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Dans l'atelier des historiens

L'art de faire parler les oeuvres

L'art de faire parler les oeuvres

37min |19/03/2025
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L'art de faire parler les oeuvres

L'art de faire parler les oeuvres

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Description

Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art, professeure d’histoire de l’art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des sciences politiques, commissaire d’exposition et autrice, nous invite à entrer dans l'intimité de sa recherche, depuis la découverte d’un carnet de la deuxième division blindée du Général Leclerc, qui appartenait à son père, à aujourd'hui. Sa recherche, marquée par la question de l'art en temps de conflits, explore en particulier les représentations de la guerre et de la puissance.


Ses derniers ouvrages : 

L’art de la défaite (1940-1944), ed. Seuils, 2010

Pour en finir avec la nature morte, ed. Gallimard, 2020

Le lion de Rosa (Bonheur), ed. Gallimard, 2024  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Dans l'atelier des historiens, un podcast du Centre d'Histoire de Sciences Po, présenté par Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous et à toutes, ravie de vous retrouver dans l'atelier des historiens pour vivre une nouvelle rencontre, avec aujourd'hui une immersion dans l'univers d'une historienne de l'art, qui a révolutionné la discipline et qui a accepté de revenir aux sources de son histoire. Bonjour Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #0

    Bonjour Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Merci d'être avec nous. Vous êtes professeure d'histoire de l'art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, commissaire d'exposition, autrice de nombreux livres, parmi lesquels on peut citer « L'art de la défaite » édité au Seuil, « Pour en finir avec la nature morte » et « Le lion de Rosa » paru chez Gallimard. Ravi de vous recevoir.

  • Speaker #0

    Ravi d'être ici.

  • Speaker #1

    Laurence Bertrand d'Orléac, faire de l'histoire de l'art votre terrain de prédilection, est-ce que ce fut un choix qui s'est imposé comme une évidence ?

  • Speaker #0

    Non, pas au début. En réalité, je fais, quand j'étais jeune étudiante, beaucoup de choses, sans doute déjà trop. À la fois, je dessine, c'est peut-être même la seule activité pour laquelle j'ai de vraies facilités. Un petit peu de théâtre, le cours Simon. pour sortir de ma timidité. Et puis, je démarre des études d'histoire, comme ça, à l'université.

  • Speaker #1

    Parce que vous aviez la passion, quand même, déjà pour l'histoire politique, précisément,

  • Speaker #0

    et pour l'art. Oui, c'est venu vraiment par l'art. Plutôt que l'histoire de l'art, il y avait d'un côté l'art et de l'autre côté l'histoire. Et puis à un moment donné, ça s'est rapproché. Ça s'est rapproché assez tard, ça s'est rapproché quand même au moment de ma maîtrise, ce qu'on appelle aujourd'hui un master, un mémoire de master. Et c'était à Paris 7 et mes professeurs, Michel... Perrault en particulier, mes professeurs s'étaient rendus compte que je choisissais systématiquement des sujets en rapport avec l'art, dans toutes les matières que je devais étudier. Et ils m'ont dit écoutez, on ne peut plus vous suivre là, il va falloir jouer le jeu. Et c'est là que j'ai bifurqué et que j'ai été à Paris 7 en histoire et j'ai bifurqué à Paris 1 à la Sorbonne. en histoire de l'art et j'ai commencé des études d'histoire de l'art.

  • Speaker #1

    Mais comment à l'époque l'histoire de l'art était considérée ?

  • Speaker #0

    Écoutez, c'était une spécialité, plus qu'une discipline peut-être, très aristocratique encore, et qui était considérée avec une certaine condescendance par les historiens, qui avaient une vision à la fois juste et injuste, disons. C'était une histoire de l'art qui était souvent déconnectée des sciences humaines et sociales, qui était assez formaliste. Et surtout, le milieu était quand même très séparé des autres milieux de la recherche. C'était un peu une dépendance, une petite colonie peut-être.

  • Speaker #1

    En tout cas, vous sentiez qu'il y avait cette discipline que l'on ne considérait pas peut-être avec autant d'importance que... L'histoire ou l'histoire politique, l'histoire économique ou d'autres ?

  • Speaker #0

    Sans aucun doute. D'ailleurs, quand mes bons maîtres et professeurs à Sciences Po, je pense à Serge Berstein, Pierre Milza, ont été, quand j'étais en DEA ici à Sciences Po, je suis revenue après avoir fait une thèse d'histoire à Sciences Po, j'ai eu le besoin de revenir en histoire. C'est vrai qu'ils ont été assez tentés de m'orienter. vers l'histoire politique et je leur ai répondu vous savez en histoire politique vous avez beaucoup beaucoup de monde formidable alors qu'on y sera il ya beaucoup de travail à faire et je voudrais le faire et j'ai essayé de le faire j'ai essayé de de bâtir des pont entre l'histoire de l'art et l'histoire en particulier.

  • Speaker #1

    Donc vous avez suivi vos ressentis, vos envies, vos ambitions en étant jeune étudiante, ce qui n'est pas toujours facile quand on est face à des mandarins, on peut le dire.

  • Speaker #0

    À l'époque, j'étais entourée de mandarins très libéraux, au sens classique du terme. J'ai eu beaucoup de chance. Ils n'ont pas essayé de peser sur moi jusqu'à un certain point. Je ne citerai personne, mais il m'est arrivé de croiser en effet des personnalités qui ont essayé de m'imposer des... catégories. Mais heureusement, mes bons maîtres de proximité ont toujours été très respectueux. Michel Vinocq aussi, pour qui j'ai travaillé à un moment donné, qui fut après mon éditeur. J'ai beaucoup de chance. J'ai appris le métier. avec des historiens formidables.

  • Speaker #1

    Et puis on peut dire que vous avez été peut-être résistante dans l'âme à vouloir suivre juste les chemins qui étaient les vôtres, suivre vos envies, c'est le message qu'on peut donner aujourd'hui aux étudiants plus que jamais.

  • Speaker #0

    C'était le cas alors qu'il est vrai qu'on n'était pas du tout aidés en y sortant de là. Pour vous donner une petite anecdote, quand j'ai commencé ma thèse de doctorat, j'avais envie d'être autonome, j'ai demandé une bourse. Et mon directeur de thèse... En histoire de là, il m'a demandé si j'avais des amis au gouvernement. Alors je n'avais pas d'amis au gouvernement et je lui ai répondu donc pas à négative. Il m'a dit alors nous n'en demanderons pas parce que nous avons eu deux bourses en dix ans, une pour un tel qui est un non connu, l'autre pour un tel qui est un non connu et donc ça ne servira à rien. Et là je me suis dit il y a un petit problème dans cette spécialité quand même. Donc j'ai travaillé, j'ai fait beaucoup de petits métiers, je peux gagner ma vie en faisant toutes sortes de choses assez étonnantes d'ailleurs, j'ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Et dans ce parcours qui a été le vôtre, Laurence Bertrand-Doriac, il y a ce choix de regarder du côté de la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que ce fut un choix conscient, inconscient ? Est-ce que l'histoire personnelle et familiale a pu se mêler à ces directions prises ?

  • Speaker #0

    Mais c'est difficile, évidemment, on reconstruit toujours de manière rationnelle des choses qui sont moins rationnelles. Les affects, les émotions, c'est un point aveugle des sciences humaines et sociales et de l'histoire. En particulier en France, peut-être, où nous restons assez cartésiens, sinon positivistes. Et donc, de mon côté, je pense que ça s'est fait par décantation, c'est-à-dire j'aimais l'histoire, il fallait que je choisisse un sujet, un sujet un peu neuf. J'ai réussi finalement à... J'ai accordé mes passions, qui étaient l'histoire, l'histoire de l'art, l'histoire politique, et pour une période où rien n'avait été fait, c'est-à-dire la période de la Seconde Guerre mondiale, j'avais un peu cherché, vous savez comme on cherche un sujet où évidemment il reste des choses à faire, vous l'avez fait vous-même Aurélie, je crois, brillamment, et bien au moins c'était pareil. Et en fait, personne n'avait touché à cette période de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde s'arrêtait en 1930. et ensuite on reprenait à 1945. Alors je me suis dit, là il y a un trou, il y a un point aveugle. Et ça correspondait aussi à un point aveugle dans l'histoire familiale, en tout cas paternelle, puisque je n'ai découvert qu'à l'âge de 20 ans le carnet de deuxième DB de mon père. Et j'ai appris comme ça qu'il avait été dans la résistante. Donc je lui ai demandé de se mettre un petit peu à table, si je puis dire, et de me parler de ça, il en a parlé un peu. Après, un peu plus. C'était compliqué tout ça. On ne parlait pas de ça dans les familles.

  • Speaker #1

    Donc il a été résistant dans la deuxième division blindée du général Leclerc ?

  • Speaker #0

    Oui, alors il est jeune. Il passe de Zazou à Maquis-Canoy. Et en fait, il va être intégré à la deuxième DB à partir de Saint-Germain, qui avait un centre de recrutement. Et il va partir vers l'Est, donc à partir de l'été 44.

  • Speaker #1

    Jusqu'à Strasbourg, l'Albran, il va vivre ces moments-là.

  • Speaker #0

    Oui, qui sont des moments très forts. C'est la seule fois où j'ai vu mon père très, très ému, au point de pleurer. C'est quand il a raconté cet épisode où il a eu une action de résistance, où il a peut-être tué un Allemand, il ne sait pas très bien. Et je crois que ça l'a beaucoup torturé. Il sortait d'une école de jésuites à l'époque. Et puis la suite, c'est-à-dire... Il m'a fait comprendre que ça n'était pas facile d'arriver dans une armée de vainqueurs dans un pays effondré.

  • Speaker #1

    Il n'en parlait pas ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Et vous l'avez découvert comment ?

  • Speaker #0

    Par hasard, en fait. Je l'ai découvert par son carnet de la deuxième DB, en fait, dans la bibliothèque. Mon père ne vivait pas tellement à la maison. Il était un... Vous savez, mes parents parlent... période de l'occupation, n'avait pas fait les études qu'ils auraient voulu faire. Lui, les arts et métiers, donc en fait, ils sont rentrés dans les affaires, l'un et l'autre, après la guerre. Et donc, mon père était un cadre dirigeant dans une société américaine. Et donc, il était toujours, il était souvent en voyage, je le voyais peu, en fait. Mais il y avait les livres qui étaient un peu les témoins, c'était un peu ses intercesseurs. Il y avait ses romans. Et puis il y avait ce carnet de la deuxième DB que j'ai trouvé un jour et j'étais très étonnée parce que j'ai bien compris que ça avait un rapport avec lui. Donc je lui ai posé la question ensuite et il m'a un petit peu parlé mais encore une fois assez peu dans un premier temps.

  • Speaker #1

    Vous étiez étudiante ?

  • Speaker #0

    J'avais 20 ans et j'avais un petit peu commencé à faire un petit cursus mais les choses se sont décidées. Je dirais que... Vers l'âge de 22-23 ans, le temps que je mûrisse un sujet, et à ce moment-là que je passe vraiment... Les études m'ont intéressée uniquement à partir du moment où j'ai fait un travail de recherche personnelle. Je me suis organisée, j'ai fait des entretiens en rouge, j'aimais cette liberté. J'avais aimé mes études quand j'étais vraiment très enfant. On m'a un peu pris pour qui je n'étais pas, on a pensé... C'était la mode de... de voir des surdoués partout, je crois. Et hélas, c'est tombé sur moi, donc on m'a fait sauter une quatrième. C'est un peu amusé, comme sur un cobaye. Donc j'ai fait des études assez chaotiques, et elles se sont révélées beaucoup plus intéressantes pour moi, à nouveau, à partir du moment où j'ai fait de la recherche, c'est-à-dire pour mon mémoire de maîtrise, et puis ensuite, surtout pour ma thèse.

  • Speaker #1

    Alors ce document, ce livre sur la deuxième DB, peut-être que vous pouvez nous lire les premières lignes que vous avez eues sous les yeux quand vous avez compris qu'il y avait un lien avec le parcours de résistants de votre père.

  • Speaker #0

    Alors déjà cette couverture, la deuxième DB, Général Leclerc en France, combat les combattants. et le sigle visuel, la Croix de Lorraine. Et puis ensuite, oui, la première page, cet ouvrage est dédié aux jeunes, jeunes avec un grand J, à eux qui, sur le sol de France, se sont levés et ont rejoint pour le combat en foule impatiente par leurs anciens, avec un grand A, et par ceux qui sont tombés. Alors tout ça c'est très énigmatique quand même pour moi, c'est publié au deuxième trimestre 1945, c'est-à-dire vraiment à la fin de la guerre. Et c'est assez amusant parce que c'est publié aux éditions Arts et métiers graphiques. Et à l'époque ça m'intéressait parce que je m'intéressais aux arts justement, et bon je travaillais avec un professeur de l'école des beaux-arts depuis l'âge de 15. 14-15 ans. Et les arts et métiers graphiques, je ne savais pas en fait, mais mon père avait voulu faire les arts et métiers, aurait fait les arts et métiers. J'ai retrouvé ensuite, beaucoup plus tard, un carnet de mon père, justement, où il dessinait très très bien, je dois dire. Et c'est amusant parce qu'il y a une espèce de concentration de ce qu'il a été, de ce qu'il aurait pu être aussi, puisque mon père, après la guerre, donc de retour, a failli s'enrôler en fait dans l'armée. Et puis finalement, il a été, si je puis dire, détourné de ce destin. Il avait souvent des histoires de femmes et donc il a fait le mur, il s'est fait prendre et donc on n'a pas voulu de lui pour partir en Indochine, ce qui tombait plutôt bien, je crois, dans son cas, enfin. Mais en dehors des textes, à vrai dire, que je n'ai pas lu du tout in extenso à l'époque, mais ce qui m'a frappé dans cet ouvrage de la deuxième DB, c'était évidemment les photographies de ruines. de villes en ruines, ou de cette femme qui semble s'adresser à un soldat qui est juché sur un tank en Normandie. Mais également ces images d'hommes à terre, un Allemand qui vient de tomber, un FFI va prendre son arme. Il y a des images à la fois de violence, de destruction des villes, de joie aussi, de liesse, incontestablement, d'enthousiasme. mais également des images très dures. Bref, ça n'est pas seulement une histoire militaire qui est exaltée dans ce volume, mais c'est aussi, au fond, une histoire des populations. Une histoire, j'allais dire, assez vraie de la guerre. Ça m'a étonnée. J'aimerais bien en savoir plus sur la façon, aujourd'hui, justement, dont a été fabriqué cet ouvrage, encore une fois, qui était très interne, je pense, à la deuxième DB, en fait. C'était comme un... Je ne sais pas, c'était un livre qui devait circuler. Je n'ai jamais fait le... C'est peut-être une petite étude qu'il faudrait que je fasse un jour.

  • Speaker #1

    Mais ce n'était pas un livre militaire, purement militaire. Il y a vraiment ces civils aussi.

  • Speaker #0

    Oui, voilà.

  • Speaker #1

    Et l'ambition de montrer les douleurs, la violence.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et c'est assez étonnant parce qu'on aurait pu imaginer quelque chose de plus triomphaliste, de plus...

  • Speaker #1

    Héroïque ?

  • Speaker #0

    Oui, plus héroïque. Et en fait...

  • Speaker #1

    On montre la guerre.

  • Speaker #0

    Oui, on montre la guerre telle qu'elle a été et telle que, parfois, en tout cas de façon sporadique, mon père me l'a racontée plus tard.

  • Speaker #1

    Alors concrètement, rétrospectivement peut-être, bien sûr, Laurence Bertrand d'Orléac, vous regardez ce livre que vous nous avez amené et... Est-ce que vous dites que ça a changé quand même quelque chose, ou ça a déclenché quelque chose en vous, et notamment en lien avec peut-être une posture d'historienne que vous alliez devenir ?

  • Speaker #0

    Je crois que ça a créé, étrangement, plutôt que révéler quelque chose, ça a créé du mystère, encore plus de mystère. C'est comme vraiment une boîte de Pandore qui s'ouvrait, et il y avait tellement de choses, alors que bon, avant, je dirais qu'il y avait du silence. on ne se posait pas trop la question. Et tout d'un coup, ce qui n'a rien de très original, parce qu'en 1977, c'est la génération qui veut savoir. On sait bien que la première génération... Et puis à la deuxième génération, on commence à se demander ce qui s'est passé dans la famille. C'est ce qui s'est passé. Et donc, à partir de ce moment-là, je suis allée de mystère en mystère quand même. Parce que l'histoire, au fond... Et c'est ça qui me semble, avec le recul paradoxal, c'est qu'on va vers l'histoire pour, au fond, essayer de comprendre. Et en fait, je ne veux pas du tout dire que je n'ai rien découvert dans ma thèse, etc. Il y en a un ou deux là. Non, oui, factuellement, j'ai raconté beaucoup, beaucoup de choses, mais quand même sur les choses qui m'intéressaient, c'est-à-dire vraiment comment on s'engage, pourquoi... Pourquoi on s'engage ? Pourquoi tout d'un coup on s'engage dans la résistance ? Il aurait très bien pu aller du côté du fascisme italien, il venait d'une famille plutôt très conservatrice. Ça soulevait au fond largement autant de questions que ça ne résolvait le problème. Je me demande finalement si quand on va vers l'histoire, on ne sait pas parce qu'on n'aime pas les énigmes, et surtout les énigmes dans les énigmes.

  • Speaker #1

    Chercher le père, combler le vide.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. Je ne ressens pas de vide à cet égard, mais je ressens quelque chose encore de l'ordre du sphinx et du mystère.

  • Speaker #1

    Et lui n'ayant pas répondu à toutes vos questions à vos attentes.

  • Speaker #0

    C'est très vrai. Je n'ai pas su le faire parler et lui savait se taire. Vous avez tout à fait raison.

  • Speaker #1

    Dans une famille où on savait se taire, puisqu'il faut quand même rappeler que vos grands-parents avaient vécu une autre guerre, la Première Guerre mondiale. Il n'en parlait pas forcément. père a été dans ce cadre-là aussi, de ne pas tout révéler. Alors, est-ce qu'à travers ces sources qui ont été les vôtres, c'est-à-dire vous vous êtes orienté vers l'histoire de l'art et avec d'autres sources qu'il faut savoir décoder, faire parler tout simplement les œuvres d'art, peinture, dessin, gravure, photo, qu'est-ce qu'elles ont de particulier qui nécessite peut-être une autre approche, une autre façon de les toucher, de les approcher par rapport aux sources écrites ? elles révèlent beaucoup de choses et vous avez eu durant toute votre carrière cette capacité à nous les révéler en fait.

  • Speaker #0

    Merci mais en vous écoutant parler je me rends compte que ce qui précisément a pu se passer c'est qu'une œuvre d'art elle est muette et je l'opposerais plus qu'au texte, je l'opposerais peut-être davantage encore à précisément quelqu'un qui ne veut pas parler en réalité.

  • Speaker #1

    On revient au père.

  • Speaker #0

    Oui peut-être. au père mais au grand-père etc et plus c'est peut-être ça en fait le problème plus que les textes parce que les textes finalement ils parlent ils parlent ils sont assez bavard l'écriture finalement c'est du on dit beaucoup de choses alors que les gens quand ils ne veulent pas parler il ya quand même quelque chose de beaucoup plus troublant je crois que c'est ça qui s'est passé les oeuvres sont vraiment le lieu où il faut se passer de la parole, il faut faire parler des choses muettes et qui en même temps ont une action sur nous, c'est-à-dire qu'elles déclenchent des affects, des émotions, davantage souvent que le texte, plus directement que le texte. Ça a été prouvé d'ailleurs récemment par les scientifiques étudiant tout ça plus précisément, et on est plus affecté directement par l'image que par le texte.

  • Speaker #1

    Alors, quel était l'intitulé de votre thèse ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était une histoire de l'art en France entre 1940 et 1944. Et le sous-titre était Tradition et Modernité, au pluriel.

  • Speaker #1

    Et donc là, vous découvrez, et vous nous faites découvrir surtout, le rôle et la fonction de l'art que vous avez questionné dans vos travaux et ensuite dans les expositions réalisées en France et en Espagne.

  • Speaker #0

    Oui, il y a beaucoup de faits qui n'avaient pas été révélés en effet. Et dans un premier temps, comme tous les historiens qui travaillent sur la période de la Seconde Guerre mondiale, que vous connaissez bien, tout d'abord... au fond les sources en lien avec la partie émergée de l'iceberg, la collaboration, l'accommodement, en tout cas. Alors qu'il faudra attendre beaucoup plus longtemps pour saisir ce qui s'est dépassé dans le off de l'histoire. Et c'est ça qui, plusieurs années après, donnera une exposition en 2012 au Musée d'art moderne qui s'appelait L'art en guerre. Le... Le titre de ma thèse, c'était ma thèse, mais ensuite il y a eu un livre au seuil que m'a commandé Michel Vinocq, et qui s'appelait « L'art de la défaite » , ça veut bien dire ce que ça veut dire. Alors qu'après, 30 ans après, c'était « L'art en guerre » , c'est-à-dire qu'au contraire, on découvrait, comme vous le savez, l'histoire de la résistance s'est faite après l'histoire de la collaboration. Alors c'est très déprimant d'ailleurs, dans un premier temps, parce que tout ce qui était intéressant, tout ce qui était de l'ordre... de cette résistance, en fait, nous apparaissait pas beaucoup plus difficilement. Qu'est-ce que vous avez, vous, découvert ?

  • Speaker #1

    J'ai découvert évidemment que l'art était instrumentalisé par un régime, on va dire à tentation totalitaire pour le régime de Vichy, et bien sûr par l'occupant, que l'art pouvait évidemment être très vite instrumentalisé politiquement à des fins de propagande. Et que tous les acteurs étaient concernés, que évidemment, dès qu'on rentre dans une période où il y a vraiment un mot d'ordre qui est d'interdire toutes les zones de la pensée libre, de l'art libre. Donc j'ai découvert, ce qui est dur d'ailleurs à un peu plus de 20 ans, ce que Philippe Burin appelait l'accommodement. C'est-à-dire qu'il fallait continuer à travailler, etc. Et encore une fois, c'était évidemment un spectacle désolant, désolant parce que c'était contraire à toute la liberté de l'art et des artistes en temps de démocratie. Ce que j'ai aussi appris, évidemment, c'est que, disons que cette instrumentalisation, elle était très importante pour imposer des images, des images de propagande. On peut parler d'art en série pour l'art du maréchal, par exemple, qui était un traditionnaliste, certes, mais qui utilisait des moyens modernes pour sa propagande, et qui inondait littéralement, et qui même faisait de chaque écolier un propagandiste en demandant des portraits du maréchal qui arrivaient à Vichy, qui étaient exposés, etc. Donc tout le monde se transformait peu ou pro en agent de propagande sous Vichy. Quant aux nazis, évidemment, il y avait également des expositions obligées d'Arnaud Brecker. Il y avait des images très fortes qui imposaient en France une image du surhomme, disons-le, pour Arnaud Brecker en particulier et sa grande exposition en 1942 au Jeu de Paume.

  • Speaker #0

    Et il y a l'art en résistance.

  • Speaker #1

    Il y aura l'art en résistance pour moi parce qu'encore une fois... Il a fallu des années pour le voir émerger, il fallait aller trouver d'autres sources, il fallait que les langues se délient, il fallait que les associations jouent un rôle. Et là, effectivement, j'ai décidé, au grand dam du musée qui m'avait embauché plus tôt pour faire, 30-40 ans plus tard, après ma thèse, ce que personne n'avait osé faire dans les musées au moment de la publication de ma thèse et de mon livre. En fait, on me demandait de faire cette exposition sur l'art sous l'occupation, sauf que moi, ça ne m'intéressait plus du tout, parce que vous connaissez les chercheuses, évidemment, elles aiment le nouveau, le nouveau, et il fallait que je leur ait dit non, il faut que ce soit un laboratoire de recherche, sinon ça ne m'intéresse pas. Donc on s'est mis en laboratoire de recherche, et là on a trouvé des œuvres, tout simplement parce qu'on allait dans des fonds d'archives différents, des fonds muséaux différents, des fonds d'associations, et on a découvert ce qui se passait vraiment intra-muros en France. dans les camps, dans les prisons, dans les cuisines, dans les ateliers clandestins. Et là, ça a été une grande exposition, je crois, assez importante, qui est partie ensuite au Guggenheim de Bilbao, et où il y a énormément de monde qui l'a vue à Bilbao, c'était près de 500 000 personnes. Et j'ai découvert comment aussi on pouvait déplier la recherche fondamentale auprès d'un très grand public en étant très exigeant scientifiquement. Alors ça, ça m'a beaucoup plu.

  • Speaker #0

    En tout cas, montrer à voir la guerre, interroger le rôle de l'art, comprendre les représentations de la guerre. Donc c'est vraiment ce que vous nous avez livré, ce que vous continuez à nous livrer. Laurence Bertrand d'Orléac, dans toutes vos réalisations, puisqu'on parle des expositions, il y a aussi vos livres et beaucoup de ces outils que vous utilisez pour donner au public à comprendre. L'art et la culture, c'est ce qui reste quand il n'y a plus rien. Ça aussi, c'est une de vos phrases. Elle est importante parce que... Cela revient à penser à ceux qui ont abouti aussi dans les camps. Et l'art dans les camps, ou l'art dans ces moments les plus durs, pour ceux que l'on réduit à rien. Là aussi, vous avez vécu des moments forts, des découvertes, et peut-être que vous avez cette envie de partager une autre source qui montre combien cet art, il faut pouvoir le regarder partout.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est d'être Malraux, sans doute, qui a dit que c'est ce qui restait quand il n'y avait plus rien. Pour tout vous dire, j'avais une amie de la famille qui était une rescapée des camps de la mort et qui m'a raconté que les filles, elle était très jeune, elle avait 17 ans, se réfugiaient dans la poésie. Et disons qu'il restait, bon on sait que Miozic par exemple a continué à créer. Je le savais un petit peu aussi pendant la première guerre mondiale, ça a été le cas dans les situations les pires disons. Les humains... un peu comme depuis la préhistoire, au fond, les humains dessinent pour avoir moins peur, ou pour espérer encore, pour donner une forme. C'est comme une catharsis, en fait, c'est la vieille catharsis d'Aristote, c'est-à-dire qu'on dessine des choses terribles pour se les enlever de la tête, disait Kafka aussi. Vous voyez, donc, ça c'est une réflexion, évidemment, que je me suis faite, et ça m'a beaucoup troublée, j'ai présenté... ces œuvres d'artistes qui étaient passés dans les camps français avant d'aller dans les camps de la mort. Otto Frönisch, Charlotte Salomon, qu'on a découvert assez récemment, Horst Rosenthal, Mickey au camp de Gurs, tous ces gens qui sont passés dans les camps français et qui ont été exterminés plus tard. J'ai d'ailleurs gardé une œuvre extraordinaire d'une certaine Myriam Lévy dont je ne sais... absolument rien sinon qu'elle a été exterminée. Et la seule chose qui reste d'elle sur la Terre, c'est cette œuvre, c'est ce dessin.

  • Speaker #0

    Vous pouvez nous décrire ce dessin ?

  • Speaker #1

    C'est comme une carte à jouer. C'était dans la collection d'André Breton. C'est un galeriste qui nous l'a prêté pour l'exposition de 2012 au Musée d'art moderne de la ville de Paris. C'est une dame de pique d'un côté, c'est un rameau de l'autre. On peut, comme une carte à jouer, la renverser. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y est question probablement d'un enfermement, puisque sur le front de sa visage, sur une des parties, on voit des barreaux. Donc, je pense... Un mur de prison. Oui. L'hypothèse, c'est qu'elle aurait fait partie de ces gens emprisonnés à Marseille, puisqu'il y a eu un jeu surréaliste qui a été fabriqué à Marseille par des surréalistes. Ça n'est pas le même format, mais c'est un peu le même esprit. Et ce jeu surréaliste, Breton, évidemment, on avait non seulement connaissance, et je pense que Breton a croisé cette carte, ce dessin. Il l'a acheté. Est-ce qu'il a croisé son autrice ? Je n'en sais rien. Mais ce que je sais, c'est que quand l'exposition a ouvert, qu'on a emprunté cette œuvre, ce modeste dessin à l'encre, signé Myriam Lévy, 1941, eh bien, ce que je sais, c'est que j'ai dit à la plupart des journalistes que je rencontrais, je leur disais, voilà, je leur racontais cette histoire. Et comme ça, je me disais, si les journalistes en parlent... Peut-être que quelqu'un va dire, mais c'était ma grand-mère ou que sais-je. Eh bien, rien, rien. Elle est repartie orpheline. Et j'étais hantée par cette image et par cette œuvre qui me bouleversait, parce que c'était la seule chose, encore une fois, qui restait sur la terre de cette femme. Et six mois plus tard, j'ai téléphoné au galeriste en lui demandant s'il avait vendu cette œuvre. C'était d'une police d'assurance de 1700. Je me souviens à l'époque et il m'a répondu non. Alors je dis, alors je vais l'acquérir. Et j'ai acheté cette œuvre qui est maintenant chez moi. J'ai l'impression qu'elle a quand même, disons, trouvé une sorte de refuge.

  • Speaker #0

    Vous n'avez toujours pas... D'autres informations sur ce qu'il y a ? On peut toujours lancer un appel. Oui,

  • Speaker #1

    je continue la preuve, je continue à en parler.

  • Speaker #0

    Sensibiliser, questionner, interpeller. Alors avec vos livres, avec les expositions, est-ce que pour vous c'est une responsabilité peut-être, ou en tout cas le rôle là aussi d'un historien, d'une historienne ?

  • Speaker #1

    Vous savez, j'ai l'impression qu'on est historien parce qu'on ne peut pas faire autre chose. J'ai l'impression de quelque chose qui s'est imposé à moi et je n'arrive pas à... Au fond, souvent, j'essaie de dire... Par exemple, je dis souvent intérieurement, j'ai fait la paix avec la guerre. Je ne veux plus parler de la guerre. Et aujourd'hui, vous voyez de quoi parle-t-on ? De la guerre. Donc, en fait, à chaque fois que je veux sortir de l'histoire et en particulier de l'histoire des guerres, j'y reviens. C'est-à-dire que ça s'impose à moi. Est-ce que c'est une responsabilité ? Vraiment, je ne le prends pas comme mission et je ne me prends pas pour une militante ou pour... Pas du tout. Mais je remarque simplement que ça s'impose et que je n'arrive pas à quitter ce terrain-là.

  • Speaker #0

    Parce que l'histoire et les siècles sont traversés par les guerres aussi, Laurence Berthier, dans les Hague. Et que les artistes... acteurs majeurs de la société, par leurs œuvres créent aussi des mondes mais peuvent changer le monde. Dans ce sens-là, est-ce que l'historien, l'historienne est un éclaireur justement aussi, plus que jamais pour le temps présent et celui à venir ? Ce 21e siècle traversé lui aussi depuis 25 ans par des troupes, des guerres, ce n'est pas un siècle de paix.

  • Speaker #1

    En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je travaille en ce moment avec une artiste contemporaine, Hélène Delprat, pour ne pas la nommer comme par hasard, elle travaille aussi sur les guerres, et pour cause, elle vient d'Amiens, donc elle est née sur un territoire de guerre, ravagée par la guerre, et donc en fait les artistes ont toujours ce rôle de vigie, d'alerte ça ne veut pas dire pour ça qu'ils ont des positions militantes ou très claires, attention, parce que c'est difficile de faire dire justement aux artistes autre chose que ce qu'ils peuvent dire c'est-à-dire des choses au fond qui peuvent être même parfois ambivalentes, contradictoires ils travaillent avec leur inconscient ... La grande différence peut-être entre l'historien et l'artiste, c'est que l'historien, bon, évidemment, sait qu'il y a un inconscient, y compris un inconscient collectif, mais on ne peut pas dire qu'on travaille beaucoup avec ça, alors que les artistes, ils sont vraiment dans une espèce de quête totale de vérité d'eux-mêmes, et d'une certaine manière, ça leur échappe. Même Bourdieu, le sociologue, philosophe, disait « ils font ce qu'ils veulent pour une part, mais pour une part seulement » . C'est donc qu'il admettait... en ayant travaillé sur Manet pour son dernier cours au Clége de France, qui avait une part d'inconscient chez l'artiste qui était très importante. Et c'est pour ça que ça marche, si je puis dire, auprès de nous. C'est pour un moment qu'il parle de choses qu'on ne veut pas s'avouer nous-mêmes.

  • Speaker #0

    De l'inconscient et en même temps, ce besoin de nous donner à sentir aussi ce que eux perçoivent comme des dangers, comme ils ont tenté de le faire lors de l'exposition internationale du surréalisme en 1938. Ils n'ont pas été écoutés. comme d'autres alerteurs à l'époque n'ont pas été écoutés, mais on retrouve dans leurs œuvres justement ces alertes. Est-ce que c'est dans ce sens-là qu'il faut plus que jamais continuer à regarder les artistes et leurs œuvres comme de possibles alerteurs aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ah oui, je crois que ce n'est pas du temps perdu que de regarder ce que font les artistes. Hélas, c'est un monde, c'est un continent l'art contemporain et il ne faut pas d'a priori, il faut essayer de... de saisir justement, mais il est certain que, selon moi, c'est le lieu où on recherche la vérité, et on perçoit les dangers, comme vous le dites si bien, on perçoit les puissances, mais on perçoit aussi les dangers encourus. En 1938, par exemple, c'est vrai, vous avez raison, les surréalistes étaient parmi les seuls qui vraiment ont pris conscience du danger du nazisme, et d'ailleurs un certain nombre sont partis aux États-Unis, on leur a reproché. simplement eux, pour la plupart, ils avaient vu la première guerre mondiale, ils avaient vu le monde basculer, et d'une certaine manière, ils avaient une conscience politique qui leur permettait de comprendre les choses.

  • Speaker #0

    Ils avaient été considérés par les nazis comme des artistes dégénérés, d'ailleurs, donc interdits. On arrive au terme de notre entretien, Laurence Bertrand d'Orléac, est-ce que vous pouvez nous confier sur quoi vous travaillez en ce moment, ou alors vous aimeriez peut-être travailler, si vous pouvez nous le révéler ?

  • Speaker #1

    Non, je travaille activement sur la représentation du lion à travers l'histoire, mais dans une optique assez particulière, c'est-à-dire la question du lion et de la gouvernance. Le lion est toujours lié, au fond, à la question de la gouvernance depuis toujours et des puissances. Et j'aimerais aborder cette question qui me paraît importante aujourd'hui, selon laquelle, disons, la puissance n'est pas la violence. Je crois qu'on a tendance à confondre les deux. Et donc c'est une réflexion, disons, esthético-politique que je veux mener au long cours. J'ai déjà des centaines de lions. J'invite chacun, chacune à m'envoyer des lions du monde entier parce que j'ai besoin d'une très grosse banque de données pour nourrir ma réflexion.

  • Speaker #0

    Alors quand vous dites envoyer des lions, sous quelle forme ?

  • Speaker #1

    Vous les envoyez sous forme d'images. En fait, je m'intéresse uniquement aux images, évidemment. Il y a quand même des textes, évidemment, sur le lion, mais... Et vous savez, c'est un petit peu comme les choses sur lesquelles j'ai travaillé. Dès que vous dites finalement je m'intéresse aux lions, vous voyez des lions partout. Alors vous allez croire que je déraisonne, mais en réalité, je pourrais vous en montrer énormément, à commencer par Sciences Po, où nous avons en Héraldique le lion et le renard, qui est l'héritage de Machiavel.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #1

    Merci à vous, Aurélie. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Et à conseiller, bien sûr, la lecture de vos livres L'art de la défaite, édité au Seuil. Pour en finir avec La nature morte, ou bien encore Le lion de Rosa, Rosa Bonheur, paru chez Gallimard. Et puis pour en savoir plus sur vos travaux, vos publications ou autres actualités vous concernant, direction le site du Centre d'Histoire de Sciences Po. N'hésitez pas, bien sûr, à vous abonner au podcast pour vivre d'autres histoires de sources. Et merci à l'équipe éditoriale du Centre d'Histoire et à l'équipe technique de Sciences Po, Olivier Nguyen et Nils Bertinelli qui nous accompagnent pour ce numéro. Et à très bientôt pour une prochaine rencontre dans l'Atelier des historiens.

Description

Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art, professeure d’histoire de l’art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des sciences politiques, commissaire d’exposition et autrice, nous invite à entrer dans l'intimité de sa recherche, depuis la découverte d’un carnet de la deuxième division blindée du Général Leclerc, qui appartenait à son père, à aujourd'hui. Sa recherche, marquée par la question de l'art en temps de conflits, explore en particulier les représentations de la guerre et de la puissance.


Ses derniers ouvrages : 

L’art de la défaite (1940-1944), ed. Seuils, 2010

Pour en finir avec la nature morte, ed. Gallimard, 2020

Le lion de Rosa (Bonheur), ed. Gallimard, 2024  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Dans l'atelier des historiens, un podcast du Centre d'Histoire de Sciences Po, présenté par Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous et à toutes, ravie de vous retrouver dans l'atelier des historiens pour vivre une nouvelle rencontre, avec aujourd'hui une immersion dans l'univers d'une historienne de l'art, qui a révolutionné la discipline et qui a accepté de revenir aux sources de son histoire. Bonjour Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #0

    Bonjour Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Merci d'être avec nous. Vous êtes professeure d'histoire de l'art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, commissaire d'exposition, autrice de nombreux livres, parmi lesquels on peut citer « L'art de la défaite » édité au Seuil, « Pour en finir avec la nature morte » et « Le lion de Rosa » paru chez Gallimard. Ravi de vous recevoir.

  • Speaker #0

    Ravi d'être ici.

  • Speaker #1

    Laurence Bertrand d'Orléac, faire de l'histoire de l'art votre terrain de prédilection, est-ce que ce fut un choix qui s'est imposé comme une évidence ?

  • Speaker #0

    Non, pas au début. En réalité, je fais, quand j'étais jeune étudiante, beaucoup de choses, sans doute déjà trop. À la fois, je dessine, c'est peut-être même la seule activité pour laquelle j'ai de vraies facilités. Un petit peu de théâtre, le cours Simon. pour sortir de ma timidité. Et puis, je démarre des études d'histoire, comme ça, à l'université.

  • Speaker #1

    Parce que vous aviez la passion, quand même, déjà pour l'histoire politique, précisément,

  • Speaker #0

    et pour l'art. Oui, c'est venu vraiment par l'art. Plutôt que l'histoire de l'art, il y avait d'un côté l'art et de l'autre côté l'histoire. Et puis à un moment donné, ça s'est rapproché. Ça s'est rapproché assez tard, ça s'est rapproché quand même au moment de ma maîtrise, ce qu'on appelle aujourd'hui un master, un mémoire de master. Et c'était à Paris 7 et mes professeurs, Michel... Perrault en particulier, mes professeurs s'étaient rendus compte que je choisissais systématiquement des sujets en rapport avec l'art, dans toutes les matières que je devais étudier. Et ils m'ont dit écoutez, on ne peut plus vous suivre là, il va falloir jouer le jeu. Et c'est là que j'ai bifurqué et que j'ai été à Paris 7 en histoire et j'ai bifurqué à Paris 1 à la Sorbonne. en histoire de l'art et j'ai commencé des études d'histoire de l'art.

  • Speaker #1

    Mais comment à l'époque l'histoire de l'art était considérée ?

  • Speaker #0

    Écoutez, c'était une spécialité, plus qu'une discipline peut-être, très aristocratique encore, et qui était considérée avec une certaine condescendance par les historiens, qui avaient une vision à la fois juste et injuste, disons. C'était une histoire de l'art qui était souvent déconnectée des sciences humaines et sociales, qui était assez formaliste. Et surtout, le milieu était quand même très séparé des autres milieux de la recherche. C'était un peu une dépendance, une petite colonie peut-être.

  • Speaker #1

    En tout cas, vous sentiez qu'il y avait cette discipline que l'on ne considérait pas peut-être avec autant d'importance que... L'histoire ou l'histoire politique, l'histoire économique ou d'autres ?

  • Speaker #0

    Sans aucun doute. D'ailleurs, quand mes bons maîtres et professeurs à Sciences Po, je pense à Serge Berstein, Pierre Milza, ont été, quand j'étais en DEA ici à Sciences Po, je suis revenue après avoir fait une thèse d'histoire à Sciences Po, j'ai eu le besoin de revenir en histoire. C'est vrai qu'ils ont été assez tentés de m'orienter. vers l'histoire politique et je leur ai répondu vous savez en histoire politique vous avez beaucoup beaucoup de monde formidable alors qu'on y sera il ya beaucoup de travail à faire et je voudrais le faire et j'ai essayé de le faire j'ai essayé de de bâtir des pont entre l'histoire de l'art et l'histoire en particulier.

  • Speaker #1

    Donc vous avez suivi vos ressentis, vos envies, vos ambitions en étant jeune étudiante, ce qui n'est pas toujours facile quand on est face à des mandarins, on peut le dire.

  • Speaker #0

    À l'époque, j'étais entourée de mandarins très libéraux, au sens classique du terme. J'ai eu beaucoup de chance. Ils n'ont pas essayé de peser sur moi jusqu'à un certain point. Je ne citerai personne, mais il m'est arrivé de croiser en effet des personnalités qui ont essayé de m'imposer des... catégories. Mais heureusement, mes bons maîtres de proximité ont toujours été très respectueux. Michel Vinocq aussi, pour qui j'ai travaillé à un moment donné, qui fut après mon éditeur. J'ai beaucoup de chance. J'ai appris le métier. avec des historiens formidables.

  • Speaker #1

    Et puis on peut dire que vous avez été peut-être résistante dans l'âme à vouloir suivre juste les chemins qui étaient les vôtres, suivre vos envies, c'est le message qu'on peut donner aujourd'hui aux étudiants plus que jamais.

  • Speaker #0

    C'était le cas alors qu'il est vrai qu'on n'était pas du tout aidés en y sortant de là. Pour vous donner une petite anecdote, quand j'ai commencé ma thèse de doctorat, j'avais envie d'être autonome, j'ai demandé une bourse. Et mon directeur de thèse... En histoire de là, il m'a demandé si j'avais des amis au gouvernement. Alors je n'avais pas d'amis au gouvernement et je lui ai répondu donc pas à négative. Il m'a dit alors nous n'en demanderons pas parce que nous avons eu deux bourses en dix ans, une pour un tel qui est un non connu, l'autre pour un tel qui est un non connu et donc ça ne servira à rien. Et là je me suis dit il y a un petit problème dans cette spécialité quand même. Donc j'ai travaillé, j'ai fait beaucoup de petits métiers, je peux gagner ma vie en faisant toutes sortes de choses assez étonnantes d'ailleurs, j'ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Et dans ce parcours qui a été le vôtre, Laurence Bertrand-Doriac, il y a ce choix de regarder du côté de la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que ce fut un choix conscient, inconscient ? Est-ce que l'histoire personnelle et familiale a pu se mêler à ces directions prises ?

  • Speaker #0

    Mais c'est difficile, évidemment, on reconstruit toujours de manière rationnelle des choses qui sont moins rationnelles. Les affects, les émotions, c'est un point aveugle des sciences humaines et sociales et de l'histoire. En particulier en France, peut-être, où nous restons assez cartésiens, sinon positivistes. Et donc, de mon côté, je pense que ça s'est fait par décantation, c'est-à-dire j'aimais l'histoire, il fallait que je choisisse un sujet, un sujet un peu neuf. J'ai réussi finalement à... J'ai accordé mes passions, qui étaient l'histoire, l'histoire de l'art, l'histoire politique, et pour une période où rien n'avait été fait, c'est-à-dire la période de la Seconde Guerre mondiale, j'avais un peu cherché, vous savez comme on cherche un sujet où évidemment il reste des choses à faire, vous l'avez fait vous-même Aurélie, je crois, brillamment, et bien au moins c'était pareil. Et en fait, personne n'avait touché à cette période de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde s'arrêtait en 1930. et ensuite on reprenait à 1945. Alors je me suis dit, là il y a un trou, il y a un point aveugle. Et ça correspondait aussi à un point aveugle dans l'histoire familiale, en tout cas paternelle, puisque je n'ai découvert qu'à l'âge de 20 ans le carnet de deuxième DB de mon père. Et j'ai appris comme ça qu'il avait été dans la résistante. Donc je lui ai demandé de se mettre un petit peu à table, si je puis dire, et de me parler de ça, il en a parlé un peu. Après, un peu plus. C'était compliqué tout ça. On ne parlait pas de ça dans les familles.

  • Speaker #1

    Donc il a été résistant dans la deuxième division blindée du général Leclerc ?

  • Speaker #0

    Oui, alors il est jeune. Il passe de Zazou à Maquis-Canoy. Et en fait, il va être intégré à la deuxième DB à partir de Saint-Germain, qui avait un centre de recrutement. Et il va partir vers l'Est, donc à partir de l'été 44.

  • Speaker #1

    Jusqu'à Strasbourg, l'Albran, il va vivre ces moments-là.

  • Speaker #0

    Oui, qui sont des moments très forts. C'est la seule fois où j'ai vu mon père très, très ému, au point de pleurer. C'est quand il a raconté cet épisode où il a eu une action de résistance, où il a peut-être tué un Allemand, il ne sait pas très bien. Et je crois que ça l'a beaucoup torturé. Il sortait d'une école de jésuites à l'époque. Et puis la suite, c'est-à-dire... Il m'a fait comprendre que ça n'était pas facile d'arriver dans une armée de vainqueurs dans un pays effondré.

  • Speaker #1

    Il n'en parlait pas ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Et vous l'avez découvert comment ?

  • Speaker #0

    Par hasard, en fait. Je l'ai découvert par son carnet de la deuxième DB, en fait, dans la bibliothèque. Mon père ne vivait pas tellement à la maison. Il était un... Vous savez, mes parents parlent... période de l'occupation, n'avait pas fait les études qu'ils auraient voulu faire. Lui, les arts et métiers, donc en fait, ils sont rentrés dans les affaires, l'un et l'autre, après la guerre. Et donc, mon père était un cadre dirigeant dans une société américaine. Et donc, il était toujours, il était souvent en voyage, je le voyais peu, en fait. Mais il y avait les livres qui étaient un peu les témoins, c'était un peu ses intercesseurs. Il y avait ses romans. Et puis il y avait ce carnet de la deuxième DB que j'ai trouvé un jour et j'étais très étonnée parce que j'ai bien compris que ça avait un rapport avec lui. Donc je lui ai posé la question ensuite et il m'a un petit peu parlé mais encore une fois assez peu dans un premier temps.

  • Speaker #1

    Vous étiez étudiante ?

  • Speaker #0

    J'avais 20 ans et j'avais un petit peu commencé à faire un petit cursus mais les choses se sont décidées. Je dirais que... Vers l'âge de 22-23 ans, le temps que je mûrisse un sujet, et à ce moment-là que je passe vraiment... Les études m'ont intéressée uniquement à partir du moment où j'ai fait un travail de recherche personnelle. Je me suis organisée, j'ai fait des entretiens en rouge, j'aimais cette liberté. J'avais aimé mes études quand j'étais vraiment très enfant. On m'a un peu pris pour qui je n'étais pas, on a pensé... C'était la mode de... de voir des surdoués partout, je crois. Et hélas, c'est tombé sur moi, donc on m'a fait sauter une quatrième. C'est un peu amusé, comme sur un cobaye. Donc j'ai fait des études assez chaotiques, et elles se sont révélées beaucoup plus intéressantes pour moi, à nouveau, à partir du moment où j'ai fait de la recherche, c'est-à-dire pour mon mémoire de maîtrise, et puis ensuite, surtout pour ma thèse.

  • Speaker #1

    Alors ce document, ce livre sur la deuxième DB, peut-être que vous pouvez nous lire les premières lignes que vous avez eues sous les yeux quand vous avez compris qu'il y avait un lien avec le parcours de résistants de votre père.

  • Speaker #0

    Alors déjà cette couverture, la deuxième DB, Général Leclerc en France, combat les combattants. et le sigle visuel, la Croix de Lorraine. Et puis ensuite, oui, la première page, cet ouvrage est dédié aux jeunes, jeunes avec un grand J, à eux qui, sur le sol de France, se sont levés et ont rejoint pour le combat en foule impatiente par leurs anciens, avec un grand A, et par ceux qui sont tombés. Alors tout ça c'est très énigmatique quand même pour moi, c'est publié au deuxième trimestre 1945, c'est-à-dire vraiment à la fin de la guerre. Et c'est assez amusant parce que c'est publié aux éditions Arts et métiers graphiques. Et à l'époque ça m'intéressait parce que je m'intéressais aux arts justement, et bon je travaillais avec un professeur de l'école des beaux-arts depuis l'âge de 15. 14-15 ans. Et les arts et métiers graphiques, je ne savais pas en fait, mais mon père avait voulu faire les arts et métiers, aurait fait les arts et métiers. J'ai retrouvé ensuite, beaucoup plus tard, un carnet de mon père, justement, où il dessinait très très bien, je dois dire. Et c'est amusant parce qu'il y a une espèce de concentration de ce qu'il a été, de ce qu'il aurait pu être aussi, puisque mon père, après la guerre, donc de retour, a failli s'enrôler en fait dans l'armée. Et puis finalement, il a été, si je puis dire, détourné de ce destin. Il avait souvent des histoires de femmes et donc il a fait le mur, il s'est fait prendre et donc on n'a pas voulu de lui pour partir en Indochine, ce qui tombait plutôt bien, je crois, dans son cas, enfin. Mais en dehors des textes, à vrai dire, que je n'ai pas lu du tout in extenso à l'époque, mais ce qui m'a frappé dans cet ouvrage de la deuxième DB, c'était évidemment les photographies de ruines. de villes en ruines, ou de cette femme qui semble s'adresser à un soldat qui est juché sur un tank en Normandie. Mais également ces images d'hommes à terre, un Allemand qui vient de tomber, un FFI va prendre son arme. Il y a des images à la fois de violence, de destruction des villes, de joie aussi, de liesse, incontestablement, d'enthousiasme. mais également des images très dures. Bref, ça n'est pas seulement une histoire militaire qui est exaltée dans ce volume, mais c'est aussi, au fond, une histoire des populations. Une histoire, j'allais dire, assez vraie de la guerre. Ça m'a étonnée. J'aimerais bien en savoir plus sur la façon, aujourd'hui, justement, dont a été fabriqué cet ouvrage, encore une fois, qui était très interne, je pense, à la deuxième DB, en fait. C'était comme un... Je ne sais pas, c'était un livre qui devait circuler. Je n'ai jamais fait le... C'est peut-être une petite étude qu'il faudrait que je fasse un jour.

  • Speaker #1

    Mais ce n'était pas un livre militaire, purement militaire. Il y a vraiment ces civils aussi.

  • Speaker #0

    Oui, voilà.

  • Speaker #1

    Et l'ambition de montrer les douleurs, la violence.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et c'est assez étonnant parce qu'on aurait pu imaginer quelque chose de plus triomphaliste, de plus...

  • Speaker #1

    Héroïque ?

  • Speaker #0

    Oui, plus héroïque. Et en fait...

  • Speaker #1

    On montre la guerre.

  • Speaker #0

    Oui, on montre la guerre telle qu'elle a été et telle que, parfois, en tout cas de façon sporadique, mon père me l'a racontée plus tard.

  • Speaker #1

    Alors concrètement, rétrospectivement peut-être, bien sûr, Laurence Bertrand d'Orléac, vous regardez ce livre que vous nous avez amené et... Est-ce que vous dites que ça a changé quand même quelque chose, ou ça a déclenché quelque chose en vous, et notamment en lien avec peut-être une posture d'historienne que vous alliez devenir ?

  • Speaker #0

    Je crois que ça a créé, étrangement, plutôt que révéler quelque chose, ça a créé du mystère, encore plus de mystère. C'est comme vraiment une boîte de Pandore qui s'ouvrait, et il y avait tellement de choses, alors que bon, avant, je dirais qu'il y avait du silence. on ne se posait pas trop la question. Et tout d'un coup, ce qui n'a rien de très original, parce qu'en 1977, c'est la génération qui veut savoir. On sait bien que la première génération... Et puis à la deuxième génération, on commence à se demander ce qui s'est passé dans la famille. C'est ce qui s'est passé. Et donc, à partir de ce moment-là, je suis allée de mystère en mystère quand même. Parce que l'histoire, au fond... Et c'est ça qui me semble, avec le recul paradoxal, c'est qu'on va vers l'histoire pour, au fond, essayer de comprendre. Et en fait, je ne veux pas du tout dire que je n'ai rien découvert dans ma thèse, etc. Il y en a un ou deux là. Non, oui, factuellement, j'ai raconté beaucoup, beaucoup de choses, mais quand même sur les choses qui m'intéressaient, c'est-à-dire vraiment comment on s'engage, pourquoi... Pourquoi on s'engage ? Pourquoi tout d'un coup on s'engage dans la résistance ? Il aurait très bien pu aller du côté du fascisme italien, il venait d'une famille plutôt très conservatrice. Ça soulevait au fond largement autant de questions que ça ne résolvait le problème. Je me demande finalement si quand on va vers l'histoire, on ne sait pas parce qu'on n'aime pas les énigmes, et surtout les énigmes dans les énigmes.

  • Speaker #1

    Chercher le père, combler le vide.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. Je ne ressens pas de vide à cet égard, mais je ressens quelque chose encore de l'ordre du sphinx et du mystère.

  • Speaker #1

    Et lui n'ayant pas répondu à toutes vos questions à vos attentes.

  • Speaker #0

    C'est très vrai. Je n'ai pas su le faire parler et lui savait se taire. Vous avez tout à fait raison.

  • Speaker #1

    Dans une famille où on savait se taire, puisqu'il faut quand même rappeler que vos grands-parents avaient vécu une autre guerre, la Première Guerre mondiale. Il n'en parlait pas forcément. père a été dans ce cadre-là aussi, de ne pas tout révéler. Alors, est-ce qu'à travers ces sources qui ont été les vôtres, c'est-à-dire vous vous êtes orienté vers l'histoire de l'art et avec d'autres sources qu'il faut savoir décoder, faire parler tout simplement les œuvres d'art, peinture, dessin, gravure, photo, qu'est-ce qu'elles ont de particulier qui nécessite peut-être une autre approche, une autre façon de les toucher, de les approcher par rapport aux sources écrites ? elles révèlent beaucoup de choses et vous avez eu durant toute votre carrière cette capacité à nous les révéler en fait.

  • Speaker #0

    Merci mais en vous écoutant parler je me rends compte que ce qui précisément a pu se passer c'est qu'une œuvre d'art elle est muette et je l'opposerais plus qu'au texte, je l'opposerais peut-être davantage encore à précisément quelqu'un qui ne veut pas parler en réalité.

  • Speaker #1

    On revient au père.

  • Speaker #0

    Oui peut-être. au père mais au grand-père etc et plus c'est peut-être ça en fait le problème plus que les textes parce que les textes finalement ils parlent ils parlent ils sont assez bavard l'écriture finalement c'est du on dit beaucoup de choses alors que les gens quand ils ne veulent pas parler il ya quand même quelque chose de beaucoup plus troublant je crois que c'est ça qui s'est passé les oeuvres sont vraiment le lieu où il faut se passer de la parole, il faut faire parler des choses muettes et qui en même temps ont une action sur nous, c'est-à-dire qu'elles déclenchent des affects, des émotions, davantage souvent que le texte, plus directement que le texte. Ça a été prouvé d'ailleurs récemment par les scientifiques étudiant tout ça plus précisément, et on est plus affecté directement par l'image que par le texte.

  • Speaker #1

    Alors, quel était l'intitulé de votre thèse ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était une histoire de l'art en France entre 1940 et 1944. Et le sous-titre était Tradition et Modernité, au pluriel.

  • Speaker #1

    Et donc là, vous découvrez, et vous nous faites découvrir surtout, le rôle et la fonction de l'art que vous avez questionné dans vos travaux et ensuite dans les expositions réalisées en France et en Espagne.

  • Speaker #0

    Oui, il y a beaucoup de faits qui n'avaient pas été révélés en effet. Et dans un premier temps, comme tous les historiens qui travaillent sur la période de la Seconde Guerre mondiale, que vous connaissez bien, tout d'abord... au fond les sources en lien avec la partie émergée de l'iceberg, la collaboration, l'accommodement, en tout cas. Alors qu'il faudra attendre beaucoup plus longtemps pour saisir ce qui s'est dépassé dans le off de l'histoire. Et c'est ça qui, plusieurs années après, donnera une exposition en 2012 au Musée d'art moderne qui s'appelait L'art en guerre. Le... Le titre de ma thèse, c'était ma thèse, mais ensuite il y a eu un livre au seuil que m'a commandé Michel Vinocq, et qui s'appelait « L'art de la défaite » , ça veut bien dire ce que ça veut dire. Alors qu'après, 30 ans après, c'était « L'art en guerre » , c'est-à-dire qu'au contraire, on découvrait, comme vous le savez, l'histoire de la résistance s'est faite après l'histoire de la collaboration. Alors c'est très déprimant d'ailleurs, dans un premier temps, parce que tout ce qui était intéressant, tout ce qui était de l'ordre... de cette résistance, en fait, nous apparaissait pas beaucoup plus difficilement. Qu'est-ce que vous avez, vous, découvert ?

  • Speaker #1

    J'ai découvert évidemment que l'art était instrumentalisé par un régime, on va dire à tentation totalitaire pour le régime de Vichy, et bien sûr par l'occupant, que l'art pouvait évidemment être très vite instrumentalisé politiquement à des fins de propagande. Et que tous les acteurs étaient concernés, que évidemment, dès qu'on rentre dans une période où il y a vraiment un mot d'ordre qui est d'interdire toutes les zones de la pensée libre, de l'art libre. Donc j'ai découvert, ce qui est dur d'ailleurs à un peu plus de 20 ans, ce que Philippe Burin appelait l'accommodement. C'est-à-dire qu'il fallait continuer à travailler, etc. Et encore une fois, c'était évidemment un spectacle désolant, désolant parce que c'était contraire à toute la liberté de l'art et des artistes en temps de démocratie. Ce que j'ai aussi appris, évidemment, c'est que, disons que cette instrumentalisation, elle était très importante pour imposer des images, des images de propagande. On peut parler d'art en série pour l'art du maréchal, par exemple, qui était un traditionnaliste, certes, mais qui utilisait des moyens modernes pour sa propagande, et qui inondait littéralement, et qui même faisait de chaque écolier un propagandiste en demandant des portraits du maréchal qui arrivaient à Vichy, qui étaient exposés, etc. Donc tout le monde se transformait peu ou pro en agent de propagande sous Vichy. Quant aux nazis, évidemment, il y avait également des expositions obligées d'Arnaud Brecker. Il y avait des images très fortes qui imposaient en France une image du surhomme, disons-le, pour Arnaud Brecker en particulier et sa grande exposition en 1942 au Jeu de Paume.

  • Speaker #0

    Et il y a l'art en résistance.

  • Speaker #1

    Il y aura l'art en résistance pour moi parce qu'encore une fois... Il a fallu des années pour le voir émerger, il fallait aller trouver d'autres sources, il fallait que les langues se délient, il fallait que les associations jouent un rôle. Et là, effectivement, j'ai décidé, au grand dam du musée qui m'avait embauché plus tôt pour faire, 30-40 ans plus tard, après ma thèse, ce que personne n'avait osé faire dans les musées au moment de la publication de ma thèse et de mon livre. En fait, on me demandait de faire cette exposition sur l'art sous l'occupation, sauf que moi, ça ne m'intéressait plus du tout, parce que vous connaissez les chercheuses, évidemment, elles aiment le nouveau, le nouveau, et il fallait que je leur ait dit non, il faut que ce soit un laboratoire de recherche, sinon ça ne m'intéresse pas. Donc on s'est mis en laboratoire de recherche, et là on a trouvé des œuvres, tout simplement parce qu'on allait dans des fonds d'archives différents, des fonds muséaux différents, des fonds d'associations, et on a découvert ce qui se passait vraiment intra-muros en France. dans les camps, dans les prisons, dans les cuisines, dans les ateliers clandestins. Et là, ça a été une grande exposition, je crois, assez importante, qui est partie ensuite au Guggenheim de Bilbao, et où il y a énormément de monde qui l'a vue à Bilbao, c'était près de 500 000 personnes. Et j'ai découvert comment aussi on pouvait déplier la recherche fondamentale auprès d'un très grand public en étant très exigeant scientifiquement. Alors ça, ça m'a beaucoup plu.

  • Speaker #0

    En tout cas, montrer à voir la guerre, interroger le rôle de l'art, comprendre les représentations de la guerre. Donc c'est vraiment ce que vous nous avez livré, ce que vous continuez à nous livrer. Laurence Bertrand d'Orléac, dans toutes vos réalisations, puisqu'on parle des expositions, il y a aussi vos livres et beaucoup de ces outils que vous utilisez pour donner au public à comprendre. L'art et la culture, c'est ce qui reste quand il n'y a plus rien. Ça aussi, c'est une de vos phrases. Elle est importante parce que... Cela revient à penser à ceux qui ont abouti aussi dans les camps. Et l'art dans les camps, ou l'art dans ces moments les plus durs, pour ceux que l'on réduit à rien. Là aussi, vous avez vécu des moments forts, des découvertes, et peut-être que vous avez cette envie de partager une autre source qui montre combien cet art, il faut pouvoir le regarder partout.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est d'être Malraux, sans doute, qui a dit que c'est ce qui restait quand il n'y avait plus rien. Pour tout vous dire, j'avais une amie de la famille qui était une rescapée des camps de la mort et qui m'a raconté que les filles, elle était très jeune, elle avait 17 ans, se réfugiaient dans la poésie. Et disons qu'il restait, bon on sait que Miozic par exemple a continué à créer. Je le savais un petit peu aussi pendant la première guerre mondiale, ça a été le cas dans les situations les pires disons. Les humains... un peu comme depuis la préhistoire, au fond, les humains dessinent pour avoir moins peur, ou pour espérer encore, pour donner une forme. C'est comme une catharsis, en fait, c'est la vieille catharsis d'Aristote, c'est-à-dire qu'on dessine des choses terribles pour se les enlever de la tête, disait Kafka aussi. Vous voyez, donc, ça c'est une réflexion, évidemment, que je me suis faite, et ça m'a beaucoup troublée, j'ai présenté... ces œuvres d'artistes qui étaient passés dans les camps français avant d'aller dans les camps de la mort. Otto Frönisch, Charlotte Salomon, qu'on a découvert assez récemment, Horst Rosenthal, Mickey au camp de Gurs, tous ces gens qui sont passés dans les camps français et qui ont été exterminés plus tard. J'ai d'ailleurs gardé une œuvre extraordinaire d'une certaine Myriam Lévy dont je ne sais... absolument rien sinon qu'elle a été exterminée. Et la seule chose qui reste d'elle sur la Terre, c'est cette œuvre, c'est ce dessin.

  • Speaker #0

    Vous pouvez nous décrire ce dessin ?

  • Speaker #1

    C'est comme une carte à jouer. C'était dans la collection d'André Breton. C'est un galeriste qui nous l'a prêté pour l'exposition de 2012 au Musée d'art moderne de la ville de Paris. C'est une dame de pique d'un côté, c'est un rameau de l'autre. On peut, comme une carte à jouer, la renverser. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y est question probablement d'un enfermement, puisque sur le front de sa visage, sur une des parties, on voit des barreaux. Donc, je pense... Un mur de prison. Oui. L'hypothèse, c'est qu'elle aurait fait partie de ces gens emprisonnés à Marseille, puisqu'il y a eu un jeu surréaliste qui a été fabriqué à Marseille par des surréalistes. Ça n'est pas le même format, mais c'est un peu le même esprit. Et ce jeu surréaliste, Breton, évidemment, on avait non seulement connaissance, et je pense que Breton a croisé cette carte, ce dessin. Il l'a acheté. Est-ce qu'il a croisé son autrice ? Je n'en sais rien. Mais ce que je sais, c'est que quand l'exposition a ouvert, qu'on a emprunté cette œuvre, ce modeste dessin à l'encre, signé Myriam Lévy, 1941, eh bien, ce que je sais, c'est que j'ai dit à la plupart des journalistes que je rencontrais, je leur disais, voilà, je leur racontais cette histoire. Et comme ça, je me disais, si les journalistes en parlent... Peut-être que quelqu'un va dire, mais c'était ma grand-mère ou que sais-je. Eh bien, rien, rien. Elle est repartie orpheline. Et j'étais hantée par cette image et par cette œuvre qui me bouleversait, parce que c'était la seule chose, encore une fois, qui restait sur la terre de cette femme. Et six mois plus tard, j'ai téléphoné au galeriste en lui demandant s'il avait vendu cette œuvre. C'était d'une police d'assurance de 1700. Je me souviens à l'époque et il m'a répondu non. Alors je dis, alors je vais l'acquérir. Et j'ai acheté cette œuvre qui est maintenant chez moi. J'ai l'impression qu'elle a quand même, disons, trouvé une sorte de refuge.

  • Speaker #0

    Vous n'avez toujours pas... D'autres informations sur ce qu'il y a ? On peut toujours lancer un appel. Oui,

  • Speaker #1

    je continue la preuve, je continue à en parler.

  • Speaker #0

    Sensibiliser, questionner, interpeller. Alors avec vos livres, avec les expositions, est-ce que pour vous c'est une responsabilité peut-être, ou en tout cas le rôle là aussi d'un historien, d'une historienne ?

  • Speaker #1

    Vous savez, j'ai l'impression qu'on est historien parce qu'on ne peut pas faire autre chose. J'ai l'impression de quelque chose qui s'est imposé à moi et je n'arrive pas à... Au fond, souvent, j'essaie de dire... Par exemple, je dis souvent intérieurement, j'ai fait la paix avec la guerre. Je ne veux plus parler de la guerre. Et aujourd'hui, vous voyez de quoi parle-t-on ? De la guerre. Donc, en fait, à chaque fois que je veux sortir de l'histoire et en particulier de l'histoire des guerres, j'y reviens. C'est-à-dire que ça s'impose à moi. Est-ce que c'est une responsabilité ? Vraiment, je ne le prends pas comme mission et je ne me prends pas pour une militante ou pour... Pas du tout. Mais je remarque simplement que ça s'impose et que je n'arrive pas à quitter ce terrain-là.

  • Speaker #0

    Parce que l'histoire et les siècles sont traversés par les guerres aussi, Laurence Berthier, dans les Hague. Et que les artistes... acteurs majeurs de la société, par leurs œuvres créent aussi des mondes mais peuvent changer le monde. Dans ce sens-là, est-ce que l'historien, l'historienne est un éclaireur justement aussi, plus que jamais pour le temps présent et celui à venir ? Ce 21e siècle traversé lui aussi depuis 25 ans par des troupes, des guerres, ce n'est pas un siècle de paix.

  • Speaker #1

    En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je travaille en ce moment avec une artiste contemporaine, Hélène Delprat, pour ne pas la nommer comme par hasard, elle travaille aussi sur les guerres, et pour cause, elle vient d'Amiens, donc elle est née sur un territoire de guerre, ravagée par la guerre, et donc en fait les artistes ont toujours ce rôle de vigie, d'alerte ça ne veut pas dire pour ça qu'ils ont des positions militantes ou très claires, attention, parce que c'est difficile de faire dire justement aux artistes autre chose que ce qu'ils peuvent dire c'est-à-dire des choses au fond qui peuvent être même parfois ambivalentes, contradictoires ils travaillent avec leur inconscient ... La grande différence peut-être entre l'historien et l'artiste, c'est que l'historien, bon, évidemment, sait qu'il y a un inconscient, y compris un inconscient collectif, mais on ne peut pas dire qu'on travaille beaucoup avec ça, alors que les artistes, ils sont vraiment dans une espèce de quête totale de vérité d'eux-mêmes, et d'une certaine manière, ça leur échappe. Même Bourdieu, le sociologue, philosophe, disait « ils font ce qu'ils veulent pour une part, mais pour une part seulement » . C'est donc qu'il admettait... en ayant travaillé sur Manet pour son dernier cours au Clége de France, qui avait une part d'inconscient chez l'artiste qui était très importante. Et c'est pour ça que ça marche, si je puis dire, auprès de nous. C'est pour un moment qu'il parle de choses qu'on ne veut pas s'avouer nous-mêmes.

  • Speaker #0

    De l'inconscient et en même temps, ce besoin de nous donner à sentir aussi ce que eux perçoivent comme des dangers, comme ils ont tenté de le faire lors de l'exposition internationale du surréalisme en 1938. Ils n'ont pas été écoutés. comme d'autres alerteurs à l'époque n'ont pas été écoutés, mais on retrouve dans leurs œuvres justement ces alertes. Est-ce que c'est dans ce sens-là qu'il faut plus que jamais continuer à regarder les artistes et leurs œuvres comme de possibles alerteurs aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ah oui, je crois que ce n'est pas du temps perdu que de regarder ce que font les artistes. Hélas, c'est un monde, c'est un continent l'art contemporain et il ne faut pas d'a priori, il faut essayer de... de saisir justement, mais il est certain que, selon moi, c'est le lieu où on recherche la vérité, et on perçoit les dangers, comme vous le dites si bien, on perçoit les puissances, mais on perçoit aussi les dangers encourus. En 1938, par exemple, c'est vrai, vous avez raison, les surréalistes étaient parmi les seuls qui vraiment ont pris conscience du danger du nazisme, et d'ailleurs un certain nombre sont partis aux États-Unis, on leur a reproché. simplement eux, pour la plupart, ils avaient vu la première guerre mondiale, ils avaient vu le monde basculer, et d'une certaine manière, ils avaient une conscience politique qui leur permettait de comprendre les choses.

  • Speaker #0

    Ils avaient été considérés par les nazis comme des artistes dégénérés, d'ailleurs, donc interdits. On arrive au terme de notre entretien, Laurence Bertrand d'Orléac, est-ce que vous pouvez nous confier sur quoi vous travaillez en ce moment, ou alors vous aimeriez peut-être travailler, si vous pouvez nous le révéler ?

  • Speaker #1

    Non, je travaille activement sur la représentation du lion à travers l'histoire, mais dans une optique assez particulière, c'est-à-dire la question du lion et de la gouvernance. Le lion est toujours lié, au fond, à la question de la gouvernance depuis toujours et des puissances. Et j'aimerais aborder cette question qui me paraît importante aujourd'hui, selon laquelle, disons, la puissance n'est pas la violence. Je crois qu'on a tendance à confondre les deux. Et donc c'est une réflexion, disons, esthético-politique que je veux mener au long cours. J'ai déjà des centaines de lions. J'invite chacun, chacune à m'envoyer des lions du monde entier parce que j'ai besoin d'une très grosse banque de données pour nourrir ma réflexion.

  • Speaker #0

    Alors quand vous dites envoyer des lions, sous quelle forme ?

  • Speaker #1

    Vous les envoyez sous forme d'images. En fait, je m'intéresse uniquement aux images, évidemment. Il y a quand même des textes, évidemment, sur le lion, mais... Et vous savez, c'est un petit peu comme les choses sur lesquelles j'ai travaillé. Dès que vous dites finalement je m'intéresse aux lions, vous voyez des lions partout. Alors vous allez croire que je déraisonne, mais en réalité, je pourrais vous en montrer énormément, à commencer par Sciences Po, où nous avons en Héraldique le lion et le renard, qui est l'héritage de Machiavel.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #1

    Merci à vous, Aurélie. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Et à conseiller, bien sûr, la lecture de vos livres L'art de la défaite, édité au Seuil. Pour en finir avec La nature morte, ou bien encore Le lion de Rosa, Rosa Bonheur, paru chez Gallimard. Et puis pour en savoir plus sur vos travaux, vos publications ou autres actualités vous concernant, direction le site du Centre d'Histoire de Sciences Po. N'hésitez pas, bien sûr, à vous abonner au podcast pour vivre d'autres histoires de sources. Et merci à l'équipe éditoriale du Centre d'Histoire et à l'équipe technique de Sciences Po, Olivier Nguyen et Nils Bertinelli qui nous accompagnent pour ce numéro. Et à très bientôt pour une prochaine rencontre dans l'Atelier des historiens.

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Description

Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art, professeure d’histoire de l’art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des sciences politiques, commissaire d’exposition et autrice, nous invite à entrer dans l'intimité de sa recherche, depuis la découverte d’un carnet de la deuxième division blindée du Général Leclerc, qui appartenait à son père, à aujourd'hui. Sa recherche, marquée par la question de l'art en temps de conflits, explore en particulier les représentations de la guerre et de la puissance.


Ses derniers ouvrages : 

L’art de la défaite (1940-1944), ed. Seuils, 2010

Pour en finir avec la nature morte, ed. Gallimard, 2020

Le lion de Rosa (Bonheur), ed. Gallimard, 2024  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Dans l'atelier des historiens, un podcast du Centre d'Histoire de Sciences Po, présenté par Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous et à toutes, ravie de vous retrouver dans l'atelier des historiens pour vivre une nouvelle rencontre, avec aujourd'hui une immersion dans l'univers d'une historienne de l'art, qui a révolutionné la discipline et qui a accepté de revenir aux sources de son histoire. Bonjour Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #0

    Bonjour Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Merci d'être avec nous. Vous êtes professeure d'histoire de l'art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, commissaire d'exposition, autrice de nombreux livres, parmi lesquels on peut citer « L'art de la défaite » édité au Seuil, « Pour en finir avec la nature morte » et « Le lion de Rosa » paru chez Gallimard. Ravi de vous recevoir.

  • Speaker #0

    Ravi d'être ici.

  • Speaker #1

    Laurence Bertrand d'Orléac, faire de l'histoire de l'art votre terrain de prédilection, est-ce que ce fut un choix qui s'est imposé comme une évidence ?

  • Speaker #0

    Non, pas au début. En réalité, je fais, quand j'étais jeune étudiante, beaucoup de choses, sans doute déjà trop. À la fois, je dessine, c'est peut-être même la seule activité pour laquelle j'ai de vraies facilités. Un petit peu de théâtre, le cours Simon. pour sortir de ma timidité. Et puis, je démarre des études d'histoire, comme ça, à l'université.

  • Speaker #1

    Parce que vous aviez la passion, quand même, déjà pour l'histoire politique, précisément,

  • Speaker #0

    et pour l'art. Oui, c'est venu vraiment par l'art. Plutôt que l'histoire de l'art, il y avait d'un côté l'art et de l'autre côté l'histoire. Et puis à un moment donné, ça s'est rapproché. Ça s'est rapproché assez tard, ça s'est rapproché quand même au moment de ma maîtrise, ce qu'on appelle aujourd'hui un master, un mémoire de master. Et c'était à Paris 7 et mes professeurs, Michel... Perrault en particulier, mes professeurs s'étaient rendus compte que je choisissais systématiquement des sujets en rapport avec l'art, dans toutes les matières que je devais étudier. Et ils m'ont dit écoutez, on ne peut plus vous suivre là, il va falloir jouer le jeu. Et c'est là que j'ai bifurqué et que j'ai été à Paris 7 en histoire et j'ai bifurqué à Paris 1 à la Sorbonne. en histoire de l'art et j'ai commencé des études d'histoire de l'art.

  • Speaker #1

    Mais comment à l'époque l'histoire de l'art était considérée ?

  • Speaker #0

    Écoutez, c'était une spécialité, plus qu'une discipline peut-être, très aristocratique encore, et qui était considérée avec une certaine condescendance par les historiens, qui avaient une vision à la fois juste et injuste, disons. C'était une histoire de l'art qui était souvent déconnectée des sciences humaines et sociales, qui était assez formaliste. Et surtout, le milieu était quand même très séparé des autres milieux de la recherche. C'était un peu une dépendance, une petite colonie peut-être.

  • Speaker #1

    En tout cas, vous sentiez qu'il y avait cette discipline que l'on ne considérait pas peut-être avec autant d'importance que... L'histoire ou l'histoire politique, l'histoire économique ou d'autres ?

  • Speaker #0

    Sans aucun doute. D'ailleurs, quand mes bons maîtres et professeurs à Sciences Po, je pense à Serge Berstein, Pierre Milza, ont été, quand j'étais en DEA ici à Sciences Po, je suis revenue après avoir fait une thèse d'histoire à Sciences Po, j'ai eu le besoin de revenir en histoire. C'est vrai qu'ils ont été assez tentés de m'orienter. vers l'histoire politique et je leur ai répondu vous savez en histoire politique vous avez beaucoup beaucoup de monde formidable alors qu'on y sera il ya beaucoup de travail à faire et je voudrais le faire et j'ai essayé de le faire j'ai essayé de de bâtir des pont entre l'histoire de l'art et l'histoire en particulier.

  • Speaker #1

    Donc vous avez suivi vos ressentis, vos envies, vos ambitions en étant jeune étudiante, ce qui n'est pas toujours facile quand on est face à des mandarins, on peut le dire.

  • Speaker #0

    À l'époque, j'étais entourée de mandarins très libéraux, au sens classique du terme. J'ai eu beaucoup de chance. Ils n'ont pas essayé de peser sur moi jusqu'à un certain point. Je ne citerai personne, mais il m'est arrivé de croiser en effet des personnalités qui ont essayé de m'imposer des... catégories. Mais heureusement, mes bons maîtres de proximité ont toujours été très respectueux. Michel Vinocq aussi, pour qui j'ai travaillé à un moment donné, qui fut après mon éditeur. J'ai beaucoup de chance. J'ai appris le métier. avec des historiens formidables.

  • Speaker #1

    Et puis on peut dire que vous avez été peut-être résistante dans l'âme à vouloir suivre juste les chemins qui étaient les vôtres, suivre vos envies, c'est le message qu'on peut donner aujourd'hui aux étudiants plus que jamais.

  • Speaker #0

    C'était le cas alors qu'il est vrai qu'on n'était pas du tout aidés en y sortant de là. Pour vous donner une petite anecdote, quand j'ai commencé ma thèse de doctorat, j'avais envie d'être autonome, j'ai demandé une bourse. Et mon directeur de thèse... En histoire de là, il m'a demandé si j'avais des amis au gouvernement. Alors je n'avais pas d'amis au gouvernement et je lui ai répondu donc pas à négative. Il m'a dit alors nous n'en demanderons pas parce que nous avons eu deux bourses en dix ans, une pour un tel qui est un non connu, l'autre pour un tel qui est un non connu et donc ça ne servira à rien. Et là je me suis dit il y a un petit problème dans cette spécialité quand même. Donc j'ai travaillé, j'ai fait beaucoup de petits métiers, je peux gagner ma vie en faisant toutes sortes de choses assez étonnantes d'ailleurs, j'ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Et dans ce parcours qui a été le vôtre, Laurence Bertrand-Doriac, il y a ce choix de regarder du côté de la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que ce fut un choix conscient, inconscient ? Est-ce que l'histoire personnelle et familiale a pu se mêler à ces directions prises ?

  • Speaker #0

    Mais c'est difficile, évidemment, on reconstruit toujours de manière rationnelle des choses qui sont moins rationnelles. Les affects, les émotions, c'est un point aveugle des sciences humaines et sociales et de l'histoire. En particulier en France, peut-être, où nous restons assez cartésiens, sinon positivistes. Et donc, de mon côté, je pense que ça s'est fait par décantation, c'est-à-dire j'aimais l'histoire, il fallait que je choisisse un sujet, un sujet un peu neuf. J'ai réussi finalement à... J'ai accordé mes passions, qui étaient l'histoire, l'histoire de l'art, l'histoire politique, et pour une période où rien n'avait été fait, c'est-à-dire la période de la Seconde Guerre mondiale, j'avais un peu cherché, vous savez comme on cherche un sujet où évidemment il reste des choses à faire, vous l'avez fait vous-même Aurélie, je crois, brillamment, et bien au moins c'était pareil. Et en fait, personne n'avait touché à cette période de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde s'arrêtait en 1930. et ensuite on reprenait à 1945. Alors je me suis dit, là il y a un trou, il y a un point aveugle. Et ça correspondait aussi à un point aveugle dans l'histoire familiale, en tout cas paternelle, puisque je n'ai découvert qu'à l'âge de 20 ans le carnet de deuxième DB de mon père. Et j'ai appris comme ça qu'il avait été dans la résistante. Donc je lui ai demandé de se mettre un petit peu à table, si je puis dire, et de me parler de ça, il en a parlé un peu. Après, un peu plus. C'était compliqué tout ça. On ne parlait pas de ça dans les familles.

  • Speaker #1

    Donc il a été résistant dans la deuxième division blindée du général Leclerc ?

  • Speaker #0

    Oui, alors il est jeune. Il passe de Zazou à Maquis-Canoy. Et en fait, il va être intégré à la deuxième DB à partir de Saint-Germain, qui avait un centre de recrutement. Et il va partir vers l'Est, donc à partir de l'été 44.

  • Speaker #1

    Jusqu'à Strasbourg, l'Albran, il va vivre ces moments-là.

  • Speaker #0

    Oui, qui sont des moments très forts. C'est la seule fois où j'ai vu mon père très, très ému, au point de pleurer. C'est quand il a raconté cet épisode où il a eu une action de résistance, où il a peut-être tué un Allemand, il ne sait pas très bien. Et je crois que ça l'a beaucoup torturé. Il sortait d'une école de jésuites à l'époque. Et puis la suite, c'est-à-dire... Il m'a fait comprendre que ça n'était pas facile d'arriver dans une armée de vainqueurs dans un pays effondré.

  • Speaker #1

    Il n'en parlait pas ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Et vous l'avez découvert comment ?

  • Speaker #0

    Par hasard, en fait. Je l'ai découvert par son carnet de la deuxième DB, en fait, dans la bibliothèque. Mon père ne vivait pas tellement à la maison. Il était un... Vous savez, mes parents parlent... période de l'occupation, n'avait pas fait les études qu'ils auraient voulu faire. Lui, les arts et métiers, donc en fait, ils sont rentrés dans les affaires, l'un et l'autre, après la guerre. Et donc, mon père était un cadre dirigeant dans une société américaine. Et donc, il était toujours, il était souvent en voyage, je le voyais peu, en fait. Mais il y avait les livres qui étaient un peu les témoins, c'était un peu ses intercesseurs. Il y avait ses romans. Et puis il y avait ce carnet de la deuxième DB que j'ai trouvé un jour et j'étais très étonnée parce que j'ai bien compris que ça avait un rapport avec lui. Donc je lui ai posé la question ensuite et il m'a un petit peu parlé mais encore une fois assez peu dans un premier temps.

  • Speaker #1

    Vous étiez étudiante ?

  • Speaker #0

    J'avais 20 ans et j'avais un petit peu commencé à faire un petit cursus mais les choses se sont décidées. Je dirais que... Vers l'âge de 22-23 ans, le temps que je mûrisse un sujet, et à ce moment-là que je passe vraiment... Les études m'ont intéressée uniquement à partir du moment où j'ai fait un travail de recherche personnelle. Je me suis organisée, j'ai fait des entretiens en rouge, j'aimais cette liberté. J'avais aimé mes études quand j'étais vraiment très enfant. On m'a un peu pris pour qui je n'étais pas, on a pensé... C'était la mode de... de voir des surdoués partout, je crois. Et hélas, c'est tombé sur moi, donc on m'a fait sauter une quatrième. C'est un peu amusé, comme sur un cobaye. Donc j'ai fait des études assez chaotiques, et elles se sont révélées beaucoup plus intéressantes pour moi, à nouveau, à partir du moment où j'ai fait de la recherche, c'est-à-dire pour mon mémoire de maîtrise, et puis ensuite, surtout pour ma thèse.

  • Speaker #1

    Alors ce document, ce livre sur la deuxième DB, peut-être que vous pouvez nous lire les premières lignes que vous avez eues sous les yeux quand vous avez compris qu'il y avait un lien avec le parcours de résistants de votre père.

  • Speaker #0

    Alors déjà cette couverture, la deuxième DB, Général Leclerc en France, combat les combattants. et le sigle visuel, la Croix de Lorraine. Et puis ensuite, oui, la première page, cet ouvrage est dédié aux jeunes, jeunes avec un grand J, à eux qui, sur le sol de France, se sont levés et ont rejoint pour le combat en foule impatiente par leurs anciens, avec un grand A, et par ceux qui sont tombés. Alors tout ça c'est très énigmatique quand même pour moi, c'est publié au deuxième trimestre 1945, c'est-à-dire vraiment à la fin de la guerre. Et c'est assez amusant parce que c'est publié aux éditions Arts et métiers graphiques. Et à l'époque ça m'intéressait parce que je m'intéressais aux arts justement, et bon je travaillais avec un professeur de l'école des beaux-arts depuis l'âge de 15. 14-15 ans. Et les arts et métiers graphiques, je ne savais pas en fait, mais mon père avait voulu faire les arts et métiers, aurait fait les arts et métiers. J'ai retrouvé ensuite, beaucoup plus tard, un carnet de mon père, justement, où il dessinait très très bien, je dois dire. Et c'est amusant parce qu'il y a une espèce de concentration de ce qu'il a été, de ce qu'il aurait pu être aussi, puisque mon père, après la guerre, donc de retour, a failli s'enrôler en fait dans l'armée. Et puis finalement, il a été, si je puis dire, détourné de ce destin. Il avait souvent des histoires de femmes et donc il a fait le mur, il s'est fait prendre et donc on n'a pas voulu de lui pour partir en Indochine, ce qui tombait plutôt bien, je crois, dans son cas, enfin. Mais en dehors des textes, à vrai dire, que je n'ai pas lu du tout in extenso à l'époque, mais ce qui m'a frappé dans cet ouvrage de la deuxième DB, c'était évidemment les photographies de ruines. de villes en ruines, ou de cette femme qui semble s'adresser à un soldat qui est juché sur un tank en Normandie. Mais également ces images d'hommes à terre, un Allemand qui vient de tomber, un FFI va prendre son arme. Il y a des images à la fois de violence, de destruction des villes, de joie aussi, de liesse, incontestablement, d'enthousiasme. mais également des images très dures. Bref, ça n'est pas seulement une histoire militaire qui est exaltée dans ce volume, mais c'est aussi, au fond, une histoire des populations. Une histoire, j'allais dire, assez vraie de la guerre. Ça m'a étonnée. J'aimerais bien en savoir plus sur la façon, aujourd'hui, justement, dont a été fabriqué cet ouvrage, encore une fois, qui était très interne, je pense, à la deuxième DB, en fait. C'était comme un... Je ne sais pas, c'était un livre qui devait circuler. Je n'ai jamais fait le... C'est peut-être une petite étude qu'il faudrait que je fasse un jour.

  • Speaker #1

    Mais ce n'était pas un livre militaire, purement militaire. Il y a vraiment ces civils aussi.

  • Speaker #0

    Oui, voilà.

  • Speaker #1

    Et l'ambition de montrer les douleurs, la violence.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et c'est assez étonnant parce qu'on aurait pu imaginer quelque chose de plus triomphaliste, de plus...

  • Speaker #1

    Héroïque ?

  • Speaker #0

    Oui, plus héroïque. Et en fait...

  • Speaker #1

    On montre la guerre.

  • Speaker #0

    Oui, on montre la guerre telle qu'elle a été et telle que, parfois, en tout cas de façon sporadique, mon père me l'a racontée plus tard.

  • Speaker #1

    Alors concrètement, rétrospectivement peut-être, bien sûr, Laurence Bertrand d'Orléac, vous regardez ce livre que vous nous avez amené et... Est-ce que vous dites que ça a changé quand même quelque chose, ou ça a déclenché quelque chose en vous, et notamment en lien avec peut-être une posture d'historienne que vous alliez devenir ?

  • Speaker #0

    Je crois que ça a créé, étrangement, plutôt que révéler quelque chose, ça a créé du mystère, encore plus de mystère. C'est comme vraiment une boîte de Pandore qui s'ouvrait, et il y avait tellement de choses, alors que bon, avant, je dirais qu'il y avait du silence. on ne se posait pas trop la question. Et tout d'un coup, ce qui n'a rien de très original, parce qu'en 1977, c'est la génération qui veut savoir. On sait bien que la première génération... Et puis à la deuxième génération, on commence à se demander ce qui s'est passé dans la famille. C'est ce qui s'est passé. Et donc, à partir de ce moment-là, je suis allée de mystère en mystère quand même. Parce que l'histoire, au fond... Et c'est ça qui me semble, avec le recul paradoxal, c'est qu'on va vers l'histoire pour, au fond, essayer de comprendre. Et en fait, je ne veux pas du tout dire que je n'ai rien découvert dans ma thèse, etc. Il y en a un ou deux là. Non, oui, factuellement, j'ai raconté beaucoup, beaucoup de choses, mais quand même sur les choses qui m'intéressaient, c'est-à-dire vraiment comment on s'engage, pourquoi... Pourquoi on s'engage ? Pourquoi tout d'un coup on s'engage dans la résistance ? Il aurait très bien pu aller du côté du fascisme italien, il venait d'une famille plutôt très conservatrice. Ça soulevait au fond largement autant de questions que ça ne résolvait le problème. Je me demande finalement si quand on va vers l'histoire, on ne sait pas parce qu'on n'aime pas les énigmes, et surtout les énigmes dans les énigmes.

  • Speaker #1

    Chercher le père, combler le vide.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. Je ne ressens pas de vide à cet égard, mais je ressens quelque chose encore de l'ordre du sphinx et du mystère.

  • Speaker #1

    Et lui n'ayant pas répondu à toutes vos questions à vos attentes.

  • Speaker #0

    C'est très vrai. Je n'ai pas su le faire parler et lui savait se taire. Vous avez tout à fait raison.

  • Speaker #1

    Dans une famille où on savait se taire, puisqu'il faut quand même rappeler que vos grands-parents avaient vécu une autre guerre, la Première Guerre mondiale. Il n'en parlait pas forcément. père a été dans ce cadre-là aussi, de ne pas tout révéler. Alors, est-ce qu'à travers ces sources qui ont été les vôtres, c'est-à-dire vous vous êtes orienté vers l'histoire de l'art et avec d'autres sources qu'il faut savoir décoder, faire parler tout simplement les œuvres d'art, peinture, dessin, gravure, photo, qu'est-ce qu'elles ont de particulier qui nécessite peut-être une autre approche, une autre façon de les toucher, de les approcher par rapport aux sources écrites ? elles révèlent beaucoup de choses et vous avez eu durant toute votre carrière cette capacité à nous les révéler en fait.

  • Speaker #0

    Merci mais en vous écoutant parler je me rends compte que ce qui précisément a pu se passer c'est qu'une œuvre d'art elle est muette et je l'opposerais plus qu'au texte, je l'opposerais peut-être davantage encore à précisément quelqu'un qui ne veut pas parler en réalité.

  • Speaker #1

    On revient au père.

  • Speaker #0

    Oui peut-être. au père mais au grand-père etc et plus c'est peut-être ça en fait le problème plus que les textes parce que les textes finalement ils parlent ils parlent ils sont assez bavard l'écriture finalement c'est du on dit beaucoup de choses alors que les gens quand ils ne veulent pas parler il ya quand même quelque chose de beaucoup plus troublant je crois que c'est ça qui s'est passé les oeuvres sont vraiment le lieu où il faut se passer de la parole, il faut faire parler des choses muettes et qui en même temps ont une action sur nous, c'est-à-dire qu'elles déclenchent des affects, des émotions, davantage souvent que le texte, plus directement que le texte. Ça a été prouvé d'ailleurs récemment par les scientifiques étudiant tout ça plus précisément, et on est plus affecté directement par l'image que par le texte.

  • Speaker #1

    Alors, quel était l'intitulé de votre thèse ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était une histoire de l'art en France entre 1940 et 1944. Et le sous-titre était Tradition et Modernité, au pluriel.

  • Speaker #1

    Et donc là, vous découvrez, et vous nous faites découvrir surtout, le rôle et la fonction de l'art que vous avez questionné dans vos travaux et ensuite dans les expositions réalisées en France et en Espagne.

  • Speaker #0

    Oui, il y a beaucoup de faits qui n'avaient pas été révélés en effet. Et dans un premier temps, comme tous les historiens qui travaillent sur la période de la Seconde Guerre mondiale, que vous connaissez bien, tout d'abord... au fond les sources en lien avec la partie émergée de l'iceberg, la collaboration, l'accommodement, en tout cas. Alors qu'il faudra attendre beaucoup plus longtemps pour saisir ce qui s'est dépassé dans le off de l'histoire. Et c'est ça qui, plusieurs années après, donnera une exposition en 2012 au Musée d'art moderne qui s'appelait L'art en guerre. Le... Le titre de ma thèse, c'était ma thèse, mais ensuite il y a eu un livre au seuil que m'a commandé Michel Vinocq, et qui s'appelait « L'art de la défaite » , ça veut bien dire ce que ça veut dire. Alors qu'après, 30 ans après, c'était « L'art en guerre » , c'est-à-dire qu'au contraire, on découvrait, comme vous le savez, l'histoire de la résistance s'est faite après l'histoire de la collaboration. Alors c'est très déprimant d'ailleurs, dans un premier temps, parce que tout ce qui était intéressant, tout ce qui était de l'ordre... de cette résistance, en fait, nous apparaissait pas beaucoup plus difficilement. Qu'est-ce que vous avez, vous, découvert ?

  • Speaker #1

    J'ai découvert évidemment que l'art était instrumentalisé par un régime, on va dire à tentation totalitaire pour le régime de Vichy, et bien sûr par l'occupant, que l'art pouvait évidemment être très vite instrumentalisé politiquement à des fins de propagande. Et que tous les acteurs étaient concernés, que évidemment, dès qu'on rentre dans une période où il y a vraiment un mot d'ordre qui est d'interdire toutes les zones de la pensée libre, de l'art libre. Donc j'ai découvert, ce qui est dur d'ailleurs à un peu plus de 20 ans, ce que Philippe Burin appelait l'accommodement. C'est-à-dire qu'il fallait continuer à travailler, etc. Et encore une fois, c'était évidemment un spectacle désolant, désolant parce que c'était contraire à toute la liberté de l'art et des artistes en temps de démocratie. Ce que j'ai aussi appris, évidemment, c'est que, disons que cette instrumentalisation, elle était très importante pour imposer des images, des images de propagande. On peut parler d'art en série pour l'art du maréchal, par exemple, qui était un traditionnaliste, certes, mais qui utilisait des moyens modernes pour sa propagande, et qui inondait littéralement, et qui même faisait de chaque écolier un propagandiste en demandant des portraits du maréchal qui arrivaient à Vichy, qui étaient exposés, etc. Donc tout le monde se transformait peu ou pro en agent de propagande sous Vichy. Quant aux nazis, évidemment, il y avait également des expositions obligées d'Arnaud Brecker. Il y avait des images très fortes qui imposaient en France une image du surhomme, disons-le, pour Arnaud Brecker en particulier et sa grande exposition en 1942 au Jeu de Paume.

  • Speaker #0

    Et il y a l'art en résistance.

  • Speaker #1

    Il y aura l'art en résistance pour moi parce qu'encore une fois... Il a fallu des années pour le voir émerger, il fallait aller trouver d'autres sources, il fallait que les langues se délient, il fallait que les associations jouent un rôle. Et là, effectivement, j'ai décidé, au grand dam du musée qui m'avait embauché plus tôt pour faire, 30-40 ans plus tard, après ma thèse, ce que personne n'avait osé faire dans les musées au moment de la publication de ma thèse et de mon livre. En fait, on me demandait de faire cette exposition sur l'art sous l'occupation, sauf que moi, ça ne m'intéressait plus du tout, parce que vous connaissez les chercheuses, évidemment, elles aiment le nouveau, le nouveau, et il fallait que je leur ait dit non, il faut que ce soit un laboratoire de recherche, sinon ça ne m'intéresse pas. Donc on s'est mis en laboratoire de recherche, et là on a trouvé des œuvres, tout simplement parce qu'on allait dans des fonds d'archives différents, des fonds muséaux différents, des fonds d'associations, et on a découvert ce qui se passait vraiment intra-muros en France. dans les camps, dans les prisons, dans les cuisines, dans les ateliers clandestins. Et là, ça a été une grande exposition, je crois, assez importante, qui est partie ensuite au Guggenheim de Bilbao, et où il y a énormément de monde qui l'a vue à Bilbao, c'était près de 500 000 personnes. Et j'ai découvert comment aussi on pouvait déplier la recherche fondamentale auprès d'un très grand public en étant très exigeant scientifiquement. Alors ça, ça m'a beaucoup plu.

  • Speaker #0

    En tout cas, montrer à voir la guerre, interroger le rôle de l'art, comprendre les représentations de la guerre. Donc c'est vraiment ce que vous nous avez livré, ce que vous continuez à nous livrer. Laurence Bertrand d'Orléac, dans toutes vos réalisations, puisqu'on parle des expositions, il y a aussi vos livres et beaucoup de ces outils que vous utilisez pour donner au public à comprendre. L'art et la culture, c'est ce qui reste quand il n'y a plus rien. Ça aussi, c'est une de vos phrases. Elle est importante parce que... Cela revient à penser à ceux qui ont abouti aussi dans les camps. Et l'art dans les camps, ou l'art dans ces moments les plus durs, pour ceux que l'on réduit à rien. Là aussi, vous avez vécu des moments forts, des découvertes, et peut-être que vous avez cette envie de partager une autre source qui montre combien cet art, il faut pouvoir le regarder partout.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est d'être Malraux, sans doute, qui a dit que c'est ce qui restait quand il n'y avait plus rien. Pour tout vous dire, j'avais une amie de la famille qui était une rescapée des camps de la mort et qui m'a raconté que les filles, elle était très jeune, elle avait 17 ans, se réfugiaient dans la poésie. Et disons qu'il restait, bon on sait que Miozic par exemple a continué à créer. Je le savais un petit peu aussi pendant la première guerre mondiale, ça a été le cas dans les situations les pires disons. Les humains... un peu comme depuis la préhistoire, au fond, les humains dessinent pour avoir moins peur, ou pour espérer encore, pour donner une forme. C'est comme une catharsis, en fait, c'est la vieille catharsis d'Aristote, c'est-à-dire qu'on dessine des choses terribles pour se les enlever de la tête, disait Kafka aussi. Vous voyez, donc, ça c'est une réflexion, évidemment, que je me suis faite, et ça m'a beaucoup troublée, j'ai présenté... ces œuvres d'artistes qui étaient passés dans les camps français avant d'aller dans les camps de la mort. Otto Frönisch, Charlotte Salomon, qu'on a découvert assez récemment, Horst Rosenthal, Mickey au camp de Gurs, tous ces gens qui sont passés dans les camps français et qui ont été exterminés plus tard. J'ai d'ailleurs gardé une œuvre extraordinaire d'une certaine Myriam Lévy dont je ne sais... absolument rien sinon qu'elle a été exterminée. Et la seule chose qui reste d'elle sur la Terre, c'est cette œuvre, c'est ce dessin.

  • Speaker #0

    Vous pouvez nous décrire ce dessin ?

  • Speaker #1

    C'est comme une carte à jouer. C'était dans la collection d'André Breton. C'est un galeriste qui nous l'a prêté pour l'exposition de 2012 au Musée d'art moderne de la ville de Paris. C'est une dame de pique d'un côté, c'est un rameau de l'autre. On peut, comme une carte à jouer, la renverser. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y est question probablement d'un enfermement, puisque sur le front de sa visage, sur une des parties, on voit des barreaux. Donc, je pense... Un mur de prison. Oui. L'hypothèse, c'est qu'elle aurait fait partie de ces gens emprisonnés à Marseille, puisqu'il y a eu un jeu surréaliste qui a été fabriqué à Marseille par des surréalistes. Ça n'est pas le même format, mais c'est un peu le même esprit. Et ce jeu surréaliste, Breton, évidemment, on avait non seulement connaissance, et je pense que Breton a croisé cette carte, ce dessin. Il l'a acheté. Est-ce qu'il a croisé son autrice ? Je n'en sais rien. Mais ce que je sais, c'est que quand l'exposition a ouvert, qu'on a emprunté cette œuvre, ce modeste dessin à l'encre, signé Myriam Lévy, 1941, eh bien, ce que je sais, c'est que j'ai dit à la plupart des journalistes que je rencontrais, je leur disais, voilà, je leur racontais cette histoire. Et comme ça, je me disais, si les journalistes en parlent... Peut-être que quelqu'un va dire, mais c'était ma grand-mère ou que sais-je. Eh bien, rien, rien. Elle est repartie orpheline. Et j'étais hantée par cette image et par cette œuvre qui me bouleversait, parce que c'était la seule chose, encore une fois, qui restait sur la terre de cette femme. Et six mois plus tard, j'ai téléphoné au galeriste en lui demandant s'il avait vendu cette œuvre. C'était d'une police d'assurance de 1700. Je me souviens à l'époque et il m'a répondu non. Alors je dis, alors je vais l'acquérir. Et j'ai acheté cette œuvre qui est maintenant chez moi. J'ai l'impression qu'elle a quand même, disons, trouvé une sorte de refuge.

  • Speaker #0

    Vous n'avez toujours pas... D'autres informations sur ce qu'il y a ? On peut toujours lancer un appel. Oui,

  • Speaker #1

    je continue la preuve, je continue à en parler.

  • Speaker #0

    Sensibiliser, questionner, interpeller. Alors avec vos livres, avec les expositions, est-ce que pour vous c'est une responsabilité peut-être, ou en tout cas le rôle là aussi d'un historien, d'une historienne ?

  • Speaker #1

    Vous savez, j'ai l'impression qu'on est historien parce qu'on ne peut pas faire autre chose. J'ai l'impression de quelque chose qui s'est imposé à moi et je n'arrive pas à... Au fond, souvent, j'essaie de dire... Par exemple, je dis souvent intérieurement, j'ai fait la paix avec la guerre. Je ne veux plus parler de la guerre. Et aujourd'hui, vous voyez de quoi parle-t-on ? De la guerre. Donc, en fait, à chaque fois que je veux sortir de l'histoire et en particulier de l'histoire des guerres, j'y reviens. C'est-à-dire que ça s'impose à moi. Est-ce que c'est une responsabilité ? Vraiment, je ne le prends pas comme mission et je ne me prends pas pour une militante ou pour... Pas du tout. Mais je remarque simplement que ça s'impose et que je n'arrive pas à quitter ce terrain-là.

  • Speaker #0

    Parce que l'histoire et les siècles sont traversés par les guerres aussi, Laurence Berthier, dans les Hague. Et que les artistes... acteurs majeurs de la société, par leurs œuvres créent aussi des mondes mais peuvent changer le monde. Dans ce sens-là, est-ce que l'historien, l'historienne est un éclaireur justement aussi, plus que jamais pour le temps présent et celui à venir ? Ce 21e siècle traversé lui aussi depuis 25 ans par des troupes, des guerres, ce n'est pas un siècle de paix.

  • Speaker #1

    En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je travaille en ce moment avec une artiste contemporaine, Hélène Delprat, pour ne pas la nommer comme par hasard, elle travaille aussi sur les guerres, et pour cause, elle vient d'Amiens, donc elle est née sur un territoire de guerre, ravagée par la guerre, et donc en fait les artistes ont toujours ce rôle de vigie, d'alerte ça ne veut pas dire pour ça qu'ils ont des positions militantes ou très claires, attention, parce que c'est difficile de faire dire justement aux artistes autre chose que ce qu'ils peuvent dire c'est-à-dire des choses au fond qui peuvent être même parfois ambivalentes, contradictoires ils travaillent avec leur inconscient ... La grande différence peut-être entre l'historien et l'artiste, c'est que l'historien, bon, évidemment, sait qu'il y a un inconscient, y compris un inconscient collectif, mais on ne peut pas dire qu'on travaille beaucoup avec ça, alors que les artistes, ils sont vraiment dans une espèce de quête totale de vérité d'eux-mêmes, et d'une certaine manière, ça leur échappe. Même Bourdieu, le sociologue, philosophe, disait « ils font ce qu'ils veulent pour une part, mais pour une part seulement » . C'est donc qu'il admettait... en ayant travaillé sur Manet pour son dernier cours au Clége de France, qui avait une part d'inconscient chez l'artiste qui était très importante. Et c'est pour ça que ça marche, si je puis dire, auprès de nous. C'est pour un moment qu'il parle de choses qu'on ne veut pas s'avouer nous-mêmes.

  • Speaker #0

    De l'inconscient et en même temps, ce besoin de nous donner à sentir aussi ce que eux perçoivent comme des dangers, comme ils ont tenté de le faire lors de l'exposition internationale du surréalisme en 1938. Ils n'ont pas été écoutés. comme d'autres alerteurs à l'époque n'ont pas été écoutés, mais on retrouve dans leurs œuvres justement ces alertes. Est-ce que c'est dans ce sens-là qu'il faut plus que jamais continuer à regarder les artistes et leurs œuvres comme de possibles alerteurs aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ah oui, je crois que ce n'est pas du temps perdu que de regarder ce que font les artistes. Hélas, c'est un monde, c'est un continent l'art contemporain et il ne faut pas d'a priori, il faut essayer de... de saisir justement, mais il est certain que, selon moi, c'est le lieu où on recherche la vérité, et on perçoit les dangers, comme vous le dites si bien, on perçoit les puissances, mais on perçoit aussi les dangers encourus. En 1938, par exemple, c'est vrai, vous avez raison, les surréalistes étaient parmi les seuls qui vraiment ont pris conscience du danger du nazisme, et d'ailleurs un certain nombre sont partis aux États-Unis, on leur a reproché. simplement eux, pour la plupart, ils avaient vu la première guerre mondiale, ils avaient vu le monde basculer, et d'une certaine manière, ils avaient une conscience politique qui leur permettait de comprendre les choses.

  • Speaker #0

    Ils avaient été considérés par les nazis comme des artistes dégénérés, d'ailleurs, donc interdits. On arrive au terme de notre entretien, Laurence Bertrand d'Orléac, est-ce que vous pouvez nous confier sur quoi vous travaillez en ce moment, ou alors vous aimeriez peut-être travailler, si vous pouvez nous le révéler ?

  • Speaker #1

    Non, je travaille activement sur la représentation du lion à travers l'histoire, mais dans une optique assez particulière, c'est-à-dire la question du lion et de la gouvernance. Le lion est toujours lié, au fond, à la question de la gouvernance depuis toujours et des puissances. Et j'aimerais aborder cette question qui me paraît importante aujourd'hui, selon laquelle, disons, la puissance n'est pas la violence. Je crois qu'on a tendance à confondre les deux. Et donc c'est une réflexion, disons, esthético-politique que je veux mener au long cours. J'ai déjà des centaines de lions. J'invite chacun, chacune à m'envoyer des lions du monde entier parce que j'ai besoin d'une très grosse banque de données pour nourrir ma réflexion.

  • Speaker #0

    Alors quand vous dites envoyer des lions, sous quelle forme ?

  • Speaker #1

    Vous les envoyez sous forme d'images. En fait, je m'intéresse uniquement aux images, évidemment. Il y a quand même des textes, évidemment, sur le lion, mais... Et vous savez, c'est un petit peu comme les choses sur lesquelles j'ai travaillé. Dès que vous dites finalement je m'intéresse aux lions, vous voyez des lions partout. Alors vous allez croire que je déraisonne, mais en réalité, je pourrais vous en montrer énormément, à commencer par Sciences Po, où nous avons en Héraldique le lion et le renard, qui est l'héritage de Machiavel.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #1

    Merci à vous, Aurélie. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Et à conseiller, bien sûr, la lecture de vos livres L'art de la défaite, édité au Seuil. Pour en finir avec La nature morte, ou bien encore Le lion de Rosa, Rosa Bonheur, paru chez Gallimard. Et puis pour en savoir plus sur vos travaux, vos publications ou autres actualités vous concernant, direction le site du Centre d'Histoire de Sciences Po. N'hésitez pas, bien sûr, à vous abonner au podcast pour vivre d'autres histoires de sources. Et merci à l'équipe éditoriale du Centre d'Histoire et à l'équipe technique de Sciences Po, Olivier Nguyen et Nils Bertinelli qui nous accompagnent pour ce numéro. Et à très bientôt pour une prochaine rencontre dans l'Atelier des historiens.

Description

Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art, professeure d’histoire de l’art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des sciences politiques, commissaire d’exposition et autrice, nous invite à entrer dans l'intimité de sa recherche, depuis la découverte d’un carnet de la deuxième division blindée du Général Leclerc, qui appartenait à son père, à aujourd'hui. Sa recherche, marquée par la question de l'art en temps de conflits, explore en particulier les représentations de la guerre et de la puissance.


Ses derniers ouvrages : 

L’art de la défaite (1940-1944), ed. Seuils, 2010

Pour en finir avec la nature morte, ed. Gallimard, 2020

Le lion de Rosa (Bonheur), ed. Gallimard, 2024  


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Dans l'atelier des historiens, un podcast du Centre d'Histoire de Sciences Po, présenté par Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Bonjour à tous et à toutes, ravie de vous retrouver dans l'atelier des historiens pour vivre une nouvelle rencontre, avec aujourd'hui une immersion dans l'univers d'une historienne de l'art, qui a révolutionné la discipline et qui a accepté de revenir aux sources de son histoire. Bonjour Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #0

    Bonjour Aurélie Luneau.

  • Speaker #1

    Merci d'être avec nous. Vous êtes professeure d'histoire de l'art à Sciences Po, présidente de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, commissaire d'exposition, autrice de nombreux livres, parmi lesquels on peut citer « L'art de la défaite » édité au Seuil, « Pour en finir avec la nature morte » et « Le lion de Rosa » paru chez Gallimard. Ravi de vous recevoir.

  • Speaker #0

    Ravi d'être ici.

  • Speaker #1

    Laurence Bertrand d'Orléac, faire de l'histoire de l'art votre terrain de prédilection, est-ce que ce fut un choix qui s'est imposé comme une évidence ?

  • Speaker #0

    Non, pas au début. En réalité, je fais, quand j'étais jeune étudiante, beaucoup de choses, sans doute déjà trop. À la fois, je dessine, c'est peut-être même la seule activité pour laquelle j'ai de vraies facilités. Un petit peu de théâtre, le cours Simon. pour sortir de ma timidité. Et puis, je démarre des études d'histoire, comme ça, à l'université.

  • Speaker #1

    Parce que vous aviez la passion, quand même, déjà pour l'histoire politique, précisément,

  • Speaker #0

    et pour l'art. Oui, c'est venu vraiment par l'art. Plutôt que l'histoire de l'art, il y avait d'un côté l'art et de l'autre côté l'histoire. Et puis à un moment donné, ça s'est rapproché. Ça s'est rapproché assez tard, ça s'est rapproché quand même au moment de ma maîtrise, ce qu'on appelle aujourd'hui un master, un mémoire de master. Et c'était à Paris 7 et mes professeurs, Michel... Perrault en particulier, mes professeurs s'étaient rendus compte que je choisissais systématiquement des sujets en rapport avec l'art, dans toutes les matières que je devais étudier. Et ils m'ont dit écoutez, on ne peut plus vous suivre là, il va falloir jouer le jeu. Et c'est là que j'ai bifurqué et que j'ai été à Paris 7 en histoire et j'ai bifurqué à Paris 1 à la Sorbonne. en histoire de l'art et j'ai commencé des études d'histoire de l'art.

  • Speaker #1

    Mais comment à l'époque l'histoire de l'art était considérée ?

  • Speaker #0

    Écoutez, c'était une spécialité, plus qu'une discipline peut-être, très aristocratique encore, et qui était considérée avec une certaine condescendance par les historiens, qui avaient une vision à la fois juste et injuste, disons. C'était une histoire de l'art qui était souvent déconnectée des sciences humaines et sociales, qui était assez formaliste. Et surtout, le milieu était quand même très séparé des autres milieux de la recherche. C'était un peu une dépendance, une petite colonie peut-être.

  • Speaker #1

    En tout cas, vous sentiez qu'il y avait cette discipline que l'on ne considérait pas peut-être avec autant d'importance que... L'histoire ou l'histoire politique, l'histoire économique ou d'autres ?

  • Speaker #0

    Sans aucun doute. D'ailleurs, quand mes bons maîtres et professeurs à Sciences Po, je pense à Serge Berstein, Pierre Milza, ont été, quand j'étais en DEA ici à Sciences Po, je suis revenue après avoir fait une thèse d'histoire à Sciences Po, j'ai eu le besoin de revenir en histoire. C'est vrai qu'ils ont été assez tentés de m'orienter. vers l'histoire politique et je leur ai répondu vous savez en histoire politique vous avez beaucoup beaucoup de monde formidable alors qu'on y sera il ya beaucoup de travail à faire et je voudrais le faire et j'ai essayé de le faire j'ai essayé de de bâtir des pont entre l'histoire de l'art et l'histoire en particulier.

  • Speaker #1

    Donc vous avez suivi vos ressentis, vos envies, vos ambitions en étant jeune étudiante, ce qui n'est pas toujours facile quand on est face à des mandarins, on peut le dire.

  • Speaker #0

    À l'époque, j'étais entourée de mandarins très libéraux, au sens classique du terme. J'ai eu beaucoup de chance. Ils n'ont pas essayé de peser sur moi jusqu'à un certain point. Je ne citerai personne, mais il m'est arrivé de croiser en effet des personnalités qui ont essayé de m'imposer des... catégories. Mais heureusement, mes bons maîtres de proximité ont toujours été très respectueux. Michel Vinocq aussi, pour qui j'ai travaillé à un moment donné, qui fut après mon éditeur. J'ai beaucoup de chance. J'ai appris le métier. avec des historiens formidables.

  • Speaker #1

    Et puis on peut dire que vous avez été peut-être résistante dans l'âme à vouloir suivre juste les chemins qui étaient les vôtres, suivre vos envies, c'est le message qu'on peut donner aujourd'hui aux étudiants plus que jamais.

  • Speaker #0

    C'était le cas alors qu'il est vrai qu'on n'était pas du tout aidés en y sortant de là. Pour vous donner une petite anecdote, quand j'ai commencé ma thèse de doctorat, j'avais envie d'être autonome, j'ai demandé une bourse. Et mon directeur de thèse... En histoire de là, il m'a demandé si j'avais des amis au gouvernement. Alors je n'avais pas d'amis au gouvernement et je lui ai répondu donc pas à négative. Il m'a dit alors nous n'en demanderons pas parce que nous avons eu deux bourses en dix ans, une pour un tel qui est un non connu, l'autre pour un tel qui est un non connu et donc ça ne servira à rien. Et là je me suis dit il y a un petit problème dans cette spécialité quand même. Donc j'ai travaillé, j'ai fait beaucoup de petits métiers, je peux gagner ma vie en faisant toutes sortes de choses assez étonnantes d'ailleurs, j'ai beaucoup appris.

  • Speaker #1

    Et dans ce parcours qui a été le vôtre, Laurence Bertrand-Doriac, il y a ce choix de regarder du côté de la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que ce fut un choix conscient, inconscient ? Est-ce que l'histoire personnelle et familiale a pu se mêler à ces directions prises ?

  • Speaker #0

    Mais c'est difficile, évidemment, on reconstruit toujours de manière rationnelle des choses qui sont moins rationnelles. Les affects, les émotions, c'est un point aveugle des sciences humaines et sociales et de l'histoire. En particulier en France, peut-être, où nous restons assez cartésiens, sinon positivistes. Et donc, de mon côté, je pense que ça s'est fait par décantation, c'est-à-dire j'aimais l'histoire, il fallait que je choisisse un sujet, un sujet un peu neuf. J'ai réussi finalement à... J'ai accordé mes passions, qui étaient l'histoire, l'histoire de l'art, l'histoire politique, et pour une période où rien n'avait été fait, c'est-à-dire la période de la Seconde Guerre mondiale, j'avais un peu cherché, vous savez comme on cherche un sujet où évidemment il reste des choses à faire, vous l'avez fait vous-même Aurélie, je crois, brillamment, et bien au moins c'était pareil. Et en fait, personne n'avait touché à cette période de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde s'arrêtait en 1930. et ensuite on reprenait à 1945. Alors je me suis dit, là il y a un trou, il y a un point aveugle. Et ça correspondait aussi à un point aveugle dans l'histoire familiale, en tout cas paternelle, puisque je n'ai découvert qu'à l'âge de 20 ans le carnet de deuxième DB de mon père. Et j'ai appris comme ça qu'il avait été dans la résistante. Donc je lui ai demandé de se mettre un petit peu à table, si je puis dire, et de me parler de ça, il en a parlé un peu. Après, un peu plus. C'était compliqué tout ça. On ne parlait pas de ça dans les familles.

  • Speaker #1

    Donc il a été résistant dans la deuxième division blindée du général Leclerc ?

  • Speaker #0

    Oui, alors il est jeune. Il passe de Zazou à Maquis-Canoy. Et en fait, il va être intégré à la deuxième DB à partir de Saint-Germain, qui avait un centre de recrutement. Et il va partir vers l'Est, donc à partir de l'été 44.

  • Speaker #1

    Jusqu'à Strasbourg, l'Albran, il va vivre ces moments-là.

  • Speaker #0

    Oui, qui sont des moments très forts. C'est la seule fois où j'ai vu mon père très, très ému, au point de pleurer. C'est quand il a raconté cet épisode où il a eu une action de résistance, où il a peut-être tué un Allemand, il ne sait pas très bien. Et je crois que ça l'a beaucoup torturé. Il sortait d'une école de jésuites à l'époque. Et puis la suite, c'est-à-dire... Il m'a fait comprendre que ça n'était pas facile d'arriver dans une armée de vainqueurs dans un pays effondré.

  • Speaker #1

    Il n'en parlait pas ?

  • Speaker #0

    Non.

  • Speaker #1

    Et vous l'avez découvert comment ?

  • Speaker #0

    Par hasard, en fait. Je l'ai découvert par son carnet de la deuxième DB, en fait, dans la bibliothèque. Mon père ne vivait pas tellement à la maison. Il était un... Vous savez, mes parents parlent... période de l'occupation, n'avait pas fait les études qu'ils auraient voulu faire. Lui, les arts et métiers, donc en fait, ils sont rentrés dans les affaires, l'un et l'autre, après la guerre. Et donc, mon père était un cadre dirigeant dans une société américaine. Et donc, il était toujours, il était souvent en voyage, je le voyais peu, en fait. Mais il y avait les livres qui étaient un peu les témoins, c'était un peu ses intercesseurs. Il y avait ses romans. Et puis il y avait ce carnet de la deuxième DB que j'ai trouvé un jour et j'étais très étonnée parce que j'ai bien compris que ça avait un rapport avec lui. Donc je lui ai posé la question ensuite et il m'a un petit peu parlé mais encore une fois assez peu dans un premier temps.

  • Speaker #1

    Vous étiez étudiante ?

  • Speaker #0

    J'avais 20 ans et j'avais un petit peu commencé à faire un petit cursus mais les choses se sont décidées. Je dirais que... Vers l'âge de 22-23 ans, le temps que je mûrisse un sujet, et à ce moment-là que je passe vraiment... Les études m'ont intéressée uniquement à partir du moment où j'ai fait un travail de recherche personnelle. Je me suis organisée, j'ai fait des entretiens en rouge, j'aimais cette liberté. J'avais aimé mes études quand j'étais vraiment très enfant. On m'a un peu pris pour qui je n'étais pas, on a pensé... C'était la mode de... de voir des surdoués partout, je crois. Et hélas, c'est tombé sur moi, donc on m'a fait sauter une quatrième. C'est un peu amusé, comme sur un cobaye. Donc j'ai fait des études assez chaotiques, et elles se sont révélées beaucoup plus intéressantes pour moi, à nouveau, à partir du moment où j'ai fait de la recherche, c'est-à-dire pour mon mémoire de maîtrise, et puis ensuite, surtout pour ma thèse.

  • Speaker #1

    Alors ce document, ce livre sur la deuxième DB, peut-être que vous pouvez nous lire les premières lignes que vous avez eues sous les yeux quand vous avez compris qu'il y avait un lien avec le parcours de résistants de votre père.

  • Speaker #0

    Alors déjà cette couverture, la deuxième DB, Général Leclerc en France, combat les combattants. et le sigle visuel, la Croix de Lorraine. Et puis ensuite, oui, la première page, cet ouvrage est dédié aux jeunes, jeunes avec un grand J, à eux qui, sur le sol de France, se sont levés et ont rejoint pour le combat en foule impatiente par leurs anciens, avec un grand A, et par ceux qui sont tombés. Alors tout ça c'est très énigmatique quand même pour moi, c'est publié au deuxième trimestre 1945, c'est-à-dire vraiment à la fin de la guerre. Et c'est assez amusant parce que c'est publié aux éditions Arts et métiers graphiques. Et à l'époque ça m'intéressait parce que je m'intéressais aux arts justement, et bon je travaillais avec un professeur de l'école des beaux-arts depuis l'âge de 15. 14-15 ans. Et les arts et métiers graphiques, je ne savais pas en fait, mais mon père avait voulu faire les arts et métiers, aurait fait les arts et métiers. J'ai retrouvé ensuite, beaucoup plus tard, un carnet de mon père, justement, où il dessinait très très bien, je dois dire. Et c'est amusant parce qu'il y a une espèce de concentration de ce qu'il a été, de ce qu'il aurait pu être aussi, puisque mon père, après la guerre, donc de retour, a failli s'enrôler en fait dans l'armée. Et puis finalement, il a été, si je puis dire, détourné de ce destin. Il avait souvent des histoires de femmes et donc il a fait le mur, il s'est fait prendre et donc on n'a pas voulu de lui pour partir en Indochine, ce qui tombait plutôt bien, je crois, dans son cas, enfin. Mais en dehors des textes, à vrai dire, que je n'ai pas lu du tout in extenso à l'époque, mais ce qui m'a frappé dans cet ouvrage de la deuxième DB, c'était évidemment les photographies de ruines. de villes en ruines, ou de cette femme qui semble s'adresser à un soldat qui est juché sur un tank en Normandie. Mais également ces images d'hommes à terre, un Allemand qui vient de tomber, un FFI va prendre son arme. Il y a des images à la fois de violence, de destruction des villes, de joie aussi, de liesse, incontestablement, d'enthousiasme. mais également des images très dures. Bref, ça n'est pas seulement une histoire militaire qui est exaltée dans ce volume, mais c'est aussi, au fond, une histoire des populations. Une histoire, j'allais dire, assez vraie de la guerre. Ça m'a étonnée. J'aimerais bien en savoir plus sur la façon, aujourd'hui, justement, dont a été fabriqué cet ouvrage, encore une fois, qui était très interne, je pense, à la deuxième DB, en fait. C'était comme un... Je ne sais pas, c'était un livre qui devait circuler. Je n'ai jamais fait le... C'est peut-être une petite étude qu'il faudrait que je fasse un jour.

  • Speaker #1

    Mais ce n'était pas un livre militaire, purement militaire. Il y a vraiment ces civils aussi.

  • Speaker #0

    Oui, voilà.

  • Speaker #1

    Et l'ambition de montrer les douleurs, la violence.

  • Speaker #0

    Oui, exactement. Et c'est assez étonnant parce qu'on aurait pu imaginer quelque chose de plus triomphaliste, de plus...

  • Speaker #1

    Héroïque ?

  • Speaker #0

    Oui, plus héroïque. Et en fait...

  • Speaker #1

    On montre la guerre.

  • Speaker #0

    Oui, on montre la guerre telle qu'elle a été et telle que, parfois, en tout cas de façon sporadique, mon père me l'a racontée plus tard.

  • Speaker #1

    Alors concrètement, rétrospectivement peut-être, bien sûr, Laurence Bertrand d'Orléac, vous regardez ce livre que vous nous avez amené et... Est-ce que vous dites que ça a changé quand même quelque chose, ou ça a déclenché quelque chose en vous, et notamment en lien avec peut-être une posture d'historienne que vous alliez devenir ?

  • Speaker #0

    Je crois que ça a créé, étrangement, plutôt que révéler quelque chose, ça a créé du mystère, encore plus de mystère. C'est comme vraiment une boîte de Pandore qui s'ouvrait, et il y avait tellement de choses, alors que bon, avant, je dirais qu'il y avait du silence. on ne se posait pas trop la question. Et tout d'un coup, ce qui n'a rien de très original, parce qu'en 1977, c'est la génération qui veut savoir. On sait bien que la première génération... Et puis à la deuxième génération, on commence à se demander ce qui s'est passé dans la famille. C'est ce qui s'est passé. Et donc, à partir de ce moment-là, je suis allée de mystère en mystère quand même. Parce que l'histoire, au fond... Et c'est ça qui me semble, avec le recul paradoxal, c'est qu'on va vers l'histoire pour, au fond, essayer de comprendre. Et en fait, je ne veux pas du tout dire que je n'ai rien découvert dans ma thèse, etc. Il y en a un ou deux là. Non, oui, factuellement, j'ai raconté beaucoup, beaucoup de choses, mais quand même sur les choses qui m'intéressaient, c'est-à-dire vraiment comment on s'engage, pourquoi... Pourquoi on s'engage ? Pourquoi tout d'un coup on s'engage dans la résistance ? Il aurait très bien pu aller du côté du fascisme italien, il venait d'une famille plutôt très conservatrice. Ça soulevait au fond largement autant de questions que ça ne résolvait le problème. Je me demande finalement si quand on va vers l'histoire, on ne sait pas parce qu'on n'aime pas les énigmes, et surtout les énigmes dans les énigmes.

  • Speaker #1

    Chercher le père, combler le vide.

  • Speaker #0

    Je ne sais pas. Je ne ressens pas de vide à cet égard, mais je ressens quelque chose encore de l'ordre du sphinx et du mystère.

  • Speaker #1

    Et lui n'ayant pas répondu à toutes vos questions à vos attentes.

  • Speaker #0

    C'est très vrai. Je n'ai pas su le faire parler et lui savait se taire. Vous avez tout à fait raison.

  • Speaker #1

    Dans une famille où on savait se taire, puisqu'il faut quand même rappeler que vos grands-parents avaient vécu une autre guerre, la Première Guerre mondiale. Il n'en parlait pas forcément. père a été dans ce cadre-là aussi, de ne pas tout révéler. Alors, est-ce qu'à travers ces sources qui ont été les vôtres, c'est-à-dire vous vous êtes orienté vers l'histoire de l'art et avec d'autres sources qu'il faut savoir décoder, faire parler tout simplement les œuvres d'art, peinture, dessin, gravure, photo, qu'est-ce qu'elles ont de particulier qui nécessite peut-être une autre approche, une autre façon de les toucher, de les approcher par rapport aux sources écrites ? elles révèlent beaucoup de choses et vous avez eu durant toute votre carrière cette capacité à nous les révéler en fait.

  • Speaker #0

    Merci mais en vous écoutant parler je me rends compte que ce qui précisément a pu se passer c'est qu'une œuvre d'art elle est muette et je l'opposerais plus qu'au texte, je l'opposerais peut-être davantage encore à précisément quelqu'un qui ne veut pas parler en réalité.

  • Speaker #1

    On revient au père.

  • Speaker #0

    Oui peut-être. au père mais au grand-père etc et plus c'est peut-être ça en fait le problème plus que les textes parce que les textes finalement ils parlent ils parlent ils sont assez bavard l'écriture finalement c'est du on dit beaucoup de choses alors que les gens quand ils ne veulent pas parler il ya quand même quelque chose de beaucoup plus troublant je crois que c'est ça qui s'est passé les oeuvres sont vraiment le lieu où il faut se passer de la parole, il faut faire parler des choses muettes et qui en même temps ont une action sur nous, c'est-à-dire qu'elles déclenchent des affects, des émotions, davantage souvent que le texte, plus directement que le texte. Ça a été prouvé d'ailleurs récemment par les scientifiques étudiant tout ça plus précisément, et on est plus affecté directement par l'image que par le texte.

  • Speaker #1

    Alors, quel était l'intitulé de votre thèse ?

  • Speaker #0

    Alors, c'était une histoire de l'art en France entre 1940 et 1944. Et le sous-titre était Tradition et Modernité, au pluriel.

  • Speaker #1

    Et donc là, vous découvrez, et vous nous faites découvrir surtout, le rôle et la fonction de l'art que vous avez questionné dans vos travaux et ensuite dans les expositions réalisées en France et en Espagne.

  • Speaker #0

    Oui, il y a beaucoup de faits qui n'avaient pas été révélés en effet. Et dans un premier temps, comme tous les historiens qui travaillent sur la période de la Seconde Guerre mondiale, que vous connaissez bien, tout d'abord... au fond les sources en lien avec la partie émergée de l'iceberg, la collaboration, l'accommodement, en tout cas. Alors qu'il faudra attendre beaucoup plus longtemps pour saisir ce qui s'est dépassé dans le off de l'histoire. Et c'est ça qui, plusieurs années après, donnera une exposition en 2012 au Musée d'art moderne qui s'appelait L'art en guerre. Le... Le titre de ma thèse, c'était ma thèse, mais ensuite il y a eu un livre au seuil que m'a commandé Michel Vinocq, et qui s'appelait « L'art de la défaite » , ça veut bien dire ce que ça veut dire. Alors qu'après, 30 ans après, c'était « L'art en guerre » , c'est-à-dire qu'au contraire, on découvrait, comme vous le savez, l'histoire de la résistance s'est faite après l'histoire de la collaboration. Alors c'est très déprimant d'ailleurs, dans un premier temps, parce que tout ce qui était intéressant, tout ce qui était de l'ordre... de cette résistance, en fait, nous apparaissait pas beaucoup plus difficilement. Qu'est-ce que vous avez, vous, découvert ?

  • Speaker #1

    J'ai découvert évidemment que l'art était instrumentalisé par un régime, on va dire à tentation totalitaire pour le régime de Vichy, et bien sûr par l'occupant, que l'art pouvait évidemment être très vite instrumentalisé politiquement à des fins de propagande. Et que tous les acteurs étaient concernés, que évidemment, dès qu'on rentre dans une période où il y a vraiment un mot d'ordre qui est d'interdire toutes les zones de la pensée libre, de l'art libre. Donc j'ai découvert, ce qui est dur d'ailleurs à un peu plus de 20 ans, ce que Philippe Burin appelait l'accommodement. C'est-à-dire qu'il fallait continuer à travailler, etc. Et encore une fois, c'était évidemment un spectacle désolant, désolant parce que c'était contraire à toute la liberté de l'art et des artistes en temps de démocratie. Ce que j'ai aussi appris, évidemment, c'est que, disons que cette instrumentalisation, elle était très importante pour imposer des images, des images de propagande. On peut parler d'art en série pour l'art du maréchal, par exemple, qui était un traditionnaliste, certes, mais qui utilisait des moyens modernes pour sa propagande, et qui inondait littéralement, et qui même faisait de chaque écolier un propagandiste en demandant des portraits du maréchal qui arrivaient à Vichy, qui étaient exposés, etc. Donc tout le monde se transformait peu ou pro en agent de propagande sous Vichy. Quant aux nazis, évidemment, il y avait également des expositions obligées d'Arnaud Brecker. Il y avait des images très fortes qui imposaient en France une image du surhomme, disons-le, pour Arnaud Brecker en particulier et sa grande exposition en 1942 au Jeu de Paume.

  • Speaker #0

    Et il y a l'art en résistance.

  • Speaker #1

    Il y aura l'art en résistance pour moi parce qu'encore une fois... Il a fallu des années pour le voir émerger, il fallait aller trouver d'autres sources, il fallait que les langues se délient, il fallait que les associations jouent un rôle. Et là, effectivement, j'ai décidé, au grand dam du musée qui m'avait embauché plus tôt pour faire, 30-40 ans plus tard, après ma thèse, ce que personne n'avait osé faire dans les musées au moment de la publication de ma thèse et de mon livre. En fait, on me demandait de faire cette exposition sur l'art sous l'occupation, sauf que moi, ça ne m'intéressait plus du tout, parce que vous connaissez les chercheuses, évidemment, elles aiment le nouveau, le nouveau, et il fallait que je leur ait dit non, il faut que ce soit un laboratoire de recherche, sinon ça ne m'intéresse pas. Donc on s'est mis en laboratoire de recherche, et là on a trouvé des œuvres, tout simplement parce qu'on allait dans des fonds d'archives différents, des fonds muséaux différents, des fonds d'associations, et on a découvert ce qui se passait vraiment intra-muros en France. dans les camps, dans les prisons, dans les cuisines, dans les ateliers clandestins. Et là, ça a été une grande exposition, je crois, assez importante, qui est partie ensuite au Guggenheim de Bilbao, et où il y a énormément de monde qui l'a vue à Bilbao, c'était près de 500 000 personnes. Et j'ai découvert comment aussi on pouvait déplier la recherche fondamentale auprès d'un très grand public en étant très exigeant scientifiquement. Alors ça, ça m'a beaucoup plu.

  • Speaker #0

    En tout cas, montrer à voir la guerre, interroger le rôle de l'art, comprendre les représentations de la guerre. Donc c'est vraiment ce que vous nous avez livré, ce que vous continuez à nous livrer. Laurence Bertrand d'Orléac, dans toutes vos réalisations, puisqu'on parle des expositions, il y a aussi vos livres et beaucoup de ces outils que vous utilisez pour donner au public à comprendre. L'art et la culture, c'est ce qui reste quand il n'y a plus rien. Ça aussi, c'est une de vos phrases. Elle est importante parce que... Cela revient à penser à ceux qui ont abouti aussi dans les camps. Et l'art dans les camps, ou l'art dans ces moments les plus durs, pour ceux que l'on réduit à rien. Là aussi, vous avez vécu des moments forts, des découvertes, et peut-être que vous avez cette envie de partager une autre source qui montre combien cet art, il faut pouvoir le regarder partout.

  • Speaker #1

    Oui, je crois que c'est d'être Malraux, sans doute, qui a dit que c'est ce qui restait quand il n'y avait plus rien. Pour tout vous dire, j'avais une amie de la famille qui était une rescapée des camps de la mort et qui m'a raconté que les filles, elle était très jeune, elle avait 17 ans, se réfugiaient dans la poésie. Et disons qu'il restait, bon on sait que Miozic par exemple a continué à créer. Je le savais un petit peu aussi pendant la première guerre mondiale, ça a été le cas dans les situations les pires disons. Les humains... un peu comme depuis la préhistoire, au fond, les humains dessinent pour avoir moins peur, ou pour espérer encore, pour donner une forme. C'est comme une catharsis, en fait, c'est la vieille catharsis d'Aristote, c'est-à-dire qu'on dessine des choses terribles pour se les enlever de la tête, disait Kafka aussi. Vous voyez, donc, ça c'est une réflexion, évidemment, que je me suis faite, et ça m'a beaucoup troublée, j'ai présenté... ces œuvres d'artistes qui étaient passés dans les camps français avant d'aller dans les camps de la mort. Otto Frönisch, Charlotte Salomon, qu'on a découvert assez récemment, Horst Rosenthal, Mickey au camp de Gurs, tous ces gens qui sont passés dans les camps français et qui ont été exterminés plus tard. J'ai d'ailleurs gardé une œuvre extraordinaire d'une certaine Myriam Lévy dont je ne sais... absolument rien sinon qu'elle a été exterminée. Et la seule chose qui reste d'elle sur la Terre, c'est cette œuvre, c'est ce dessin.

  • Speaker #0

    Vous pouvez nous décrire ce dessin ?

  • Speaker #1

    C'est comme une carte à jouer. C'était dans la collection d'André Breton. C'est un galeriste qui nous l'a prêté pour l'exposition de 2012 au Musée d'art moderne de la ville de Paris. C'est une dame de pique d'un côté, c'est un rameau de l'autre. On peut, comme une carte à jouer, la renverser. Mais ce qui est certain, c'est qu'il y est question probablement d'un enfermement, puisque sur le front de sa visage, sur une des parties, on voit des barreaux. Donc, je pense... Un mur de prison. Oui. L'hypothèse, c'est qu'elle aurait fait partie de ces gens emprisonnés à Marseille, puisqu'il y a eu un jeu surréaliste qui a été fabriqué à Marseille par des surréalistes. Ça n'est pas le même format, mais c'est un peu le même esprit. Et ce jeu surréaliste, Breton, évidemment, on avait non seulement connaissance, et je pense que Breton a croisé cette carte, ce dessin. Il l'a acheté. Est-ce qu'il a croisé son autrice ? Je n'en sais rien. Mais ce que je sais, c'est que quand l'exposition a ouvert, qu'on a emprunté cette œuvre, ce modeste dessin à l'encre, signé Myriam Lévy, 1941, eh bien, ce que je sais, c'est que j'ai dit à la plupart des journalistes que je rencontrais, je leur disais, voilà, je leur racontais cette histoire. Et comme ça, je me disais, si les journalistes en parlent... Peut-être que quelqu'un va dire, mais c'était ma grand-mère ou que sais-je. Eh bien, rien, rien. Elle est repartie orpheline. Et j'étais hantée par cette image et par cette œuvre qui me bouleversait, parce que c'était la seule chose, encore une fois, qui restait sur la terre de cette femme. Et six mois plus tard, j'ai téléphoné au galeriste en lui demandant s'il avait vendu cette œuvre. C'était d'une police d'assurance de 1700. Je me souviens à l'époque et il m'a répondu non. Alors je dis, alors je vais l'acquérir. Et j'ai acheté cette œuvre qui est maintenant chez moi. J'ai l'impression qu'elle a quand même, disons, trouvé une sorte de refuge.

  • Speaker #0

    Vous n'avez toujours pas... D'autres informations sur ce qu'il y a ? On peut toujours lancer un appel. Oui,

  • Speaker #1

    je continue la preuve, je continue à en parler.

  • Speaker #0

    Sensibiliser, questionner, interpeller. Alors avec vos livres, avec les expositions, est-ce que pour vous c'est une responsabilité peut-être, ou en tout cas le rôle là aussi d'un historien, d'une historienne ?

  • Speaker #1

    Vous savez, j'ai l'impression qu'on est historien parce qu'on ne peut pas faire autre chose. J'ai l'impression de quelque chose qui s'est imposé à moi et je n'arrive pas à... Au fond, souvent, j'essaie de dire... Par exemple, je dis souvent intérieurement, j'ai fait la paix avec la guerre. Je ne veux plus parler de la guerre. Et aujourd'hui, vous voyez de quoi parle-t-on ? De la guerre. Donc, en fait, à chaque fois que je veux sortir de l'histoire et en particulier de l'histoire des guerres, j'y reviens. C'est-à-dire que ça s'impose à moi. Est-ce que c'est une responsabilité ? Vraiment, je ne le prends pas comme mission et je ne me prends pas pour une militante ou pour... Pas du tout. Mais je remarque simplement que ça s'impose et que je n'arrive pas à quitter ce terrain-là.

  • Speaker #0

    Parce que l'histoire et les siècles sont traversés par les guerres aussi, Laurence Berthier, dans les Hague. Et que les artistes... acteurs majeurs de la société, par leurs œuvres créent aussi des mondes mais peuvent changer le monde. Dans ce sens-là, est-ce que l'historien, l'historienne est un éclaireur justement aussi, plus que jamais pour le temps présent et celui à venir ? Ce 21e siècle traversé lui aussi depuis 25 ans par des troupes, des guerres, ce n'est pas un siècle de paix.

  • Speaker #1

    En tout cas, ce qui est sûr, c'est que je travaille en ce moment avec une artiste contemporaine, Hélène Delprat, pour ne pas la nommer comme par hasard, elle travaille aussi sur les guerres, et pour cause, elle vient d'Amiens, donc elle est née sur un territoire de guerre, ravagée par la guerre, et donc en fait les artistes ont toujours ce rôle de vigie, d'alerte ça ne veut pas dire pour ça qu'ils ont des positions militantes ou très claires, attention, parce que c'est difficile de faire dire justement aux artistes autre chose que ce qu'ils peuvent dire c'est-à-dire des choses au fond qui peuvent être même parfois ambivalentes, contradictoires ils travaillent avec leur inconscient ... La grande différence peut-être entre l'historien et l'artiste, c'est que l'historien, bon, évidemment, sait qu'il y a un inconscient, y compris un inconscient collectif, mais on ne peut pas dire qu'on travaille beaucoup avec ça, alors que les artistes, ils sont vraiment dans une espèce de quête totale de vérité d'eux-mêmes, et d'une certaine manière, ça leur échappe. Même Bourdieu, le sociologue, philosophe, disait « ils font ce qu'ils veulent pour une part, mais pour une part seulement » . C'est donc qu'il admettait... en ayant travaillé sur Manet pour son dernier cours au Clége de France, qui avait une part d'inconscient chez l'artiste qui était très importante. Et c'est pour ça que ça marche, si je puis dire, auprès de nous. C'est pour un moment qu'il parle de choses qu'on ne veut pas s'avouer nous-mêmes.

  • Speaker #0

    De l'inconscient et en même temps, ce besoin de nous donner à sentir aussi ce que eux perçoivent comme des dangers, comme ils ont tenté de le faire lors de l'exposition internationale du surréalisme en 1938. Ils n'ont pas été écoutés. comme d'autres alerteurs à l'époque n'ont pas été écoutés, mais on retrouve dans leurs œuvres justement ces alertes. Est-ce que c'est dans ce sens-là qu'il faut plus que jamais continuer à regarder les artistes et leurs œuvres comme de possibles alerteurs aujourd'hui ?

  • Speaker #1

    Ah oui, je crois que ce n'est pas du temps perdu que de regarder ce que font les artistes. Hélas, c'est un monde, c'est un continent l'art contemporain et il ne faut pas d'a priori, il faut essayer de... de saisir justement, mais il est certain que, selon moi, c'est le lieu où on recherche la vérité, et on perçoit les dangers, comme vous le dites si bien, on perçoit les puissances, mais on perçoit aussi les dangers encourus. En 1938, par exemple, c'est vrai, vous avez raison, les surréalistes étaient parmi les seuls qui vraiment ont pris conscience du danger du nazisme, et d'ailleurs un certain nombre sont partis aux États-Unis, on leur a reproché. simplement eux, pour la plupart, ils avaient vu la première guerre mondiale, ils avaient vu le monde basculer, et d'une certaine manière, ils avaient une conscience politique qui leur permettait de comprendre les choses.

  • Speaker #0

    Ils avaient été considérés par les nazis comme des artistes dégénérés, d'ailleurs, donc interdits. On arrive au terme de notre entretien, Laurence Bertrand d'Orléac, est-ce que vous pouvez nous confier sur quoi vous travaillez en ce moment, ou alors vous aimeriez peut-être travailler, si vous pouvez nous le révéler ?

  • Speaker #1

    Non, je travaille activement sur la représentation du lion à travers l'histoire, mais dans une optique assez particulière, c'est-à-dire la question du lion et de la gouvernance. Le lion est toujours lié, au fond, à la question de la gouvernance depuis toujours et des puissances. Et j'aimerais aborder cette question qui me paraît importante aujourd'hui, selon laquelle, disons, la puissance n'est pas la violence. Je crois qu'on a tendance à confondre les deux. Et donc c'est une réflexion, disons, esthético-politique que je veux mener au long cours. J'ai déjà des centaines de lions. J'invite chacun, chacune à m'envoyer des lions du monde entier parce que j'ai besoin d'une très grosse banque de données pour nourrir ma réflexion.

  • Speaker #0

    Alors quand vous dites envoyer des lions, sous quelle forme ?

  • Speaker #1

    Vous les envoyez sous forme d'images. En fait, je m'intéresse uniquement aux images, évidemment. Il y a quand même des textes, évidemment, sur le lion, mais... Et vous savez, c'est un petit peu comme les choses sur lesquelles j'ai travaillé. Dès que vous dites finalement je m'intéresse aux lions, vous voyez des lions partout. Alors vous allez croire que je déraisonne, mais en réalité, je pourrais vous en montrer énormément, à commencer par Sciences Po, où nous avons en Héraldique le lion et le renard, qui est l'héritage de Machiavel.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Laurence Bertrand d'Orléac.

  • Speaker #1

    Merci à vous, Aurélie. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Et à conseiller, bien sûr, la lecture de vos livres L'art de la défaite, édité au Seuil. Pour en finir avec La nature morte, ou bien encore Le lion de Rosa, Rosa Bonheur, paru chez Gallimard. Et puis pour en savoir plus sur vos travaux, vos publications ou autres actualités vous concernant, direction le site du Centre d'Histoire de Sciences Po. N'hésitez pas, bien sûr, à vous abonner au podcast pour vivre d'autres histoires de sources. Et merci à l'équipe éditoriale du Centre d'Histoire et à l'équipe technique de Sciences Po, Olivier Nguyen et Nils Bertinelli qui nous accompagnent pour ce numéro. Et à très bientôt pour une prochaine rencontre dans l'Atelier des historiens.

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