne

    00:00

  • L'affaire Mademoiselle Rachel ou le droit Ă  l'image posthume

    04:14

  • Nadar et la photographie posthume de Victor Hugo

    07:00

  • La photographie post-mortem aujourd’hui

    08:33

  • Refuser l'oubli

    16:10

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