Speaker #0Les bourgeoises de Pont-l'Évêque envièrent à Madame Aubin sa servante. Félicité. Ce jour-là, il lui advint un grand bonheur. Au moment du dîner, le nègre de Madame de Larsonnière se présenta, tenant le perroquet dans sa cage, avec le bâton, la chaîne et le cadenas. Un billet de la baronne annonçait à Madame Aubin que, son mari étant élevé à une préfecture, il partait le soir, et elle la priait d'accepter cet oiseau comme un souvenir et un témoignage de ses respects. Il occupait depuis longtemps l'imagination de Félicité. Il s'appelait Loulou et son corps était vert, le bout de ses ailes roses, son front bleu et sa gorge dorée. Madame Aubin, qui l'ennuyait, le donna pour toujours à féliciter. Elle entreprit de l'instruire. Bientôt, il répéta. Charmant garçon, serviteur monsieur, je vous salue Marie. Il était toujours auprès de la porte, dans l'angle du perron. Plusieurs s'étonnaient qu'il ne répondit pas au nom de Jaco, puisque tous les perroquets s'appellent Jaco. On le comparait à une dinde, à une bûche, autant de coups de poignard pour féliciter. Loulou, dans son isolement, était presque un fils, un amoureux. Il escaladait ses doigts, mordiait ses lèvres, se cramponnait à son fichu, et comme elle penchait son front en branlant la tête à la manière des nourrices, les grandes ailes du bonnet et les ailes de l'oiseau frémissaient ensemble. Un matin du terrible hiver 1837, qu'elle l'avait mis devant la cheminée à cause du froid, Elle le trouva mort au milieu de sa cage, la tête en bas et les ongles dans les fils de fer. Elle pleura tellement que sa maîtresse lui dit Eh bien, faites-le empailler ! Un certain Félaché se chargea de cette besogne. Mais, comme la diligence égarait parfois les colis, elle résolut de le porter elle-même jusqu'à en fleurs. Félaché garda longtemps le perroquet. C'était à croire que jamais Loulou ne reviendrait. Ils me l'auront volé ! pensait-elle. Enfin, il arriva. Et splendide, droit sur une branche d'arbre qui se vissait dans un socle d'acajou, une patte en l'air, la tête oblique et mordant une noix que l'empayeur par amour du grandiose avait dorée. Elle l'enferma dans sa chambre. Ne communiquant avec personne, elle vivait dans une torpeur de somnambule. À l'église, elle contemplait toujours le Saint-Esprit et observa qu'il avait quelque chose du perroquet. Sa ressemblance lui parut encore plus manifeste sur une image d'épinal, représentant le baptême de Notre Seigneur. Avec ses ailes de pourpre et son corps d'émeraude, c'était vraiment le portrait de Loulou. L'ayant acheté, elle le suspendit à la place du comte d'Artois, de sorte que, du même coup d'œil, elle les voyait ensemble. Ils s'associèrent dans sa pensée, le perroquet se trouvant sanctifié par ce rapport avec le Saint-Esprit, qui devenait plus vivant à ses yeux et intelligible. Chaque matin, en s'éveillant, elle l'apercevait à la clarté de l'aube, et se rappelait alors les jours disparus, et d'insignifiantes actions jusqu'à leur moindre détail, sans douleur, pleines de tranquillité. Un cœur simple, Gustave Flaubert. Gustave mène une enfance sans joie, dans l'ombre d'un frère aîné, brillant et admiré de toute la famille. Les femmes marqueront un tournant dans le destin de ce jeune bourgeois de la banlieue de Rouen. D'abord, il eut sa sœur cadette, Caroline, dont la naissance chassa les nuages tristes de Gustave à la maison. Il eut encore Madame Julie, servante dévouée de ses parents, qui inspirera cette touchante félicité, amoureuse de son perroquet, dans un cœur simple que vous venez d'entendre. Puis il eut Elisa, Elisa Schlesinger, qui l'éma d'une passion durable. et sans retour. Et puis, si je pouvais, je vous parlerais encore de sa nièce adorée, fille de sa sœur Caroline, de son amante, Louise Collet, ou encore de Georges Sand, avec qui il entretint une correspondance fournie jusqu'à la mort de l'autrice. Mais par manque de temps, je vous renvoie vers l'une de ses œuvres, celle que vous voulez. Elle parle tout un peu des femmes de la vie de Gustave. Monsieur Flaubert, joyeux anniversaire.