Speaker #0Hello, c'est Elise, bienvenue dans un nouvel épisode de Biocénose. En cette année 2025, le thème de la fête de la science est « intelligence » avec un S. Et je me suis dit que ça faisait bien trop longtemps que vous n'aviez pas entendu parler de pollinisateurs. Si si, je vous assure. Allez, faites-moi confiance. Enfilez vos bottes virtuelles. Et laissez-moi vous faire découvrir une partie du génie des bourdons. En France hexagonale, on compte pas moins de 46 espèces de bourdons, et toutes sont sociales. Si seule la reine se reproduit, elle met aussi la main à la pâte pour assurer la cohésion, la sécurité, la santé et le développement de la colonie aux côtés des ouvrières. Quant aux mâles, ils n'apparaissent qu'à la fin de la saison et en même temps que les princesses. Ils n'ont pas de rôle dans la colonie et quittent le nid quelques jours après leur émergence pour s'accoupler. Les ouvrières, elles, sont responsables de la collecte des ressources, à savoir le pollen pour nourrir les larves et le nectar pour les adultes. La plupart des espèces de bourdons sont généralistes, c'est-à-dire qu'elles vont aller visiter une très grande diversité de fleurs. Ce qui veut dire une diversité de couleurs, d'odeurs, de formes, de qualités, de quantités, mais aussi une diversité de cachettes pour le pollen et le nectar. Donc, dans cette situation, il y a deux stratégies. Soit on y va au petit bonheur la chance et on ramène ce qu'on peut au nid, soit on apprend à reconnaître et à manipuler toutes les fleurs et on choisit les meilleures en fonction des expériences passées. Mais bon, quand on est un insecte, entre 1 et 3 cm, Sans cerveau, c'est probablement plus de la chance, non ? En écologie comportementale, il n'est pas rare d'étudier les capacités d'apprentissage et d'innovation des individus grâce à des expériences de résolution de problèmes. Ces dernières ont lieu en laboratoire ou à minima en conditions contrôlées. Pour ce faire, les chercheurs développent des casse-têtes ou des labyrinthes qui, une fois résolus, permettent d'obtenir une récompense alimentaire. Chez les bourdons, par exemple, on utilise de l'eau sucrée qui s'approche du nectar. En 2014, une équipe canadienne a étudié en laboratoire la capacité des bourdons fébriles à manipuler des fleurs artificielles de plus en plus complexes. Pour les plus simples, il suffisait de faire glisser un capuchon vers la droite ou vers la gauche, ou de le soulever. Pour les suivantes, le côté droit ou le côté gauche étaient bloqués. Et enfin, pour la plus difficile, il fallait obligatoirement soulever le capuchon. Résultat ? Tous les bourdons testés ont réussi à atteindre l'eau sucrée à chaque niveau de complexité. Mais quand les chercheurs ont placé des bourdons débutants face à la fleur la plus difficile, seuls 4 sur les 14 ont réussi. Sans compter qu'il leur a fallu en moyenne plus de 7 minutes pour y arriver. Alors que ceux qui y sont allés progressivement mettaient à peine plus de 30 secondes. Alors oui, les fleurs à capuchon, ça court pas les prés. Mais cette expérience, elle montre que les bourdons peuvent mobiliser leur capacité d'apprentissage pour résoudre des problèmes complexes. Et cette résolution, elle dépasse largement le cadre de la chance ou de l'inné. Donc on peut supposer, sans trop se tromper, que cela peut aussi s'appliquer aux fleurs qu'ils visitent. Quelques années plus tard, une équipe de l'université Queen Marie de Londres a décidé de pousser le jeu un poil plus loin. Est-ce qu'on pourrait pas accélérer un peu ce processus d'apprentissage ? Qu'est-ce qu'il se passerait si on mettait en contact des bourdons expérimentés avec des bourdons débutants ? Après tout, ce sont des insectes sociaux. Alors pour tester leur hypothèse, ils ont développé un casse-tête en deux étapes. Et deux étapes, c'est les auteurs qui le disent. Parce que le bourdon doit pousser une porte bleue pour pouvoir passer ensuite sous un bras pour arriver à une porte rouge qui va devoir... poussé pour déplacer une cavité et ainsi enfin accéder à la solution sucrée. Le fort boyard du bourdon quoi. Sans surprise, quand ils ont laissé les bourdons terrestres débutants en présence du casse-tête, aucun n'a réussi à le résoudre. Du coup, ils ont tout décomposé et ils ont appris aux bourdons à le résoudre étape par étape. A noter que dans l'article, ils précisent qu'ils ont un peu galéré à faire apprendre la résolution pas à pas aux bourdons. Ils ont notamment dû augmenter les récompenses pour les dernières étapes parce que les Bourdons manquaient de motivation. Sans deck ! C'est surprenant, dis donc ! Ensuite, ils ont fait 15 paires de Bourdons, avec à chaque fois un Bourdon débutant et un Bourdon expérimenté, et ils les ont mis en présence du casse-tête. Eh bien, il y a un tiers des bourdons débutants qui ont réussi le casse-tête après avoir observé le plus expérimenté le faire. Trois dès leur première tentative et deux à leur troisième essai, et tout ça sans aucune récompense intermédiaire. C'est juste titanesque en fait. Je sais pas si vous réalisez, mais les chercheurs, ils ont galéré à apprendre la résolution du casse-tête aux bourdons. Ça leur prenait deux jours entiers par bourdon. l'apprentissage social en copiant le bourdon expérimenté, était si rapide et efficace qu'il y a certaines pertes de l'expérience où le bourdon maître du fort, il n'a pas été entraîné par les chercheurs. Non, non, non. Il a commencé à apprendre en copiant son voisin. Ensuite, il a été récupéré par les chercheurs qui l'ont remis dans le casse-tête pas à pas histoire de renforcer un peu tout ça et bim, en deux, trois mouvements, il est passé de débutant à expert. Je ne veux pas faire de comparaison douteuse. Mais nous, à côté, ça fait 35 ans que Fort Boyard passe à la télévision, et on galère toujours autant. Attendez, je peux pas rouler, les pelus sont dégonflés ! Bref, cette capacité à résoudre des casse-têtes, plus farfelues les uns que les autres, c'est pas juste pour le plaisir des scientifiques. Ça met en évidence l'incroyable capacité d'apprentissage qu'ont les bourdons, et ça nous donne une idée du niveau de précision dont ils peuvent faire preuve pour visiter les fleurs les plus complexes. Qui a mis cette musique ? Alors, je vois pas du tout pourquoi on a le droit à ça, je... Ok ! D'accord ! D'accord ! D'accord ! Il se peut que cette merveilleuse capacité à résoudre les problèmes ne soit pas toujours utilisée à bon escient. Il arrive que parfois, bien entendu, parfois, les bourdons, comment dire ça... volent le nectar, voilà. En fait, ils percent la fleur à la base, là où il y a le nectar. Ils le récupèrent, et ce, sans rentrer dans la fleur. Ça peut être des fleurs qui sont incompatibles avec la morphologie du bourdon. Ça peut être aussi des fleurs qu'ils pourraient manipuler sans difficulté, avec un petit peu de patience, de soin et de délicatesse. Mais non ! Les chercheurs pensent qu'en y allant comme un gros bourrin, cela serait plus simple pour le bourdon, voire plus efficace, car il pourrait dans certains cas récupérer plus de nectar que par les voies officielles. Et autant vous dire que le bourdon ne déçoit pas. L'apprentissage social du vol de nectar fonctionne du tonnerre ! Une étude a montré que lorsqu'un bourdon découvre une fleur déjà percée et qu'il s'y sert, il est plus enclin à jouer les perces fleurs par la suite. Bon, là on parle de fleurs, mais ils attaquent aussi les feuilles ! Il a été montré qu'en période de disette de pollen, les ouvrières utilisent leurs mandibules pour faire des trous dans les feuilles des plantes qui n'ont pas encore fleuri. On parle des feuilles des plantes qui n'ont pas de fleurs ! Quel est l'intérêt ? Eh bien figurez-vous qu'on a découvert que les plants de moutarde noire qui ont été attaqués par les bourdons fleurissent deux semaines plus tôt qu'attendu. Et concernant les plants de tomates, c'est carrément un mois. À ce niveau-là, c'est soit de la folie, soit du génie. J'aimerais beaucoup pouvoir vous expliquer le pourquoi du comment, mais les recherches sont toujours en cours et on n'a pas encore de réponse. J'espère que ce sujet vous a autant passionné que moi. La prochaine fois que vous verrez un insecte aussi discret qu'un hélicoptère approcher une fleur, avec un corps aussi dodu que poilu et recouvert de pollen, vous réfléchirez à deux fois avant de vous dire « Oh ! » Il n'a pas l'air très fut-fut celui-ci. Pour la petite histoire, les comportements que je vous ai présentés aujourd'hui, je les ai découverts pendant ma thèse. Cependant, je n'avais pas pu ajouter ces études à mon modèle. Je suis donc très heureuse d'avoir pu en parler aujourd'hui. Si vous voulez aller plus loin sur le sujet, comme d'habitude, toutes mes sources sont dans les notes de cet épisode. Si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à soutenir Biocénose en le partageant autour de vous ou en me laissant un petit mot sur votre application de podcast. Vous pouvez également me retrouver sur Linkedin où je partage mes péripéties d'enseignante-chercheuse. Nous, on se donne rendez-vous très bientôt pour une nouvelle balade dans les coulisses de la recherche en écologie. D'ici là, si vous avez deux petites minutes dans votre journée, arrêtez-vous, ouvrez les yeux, ouvrez les oreilles et observez la diversité d'êtres vivants qui vous entourent. A bientôt !