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Créons des possibles avec Elise

Chronique d'un voyage au sommet — le dernier !

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27min |07/05/2024
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Créons des possibles avec Elise

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27min |07/05/2024
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Description

Voici le troisième et dernier épisode de mon récit d'ascension de l'Aconcagua en janvier 2020. Vous découvrirez l'ascension elle-même, les difficultés surmontées et les impressions sur des paysages démesurés.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    et d'avoir rejoint Créons des Possibles, un podcast d'Explore Training. Aujourd'hui je vais finir cette série de trois volets sur l'ascension de la Concagua qui a eu lieu en janvier 2020, ça fait maintenant plus de quatre ans, et qui a fait l'objet d'un blog que je lis ici, et on en était à la troisième et dernière partie de cette ascension, c'est-à-dire l'ascension elle-même et la redescente. vers la vallée. Nous sommes le 23 janvier 2020. Camp 2, 5 550 mètres. Nido de Condores. J'ai à peine dormi, mot de tête féroce toute la nuit. J'ai avalé trois ibuprofènes sans trouver de soulagement. Je suis sortie dans l'obscurité pour chercher de l'air et rencontrer un vent glacial et un ciel saupoudré d'étoiles. Il a fait encore très froid cette nuit. L'eau a gelé dans ma gourde, même avec sa projection isotherme. J'ai mis l'électronique, mes lentilles de contact, de la bouffe et ma frontale dans mon sac de couchage afin de leur épargner les temps. température nocturne et j'ai passé une grande partie de la nuit à ajuster ma position pour éviter un contact douloureux avec ces divers objets sanny est venue nous réveiller vers neuf heures un café à la main j'ai saisi la tasse d'une main peu sûre le ventre serré et l'esprit épuisé quelques sons incompréhensibles sont sortis du sac de couchage d'alex elle s'est aussitôt rendormie j'envis sa capacité à se réfugier dans le sommeil et maudit ma vivacité et mon imagination parfois si difficile à apaiser. Journée de repos aujourd'hui. Elle est censée nous apporter l'acclimatation nécessaire pour grimper plus haut demain. Je me recouche après un petit déjeuner avalé sans fin et arrive à trouver une trentaine de minutes de sommeil. L'hélicoptère me réveille, encore une évacuation. Nous sommes peu de choses face à cette montagne. J'ai un peu peur, mais je suis trop fatiguée pour donner suite à cette idée. Je me sens affreusement sale, j'aimerais me laver les mains. J'ai tenté de les tremper dans l'eau s'écoulant du glacé hier après-midi, mais elle était boueuse et m'a laissé la peau sèche et recouverte d'une nouvelle pellicule opaque. J'y rajoute une crème solaire et décide d'oublier l'inconfort. Alex et Andrea redoutent, elles, les jours de repos, le vide de l'attente, les cris du corps et de l'esprit plus difficiles à ignorer. Sunny, elle, s'affaire, va chercher de l'eau au glacier du bas, moins sale et plus facile à filtrer, traite de quelques questions urgentes avec Paul, son mari, via le GPS, rassure Thomas et Cole, qui s'inquiètent pour la voie supérieure vers le sommet, remet des pierres autour de la social tent pour la stabiliser. et arrive à nous préparer un lunch de rennes, des farites avec des oignons frais. Je suis dans un état de demi-veille. Le soleil m'empêche de rester longtemps dans la tente. Il y fait bien trop chaud et la lumière est tout aussi aveuglante qu'à l'extérieur. Je lis pourtant quelques lignes sur mon Kindle, écris dans mon journal comme chaque jour, marche jusqu'au bout du camp et discute de tout et de rien avec les alpinistes de passage. J'ai reçu un message inattendu hier soir, quelques lignes qui m'ont ravivé le cœur. J'y pense et y trouve l'élan qui m'a manqué toute la journée. Maya est passée par le camp 2. Elle est en train d'essayer de battre le record de vitesse détenu par Sunny sur la voie 360. Le record est actuellement de 47 heures. Sunny s'est réveillée à 5 heures du mat'aujourd'hui pour aller à sa rencontre et l'encourager. Maya pleurait. épuisée par l'effort elle est partie de harkones l'entrée du parc hier soir à dix-neuf heures elle a couru toute la nuit elle s'est perdue dans la partie basse de la montagne a eu des difficultés à traverser la rivière et n'en pouvait presque plus avant de trouver un deuxième souffle auprès de sanny maintenant on attend de ses nouvelles elle doit être près du sommet Vers 16h, Maya nous contacte à nouveau via le GPS. Elle est effectivement à la Cueva, la dernière partie avant le sommet, à environ 6600 m d'altitude. Mathias, le porteur, est là aussi. Il l'empêche de continuer. Il est tard, elle est trop lente, c'est trop dangereux. Elle oppose alors une résistance fragile, puis se résigne à abandonner. par radio elle nous annonce sa descente deux heures plus tard elle arrive en larmes on la serre dans nos bras on lui donne à manger elle s'effondre dans un coin de la social tent on la couvre des vêtements dont on peut se passer elle dormira d'une traite jusqu'au petit matin On est le 23 janvier. Notre Summit Day, jour de sommet, est prévu pour le 26. On ne sait toujours pas si on part directement du camp 2, où nous sommes actuellement, ou du camp 3, qui est encore plus haut. Notre forme de demain décidera de la stratégie. J'attends sans impatience. Je ne sais pas comment investir cet espace autrement que par le cœur. Il me touche, m'émeut et m'effraie. et à la fois. Jour 15, 25 janvier 2020 La nuit dernière a été glaciale. Le vent violent a arraché un bout de la social tent malgré les réparations nocturnes de Sunny. J'ai dormi avec deux doudounes, ma capuche renforcée de mon bonnet et mes puffy pants dans mon duvet qui est à moins 40 pourtant. Le vent est tombé ce matin et on se consacre à la préparation de l'ascension. On fait et refait nos sacs. Essayons, réessayons les chaussures d'alpinisme. Nous plaignons. de leur inconfort. Ça n'y est intransigeante, c'est obligatoire. Même s'il n'y a pas de neige, il fera bien trop froid en haut pour envisager porter autre chose. Je négocie quand même une paire de chaussures de trelle pour la descente, si le temps le permet. Nous mettons de côté les snacks. Il faut prévoir environ 1000 calories. Je ne prends que des gels. Je sais que dans les forges, j'ai du mal à mâcher du solide. La bouffe devra rester près du corps pour ne pas geler. Nous réfléchissons. Les solutions sont au moyen les plus simples de l'attraper sans avoir à déshiper trop de couches ni à enlever nos énormes moufles. Je porterai une couche technique, deux doudounes, une gortex sur le haut du corps, trois couches sur le bas du corps. Dans mon sac, il y a l'énorme parka de haute altitude. Je la mettrai uniquement si le vent est trop froid car elle entrave les mouvements. Il nous faudra de quoi nous protéger le visage des engelures, un casque pour les chutes de pierre et une frontale équipée de piles neuves pour les quatre heures d'ascension nocturne. J'ai hâte, j'adore courir et marcher la nuit. Hier, nous sommes montés jusqu'à 6000 mètres, je n'avais jamais été aussi haut. Nous avons traversé Cholera, le camp 3, assez spectaculaire par son emplacement dans un creux rocailleux à flanc de montagne, à peine abrité du vent. Il y avait une bonne douzaine de tentes battant dans le blizzard glacial. Plus haut, j'ai croisé un Français avec qui j'avais parlé au camp de base il y a quelques jours. Il redescendait du sommet. C'est très difficile, de plus en plus difficile. Il faut absolument en garder dans les chaussettes m'a-t-il dit. J'ai essayé de traduire cette dernière expression aux filles. Cela nous a fait rire. Notre forme était excellente tout le long de cette marche d'acclimat. Un peu moins de deux heures pour monter au camp 3, un total de quatre heures. Alex et moi avons chantonné tout le long. Le tout m'apparaît facile et fluide, même si cette altitude m'intimide et que j'écoute chaque signe de mon corps avec une attention moins désinvolte qu'à mon habitude. ce nu était impressionné par notre forme nous partirons donc directement du camp de la nuit prochaine pour l'ascension départ prévu vers trois heures du matin lever à une heure trente pour alex et moi qui partageons la même tente alex ayant toujours du mal à manger il lui faut plus de temps Je suis, quant à moi, toujours prête la première. Sunny appelle ça mon special talent Lucci, guide argentine vivant en Patagonie, nous accompagnera pour le Summit Day. Aucune équipe féminine n'a encore réussi à atteindre le sommet ensemble. Il faudra alors peut-être nous séparer. Et Lucci est là pour ça. Chase et Jayden, tous deux pourtant guides de glaciers en Alaska, demandent à nous accompagner. Ils se sentent rassurés d'être avec nous et d'avoir un groupe leur donnant le rythme. Nous partirons donc à 7, cette nuit. Cole, lui, est en train de faire son ascension. Il a 25 ans aujourd'hui. Il voulait pouvoir les fêter sur le toit des Amériques. Nous attendons de ses nouvelles par la radio. Il devrait être au sommet dans l'après-midi. Mika, la chef du camp de base, monte nous rendre visite. C'est son jour de congé et elle avale les 1200 mètres de dénivelé pour venir nous embrasser et nous souhaiter bonne chance. Elle a un sourire et une bonne humeur communicative. Elle porte tous... Elle porte comme tous ici une casquette très sale et une doudoune qui a pu être verte ou grise. Je l'aime beaucoup. On s'est rencontré il y a quatre ou cinq jours, mais nous sommes tout de suite devenus amis. Sa présence familière me rassure. Je suis de très bonne humeur. Le sommet me paraît plus proche. Mon corps se dérobe moins et je sens que je peux compter sur mon expérience de la longue endurance. janvier ça m'était la nuit est encore très vantée les bourrasques menacent d'arracher la tente et même l'envie de faire pipi ne me sort pas de mon sac de couchage nous avons très peu dormi Alex était inquiète et n'a cessé de gigoter et de soupirer toute la nuit. J'ai un temps hésité à lui dire qu'elle m'empêchait de dormir, puis ai gentiment fait remarquer que j'avais envie de profiter d'une heure ou deux de sommeil. Elle a grogné son acquiescement et s'est un peu calmée. À 1h30 du matin, Sonny vient nous réveiller. Je suis prête en 30 minutes à peine. Alex tente d'avaler son petit déjeuner, mais rien ne passe. Elle contemple son porridge en jouant avec sa cuillère pendant près d'une heure. Je vais rejoindre Lucie et Sunny dans la social tent. Les températures sont bien en dessous de zéro. Moins 20 peut-être. Andrea met du temps à émerger, mais quand elle pointe son nez cagoulé, son sac est méticuleusement fait. Des sacs dans des poches dans des étuis. Le tout est bien zippé et à une place spécifique. J'ai tout fourré en vrac dans le mien comme à mon habitude, et je n'ai pris que l'essentiel. Deux litres d'eau déjà gelée, la parca de haute altitude, Des piles de recharge pour la frontale, une paire de gants de secours, des cordelettes, deux mousquetons. Ma bouffe est près du corps, mon téléphone dans ma brassière pour protéger le tout du froid. Je me félicite de n'avoir apporté que quelques kilos. On a déjà tout le casque sur la tête, les frontales en place, les chaussures de haute attitude lacées, les mains dans les moufles et les surmoufles, et des multiples couches sur le corps. J'ai Les Deneches nous rejoignent et nous commençons notre ascension silencieuse à 3h dans la nuit froide et le froid glacial. Je me sens incroyablement bien. J'ai le pas facile et je grimpe avec Lucie en tête. Derrière nous, plus bas dans la pente, Andrea a des vertiges. Elle panique un peu, le cœur palpitant et la nausée montant. C'est pourtant Alex qui vomit la première. Et je me demande quoi, car elle n'a rien avalé ou presque ce matin. Lucie et moi continuons à avancer, mais nous avons du mal à repérer le sentier le plus doux. À la lumière de nos deux frontales, nous tâchons d'éviter les passages très raides. empruntés par les porteurs en descente mais nous nous retrouvons à plusieurs reprises dans des portions très ponctues où on ne peut pas poser le pied à plat vers cinq heures du matin environ nous arrivons au camp alex et andrea se sentent toujours très faibles luci propose alors de nous abriter un instant dans une des tentes de inca expeditiones agence pour laquelle elle travaille et qui a une tente montée pour la saison nous nous protégeons du froid et du vent tous les six serrés les uns contre les autres moi je veux continuer j'ai froid et la pause me paraît interminable j'avale un gel Mes doigts se glacent immédiatement au contact de l'air et j'ai du mal à les réchauffer ensuite. Je m'impatiente un peu. Je comprends qu'Alex et Andrea aient besoin de temps et de reprendre des forces, mais je me sens comme prise en otage. J'essaie de balayer cette pensée peu compatissante envers le reste de mon équipe. Je sais que je risque moi aussi à n'importe quel moment de me sentir très mal et qu'alors j'aurai besoin d'elle. Je ne parle pas. Je ne me plains pas. Sonny d'ailleurs se tourne vers moi et me dit que ma force mentale est exemplaire. C'est vrai que j'ai avalé les 400 mètres de dénivelé sans un mot. Je me sens forte et apte à affronter ce sommet. Je n'ai aucune peur ni appréhension. Il y a juste ce froid implacable qui commence à me rentrer dans les eaux. Quelques frontales dansent devant nous dans la pente lorsque nous quittons le camp 3, encore plongés dans l'obscurité et le calme. Nous attaquons une longue montée vers le ciel. Indépendantia et Windy Ridge Ma forme est toujours là. Je pars en tête et donne le rythme pendant deux bonnes heures. Alex, elle va beaucoup mieux et n'est pas loin derrière. Andrea peine. L'écart se creuse. Elle doit être une bonne vingtaine de minutes derrière, le pas lourd et fatigué. Elle est accompagnée par Lucci. Chase ferme lui la marche. Sunny me crie à plusieurs reprises de ralentir. Je vais trop vite. L'ascension reste longue et ce sera de plus en plus difficile à mesure que nous gagnons en altitude. Nous avons maintenant dépassé les 6000 mètres qui étaient le dernier point atteint lors de nos marches d'acclimatation. Le soleil se lève et j'attends avec impatience que quelques rayons me réchauffent. Je bouge les orteils et les doigts le plus possible pour les réchauffer, mais je n'ai déjà plus de sensation dans le pouce gauche, et ça depuis un moment déjà. Je n'ai pris qu'un gel depuis notre départ. Je sais que je dois manger, mais j'ai trop peur d'enlever mes moufles et d'affronter le froid. Et puis je ne me souviens même plus dans quelle poche j'ai mis quel gel. L'effort de mémoire me fatigue et je me dis que ça tiendra encore un peu. En fait, ça ne tient pas bien plus longtemps. En arrivant à Windy Ridge, je me mets à trembler comme une feuille. Cette traversée porte bien son nom, le vent est incroyablement fort et le froid envahit tout mon corps. Je manque de tomber plusieurs fois, poussée par les rafales et affaiblie par le manque de calories. Je m'arrête et tente d'ouvrir une poche pour attraper à manger. Je n'ai même pas la force de descendre la fermeture éclair et je dois attendre Sunny pour qu'elle le fasse. L'hypoglycémie redoute. C'est bien là. Une erreur de débutante, vraiment. J'ai d'ailleurs un peu honte d'en être arrivée là, avec toute mon expérience de la longue endurance. Sonny me force à avaler un gel. Je trempe tellement que j'arrive à peine à déglutir. Ma cagoule est descendue. Mon visage est exposé et mes mâchoires commencent à geler. Jayden nous a rejoints et m'enfile un bœuf sur le visage. J'ai du mal à respirer à travers le tissu. Je ne cesse de le descendre. Et Sonny me crie alors Cover your nose or you're going to lose it Couvre-toi le nez ou tu risques de le perdre La suite est très dure. Je trébuche sans cesse. Chaque pas me demande une énergie que je n'ai pas et la traverser jusqu'à la cueva est certainement l'effort le plus difficile que j'ai fourni dans ma vie. Alex et Jayden partent devant. Ils avancent très lentement mais très régulièrement. Sonny reste dernier mois et me rattrape plusieurs fois. fois lorsque je suis prête à m'écrouler. Je ne sais pas où je trouve la force mentale de continuer à avancer. J'ai parfois les mains sur le sol, presse à quatre pattes. Je m'encourage à voix haute. Elise, you've got this. Elise, take one more step. Andrea doit se sentir bien mieux. Je la vois quelques minutes derrière moi. Elle a repris du rythme et a levé la tête. Cela me rassure de savoir que nous pouvons traverser tout cela ensemble, même si l'expérience de la difficulté du moment est horriblement solitaire. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis notre dernière pause. Trois heures ? Quatre peut-être ? J'attends enfin la cueva, sorte de grotte légèrement abritée du vent. Avant la dernière partie, le Canaletta, considéré comme la plus difficile. Il n'y a pas de neige du tout cette année dans le Canaletta, ce qui rend son ascension encore plus ardue. Le terrain est un immense pierrier très raide où les pas se dérobent sous des cordes déjà exténuées. On voit le sommet depuis la cueva. Je m'écroule dans la poussière et les pierres pour quelques minutes de repos. Le sommet semble si proche. Sunny nous a pourtant prévenu qu'il reste encore plusieurs heures d'ascension. Alex et Jayden sont... Déjà assis à l'abri du vent et semble optimiste. Les forces sont revenues, je crois qu'ils blaguent. Mais je n'ai moi pas l'énergie d'écouter leurs propos. Je tremble si fort que je n'arrive pas à déshiper mes vestes et à attraper les gels que je garde contre la peau. Je demande de l'aide et des gants glacés viennent me frôler le corps. J'avale le plus de calories possible. Je me sens si faible que j'arrive à peine à mâcher. Je parviens tout de même à incurgiter 4 gels de... Je suis à peu près 800 calories. J'ai toujours horriblement froid, même avec l'énorme puffy jacket que j'ai rajouté sur les autres couches. Les gels cependant ne tardent pas à faire effet et je me sens rapidement mieux. Je vois d'abord un peu plus clair, ma respiration se pose, puis je commence à retrouver des sensations dans les jambes. Je prends alors le temps de regarder autour de moi. La vue est infinie. Les Andes s'étirent de part et d'autre, tout un continent à nos pieds. La face sud glacée s'étend à notre gauche, scintillante et presque à portée de main. Son rayonnement est pur et contraste avec la poussière rouge et sale qui nous couvre depuis plus de quinze jours maintenant. Sonny démarre le canal état en tête. Je lui emboîte le pas. Andrea, Ilucci et Alex sont juste derrière et Jayden et Chase un peu plus bas. Nous sommes maintenant à plus de 6600 mètres d'altitude. Nos mouvements sont très lents et pénibles. J'entends les efforts de Sunny, vu qu'elle est juste devant moi. Je sens la lourdeur de ses pas, l'écrissement de son souffle. Je me rends compte que c'est dur pour elle aussi. Elle qui est pourtant une force de la montagne, une athlète hors pair et une alpiniste chevronnée. Merci. On pratique le rest step, un pas, trois ou quatre respirations, un autre pas et ainsi de suite. C'est terriblement lent. Mais nous doublons une équipe de trois. Notre lenteur est bien donc très relative. Le temps passe très vite, encore une fois, je ne sais pas estimer son écoulement. Deux, trois heures, le sommet se rapproche. Les derniers mètres sont rocaillus. Il faut y mettre les mains, se hisser sur de grosses roches et avancer presque à quatre pattes. Et à un moment, nous y sommes. C'est presque soudain. 6 963 mètres, le toit des Amériques. Il y a la croix qui matérialise le sommet, les drapeaux tibétains qui l'entourent, et des sommets à perte de vue. Et ce vent, ce vent, qui nous fait perdre l'équilibre. Je vois tout cela, mais je ne prends pas la mesure de ce qu'on vient de faire. Nous y sommes. Je ne cesse de me le répéter. J'attends les larmes ou les cris de joie, il n'y en a pas. On se serre dans les bras les uns des autres, mon cœur n'y est pas tout à fait. C'est comme trop tôt, trop vite. En bas, à mon retour, je serai émue par notre exploit, par notre courage, par notre humanité partagée. Mais maintenant. Maintenant, j'ai froid, j'ai si froid. Nous sommes trop haut, tout est trop grand, tout est trop inhumain. J'ai envie de redescendre, je crois. Encore une fois, je n'ai pas de notion du temps. Je ne sais pas combien de temps nous passons au sommet. Une dizaine ou une quinzaine de minutes, peut-être. Nous prenons des photos, tentons de faire entendre nos voix par-dessus le vent, puis nous entamons la descente. Nous avons mis 10h25 pour atteindre le sommet depuis le camp 2. C'est un temps inespéré et acclamé par tous les alpinistes que nous rencontrerons ensuite. Melucci et moi mettrons à peine trois heures pour descendre. Le reste de l'équipe, une heure trente de plus. De retour à la Cueva, je remplace mes chaussures d'alpinisme par celles de Trelle, et entame la descente avec Lucci tout droit en courant dans la pente vers le camp de Hénotente. Nous prenons un raccourci, c'est-à-dire le sentier que les porteurs empruntent pour filer sans détour vers des altitudes plus clémentes. Je suis épuisée et tombe plusieurs fois emportée par mon élan. Mes jambes sont si fatiguées qu'elles sont presque devenues un dolor. Je dessire ma Gore-Tex et m'en moque. Je pense au champagne du camp de base dans deux jours, au vin à Penitentes dans trois, et à la douche luxueuse de l'hôtel diplomatique dans quatre. Ce n'est que maintenant, quelques jours plus tard, au moment où j'écris ces lignes, après une longue descente, un portage impressionnant, quelques bières, un peu plus de sommeil, que je comprends ce que nous avons fait. Je n'ai pas eu de révélation, ni d'épiphanie sur cette montagne. Elle était en fait inhospitalière, rude et froide. Cependant, j'ai maintenant en moi une appréciation de la vie sans pareil, une ferveur. et une confiance jamais expérimentée. Je le sens dans mon corps, qui pourtant fatigué et avide de vie et d'aventure, n'a peur de rien ou presque, se moque de son âge et de ses limites. Je le sens dans mon cœur qui est gros de désir, ouvert vers le possible, l'amour et les territoires inconnus. Nous parlons peu les jours qui suivent, mais nous sommes toutes baignées de cette expérience, où les gestes sont réduits à la simple survie. et où le caractère précieux de la vie humaine s'affirme directement et indéniablement. Je suis à la fois toute petite sur cette montagne, mais immense dans mon humanité. C'était Créons des possibles, un podcast d'Explore Training. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à nous donner 5 étoiles sur Apple Podcasts ou la plateforme sur laquelle vous écoutez pour encourager la diffusion de nos aventures. Merci.

Description

Voici le troisième et dernier épisode de mon récit d'ascension de l'Aconcagua en janvier 2020. Vous découvrirez l'ascension elle-même, les difficultés surmontées et les impressions sur des paysages démesurés.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    et d'avoir rejoint Créons des Possibles, un podcast d'Explore Training. Aujourd'hui je vais finir cette série de trois volets sur l'ascension de la Concagua qui a eu lieu en janvier 2020, ça fait maintenant plus de quatre ans, et qui a fait l'objet d'un blog que je lis ici, et on en était à la troisième et dernière partie de cette ascension, c'est-à-dire l'ascension elle-même et la redescente. vers la vallée. Nous sommes le 23 janvier 2020. Camp 2, 5 550 mètres. Nido de Condores. J'ai à peine dormi, mot de tête féroce toute la nuit. J'ai avalé trois ibuprofènes sans trouver de soulagement. Je suis sortie dans l'obscurité pour chercher de l'air et rencontrer un vent glacial et un ciel saupoudré d'étoiles. Il a fait encore très froid cette nuit. L'eau a gelé dans ma gourde, même avec sa projection isotherme. J'ai mis l'électronique, mes lentilles de contact, de la bouffe et ma frontale dans mon sac de couchage afin de leur épargner les temps. température nocturne et j'ai passé une grande partie de la nuit à ajuster ma position pour éviter un contact douloureux avec ces divers objets sanny est venue nous réveiller vers neuf heures un café à la main j'ai saisi la tasse d'une main peu sûre le ventre serré et l'esprit épuisé quelques sons incompréhensibles sont sortis du sac de couchage d'alex elle s'est aussitôt rendormie j'envis sa capacité à se réfugier dans le sommeil et maudit ma vivacité et mon imagination parfois si difficile à apaiser. Journée de repos aujourd'hui. Elle est censée nous apporter l'acclimatation nécessaire pour grimper plus haut demain. Je me recouche après un petit déjeuner avalé sans fin et arrive à trouver une trentaine de minutes de sommeil. L'hélicoptère me réveille, encore une évacuation. Nous sommes peu de choses face à cette montagne. J'ai un peu peur, mais je suis trop fatiguée pour donner suite à cette idée. Je me sens affreusement sale, j'aimerais me laver les mains. J'ai tenté de les tremper dans l'eau s'écoulant du glacé hier après-midi, mais elle était boueuse et m'a laissé la peau sèche et recouverte d'une nouvelle pellicule opaque. J'y rajoute une crème solaire et décide d'oublier l'inconfort. Alex et Andrea redoutent, elles, les jours de repos, le vide de l'attente, les cris du corps et de l'esprit plus difficiles à ignorer. Sunny, elle, s'affaire, va chercher de l'eau au glacier du bas, moins sale et plus facile à filtrer, traite de quelques questions urgentes avec Paul, son mari, via le GPS, rassure Thomas et Cole, qui s'inquiètent pour la voie supérieure vers le sommet, remet des pierres autour de la social tent pour la stabiliser. et arrive à nous préparer un lunch de rennes, des farites avec des oignons frais. Je suis dans un état de demi-veille. Le soleil m'empêche de rester longtemps dans la tente. Il y fait bien trop chaud et la lumière est tout aussi aveuglante qu'à l'extérieur. Je lis pourtant quelques lignes sur mon Kindle, écris dans mon journal comme chaque jour, marche jusqu'au bout du camp et discute de tout et de rien avec les alpinistes de passage. J'ai reçu un message inattendu hier soir, quelques lignes qui m'ont ravivé le cœur. J'y pense et y trouve l'élan qui m'a manqué toute la journée. Maya est passée par le camp 2. Elle est en train d'essayer de battre le record de vitesse détenu par Sunny sur la voie 360. Le record est actuellement de 47 heures. Sunny s'est réveillée à 5 heures du mat'aujourd'hui pour aller à sa rencontre et l'encourager. Maya pleurait. épuisée par l'effort elle est partie de harkones l'entrée du parc hier soir à dix-neuf heures elle a couru toute la nuit elle s'est perdue dans la partie basse de la montagne a eu des difficultés à traverser la rivière et n'en pouvait presque plus avant de trouver un deuxième souffle auprès de sanny maintenant on attend de ses nouvelles elle doit être près du sommet Vers 16h, Maya nous contacte à nouveau via le GPS. Elle est effectivement à la Cueva, la dernière partie avant le sommet, à environ 6600 m d'altitude. Mathias, le porteur, est là aussi. Il l'empêche de continuer. Il est tard, elle est trop lente, c'est trop dangereux. Elle oppose alors une résistance fragile, puis se résigne à abandonner. par radio elle nous annonce sa descente deux heures plus tard elle arrive en larmes on la serre dans nos bras on lui donne à manger elle s'effondre dans un coin de la social tent on la couvre des vêtements dont on peut se passer elle dormira d'une traite jusqu'au petit matin On est le 23 janvier. Notre Summit Day, jour de sommet, est prévu pour le 26. On ne sait toujours pas si on part directement du camp 2, où nous sommes actuellement, ou du camp 3, qui est encore plus haut. Notre forme de demain décidera de la stratégie. J'attends sans impatience. Je ne sais pas comment investir cet espace autrement que par le cœur. Il me touche, m'émeut et m'effraie. et à la fois. Jour 15, 25 janvier 2020 La nuit dernière a été glaciale. Le vent violent a arraché un bout de la social tent malgré les réparations nocturnes de Sunny. J'ai dormi avec deux doudounes, ma capuche renforcée de mon bonnet et mes puffy pants dans mon duvet qui est à moins 40 pourtant. Le vent est tombé ce matin et on se consacre à la préparation de l'ascension. On fait et refait nos sacs. Essayons, réessayons les chaussures d'alpinisme. Nous plaignons. de leur inconfort. Ça n'y est intransigeante, c'est obligatoire. Même s'il n'y a pas de neige, il fera bien trop froid en haut pour envisager porter autre chose. Je négocie quand même une paire de chaussures de trelle pour la descente, si le temps le permet. Nous mettons de côté les snacks. Il faut prévoir environ 1000 calories. Je ne prends que des gels. Je sais que dans les forges, j'ai du mal à mâcher du solide. La bouffe devra rester près du corps pour ne pas geler. Nous réfléchissons. Les solutions sont au moyen les plus simples de l'attraper sans avoir à déshiper trop de couches ni à enlever nos énormes moufles. Je porterai une couche technique, deux doudounes, une gortex sur le haut du corps, trois couches sur le bas du corps. Dans mon sac, il y a l'énorme parka de haute altitude. Je la mettrai uniquement si le vent est trop froid car elle entrave les mouvements. Il nous faudra de quoi nous protéger le visage des engelures, un casque pour les chutes de pierre et une frontale équipée de piles neuves pour les quatre heures d'ascension nocturne. J'ai hâte, j'adore courir et marcher la nuit. Hier, nous sommes montés jusqu'à 6000 mètres, je n'avais jamais été aussi haut. Nous avons traversé Cholera, le camp 3, assez spectaculaire par son emplacement dans un creux rocailleux à flanc de montagne, à peine abrité du vent. Il y avait une bonne douzaine de tentes battant dans le blizzard glacial. Plus haut, j'ai croisé un Français avec qui j'avais parlé au camp de base il y a quelques jours. Il redescendait du sommet. C'est très difficile, de plus en plus difficile. Il faut absolument en garder dans les chaussettes m'a-t-il dit. J'ai essayé de traduire cette dernière expression aux filles. Cela nous a fait rire. Notre forme était excellente tout le long de cette marche d'acclimat. Un peu moins de deux heures pour monter au camp 3, un total de quatre heures. Alex et moi avons chantonné tout le long. Le tout m'apparaît facile et fluide, même si cette altitude m'intimide et que j'écoute chaque signe de mon corps avec une attention moins désinvolte qu'à mon habitude. ce nu était impressionné par notre forme nous partirons donc directement du camp de la nuit prochaine pour l'ascension départ prévu vers trois heures du matin lever à une heure trente pour alex et moi qui partageons la même tente alex ayant toujours du mal à manger il lui faut plus de temps Je suis, quant à moi, toujours prête la première. Sunny appelle ça mon special talent Lucci, guide argentine vivant en Patagonie, nous accompagnera pour le Summit Day. Aucune équipe féminine n'a encore réussi à atteindre le sommet ensemble. Il faudra alors peut-être nous séparer. Et Lucci est là pour ça. Chase et Jayden, tous deux pourtant guides de glaciers en Alaska, demandent à nous accompagner. Ils se sentent rassurés d'être avec nous et d'avoir un groupe leur donnant le rythme. Nous partirons donc à 7, cette nuit. Cole, lui, est en train de faire son ascension. Il a 25 ans aujourd'hui. Il voulait pouvoir les fêter sur le toit des Amériques. Nous attendons de ses nouvelles par la radio. Il devrait être au sommet dans l'après-midi. Mika, la chef du camp de base, monte nous rendre visite. C'est son jour de congé et elle avale les 1200 mètres de dénivelé pour venir nous embrasser et nous souhaiter bonne chance. Elle a un sourire et une bonne humeur communicative. Elle porte tous... Elle porte comme tous ici une casquette très sale et une doudoune qui a pu être verte ou grise. Je l'aime beaucoup. On s'est rencontré il y a quatre ou cinq jours, mais nous sommes tout de suite devenus amis. Sa présence familière me rassure. Je suis de très bonne humeur. Le sommet me paraît plus proche. Mon corps se dérobe moins et je sens que je peux compter sur mon expérience de la longue endurance. janvier ça m'était la nuit est encore très vantée les bourrasques menacent d'arracher la tente et même l'envie de faire pipi ne me sort pas de mon sac de couchage nous avons très peu dormi Alex était inquiète et n'a cessé de gigoter et de soupirer toute la nuit. J'ai un temps hésité à lui dire qu'elle m'empêchait de dormir, puis ai gentiment fait remarquer que j'avais envie de profiter d'une heure ou deux de sommeil. Elle a grogné son acquiescement et s'est un peu calmée. À 1h30 du matin, Sonny vient nous réveiller. Je suis prête en 30 minutes à peine. Alex tente d'avaler son petit déjeuner, mais rien ne passe. Elle contemple son porridge en jouant avec sa cuillère pendant près d'une heure. Je vais rejoindre Lucie et Sunny dans la social tent. Les températures sont bien en dessous de zéro. Moins 20 peut-être. Andrea met du temps à émerger, mais quand elle pointe son nez cagoulé, son sac est méticuleusement fait. Des sacs dans des poches dans des étuis. Le tout est bien zippé et à une place spécifique. J'ai tout fourré en vrac dans le mien comme à mon habitude, et je n'ai pris que l'essentiel. Deux litres d'eau déjà gelée, la parca de haute altitude, Des piles de recharge pour la frontale, une paire de gants de secours, des cordelettes, deux mousquetons. Ma bouffe est près du corps, mon téléphone dans ma brassière pour protéger le tout du froid. Je me félicite de n'avoir apporté que quelques kilos. On a déjà tout le casque sur la tête, les frontales en place, les chaussures de haute attitude lacées, les mains dans les moufles et les surmoufles, et des multiples couches sur le corps. J'ai Les Deneches nous rejoignent et nous commençons notre ascension silencieuse à 3h dans la nuit froide et le froid glacial. Je me sens incroyablement bien. J'ai le pas facile et je grimpe avec Lucie en tête. Derrière nous, plus bas dans la pente, Andrea a des vertiges. Elle panique un peu, le cœur palpitant et la nausée montant. C'est pourtant Alex qui vomit la première. Et je me demande quoi, car elle n'a rien avalé ou presque ce matin. Lucie et moi continuons à avancer, mais nous avons du mal à repérer le sentier le plus doux. À la lumière de nos deux frontales, nous tâchons d'éviter les passages très raides. empruntés par les porteurs en descente mais nous nous retrouvons à plusieurs reprises dans des portions très ponctues où on ne peut pas poser le pied à plat vers cinq heures du matin environ nous arrivons au camp alex et andrea se sentent toujours très faibles luci propose alors de nous abriter un instant dans une des tentes de inca expeditiones agence pour laquelle elle travaille et qui a une tente montée pour la saison nous nous protégeons du froid et du vent tous les six serrés les uns contre les autres moi je veux continuer j'ai froid et la pause me paraît interminable j'avale un gel Mes doigts se glacent immédiatement au contact de l'air et j'ai du mal à les réchauffer ensuite. Je m'impatiente un peu. Je comprends qu'Alex et Andrea aient besoin de temps et de reprendre des forces, mais je me sens comme prise en otage. J'essaie de balayer cette pensée peu compatissante envers le reste de mon équipe. Je sais que je risque moi aussi à n'importe quel moment de me sentir très mal et qu'alors j'aurai besoin d'elle. Je ne parle pas. Je ne me plains pas. Sonny d'ailleurs se tourne vers moi et me dit que ma force mentale est exemplaire. C'est vrai que j'ai avalé les 400 mètres de dénivelé sans un mot. Je me sens forte et apte à affronter ce sommet. Je n'ai aucune peur ni appréhension. Il y a juste ce froid implacable qui commence à me rentrer dans les eaux. Quelques frontales dansent devant nous dans la pente lorsque nous quittons le camp 3, encore plongés dans l'obscurité et le calme. Nous attaquons une longue montée vers le ciel. Indépendantia et Windy Ridge Ma forme est toujours là. Je pars en tête et donne le rythme pendant deux bonnes heures. Alex, elle va beaucoup mieux et n'est pas loin derrière. Andrea peine. L'écart se creuse. Elle doit être une bonne vingtaine de minutes derrière, le pas lourd et fatigué. Elle est accompagnée par Lucci. Chase ferme lui la marche. Sunny me crie à plusieurs reprises de ralentir. Je vais trop vite. L'ascension reste longue et ce sera de plus en plus difficile à mesure que nous gagnons en altitude. Nous avons maintenant dépassé les 6000 mètres qui étaient le dernier point atteint lors de nos marches d'acclimatation. Le soleil se lève et j'attends avec impatience que quelques rayons me réchauffent. Je bouge les orteils et les doigts le plus possible pour les réchauffer, mais je n'ai déjà plus de sensation dans le pouce gauche, et ça depuis un moment déjà. Je n'ai pris qu'un gel depuis notre départ. Je sais que je dois manger, mais j'ai trop peur d'enlever mes moufles et d'affronter le froid. Et puis je ne me souviens même plus dans quelle poche j'ai mis quel gel. L'effort de mémoire me fatigue et je me dis que ça tiendra encore un peu. En fait, ça ne tient pas bien plus longtemps. En arrivant à Windy Ridge, je me mets à trembler comme une feuille. Cette traversée porte bien son nom, le vent est incroyablement fort et le froid envahit tout mon corps. Je manque de tomber plusieurs fois, poussée par les rafales et affaiblie par le manque de calories. Je m'arrête et tente d'ouvrir une poche pour attraper à manger. Je n'ai même pas la force de descendre la fermeture éclair et je dois attendre Sunny pour qu'elle le fasse. L'hypoglycémie redoute. C'est bien là. Une erreur de débutante, vraiment. J'ai d'ailleurs un peu honte d'en être arrivée là, avec toute mon expérience de la longue endurance. Sonny me force à avaler un gel. Je trempe tellement que j'arrive à peine à déglutir. Ma cagoule est descendue. Mon visage est exposé et mes mâchoires commencent à geler. Jayden nous a rejoints et m'enfile un bœuf sur le visage. J'ai du mal à respirer à travers le tissu. Je ne cesse de le descendre. Et Sonny me crie alors Cover your nose or you're going to lose it Couvre-toi le nez ou tu risques de le perdre La suite est très dure. Je trébuche sans cesse. Chaque pas me demande une énergie que je n'ai pas et la traverser jusqu'à la cueva est certainement l'effort le plus difficile que j'ai fourni dans ma vie. Alex et Jayden partent devant. Ils avancent très lentement mais très régulièrement. Sonny reste dernier mois et me rattrape plusieurs fois. fois lorsque je suis prête à m'écrouler. Je ne sais pas où je trouve la force mentale de continuer à avancer. J'ai parfois les mains sur le sol, presse à quatre pattes. Je m'encourage à voix haute. Elise, you've got this. Elise, take one more step. Andrea doit se sentir bien mieux. Je la vois quelques minutes derrière moi. Elle a repris du rythme et a levé la tête. Cela me rassure de savoir que nous pouvons traverser tout cela ensemble, même si l'expérience de la difficulté du moment est horriblement solitaire. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis notre dernière pause. Trois heures ? Quatre peut-être ? J'attends enfin la cueva, sorte de grotte légèrement abritée du vent. Avant la dernière partie, le Canaletta, considéré comme la plus difficile. Il n'y a pas de neige du tout cette année dans le Canaletta, ce qui rend son ascension encore plus ardue. Le terrain est un immense pierrier très raide où les pas se dérobent sous des cordes déjà exténuées. On voit le sommet depuis la cueva. Je m'écroule dans la poussière et les pierres pour quelques minutes de repos. Le sommet semble si proche. Sunny nous a pourtant prévenu qu'il reste encore plusieurs heures d'ascension. Alex et Jayden sont... Déjà assis à l'abri du vent et semble optimiste. Les forces sont revenues, je crois qu'ils blaguent. Mais je n'ai moi pas l'énergie d'écouter leurs propos. Je tremble si fort que je n'arrive pas à déshiper mes vestes et à attraper les gels que je garde contre la peau. Je demande de l'aide et des gants glacés viennent me frôler le corps. J'avale le plus de calories possible. Je me sens si faible que j'arrive à peine à mâcher. Je parviens tout de même à incurgiter 4 gels de... Je suis à peu près 800 calories. J'ai toujours horriblement froid, même avec l'énorme puffy jacket que j'ai rajouté sur les autres couches. Les gels cependant ne tardent pas à faire effet et je me sens rapidement mieux. Je vois d'abord un peu plus clair, ma respiration se pose, puis je commence à retrouver des sensations dans les jambes. Je prends alors le temps de regarder autour de moi. La vue est infinie. Les Andes s'étirent de part et d'autre, tout un continent à nos pieds. La face sud glacée s'étend à notre gauche, scintillante et presque à portée de main. Son rayonnement est pur et contraste avec la poussière rouge et sale qui nous couvre depuis plus de quinze jours maintenant. Sonny démarre le canal état en tête. Je lui emboîte le pas. Andrea, Ilucci et Alex sont juste derrière et Jayden et Chase un peu plus bas. Nous sommes maintenant à plus de 6600 mètres d'altitude. Nos mouvements sont très lents et pénibles. J'entends les efforts de Sunny, vu qu'elle est juste devant moi. Je sens la lourdeur de ses pas, l'écrissement de son souffle. Je me rends compte que c'est dur pour elle aussi. Elle qui est pourtant une force de la montagne, une athlète hors pair et une alpiniste chevronnée. Merci. On pratique le rest step, un pas, trois ou quatre respirations, un autre pas et ainsi de suite. C'est terriblement lent. Mais nous doublons une équipe de trois. Notre lenteur est bien donc très relative. Le temps passe très vite, encore une fois, je ne sais pas estimer son écoulement. Deux, trois heures, le sommet se rapproche. Les derniers mètres sont rocaillus. Il faut y mettre les mains, se hisser sur de grosses roches et avancer presque à quatre pattes. Et à un moment, nous y sommes. C'est presque soudain. 6 963 mètres, le toit des Amériques. Il y a la croix qui matérialise le sommet, les drapeaux tibétains qui l'entourent, et des sommets à perte de vue. Et ce vent, ce vent, qui nous fait perdre l'équilibre. Je vois tout cela, mais je ne prends pas la mesure de ce qu'on vient de faire. Nous y sommes. Je ne cesse de me le répéter. J'attends les larmes ou les cris de joie, il n'y en a pas. On se serre dans les bras les uns des autres, mon cœur n'y est pas tout à fait. C'est comme trop tôt, trop vite. En bas, à mon retour, je serai émue par notre exploit, par notre courage, par notre humanité partagée. Mais maintenant. Maintenant, j'ai froid, j'ai si froid. Nous sommes trop haut, tout est trop grand, tout est trop inhumain. J'ai envie de redescendre, je crois. Encore une fois, je n'ai pas de notion du temps. Je ne sais pas combien de temps nous passons au sommet. Une dizaine ou une quinzaine de minutes, peut-être. Nous prenons des photos, tentons de faire entendre nos voix par-dessus le vent, puis nous entamons la descente. Nous avons mis 10h25 pour atteindre le sommet depuis le camp 2. C'est un temps inespéré et acclamé par tous les alpinistes que nous rencontrerons ensuite. Melucci et moi mettrons à peine trois heures pour descendre. Le reste de l'équipe, une heure trente de plus. De retour à la Cueva, je remplace mes chaussures d'alpinisme par celles de Trelle, et entame la descente avec Lucci tout droit en courant dans la pente vers le camp de Hénotente. Nous prenons un raccourci, c'est-à-dire le sentier que les porteurs empruntent pour filer sans détour vers des altitudes plus clémentes. Je suis épuisée et tombe plusieurs fois emportée par mon élan. Mes jambes sont si fatiguées qu'elles sont presque devenues un dolor. Je dessire ma Gore-Tex et m'en moque. Je pense au champagne du camp de base dans deux jours, au vin à Penitentes dans trois, et à la douche luxueuse de l'hôtel diplomatique dans quatre. Ce n'est que maintenant, quelques jours plus tard, au moment où j'écris ces lignes, après une longue descente, un portage impressionnant, quelques bières, un peu plus de sommeil, que je comprends ce que nous avons fait. Je n'ai pas eu de révélation, ni d'épiphanie sur cette montagne. Elle était en fait inhospitalière, rude et froide. Cependant, j'ai maintenant en moi une appréciation de la vie sans pareil, une ferveur. et une confiance jamais expérimentée. Je le sens dans mon corps, qui pourtant fatigué et avide de vie et d'aventure, n'a peur de rien ou presque, se moque de son âge et de ses limites. Je le sens dans mon cœur qui est gros de désir, ouvert vers le possible, l'amour et les territoires inconnus. Nous parlons peu les jours qui suivent, mais nous sommes toutes baignées de cette expérience, où les gestes sont réduits à la simple survie. et où le caractère précieux de la vie humaine s'affirme directement et indéniablement. Je suis à la fois toute petite sur cette montagne, mais immense dans mon humanité. C'était Créons des possibles, un podcast d'Explore Training. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à nous donner 5 étoiles sur Apple Podcasts ou la plateforme sur laquelle vous écoutez pour encourager la diffusion de nos aventures. Merci.

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Description

Voici le troisième et dernier épisode de mon récit d'ascension de l'Aconcagua en janvier 2020. Vous découvrirez l'ascension elle-même, les difficultés surmontées et les impressions sur des paysages démesurés.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    et d'avoir rejoint Créons des Possibles, un podcast d'Explore Training. Aujourd'hui je vais finir cette série de trois volets sur l'ascension de la Concagua qui a eu lieu en janvier 2020, ça fait maintenant plus de quatre ans, et qui a fait l'objet d'un blog que je lis ici, et on en était à la troisième et dernière partie de cette ascension, c'est-à-dire l'ascension elle-même et la redescente. vers la vallée. Nous sommes le 23 janvier 2020. Camp 2, 5 550 mètres. Nido de Condores. J'ai à peine dormi, mot de tête féroce toute la nuit. J'ai avalé trois ibuprofènes sans trouver de soulagement. Je suis sortie dans l'obscurité pour chercher de l'air et rencontrer un vent glacial et un ciel saupoudré d'étoiles. Il a fait encore très froid cette nuit. L'eau a gelé dans ma gourde, même avec sa projection isotherme. J'ai mis l'électronique, mes lentilles de contact, de la bouffe et ma frontale dans mon sac de couchage afin de leur épargner les temps. température nocturne et j'ai passé une grande partie de la nuit à ajuster ma position pour éviter un contact douloureux avec ces divers objets sanny est venue nous réveiller vers neuf heures un café à la main j'ai saisi la tasse d'une main peu sûre le ventre serré et l'esprit épuisé quelques sons incompréhensibles sont sortis du sac de couchage d'alex elle s'est aussitôt rendormie j'envis sa capacité à se réfugier dans le sommeil et maudit ma vivacité et mon imagination parfois si difficile à apaiser. Journée de repos aujourd'hui. Elle est censée nous apporter l'acclimatation nécessaire pour grimper plus haut demain. Je me recouche après un petit déjeuner avalé sans fin et arrive à trouver une trentaine de minutes de sommeil. L'hélicoptère me réveille, encore une évacuation. Nous sommes peu de choses face à cette montagne. J'ai un peu peur, mais je suis trop fatiguée pour donner suite à cette idée. Je me sens affreusement sale, j'aimerais me laver les mains. J'ai tenté de les tremper dans l'eau s'écoulant du glacé hier après-midi, mais elle était boueuse et m'a laissé la peau sèche et recouverte d'une nouvelle pellicule opaque. J'y rajoute une crème solaire et décide d'oublier l'inconfort. Alex et Andrea redoutent, elles, les jours de repos, le vide de l'attente, les cris du corps et de l'esprit plus difficiles à ignorer. Sunny, elle, s'affaire, va chercher de l'eau au glacier du bas, moins sale et plus facile à filtrer, traite de quelques questions urgentes avec Paul, son mari, via le GPS, rassure Thomas et Cole, qui s'inquiètent pour la voie supérieure vers le sommet, remet des pierres autour de la social tent pour la stabiliser. et arrive à nous préparer un lunch de rennes, des farites avec des oignons frais. Je suis dans un état de demi-veille. Le soleil m'empêche de rester longtemps dans la tente. Il y fait bien trop chaud et la lumière est tout aussi aveuglante qu'à l'extérieur. Je lis pourtant quelques lignes sur mon Kindle, écris dans mon journal comme chaque jour, marche jusqu'au bout du camp et discute de tout et de rien avec les alpinistes de passage. J'ai reçu un message inattendu hier soir, quelques lignes qui m'ont ravivé le cœur. J'y pense et y trouve l'élan qui m'a manqué toute la journée. Maya est passée par le camp 2. Elle est en train d'essayer de battre le record de vitesse détenu par Sunny sur la voie 360. Le record est actuellement de 47 heures. Sunny s'est réveillée à 5 heures du mat'aujourd'hui pour aller à sa rencontre et l'encourager. Maya pleurait. épuisée par l'effort elle est partie de harkones l'entrée du parc hier soir à dix-neuf heures elle a couru toute la nuit elle s'est perdue dans la partie basse de la montagne a eu des difficultés à traverser la rivière et n'en pouvait presque plus avant de trouver un deuxième souffle auprès de sanny maintenant on attend de ses nouvelles elle doit être près du sommet Vers 16h, Maya nous contacte à nouveau via le GPS. Elle est effectivement à la Cueva, la dernière partie avant le sommet, à environ 6600 m d'altitude. Mathias, le porteur, est là aussi. Il l'empêche de continuer. Il est tard, elle est trop lente, c'est trop dangereux. Elle oppose alors une résistance fragile, puis se résigne à abandonner. par radio elle nous annonce sa descente deux heures plus tard elle arrive en larmes on la serre dans nos bras on lui donne à manger elle s'effondre dans un coin de la social tent on la couvre des vêtements dont on peut se passer elle dormira d'une traite jusqu'au petit matin On est le 23 janvier. Notre Summit Day, jour de sommet, est prévu pour le 26. On ne sait toujours pas si on part directement du camp 2, où nous sommes actuellement, ou du camp 3, qui est encore plus haut. Notre forme de demain décidera de la stratégie. J'attends sans impatience. Je ne sais pas comment investir cet espace autrement que par le cœur. Il me touche, m'émeut et m'effraie. et à la fois. Jour 15, 25 janvier 2020 La nuit dernière a été glaciale. Le vent violent a arraché un bout de la social tent malgré les réparations nocturnes de Sunny. J'ai dormi avec deux doudounes, ma capuche renforcée de mon bonnet et mes puffy pants dans mon duvet qui est à moins 40 pourtant. Le vent est tombé ce matin et on se consacre à la préparation de l'ascension. On fait et refait nos sacs. Essayons, réessayons les chaussures d'alpinisme. Nous plaignons. de leur inconfort. Ça n'y est intransigeante, c'est obligatoire. Même s'il n'y a pas de neige, il fera bien trop froid en haut pour envisager porter autre chose. Je négocie quand même une paire de chaussures de trelle pour la descente, si le temps le permet. Nous mettons de côté les snacks. Il faut prévoir environ 1000 calories. Je ne prends que des gels. Je sais que dans les forges, j'ai du mal à mâcher du solide. La bouffe devra rester près du corps pour ne pas geler. Nous réfléchissons. Les solutions sont au moyen les plus simples de l'attraper sans avoir à déshiper trop de couches ni à enlever nos énormes moufles. Je porterai une couche technique, deux doudounes, une gortex sur le haut du corps, trois couches sur le bas du corps. Dans mon sac, il y a l'énorme parka de haute altitude. Je la mettrai uniquement si le vent est trop froid car elle entrave les mouvements. Il nous faudra de quoi nous protéger le visage des engelures, un casque pour les chutes de pierre et une frontale équipée de piles neuves pour les quatre heures d'ascension nocturne. J'ai hâte, j'adore courir et marcher la nuit. Hier, nous sommes montés jusqu'à 6000 mètres, je n'avais jamais été aussi haut. Nous avons traversé Cholera, le camp 3, assez spectaculaire par son emplacement dans un creux rocailleux à flanc de montagne, à peine abrité du vent. Il y avait une bonne douzaine de tentes battant dans le blizzard glacial. Plus haut, j'ai croisé un Français avec qui j'avais parlé au camp de base il y a quelques jours. Il redescendait du sommet. C'est très difficile, de plus en plus difficile. Il faut absolument en garder dans les chaussettes m'a-t-il dit. J'ai essayé de traduire cette dernière expression aux filles. Cela nous a fait rire. Notre forme était excellente tout le long de cette marche d'acclimat. Un peu moins de deux heures pour monter au camp 3, un total de quatre heures. Alex et moi avons chantonné tout le long. Le tout m'apparaît facile et fluide, même si cette altitude m'intimide et que j'écoute chaque signe de mon corps avec une attention moins désinvolte qu'à mon habitude. ce nu était impressionné par notre forme nous partirons donc directement du camp de la nuit prochaine pour l'ascension départ prévu vers trois heures du matin lever à une heure trente pour alex et moi qui partageons la même tente alex ayant toujours du mal à manger il lui faut plus de temps Je suis, quant à moi, toujours prête la première. Sunny appelle ça mon special talent Lucci, guide argentine vivant en Patagonie, nous accompagnera pour le Summit Day. Aucune équipe féminine n'a encore réussi à atteindre le sommet ensemble. Il faudra alors peut-être nous séparer. Et Lucci est là pour ça. Chase et Jayden, tous deux pourtant guides de glaciers en Alaska, demandent à nous accompagner. Ils se sentent rassurés d'être avec nous et d'avoir un groupe leur donnant le rythme. Nous partirons donc à 7, cette nuit. Cole, lui, est en train de faire son ascension. Il a 25 ans aujourd'hui. Il voulait pouvoir les fêter sur le toit des Amériques. Nous attendons de ses nouvelles par la radio. Il devrait être au sommet dans l'après-midi. Mika, la chef du camp de base, monte nous rendre visite. C'est son jour de congé et elle avale les 1200 mètres de dénivelé pour venir nous embrasser et nous souhaiter bonne chance. Elle a un sourire et une bonne humeur communicative. Elle porte tous... Elle porte comme tous ici une casquette très sale et une doudoune qui a pu être verte ou grise. Je l'aime beaucoup. On s'est rencontré il y a quatre ou cinq jours, mais nous sommes tout de suite devenus amis. Sa présence familière me rassure. Je suis de très bonne humeur. Le sommet me paraît plus proche. Mon corps se dérobe moins et je sens que je peux compter sur mon expérience de la longue endurance. janvier ça m'était la nuit est encore très vantée les bourrasques menacent d'arracher la tente et même l'envie de faire pipi ne me sort pas de mon sac de couchage nous avons très peu dormi Alex était inquiète et n'a cessé de gigoter et de soupirer toute la nuit. J'ai un temps hésité à lui dire qu'elle m'empêchait de dormir, puis ai gentiment fait remarquer que j'avais envie de profiter d'une heure ou deux de sommeil. Elle a grogné son acquiescement et s'est un peu calmée. À 1h30 du matin, Sonny vient nous réveiller. Je suis prête en 30 minutes à peine. Alex tente d'avaler son petit déjeuner, mais rien ne passe. Elle contemple son porridge en jouant avec sa cuillère pendant près d'une heure. Je vais rejoindre Lucie et Sunny dans la social tent. Les températures sont bien en dessous de zéro. Moins 20 peut-être. Andrea met du temps à émerger, mais quand elle pointe son nez cagoulé, son sac est méticuleusement fait. Des sacs dans des poches dans des étuis. Le tout est bien zippé et à une place spécifique. J'ai tout fourré en vrac dans le mien comme à mon habitude, et je n'ai pris que l'essentiel. Deux litres d'eau déjà gelée, la parca de haute altitude, Des piles de recharge pour la frontale, une paire de gants de secours, des cordelettes, deux mousquetons. Ma bouffe est près du corps, mon téléphone dans ma brassière pour protéger le tout du froid. Je me félicite de n'avoir apporté que quelques kilos. On a déjà tout le casque sur la tête, les frontales en place, les chaussures de haute attitude lacées, les mains dans les moufles et les surmoufles, et des multiples couches sur le corps. J'ai Les Deneches nous rejoignent et nous commençons notre ascension silencieuse à 3h dans la nuit froide et le froid glacial. Je me sens incroyablement bien. J'ai le pas facile et je grimpe avec Lucie en tête. Derrière nous, plus bas dans la pente, Andrea a des vertiges. Elle panique un peu, le cœur palpitant et la nausée montant. C'est pourtant Alex qui vomit la première. Et je me demande quoi, car elle n'a rien avalé ou presque ce matin. Lucie et moi continuons à avancer, mais nous avons du mal à repérer le sentier le plus doux. À la lumière de nos deux frontales, nous tâchons d'éviter les passages très raides. empruntés par les porteurs en descente mais nous nous retrouvons à plusieurs reprises dans des portions très ponctues où on ne peut pas poser le pied à plat vers cinq heures du matin environ nous arrivons au camp alex et andrea se sentent toujours très faibles luci propose alors de nous abriter un instant dans une des tentes de inca expeditiones agence pour laquelle elle travaille et qui a une tente montée pour la saison nous nous protégeons du froid et du vent tous les six serrés les uns contre les autres moi je veux continuer j'ai froid et la pause me paraît interminable j'avale un gel Mes doigts se glacent immédiatement au contact de l'air et j'ai du mal à les réchauffer ensuite. Je m'impatiente un peu. Je comprends qu'Alex et Andrea aient besoin de temps et de reprendre des forces, mais je me sens comme prise en otage. J'essaie de balayer cette pensée peu compatissante envers le reste de mon équipe. Je sais que je risque moi aussi à n'importe quel moment de me sentir très mal et qu'alors j'aurai besoin d'elle. Je ne parle pas. Je ne me plains pas. Sonny d'ailleurs se tourne vers moi et me dit que ma force mentale est exemplaire. C'est vrai que j'ai avalé les 400 mètres de dénivelé sans un mot. Je me sens forte et apte à affronter ce sommet. Je n'ai aucune peur ni appréhension. Il y a juste ce froid implacable qui commence à me rentrer dans les eaux. Quelques frontales dansent devant nous dans la pente lorsque nous quittons le camp 3, encore plongés dans l'obscurité et le calme. Nous attaquons une longue montée vers le ciel. Indépendantia et Windy Ridge Ma forme est toujours là. Je pars en tête et donne le rythme pendant deux bonnes heures. Alex, elle va beaucoup mieux et n'est pas loin derrière. Andrea peine. L'écart se creuse. Elle doit être une bonne vingtaine de minutes derrière, le pas lourd et fatigué. Elle est accompagnée par Lucci. Chase ferme lui la marche. Sunny me crie à plusieurs reprises de ralentir. Je vais trop vite. L'ascension reste longue et ce sera de plus en plus difficile à mesure que nous gagnons en altitude. Nous avons maintenant dépassé les 6000 mètres qui étaient le dernier point atteint lors de nos marches d'acclimatation. Le soleil se lève et j'attends avec impatience que quelques rayons me réchauffent. Je bouge les orteils et les doigts le plus possible pour les réchauffer, mais je n'ai déjà plus de sensation dans le pouce gauche, et ça depuis un moment déjà. Je n'ai pris qu'un gel depuis notre départ. Je sais que je dois manger, mais j'ai trop peur d'enlever mes moufles et d'affronter le froid. Et puis je ne me souviens même plus dans quelle poche j'ai mis quel gel. L'effort de mémoire me fatigue et je me dis que ça tiendra encore un peu. En fait, ça ne tient pas bien plus longtemps. En arrivant à Windy Ridge, je me mets à trembler comme une feuille. Cette traversée porte bien son nom, le vent est incroyablement fort et le froid envahit tout mon corps. Je manque de tomber plusieurs fois, poussée par les rafales et affaiblie par le manque de calories. Je m'arrête et tente d'ouvrir une poche pour attraper à manger. Je n'ai même pas la force de descendre la fermeture éclair et je dois attendre Sunny pour qu'elle le fasse. L'hypoglycémie redoute. C'est bien là. Une erreur de débutante, vraiment. J'ai d'ailleurs un peu honte d'en être arrivée là, avec toute mon expérience de la longue endurance. Sonny me force à avaler un gel. Je trempe tellement que j'arrive à peine à déglutir. Ma cagoule est descendue. Mon visage est exposé et mes mâchoires commencent à geler. Jayden nous a rejoints et m'enfile un bœuf sur le visage. J'ai du mal à respirer à travers le tissu. Je ne cesse de le descendre. Et Sonny me crie alors Cover your nose or you're going to lose it Couvre-toi le nez ou tu risques de le perdre La suite est très dure. Je trébuche sans cesse. Chaque pas me demande une énergie que je n'ai pas et la traverser jusqu'à la cueva est certainement l'effort le plus difficile que j'ai fourni dans ma vie. Alex et Jayden partent devant. Ils avancent très lentement mais très régulièrement. Sonny reste dernier mois et me rattrape plusieurs fois. fois lorsque je suis prête à m'écrouler. Je ne sais pas où je trouve la force mentale de continuer à avancer. J'ai parfois les mains sur le sol, presse à quatre pattes. Je m'encourage à voix haute. Elise, you've got this. Elise, take one more step. Andrea doit se sentir bien mieux. Je la vois quelques minutes derrière moi. Elle a repris du rythme et a levé la tête. Cela me rassure de savoir que nous pouvons traverser tout cela ensemble, même si l'expérience de la difficulté du moment est horriblement solitaire. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis notre dernière pause. Trois heures ? Quatre peut-être ? J'attends enfin la cueva, sorte de grotte légèrement abritée du vent. Avant la dernière partie, le Canaletta, considéré comme la plus difficile. Il n'y a pas de neige du tout cette année dans le Canaletta, ce qui rend son ascension encore plus ardue. Le terrain est un immense pierrier très raide où les pas se dérobent sous des cordes déjà exténuées. On voit le sommet depuis la cueva. Je m'écroule dans la poussière et les pierres pour quelques minutes de repos. Le sommet semble si proche. Sunny nous a pourtant prévenu qu'il reste encore plusieurs heures d'ascension. Alex et Jayden sont... Déjà assis à l'abri du vent et semble optimiste. Les forces sont revenues, je crois qu'ils blaguent. Mais je n'ai moi pas l'énergie d'écouter leurs propos. Je tremble si fort que je n'arrive pas à déshiper mes vestes et à attraper les gels que je garde contre la peau. Je demande de l'aide et des gants glacés viennent me frôler le corps. J'avale le plus de calories possible. Je me sens si faible que j'arrive à peine à mâcher. Je parviens tout de même à incurgiter 4 gels de... Je suis à peu près 800 calories. J'ai toujours horriblement froid, même avec l'énorme puffy jacket que j'ai rajouté sur les autres couches. Les gels cependant ne tardent pas à faire effet et je me sens rapidement mieux. Je vois d'abord un peu plus clair, ma respiration se pose, puis je commence à retrouver des sensations dans les jambes. Je prends alors le temps de regarder autour de moi. La vue est infinie. Les Andes s'étirent de part et d'autre, tout un continent à nos pieds. La face sud glacée s'étend à notre gauche, scintillante et presque à portée de main. Son rayonnement est pur et contraste avec la poussière rouge et sale qui nous couvre depuis plus de quinze jours maintenant. Sonny démarre le canal état en tête. Je lui emboîte le pas. Andrea, Ilucci et Alex sont juste derrière et Jayden et Chase un peu plus bas. Nous sommes maintenant à plus de 6600 mètres d'altitude. Nos mouvements sont très lents et pénibles. J'entends les efforts de Sunny, vu qu'elle est juste devant moi. Je sens la lourdeur de ses pas, l'écrissement de son souffle. Je me rends compte que c'est dur pour elle aussi. Elle qui est pourtant une force de la montagne, une athlète hors pair et une alpiniste chevronnée. Merci. On pratique le rest step, un pas, trois ou quatre respirations, un autre pas et ainsi de suite. C'est terriblement lent. Mais nous doublons une équipe de trois. Notre lenteur est bien donc très relative. Le temps passe très vite, encore une fois, je ne sais pas estimer son écoulement. Deux, trois heures, le sommet se rapproche. Les derniers mètres sont rocaillus. Il faut y mettre les mains, se hisser sur de grosses roches et avancer presque à quatre pattes. Et à un moment, nous y sommes. C'est presque soudain. 6 963 mètres, le toit des Amériques. Il y a la croix qui matérialise le sommet, les drapeaux tibétains qui l'entourent, et des sommets à perte de vue. Et ce vent, ce vent, qui nous fait perdre l'équilibre. Je vois tout cela, mais je ne prends pas la mesure de ce qu'on vient de faire. Nous y sommes. Je ne cesse de me le répéter. J'attends les larmes ou les cris de joie, il n'y en a pas. On se serre dans les bras les uns des autres, mon cœur n'y est pas tout à fait. C'est comme trop tôt, trop vite. En bas, à mon retour, je serai émue par notre exploit, par notre courage, par notre humanité partagée. Mais maintenant. Maintenant, j'ai froid, j'ai si froid. Nous sommes trop haut, tout est trop grand, tout est trop inhumain. J'ai envie de redescendre, je crois. Encore une fois, je n'ai pas de notion du temps. Je ne sais pas combien de temps nous passons au sommet. Une dizaine ou une quinzaine de minutes, peut-être. Nous prenons des photos, tentons de faire entendre nos voix par-dessus le vent, puis nous entamons la descente. Nous avons mis 10h25 pour atteindre le sommet depuis le camp 2. C'est un temps inespéré et acclamé par tous les alpinistes que nous rencontrerons ensuite. Melucci et moi mettrons à peine trois heures pour descendre. Le reste de l'équipe, une heure trente de plus. De retour à la Cueva, je remplace mes chaussures d'alpinisme par celles de Trelle, et entame la descente avec Lucci tout droit en courant dans la pente vers le camp de Hénotente. Nous prenons un raccourci, c'est-à-dire le sentier que les porteurs empruntent pour filer sans détour vers des altitudes plus clémentes. Je suis épuisée et tombe plusieurs fois emportée par mon élan. Mes jambes sont si fatiguées qu'elles sont presque devenues un dolor. Je dessire ma Gore-Tex et m'en moque. Je pense au champagne du camp de base dans deux jours, au vin à Penitentes dans trois, et à la douche luxueuse de l'hôtel diplomatique dans quatre. Ce n'est que maintenant, quelques jours plus tard, au moment où j'écris ces lignes, après une longue descente, un portage impressionnant, quelques bières, un peu plus de sommeil, que je comprends ce que nous avons fait. Je n'ai pas eu de révélation, ni d'épiphanie sur cette montagne. Elle était en fait inhospitalière, rude et froide. Cependant, j'ai maintenant en moi une appréciation de la vie sans pareil, une ferveur. et une confiance jamais expérimentée. Je le sens dans mon corps, qui pourtant fatigué et avide de vie et d'aventure, n'a peur de rien ou presque, se moque de son âge et de ses limites. Je le sens dans mon cœur qui est gros de désir, ouvert vers le possible, l'amour et les territoires inconnus. Nous parlons peu les jours qui suivent, mais nous sommes toutes baignées de cette expérience, où les gestes sont réduits à la simple survie. et où le caractère précieux de la vie humaine s'affirme directement et indéniablement. Je suis à la fois toute petite sur cette montagne, mais immense dans mon humanité. C'était Créons des possibles, un podcast d'Explore Training. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à nous donner 5 étoiles sur Apple Podcasts ou la plateforme sur laquelle vous écoutez pour encourager la diffusion de nos aventures. Merci.

Description

Voici le troisième et dernier épisode de mon récit d'ascension de l'Aconcagua en janvier 2020. Vous découvrirez l'ascension elle-même, les difficultés surmontées et les impressions sur des paysages démesurés.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    et d'avoir rejoint Créons des Possibles, un podcast d'Explore Training. Aujourd'hui je vais finir cette série de trois volets sur l'ascension de la Concagua qui a eu lieu en janvier 2020, ça fait maintenant plus de quatre ans, et qui a fait l'objet d'un blog que je lis ici, et on en était à la troisième et dernière partie de cette ascension, c'est-à-dire l'ascension elle-même et la redescente. vers la vallée. Nous sommes le 23 janvier 2020. Camp 2, 5 550 mètres. Nido de Condores. J'ai à peine dormi, mot de tête féroce toute la nuit. J'ai avalé trois ibuprofènes sans trouver de soulagement. Je suis sortie dans l'obscurité pour chercher de l'air et rencontrer un vent glacial et un ciel saupoudré d'étoiles. Il a fait encore très froid cette nuit. L'eau a gelé dans ma gourde, même avec sa projection isotherme. J'ai mis l'électronique, mes lentilles de contact, de la bouffe et ma frontale dans mon sac de couchage afin de leur épargner les temps. température nocturne et j'ai passé une grande partie de la nuit à ajuster ma position pour éviter un contact douloureux avec ces divers objets sanny est venue nous réveiller vers neuf heures un café à la main j'ai saisi la tasse d'une main peu sûre le ventre serré et l'esprit épuisé quelques sons incompréhensibles sont sortis du sac de couchage d'alex elle s'est aussitôt rendormie j'envis sa capacité à se réfugier dans le sommeil et maudit ma vivacité et mon imagination parfois si difficile à apaiser. Journée de repos aujourd'hui. Elle est censée nous apporter l'acclimatation nécessaire pour grimper plus haut demain. Je me recouche après un petit déjeuner avalé sans fin et arrive à trouver une trentaine de minutes de sommeil. L'hélicoptère me réveille, encore une évacuation. Nous sommes peu de choses face à cette montagne. J'ai un peu peur, mais je suis trop fatiguée pour donner suite à cette idée. Je me sens affreusement sale, j'aimerais me laver les mains. J'ai tenté de les tremper dans l'eau s'écoulant du glacé hier après-midi, mais elle était boueuse et m'a laissé la peau sèche et recouverte d'une nouvelle pellicule opaque. J'y rajoute une crème solaire et décide d'oublier l'inconfort. Alex et Andrea redoutent, elles, les jours de repos, le vide de l'attente, les cris du corps et de l'esprit plus difficiles à ignorer. Sunny, elle, s'affaire, va chercher de l'eau au glacier du bas, moins sale et plus facile à filtrer, traite de quelques questions urgentes avec Paul, son mari, via le GPS, rassure Thomas et Cole, qui s'inquiètent pour la voie supérieure vers le sommet, remet des pierres autour de la social tent pour la stabiliser. et arrive à nous préparer un lunch de rennes, des farites avec des oignons frais. Je suis dans un état de demi-veille. Le soleil m'empêche de rester longtemps dans la tente. Il y fait bien trop chaud et la lumière est tout aussi aveuglante qu'à l'extérieur. Je lis pourtant quelques lignes sur mon Kindle, écris dans mon journal comme chaque jour, marche jusqu'au bout du camp et discute de tout et de rien avec les alpinistes de passage. J'ai reçu un message inattendu hier soir, quelques lignes qui m'ont ravivé le cœur. J'y pense et y trouve l'élan qui m'a manqué toute la journée. Maya est passée par le camp 2. Elle est en train d'essayer de battre le record de vitesse détenu par Sunny sur la voie 360. Le record est actuellement de 47 heures. Sunny s'est réveillée à 5 heures du mat'aujourd'hui pour aller à sa rencontre et l'encourager. Maya pleurait. épuisée par l'effort elle est partie de harkones l'entrée du parc hier soir à dix-neuf heures elle a couru toute la nuit elle s'est perdue dans la partie basse de la montagne a eu des difficultés à traverser la rivière et n'en pouvait presque plus avant de trouver un deuxième souffle auprès de sanny maintenant on attend de ses nouvelles elle doit être près du sommet Vers 16h, Maya nous contacte à nouveau via le GPS. Elle est effectivement à la Cueva, la dernière partie avant le sommet, à environ 6600 m d'altitude. Mathias, le porteur, est là aussi. Il l'empêche de continuer. Il est tard, elle est trop lente, c'est trop dangereux. Elle oppose alors une résistance fragile, puis se résigne à abandonner. par radio elle nous annonce sa descente deux heures plus tard elle arrive en larmes on la serre dans nos bras on lui donne à manger elle s'effondre dans un coin de la social tent on la couvre des vêtements dont on peut se passer elle dormira d'une traite jusqu'au petit matin On est le 23 janvier. Notre Summit Day, jour de sommet, est prévu pour le 26. On ne sait toujours pas si on part directement du camp 2, où nous sommes actuellement, ou du camp 3, qui est encore plus haut. Notre forme de demain décidera de la stratégie. J'attends sans impatience. Je ne sais pas comment investir cet espace autrement que par le cœur. Il me touche, m'émeut et m'effraie. et à la fois. Jour 15, 25 janvier 2020 La nuit dernière a été glaciale. Le vent violent a arraché un bout de la social tent malgré les réparations nocturnes de Sunny. J'ai dormi avec deux doudounes, ma capuche renforcée de mon bonnet et mes puffy pants dans mon duvet qui est à moins 40 pourtant. Le vent est tombé ce matin et on se consacre à la préparation de l'ascension. On fait et refait nos sacs. Essayons, réessayons les chaussures d'alpinisme. Nous plaignons. de leur inconfort. Ça n'y est intransigeante, c'est obligatoire. Même s'il n'y a pas de neige, il fera bien trop froid en haut pour envisager porter autre chose. Je négocie quand même une paire de chaussures de trelle pour la descente, si le temps le permet. Nous mettons de côté les snacks. Il faut prévoir environ 1000 calories. Je ne prends que des gels. Je sais que dans les forges, j'ai du mal à mâcher du solide. La bouffe devra rester près du corps pour ne pas geler. Nous réfléchissons. Les solutions sont au moyen les plus simples de l'attraper sans avoir à déshiper trop de couches ni à enlever nos énormes moufles. Je porterai une couche technique, deux doudounes, une gortex sur le haut du corps, trois couches sur le bas du corps. Dans mon sac, il y a l'énorme parka de haute altitude. Je la mettrai uniquement si le vent est trop froid car elle entrave les mouvements. Il nous faudra de quoi nous protéger le visage des engelures, un casque pour les chutes de pierre et une frontale équipée de piles neuves pour les quatre heures d'ascension nocturne. J'ai hâte, j'adore courir et marcher la nuit. Hier, nous sommes montés jusqu'à 6000 mètres, je n'avais jamais été aussi haut. Nous avons traversé Cholera, le camp 3, assez spectaculaire par son emplacement dans un creux rocailleux à flanc de montagne, à peine abrité du vent. Il y avait une bonne douzaine de tentes battant dans le blizzard glacial. Plus haut, j'ai croisé un Français avec qui j'avais parlé au camp de base il y a quelques jours. Il redescendait du sommet. C'est très difficile, de plus en plus difficile. Il faut absolument en garder dans les chaussettes m'a-t-il dit. J'ai essayé de traduire cette dernière expression aux filles. Cela nous a fait rire. Notre forme était excellente tout le long de cette marche d'acclimat. Un peu moins de deux heures pour monter au camp 3, un total de quatre heures. Alex et moi avons chantonné tout le long. Le tout m'apparaît facile et fluide, même si cette altitude m'intimide et que j'écoute chaque signe de mon corps avec une attention moins désinvolte qu'à mon habitude. ce nu était impressionné par notre forme nous partirons donc directement du camp de la nuit prochaine pour l'ascension départ prévu vers trois heures du matin lever à une heure trente pour alex et moi qui partageons la même tente alex ayant toujours du mal à manger il lui faut plus de temps Je suis, quant à moi, toujours prête la première. Sunny appelle ça mon special talent Lucci, guide argentine vivant en Patagonie, nous accompagnera pour le Summit Day. Aucune équipe féminine n'a encore réussi à atteindre le sommet ensemble. Il faudra alors peut-être nous séparer. Et Lucci est là pour ça. Chase et Jayden, tous deux pourtant guides de glaciers en Alaska, demandent à nous accompagner. Ils se sentent rassurés d'être avec nous et d'avoir un groupe leur donnant le rythme. Nous partirons donc à 7, cette nuit. Cole, lui, est en train de faire son ascension. Il a 25 ans aujourd'hui. Il voulait pouvoir les fêter sur le toit des Amériques. Nous attendons de ses nouvelles par la radio. Il devrait être au sommet dans l'après-midi. Mika, la chef du camp de base, monte nous rendre visite. C'est son jour de congé et elle avale les 1200 mètres de dénivelé pour venir nous embrasser et nous souhaiter bonne chance. Elle a un sourire et une bonne humeur communicative. Elle porte tous... Elle porte comme tous ici une casquette très sale et une doudoune qui a pu être verte ou grise. Je l'aime beaucoup. On s'est rencontré il y a quatre ou cinq jours, mais nous sommes tout de suite devenus amis. Sa présence familière me rassure. Je suis de très bonne humeur. Le sommet me paraît plus proche. Mon corps se dérobe moins et je sens que je peux compter sur mon expérience de la longue endurance. janvier ça m'était la nuit est encore très vantée les bourrasques menacent d'arracher la tente et même l'envie de faire pipi ne me sort pas de mon sac de couchage nous avons très peu dormi Alex était inquiète et n'a cessé de gigoter et de soupirer toute la nuit. J'ai un temps hésité à lui dire qu'elle m'empêchait de dormir, puis ai gentiment fait remarquer que j'avais envie de profiter d'une heure ou deux de sommeil. Elle a grogné son acquiescement et s'est un peu calmée. À 1h30 du matin, Sonny vient nous réveiller. Je suis prête en 30 minutes à peine. Alex tente d'avaler son petit déjeuner, mais rien ne passe. Elle contemple son porridge en jouant avec sa cuillère pendant près d'une heure. Je vais rejoindre Lucie et Sunny dans la social tent. Les températures sont bien en dessous de zéro. Moins 20 peut-être. Andrea met du temps à émerger, mais quand elle pointe son nez cagoulé, son sac est méticuleusement fait. Des sacs dans des poches dans des étuis. Le tout est bien zippé et à une place spécifique. J'ai tout fourré en vrac dans le mien comme à mon habitude, et je n'ai pris que l'essentiel. Deux litres d'eau déjà gelée, la parca de haute altitude, Des piles de recharge pour la frontale, une paire de gants de secours, des cordelettes, deux mousquetons. Ma bouffe est près du corps, mon téléphone dans ma brassière pour protéger le tout du froid. Je me félicite de n'avoir apporté que quelques kilos. On a déjà tout le casque sur la tête, les frontales en place, les chaussures de haute attitude lacées, les mains dans les moufles et les surmoufles, et des multiples couches sur le corps. J'ai Les Deneches nous rejoignent et nous commençons notre ascension silencieuse à 3h dans la nuit froide et le froid glacial. Je me sens incroyablement bien. J'ai le pas facile et je grimpe avec Lucie en tête. Derrière nous, plus bas dans la pente, Andrea a des vertiges. Elle panique un peu, le cœur palpitant et la nausée montant. C'est pourtant Alex qui vomit la première. Et je me demande quoi, car elle n'a rien avalé ou presque ce matin. Lucie et moi continuons à avancer, mais nous avons du mal à repérer le sentier le plus doux. À la lumière de nos deux frontales, nous tâchons d'éviter les passages très raides. empruntés par les porteurs en descente mais nous nous retrouvons à plusieurs reprises dans des portions très ponctues où on ne peut pas poser le pied à plat vers cinq heures du matin environ nous arrivons au camp alex et andrea se sentent toujours très faibles luci propose alors de nous abriter un instant dans une des tentes de inca expeditiones agence pour laquelle elle travaille et qui a une tente montée pour la saison nous nous protégeons du froid et du vent tous les six serrés les uns contre les autres moi je veux continuer j'ai froid et la pause me paraît interminable j'avale un gel Mes doigts se glacent immédiatement au contact de l'air et j'ai du mal à les réchauffer ensuite. Je m'impatiente un peu. Je comprends qu'Alex et Andrea aient besoin de temps et de reprendre des forces, mais je me sens comme prise en otage. J'essaie de balayer cette pensée peu compatissante envers le reste de mon équipe. Je sais que je risque moi aussi à n'importe quel moment de me sentir très mal et qu'alors j'aurai besoin d'elle. Je ne parle pas. Je ne me plains pas. Sonny d'ailleurs se tourne vers moi et me dit que ma force mentale est exemplaire. C'est vrai que j'ai avalé les 400 mètres de dénivelé sans un mot. Je me sens forte et apte à affronter ce sommet. Je n'ai aucune peur ni appréhension. Il y a juste ce froid implacable qui commence à me rentrer dans les eaux. Quelques frontales dansent devant nous dans la pente lorsque nous quittons le camp 3, encore plongés dans l'obscurité et le calme. Nous attaquons une longue montée vers le ciel. Indépendantia et Windy Ridge Ma forme est toujours là. Je pars en tête et donne le rythme pendant deux bonnes heures. Alex, elle va beaucoup mieux et n'est pas loin derrière. Andrea peine. L'écart se creuse. Elle doit être une bonne vingtaine de minutes derrière, le pas lourd et fatigué. Elle est accompagnée par Lucci. Chase ferme lui la marche. Sunny me crie à plusieurs reprises de ralentir. Je vais trop vite. L'ascension reste longue et ce sera de plus en plus difficile à mesure que nous gagnons en altitude. Nous avons maintenant dépassé les 6000 mètres qui étaient le dernier point atteint lors de nos marches d'acclimatation. Le soleil se lève et j'attends avec impatience que quelques rayons me réchauffent. Je bouge les orteils et les doigts le plus possible pour les réchauffer, mais je n'ai déjà plus de sensation dans le pouce gauche, et ça depuis un moment déjà. Je n'ai pris qu'un gel depuis notre départ. Je sais que je dois manger, mais j'ai trop peur d'enlever mes moufles et d'affronter le froid. Et puis je ne me souviens même plus dans quelle poche j'ai mis quel gel. L'effort de mémoire me fatigue et je me dis que ça tiendra encore un peu. En fait, ça ne tient pas bien plus longtemps. En arrivant à Windy Ridge, je me mets à trembler comme une feuille. Cette traversée porte bien son nom, le vent est incroyablement fort et le froid envahit tout mon corps. Je manque de tomber plusieurs fois, poussée par les rafales et affaiblie par le manque de calories. Je m'arrête et tente d'ouvrir une poche pour attraper à manger. Je n'ai même pas la force de descendre la fermeture éclair et je dois attendre Sunny pour qu'elle le fasse. L'hypoglycémie redoute. C'est bien là. Une erreur de débutante, vraiment. J'ai d'ailleurs un peu honte d'en être arrivée là, avec toute mon expérience de la longue endurance. Sonny me force à avaler un gel. Je trempe tellement que j'arrive à peine à déglutir. Ma cagoule est descendue. Mon visage est exposé et mes mâchoires commencent à geler. Jayden nous a rejoints et m'enfile un bœuf sur le visage. J'ai du mal à respirer à travers le tissu. Je ne cesse de le descendre. Et Sonny me crie alors Cover your nose or you're going to lose it Couvre-toi le nez ou tu risques de le perdre La suite est très dure. Je trébuche sans cesse. Chaque pas me demande une énergie que je n'ai pas et la traverser jusqu'à la cueva est certainement l'effort le plus difficile que j'ai fourni dans ma vie. Alex et Jayden partent devant. Ils avancent très lentement mais très régulièrement. Sonny reste dernier mois et me rattrape plusieurs fois. fois lorsque je suis prête à m'écrouler. Je ne sais pas où je trouve la force mentale de continuer à avancer. J'ai parfois les mains sur le sol, presse à quatre pattes. Je m'encourage à voix haute. Elise, you've got this. Elise, take one more step. Andrea doit se sentir bien mieux. Je la vois quelques minutes derrière moi. Elle a repris du rythme et a levé la tête. Cela me rassure de savoir que nous pouvons traverser tout cela ensemble, même si l'expérience de la difficulté du moment est horriblement solitaire. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulé depuis notre dernière pause. Trois heures ? Quatre peut-être ? J'attends enfin la cueva, sorte de grotte légèrement abritée du vent. Avant la dernière partie, le Canaletta, considéré comme la plus difficile. Il n'y a pas de neige du tout cette année dans le Canaletta, ce qui rend son ascension encore plus ardue. Le terrain est un immense pierrier très raide où les pas se dérobent sous des cordes déjà exténuées. On voit le sommet depuis la cueva. Je m'écroule dans la poussière et les pierres pour quelques minutes de repos. Le sommet semble si proche. Sunny nous a pourtant prévenu qu'il reste encore plusieurs heures d'ascension. Alex et Jayden sont... Déjà assis à l'abri du vent et semble optimiste. Les forces sont revenues, je crois qu'ils blaguent. Mais je n'ai moi pas l'énergie d'écouter leurs propos. Je tremble si fort que je n'arrive pas à déshiper mes vestes et à attraper les gels que je garde contre la peau. Je demande de l'aide et des gants glacés viennent me frôler le corps. J'avale le plus de calories possible. Je me sens si faible que j'arrive à peine à mâcher. Je parviens tout de même à incurgiter 4 gels de... Je suis à peu près 800 calories. J'ai toujours horriblement froid, même avec l'énorme puffy jacket que j'ai rajouté sur les autres couches. Les gels cependant ne tardent pas à faire effet et je me sens rapidement mieux. Je vois d'abord un peu plus clair, ma respiration se pose, puis je commence à retrouver des sensations dans les jambes. Je prends alors le temps de regarder autour de moi. La vue est infinie. Les Andes s'étirent de part et d'autre, tout un continent à nos pieds. La face sud glacée s'étend à notre gauche, scintillante et presque à portée de main. Son rayonnement est pur et contraste avec la poussière rouge et sale qui nous couvre depuis plus de quinze jours maintenant. Sonny démarre le canal état en tête. Je lui emboîte le pas. Andrea, Ilucci et Alex sont juste derrière et Jayden et Chase un peu plus bas. Nous sommes maintenant à plus de 6600 mètres d'altitude. Nos mouvements sont très lents et pénibles. J'entends les efforts de Sunny, vu qu'elle est juste devant moi. Je sens la lourdeur de ses pas, l'écrissement de son souffle. Je me rends compte que c'est dur pour elle aussi. Elle qui est pourtant une force de la montagne, une athlète hors pair et une alpiniste chevronnée. Merci. On pratique le rest step, un pas, trois ou quatre respirations, un autre pas et ainsi de suite. C'est terriblement lent. Mais nous doublons une équipe de trois. Notre lenteur est bien donc très relative. Le temps passe très vite, encore une fois, je ne sais pas estimer son écoulement. Deux, trois heures, le sommet se rapproche. Les derniers mètres sont rocaillus. Il faut y mettre les mains, se hisser sur de grosses roches et avancer presque à quatre pattes. Et à un moment, nous y sommes. C'est presque soudain. 6 963 mètres, le toit des Amériques. Il y a la croix qui matérialise le sommet, les drapeaux tibétains qui l'entourent, et des sommets à perte de vue. Et ce vent, ce vent, qui nous fait perdre l'équilibre. Je vois tout cela, mais je ne prends pas la mesure de ce qu'on vient de faire. Nous y sommes. Je ne cesse de me le répéter. J'attends les larmes ou les cris de joie, il n'y en a pas. On se serre dans les bras les uns des autres, mon cœur n'y est pas tout à fait. C'est comme trop tôt, trop vite. En bas, à mon retour, je serai émue par notre exploit, par notre courage, par notre humanité partagée. Mais maintenant. Maintenant, j'ai froid, j'ai si froid. Nous sommes trop haut, tout est trop grand, tout est trop inhumain. J'ai envie de redescendre, je crois. Encore une fois, je n'ai pas de notion du temps. Je ne sais pas combien de temps nous passons au sommet. Une dizaine ou une quinzaine de minutes, peut-être. Nous prenons des photos, tentons de faire entendre nos voix par-dessus le vent, puis nous entamons la descente. Nous avons mis 10h25 pour atteindre le sommet depuis le camp 2. C'est un temps inespéré et acclamé par tous les alpinistes que nous rencontrerons ensuite. Melucci et moi mettrons à peine trois heures pour descendre. Le reste de l'équipe, une heure trente de plus. De retour à la Cueva, je remplace mes chaussures d'alpinisme par celles de Trelle, et entame la descente avec Lucci tout droit en courant dans la pente vers le camp de Hénotente. Nous prenons un raccourci, c'est-à-dire le sentier que les porteurs empruntent pour filer sans détour vers des altitudes plus clémentes. Je suis épuisée et tombe plusieurs fois emportée par mon élan. Mes jambes sont si fatiguées qu'elles sont presque devenues un dolor. Je dessire ma Gore-Tex et m'en moque. Je pense au champagne du camp de base dans deux jours, au vin à Penitentes dans trois, et à la douche luxueuse de l'hôtel diplomatique dans quatre. Ce n'est que maintenant, quelques jours plus tard, au moment où j'écris ces lignes, après une longue descente, un portage impressionnant, quelques bières, un peu plus de sommeil, que je comprends ce que nous avons fait. Je n'ai pas eu de révélation, ni d'épiphanie sur cette montagne. Elle était en fait inhospitalière, rude et froide. Cependant, j'ai maintenant en moi une appréciation de la vie sans pareil, une ferveur. et une confiance jamais expérimentée. Je le sens dans mon corps, qui pourtant fatigué et avide de vie et d'aventure, n'a peur de rien ou presque, se moque de son âge et de ses limites. Je le sens dans mon cœur qui est gros de désir, ouvert vers le possible, l'amour et les territoires inconnus. Nous parlons peu les jours qui suivent, mais nous sommes toutes baignées de cette expérience, où les gestes sont réduits à la simple survie. et où le caractère précieux de la vie humaine s'affirme directement et indéniablement. Je suis à la fois toute petite sur cette montagne, mais immense dans mon humanité. C'était Créons des possibles, un podcast d'Explore Training. Si vous avez aimé ce podcast, n'hésitez pas à nous donner 5 étoiles sur Apple Podcasts ou la plateforme sur laquelle vous écoutez pour encourager la diffusion de nos aventures. Merci.

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