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Caribbean Lifestyle

A propos de l’identité antillaise avec Matthieu Gama

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32min |13/04/2025
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A propos de l’identité antillaise avec Matthieu Gama

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32min |13/04/2025
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Description

Comment peut-on définir l’identité antillaise ?

Il n’y aura sans doute jamais une réponse précise à cette question, car la réponse sera sans doute différente d’un antillais à l’autre. Au cours d’un échange avec Matthieu Gama, auteur des essais Le jour où les Antilles feront peuples et Se penser peuple des Antilles, nous tentons de comprendre comment peut-on définir et s’approprier son identité, qu’est-ce qui pourrait la caractériser et quelles sont ses composantes.




Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'identité pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu, il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être un processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser.

  • Speaker #1

    Bonjour Mathieu et bienvenue sur Caribbean Lifestyle Podcast.

  • Speaker #0

    Bonjour Anaïs et merci de m'accueillir.

  • Speaker #1

    Merci à toi d'avoir accepté mon invitation. Alors Mathieu, tu es l'auteur de deux essais qui ont connu un certain succès. A leurs sortis, Le jour où les Antilles feront peuple et Se penser peuple des Antilles. Deux ouvrages qui s'adressent directement aux populations antillaises. Sans doute aussi à la population guyanaise mais... pas qu'à ces deux populations, peut-être aussi plus largement au monde. Deux ouvrages au carrefour de l'histoire, la sociologie, la psychologie et la spiritualité. Dans ces deux ouvrages, tu nous invites à réfléchir sur la façon dont on fait peuple en éveillant la conscience antillaise, un terme que je crois que tu as créé, et à réaliser la prophétie des peuples colonisés. Une expression aussi qui vient de toi. Et nous reviendrons aussi plus tard sur ces deux expressions. Mais tout d'abord, est-ce que tu peux nous expliquer comment t'es venue l'idée, l'envie ou la vocation d'écrire ces deux essais ?

  • Speaker #0

    Je te remercie de me poser ces questions. Elles ne m'ont pas encore été posées. J'ai déjà fait beaucoup de podcasts et d'émissions. Et c'est la première fois que c'est formulé de la sorte. Donc, je te remercie Anaïs. de venir me chercher sur des terres pour moi inconnues. L'envie d'écrire, c'est un élan du cœur, je pense, avant toute chose. Est-ce que c'est une vocation, je ne sais pas, je le saurais à la fin de ma vie terrestre, je pourrais te répondre et te dire, ok, c'était vraiment ça, j'étais né pour faire ça. L'essentiel pour moi est de... d'interroger les générations présentes, les plus anciennes comme les plus jeunes, un peu comme le suggère Frantz Fanon, chaque génération doit accomplir ou trahir sa mission, et j'ai envie que les générations qui me sont contemporaines se posent... la question de notre ambition de construire notre vivre ensemble au quotidien en fait. Donc voilà, je suis motivé par ça. Ça me parle. Est-ce que c'est une mission ? Ça aussi. Tu vois, on met beaucoup de choses derrière ces termes-là. Vocation, mission. On me dit souvent que j'ai un discours prophétique et je n'aime pas trop l'idée d'être un guide ou d'être un mentor ou d'être un gourou. Et c'est pour ça que je laisse beaucoup la place à la réflexion personnelle du lecteur ou de la lectrice à mes écrits. Et l'histoire dira si les questions que j'ai posées étaient des questions opportunes et surtout si elles ont éveillé chez eux cette prise de conscience, si elles ont créé un élan qui puisse nous permettre d'avancer, à mon sens, en lumière vers ce qu'on a envie de devenir.

  • Speaker #1

    C'est vrai. Je partage aussi l'idée que ... ce que j'ai apprécié, en fait, dans les deux ouvrages que j'ai lus, je crois, deux fois chacun, ou un peu plus, c'est qu'en fait, la façon dont c'est écrit laisse le lecteur à se poser lui-même des questions. Il n'y a pas de... enfin, ce n'est pas quelque chose qui donne une recette toute faite, un mode d'emploi, et c'est super intéressant et inspirant parce qu'en fait, j'ai envie de dire, mais les gens qui écrivent les auteurs, qui sont-ils pour donner un mode d'emploi sur un fonctionnement ? pour penser son identité. Et en plus, l'identité, c'est quelque chose, je pense qui se ressent plus que qui peut être défini théoriquement comme une doctrine, je ne sais pas, dans un livre.

  • Speaker #0

    L'identité, pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu... il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être le processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser aussi. C'est très occidental de venir avec des modes d'emploi et de dire, il n'y a qu'à faire. Voilà, l'identité antillaise, c'est ça. J'aurais pu essayer ce truc-là, mais je me serais trahi, en fait. Parce que tout mon discours tient du fait que l'intelligence collective est nécessaire pour la construction de quelque chose qui nous dépasse. Donc si j'arrive avec un mode d'emploi, je vais éliminer tous les gens qui soit ne suivent pas ce mode d'emploi, soit n'y croient pas, soit ils sont un peu réfractaire. Et moi j'ai envie dans ma démarche de ne laisser personne au bord du chemin. Je parle de peuple. Donc c'est une notion noire, c'est même une notion, dans la bouche, une notion philosophique, plus que l'histoire d'un territoire, une population, une langue commune, une culture, une religion. Pour moi ça va beaucoup plus loin que ça, c'est plus important que ça, c'est plus haut que ça, c'est plus spirituel d'ailleurs que ça. Et donc il me fallait trouver une méthode qui engage ceux qui ont envie d'être engagés, à la réflexion. Maintenant, j'accepte sans aucun problème qu'il y ait des gens qui ne soient pas intéressés par cette réflexion-là ou qui ne partagent pas les pistes que moi je développe. Et c'est tant mieux parce qu'en fait, du dissensus, va naître quelque chose de plus riche qu'un simple phénomène d'adhésion. C'est bon. J'espère y trouver toute ma vie dans cette veille-là, pour susciter, appliquer, donner envie aux miens de s'engager, ne serait-ce que sur un débat, un déjeuner familial, sur ça, qui on est, qu'est-ce qu'on aime faire, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on a envie de faire, quels sont les freins, quelles sont les forces, quelles sont les faiblesses. comment on transmute ce qui est déjà là en quelque chose de bénéfique pour ceux qui viennent après nous, déjà.

  • Speaker #1

    C'est super intéressant. C'est d'autant plus intéressant parce que je pense aussi que la façon dont on construit son identité ou qu'on la définit soi-même, c'est vraiment à travers les expériences. Et justement, je voudrais partager une expérience. Je rigole un peu parce que la première fois où j'ai lu le livre, le premier essai, donc le jour où les Antilles feront peuple, ça m'a bouleversée. Franchement, je ne sais pas, je pense que c'était un peu comme un éveil, mais j'étais consciente de certaines choses dont le livre parlait, notamment la partie sur le côté calculateur de la colonisation. Oui, je savais un peu, mais le fait de la lire... Et en plus, quand j'ai lu aussi Se penser peuple des Antilles avec la controverse de Lynch, je crois, que je n'ai jamais lu. Je ne sais pas si un jour je vais le lire, mais le peu que j'ai lu dans le livre, je me suis dit « les gens sont fous » . Les gens sont fous. Et d'une part, c'est fascinant de voir comment le cerveau humain peut fonctionner pour qu'on ait un résultat bien précis. Mais en même temps, ça montre aussi des dérives. Pour revenir à la question identitaire, en fait, en lisant ça, je me suis éveillée entre guillemets sur deux pans, même si je pense que j'ai eu d'autres éveils avant ça. Je me suis rendu compte, un, que c'est vraiment en Guadeloupe et dans la Caraïbe que je veux vivre, construire ma vie et tout. C'est bien l'Europe, c'est bien les États-Unis, c'est bien l'Asie. Ok, je vais aller visiter. Peut-être y vivre un certain temps, mais pas toute ma vie. Et par rapport aux expériences de vie que j'ai eues, Je sens qu'il y a des choses que je dois continuer à découvrir pour mieux définir qui je suis et aussi pour pouvoir faire peuple avec mes semblables. Donc la Guadeloupe par extension, les Antilles, la Guyane, la Caraïbe. Et d'une certaine façon, je suis un peu reconnaissante d'avoir eu cette calotte lors de la lecture du premier livre.

  • Speaker #0

    Je reprends ce que tu dis parce qu'un jour, j'ai fait une présentation au Centre des Arts et il y a une jeune dame qui m'a dit, avec beaucoup de courage, devant tous les gens qui étaient là, elle m'a dit « j'ai lu votre livre, mais vous m'avez fait pleurer » . Elle m'a dit « ça a été dur » . Elle m'a dit « les premiers développements », ont été très durs et j'ai dû déposer le livre pendant trois mois. Il m'a fallu trois mois pour me remettre de ce que j'avais lu. Elle m'a dit « j'ai beaucoup aimé la suite finalement » parce qu'en fait, elle a souligné que j'apportais une ouverture qui détenait avec les développements précédents. Quand je parle du germe identitaire qui a néanti, quand je dis que les antilles sont des terres de violence historiquement, elle m'a remercié en fait. Mais elle a d'abord bien insisté sur le fait que la lecture avait été violente pour elle. Bien sûr, moi je n'écris pas dans ce sens-là, mais certaines vérités, parfois, viennent révéler des choses en nous. Et pour éveiller sa conscience, il faut justement des prises de conscience. Avant d'éveiller la conscience, il faut peut-être des prises de conscience. Et donc voilà, je m'excuse pour tous les calottes que j'ai distribué avec mon premier essai, parce que c'est fait avec aucune malveillance. Mais parfois, il faut regarder notre réalité, aussi crue soit-elle. Et tu le disais tout à l'heure, la doctrine Lynch, c'est une sacrée histoire. Et quand moi, j'ai documenté cette partie-là, je me suis dit qu'en fait, les nazis n'ont rien inventé. Il y avait l'eugénisme, le disgénisme, tu vois, c'est vraiment des mécanismes machiavéliques, mais en même temps, c'est humain. Tu disais, les gens sont fous. En fait, l'humain est parfois comme ça. L'humain n'a aucun complexe à dominer son semblable. Quand il a fini par dominer son environnement naturel, il va essayer de dominer son semblable. Et la chance et l'opportunité qu'il nous a donné, nous, en tant qu'habitants de territoires colonisés, C'est peut-être d'en revenir, de mettre la bienveillance, de l'amour dans ces essais, dans ces tentatives de domination humaine, tu vois, d'un groupe sur l'autre. Parce que ce sont des choses cycliques. En fonction de la période de l'histoire, tu as des territoires qui dominent d'autres, tu as des peuples qui dominent d'autres. Et moi, j'aimerais bien qu'on invente pour nous-mêmes d'abord un mécanisme où on n'est pas dans ce jeu de domination. des mécanismes où on parvient à élever ce qu'il y a de meilleur en nous. On arrive à allier matérialité et spiritualité, à faire descendre dans la matière des idées nobles, comme l'amour, comme la joie, comme le faire ensemble. Voilà, je pense que la route et ... la route est toute tracée. On a ...les antillais ont connu tellement d'ignomini, tellement d'exactions. qu'on pourra difficilement faire pire. Et donc, ça rend le mieux à faire très facile, en fait, parce qu'on part de très loin. Et j'ai envie que mes territoires soient des précurseurs pour l'humanité dans ces projets là.

  • Speaker #1

    Et je pense qu'on est sur la bonne voie.

  • Speaker #0

    Moi aussi.

  • Speaker #1

    Je pense parce que quand je vois, si je prends l'exemple des jeunes de ma génération, donc les millenials, je vois qu'on est quand même très acteurs. On prend, je dirais, notre destin, mais aussi notre présent. Et à côté de ça, il y a aussi un peu plus de soutien. C'est-à-dire que, bon, par rapport à toute l'histoire des Antilles. Ce qui s'est passé, le fameux fan tchou, je dirais que maintenant, le fan tchou, on le sent moins. C'est-à-dire que les jeunes vont plus s'entraider, même si c'est un pas de fourmi, mais au moins, c'est déjà quelque chose. Donc, chacun fait, comme on dit, sa part de colibri.

  • Speaker #0

    Je suis d'accord avec ça. Je suis d'accord avec ton constat sur ces nouvelles générations, parce qu'en fait, ces nouvelles générations, elles n'ont pas connu les mécanismes insidieux de la colonisation qu'ont connus mes parents, par exemple. Moi, je suis un enfant du Bumidom, par exemple, et peu de gens savent à quel point cette politique nationale, hexagonale, le Bureau de l'Immigration des départements d'Outre-mer, est venu puiser la force de la jeunesse antillaise pour l'exporter, enfin, pour l'importer sur le territoire hexagonal. À cette époque-là... On aurait pu, dans les années 60, je pense, on aurait pu avoir cette possibilité de vivre ce que la jeunesse guadeloupéenne et la jeunesse martiniquaise sont en train de vivre maintenant. Tu vois, cet éveil, cette volonté de faire pour son territoire. Mais la France a mis à terre ce système, le Bumidom, qui est venu assécher toute la jeunesse guadeloupéenne, toute la jeunesse martiniquaise, réunionnaise aussi, pour faire... des préposés à la poste, des aides-soignants, des brancardiers, dans les meilleurs des cas, des infirmiers, tu vois. Mais les Antilles auraient déjà vécu cet essor sans cette politique-là, sans cette politique migratoire. Ça ne marchera plus, il n'y aura plus de Bumidom. Parce que maintenant, la jeunesse est beaucoup trop connectée pour se laisser endormir le cerveau. A l'époque, nos parents, ils n'avaient rien, à peine la télé, tu vois. Et les infos passaient par des médias, les médias de grands chiens. Maintenant c'est terminé, quand tu lis une info, tu as ce petit truc dans ta poche qui est une fenêtre sur le monde. Et donc la jeunesse d'aujourd'hui est beaucoup plus perspicace aussi, parce que le monde a changé. Et comme le monde a changé, notre jeunesse... ne peut plus être manipulée de la même façon. On pourrait la manipuler autrement, mais plus par les moyens classiques, plus par les moyens utilisés jusqu'à maintenant par le système. Donc, tu parlais du fan tchou tout à l'heure, mais ça aussi, ça aussi, ça vient de l'histoire en fait. La délation entre esclaves d'abord, la délation ensuite de... entre nationalistes slash indépendantistes et tous les autres. Moi, j'ai eu la chance d'avoir... J'ai la chance encore d'avoir un oncle, Raymond, Raymond Gama, qui était fonctionnaire, qui était prof, mais qui était aussi indépendantiste. Et donc, il a utilisé le système. A bon escient, il a été prof, il a été payé par l'État, mais il formait la jeunesse guadeloupéenne, a une idée d'une certaine Guadeloupe. Et donc, les générations avant nous, yo fé débouya, en fait. Ils ont fait avec ce qu'ils avaient. Alors, tout de suite, de prime abord, on va voir la contradiction. Tiens, maintenant, si t'es un dépendantiste, tu peux pas, en même temps, toucher de l'argent de l'État. Oui, mais dans des périodes de nécessité où il faut former politiquement la population, tous les moyens sont bons pour y arriver. Et s'il faut utiliser le système, on utilise le système parce que le système utilise les ressources humaines des Antilles aussi. Donc on lui rend la monnaie de sa pièce.

  • Speaker #1

    Super intéressant aussi cette partie-là parce que je vois un peu comment s'est fait, entre guillemets, ton éveil. C'est-à-dire comment tu as pris conscience de certaines choses et qui t'ont sans doute aussi amené à écrire les essais. Ce que je veux dire, c'est que, par exemple, en côtoyant cet oncle qui implémentait des petites graines, tu as commencé à voir autrement les choses. Certainement, ce sont des suppositions que je vois, notamment peut-être aussi à t'intéresser plus à l'histoire des Antilles, parce que je ne sais pas actuellement comment ça se passe dans les écoles, mais lorsque j'étais à l'école, donc avant les études supérieures, on n'étudiait pas énormément l'histoire des Antilles. C'était très psoradique.

  • Speaker #0

    Il y a de ça. Moi, j'ai eu la chance d'avoir une voisine à Pointe-à-Pitre, quand j'y habitais quand j'étais jeune, qui m'a prêté... Moi, j'ai appris l'histoire des Antilles par les contes, par le créole. Moi j'arrivais de région parisienne à 7 ans, et par ... mon père est muté, mon père était fonctionnaire de police, il est muté en Guadeloupe en 1985. J'arrive et je parle très peu le créole, j'ai 7 ans. Et pour moi ça devient une nécessité de me mettre à la page du pays, tu vois, et de pouvoir parler créole avec mes cousins, tous mes cousins dans le créole, et voilà, moi je suis... Je suis un petit parisien,qui ne parle pas créole, mais ce n'était pas gérable, ça ne pouvait pas rester comme ça. Et en plus, il y a les mecs, mes charmants cousins, qui me font bien sentir, voilà, d'où tu viens. Et c'est par une réaction, d'ailleurs, c'est par une réaction d'orgueil. Tu vois, quand on parle de conscience, mais c'est d'abord l'ego qui a répondu, parce que je ne voulais pas rester coincé dans ce truc-là, dans cette étiquette qu'ils m'avaient collé, mes cousins. Et voilà, je voulais faire partie du game, en fait, je voulais être dans ma famille, je voulais comprendre quand ma grand-mère parle, tu vois. Je voulais comprendre, je voulais pouvoir discuter avec elle, je voulais qu'elle m'en raconte sa vie. Et c'est toujours plus facile quand tu discutes avec tes grands-parents, quand ils te racontent leurs souvenirs de jeunesse, ils vont te raconter des choses ils vont te les raconter en créole, ils ne vont pas te les rapporter en français. Parce qu'en fait, ça vient du cœur, et donc l'âme de notre cœur, ça restera toujours le créole, à mon sens. Et donc j'ai cette chance d'avoir une voisine, Mme Ongoli, qui est plein de livres chez elle, je sais bien, déjà moi à l'époque j'aimais beaucoup lire. Et donc je passe les journées chez elle. Je passe des journées chez elle, à lire, tout ce qui est compè lapin, compé zamba, pou ki bitin crab pa ni tèt tiens à la tête,d'où ça vient tu vois. Et en fait, je commence à comprendre que OK, parce que ce que j'ai connu enfant, l'image que j'avais des Antilles , en fait, c'est pas réellement ça. C'est plus profond. Et je continue à grandir, je continue à aller passer des vacances chez mon oncle à Port-Louis. Et je l'entends dire des choses, je ne suis pas souvent d'accord avec lui d'ailleurs au départ. Je ne comprends pas, je ne comprends pas où il veut en venir. Jusqu'au jour où je me pose la question, c'est quoi notre intérêt d'être français ? On en tire quoi ? Est-ce que notre développement économique, social, il est digne de la France, de la grande France qu'on nous présente en fait. Et je me dis qu'en fait on est des temps oubliés. On est à la traîne en fait. Et en fait c'est pas seulement qu'on soit à la traîne, c'est parfois la France nous traîne. Et à ce moment-là, il se passe quelque chose, il y a, il y a un switch. Il y a un switch dans le logiciel et je me dis ok, j'ai pensé de façon... comment dire, de façon très orientée jusqu'à maintenant. Et à ce moment-là, j'accepte de regarder les choses à 360 degrés, de regarder ça de tous les points de vue. Et là, je dis, waouh, c'est beaucoup plus complexe que je n'imaginais, en fait. Et je me suis posé la question, pour le coup, la première question était, quel intérêt avons-nous à être Français ? Et je me pose la question, la deuxième question, c'est mais quel intérêt la France a à nous avoir dans ses départements ? Et là, je comprends. Ah, d'accord. C'est une question de supériorité, c'est une question de rang dans le monde. La France est une grande nation et n'a été une grande nation que parce que c'est une nation impérialiste et colonisatrice, en fait. Pendant des siècles, Haïti a fait la richesse de la France. avec les égides, c'est avec le sucre et tout ça. Et je commence à comprendre le mécanisme. En fait, on est français parce que la France a besoin de régner sur une zone économique exclusive, sur des mers en fait. Je me rappelle d'un discours que j'avais noté, étudié, d'un grand personnage de la politique française qui parlait du fait que les Antilles soient le porte-avions de la France. Et j'ai compris, j'ai compris qu'en fait... On nous utilise comme on a utilisé la Guyane pour envoyer des fusées dans l'espace. Les fusées décollaient de Kourou. Et autour, il y avait des ghettos. Et ça ne dérangeait personne de faire un acte aussi puissant que d'envoyer un objet dans l'espace. Et de l'autre côté, de laisser des gens mourir de faim. Et elle est où l'humanité là-dedans ? Et on en revient à ce dont je parle à chaque fois. La France est une nation. qui cherche à assurer son rang dans le concert des nations qui dominent. Et toute domination économique est nécessairement un fruit du capitalisme et le cœur du capitalisme. C'est la domination de l'homme par l'homme, que ce soit sous une forme d'esclavage, que ce soit sous une forme de colonisation, ou que ce soit même sous une forme du libéralisme. Lorsque les esclaves sont libérés aux Antilles, il faut étudier ça de près, mais les articles ensuite qui suivent, l'article premier qui abolit l'esclavage, crée le délit de marronnage, crée le délit de mendicité, crée le... ça vient mettre des contraintes. aux esclaves pour qu'ils retournent travailler finalement sur leur réhabilitation. Donc avant, ils étaient dans une condition d'esclaves où ils devaient travailler sans salaire, mais ils disposaient d'un endroit où vivre. Je ne dis pas que l'esclavage c'était confortable. Je dis juste que du jour au lendemain, ils sont passés d'esclaves à travailleurs pauvres, pour des gens qui ont été indemnisés. Waouh ! Qui a eu le génie d'inventer ça ? Un affranchi, un esclave libéré, il ne pouvait pas aller de Pointe-à-Pitre au Moule sans être arrêté pour voir. Il lui fallait son QR code de l'époque. Comme à l'époque Covid, il lui fallait une autorisation. Et cette autorisation, elle était délivrée soit par le gouverneur, soit par un de ses représentants. Parce que... L'ancien esclave devait payer des taxes, en fait, pour se déplacer. Et on lui accordait ce laissé-passé si les taxes étaient payées.

  • Speaker #1

    C'est une ironie. Enfin, il était censé être libre. Mais là, qu'est-ce que ça veut vraiment dire la liberté, en fait ?

  • Speaker #0

    Voilà. Et c'est pour ça que lorsqu'on fête aux Antilles, le 22 mai et le 27 mai, moi, je dis toujours, faites attention à ce que vous fêtez. Renseignez-vous. Pour moi, on a modifié le vocable. Les gens étaient esclaves, et ensuite ils sont devenus des travailleurs. Ça veut dire que l'esclavage a été étendu au reste de l'humanité à ce moment-là, en fait.

  • Speaker #1

    Sous une autre forme.

  • Speaker #0

    Sous une autre forme, mais c'est diaboliquement génial. Il faut dire les choses comme elles sont.

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait penser aussi à autre chose. Si je fais un comparatif avec nos voisins anglophones, À ma connaissance, il ne célèbre pas d'abolition de l'esclavage. Il célèbre deux choses importantes, le jour d'indépendance et un jour qui s'appelle Emancipation Day. Et là, je me demande en fait, il faudrait que je me renseigne, que je fasse mes recherches, mais quelle est la différence entre un jour d'abolition d'esclavage et Emancipation Day ? Sachant que... Oui, on a certes des différences par rapport aux différents statuts des territoires dans la Caraïbe, mais on a quand même une histoire commune et des similitudes.

  • Speaker #0

    Surtout que, Sainte-Lucie et la Dominique, c'est des îles qui ont été tantôt françaises,

  • Speaker #1

    tantôt anglaises.

  • Speaker #0

    Alors, pour le coup, ces îles-là, elles ont pris double peine. Parce que la colonisation française et la colonisation britannique ont deux esprits différents. La colonisation britannique... Elle est définitivement dans cette idée d'apartheid, de séparation. La colonisation française est fondée sur l'assimilation. L'assimilation par le biais d'ailleurs de l'acculturation, d'effacement de la culture originelle pour aller vers une exclusivité culturelle française. La colonisation britannique est légèrement différente là-dessus, parce qu'elle va sous couvert de laisser aux territoires leurs spécificités. Elle les met à distance. C'est une colonisation de distanciation. Donc même si ces îles-là font partie du Commonwealth, il ne faut pas croire qu'ils sont tous sujets de la couronne au même rang.

  • Speaker #1

    On le voit en plus entre les différents territoires. Si on prend les territoires de l'OECS et... qu'on prend la Barbade. Bon, maintenant, c'est une république, comme Trinidad aussi, mais même avant que ce soit une république, qu'on voit la Barbade par rapport à la Dominique ou Saint-Denis, il y a quand même un gap. Exact. Mais moi, je suis assez heureux, en fait, de cette disparité, parce qu'en fait, ça nous donne des points de repère, tu vois, ça nous donne des éléments de préparaison, et donc ça nous donne... plus de latitude pour créer... par contre on voit qu'avec des causes différentes, on a des effets différents. Même s'il y a ce socle commun de terres colonisées, ça n'a pas donné les mêmes résultats partout, ça n'a pas donné les mêmes éveils partout, ça n'a pas donné le même esprit d'indépendance partout. Et tu vois quand la Barbade devient une république, pour moi elle pose une stèle politique à la fin d'un système qui est en résonance avec ce qui se passe dans le Sahel, par exemple. C'est des gens qui viennent et qui disent, OK, maintenant, nous allons prendre nos responsabilités. Nous n'avons plus besoin de vous. Mais si nous devons travailler ensemble. Nous allons travailler d'égal à égal. Et ça, c'est un discours que le système capitaliste ne peut pas entendre. L'égal à égal, ce n'est pas possible parce que le système est fondé sur la domination d'un groupe réduit sur un groupe très élargi. Ça nourri la réflexion et j'espère que ça va nourrir aussi la réflexion des auditeurs. Je voudrais revenir sur les deux expressions que tu as créées dans les deux essais. Peut-être que je vais piqué un peu, mais on a parlé un moment des jeunes qui commençaient à faire un peu plus de peuple, contrairement aux générations des parents ou des grands-parents. et qui développe d'une certaine façon une conscience antillaise. Donc, j'aimerais savoir, aussi pour donner un avant-goût aux personnes qui n'ont pas encore lu le livre, mais qui écouteront cet épisode, pour le lire comment tu définis du moins la conscience antillaise.

  • Speaker #2

    Dans le prochain épisode,

  • Speaker #0

    pour construire ensemble, il faut d'abord être... Capable de construire en soi. Et pour faire peuple, il faut déjà faire peuple en soi. pour faire peuple ensemble.

  • Speaker #2

    Si cet épisode vous a plu, je vous invite à le partager avec vos proches. À laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur la plateforme sur laquelle vous écoutez vos podcasts. Car chaque écoute est une petite étincelle. À bientôt pour le prochain épisode.

  • Speaker #0

    Sous-titrage

Description

Comment peut-on définir l’identité antillaise ?

Il n’y aura sans doute jamais une réponse précise à cette question, car la réponse sera sans doute différente d’un antillais à l’autre. Au cours d’un échange avec Matthieu Gama, auteur des essais Le jour où les Antilles feront peuples et Se penser peuple des Antilles, nous tentons de comprendre comment peut-on définir et s’approprier son identité, qu’est-ce qui pourrait la caractériser et quelles sont ses composantes.




Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'identité pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu, il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être un processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser.

  • Speaker #1

    Bonjour Mathieu et bienvenue sur Caribbean Lifestyle Podcast.

  • Speaker #0

    Bonjour Anaïs et merci de m'accueillir.

  • Speaker #1

    Merci à toi d'avoir accepté mon invitation. Alors Mathieu, tu es l'auteur de deux essais qui ont connu un certain succès. A leurs sortis, Le jour où les Antilles feront peuple et Se penser peuple des Antilles. Deux ouvrages qui s'adressent directement aux populations antillaises. Sans doute aussi à la population guyanaise mais... pas qu'à ces deux populations, peut-être aussi plus largement au monde. Deux ouvrages au carrefour de l'histoire, la sociologie, la psychologie et la spiritualité. Dans ces deux ouvrages, tu nous invites à réfléchir sur la façon dont on fait peuple en éveillant la conscience antillaise, un terme que je crois que tu as créé, et à réaliser la prophétie des peuples colonisés. Une expression aussi qui vient de toi. Et nous reviendrons aussi plus tard sur ces deux expressions. Mais tout d'abord, est-ce que tu peux nous expliquer comment t'es venue l'idée, l'envie ou la vocation d'écrire ces deux essais ?

  • Speaker #0

    Je te remercie de me poser ces questions. Elles ne m'ont pas encore été posées. J'ai déjà fait beaucoup de podcasts et d'émissions. Et c'est la première fois que c'est formulé de la sorte. Donc, je te remercie Anaïs. de venir me chercher sur des terres pour moi inconnues. L'envie d'écrire, c'est un élan du cœur, je pense, avant toute chose. Est-ce que c'est une vocation, je ne sais pas, je le saurais à la fin de ma vie terrestre, je pourrais te répondre et te dire, ok, c'était vraiment ça, j'étais né pour faire ça. L'essentiel pour moi est de... d'interroger les générations présentes, les plus anciennes comme les plus jeunes, un peu comme le suggère Frantz Fanon, chaque génération doit accomplir ou trahir sa mission, et j'ai envie que les générations qui me sont contemporaines se posent... la question de notre ambition de construire notre vivre ensemble au quotidien en fait. Donc voilà, je suis motivé par ça. Ça me parle. Est-ce que c'est une mission ? Ça aussi. Tu vois, on met beaucoup de choses derrière ces termes-là. Vocation, mission. On me dit souvent que j'ai un discours prophétique et je n'aime pas trop l'idée d'être un guide ou d'être un mentor ou d'être un gourou. Et c'est pour ça que je laisse beaucoup la place à la réflexion personnelle du lecteur ou de la lectrice à mes écrits. Et l'histoire dira si les questions que j'ai posées étaient des questions opportunes et surtout si elles ont éveillé chez eux cette prise de conscience, si elles ont créé un élan qui puisse nous permettre d'avancer, à mon sens, en lumière vers ce qu'on a envie de devenir.

  • Speaker #1

    C'est vrai. Je partage aussi l'idée que ... ce que j'ai apprécié, en fait, dans les deux ouvrages que j'ai lus, je crois, deux fois chacun, ou un peu plus, c'est qu'en fait, la façon dont c'est écrit laisse le lecteur à se poser lui-même des questions. Il n'y a pas de... enfin, ce n'est pas quelque chose qui donne une recette toute faite, un mode d'emploi, et c'est super intéressant et inspirant parce qu'en fait, j'ai envie de dire, mais les gens qui écrivent les auteurs, qui sont-ils pour donner un mode d'emploi sur un fonctionnement ? pour penser son identité. Et en plus, l'identité, c'est quelque chose, je pense qui se ressent plus que qui peut être défini théoriquement comme une doctrine, je ne sais pas, dans un livre.

  • Speaker #0

    L'identité, pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu... il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être le processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser aussi. C'est très occidental de venir avec des modes d'emploi et de dire, il n'y a qu'à faire. Voilà, l'identité antillaise, c'est ça. J'aurais pu essayer ce truc-là, mais je me serais trahi, en fait. Parce que tout mon discours tient du fait que l'intelligence collective est nécessaire pour la construction de quelque chose qui nous dépasse. Donc si j'arrive avec un mode d'emploi, je vais éliminer tous les gens qui soit ne suivent pas ce mode d'emploi, soit n'y croient pas, soit ils sont un peu réfractaire. Et moi j'ai envie dans ma démarche de ne laisser personne au bord du chemin. Je parle de peuple. Donc c'est une notion noire, c'est même une notion, dans la bouche, une notion philosophique, plus que l'histoire d'un territoire, une population, une langue commune, une culture, une religion. Pour moi ça va beaucoup plus loin que ça, c'est plus important que ça, c'est plus haut que ça, c'est plus spirituel d'ailleurs que ça. Et donc il me fallait trouver une méthode qui engage ceux qui ont envie d'être engagés, à la réflexion. Maintenant, j'accepte sans aucun problème qu'il y ait des gens qui ne soient pas intéressés par cette réflexion-là ou qui ne partagent pas les pistes que moi je développe. Et c'est tant mieux parce qu'en fait, du dissensus, va naître quelque chose de plus riche qu'un simple phénomène d'adhésion. C'est bon. J'espère y trouver toute ma vie dans cette veille-là, pour susciter, appliquer, donner envie aux miens de s'engager, ne serait-ce que sur un débat, un déjeuner familial, sur ça, qui on est, qu'est-ce qu'on aime faire, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on a envie de faire, quels sont les freins, quelles sont les forces, quelles sont les faiblesses. comment on transmute ce qui est déjà là en quelque chose de bénéfique pour ceux qui viennent après nous, déjà.

  • Speaker #1

    C'est super intéressant. C'est d'autant plus intéressant parce que je pense aussi que la façon dont on construit son identité ou qu'on la définit soi-même, c'est vraiment à travers les expériences. Et justement, je voudrais partager une expérience. Je rigole un peu parce que la première fois où j'ai lu le livre, le premier essai, donc le jour où les Antilles feront peuple, ça m'a bouleversée. Franchement, je ne sais pas, je pense que c'était un peu comme un éveil, mais j'étais consciente de certaines choses dont le livre parlait, notamment la partie sur le côté calculateur de la colonisation. Oui, je savais un peu, mais le fait de la lire... Et en plus, quand j'ai lu aussi Se penser peuple des Antilles avec la controverse de Lynch, je crois, que je n'ai jamais lu. Je ne sais pas si un jour je vais le lire, mais le peu que j'ai lu dans le livre, je me suis dit « les gens sont fous » . Les gens sont fous. Et d'une part, c'est fascinant de voir comment le cerveau humain peut fonctionner pour qu'on ait un résultat bien précis. Mais en même temps, ça montre aussi des dérives. Pour revenir à la question identitaire, en fait, en lisant ça, je me suis éveillée entre guillemets sur deux pans, même si je pense que j'ai eu d'autres éveils avant ça. Je me suis rendu compte, un, que c'est vraiment en Guadeloupe et dans la Caraïbe que je veux vivre, construire ma vie et tout. C'est bien l'Europe, c'est bien les États-Unis, c'est bien l'Asie. Ok, je vais aller visiter. Peut-être y vivre un certain temps, mais pas toute ma vie. Et par rapport aux expériences de vie que j'ai eues, Je sens qu'il y a des choses que je dois continuer à découvrir pour mieux définir qui je suis et aussi pour pouvoir faire peuple avec mes semblables. Donc la Guadeloupe par extension, les Antilles, la Guyane, la Caraïbe. Et d'une certaine façon, je suis un peu reconnaissante d'avoir eu cette calotte lors de la lecture du premier livre.

  • Speaker #0

    Je reprends ce que tu dis parce qu'un jour, j'ai fait une présentation au Centre des Arts et il y a une jeune dame qui m'a dit, avec beaucoup de courage, devant tous les gens qui étaient là, elle m'a dit « j'ai lu votre livre, mais vous m'avez fait pleurer » . Elle m'a dit « ça a été dur » . Elle m'a dit « les premiers développements », ont été très durs et j'ai dû déposer le livre pendant trois mois. Il m'a fallu trois mois pour me remettre de ce que j'avais lu. Elle m'a dit « j'ai beaucoup aimé la suite finalement » parce qu'en fait, elle a souligné que j'apportais une ouverture qui détenait avec les développements précédents. Quand je parle du germe identitaire qui a néanti, quand je dis que les antilles sont des terres de violence historiquement, elle m'a remercié en fait. Mais elle a d'abord bien insisté sur le fait que la lecture avait été violente pour elle. Bien sûr, moi je n'écris pas dans ce sens-là, mais certaines vérités, parfois, viennent révéler des choses en nous. Et pour éveiller sa conscience, il faut justement des prises de conscience. Avant d'éveiller la conscience, il faut peut-être des prises de conscience. Et donc voilà, je m'excuse pour tous les calottes que j'ai distribué avec mon premier essai, parce que c'est fait avec aucune malveillance. Mais parfois, il faut regarder notre réalité, aussi crue soit-elle. Et tu le disais tout à l'heure, la doctrine Lynch, c'est une sacrée histoire. Et quand moi, j'ai documenté cette partie-là, je me suis dit qu'en fait, les nazis n'ont rien inventé. Il y avait l'eugénisme, le disgénisme, tu vois, c'est vraiment des mécanismes machiavéliques, mais en même temps, c'est humain. Tu disais, les gens sont fous. En fait, l'humain est parfois comme ça. L'humain n'a aucun complexe à dominer son semblable. Quand il a fini par dominer son environnement naturel, il va essayer de dominer son semblable. Et la chance et l'opportunité qu'il nous a donné, nous, en tant qu'habitants de territoires colonisés, C'est peut-être d'en revenir, de mettre la bienveillance, de l'amour dans ces essais, dans ces tentatives de domination humaine, tu vois, d'un groupe sur l'autre. Parce que ce sont des choses cycliques. En fonction de la période de l'histoire, tu as des territoires qui dominent d'autres, tu as des peuples qui dominent d'autres. Et moi, j'aimerais bien qu'on invente pour nous-mêmes d'abord un mécanisme où on n'est pas dans ce jeu de domination. des mécanismes où on parvient à élever ce qu'il y a de meilleur en nous. On arrive à allier matérialité et spiritualité, à faire descendre dans la matière des idées nobles, comme l'amour, comme la joie, comme le faire ensemble. Voilà, je pense que la route et ... la route est toute tracée. On a ...les antillais ont connu tellement d'ignomini, tellement d'exactions. qu'on pourra difficilement faire pire. Et donc, ça rend le mieux à faire très facile, en fait, parce qu'on part de très loin. Et j'ai envie que mes territoires soient des précurseurs pour l'humanité dans ces projets là.

  • Speaker #1

    Et je pense qu'on est sur la bonne voie.

  • Speaker #0

    Moi aussi.

  • Speaker #1

    Je pense parce que quand je vois, si je prends l'exemple des jeunes de ma génération, donc les millenials, je vois qu'on est quand même très acteurs. On prend, je dirais, notre destin, mais aussi notre présent. Et à côté de ça, il y a aussi un peu plus de soutien. C'est-à-dire que, bon, par rapport à toute l'histoire des Antilles. Ce qui s'est passé, le fameux fan tchou, je dirais que maintenant, le fan tchou, on le sent moins. C'est-à-dire que les jeunes vont plus s'entraider, même si c'est un pas de fourmi, mais au moins, c'est déjà quelque chose. Donc, chacun fait, comme on dit, sa part de colibri.

  • Speaker #0

    Je suis d'accord avec ça. Je suis d'accord avec ton constat sur ces nouvelles générations, parce qu'en fait, ces nouvelles générations, elles n'ont pas connu les mécanismes insidieux de la colonisation qu'ont connus mes parents, par exemple. Moi, je suis un enfant du Bumidom, par exemple, et peu de gens savent à quel point cette politique nationale, hexagonale, le Bureau de l'Immigration des départements d'Outre-mer, est venu puiser la force de la jeunesse antillaise pour l'exporter, enfin, pour l'importer sur le territoire hexagonal. À cette époque-là... On aurait pu, dans les années 60, je pense, on aurait pu avoir cette possibilité de vivre ce que la jeunesse guadeloupéenne et la jeunesse martiniquaise sont en train de vivre maintenant. Tu vois, cet éveil, cette volonté de faire pour son territoire. Mais la France a mis à terre ce système, le Bumidom, qui est venu assécher toute la jeunesse guadeloupéenne, toute la jeunesse martiniquaise, réunionnaise aussi, pour faire... des préposés à la poste, des aides-soignants, des brancardiers, dans les meilleurs des cas, des infirmiers, tu vois. Mais les Antilles auraient déjà vécu cet essor sans cette politique-là, sans cette politique migratoire. Ça ne marchera plus, il n'y aura plus de Bumidom. Parce que maintenant, la jeunesse est beaucoup trop connectée pour se laisser endormir le cerveau. A l'époque, nos parents, ils n'avaient rien, à peine la télé, tu vois. Et les infos passaient par des médias, les médias de grands chiens. Maintenant c'est terminé, quand tu lis une info, tu as ce petit truc dans ta poche qui est une fenêtre sur le monde. Et donc la jeunesse d'aujourd'hui est beaucoup plus perspicace aussi, parce que le monde a changé. Et comme le monde a changé, notre jeunesse... ne peut plus être manipulée de la même façon. On pourrait la manipuler autrement, mais plus par les moyens classiques, plus par les moyens utilisés jusqu'à maintenant par le système. Donc, tu parlais du fan tchou tout à l'heure, mais ça aussi, ça aussi, ça vient de l'histoire en fait. La délation entre esclaves d'abord, la délation ensuite de... entre nationalistes slash indépendantistes et tous les autres. Moi, j'ai eu la chance d'avoir... J'ai la chance encore d'avoir un oncle, Raymond, Raymond Gama, qui était fonctionnaire, qui était prof, mais qui était aussi indépendantiste. Et donc, il a utilisé le système. A bon escient, il a été prof, il a été payé par l'État, mais il formait la jeunesse guadeloupéenne, a une idée d'une certaine Guadeloupe. Et donc, les générations avant nous, yo fé débouya, en fait. Ils ont fait avec ce qu'ils avaient. Alors, tout de suite, de prime abord, on va voir la contradiction. Tiens, maintenant, si t'es un dépendantiste, tu peux pas, en même temps, toucher de l'argent de l'État. Oui, mais dans des périodes de nécessité où il faut former politiquement la population, tous les moyens sont bons pour y arriver. Et s'il faut utiliser le système, on utilise le système parce que le système utilise les ressources humaines des Antilles aussi. Donc on lui rend la monnaie de sa pièce.

  • Speaker #1

    Super intéressant aussi cette partie-là parce que je vois un peu comment s'est fait, entre guillemets, ton éveil. C'est-à-dire comment tu as pris conscience de certaines choses et qui t'ont sans doute aussi amené à écrire les essais. Ce que je veux dire, c'est que, par exemple, en côtoyant cet oncle qui implémentait des petites graines, tu as commencé à voir autrement les choses. Certainement, ce sont des suppositions que je vois, notamment peut-être aussi à t'intéresser plus à l'histoire des Antilles, parce que je ne sais pas actuellement comment ça se passe dans les écoles, mais lorsque j'étais à l'école, donc avant les études supérieures, on n'étudiait pas énormément l'histoire des Antilles. C'était très psoradique.

  • Speaker #0

    Il y a de ça. Moi, j'ai eu la chance d'avoir une voisine à Pointe-à-Pitre, quand j'y habitais quand j'étais jeune, qui m'a prêté... Moi, j'ai appris l'histoire des Antilles par les contes, par le créole. Moi j'arrivais de région parisienne à 7 ans, et par ... mon père est muté, mon père était fonctionnaire de police, il est muté en Guadeloupe en 1985. J'arrive et je parle très peu le créole, j'ai 7 ans. Et pour moi ça devient une nécessité de me mettre à la page du pays, tu vois, et de pouvoir parler créole avec mes cousins, tous mes cousins dans le créole, et voilà, moi je suis... Je suis un petit parisien,qui ne parle pas créole, mais ce n'était pas gérable, ça ne pouvait pas rester comme ça. Et en plus, il y a les mecs, mes charmants cousins, qui me font bien sentir, voilà, d'où tu viens. Et c'est par une réaction, d'ailleurs, c'est par une réaction d'orgueil. Tu vois, quand on parle de conscience, mais c'est d'abord l'ego qui a répondu, parce que je ne voulais pas rester coincé dans ce truc-là, dans cette étiquette qu'ils m'avaient collé, mes cousins. Et voilà, je voulais faire partie du game, en fait, je voulais être dans ma famille, je voulais comprendre quand ma grand-mère parle, tu vois. Je voulais comprendre, je voulais pouvoir discuter avec elle, je voulais qu'elle m'en raconte sa vie. Et c'est toujours plus facile quand tu discutes avec tes grands-parents, quand ils te racontent leurs souvenirs de jeunesse, ils vont te raconter des choses ils vont te les raconter en créole, ils ne vont pas te les rapporter en français. Parce qu'en fait, ça vient du cœur, et donc l'âme de notre cœur, ça restera toujours le créole, à mon sens. Et donc j'ai cette chance d'avoir une voisine, Mme Ongoli, qui est plein de livres chez elle, je sais bien, déjà moi à l'époque j'aimais beaucoup lire. Et donc je passe les journées chez elle. Je passe des journées chez elle, à lire, tout ce qui est compè lapin, compé zamba, pou ki bitin crab pa ni tèt tiens à la tête,d'où ça vient tu vois. Et en fait, je commence à comprendre que OK, parce que ce que j'ai connu enfant, l'image que j'avais des Antilles , en fait, c'est pas réellement ça. C'est plus profond. Et je continue à grandir, je continue à aller passer des vacances chez mon oncle à Port-Louis. Et je l'entends dire des choses, je ne suis pas souvent d'accord avec lui d'ailleurs au départ. Je ne comprends pas, je ne comprends pas où il veut en venir. Jusqu'au jour où je me pose la question, c'est quoi notre intérêt d'être français ? On en tire quoi ? Est-ce que notre développement économique, social, il est digne de la France, de la grande France qu'on nous présente en fait. Et je me dis qu'en fait on est des temps oubliés. On est à la traîne en fait. Et en fait c'est pas seulement qu'on soit à la traîne, c'est parfois la France nous traîne. Et à ce moment-là, il se passe quelque chose, il y a, il y a un switch. Il y a un switch dans le logiciel et je me dis ok, j'ai pensé de façon... comment dire, de façon très orientée jusqu'à maintenant. Et à ce moment-là, j'accepte de regarder les choses à 360 degrés, de regarder ça de tous les points de vue. Et là, je dis, waouh, c'est beaucoup plus complexe que je n'imaginais, en fait. Et je me suis posé la question, pour le coup, la première question était, quel intérêt avons-nous à être Français ? Et je me pose la question, la deuxième question, c'est mais quel intérêt la France a à nous avoir dans ses départements ? Et là, je comprends. Ah, d'accord. C'est une question de supériorité, c'est une question de rang dans le monde. La France est une grande nation et n'a été une grande nation que parce que c'est une nation impérialiste et colonisatrice, en fait. Pendant des siècles, Haïti a fait la richesse de la France. avec les égides, c'est avec le sucre et tout ça. Et je commence à comprendre le mécanisme. En fait, on est français parce que la France a besoin de régner sur une zone économique exclusive, sur des mers en fait. Je me rappelle d'un discours que j'avais noté, étudié, d'un grand personnage de la politique française qui parlait du fait que les Antilles soient le porte-avions de la France. Et j'ai compris, j'ai compris qu'en fait... On nous utilise comme on a utilisé la Guyane pour envoyer des fusées dans l'espace. Les fusées décollaient de Kourou. Et autour, il y avait des ghettos. Et ça ne dérangeait personne de faire un acte aussi puissant que d'envoyer un objet dans l'espace. Et de l'autre côté, de laisser des gens mourir de faim. Et elle est où l'humanité là-dedans ? Et on en revient à ce dont je parle à chaque fois. La France est une nation. qui cherche à assurer son rang dans le concert des nations qui dominent. Et toute domination économique est nécessairement un fruit du capitalisme et le cœur du capitalisme. C'est la domination de l'homme par l'homme, que ce soit sous une forme d'esclavage, que ce soit sous une forme de colonisation, ou que ce soit même sous une forme du libéralisme. Lorsque les esclaves sont libérés aux Antilles, il faut étudier ça de près, mais les articles ensuite qui suivent, l'article premier qui abolit l'esclavage, crée le délit de marronnage, crée le délit de mendicité, crée le... ça vient mettre des contraintes. aux esclaves pour qu'ils retournent travailler finalement sur leur réhabilitation. Donc avant, ils étaient dans une condition d'esclaves où ils devaient travailler sans salaire, mais ils disposaient d'un endroit où vivre. Je ne dis pas que l'esclavage c'était confortable. Je dis juste que du jour au lendemain, ils sont passés d'esclaves à travailleurs pauvres, pour des gens qui ont été indemnisés. Waouh ! Qui a eu le génie d'inventer ça ? Un affranchi, un esclave libéré, il ne pouvait pas aller de Pointe-à-Pitre au Moule sans être arrêté pour voir. Il lui fallait son QR code de l'époque. Comme à l'époque Covid, il lui fallait une autorisation. Et cette autorisation, elle était délivrée soit par le gouverneur, soit par un de ses représentants. Parce que... L'ancien esclave devait payer des taxes, en fait, pour se déplacer. Et on lui accordait ce laissé-passé si les taxes étaient payées.

  • Speaker #1

    C'est une ironie. Enfin, il était censé être libre. Mais là, qu'est-ce que ça veut vraiment dire la liberté, en fait ?

  • Speaker #0

    Voilà. Et c'est pour ça que lorsqu'on fête aux Antilles, le 22 mai et le 27 mai, moi, je dis toujours, faites attention à ce que vous fêtez. Renseignez-vous. Pour moi, on a modifié le vocable. Les gens étaient esclaves, et ensuite ils sont devenus des travailleurs. Ça veut dire que l'esclavage a été étendu au reste de l'humanité à ce moment-là, en fait.

  • Speaker #1

    Sous une autre forme.

  • Speaker #0

    Sous une autre forme, mais c'est diaboliquement génial. Il faut dire les choses comme elles sont.

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait penser aussi à autre chose. Si je fais un comparatif avec nos voisins anglophones, À ma connaissance, il ne célèbre pas d'abolition de l'esclavage. Il célèbre deux choses importantes, le jour d'indépendance et un jour qui s'appelle Emancipation Day. Et là, je me demande en fait, il faudrait que je me renseigne, que je fasse mes recherches, mais quelle est la différence entre un jour d'abolition d'esclavage et Emancipation Day ? Sachant que... Oui, on a certes des différences par rapport aux différents statuts des territoires dans la Caraïbe, mais on a quand même une histoire commune et des similitudes.

  • Speaker #0

    Surtout que, Sainte-Lucie et la Dominique, c'est des îles qui ont été tantôt françaises,

  • Speaker #1

    tantôt anglaises.

  • Speaker #0

    Alors, pour le coup, ces îles-là, elles ont pris double peine. Parce que la colonisation française et la colonisation britannique ont deux esprits différents. La colonisation britannique... Elle est définitivement dans cette idée d'apartheid, de séparation. La colonisation française est fondée sur l'assimilation. L'assimilation par le biais d'ailleurs de l'acculturation, d'effacement de la culture originelle pour aller vers une exclusivité culturelle française. La colonisation britannique est légèrement différente là-dessus, parce qu'elle va sous couvert de laisser aux territoires leurs spécificités. Elle les met à distance. C'est une colonisation de distanciation. Donc même si ces îles-là font partie du Commonwealth, il ne faut pas croire qu'ils sont tous sujets de la couronne au même rang.

  • Speaker #1

    On le voit en plus entre les différents territoires. Si on prend les territoires de l'OECS et... qu'on prend la Barbade. Bon, maintenant, c'est une république, comme Trinidad aussi, mais même avant que ce soit une république, qu'on voit la Barbade par rapport à la Dominique ou Saint-Denis, il y a quand même un gap. Exact. Mais moi, je suis assez heureux, en fait, de cette disparité, parce qu'en fait, ça nous donne des points de repère, tu vois, ça nous donne des éléments de préparaison, et donc ça nous donne... plus de latitude pour créer... par contre on voit qu'avec des causes différentes, on a des effets différents. Même s'il y a ce socle commun de terres colonisées, ça n'a pas donné les mêmes résultats partout, ça n'a pas donné les mêmes éveils partout, ça n'a pas donné le même esprit d'indépendance partout. Et tu vois quand la Barbade devient une république, pour moi elle pose une stèle politique à la fin d'un système qui est en résonance avec ce qui se passe dans le Sahel, par exemple. C'est des gens qui viennent et qui disent, OK, maintenant, nous allons prendre nos responsabilités. Nous n'avons plus besoin de vous. Mais si nous devons travailler ensemble. Nous allons travailler d'égal à égal. Et ça, c'est un discours que le système capitaliste ne peut pas entendre. L'égal à égal, ce n'est pas possible parce que le système est fondé sur la domination d'un groupe réduit sur un groupe très élargi. Ça nourri la réflexion et j'espère que ça va nourrir aussi la réflexion des auditeurs. Je voudrais revenir sur les deux expressions que tu as créées dans les deux essais. Peut-être que je vais piqué un peu, mais on a parlé un moment des jeunes qui commençaient à faire un peu plus de peuple, contrairement aux générations des parents ou des grands-parents. et qui développe d'une certaine façon une conscience antillaise. Donc, j'aimerais savoir, aussi pour donner un avant-goût aux personnes qui n'ont pas encore lu le livre, mais qui écouteront cet épisode, pour le lire comment tu définis du moins la conscience antillaise.

  • Speaker #2

    Dans le prochain épisode,

  • Speaker #0

    pour construire ensemble, il faut d'abord être... Capable de construire en soi. Et pour faire peuple, il faut déjà faire peuple en soi. pour faire peuple ensemble.

  • Speaker #2

    Si cet épisode vous a plu, je vous invite à le partager avec vos proches. À laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur la plateforme sur laquelle vous écoutez vos podcasts. Car chaque écoute est une petite étincelle. À bientôt pour le prochain épisode.

  • Speaker #0

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Description

Comment peut-on définir l’identité antillaise ?

Il n’y aura sans doute jamais une réponse précise à cette question, car la réponse sera sans doute différente d’un antillais à l’autre. Au cours d’un échange avec Matthieu Gama, auteur des essais Le jour où les Antilles feront peuples et Se penser peuple des Antilles, nous tentons de comprendre comment peut-on définir et s’approprier son identité, qu’est-ce qui pourrait la caractériser et quelles sont ses composantes.




Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'identité pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu, il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être un processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser.

  • Speaker #1

    Bonjour Mathieu et bienvenue sur Caribbean Lifestyle Podcast.

  • Speaker #0

    Bonjour Anaïs et merci de m'accueillir.

  • Speaker #1

    Merci à toi d'avoir accepté mon invitation. Alors Mathieu, tu es l'auteur de deux essais qui ont connu un certain succès. A leurs sortis, Le jour où les Antilles feront peuple et Se penser peuple des Antilles. Deux ouvrages qui s'adressent directement aux populations antillaises. Sans doute aussi à la population guyanaise mais... pas qu'à ces deux populations, peut-être aussi plus largement au monde. Deux ouvrages au carrefour de l'histoire, la sociologie, la psychologie et la spiritualité. Dans ces deux ouvrages, tu nous invites à réfléchir sur la façon dont on fait peuple en éveillant la conscience antillaise, un terme que je crois que tu as créé, et à réaliser la prophétie des peuples colonisés. Une expression aussi qui vient de toi. Et nous reviendrons aussi plus tard sur ces deux expressions. Mais tout d'abord, est-ce que tu peux nous expliquer comment t'es venue l'idée, l'envie ou la vocation d'écrire ces deux essais ?

  • Speaker #0

    Je te remercie de me poser ces questions. Elles ne m'ont pas encore été posées. J'ai déjà fait beaucoup de podcasts et d'émissions. Et c'est la première fois que c'est formulé de la sorte. Donc, je te remercie Anaïs. de venir me chercher sur des terres pour moi inconnues. L'envie d'écrire, c'est un élan du cœur, je pense, avant toute chose. Est-ce que c'est une vocation, je ne sais pas, je le saurais à la fin de ma vie terrestre, je pourrais te répondre et te dire, ok, c'était vraiment ça, j'étais né pour faire ça. L'essentiel pour moi est de... d'interroger les générations présentes, les plus anciennes comme les plus jeunes, un peu comme le suggère Frantz Fanon, chaque génération doit accomplir ou trahir sa mission, et j'ai envie que les générations qui me sont contemporaines se posent... la question de notre ambition de construire notre vivre ensemble au quotidien en fait. Donc voilà, je suis motivé par ça. Ça me parle. Est-ce que c'est une mission ? Ça aussi. Tu vois, on met beaucoup de choses derrière ces termes-là. Vocation, mission. On me dit souvent que j'ai un discours prophétique et je n'aime pas trop l'idée d'être un guide ou d'être un mentor ou d'être un gourou. Et c'est pour ça que je laisse beaucoup la place à la réflexion personnelle du lecteur ou de la lectrice à mes écrits. Et l'histoire dira si les questions que j'ai posées étaient des questions opportunes et surtout si elles ont éveillé chez eux cette prise de conscience, si elles ont créé un élan qui puisse nous permettre d'avancer, à mon sens, en lumière vers ce qu'on a envie de devenir.

  • Speaker #1

    C'est vrai. Je partage aussi l'idée que ... ce que j'ai apprécié, en fait, dans les deux ouvrages que j'ai lus, je crois, deux fois chacun, ou un peu plus, c'est qu'en fait, la façon dont c'est écrit laisse le lecteur à se poser lui-même des questions. Il n'y a pas de... enfin, ce n'est pas quelque chose qui donne une recette toute faite, un mode d'emploi, et c'est super intéressant et inspirant parce qu'en fait, j'ai envie de dire, mais les gens qui écrivent les auteurs, qui sont-ils pour donner un mode d'emploi sur un fonctionnement ? pour penser son identité. Et en plus, l'identité, c'est quelque chose, je pense qui se ressent plus que qui peut être défini théoriquement comme une doctrine, je ne sais pas, dans un livre.

  • Speaker #0

    L'identité, pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu... il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être le processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser aussi. C'est très occidental de venir avec des modes d'emploi et de dire, il n'y a qu'à faire. Voilà, l'identité antillaise, c'est ça. J'aurais pu essayer ce truc-là, mais je me serais trahi, en fait. Parce que tout mon discours tient du fait que l'intelligence collective est nécessaire pour la construction de quelque chose qui nous dépasse. Donc si j'arrive avec un mode d'emploi, je vais éliminer tous les gens qui soit ne suivent pas ce mode d'emploi, soit n'y croient pas, soit ils sont un peu réfractaire. Et moi j'ai envie dans ma démarche de ne laisser personne au bord du chemin. Je parle de peuple. Donc c'est une notion noire, c'est même une notion, dans la bouche, une notion philosophique, plus que l'histoire d'un territoire, une population, une langue commune, une culture, une religion. Pour moi ça va beaucoup plus loin que ça, c'est plus important que ça, c'est plus haut que ça, c'est plus spirituel d'ailleurs que ça. Et donc il me fallait trouver une méthode qui engage ceux qui ont envie d'être engagés, à la réflexion. Maintenant, j'accepte sans aucun problème qu'il y ait des gens qui ne soient pas intéressés par cette réflexion-là ou qui ne partagent pas les pistes que moi je développe. Et c'est tant mieux parce qu'en fait, du dissensus, va naître quelque chose de plus riche qu'un simple phénomène d'adhésion. C'est bon. J'espère y trouver toute ma vie dans cette veille-là, pour susciter, appliquer, donner envie aux miens de s'engager, ne serait-ce que sur un débat, un déjeuner familial, sur ça, qui on est, qu'est-ce qu'on aime faire, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on a envie de faire, quels sont les freins, quelles sont les forces, quelles sont les faiblesses. comment on transmute ce qui est déjà là en quelque chose de bénéfique pour ceux qui viennent après nous, déjà.

  • Speaker #1

    C'est super intéressant. C'est d'autant plus intéressant parce que je pense aussi que la façon dont on construit son identité ou qu'on la définit soi-même, c'est vraiment à travers les expériences. Et justement, je voudrais partager une expérience. Je rigole un peu parce que la première fois où j'ai lu le livre, le premier essai, donc le jour où les Antilles feront peuple, ça m'a bouleversée. Franchement, je ne sais pas, je pense que c'était un peu comme un éveil, mais j'étais consciente de certaines choses dont le livre parlait, notamment la partie sur le côté calculateur de la colonisation. Oui, je savais un peu, mais le fait de la lire... Et en plus, quand j'ai lu aussi Se penser peuple des Antilles avec la controverse de Lynch, je crois, que je n'ai jamais lu. Je ne sais pas si un jour je vais le lire, mais le peu que j'ai lu dans le livre, je me suis dit « les gens sont fous » . Les gens sont fous. Et d'une part, c'est fascinant de voir comment le cerveau humain peut fonctionner pour qu'on ait un résultat bien précis. Mais en même temps, ça montre aussi des dérives. Pour revenir à la question identitaire, en fait, en lisant ça, je me suis éveillée entre guillemets sur deux pans, même si je pense que j'ai eu d'autres éveils avant ça. Je me suis rendu compte, un, que c'est vraiment en Guadeloupe et dans la Caraïbe que je veux vivre, construire ma vie et tout. C'est bien l'Europe, c'est bien les États-Unis, c'est bien l'Asie. Ok, je vais aller visiter. Peut-être y vivre un certain temps, mais pas toute ma vie. Et par rapport aux expériences de vie que j'ai eues, Je sens qu'il y a des choses que je dois continuer à découvrir pour mieux définir qui je suis et aussi pour pouvoir faire peuple avec mes semblables. Donc la Guadeloupe par extension, les Antilles, la Guyane, la Caraïbe. Et d'une certaine façon, je suis un peu reconnaissante d'avoir eu cette calotte lors de la lecture du premier livre.

  • Speaker #0

    Je reprends ce que tu dis parce qu'un jour, j'ai fait une présentation au Centre des Arts et il y a une jeune dame qui m'a dit, avec beaucoup de courage, devant tous les gens qui étaient là, elle m'a dit « j'ai lu votre livre, mais vous m'avez fait pleurer » . Elle m'a dit « ça a été dur » . Elle m'a dit « les premiers développements », ont été très durs et j'ai dû déposer le livre pendant trois mois. Il m'a fallu trois mois pour me remettre de ce que j'avais lu. Elle m'a dit « j'ai beaucoup aimé la suite finalement » parce qu'en fait, elle a souligné que j'apportais une ouverture qui détenait avec les développements précédents. Quand je parle du germe identitaire qui a néanti, quand je dis que les antilles sont des terres de violence historiquement, elle m'a remercié en fait. Mais elle a d'abord bien insisté sur le fait que la lecture avait été violente pour elle. Bien sûr, moi je n'écris pas dans ce sens-là, mais certaines vérités, parfois, viennent révéler des choses en nous. Et pour éveiller sa conscience, il faut justement des prises de conscience. Avant d'éveiller la conscience, il faut peut-être des prises de conscience. Et donc voilà, je m'excuse pour tous les calottes que j'ai distribué avec mon premier essai, parce que c'est fait avec aucune malveillance. Mais parfois, il faut regarder notre réalité, aussi crue soit-elle. Et tu le disais tout à l'heure, la doctrine Lynch, c'est une sacrée histoire. Et quand moi, j'ai documenté cette partie-là, je me suis dit qu'en fait, les nazis n'ont rien inventé. Il y avait l'eugénisme, le disgénisme, tu vois, c'est vraiment des mécanismes machiavéliques, mais en même temps, c'est humain. Tu disais, les gens sont fous. En fait, l'humain est parfois comme ça. L'humain n'a aucun complexe à dominer son semblable. Quand il a fini par dominer son environnement naturel, il va essayer de dominer son semblable. Et la chance et l'opportunité qu'il nous a donné, nous, en tant qu'habitants de territoires colonisés, C'est peut-être d'en revenir, de mettre la bienveillance, de l'amour dans ces essais, dans ces tentatives de domination humaine, tu vois, d'un groupe sur l'autre. Parce que ce sont des choses cycliques. En fonction de la période de l'histoire, tu as des territoires qui dominent d'autres, tu as des peuples qui dominent d'autres. Et moi, j'aimerais bien qu'on invente pour nous-mêmes d'abord un mécanisme où on n'est pas dans ce jeu de domination. des mécanismes où on parvient à élever ce qu'il y a de meilleur en nous. On arrive à allier matérialité et spiritualité, à faire descendre dans la matière des idées nobles, comme l'amour, comme la joie, comme le faire ensemble. Voilà, je pense que la route et ... la route est toute tracée. On a ...les antillais ont connu tellement d'ignomini, tellement d'exactions. qu'on pourra difficilement faire pire. Et donc, ça rend le mieux à faire très facile, en fait, parce qu'on part de très loin. Et j'ai envie que mes territoires soient des précurseurs pour l'humanité dans ces projets là.

  • Speaker #1

    Et je pense qu'on est sur la bonne voie.

  • Speaker #0

    Moi aussi.

  • Speaker #1

    Je pense parce que quand je vois, si je prends l'exemple des jeunes de ma génération, donc les millenials, je vois qu'on est quand même très acteurs. On prend, je dirais, notre destin, mais aussi notre présent. Et à côté de ça, il y a aussi un peu plus de soutien. C'est-à-dire que, bon, par rapport à toute l'histoire des Antilles. Ce qui s'est passé, le fameux fan tchou, je dirais que maintenant, le fan tchou, on le sent moins. C'est-à-dire que les jeunes vont plus s'entraider, même si c'est un pas de fourmi, mais au moins, c'est déjà quelque chose. Donc, chacun fait, comme on dit, sa part de colibri.

  • Speaker #0

    Je suis d'accord avec ça. Je suis d'accord avec ton constat sur ces nouvelles générations, parce qu'en fait, ces nouvelles générations, elles n'ont pas connu les mécanismes insidieux de la colonisation qu'ont connus mes parents, par exemple. Moi, je suis un enfant du Bumidom, par exemple, et peu de gens savent à quel point cette politique nationale, hexagonale, le Bureau de l'Immigration des départements d'Outre-mer, est venu puiser la force de la jeunesse antillaise pour l'exporter, enfin, pour l'importer sur le territoire hexagonal. À cette époque-là... On aurait pu, dans les années 60, je pense, on aurait pu avoir cette possibilité de vivre ce que la jeunesse guadeloupéenne et la jeunesse martiniquaise sont en train de vivre maintenant. Tu vois, cet éveil, cette volonté de faire pour son territoire. Mais la France a mis à terre ce système, le Bumidom, qui est venu assécher toute la jeunesse guadeloupéenne, toute la jeunesse martiniquaise, réunionnaise aussi, pour faire... des préposés à la poste, des aides-soignants, des brancardiers, dans les meilleurs des cas, des infirmiers, tu vois. Mais les Antilles auraient déjà vécu cet essor sans cette politique-là, sans cette politique migratoire. Ça ne marchera plus, il n'y aura plus de Bumidom. Parce que maintenant, la jeunesse est beaucoup trop connectée pour se laisser endormir le cerveau. A l'époque, nos parents, ils n'avaient rien, à peine la télé, tu vois. Et les infos passaient par des médias, les médias de grands chiens. Maintenant c'est terminé, quand tu lis une info, tu as ce petit truc dans ta poche qui est une fenêtre sur le monde. Et donc la jeunesse d'aujourd'hui est beaucoup plus perspicace aussi, parce que le monde a changé. Et comme le monde a changé, notre jeunesse... ne peut plus être manipulée de la même façon. On pourrait la manipuler autrement, mais plus par les moyens classiques, plus par les moyens utilisés jusqu'à maintenant par le système. Donc, tu parlais du fan tchou tout à l'heure, mais ça aussi, ça aussi, ça vient de l'histoire en fait. La délation entre esclaves d'abord, la délation ensuite de... entre nationalistes slash indépendantistes et tous les autres. Moi, j'ai eu la chance d'avoir... J'ai la chance encore d'avoir un oncle, Raymond, Raymond Gama, qui était fonctionnaire, qui était prof, mais qui était aussi indépendantiste. Et donc, il a utilisé le système. A bon escient, il a été prof, il a été payé par l'État, mais il formait la jeunesse guadeloupéenne, a une idée d'une certaine Guadeloupe. Et donc, les générations avant nous, yo fé débouya, en fait. Ils ont fait avec ce qu'ils avaient. Alors, tout de suite, de prime abord, on va voir la contradiction. Tiens, maintenant, si t'es un dépendantiste, tu peux pas, en même temps, toucher de l'argent de l'État. Oui, mais dans des périodes de nécessité où il faut former politiquement la population, tous les moyens sont bons pour y arriver. Et s'il faut utiliser le système, on utilise le système parce que le système utilise les ressources humaines des Antilles aussi. Donc on lui rend la monnaie de sa pièce.

  • Speaker #1

    Super intéressant aussi cette partie-là parce que je vois un peu comment s'est fait, entre guillemets, ton éveil. C'est-à-dire comment tu as pris conscience de certaines choses et qui t'ont sans doute aussi amené à écrire les essais. Ce que je veux dire, c'est que, par exemple, en côtoyant cet oncle qui implémentait des petites graines, tu as commencé à voir autrement les choses. Certainement, ce sont des suppositions que je vois, notamment peut-être aussi à t'intéresser plus à l'histoire des Antilles, parce que je ne sais pas actuellement comment ça se passe dans les écoles, mais lorsque j'étais à l'école, donc avant les études supérieures, on n'étudiait pas énormément l'histoire des Antilles. C'était très psoradique.

  • Speaker #0

    Il y a de ça. Moi, j'ai eu la chance d'avoir une voisine à Pointe-à-Pitre, quand j'y habitais quand j'étais jeune, qui m'a prêté... Moi, j'ai appris l'histoire des Antilles par les contes, par le créole. Moi j'arrivais de région parisienne à 7 ans, et par ... mon père est muté, mon père était fonctionnaire de police, il est muté en Guadeloupe en 1985. J'arrive et je parle très peu le créole, j'ai 7 ans. Et pour moi ça devient une nécessité de me mettre à la page du pays, tu vois, et de pouvoir parler créole avec mes cousins, tous mes cousins dans le créole, et voilà, moi je suis... Je suis un petit parisien,qui ne parle pas créole, mais ce n'était pas gérable, ça ne pouvait pas rester comme ça. Et en plus, il y a les mecs, mes charmants cousins, qui me font bien sentir, voilà, d'où tu viens. Et c'est par une réaction, d'ailleurs, c'est par une réaction d'orgueil. Tu vois, quand on parle de conscience, mais c'est d'abord l'ego qui a répondu, parce que je ne voulais pas rester coincé dans ce truc-là, dans cette étiquette qu'ils m'avaient collé, mes cousins. Et voilà, je voulais faire partie du game, en fait, je voulais être dans ma famille, je voulais comprendre quand ma grand-mère parle, tu vois. Je voulais comprendre, je voulais pouvoir discuter avec elle, je voulais qu'elle m'en raconte sa vie. Et c'est toujours plus facile quand tu discutes avec tes grands-parents, quand ils te racontent leurs souvenirs de jeunesse, ils vont te raconter des choses ils vont te les raconter en créole, ils ne vont pas te les rapporter en français. Parce qu'en fait, ça vient du cœur, et donc l'âme de notre cœur, ça restera toujours le créole, à mon sens. Et donc j'ai cette chance d'avoir une voisine, Mme Ongoli, qui est plein de livres chez elle, je sais bien, déjà moi à l'époque j'aimais beaucoup lire. Et donc je passe les journées chez elle. Je passe des journées chez elle, à lire, tout ce qui est compè lapin, compé zamba, pou ki bitin crab pa ni tèt tiens à la tête,d'où ça vient tu vois. Et en fait, je commence à comprendre que OK, parce que ce que j'ai connu enfant, l'image que j'avais des Antilles , en fait, c'est pas réellement ça. C'est plus profond. Et je continue à grandir, je continue à aller passer des vacances chez mon oncle à Port-Louis. Et je l'entends dire des choses, je ne suis pas souvent d'accord avec lui d'ailleurs au départ. Je ne comprends pas, je ne comprends pas où il veut en venir. Jusqu'au jour où je me pose la question, c'est quoi notre intérêt d'être français ? On en tire quoi ? Est-ce que notre développement économique, social, il est digne de la France, de la grande France qu'on nous présente en fait. Et je me dis qu'en fait on est des temps oubliés. On est à la traîne en fait. Et en fait c'est pas seulement qu'on soit à la traîne, c'est parfois la France nous traîne. Et à ce moment-là, il se passe quelque chose, il y a, il y a un switch. Il y a un switch dans le logiciel et je me dis ok, j'ai pensé de façon... comment dire, de façon très orientée jusqu'à maintenant. Et à ce moment-là, j'accepte de regarder les choses à 360 degrés, de regarder ça de tous les points de vue. Et là, je dis, waouh, c'est beaucoup plus complexe que je n'imaginais, en fait. Et je me suis posé la question, pour le coup, la première question était, quel intérêt avons-nous à être Français ? Et je me pose la question, la deuxième question, c'est mais quel intérêt la France a à nous avoir dans ses départements ? Et là, je comprends. Ah, d'accord. C'est une question de supériorité, c'est une question de rang dans le monde. La France est une grande nation et n'a été une grande nation que parce que c'est une nation impérialiste et colonisatrice, en fait. Pendant des siècles, Haïti a fait la richesse de la France. avec les égides, c'est avec le sucre et tout ça. Et je commence à comprendre le mécanisme. En fait, on est français parce que la France a besoin de régner sur une zone économique exclusive, sur des mers en fait. Je me rappelle d'un discours que j'avais noté, étudié, d'un grand personnage de la politique française qui parlait du fait que les Antilles soient le porte-avions de la France. Et j'ai compris, j'ai compris qu'en fait... On nous utilise comme on a utilisé la Guyane pour envoyer des fusées dans l'espace. Les fusées décollaient de Kourou. Et autour, il y avait des ghettos. Et ça ne dérangeait personne de faire un acte aussi puissant que d'envoyer un objet dans l'espace. Et de l'autre côté, de laisser des gens mourir de faim. Et elle est où l'humanité là-dedans ? Et on en revient à ce dont je parle à chaque fois. La France est une nation. qui cherche à assurer son rang dans le concert des nations qui dominent. Et toute domination économique est nécessairement un fruit du capitalisme et le cœur du capitalisme. C'est la domination de l'homme par l'homme, que ce soit sous une forme d'esclavage, que ce soit sous une forme de colonisation, ou que ce soit même sous une forme du libéralisme. Lorsque les esclaves sont libérés aux Antilles, il faut étudier ça de près, mais les articles ensuite qui suivent, l'article premier qui abolit l'esclavage, crée le délit de marronnage, crée le délit de mendicité, crée le... ça vient mettre des contraintes. aux esclaves pour qu'ils retournent travailler finalement sur leur réhabilitation. Donc avant, ils étaient dans une condition d'esclaves où ils devaient travailler sans salaire, mais ils disposaient d'un endroit où vivre. Je ne dis pas que l'esclavage c'était confortable. Je dis juste que du jour au lendemain, ils sont passés d'esclaves à travailleurs pauvres, pour des gens qui ont été indemnisés. Waouh ! Qui a eu le génie d'inventer ça ? Un affranchi, un esclave libéré, il ne pouvait pas aller de Pointe-à-Pitre au Moule sans être arrêté pour voir. Il lui fallait son QR code de l'époque. Comme à l'époque Covid, il lui fallait une autorisation. Et cette autorisation, elle était délivrée soit par le gouverneur, soit par un de ses représentants. Parce que... L'ancien esclave devait payer des taxes, en fait, pour se déplacer. Et on lui accordait ce laissé-passé si les taxes étaient payées.

  • Speaker #1

    C'est une ironie. Enfin, il était censé être libre. Mais là, qu'est-ce que ça veut vraiment dire la liberté, en fait ?

  • Speaker #0

    Voilà. Et c'est pour ça que lorsqu'on fête aux Antilles, le 22 mai et le 27 mai, moi, je dis toujours, faites attention à ce que vous fêtez. Renseignez-vous. Pour moi, on a modifié le vocable. Les gens étaient esclaves, et ensuite ils sont devenus des travailleurs. Ça veut dire que l'esclavage a été étendu au reste de l'humanité à ce moment-là, en fait.

  • Speaker #1

    Sous une autre forme.

  • Speaker #0

    Sous une autre forme, mais c'est diaboliquement génial. Il faut dire les choses comme elles sont.

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait penser aussi à autre chose. Si je fais un comparatif avec nos voisins anglophones, À ma connaissance, il ne célèbre pas d'abolition de l'esclavage. Il célèbre deux choses importantes, le jour d'indépendance et un jour qui s'appelle Emancipation Day. Et là, je me demande en fait, il faudrait que je me renseigne, que je fasse mes recherches, mais quelle est la différence entre un jour d'abolition d'esclavage et Emancipation Day ? Sachant que... Oui, on a certes des différences par rapport aux différents statuts des territoires dans la Caraïbe, mais on a quand même une histoire commune et des similitudes.

  • Speaker #0

    Surtout que, Sainte-Lucie et la Dominique, c'est des îles qui ont été tantôt françaises,

  • Speaker #1

    tantôt anglaises.

  • Speaker #0

    Alors, pour le coup, ces îles-là, elles ont pris double peine. Parce que la colonisation française et la colonisation britannique ont deux esprits différents. La colonisation britannique... Elle est définitivement dans cette idée d'apartheid, de séparation. La colonisation française est fondée sur l'assimilation. L'assimilation par le biais d'ailleurs de l'acculturation, d'effacement de la culture originelle pour aller vers une exclusivité culturelle française. La colonisation britannique est légèrement différente là-dessus, parce qu'elle va sous couvert de laisser aux territoires leurs spécificités. Elle les met à distance. C'est une colonisation de distanciation. Donc même si ces îles-là font partie du Commonwealth, il ne faut pas croire qu'ils sont tous sujets de la couronne au même rang.

  • Speaker #1

    On le voit en plus entre les différents territoires. Si on prend les territoires de l'OECS et... qu'on prend la Barbade. Bon, maintenant, c'est une république, comme Trinidad aussi, mais même avant que ce soit une république, qu'on voit la Barbade par rapport à la Dominique ou Saint-Denis, il y a quand même un gap. Exact. Mais moi, je suis assez heureux, en fait, de cette disparité, parce qu'en fait, ça nous donne des points de repère, tu vois, ça nous donne des éléments de préparaison, et donc ça nous donne... plus de latitude pour créer... par contre on voit qu'avec des causes différentes, on a des effets différents. Même s'il y a ce socle commun de terres colonisées, ça n'a pas donné les mêmes résultats partout, ça n'a pas donné les mêmes éveils partout, ça n'a pas donné le même esprit d'indépendance partout. Et tu vois quand la Barbade devient une république, pour moi elle pose une stèle politique à la fin d'un système qui est en résonance avec ce qui se passe dans le Sahel, par exemple. C'est des gens qui viennent et qui disent, OK, maintenant, nous allons prendre nos responsabilités. Nous n'avons plus besoin de vous. Mais si nous devons travailler ensemble. Nous allons travailler d'égal à égal. Et ça, c'est un discours que le système capitaliste ne peut pas entendre. L'égal à égal, ce n'est pas possible parce que le système est fondé sur la domination d'un groupe réduit sur un groupe très élargi. Ça nourri la réflexion et j'espère que ça va nourrir aussi la réflexion des auditeurs. Je voudrais revenir sur les deux expressions que tu as créées dans les deux essais. Peut-être que je vais piqué un peu, mais on a parlé un moment des jeunes qui commençaient à faire un peu plus de peuple, contrairement aux générations des parents ou des grands-parents. et qui développe d'une certaine façon une conscience antillaise. Donc, j'aimerais savoir, aussi pour donner un avant-goût aux personnes qui n'ont pas encore lu le livre, mais qui écouteront cet épisode, pour le lire comment tu définis du moins la conscience antillaise.

  • Speaker #2

    Dans le prochain épisode,

  • Speaker #0

    pour construire ensemble, il faut d'abord être... Capable de construire en soi. Et pour faire peuple, il faut déjà faire peuple en soi. pour faire peuple ensemble.

  • Speaker #2

    Si cet épisode vous a plu, je vous invite à le partager avec vos proches. À laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur la plateforme sur laquelle vous écoutez vos podcasts. Car chaque écoute est une petite étincelle. À bientôt pour le prochain épisode.

  • Speaker #0

    Sous-titrage

Description

Comment peut-on définir l’identité antillaise ?

Il n’y aura sans doute jamais une réponse précise à cette question, car la réponse sera sans doute différente d’un antillais à l’autre. Au cours d’un échange avec Matthieu Gama, auteur des essais Le jour où les Antilles feront peuples et Se penser peuple des Antilles, nous tentons de comprendre comment peut-on définir et s’approprier son identité, qu’est-ce qui pourrait la caractériser et quelles sont ses composantes.




Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'identité pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu, il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être un processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser.

  • Speaker #1

    Bonjour Mathieu et bienvenue sur Caribbean Lifestyle Podcast.

  • Speaker #0

    Bonjour Anaïs et merci de m'accueillir.

  • Speaker #1

    Merci à toi d'avoir accepté mon invitation. Alors Mathieu, tu es l'auteur de deux essais qui ont connu un certain succès. A leurs sortis, Le jour où les Antilles feront peuple et Se penser peuple des Antilles. Deux ouvrages qui s'adressent directement aux populations antillaises. Sans doute aussi à la population guyanaise mais... pas qu'à ces deux populations, peut-être aussi plus largement au monde. Deux ouvrages au carrefour de l'histoire, la sociologie, la psychologie et la spiritualité. Dans ces deux ouvrages, tu nous invites à réfléchir sur la façon dont on fait peuple en éveillant la conscience antillaise, un terme que je crois que tu as créé, et à réaliser la prophétie des peuples colonisés. Une expression aussi qui vient de toi. Et nous reviendrons aussi plus tard sur ces deux expressions. Mais tout d'abord, est-ce que tu peux nous expliquer comment t'es venue l'idée, l'envie ou la vocation d'écrire ces deux essais ?

  • Speaker #0

    Je te remercie de me poser ces questions. Elles ne m'ont pas encore été posées. J'ai déjà fait beaucoup de podcasts et d'émissions. Et c'est la première fois que c'est formulé de la sorte. Donc, je te remercie Anaïs. de venir me chercher sur des terres pour moi inconnues. L'envie d'écrire, c'est un élan du cœur, je pense, avant toute chose. Est-ce que c'est une vocation, je ne sais pas, je le saurais à la fin de ma vie terrestre, je pourrais te répondre et te dire, ok, c'était vraiment ça, j'étais né pour faire ça. L'essentiel pour moi est de... d'interroger les générations présentes, les plus anciennes comme les plus jeunes, un peu comme le suggère Frantz Fanon, chaque génération doit accomplir ou trahir sa mission, et j'ai envie que les générations qui me sont contemporaines se posent... la question de notre ambition de construire notre vivre ensemble au quotidien en fait. Donc voilà, je suis motivé par ça. Ça me parle. Est-ce que c'est une mission ? Ça aussi. Tu vois, on met beaucoup de choses derrière ces termes-là. Vocation, mission. On me dit souvent que j'ai un discours prophétique et je n'aime pas trop l'idée d'être un guide ou d'être un mentor ou d'être un gourou. Et c'est pour ça que je laisse beaucoup la place à la réflexion personnelle du lecteur ou de la lectrice à mes écrits. Et l'histoire dira si les questions que j'ai posées étaient des questions opportunes et surtout si elles ont éveillé chez eux cette prise de conscience, si elles ont créé un élan qui puisse nous permettre d'avancer, à mon sens, en lumière vers ce qu'on a envie de devenir.

  • Speaker #1

    C'est vrai. Je partage aussi l'idée que ... ce que j'ai apprécié, en fait, dans les deux ouvrages que j'ai lus, je crois, deux fois chacun, ou un peu plus, c'est qu'en fait, la façon dont c'est écrit laisse le lecteur à se poser lui-même des questions. Il n'y a pas de... enfin, ce n'est pas quelque chose qui donne une recette toute faite, un mode d'emploi, et c'est super intéressant et inspirant parce qu'en fait, j'ai envie de dire, mais les gens qui écrivent les auteurs, qui sont-ils pour donner un mode d'emploi sur un fonctionnement ? pour penser son identité. Et en plus, l'identité, c'est quelque chose, je pense qui se ressent plus que qui peut être défini théoriquement comme une doctrine, je ne sais pas, dans un livre.

  • Speaker #0

    L'identité, pour moi, c'est un processus dynamique. Donc, c'est un processus par lequel un individu... il va développer l'affirmation de ses qualités. Si on parle d'identité antillaise, ça va donc être le processus par lequel le peuple antillais va se définir, se reconnaître, se singulariser aussi. C'est très occidental de venir avec des modes d'emploi et de dire, il n'y a qu'à faire. Voilà, l'identité antillaise, c'est ça. J'aurais pu essayer ce truc-là, mais je me serais trahi, en fait. Parce que tout mon discours tient du fait que l'intelligence collective est nécessaire pour la construction de quelque chose qui nous dépasse. Donc si j'arrive avec un mode d'emploi, je vais éliminer tous les gens qui soit ne suivent pas ce mode d'emploi, soit n'y croient pas, soit ils sont un peu réfractaire. Et moi j'ai envie dans ma démarche de ne laisser personne au bord du chemin. Je parle de peuple. Donc c'est une notion noire, c'est même une notion, dans la bouche, une notion philosophique, plus que l'histoire d'un territoire, une population, une langue commune, une culture, une religion. Pour moi ça va beaucoup plus loin que ça, c'est plus important que ça, c'est plus haut que ça, c'est plus spirituel d'ailleurs que ça. Et donc il me fallait trouver une méthode qui engage ceux qui ont envie d'être engagés, à la réflexion. Maintenant, j'accepte sans aucun problème qu'il y ait des gens qui ne soient pas intéressés par cette réflexion-là ou qui ne partagent pas les pistes que moi je développe. Et c'est tant mieux parce qu'en fait, du dissensus, va naître quelque chose de plus riche qu'un simple phénomène d'adhésion. C'est bon. J'espère y trouver toute ma vie dans cette veille-là, pour susciter, appliquer, donner envie aux miens de s'engager, ne serait-ce que sur un débat, un déjeuner familial, sur ça, qui on est, qu'est-ce qu'on aime faire, qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on a envie de faire, quels sont les freins, quelles sont les forces, quelles sont les faiblesses. comment on transmute ce qui est déjà là en quelque chose de bénéfique pour ceux qui viennent après nous, déjà.

  • Speaker #1

    C'est super intéressant. C'est d'autant plus intéressant parce que je pense aussi que la façon dont on construit son identité ou qu'on la définit soi-même, c'est vraiment à travers les expériences. Et justement, je voudrais partager une expérience. Je rigole un peu parce que la première fois où j'ai lu le livre, le premier essai, donc le jour où les Antilles feront peuple, ça m'a bouleversée. Franchement, je ne sais pas, je pense que c'était un peu comme un éveil, mais j'étais consciente de certaines choses dont le livre parlait, notamment la partie sur le côté calculateur de la colonisation. Oui, je savais un peu, mais le fait de la lire... Et en plus, quand j'ai lu aussi Se penser peuple des Antilles avec la controverse de Lynch, je crois, que je n'ai jamais lu. Je ne sais pas si un jour je vais le lire, mais le peu que j'ai lu dans le livre, je me suis dit « les gens sont fous » . Les gens sont fous. Et d'une part, c'est fascinant de voir comment le cerveau humain peut fonctionner pour qu'on ait un résultat bien précis. Mais en même temps, ça montre aussi des dérives. Pour revenir à la question identitaire, en fait, en lisant ça, je me suis éveillée entre guillemets sur deux pans, même si je pense que j'ai eu d'autres éveils avant ça. Je me suis rendu compte, un, que c'est vraiment en Guadeloupe et dans la Caraïbe que je veux vivre, construire ma vie et tout. C'est bien l'Europe, c'est bien les États-Unis, c'est bien l'Asie. Ok, je vais aller visiter. Peut-être y vivre un certain temps, mais pas toute ma vie. Et par rapport aux expériences de vie que j'ai eues, Je sens qu'il y a des choses que je dois continuer à découvrir pour mieux définir qui je suis et aussi pour pouvoir faire peuple avec mes semblables. Donc la Guadeloupe par extension, les Antilles, la Guyane, la Caraïbe. Et d'une certaine façon, je suis un peu reconnaissante d'avoir eu cette calotte lors de la lecture du premier livre.

  • Speaker #0

    Je reprends ce que tu dis parce qu'un jour, j'ai fait une présentation au Centre des Arts et il y a une jeune dame qui m'a dit, avec beaucoup de courage, devant tous les gens qui étaient là, elle m'a dit « j'ai lu votre livre, mais vous m'avez fait pleurer » . Elle m'a dit « ça a été dur » . Elle m'a dit « les premiers développements », ont été très durs et j'ai dû déposer le livre pendant trois mois. Il m'a fallu trois mois pour me remettre de ce que j'avais lu. Elle m'a dit « j'ai beaucoup aimé la suite finalement » parce qu'en fait, elle a souligné que j'apportais une ouverture qui détenait avec les développements précédents. Quand je parle du germe identitaire qui a néanti, quand je dis que les antilles sont des terres de violence historiquement, elle m'a remercié en fait. Mais elle a d'abord bien insisté sur le fait que la lecture avait été violente pour elle. Bien sûr, moi je n'écris pas dans ce sens-là, mais certaines vérités, parfois, viennent révéler des choses en nous. Et pour éveiller sa conscience, il faut justement des prises de conscience. Avant d'éveiller la conscience, il faut peut-être des prises de conscience. Et donc voilà, je m'excuse pour tous les calottes que j'ai distribué avec mon premier essai, parce que c'est fait avec aucune malveillance. Mais parfois, il faut regarder notre réalité, aussi crue soit-elle. Et tu le disais tout à l'heure, la doctrine Lynch, c'est une sacrée histoire. Et quand moi, j'ai documenté cette partie-là, je me suis dit qu'en fait, les nazis n'ont rien inventé. Il y avait l'eugénisme, le disgénisme, tu vois, c'est vraiment des mécanismes machiavéliques, mais en même temps, c'est humain. Tu disais, les gens sont fous. En fait, l'humain est parfois comme ça. L'humain n'a aucun complexe à dominer son semblable. Quand il a fini par dominer son environnement naturel, il va essayer de dominer son semblable. Et la chance et l'opportunité qu'il nous a donné, nous, en tant qu'habitants de territoires colonisés, C'est peut-être d'en revenir, de mettre la bienveillance, de l'amour dans ces essais, dans ces tentatives de domination humaine, tu vois, d'un groupe sur l'autre. Parce que ce sont des choses cycliques. En fonction de la période de l'histoire, tu as des territoires qui dominent d'autres, tu as des peuples qui dominent d'autres. Et moi, j'aimerais bien qu'on invente pour nous-mêmes d'abord un mécanisme où on n'est pas dans ce jeu de domination. des mécanismes où on parvient à élever ce qu'il y a de meilleur en nous. On arrive à allier matérialité et spiritualité, à faire descendre dans la matière des idées nobles, comme l'amour, comme la joie, comme le faire ensemble. Voilà, je pense que la route et ... la route est toute tracée. On a ...les antillais ont connu tellement d'ignomini, tellement d'exactions. qu'on pourra difficilement faire pire. Et donc, ça rend le mieux à faire très facile, en fait, parce qu'on part de très loin. Et j'ai envie que mes territoires soient des précurseurs pour l'humanité dans ces projets là.

  • Speaker #1

    Et je pense qu'on est sur la bonne voie.

  • Speaker #0

    Moi aussi.

  • Speaker #1

    Je pense parce que quand je vois, si je prends l'exemple des jeunes de ma génération, donc les millenials, je vois qu'on est quand même très acteurs. On prend, je dirais, notre destin, mais aussi notre présent. Et à côté de ça, il y a aussi un peu plus de soutien. C'est-à-dire que, bon, par rapport à toute l'histoire des Antilles. Ce qui s'est passé, le fameux fan tchou, je dirais que maintenant, le fan tchou, on le sent moins. C'est-à-dire que les jeunes vont plus s'entraider, même si c'est un pas de fourmi, mais au moins, c'est déjà quelque chose. Donc, chacun fait, comme on dit, sa part de colibri.

  • Speaker #0

    Je suis d'accord avec ça. Je suis d'accord avec ton constat sur ces nouvelles générations, parce qu'en fait, ces nouvelles générations, elles n'ont pas connu les mécanismes insidieux de la colonisation qu'ont connus mes parents, par exemple. Moi, je suis un enfant du Bumidom, par exemple, et peu de gens savent à quel point cette politique nationale, hexagonale, le Bureau de l'Immigration des départements d'Outre-mer, est venu puiser la force de la jeunesse antillaise pour l'exporter, enfin, pour l'importer sur le territoire hexagonal. À cette époque-là... On aurait pu, dans les années 60, je pense, on aurait pu avoir cette possibilité de vivre ce que la jeunesse guadeloupéenne et la jeunesse martiniquaise sont en train de vivre maintenant. Tu vois, cet éveil, cette volonté de faire pour son territoire. Mais la France a mis à terre ce système, le Bumidom, qui est venu assécher toute la jeunesse guadeloupéenne, toute la jeunesse martiniquaise, réunionnaise aussi, pour faire... des préposés à la poste, des aides-soignants, des brancardiers, dans les meilleurs des cas, des infirmiers, tu vois. Mais les Antilles auraient déjà vécu cet essor sans cette politique-là, sans cette politique migratoire. Ça ne marchera plus, il n'y aura plus de Bumidom. Parce que maintenant, la jeunesse est beaucoup trop connectée pour se laisser endormir le cerveau. A l'époque, nos parents, ils n'avaient rien, à peine la télé, tu vois. Et les infos passaient par des médias, les médias de grands chiens. Maintenant c'est terminé, quand tu lis une info, tu as ce petit truc dans ta poche qui est une fenêtre sur le monde. Et donc la jeunesse d'aujourd'hui est beaucoup plus perspicace aussi, parce que le monde a changé. Et comme le monde a changé, notre jeunesse... ne peut plus être manipulée de la même façon. On pourrait la manipuler autrement, mais plus par les moyens classiques, plus par les moyens utilisés jusqu'à maintenant par le système. Donc, tu parlais du fan tchou tout à l'heure, mais ça aussi, ça aussi, ça vient de l'histoire en fait. La délation entre esclaves d'abord, la délation ensuite de... entre nationalistes slash indépendantistes et tous les autres. Moi, j'ai eu la chance d'avoir... J'ai la chance encore d'avoir un oncle, Raymond, Raymond Gama, qui était fonctionnaire, qui était prof, mais qui était aussi indépendantiste. Et donc, il a utilisé le système. A bon escient, il a été prof, il a été payé par l'État, mais il formait la jeunesse guadeloupéenne, a une idée d'une certaine Guadeloupe. Et donc, les générations avant nous, yo fé débouya, en fait. Ils ont fait avec ce qu'ils avaient. Alors, tout de suite, de prime abord, on va voir la contradiction. Tiens, maintenant, si t'es un dépendantiste, tu peux pas, en même temps, toucher de l'argent de l'État. Oui, mais dans des périodes de nécessité où il faut former politiquement la population, tous les moyens sont bons pour y arriver. Et s'il faut utiliser le système, on utilise le système parce que le système utilise les ressources humaines des Antilles aussi. Donc on lui rend la monnaie de sa pièce.

  • Speaker #1

    Super intéressant aussi cette partie-là parce que je vois un peu comment s'est fait, entre guillemets, ton éveil. C'est-à-dire comment tu as pris conscience de certaines choses et qui t'ont sans doute aussi amené à écrire les essais. Ce que je veux dire, c'est que, par exemple, en côtoyant cet oncle qui implémentait des petites graines, tu as commencé à voir autrement les choses. Certainement, ce sont des suppositions que je vois, notamment peut-être aussi à t'intéresser plus à l'histoire des Antilles, parce que je ne sais pas actuellement comment ça se passe dans les écoles, mais lorsque j'étais à l'école, donc avant les études supérieures, on n'étudiait pas énormément l'histoire des Antilles. C'était très psoradique.

  • Speaker #0

    Il y a de ça. Moi, j'ai eu la chance d'avoir une voisine à Pointe-à-Pitre, quand j'y habitais quand j'étais jeune, qui m'a prêté... Moi, j'ai appris l'histoire des Antilles par les contes, par le créole. Moi j'arrivais de région parisienne à 7 ans, et par ... mon père est muté, mon père était fonctionnaire de police, il est muté en Guadeloupe en 1985. J'arrive et je parle très peu le créole, j'ai 7 ans. Et pour moi ça devient une nécessité de me mettre à la page du pays, tu vois, et de pouvoir parler créole avec mes cousins, tous mes cousins dans le créole, et voilà, moi je suis... Je suis un petit parisien,qui ne parle pas créole, mais ce n'était pas gérable, ça ne pouvait pas rester comme ça. Et en plus, il y a les mecs, mes charmants cousins, qui me font bien sentir, voilà, d'où tu viens. Et c'est par une réaction, d'ailleurs, c'est par une réaction d'orgueil. Tu vois, quand on parle de conscience, mais c'est d'abord l'ego qui a répondu, parce que je ne voulais pas rester coincé dans ce truc-là, dans cette étiquette qu'ils m'avaient collé, mes cousins. Et voilà, je voulais faire partie du game, en fait, je voulais être dans ma famille, je voulais comprendre quand ma grand-mère parle, tu vois. Je voulais comprendre, je voulais pouvoir discuter avec elle, je voulais qu'elle m'en raconte sa vie. Et c'est toujours plus facile quand tu discutes avec tes grands-parents, quand ils te racontent leurs souvenirs de jeunesse, ils vont te raconter des choses ils vont te les raconter en créole, ils ne vont pas te les rapporter en français. Parce qu'en fait, ça vient du cœur, et donc l'âme de notre cœur, ça restera toujours le créole, à mon sens. Et donc j'ai cette chance d'avoir une voisine, Mme Ongoli, qui est plein de livres chez elle, je sais bien, déjà moi à l'époque j'aimais beaucoup lire. Et donc je passe les journées chez elle. Je passe des journées chez elle, à lire, tout ce qui est compè lapin, compé zamba, pou ki bitin crab pa ni tèt tiens à la tête,d'où ça vient tu vois. Et en fait, je commence à comprendre que OK, parce que ce que j'ai connu enfant, l'image que j'avais des Antilles , en fait, c'est pas réellement ça. C'est plus profond. Et je continue à grandir, je continue à aller passer des vacances chez mon oncle à Port-Louis. Et je l'entends dire des choses, je ne suis pas souvent d'accord avec lui d'ailleurs au départ. Je ne comprends pas, je ne comprends pas où il veut en venir. Jusqu'au jour où je me pose la question, c'est quoi notre intérêt d'être français ? On en tire quoi ? Est-ce que notre développement économique, social, il est digne de la France, de la grande France qu'on nous présente en fait. Et je me dis qu'en fait on est des temps oubliés. On est à la traîne en fait. Et en fait c'est pas seulement qu'on soit à la traîne, c'est parfois la France nous traîne. Et à ce moment-là, il se passe quelque chose, il y a, il y a un switch. Il y a un switch dans le logiciel et je me dis ok, j'ai pensé de façon... comment dire, de façon très orientée jusqu'à maintenant. Et à ce moment-là, j'accepte de regarder les choses à 360 degrés, de regarder ça de tous les points de vue. Et là, je dis, waouh, c'est beaucoup plus complexe que je n'imaginais, en fait. Et je me suis posé la question, pour le coup, la première question était, quel intérêt avons-nous à être Français ? Et je me pose la question, la deuxième question, c'est mais quel intérêt la France a à nous avoir dans ses départements ? Et là, je comprends. Ah, d'accord. C'est une question de supériorité, c'est une question de rang dans le monde. La France est une grande nation et n'a été une grande nation que parce que c'est une nation impérialiste et colonisatrice, en fait. Pendant des siècles, Haïti a fait la richesse de la France. avec les égides, c'est avec le sucre et tout ça. Et je commence à comprendre le mécanisme. En fait, on est français parce que la France a besoin de régner sur une zone économique exclusive, sur des mers en fait. Je me rappelle d'un discours que j'avais noté, étudié, d'un grand personnage de la politique française qui parlait du fait que les Antilles soient le porte-avions de la France. Et j'ai compris, j'ai compris qu'en fait... On nous utilise comme on a utilisé la Guyane pour envoyer des fusées dans l'espace. Les fusées décollaient de Kourou. Et autour, il y avait des ghettos. Et ça ne dérangeait personne de faire un acte aussi puissant que d'envoyer un objet dans l'espace. Et de l'autre côté, de laisser des gens mourir de faim. Et elle est où l'humanité là-dedans ? Et on en revient à ce dont je parle à chaque fois. La France est une nation. qui cherche à assurer son rang dans le concert des nations qui dominent. Et toute domination économique est nécessairement un fruit du capitalisme et le cœur du capitalisme. C'est la domination de l'homme par l'homme, que ce soit sous une forme d'esclavage, que ce soit sous une forme de colonisation, ou que ce soit même sous une forme du libéralisme. Lorsque les esclaves sont libérés aux Antilles, il faut étudier ça de près, mais les articles ensuite qui suivent, l'article premier qui abolit l'esclavage, crée le délit de marronnage, crée le délit de mendicité, crée le... ça vient mettre des contraintes. aux esclaves pour qu'ils retournent travailler finalement sur leur réhabilitation. Donc avant, ils étaient dans une condition d'esclaves où ils devaient travailler sans salaire, mais ils disposaient d'un endroit où vivre. Je ne dis pas que l'esclavage c'était confortable. Je dis juste que du jour au lendemain, ils sont passés d'esclaves à travailleurs pauvres, pour des gens qui ont été indemnisés. Waouh ! Qui a eu le génie d'inventer ça ? Un affranchi, un esclave libéré, il ne pouvait pas aller de Pointe-à-Pitre au Moule sans être arrêté pour voir. Il lui fallait son QR code de l'époque. Comme à l'époque Covid, il lui fallait une autorisation. Et cette autorisation, elle était délivrée soit par le gouverneur, soit par un de ses représentants. Parce que... L'ancien esclave devait payer des taxes, en fait, pour se déplacer. Et on lui accordait ce laissé-passé si les taxes étaient payées.

  • Speaker #1

    C'est une ironie. Enfin, il était censé être libre. Mais là, qu'est-ce que ça veut vraiment dire la liberté, en fait ?

  • Speaker #0

    Voilà. Et c'est pour ça que lorsqu'on fête aux Antilles, le 22 mai et le 27 mai, moi, je dis toujours, faites attention à ce que vous fêtez. Renseignez-vous. Pour moi, on a modifié le vocable. Les gens étaient esclaves, et ensuite ils sont devenus des travailleurs. Ça veut dire que l'esclavage a été étendu au reste de l'humanité à ce moment-là, en fait.

  • Speaker #1

    Sous une autre forme.

  • Speaker #0

    Sous une autre forme, mais c'est diaboliquement génial. Il faut dire les choses comme elles sont.

  • Speaker #1

    Oui, ça me fait penser aussi à autre chose. Si je fais un comparatif avec nos voisins anglophones, À ma connaissance, il ne célèbre pas d'abolition de l'esclavage. Il célèbre deux choses importantes, le jour d'indépendance et un jour qui s'appelle Emancipation Day. Et là, je me demande en fait, il faudrait que je me renseigne, que je fasse mes recherches, mais quelle est la différence entre un jour d'abolition d'esclavage et Emancipation Day ? Sachant que... Oui, on a certes des différences par rapport aux différents statuts des territoires dans la Caraïbe, mais on a quand même une histoire commune et des similitudes.

  • Speaker #0

    Surtout que, Sainte-Lucie et la Dominique, c'est des îles qui ont été tantôt françaises,

  • Speaker #1

    tantôt anglaises.

  • Speaker #0

    Alors, pour le coup, ces îles-là, elles ont pris double peine. Parce que la colonisation française et la colonisation britannique ont deux esprits différents. La colonisation britannique... Elle est définitivement dans cette idée d'apartheid, de séparation. La colonisation française est fondée sur l'assimilation. L'assimilation par le biais d'ailleurs de l'acculturation, d'effacement de la culture originelle pour aller vers une exclusivité culturelle française. La colonisation britannique est légèrement différente là-dessus, parce qu'elle va sous couvert de laisser aux territoires leurs spécificités. Elle les met à distance. C'est une colonisation de distanciation. Donc même si ces îles-là font partie du Commonwealth, il ne faut pas croire qu'ils sont tous sujets de la couronne au même rang.

  • Speaker #1

    On le voit en plus entre les différents territoires. Si on prend les territoires de l'OECS et... qu'on prend la Barbade. Bon, maintenant, c'est une république, comme Trinidad aussi, mais même avant que ce soit une république, qu'on voit la Barbade par rapport à la Dominique ou Saint-Denis, il y a quand même un gap. Exact. Mais moi, je suis assez heureux, en fait, de cette disparité, parce qu'en fait, ça nous donne des points de repère, tu vois, ça nous donne des éléments de préparaison, et donc ça nous donne... plus de latitude pour créer... par contre on voit qu'avec des causes différentes, on a des effets différents. Même s'il y a ce socle commun de terres colonisées, ça n'a pas donné les mêmes résultats partout, ça n'a pas donné les mêmes éveils partout, ça n'a pas donné le même esprit d'indépendance partout. Et tu vois quand la Barbade devient une république, pour moi elle pose une stèle politique à la fin d'un système qui est en résonance avec ce qui se passe dans le Sahel, par exemple. C'est des gens qui viennent et qui disent, OK, maintenant, nous allons prendre nos responsabilités. Nous n'avons plus besoin de vous. Mais si nous devons travailler ensemble. Nous allons travailler d'égal à égal. Et ça, c'est un discours que le système capitaliste ne peut pas entendre. L'égal à égal, ce n'est pas possible parce que le système est fondé sur la domination d'un groupe réduit sur un groupe très élargi. Ça nourri la réflexion et j'espère que ça va nourrir aussi la réflexion des auditeurs. Je voudrais revenir sur les deux expressions que tu as créées dans les deux essais. Peut-être que je vais piqué un peu, mais on a parlé un moment des jeunes qui commençaient à faire un peu plus de peuple, contrairement aux générations des parents ou des grands-parents. et qui développe d'une certaine façon une conscience antillaise. Donc, j'aimerais savoir, aussi pour donner un avant-goût aux personnes qui n'ont pas encore lu le livre, mais qui écouteront cet épisode, pour le lire comment tu définis du moins la conscience antillaise.

  • Speaker #2

    Dans le prochain épisode,

  • Speaker #0

    pour construire ensemble, il faut d'abord être... Capable de construire en soi. Et pour faire peuple, il faut déjà faire peuple en soi. pour faire peuple ensemble.

  • Speaker #2

    Si cet épisode vous a plu, je vous invite à le partager avec vos proches. À laisser un commentaire et à mettre 5 étoiles sur la plateforme sur laquelle vous écoutez vos podcasts. Car chaque écoute est une petite étincelle. À bientôt pour le prochain épisode.

  • Speaker #0

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