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Dans l'œil de la cyber

[S3E1] Génération connectée : l'Éducation au péril du tout numérique ?

[S3E1] Génération connectée : l'Éducation au péril du tout numérique ?

48min |09/09/2024
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Description

Quoi de mieux comme épisode de rentrée qu'un thème sur le numérique à l'école ?


Le numérique s'y est imposé ces dernières années : 9 enseignants sur 10 reconnaissent aujourd'hui les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leurs cours dans le premier degré. Mais derrière cette apparente révolution éducative, se cache une question fondamentale : à quel point cette digitalisation rapide sert-elle vraiment nos enfants ? 

  

Découvrez mon échange passionnant avec Agnès Fabre, professeure au collège et lycée et cofondatrice du collectif pour une Éducation Numérique Raisonnée, pour explorer ces enjeux complexes.  

  • Comment le tout numérique modifie-t-il les habitudes d'apprentissage des élèves ?  

  • Que perdons-nous en abandonnant les manuels papier et les devoirs écrits ? Faut-il ralentir, voire revenir en arrière, à l’instar de la Suède ? 

  • Sommes-nous en train de sacrifier une génération sur l'autel du progrès technologique ? 

  

En France, le collectif “Education numérique raisonnée” reproche à l’Education nationale de voir le numérique comme un moyen d'enseignement et non comme une matière à part entière. Agnès milite pour un usage raisonné du numérique à l'école, où le plaisir de lire, de réfléchir, et d'apprendre reste au cœur de l'éducation. Ensemble, nous discuterons des solutions possibles pour trouver un équilibre entre former nos enfants aux compétences numériques indispensables et éviter qu'ils ne soient submergés par les écrans. 

  

Quel avenir pour nos enfants dans cette école hyperconnectée ? Rejoignez-nous pour une conversation essentielle et des réponses à toutes ces questions. 

 

👉Retrouvez "Dans l'œil de la cyber" sur toutes les plateformes d'écoute : https://smartlink.ausha.co/dans-l-oeil-de-la-cyber


***


🙏Un immense merci à tous ceux qui ont déjà laissé un avis ou 5 étoiles sur Apple Podcast ! Vos retours sont précieux !


💬 Si le podcast vous plaît ou si vous souhaitez simplement me faire un feedback, n'hésitez pas à me laisser un avis, je serai ravie de vous lire et de vous répondre !


***


🎙️"Dans l'œil de la cyber" est un podcast qui donne la parole aux acteurs majeurs du numérique pour décoder les grands sujets et tendances de ce secteur et de la cyber en particulier.


👩Je suis Anne-Laure de La Rivière, Directrice de la communication et des affaires publiques de Gatewatcher, une PME française spécialisée en détection des cyberattaques.


Bonne écoute ! 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans l'œil de la cyber, le podcast qui donne la parole aux acteurs du numérique. Je suis Anne-Laure de Larivière, directrice de la communication chez Gatewatcher, et je reçois Agnès Fabre, professeure certifiée de lettres classiques et cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Aujourd'hui, nous allons parler des enjeux du numérique dans le milieu scolaire. Neuf enseignants sur dix reconnaissent les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leur cours dans le premier degré. Et quelles sont les deux sources d'un tel changement éducatif ? Comment la France prépare-t-elle cette transition numérique ? Et sommes-nous à la hauteur de ce challenge ? Retrouvez tous nos podcasts sur www.gatewatcher.com, catégorie podcast. Si vous aimez ce qu'on fait, pensez à vous abonner au podcast dans l'œil de la cible pour ne pas rater la sortie du prochain épisode. Bonne écoute ! Agnès Fabre, bonjour !

  • Speaker #1

    Bonjour !

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation. Alors une fois n'est pas coutume, j'ai choisi d'aborder un sujet qui n'est pas directement lié à la cybersécurité. Il s'agit d'une grande actualité du numérique, c'est l'éducation numérique pour nos jeunes. Alors avant d'aborder la première question, j'aimerais revenir sur votre parcours. Agnès, vous êtes ancienne élève d'Hippo Cagnes et Cagnes au lycée Louis-le-Grand. Vous êtes également diplômée de l'ESSEC avec un MBA programme grande école. Vous avez commencé votre carrière dans le marketing opérationnel chez Air France. avant de devenir Product Manager chez Thalys. Et puis ensuite, vous avez décidé de vous reconvertir et de suivre votre passion pour l'enseignement en devenant professeur de français et de latin au collège et au lycée. C'est bien ça ?

  • Speaker #1

    C'est ça.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous a conduit à faire cette reconversion ?

  • Speaker #1

    Alors, j'aimais beaucoup ce que je faisais en entreprise, mais j'ai eu besoin de trouver encore plus de sens. Et le métier de l'enseignement était pour moi ce qui donnait le plus de sens, en fait, quand il s'agit de laisser mes enfants, quand j'ai eu ma deuxième fille. J'avais besoin de reconnecter avec mon parcours littéraire, de me remettre à la lecture et de réapprendre certaines choses qui me manquaient en entreprise. Et j'ai trouvé dans la transmission des savoirs ce contact humain qui me manquait et qui m'épanouit pleinement aujourd'hui. Le grand écart est important et pourtant je retrouve certains éléments qui sont communs, notamment une certaine... sens du marketing quand il s'agit de faire de la pédagogie, de rendre accessible aux élèves des notions qui peuvent être compliquées. Et puis la dimension analytique aussi, quand je lis des copies, de comprendre en fait quel est le mode de raisonnement des élèves, quelles sont leurs erreurs, comment les guider. J'ai l'impression de retrouver certains éléments d'un travail un peu analytique que je faisais déjà en entreprise finalement.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. Alors vous êtes également cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Donc votre objectif c'est d'alerter et de sensibiliser sur l'utilisation des outils numériques à l'école pour les élèves et donc d'en promouvoir un usage raisonné. Vous avez à la fois fait un appel et une lettre, est-ce que vous pourriez détailler les objectifs apportés par ce collectif ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà peut-être d'abord un petit mot sur le collectif, on est une vingtaine d'enseignants et de personnels de direction. Je pense que notre initiative est très novatrice, on s'est créé en janvier, il y a quelques mois seulement. Et on a réussi à mobiliser à la fois des enseignants du public et du privé, des personnels de direction et des enseignants. C'est assez nouveau d'avoir un groupe comme ça mobilisé sur une question qui dépasse nos simples revendications de métier, mais qui concerne vraiment le bien de nos élèves. Ce qui nous réunit, c'est le constat qu'on fait de l'emprise du numérique sur nos élèves, essentiellement récréatif d'ailleurs, la manière dont nos élèves sont accaparés par leurs écrans, au détriment de nombreuses autres activités. épanouissante et nécessaire pour leur développement. On est un peu partout en France et ce qui est intéressant, c'est que malgré la diversité des horizons, des milieux professionnels qui sont nés les nôtres, le constat est le même. Et donc notre appel, il porte à la fois sur ce qu'on appelle le numérique récréatif, c'est-à-dire le divertissement des enfants et des adolescents sur les écrans, et puis le numérique éducatif, la manière dont on utilise le numérique pour apprendre. Il y a cinq points. Les deux premiers concernent le numérique récréatif. D'abord, on demande une forte campagne de prévention qui aujourd'hui est inexistante pour instaurer un cadre dans les usages du numérique à la maison. On attend une démarche co-éducative avec les parents.

  • Speaker #0

    On entend souvent chez les médecins ou même quelques campagnes qui disent pas d'écran avant trois ans

  • Speaker #1

    Alors on le voit, mais c'est encore assez timide et souvent c'est cantonné aux âges, alors qu'il nous semble qu'il faudrait en fait un vrai cadre, une vraie hygiène de vie, un peu comme la routine des cinq fruits et légumes par jour qui est vraiment rentrée maintenant dans les mentalités, de dire en fait il ne faut pas d'écran dans la chambre à coucher, il ne faut pas de dessin animé avant d'aller à l'école le matin. On a des collègues du premier degré qui nous disent, ils voient en fait les enfants qui ont vu un dessin animé avant de venir à l'école par rapport aux autres, parce que l'effet sur la concentration est énorme. pas d'écran à table parce que c'est un moment où les interactions sociales, langagières sont extrêmement importantes au sein de la famille. Enfin toute une série de règles qu'il faut communiquer aux parents qui souvent sont démunis et nous ce qu'on constate c'est que les parents viennent nous voir et souvent ne savent pas et quand ils savent ils considèrent qu'ils n'ont pas la légitimité où il y a une sorte de crise d'autorité parentale pour lutter contre ce phénomène tentaculaire des écrans qui est le premier source de conflit dans les familles aujourd'hui. Donc c'est une première La première étape, ce serait la prévention, mais aussi de proposer des alternatives. Et notre appel, il demande aussi de réfléchir à une vraie politique ambitieuse pour la jeunesse, de proposer des alternatives, des divertissements sans écran, de promouvoir la lecture, mais aussi le sport, l'accès à la culture. Enfin, comment remplacer ce temps libre qui aujourd'hui est complètement accaparé par les jeux vidéo, par les smartphones, etc. Et le deuxième volet qui concerne plus le numérique éducatif. C'est d'abord le droit à la déconnexion qu'on réclame pour nos élèves, c'est-à-dire qu'on demande à ce qu'ils puissent travailler à la maison sans écran. Ça ne veut pas dire qu'on veut supprimer complètement les écrans, on considère qu'il peut y avoir un intérêt pédagogique en classe, mais qu'à la maison, on doit sacraliser un temps de concentration sans écran, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui, on en parlera probablement tout à l'heure. Et le dernier point, c'est de faire du numérique un vrai objet d'enseignement, en fait une matière de... un enseignement à part entière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où on a confondu le numérique comme moyen d'enseignement pour d'autres matières plus traditionnelles, alors qu'on considère que c'est des sciences et des enjeux qui doivent s'apprendre à l'école.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous avez un objectif de nombre de signatures pour cet appel, et un objectif de résultat concret ?

  • Speaker #1

    L'appel, en effet, on l'a lancé sur notre site internet, et d'ailleurs j'invite vos auditeurs à le signer. Ce n'est pas une pétition, c'est un vrai projet éducatif, il est assez complexe.

  • Speaker #0

    J'en profite, est-ce que vous pouvez nous rappeler ?

  • Speaker #1

    Éducation-numérique-raisonner.com C'est un prétexte pour nous de mobiliser la société civile. Aujourd'hui, on a un peu plus de 4000 signatures en quelques mois, dont un quart qui vient de la communauté éducative. On a à peu près plus de 1000 signataires d'enseignants ou autres. On sait qu'il y a des pétitions qui font beaucoup plus. Mais à nouveau, comme je vous le disais, c'est un prétexte pour mobiliser la société civile. Et notre objectif concret, c'est de mobiliser aussi les pouvoirs publics. Donc on a fait tout un travail de lobbying. On a rencontré les conseillers des différents cabinets ministériels, du président de la République. On a été auditionnés au Sénat. Et on essaie d'interpeller les pouvoirs publics pour se saisir de la question qui représente, selon nous, une urgence vraiment à la fois sanitaire et éducative.

  • Speaker #0

    Sur votre site internet, vous précisez être des adultes connectés, à l'aise avec la technologie, et que vous n'envisagez pas votre métier sans vous appuyer sur ces outils numériques, les ordinateurs, les tablettes, les ressources en ligne et les contenus audiovisuels. Qu'est-ce qui, selon vous, distingue l'utilisation de ces outils par les adultes et par les enfants, les élèves ? Et pourquoi est-ce que vous adoptez cette position ?

  • Speaker #1

    C'est une question intéressante. D'abord parce qu'on considère que ce sont des outils qui ne sont pas neutres. Je pense au travail de la commission d'experts qui est intervenue récemment pour étudier justement la question des écrans chez les jeunes et qui a établi un consensus scientifique sur les impacts de l'exposition aux écrans des enfants et des adolescents. Ce qu'on voit, c'est que l'impact sur l'œil, sur la vue de l'enfant et sur le sommeil sont extrêmement négatifs. Un enfant qui a l'œil qui est en maturation, en développement jusqu'à 16 ans. Et puis les cycles de sommeil à l'adolescence qui peuvent être perturbés souffrent d'une surexposition aux écrans. Mais également le cerveau, ça a été prouvé scientifiquement et on atteint sa maturation bien après le lycée, vers 20-25 ans. Et donc les enfants par nature sont en formation, en développement et donc plus fragiles et plus sensibles à des impacts négatifs qui peuvent venir des écrans et des outils numériques. Or, on sait que le caractère est extrêmement addictif du numérique. On considère qu'ils n'ont pas la maturité pour résister à ce caractère addictif. Et qu'un des plus grands problèmes, c'est le glissement du numérique éducatif. C'est-à-dire la bonne intention de dire on va faire apprendre sur un écran et le glissement vers le numérique récréatif qui vient ensuite prendre toute la place. Et le premier problème, Le problème, c'est la lecture, c'est la perte de la lecture chez les jeunes.

  • Speaker #0

    Même chez les adultes, il y a un problème d'addiction, parce que même si on a notre cerveau mature et qu'on n'a pas grandi avec ces outils numériques... On a quand même une vraie addiction.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Et notre... Alors, on l'utilise dans un but professionnel. C'est devenu incontournable. Mais c'est évident qu'il y a une sorte de phénomène d'absorption où notre temps est pris. Et il y a une sorte de... Pas toute la question de l'économie de l'attention où on ne maîtrise plus notre temps d'écran, comme vous dites, mais à plus forte raison chez les enfants. Mais plus je travaille sur le sujet, plus moi-même, je me remets en question. Et je trouve que c'est un peu la force des enfants et de l'éducation, c'est qu'en fait, les questions qu'on se pose pour le bien-être de nos enfants, ils nous invitent à nous remettre en question. Et il est évident qu'il y a un phénomène d'exemplarité, que dans les familles, quand les parents sont complètement absorbés par leur smartphone, et je plaide coupable en partie, c'est très compliqué ensuite de faire la part des choses. Donc c'est une remise en question collective qui doit se produire, c'est évident.

  • Speaker #0

    Bien sûr, il y a certains pays qui envisagent d'interdire. certains réseaux sociaux justement pour leur côté addictif. Donc on voit qu'on a vraiment du mal à s'en sortir en fait. Alors pour résumer, vous soutenez la mission de l'école qui est de former au numérique et donc de former aux outils tels que Excel, Word, etc. Mais vous ne souhaitez pas qu'on fasse du numérique une fin en soi, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Oui, alors moi quand j'ai commencé à enseigner il y a 7 ans, j'étais surprise d'entendre cette injonction de... d'intégrer le numérique à ma pratique pédagogique, c'est un peu le jargon de l'éducation nationale. En fait, je pense qu'il y a eu une certaine naïveté de considérer que le numérique, c'était la modernité et que l'école ne pouvait plus continuer à enseigner comme toujours. Et je pense qu'il y a quelque chose de très positif là-dedans, où on doit en effet se remettre en question, adapter l'enseignement, être à la pointe. Mais beaucoup de manque de recul critique sur justement la manière dont l'outil numérique vient en fait... transformer les apprentissages et prendre une place au détriment de beaucoup d'autres choses. Aujourd'hui, on le voit dans l'aspect récréatif, on se rend compte que tout le temps que nos enfants passent sur les réseaux sociaux, c'est du temps qu'ils ne passent pas à se parler, à jouer au ballon, à courir, qu'il y a un problème de sédentarité, etc. Mais à mon sens, il y a un problème qui est équivalent qui est en train de se produire à l'école avec le numérique éducatif. où le problème majeur, c'est la question du temps volé. C'est-à-dire quand vous mettez les enfants devant un écran, vous leur demandez d'autres exercices. Je pense par exemple à la banalisation des quiz en ligne. C'est très facile, c'est assez interactif, donc c'est plutôt agréable pour les élèves. C'est extrêmement rapide à corriger pour le prof, donc il y a quelque chose de très séduisant. Mais en fait, tout le temps que les enfants passent à remplir des quiz en ligne sur leur tablette ou sur leur ordinateur, c'est le temps qu'ils ne passent pas à s'entraîner, à rédiger. à faire des travaux rédactionnels. Alors, c'est un problème qui est très global, le problème de l'éducation en général. Mais moi, en tant que prof de français, pour avoir corrigé le bac encore cette année, je suis atterrée de voir le nombre de copies où c'est compliqué de trouver une phrase bien construite, avec un sujet, un verbe, un complément. Et c'est sûr que moins on s'entraîne à écrire, moins on écrit bien. Et il y a un vrai problème, à mon sens ici, de formation intellectuelle. de base que doit apporter l'école pour ensuite faire autre chose. Donc oui, notre objectif, c'est de former au numérique, c'est important, parce que ça va faire partie de la vie professionnelle de nos élèves, ça fait partie de notre monde contemporain, on ne peut pas le nier, mais de le garder à sa place d'outil, et de ne pas se faire contaminer, polluer par cet outil extrêmement envahissant, qui se fait souvent en détriment d'autres exigences.

  • Speaker #0

    Alors pour faire un apprentissage de l'outil numérique, et du coup le... Conseil supérieur des programmes de 2022 soutient votre vision, parce qu'il vise à la création d'une matière numérique à proprement parler, qui serait dispensée dès le collège, c'est bien ça ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Alors aujourd'hui, en fait, la formation en numérique, elle est essentiellement déléguée à la certification PICS, qui repose sur l'autonomie des élèves. Donc il y a une sorte d'auto-évaluation et puis ensuite de formation qui s'adapte au niveau de chaque élève. mais on est convaincu que c'est l'accompagnement humain qui fait la différence, et c'est ce que dit le Conseil supérieur des programmes. L'autre volet, c'est la spécialité en secondes qui est proposée, de numérique et sciences informatiques, mais qui n'est pas dispensée dans tous les établissements. À nouveau, c'est une spécialité, donc il faut la choisir seulement au lycée. Il nous semble qu'en effet, il y a un fossé béant sur la question de la formation au numérique. Il y a évidemment des questions budgétaires, de trouver des professeurs compétents, formés, qui puissent dispenser un enseignement sur des créneaux horaires dédiés. Mais à nouveau, il y a une question d'ambition sur ce qu'on veut apporter à nos élèves. Et il nous semble qu'on a confondu dans la stratégie d'éducation nationale l'équipement et la formation. En fait, ce n'est pas en équipant les élèves massivement de tablettes et d'ordinateurs qu'on les forme de manière concrète et constructive à l'outil.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que ce serait tout à fait pertinent de créer une véritable matière du numérique à l'école, dès le collège. Et j'ajoute même des formations professionnelles obligées, qu'il faudrait qu'il y ait un module. cybersécurité dans cette matière du numérique. Je trouve que nos jeunes ont encore trop peu conscience de l'importance de ces enjeux qui dépassent le simple changement de mot de passe sur un réseau social. Et donc une matière du numérique, pour moi, serait un excellent moyen de lutter également sur les stéréotypes de genre. Je ne sais pas si vous le voyez déjà au niveau du numérique, mais on a fait quelques études. Je suis membre du bureau de l'association Women for Cyber qui se penche justement beaucoup sur ces questions. Et on constate que 56% des lycéennes sont intéressées par l'informatique, par le numérique. Et puis seulement 6,5% des élèves ingénieurs après, plus tard en cyber, sont des femmes. Et donc, en tout cas, le secteur de la cybersécurité compte que 17% de femmes. dans notre pays. Donc on a une vraie déperdition au moment de l'orientation. Et je pense que du coup, une vraie formation dès le plus jeune âge permettrait également de sensibiliser les élèves à l'importance de la diversité dans ces secteurs. Je rappelle qu'en tout cas, dans la cybersécurité, on a beaucoup de mal à recruter des talents, quels qu'ils soient, et en particulier des femmes, et que c'est un secteur où la diversité de point de vue est... particulièrement important, notamment pour avoir une approche la plus complémentaire possible face aux cyberattaques, face aux modes de pensée des attaques. Donc en tout cas, parenthèse cyber refermée. Je voudrais du coup continuer sur le côté numérique éducatif. L'émergence de la technologie dans le domaine de l'éducation représente un changement majeur pour l'enseignement. Cette révolution a été accélérée par la crise du Covid en 2020. Je pense que là, tout le monde a été forcé de se mettre sur les écrans. Comment est-ce que cette transformation a impacté votre quotidien en tant que professeure ?

  • Speaker #1

    Alors en fait, le gros changement des dernières années, et comme vous l'avez dit, qui s'est accéléré avec la crise du Covid, c'est l'arrivée des écrans individuels dans les salles de classe. C'est-à-dire que moi, quand j'ai commencé à enseigner il y a sept ans maintenant, chaque classe était équipée d'un ordinateur, d'un poste fixe avec un vidéoprojecteur. Et puis, ce qu'on appelle les ENT, les espaces numériques de travail, étaient déjà tout à fait opérationnels. Et j'étais honnêtement assez émerveillée par la qualité de la modernité de ces salles de classe, la possibilité de projeter du contenu audiovisuel aux élèves très facilement, cette facilité à nouveau de mettre le travail en ligne grâce aux ENT. Mais il y a une petite révolution qui s'est créée après le Covid, avec l'arrivée des tablettes ou des ordinateurs, mais essentiellement des tablettes. pour les élèves. Il y a eu cette question d'angoisse d'assurer la continuité pédagogique si les écoles ferment et qui a précipité la prise de décision des établissements et des collectivités territoriales d'équiper massivement les élèves. Ce que moi je constate de manière concrète, c'est que le fait d'équiper les élèves individuellement, ça a en fait transformé pas mal de choses. C'est-à-dire qu'à partir du moment où chaque élève avait une tablette, les manuels scolaires sont passés au format numérique. C'est-à-dire qu'on a plus aujourd'hui, de moins en moins de manuels scolaires papier, ce qui peut présenter des avantages. On se dit en fait c'est moins lourd à porter, etc. Et puis en fait dans une petite tablette, on a accès à tous les différents manuels. Mais ça veut dire que concrètement, pour avoir accès à tel exercice, à tel texte, nos élèves doivent se connecter en permanence, que ce soit à l'école ou à la maison. Et puis il y a aussi une révolution d'habitude qui s'est faite sur la prise de notes manuscrites. C'est-à-dire que maintenant, quand on veut ajouter un cours, nous, en tant que prof, on peut le faire sur une sorte de cloud, un espace collaboratif, auquel chaque élève a donc accès puisqu'il a sa propre tablette. Donc l'élève a moins besoin d'écrire, de prendre des notes, de noter le cours. Et c'est la même chose pour l'agenda, le cahier texte en ligne. C'est-à-dire que comme on est obligé de noter tout le travail à faire sur ce cahier texte en ligne, ce qui est très pratique, ce qui est un outil évidemment très positif, notamment quand il y a des absents, des élèves qui sont malades, ils peuvent avoir accès. de manière objective à ce qui a été donné. En fait, nos élèves ont perdu l'habitude de prendre des notes. Ils n'ont plus d'agenda, d'ailleurs. Quand on leur dit, vous noterez ceci à faire pour lundi, en fait, ils font autre chose. C'est la fin du cours, ils sont en train de ranger leurs affaires, etc. Ce qui fait que, concrètement, en fait, ils sont déresponsabilisés parce qu'ils se disent que de toute façon, on aura accès à l'information. C'est une sorte de béquille numérique, en fait. À tout moment, ils peuvent avoir accès à l'information, qui sera mieux notée, d'ailleurs, parce qu'elle est notée par le prof. Donc, ils n'ont pas besoin d'écouter, ils n'ont pas besoin de comprendre, et ils n'ont pas besoin de retenir. C'est-à-dire, ils rentrent chez eux, en fait, ils n'ont aucune idée de savoir ce qu'ils vont faire le lendemain, et ils sont ailleurs, en fait. Ils se reconnectent à la maison, à nouveau, et ils découvrent, à ce moment-là, ce qu'il faut faire pour le lendemain. C'est un problème qui touche, alors, les élèves, mais aussi les enseignants. Parce que, pour nous, c'est aussi une solution de facilité. C'est-à-dire que le cours est passé un peu vite, la séance est finie un peu trop vite, ça sonne, on n'a plus le temps, on se dit bon, je vous mettrai les devoirs sur l'ENT, sur le cahier de texte en ligne Et je sais aussi, par les retours que j'ai de parents d'élèves, qu'il y a des enseignants peut-être un peu peu scrupuleux qui rajoutent des combliés, qui rajoutent des devoirs au dernier moment, tard le soir, pour le lendemain. Enfin, il y a une sorte de dérive de pratiques qui ne sont absolument pas cadrées. Donc ce que je dirais, c'est que l'arrivée de ces écrans individuels a modifié vraiment les pratiques puisqu'on a... pas eu de cadre, pas eu de régulation des usages. On s'est intéressé à l'outil sans s'intéresser aux usagers, aux enseignants et aux élèves. Et en fait, à nouveau, c'est un outil qui n'est pas neutre, l'outil numérique. Donc ça pose des problèmes concrets dans la question des apprentissages, de l'éducation, qui est notre rôle en tant qu'enseignant, pour les élèves, les rendre autonomes et responsables.

  • Speaker #0

    Donc là, vous dites que dès la sixième, dans certains établissements, il y a des élèves qui ne prennent pas de notes pour leur...

  • Speaker #1

    Oui, alors parfois même dans certaines écoles primaires, puisque c'est les collectivités territoriales qui financent les équipements numériques. Donc certaines communes équipent les écoles primaires de tablettes. Mais de plus en plus, en effet, au collège, dès la sixième, les élèves sont équipés de tablettes et perdent cette habitude, s'ils n'ont jamais pris, de prendre des notes. Alors c'est compliqué parce qu'en fait, ça dépend de chaque enseignant, ça dépend de chaque équipe. école, chaque région, on a du mal à avoir une vision très homogène de ce qui se passe dans les écoles en France. Mais moi, en tant que témoignage, et ce que je peux vous dire de notre collectif, et puis des très nombreux témoignages qu'on recueille de la part des parents d'élèves, qui nous remercient d'exister parce que je pense qu'il y a une vraie détresse de la part des parents sur ce sujet, c'est qu'en effet, dans la réalité, il y a une perte de la prise de notes manuscrites et de cet effet de responsabilisation des enfants qui sont en permanence connectés.

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un sujet que vous avez pris tout de suite à bras-le-corps quand vous êtes arrivée ? Ou est-ce qu'il y a certains éléments progressivement qui vous ont alerté sur ce sujet ? Vous avez été témoin de la transition numérique à l'école ces dernières années, donc vous avez dû voir des effets positifs et des effets négatifs. Comment ça s'est fait en fait ?

  • Speaker #1

    Oui, alors comme je vous disais, moi d'abord, l'outil pour le professeur, je trouve qu'il est très bon. Je trouve, moi ça m'arrive en tant que prof de français de projeter des petits morceaux de pièces de théâtre à mes élèves, etc. Quand les écrans individuels sont arrivés, c'est là où les choses ont changé. Moi, j'ai essayé de m'y mettre, c'était en effet au moment du Covid. Et j'ai vu des potentialités assez incroyables, parce que la promesse du numérique, elle est géniale. Ce qui m'intéressait, c'était de me dire, par certaines applications, je peux avoir accès au cahier virtuel de mes élèves. J'ai une trentaine d'élèves dans chaque classe. Et en fait, ils ont plus besoin de rendre leur copie, mais je peux, en cliquant sur une fenêtre de ma tablette, avoir accès à leur travail, je peux les corriger, etc. Sauf qu'en fait, je n'ai pas le temps de les corriger en permanence, en temps réel. Donc l'impression que j'ai, c'est qu'en fait, pour pouvoir vraiment exploiter les potentialités de cet outil, ce qu'il faudrait, c'est une intelligence artificielle qui me fasse corriger à ma place les élèves, etc. mais ce qui me semble extrêmement dangereux du point de vue de l'humain, de la manière dont ça a été prouvé que dans la pédagogie, l'importance du contact humain, de l'interaction entre le professeur et l'élève est fondamentale. Et donc, il m'a semblé... Alors déjà, ça ne marchait pas très bien. J'avais toujours un élève qui avait un problème de connexion. On confond aussi, je trouve, nous, adultes, la maîtrise du numérique qu'on connaît dans les milieux professionnels, où les moyens sont importants. où on est formé, où notre objectif c'est d'être efficace, et puis la logique de l'élève, qui en effet oublie son chargeur, oublie son code, et pas toujours d'une très bonne volonté pour que ça fonctionne bien. Donc en fait, on complique la mise au travail en utilisant des intermédiaires techniques avec le numérique. Moi, ce qui m'a frappée, c'est le manque de concertation de cette transformation numérique. On nous a imposé l'outil sans demander notre avis à nous enseignants qui sommes en premier contact avec les élèves. Et puis quand on est réfractaire, souvent l'idée c'est que si on ne l'utilise pas, c'est qu'on ne sait pas s'en servir. Donc souvent la réponse c'est de dire on va former les enseignants sans s'intéresser à la raison pourquoi on ne l'utilise pas.

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il n'y a pas eu de réflexion finalement sur l'intérêt d'équiper ?

  • Speaker #1

    Alors il y a sûrement eu des réflexions, mais il y a eu un manque de concertation au niveau des établissements. Et c'est un outil qui nous a été imposé avec, comme je vous disais, cette question des manuels numériques qui vient contraindre notre liberté pédagogique parce que d'ailleurs, il n'y a plus de manuel en papier, on est obligé d'utiliser la tablette avec nos élèves. Et ça sans prise en compte vraiment notre expérience. C'est le rôle de notre collectif, c'est de mettre en avant nos témoignages, notre expérience de terrain pour montrer comment ça se passe vraiment dans les salles de classe avec nos élèves et quels sont les plus-values réelles du numérique pour l'éducation. Oui,

  • Speaker #0

    il y a certains arguments, certaines personnes qui vont arguer que finalement tous ces outils, ces tablettes numériques, etc., elles vont constituer un moyen de lutter contre les inégalités et la précarité numérique. auxquelles de nombreux élèves sont confrontés. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

  • Speaker #1

    Alors, moi je pense, et c'est l'avis qu'on partage dans notre collectif Éducation numérique raisonnée, c'est qu'en fait, l'intrusion du numérique à l'école, au contraire, renforce les inégalités sociales. Nous, ce qu'on voit, c'est une très forte différence entre les parents de milieux plus favorisés qui ont conscience des enjeux, des potentiels risques du numérique sur les enfants. qui vont acheter les manuels scolaires, ils vont acheter une version en double, ils nous le disent en rendez-vous les parents. On a acheté le manuel parce qu'on n'en pouvait plus qu'ils soient en permanence connectés. Donc il y a ces enfants-là qui vont avoir accès aux papiers contrairement aux autres et puis qui vont contrôler le temps d'écran avec cette question, ce côté extrêmement complexe de comment réguler le temps d'écran, comment vérifier que votre enfant qui est sur sa tablette, il fait vraiment son exercice de maths et il n'est pas en train de regarder une vidéo ou en train de jouer en ligne. on sait que les parents qui sont plus présents, ils vont plus faire attention et plus cadrer ça. Les parents qui travaillent ou qui sont pas là ou qui n'ont pas conscience des enjeux, ça leur échappe en fait. De la même manière que le numérique récréatif, on sait que la place que prennent les écrans, elle est un petit peu limitée dans les malieux favorisés où les enfants sont inscrits à des cours de musique, sont inscrits dans des clubs sportifs, etc. Et donc cette emprise du numérique, Il nous semble qu'elle renforce au contraire les inégalités sociales. De la même manière, un bon élève, ça ne posera pas de problème pour lui. Le bon élève qui est hyper motivé en classe, il sort bien, on lui demande d'ouvrir sa tablette, de faire l'exercice, il le fait. Le problème, c'est l'élève qui est moins motivé, qui est moins bon, qui va en profiter pour faire autre chose et on aura du mal à voir qu'il fait autre chose. Et ça, à nouveau, pour nous, c'est un facteur d'inégalité. C'est-à-dire qu'on en perd en fait. Et ceux qu'on perd, c'est ceux qui auraient besoin d'être encore plus accompagnés.

  • Speaker #0

    Je comprends. Et puis si on en croit la stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027, l'investissement dans ces mesures vise à renforcer les compétences numériques et à préparer les élèves au métier d'avenir du 21e siècle. En tout cas, c'était l'objectif de base. Et donc, en limitant ou en supprimant l'accès aux nouvelles technologies à l'école, est-ce que vous ne craignez pas de créer un fossé entre les élèves qui vont y avoir accès à la maison ? et donc qui vont pouvoir s'y former, et ceux qui ont des difficultés vont se retrouver avec moins d'opportures.

  • Speaker #1

    Alors, c'est une très bonne question. Et en fait, notre point de vue, il est plus nuancé que ça. C'est-à-dire qu'on ne veut pas supprimer l'accès aux nouvelles technologies à l'école. On plaide pour le droit à la déconnexion. C'est-à-dire qu'on veut qu'à la maison, les élèves n'aient pas besoin de se connecter pour faire leurs devoirs. Et pour aussi simplifier la mission d'éducation parentale, de dire en fait, quand votre enfant travaille, il est pour l'école, le téléphone et la tablette sont éteints, dans une autre pièce, il est... pleinement concentré, il faut qu'il y ait des bouquins, il faut qu'il y ait de quoi écrire et on sait qu'ils travaillent pour l'école. Notre point de vue, il est de garantir la liberté pédagogique de nos collègues, des enseignants. Et on considère, alors moi, à titre personnel, j'avoue, je suis très peu convaincue de la plus-value du numérique éducatif. D'ailleurs, les études ne prouvent pas de vrais bénéfices. Mais je conçois tout à fait que j'ai des collègues qui puissent faire des séquences pédagogiques très pertinentes en utilisant, pourquoi pas, la tablette. un exercice dans un but précis, de manière ponctuelle, en classe. Donc ça, c'est nous, quelque chose qu'on considère qui doit pouvoir être maintenu à la liberté des professeurs, simplement de faire la différence entre ce qui se passe à l'école, sous le contrôle de l'enseignant, et ce qui se passe à la maison, qui doit être libre et déconnecté. À nouveau, notre idée, ce n'est pas de supprimer, mais de cadrer, de réguler l'usage.

  • Speaker #0

    et de revenir sur cette politique, cette stratégie que vous l'avez citée, cette stratégie numérique de l'éducation que je connais bien et qui, à mon avis, fait l'erreur de se centrer sur l'outil et non pas sur les usagers. Parce qu'elle va dans le sens des équipements individuels des élèves sans du tout réfléchir aux impacts sur les enseignants, sur les élèves eux-mêmes, alors qu'évidemment, c'est une question qui est fondamentale.

  • Speaker #1

    Vous parlez de cette stratégie qui fait l'erreur de se centrer sur l'outil. Il y a d'autres pays qui ont fait cette stratégie, qui ont choisi cette voie il y a quelques temps et qui en reviennent. Je pense à la Suède qui a été pionnière pour le numérique à l'école et qui actuellement fait marche arrière en jugeant les écrans responsables de la baisse du niveau des élèves. Donc, suivant l'avis des médecins, le pays souhaite réduire le temps passé devant les écrans et revenir aux manuels scolaires imprimés. Est-ce que vous jugez, vous l'avez déjà dit, mais que les écrans sont vraiment en grande partie responsables de la baisse de niveau des élèves ? Est-ce que ce n'est pas aussi dû à un désintérêt général ou un problème de pédagogie plus profond ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est complexe comme question et je ne suis pas légitime pour y répondre entièrement. Ce que je peux dire, c'est qu'à mon avis, c'est probablement pas le seul responsable, il y a beaucoup d'éléments à prendre en compte, mais c'est un... Comment dire ? C'est ce qui a fondamentalement modifié l'enfance et l'adolescence de nos élèves. Les élèves que j'ai dans ma classe, ils n'ont pas la même enfance que celle que nous, adultes, on a eue. Et c'est un problème qui est plus large que celui des écrans à l'école, et c'est là où, pour nous, notre collectif, bien qu'enseignant, on s'intéresse aussi au numérique récréatif, pas seulement au numérique éducatif, parce qu'on considère que les élèves que vous, parents, vous nous confiez. C'est la matière brute qu'on doit modeler, qu'on doit former, à qui on doit donner un esprit critique, qu'on doit enseigner certaines choses, etc. Mais en fait, la matière brute, elle est un peu pourrie quand elle a été complètement, comment dire, absorbée par les écrans, quand finalement la capacité d'attention est en baisse, quand elle a un certain mal-être, parce qu'on voit les chiffres de la santé mentale sont effrayants sur les jeunes d'aujourd'hui. Et on a prouvé les liens avec les réseaux sociaux, la responsabilité des réseaux sociaux. Donc notre idée, en fait, c'est de dire que pour régler un problème qui est certain, on ne va pas l'accentuer. C'est-à-dire qu'il y a un problème qui est de temps d'écran trop important, qui est à nouveau une question de temps volé à d'autres activités dont ont besoin nos élèves pour se développer, pour s'épanouir. Ne rajoutons pas du problème en leur rajoutant du temps d'écran à l'école. Et pour moi, l'un des chiffres les plus symptomatiques, c'est la lecture. Quand on voit que c'est la dernière enquête du Centre national du livre qui est parue récemment, 19 minutes par jour pour les jeunes de temps de lecture d'un livre imprimé, contre 3h11 d'écran. Et alors ce chiffre est encore plus, comment dire, prenant quand on regarde la tranche des 16-19 ans, 12 minutes par jour versus 5h10. Et je ne parle pas du temps consacré à l'école, de la lecture pour l'école ou du temps d'écran pour l'école. Donc on a un problème qui est massif et dont on doit s'emparer. Et à nouveau, sans être alarmiste, je pense qu'on a un scandale sanitaire en cours pour lequel nos dirigeants devront rendre des comptes, l'éducation nationale aussi. Et grâce aux travaux récents... qui ont été mis à jour notamment par la commission d'experts, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Donc maintenant, il y a une prise de conscience collective et l'école doit évidemment s'emparer du problème parce que c'est une question d'éducation.

  • Speaker #1

    J'irais même plus loin, il y a l'IA dont on n'a pas encore parlé, mais vous êtes professeur de lettres, donc vous donnez des dissertations à faire à vos élèves. Aujourd'hui, en fait, ils ont accès à énormément d'outils, je pense à Tchad GPT, mais il y en a plein d'autres. ne serait-ce qu'une recherche Google, en fait, pour pouvoir trouver des idées. Comment est-ce que vous pouvez nous parler de l'émergence de l'IA dans la vie de vos élèves ?

  • Speaker #0

    Oui, alors c'est un problème qui n'est pas nouveau. C'est-à-dire que moi, ça fait longtemps que je ne donne plus de travail, de réflexion, d'écriture à faire à la maison, parce que je sais que toutes les idées vont être prises sur Internet. Mais c'est un point, en fait, c'est un point que maintenant, quand je dis on va faire un... par exemple, un début d'année. On va faire une introduction sur tel sujet, mais je ne donne pas à l'avance le sujet, je donne juste la thématique. On va le faire en classe. J'ai trois ou quatre élèves qui m'ont écrit en classe exactement la même introduction. Je me suis dit, ce n'est pas possible, ils ont triché, ils ont été regardés sur Internet, etc. On a pris les choses au sérieux, on les a interrogés, etc. Je suis convaincue que ces élèves... que j'aime beaucoup d'ailleurs, n'ont pas triché. En fait, ils ont appris par cœur la veille ce qu'ils ont été pomper sur Internet sur un sujet très vague, mais qui n'avait pas vraiment de rapport avec la question, puisque je n'avais pas donné la question précise de dissertation. Donc en fait, nos élèves sont tellement peu sûrs d'eux, ils sont tellement convaincus qu'ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, que là, ils préféraient apprendre par cœur au cas où ce serait à peu près en lien avec le sujet, plutôt que se dire, allez, je me mets en danger et je vais essayer de trouver par moi-même une introduction. Donc je pense que ce problème de manque de confiance en soi et d'incapacité à réfléchir par soi-même, on l'a depuis longtemps dès lors qu'on a internet et que nos élèves, à la maison, vont aller chercher sur internet toute l'information. Là où il est un peu plus pervers avec l'intelligence artificielle, c'est qu'autant on peut... En deux secondes, je découvre ce que l'élève a pioché sur internet, c'est très facile de le confronter. Avec les outils comme ChatGPT, c'est plus complexe. Et moi, j'ai fait l'effort d'ailleurs de demander des exposés. Fais-moi la manière d'un élève de première, un exposé sur tel sujet. Honnêtement, ils sont très bons. Ils arrivent à imiter le style un peu maladroit des élèves. Donc, ce qui est compliqué, c'est qu'on leur donne des outils à nouveau qui les empêchent de penser par eux-mêmes. Et pour moi, le problème de l'intelligence artificielle et ce que je découvre à l'éducation, éducation nationale, dans ce que j'observe, c'est le même enthousiasme qui manque de recul critique qu'on a eu avec le numérique, de se dire en fait, ça va apporter des choses extraordinaires, alors que j'attendrais une sorte de méfiance, d'un principe de précaution. Ce que je trouve inquiétant avec l'intelligence artificielle, c'est que je vois pour nous, adultes, dans la vie professionnelle, que c'est une chance énorme de pouvoir être plus performant, d'aller plus vite, de ne pas faire les tâches ennuyeuses. Mais l'objectif d'un professionnel n'est pas du tout le même que celui d'un élève, qui doit apprendre justement en se trompant. La performance n'a aucun intérêt, en fait. Elle devrait n'avoir aucun intérêt dans le cursus scolaire. Ce que j'attends de voir d'un élève qui fait une dissertation, c'est la manière dont il a été lire l'œuvre, essayer de la comprendre, il a réfléchi à analyser le sujet. par lui-même, il s'est trompé, il a fait un hors-sujet. C'est tout ça qui m'intéresse. Je pense que je n'ai jamais encadré une dissertation bien réussie, ça n'intéresse personne, en fait, le résultat. C'est vraiment le cheminement qui est intéressant. Or, l'intelligence artificielle, elle vous donne la promesse de faire quelque chose de très très bien, très rapidement, sans vous ennuyer à lire l'œuvre, parce que maintenant, c'est ça. La suite, c'est que l'intelligence artificielle propose de dialoguer avec l'œuvre, donc de proposer des citations toutes faites qu'on a juste à aller vérifier. Mais on marche sur la tête, parce que tout l'intérêt de... de ce qu'on veut transmettre à nos élèves, c'est justement le goût de la lecture et cette capacité à réfléchir par soi-même avec le sens de l'effort qui est aussi, ça fait un peu ringard de dire ça, mais c'est fondamental en fait. Si à l'école on n'apprend pas ce sens de l'effort avec le plaisir de réussir après s'être trompé, en fait, que deviendront les adultes de demain qui se retrouveront ensuite en entreprise, qui seront nos médecins, qui auront des postes à responsabilité plus tard ?

  • Speaker #1

    Qui ne sauront pas réfléchir par eux-mêmes, effectivement. C'est mieux le... Votre propos de dire que c'est un véritable scandale sanitaire pour cette génération, c'est une génération sacrifiée. Il est urgent d'agir et de poser un cadre pour ces jeunes, peut-être par le gouvernement ou peut-être directement auprès des écoles.

  • Speaker #0

    Exactement, c'est notre rôle, c'est la raison pour laquelle on est mobilisés. On espère convaincre à la fois les pouvoirs publics. et de manière plus fine sur le plan local, les écoles. Et je m'adresse aussi à nouveau aux parents d'élèves. C'est avec eux qu'on va pouvoir faire changer les choses en appelant au respect de ce droit à la déconnexion et à un cadre plus clair sur le numérique.

  • Speaker #1

    J'aimerais élargir un peu aux écrans de smartphone. Vous parliez du numérique récréatif. J'aimerais parler du rapport de la commission Écran qui est sorti il y a quelques semaines. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce qu'il y a dit ?

  • Speaker #0

    Oui, alors d'abord c'est une dizaine d'experts qui se sont réunis de différents milieux pour faire un état des lieux du rapport des jeunes aux écrans, des enfants et des adolescents, et proposer des pistes pour améliorer les choses. La première chose, c'est les mots très forts qui ont été prononcés dans ce rapport. On parle de danger pour l'humanité, presque un enjeu civilisationnel. Ce qui est intéressant, c'est qu'ici, on a énormément d'enquêtes scientifiques qui ont été compilées. On peut dire qu'on a un vrai consensus scientifique maintenant sur les effets des écrans, enfin des écrans, ça ne veut rien dire, mais l'usage numérique chez les jeunes. Autre chose intéressante, c'est la responsabilité des réseaux sociaux qui a été pointée aussi de manière très ferme. On a parlé de marchandisation des enfants. C'est très fort en fait. Donc je dirais que je ségrerais à ces experts d'avoir rendu collective cette prise de conscience. Dans la mesure où maintenant, on a la matière pour agir. Alors dans les propositions concrètes... beaucoup, beaucoup de choses, mais je dirais peut-être le plus... Ce qui ressort, c'est la question progressive de l'accès aux smartphones par âge. Donc, il est suggéré d'attendre 13 ans pour donner accès à un téléphone connecté aux enfants, mais d'attendre 15 ans pour leur donner accès à un réseau social éthique. J'avoue que je ne connaissais pas le concept, j'ai découvert. C'est quoi un réseau social éthique ? C'est certains réseaux sociaux qui sont plus respectueux des enfants, enfin de la... données personnelles, etc. Et la commission recommande d'attendre 18 ans pour avoir accès aux réseaux sociaux qu'on connaît. Peut-être une petite critique, c'est le manque de lisibilité de ces recommandations. Pour nous, il nous semble qu'il faut être clair et interdire le smartphone, parce qu'on sait qu'avec le smartphone, il y a les réseaux sociaux, il y a tout l'accès à Internet, avant 15 ans, avant le lycée. Et c'est un mouvement qui commence à être européen. On a des pays voisins. en Angleterre, en Espagne, en Italie, qui commencent à réclamer, souvent c'est des initiatives des parents, pour protéger les enfants, d'attendre et de légiférer pour reculer l'âge de l'acquisition du premier smartphone.

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a effectivement besoin que les gouvernements se saisissent de ce sujet parce que les parents seuls, comme vous le disiez tout à l'heure, sont un peu démunis face à ça. C'est un des... Premier sujet de Discord à la maison. Il y a un vrai sujet de pression sociale sur les parents. Forcément, on a parlé que son enfant soit exclu quand tous les autres enfants de la classe ont un téléphone et accès à des réseaux sociaux. C'est difficile de tout faire porter aux parents. Est-ce que vous pensez, du coup, qu'il y a des mesures législatives et des engagements des académies qui vont voir le jour dans les prochains mois ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est ce qu'on espère, parce que c'est un problème pour lequel la solution ne peut être que collective. Comme vous disiez, c'est impossible pour les familles de gérer cette pression sociale. Le problème du smartphone, c'est que c'est à la fois un outil qui rapproche et un outil qui éloigne. Smartphone, il y a le téléphone, qui rassure aussi les parents dans le lien qu'on peut avoir avec ses enfants quand ils partent seuls à l'école, de se dire qu'on peut les joindre à tout moment. Et puis, il y a l'accès à Internet. avec les réseaux sociaux, qui les met en danger, qui est sans limite en fait, et qui est une sorte d'emprise addictive pour les enfants. Ce que je peux vous dire, c'est que les différents rendez-vous qu'on a eu avec des cabinets ministériels, on a eu en face de nous des conseillers qui nous soutenaient beaucoup et qui étaient prêts à aller dans le sens d'une interdiction. J'en n'entends pas beaucoup parler dans les médias. Donc je pense qu'il faut un énorme courage politique et une forte ambition pour la jeunesse, pour prendre ce sujet et le porter pour en faire une proposition de loi. Mais à mon sens, c'est absolument nécessaire. De la même manière qu'on a interdit le tabac et l'alcool avant 18 ans, on a besoin de protéger nos enfants. Ils n'ont pas besoin d'avoir un smartphone avant 15 ans, avant le lycée, d'avoir un accès à Internet. Il faut les reconnecter au réel. Et c'est aussi une des missions de notre collectif, l'éducation numérique raisonnée, c'est de reconnecter les enfants au réel.

  • Speaker #1

    Vous parlez également du... Pacte Smartphone, est-ce que vous pourriez nous en dire plus ?

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est une initiative que je trouve très intéressante, qui a été initiée par des parents d'élèves, à l'instar de ce qui se fait en Angleterre et en Italie je crois. Avant justement d'avoir une loi qui permette de protéger les familles, des parents se sont réunis, se sont mobilisés pour s'engager de manière collective à retarder l'acquisition du premier smartphone. L'idée, c'est justement de lutter contre cette pression sociale, que quand votre enfant vous dit mais en fait, tout le monde dans ma classe a un smartphone ce qui souvent d'ailleurs n'est pas tout à fait vrai, mais de se dire non, en fait, je ne veux pas que tu sois exclu, je ne veux pas que tu sois le seul c'est de se dire en fait, on est plusieurs au sein de ton établissement, plusieurs parents à s'engager à attendre le lycée pour t'équiper d'un smartphone Donc c'est un site internet, c'est très simple, moi je l'ai fait pour mes enfants. Vous rentrez l'adresse de votre école. et puis vous engagez, vous notez les dates de naissance de vos enfants, vous cliquez pour vous engager à attendre le lycée pour les équiper, et puis ensuite vous avez une carte interactive, où vous pouvez voir en France tous les différents pactes smartphone qui ont émergé, et le nombre de signataires qu'il y a à chaque fois. Donc c'est tout début de l'initiative pour l'instant, mais il y en a déjà un peu partout. Mais évidemment j'en parle et j'en fais la promotion, parce que plus seront nombreux les parents à signer et à s'engager, plus ce sera facile en fait. Si dans une classe, vous avez une majorité d'enfants qui n'ont pas de smartphone, c'est beaucoup plus facile de résister et de créer cette atmosphère. On parlait de reconnecter au réel, de proposer des alternatives, de faire en sorte que les enfants sortent, aillent jouer au foot, aillent au cinéma, se retrouvent entre eux et fassent des activités sans écran, déconnectées.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est engageant pour les écoles qui voient ces initiatives-là et qui vont se dire qu'on va aussi mettre en place des actions pour limiter les smartphones ? prendre tous les téléphones à l'arrivée à l'école à 8h30 et les restituer à

  • Speaker #0

    16h30. Alors c'est un autre sujet qui est important et qui est complexe, parce qu'en fait ça demande une mise en place, techniquement d'avoir des casiers, il y a aussi une question de responsabilité juridique, quand l'enfant donne son smartphone, dans quel état il le retrouve, qui est responsable entre temps, etc. Donc pour nous, la solution au problème, c'est vraiment qu'au collège il n'y ait pas de smartphone, que l'enfant ne vienne pas à l'école avec un smartphone. Et il y a des solutions alternatives, parce qu'on comprend le besoin des parents d'être en lien avec les enfants. On peut leur donner encore des téléphones. Il y a un tout nouveau téléphone avec écran tactile qui ressemble à un smartphone, mais sans accès à Internet, qui est en train de sortir, qui va être proposé en septembre. Ça s'appelle The Phone. Je suis en contact avec sa fondatrice, qui a un projet vraiment très intéressant de protection des enfants, de donner le meilleur aux enfants. la possibilité d'appeler, mais sans cette emprise, sans cette infinie possibilité d'Internet qui leur fait plus de mal que de bien.

  • Speaker #1

    Très bien, écoutez, je vous remercie beaucoup Agnès. On a encore beaucoup de choses à faire pour poser un cadre à l'éducation du numérique. Si chaque parent s'engage via ses pactes smartphone, et si le gouvernement et les écoles s'engagent à leur niveau, il sera possible de protéger nos enfants de l'usage déraisonné du numérique et donc de les aider à grandir. à penser et à construire leur propre raisonnement en toute indépendance. Merci beaucoup pour cet échange.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'avoir interviewée, de m'avoir donné la parole.

  • Speaker #1

    Je partage absolument vos positions pour une éducation numérique raisonnée. Merci à tous qui nous écoutez. J'espère que cet épisode vous a plu. Retrouvez les clips vidéo de cet épisode sur mon LinkedIn, Anne-Laure Delarivière. N'hésitez pas à nous suivre sur toutes les plateformes d'écoute et à nous laisser 5 étoiles sur Apple Podcast. À très vite dans l'œil de la cyber !

Description

Quoi de mieux comme épisode de rentrée qu'un thème sur le numérique à l'école ?


Le numérique s'y est imposé ces dernières années : 9 enseignants sur 10 reconnaissent aujourd'hui les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leurs cours dans le premier degré. Mais derrière cette apparente révolution éducative, se cache une question fondamentale : à quel point cette digitalisation rapide sert-elle vraiment nos enfants ? 

  

Découvrez mon échange passionnant avec Agnès Fabre, professeure au collège et lycée et cofondatrice du collectif pour une Éducation Numérique Raisonnée, pour explorer ces enjeux complexes.  

  • Comment le tout numérique modifie-t-il les habitudes d'apprentissage des élèves ?  

  • Que perdons-nous en abandonnant les manuels papier et les devoirs écrits ? Faut-il ralentir, voire revenir en arrière, à l’instar de la Suède ? 

  • Sommes-nous en train de sacrifier une génération sur l'autel du progrès technologique ? 

  

En France, le collectif “Education numérique raisonnée” reproche à l’Education nationale de voir le numérique comme un moyen d'enseignement et non comme une matière à part entière. Agnès milite pour un usage raisonné du numérique à l'école, où le plaisir de lire, de réfléchir, et d'apprendre reste au cœur de l'éducation. Ensemble, nous discuterons des solutions possibles pour trouver un équilibre entre former nos enfants aux compétences numériques indispensables et éviter qu'ils ne soient submergés par les écrans. 

  

Quel avenir pour nos enfants dans cette école hyperconnectée ? Rejoignez-nous pour une conversation essentielle et des réponses à toutes ces questions. 

 

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🙏Un immense merci à tous ceux qui ont déjà laissé un avis ou 5 étoiles sur Apple Podcast ! Vos retours sont précieux !


💬 Si le podcast vous plaît ou si vous souhaitez simplement me faire un feedback, n'hésitez pas à me laisser un avis, je serai ravie de vous lire et de vous répondre !


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🎙️"Dans l'œil de la cyber" est un podcast qui donne la parole aux acteurs majeurs du numérique pour décoder les grands sujets et tendances de ce secteur et de la cyber en particulier.


👩Je suis Anne-Laure de La Rivière, Directrice de la communication et des affaires publiques de Gatewatcher, une PME française spécialisée en détection des cyberattaques.


Bonne écoute ! 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans l'œil de la cyber, le podcast qui donne la parole aux acteurs du numérique. Je suis Anne-Laure de Larivière, directrice de la communication chez Gatewatcher, et je reçois Agnès Fabre, professeure certifiée de lettres classiques et cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Aujourd'hui, nous allons parler des enjeux du numérique dans le milieu scolaire. Neuf enseignants sur dix reconnaissent les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leur cours dans le premier degré. Et quelles sont les deux sources d'un tel changement éducatif ? Comment la France prépare-t-elle cette transition numérique ? Et sommes-nous à la hauteur de ce challenge ? Retrouvez tous nos podcasts sur www.gatewatcher.com, catégorie podcast. Si vous aimez ce qu'on fait, pensez à vous abonner au podcast dans l'œil de la cible pour ne pas rater la sortie du prochain épisode. Bonne écoute ! Agnès Fabre, bonjour !

  • Speaker #1

    Bonjour !

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation. Alors une fois n'est pas coutume, j'ai choisi d'aborder un sujet qui n'est pas directement lié à la cybersécurité. Il s'agit d'une grande actualité du numérique, c'est l'éducation numérique pour nos jeunes. Alors avant d'aborder la première question, j'aimerais revenir sur votre parcours. Agnès, vous êtes ancienne élève d'Hippo Cagnes et Cagnes au lycée Louis-le-Grand. Vous êtes également diplômée de l'ESSEC avec un MBA programme grande école. Vous avez commencé votre carrière dans le marketing opérationnel chez Air France. avant de devenir Product Manager chez Thalys. Et puis ensuite, vous avez décidé de vous reconvertir et de suivre votre passion pour l'enseignement en devenant professeur de français et de latin au collège et au lycée. C'est bien ça ?

  • Speaker #1

    C'est ça.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous a conduit à faire cette reconversion ?

  • Speaker #1

    Alors, j'aimais beaucoup ce que je faisais en entreprise, mais j'ai eu besoin de trouver encore plus de sens. Et le métier de l'enseignement était pour moi ce qui donnait le plus de sens, en fait, quand il s'agit de laisser mes enfants, quand j'ai eu ma deuxième fille. J'avais besoin de reconnecter avec mon parcours littéraire, de me remettre à la lecture et de réapprendre certaines choses qui me manquaient en entreprise. Et j'ai trouvé dans la transmission des savoirs ce contact humain qui me manquait et qui m'épanouit pleinement aujourd'hui. Le grand écart est important et pourtant je retrouve certains éléments qui sont communs, notamment une certaine... sens du marketing quand il s'agit de faire de la pédagogie, de rendre accessible aux élèves des notions qui peuvent être compliquées. Et puis la dimension analytique aussi, quand je lis des copies, de comprendre en fait quel est le mode de raisonnement des élèves, quelles sont leurs erreurs, comment les guider. J'ai l'impression de retrouver certains éléments d'un travail un peu analytique que je faisais déjà en entreprise finalement.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. Alors vous êtes également cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Donc votre objectif c'est d'alerter et de sensibiliser sur l'utilisation des outils numériques à l'école pour les élèves et donc d'en promouvoir un usage raisonné. Vous avez à la fois fait un appel et une lettre, est-ce que vous pourriez détailler les objectifs apportés par ce collectif ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà peut-être d'abord un petit mot sur le collectif, on est une vingtaine d'enseignants et de personnels de direction. Je pense que notre initiative est très novatrice, on s'est créé en janvier, il y a quelques mois seulement. Et on a réussi à mobiliser à la fois des enseignants du public et du privé, des personnels de direction et des enseignants. C'est assez nouveau d'avoir un groupe comme ça mobilisé sur une question qui dépasse nos simples revendications de métier, mais qui concerne vraiment le bien de nos élèves. Ce qui nous réunit, c'est le constat qu'on fait de l'emprise du numérique sur nos élèves, essentiellement récréatif d'ailleurs, la manière dont nos élèves sont accaparés par leurs écrans, au détriment de nombreuses autres activités. épanouissante et nécessaire pour leur développement. On est un peu partout en France et ce qui est intéressant, c'est que malgré la diversité des horizons, des milieux professionnels qui sont nés les nôtres, le constat est le même. Et donc notre appel, il porte à la fois sur ce qu'on appelle le numérique récréatif, c'est-à-dire le divertissement des enfants et des adolescents sur les écrans, et puis le numérique éducatif, la manière dont on utilise le numérique pour apprendre. Il y a cinq points. Les deux premiers concernent le numérique récréatif. D'abord, on demande une forte campagne de prévention qui aujourd'hui est inexistante pour instaurer un cadre dans les usages du numérique à la maison. On attend une démarche co-éducative avec les parents.

  • Speaker #0

    On entend souvent chez les médecins ou même quelques campagnes qui disent pas d'écran avant trois ans

  • Speaker #1

    Alors on le voit, mais c'est encore assez timide et souvent c'est cantonné aux âges, alors qu'il nous semble qu'il faudrait en fait un vrai cadre, une vraie hygiène de vie, un peu comme la routine des cinq fruits et légumes par jour qui est vraiment rentrée maintenant dans les mentalités, de dire en fait il ne faut pas d'écran dans la chambre à coucher, il ne faut pas de dessin animé avant d'aller à l'école le matin. On a des collègues du premier degré qui nous disent, ils voient en fait les enfants qui ont vu un dessin animé avant de venir à l'école par rapport aux autres, parce que l'effet sur la concentration est énorme. pas d'écran à table parce que c'est un moment où les interactions sociales, langagières sont extrêmement importantes au sein de la famille. Enfin toute une série de règles qu'il faut communiquer aux parents qui souvent sont démunis et nous ce qu'on constate c'est que les parents viennent nous voir et souvent ne savent pas et quand ils savent ils considèrent qu'ils n'ont pas la légitimité où il y a une sorte de crise d'autorité parentale pour lutter contre ce phénomène tentaculaire des écrans qui est le premier source de conflit dans les familles aujourd'hui. Donc c'est une première La première étape, ce serait la prévention, mais aussi de proposer des alternatives. Et notre appel, il demande aussi de réfléchir à une vraie politique ambitieuse pour la jeunesse, de proposer des alternatives, des divertissements sans écran, de promouvoir la lecture, mais aussi le sport, l'accès à la culture. Enfin, comment remplacer ce temps libre qui aujourd'hui est complètement accaparé par les jeux vidéo, par les smartphones, etc. Et le deuxième volet qui concerne plus le numérique éducatif. C'est d'abord le droit à la déconnexion qu'on réclame pour nos élèves, c'est-à-dire qu'on demande à ce qu'ils puissent travailler à la maison sans écran. Ça ne veut pas dire qu'on veut supprimer complètement les écrans, on considère qu'il peut y avoir un intérêt pédagogique en classe, mais qu'à la maison, on doit sacraliser un temps de concentration sans écran, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui, on en parlera probablement tout à l'heure. Et le dernier point, c'est de faire du numérique un vrai objet d'enseignement, en fait une matière de... un enseignement à part entière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où on a confondu le numérique comme moyen d'enseignement pour d'autres matières plus traditionnelles, alors qu'on considère que c'est des sciences et des enjeux qui doivent s'apprendre à l'école.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous avez un objectif de nombre de signatures pour cet appel, et un objectif de résultat concret ?

  • Speaker #1

    L'appel, en effet, on l'a lancé sur notre site internet, et d'ailleurs j'invite vos auditeurs à le signer. Ce n'est pas une pétition, c'est un vrai projet éducatif, il est assez complexe.

  • Speaker #0

    J'en profite, est-ce que vous pouvez nous rappeler ?

  • Speaker #1

    Éducation-numérique-raisonner.com C'est un prétexte pour nous de mobiliser la société civile. Aujourd'hui, on a un peu plus de 4000 signatures en quelques mois, dont un quart qui vient de la communauté éducative. On a à peu près plus de 1000 signataires d'enseignants ou autres. On sait qu'il y a des pétitions qui font beaucoup plus. Mais à nouveau, comme je vous le disais, c'est un prétexte pour mobiliser la société civile. Et notre objectif concret, c'est de mobiliser aussi les pouvoirs publics. Donc on a fait tout un travail de lobbying. On a rencontré les conseillers des différents cabinets ministériels, du président de la République. On a été auditionnés au Sénat. Et on essaie d'interpeller les pouvoirs publics pour se saisir de la question qui représente, selon nous, une urgence vraiment à la fois sanitaire et éducative.

  • Speaker #0

    Sur votre site internet, vous précisez être des adultes connectés, à l'aise avec la technologie, et que vous n'envisagez pas votre métier sans vous appuyer sur ces outils numériques, les ordinateurs, les tablettes, les ressources en ligne et les contenus audiovisuels. Qu'est-ce qui, selon vous, distingue l'utilisation de ces outils par les adultes et par les enfants, les élèves ? Et pourquoi est-ce que vous adoptez cette position ?

  • Speaker #1

    C'est une question intéressante. D'abord parce qu'on considère que ce sont des outils qui ne sont pas neutres. Je pense au travail de la commission d'experts qui est intervenue récemment pour étudier justement la question des écrans chez les jeunes et qui a établi un consensus scientifique sur les impacts de l'exposition aux écrans des enfants et des adolescents. Ce qu'on voit, c'est que l'impact sur l'œil, sur la vue de l'enfant et sur le sommeil sont extrêmement négatifs. Un enfant qui a l'œil qui est en maturation, en développement jusqu'à 16 ans. Et puis les cycles de sommeil à l'adolescence qui peuvent être perturbés souffrent d'une surexposition aux écrans. Mais également le cerveau, ça a été prouvé scientifiquement et on atteint sa maturation bien après le lycée, vers 20-25 ans. Et donc les enfants par nature sont en formation, en développement et donc plus fragiles et plus sensibles à des impacts négatifs qui peuvent venir des écrans et des outils numériques. Or, on sait que le caractère est extrêmement addictif du numérique. On considère qu'ils n'ont pas la maturité pour résister à ce caractère addictif. Et qu'un des plus grands problèmes, c'est le glissement du numérique éducatif. C'est-à-dire la bonne intention de dire on va faire apprendre sur un écran et le glissement vers le numérique récréatif qui vient ensuite prendre toute la place. Et le premier problème, Le problème, c'est la lecture, c'est la perte de la lecture chez les jeunes.

  • Speaker #0

    Même chez les adultes, il y a un problème d'addiction, parce que même si on a notre cerveau mature et qu'on n'a pas grandi avec ces outils numériques... On a quand même une vraie addiction.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Et notre... Alors, on l'utilise dans un but professionnel. C'est devenu incontournable. Mais c'est évident qu'il y a une sorte de phénomène d'absorption où notre temps est pris. Et il y a une sorte de... Pas toute la question de l'économie de l'attention où on ne maîtrise plus notre temps d'écran, comme vous dites, mais à plus forte raison chez les enfants. Mais plus je travaille sur le sujet, plus moi-même, je me remets en question. Et je trouve que c'est un peu la force des enfants et de l'éducation, c'est qu'en fait, les questions qu'on se pose pour le bien-être de nos enfants, ils nous invitent à nous remettre en question. Et il est évident qu'il y a un phénomène d'exemplarité, que dans les familles, quand les parents sont complètement absorbés par leur smartphone, et je plaide coupable en partie, c'est très compliqué ensuite de faire la part des choses. Donc c'est une remise en question collective qui doit se produire, c'est évident.

  • Speaker #0

    Bien sûr, il y a certains pays qui envisagent d'interdire. certains réseaux sociaux justement pour leur côté addictif. Donc on voit qu'on a vraiment du mal à s'en sortir en fait. Alors pour résumer, vous soutenez la mission de l'école qui est de former au numérique et donc de former aux outils tels que Excel, Word, etc. Mais vous ne souhaitez pas qu'on fasse du numérique une fin en soi, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Oui, alors moi quand j'ai commencé à enseigner il y a 7 ans, j'étais surprise d'entendre cette injonction de... d'intégrer le numérique à ma pratique pédagogique, c'est un peu le jargon de l'éducation nationale. En fait, je pense qu'il y a eu une certaine naïveté de considérer que le numérique, c'était la modernité et que l'école ne pouvait plus continuer à enseigner comme toujours. Et je pense qu'il y a quelque chose de très positif là-dedans, où on doit en effet se remettre en question, adapter l'enseignement, être à la pointe. Mais beaucoup de manque de recul critique sur justement la manière dont l'outil numérique vient en fait... transformer les apprentissages et prendre une place au détriment de beaucoup d'autres choses. Aujourd'hui, on le voit dans l'aspect récréatif, on se rend compte que tout le temps que nos enfants passent sur les réseaux sociaux, c'est du temps qu'ils ne passent pas à se parler, à jouer au ballon, à courir, qu'il y a un problème de sédentarité, etc. Mais à mon sens, il y a un problème qui est équivalent qui est en train de se produire à l'école avec le numérique éducatif. où le problème majeur, c'est la question du temps volé. C'est-à-dire quand vous mettez les enfants devant un écran, vous leur demandez d'autres exercices. Je pense par exemple à la banalisation des quiz en ligne. C'est très facile, c'est assez interactif, donc c'est plutôt agréable pour les élèves. C'est extrêmement rapide à corriger pour le prof, donc il y a quelque chose de très séduisant. Mais en fait, tout le temps que les enfants passent à remplir des quiz en ligne sur leur tablette ou sur leur ordinateur, c'est le temps qu'ils ne passent pas à s'entraîner, à rédiger. à faire des travaux rédactionnels. Alors, c'est un problème qui est très global, le problème de l'éducation en général. Mais moi, en tant que prof de français, pour avoir corrigé le bac encore cette année, je suis atterrée de voir le nombre de copies où c'est compliqué de trouver une phrase bien construite, avec un sujet, un verbe, un complément. Et c'est sûr que moins on s'entraîne à écrire, moins on écrit bien. Et il y a un vrai problème, à mon sens ici, de formation intellectuelle. de base que doit apporter l'école pour ensuite faire autre chose. Donc oui, notre objectif, c'est de former au numérique, c'est important, parce que ça va faire partie de la vie professionnelle de nos élèves, ça fait partie de notre monde contemporain, on ne peut pas le nier, mais de le garder à sa place d'outil, et de ne pas se faire contaminer, polluer par cet outil extrêmement envahissant, qui se fait souvent en détriment d'autres exigences.

  • Speaker #0

    Alors pour faire un apprentissage de l'outil numérique, et du coup le... Conseil supérieur des programmes de 2022 soutient votre vision, parce qu'il vise à la création d'une matière numérique à proprement parler, qui serait dispensée dès le collège, c'est bien ça ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Alors aujourd'hui, en fait, la formation en numérique, elle est essentiellement déléguée à la certification PICS, qui repose sur l'autonomie des élèves. Donc il y a une sorte d'auto-évaluation et puis ensuite de formation qui s'adapte au niveau de chaque élève. mais on est convaincu que c'est l'accompagnement humain qui fait la différence, et c'est ce que dit le Conseil supérieur des programmes. L'autre volet, c'est la spécialité en secondes qui est proposée, de numérique et sciences informatiques, mais qui n'est pas dispensée dans tous les établissements. À nouveau, c'est une spécialité, donc il faut la choisir seulement au lycée. Il nous semble qu'en effet, il y a un fossé béant sur la question de la formation au numérique. Il y a évidemment des questions budgétaires, de trouver des professeurs compétents, formés, qui puissent dispenser un enseignement sur des créneaux horaires dédiés. Mais à nouveau, il y a une question d'ambition sur ce qu'on veut apporter à nos élèves. Et il nous semble qu'on a confondu dans la stratégie d'éducation nationale l'équipement et la formation. En fait, ce n'est pas en équipant les élèves massivement de tablettes et d'ordinateurs qu'on les forme de manière concrète et constructive à l'outil.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que ce serait tout à fait pertinent de créer une véritable matière du numérique à l'école, dès le collège. Et j'ajoute même des formations professionnelles obligées, qu'il faudrait qu'il y ait un module. cybersécurité dans cette matière du numérique. Je trouve que nos jeunes ont encore trop peu conscience de l'importance de ces enjeux qui dépassent le simple changement de mot de passe sur un réseau social. Et donc une matière du numérique, pour moi, serait un excellent moyen de lutter également sur les stéréotypes de genre. Je ne sais pas si vous le voyez déjà au niveau du numérique, mais on a fait quelques études. Je suis membre du bureau de l'association Women for Cyber qui se penche justement beaucoup sur ces questions. Et on constate que 56% des lycéennes sont intéressées par l'informatique, par le numérique. Et puis seulement 6,5% des élèves ingénieurs après, plus tard en cyber, sont des femmes. Et donc, en tout cas, le secteur de la cybersécurité compte que 17% de femmes. dans notre pays. Donc on a une vraie déperdition au moment de l'orientation. Et je pense que du coup, une vraie formation dès le plus jeune âge permettrait également de sensibiliser les élèves à l'importance de la diversité dans ces secteurs. Je rappelle qu'en tout cas, dans la cybersécurité, on a beaucoup de mal à recruter des talents, quels qu'ils soient, et en particulier des femmes, et que c'est un secteur où la diversité de point de vue est... particulièrement important, notamment pour avoir une approche la plus complémentaire possible face aux cyberattaques, face aux modes de pensée des attaques. Donc en tout cas, parenthèse cyber refermée. Je voudrais du coup continuer sur le côté numérique éducatif. L'émergence de la technologie dans le domaine de l'éducation représente un changement majeur pour l'enseignement. Cette révolution a été accélérée par la crise du Covid en 2020. Je pense que là, tout le monde a été forcé de se mettre sur les écrans. Comment est-ce que cette transformation a impacté votre quotidien en tant que professeure ?

  • Speaker #1

    Alors en fait, le gros changement des dernières années, et comme vous l'avez dit, qui s'est accéléré avec la crise du Covid, c'est l'arrivée des écrans individuels dans les salles de classe. C'est-à-dire que moi, quand j'ai commencé à enseigner il y a sept ans maintenant, chaque classe était équipée d'un ordinateur, d'un poste fixe avec un vidéoprojecteur. Et puis, ce qu'on appelle les ENT, les espaces numériques de travail, étaient déjà tout à fait opérationnels. Et j'étais honnêtement assez émerveillée par la qualité de la modernité de ces salles de classe, la possibilité de projeter du contenu audiovisuel aux élèves très facilement, cette facilité à nouveau de mettre le travail en ligne grâce aux ENT. Mais il y a une petite révolution qui s'est créée après le Covid, avec l'arrivée des tablettes ou des ordinateurs, mais essentiellement des tablettes. pour les élèves. Il y a eu cette question d'angoisse d'assurer la continuité pédagogique si les écoles ferment et qui a précipité la prise de décision des établissements et des collectivités territoriales d'équiper massivement les élèves. Ce que moi je constate de manière concrète, c'est que le fait d'équiper les élèves individuellement, ça a en fait transformé pas mal de choses. C'est-à-dire qu'à partir du moment où chaque élève avait une tablette, les manuels scolaires sont passés au format numérique. C'est-à-dire qu'on a plus aujourd'hui, de moins en moins de manuels scolaires papier, ce qui peut présenter des avantages. On se dit en fait c'est moins lourd à porter, etc. Et puis en fait dans une petite tablette, on a accès à tous les différents manuels. Mais ça veut dire que concrètement, pour avoir accès à tel exercice, à tel texte, nos élèves doivent se connecter en permanence, que ce soit à l'école ou à la maison. Et puis il y a aussi une révolution d'habitude qui s'est faite sur la prise de notes manuscrites. C'est-à-dire que maintenant, quand on veut ajouter un cours, nous, en tant que prof, on peut le faire sur une sorte de cloud, un espace collaboratif, auquel chaque élève a donc accès puisqu'il a sa propre tablette. Donc l'élève a moins besoin d'écrire, de prendre des notes, de noter le cours. Et c'est la même chose pour l'agenda, le cahier texte en ligne. C'est-à-dire que comme on est obligé de noter tout le travail à faire sur ce cahier texte en ligne, ce qui est très pratique, ce qui est un outil évidemment très positif, notamment quand il y a des absents, des élèves qui sont malades, ils peuvent avoir accès. de manière objective à ce qui a été donné. En fait, nos élèves ont perdu l'habitude de prendre des notes. Ils n'ont plus d'agenda, d'ailleurs. Quand on leur dit, vous noterez ceci à faire pour lundi, en fait, ils font autre chose. C'est la fin du cours, ils sont en train de ranger leurs affaires, etc. Ce qui fait que, concrètement, en fait, ils sont déresponsabilisés parce qu'ils se disent que de toute façon, on aura accès à l'information. C'est une sorte de béquille numérique, en fait. À tout moment, ils peuvent avoir accès à l'information, qui sera mieux notée, d'ailleurs, parce qu'elle est notée par le prof. Donc, ils n'ont pas besoin d'écouter, ils n'ont pas besoin de comprendre, et ils n'ont pas besoin de retenir. C'est-à-dire, ils rentrent chez eux, en fait, ils n'ont aucune idée de savoir ce qu'ils vont faire le lendemain, et ils sont ailleurs, en fait. Ils se reconnectent à la maison, à nouveau, et ils découvrent, à ce moment-là, ce qu'il faut faire pour le lendemain. C'est un problème qui touche, alors, les élèves, mais aussi les enseignants. Parce que, pour nous, c'est aussi une solution de facilité. C'est-à-dire que le cours est passé un peu vite, la séance est finie un peu trop vite, ça sonne, on n'a plus le temps, on se dit bon, je vous mettrai les devoirs sur l'ENT, sur le cahier de texte en ligne Et je sais aussi, par les retours que j'ai de parents d'élèves, qu'il y a des enseignants peut-être un peu peu scrupuleux qui rajoutent des combliés, qui rajoutent des devoirs au dernier moment, tard le soir, pour le lendemain. Enfin, il y a une sorte de dérive de pratiques qui ne sont absolument pas cadrées. Donc ce que je dirais, c'est que l'arrivée de ces écrans individuels a modifié vraiment les pratiques puisqu'on a... pas eu de cadre, pas eu de régulation des usages. On s'est intéressé à l'outil sans s'intéresser aux usagers, aux enseignants et aux élèves. Et en fait, à nouveau, c'est un outil qui n'est pas neutre, l'outil numérique. Donc ça pose des problèmes concrets dans la question des apprentissages, de l'éducation, qui est notre rôle en tant qu'enseignant, pour les élèves, les rendre autonomes et responsables.

  • Speaker #0

    Donc là, vous dites que dès la sixième, dans certains établissements, il y a des élèves qui ne prennent pas de notes pour leur...

  • Speaker #1

    Oui, alors parfois même dans certaines écoles primaires, puisque c'est les collectivités territoriales qui financent les équipements numériques. Donc certaines communes équipent les écoles primaires de tablettes. Mais de plus en plus, en effet, au collège, dès la sixième, les élèves sont équipés de tablettes et perdent cette habitude, s'ils n'ont jamais pris, de prendre des notes. Alors c'est compliqué parce qu'en fait, ça dépend de chaque enseignant, ça dépend de chaque équipe. école, chaque région, on a du mal à avoir une vision très homogène de ce qui se passe dans les écoles en France. Mais moi, en tant que témoignage, et ce que je peux vous dire de notre collectif, et puis des très nombreux témoignages qu'on recueille de la part des parents d'élèves, qui nous remercient d'exister parce que je pense qu'il y a une vraie détresse de la part des parents sur ce sujet, c'est qu'en effet, dans la réalité, il y a une perte de la prise de notes manuscrites et de cet effet de responsabilisation des enfants qui sont en permanence connectés.

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un sujet que vous avez pris tout de suite à bras-le-corps quand vous êtes arrivée ? Ou est-ce qu'il y a certains éléments progressivement qui vous ont alerté sur ce sujet ? Vous avez été témoin de la transition numérique à l'école ces dernières années, donc vous avez dû voir des effets positifs et des effets négatifs. Comment ça s'est fait en fait ?

  • Speaker #1

    Oui, alors comme je vous disais, moi d'abord, l'outil pour le professeur, je trouve qu'il est très bon. Je trouve, moi ça m'arrive en tant que prof de français de projeter des petits morceaux de pièces de théâtre à mes élèves, etc. Quand les écrans individuels sont arrivés, c'est là où les choses ont changé. Moi, j'ai essayé de m'y mettre, c'était en effet au moment du Covid. Et j'ai vu des potentialités assez incroyables, parce que la promesse du numérique, elle est géniale. Ce qui m'intéressait, c'était de me dire, par certaines applications, je peux avoir accès au cahier virtuel de mes élèves. J'ai une trentaine d'élèves dans chaque classe. Et en fait, ils ont plus besoin de rendre leur copie, mais je peux, en cliquant sur une fenêtre de ma tablette, avoir accès à leur travail, je peux les corriger, etc. Sauf qu'en fait, je n'ai pas le temps de les corriger en permanence, en temps réel. Donc l'impression que j'ai, c'est qu'en fait, pour pouvoir vraiment exploiter les potentialités de cet outil, ce qu'il faudrait, c'est une intelligence artificielle qui me fasse corriger à ma place les élèves, etc. mais ce qui me semble extrêmement dangereux du point de vue de l'humain, de la manière dont ça a été prouvé que dans la pédagogie, l'importance du contact humain, de l'interaction entre le professeur et l'élève est fondamentale. Et donc, il m'a semblé... Alors déjà, ça ne marchait pas très bien. J'avais toujours un élève qui avait un problème de connexion. On confond aussi, je trouve, nous, adultes, la maîtrise du numérique qu'on connaît dans les milieux professionnels, où les moyens sont importants. où on est formé, où notre objectif c'est d'être efficace, et puis la logique de l'élève, qui en effet oublie son chargeur, oublie son code, et pas toujours d'une très bonne volonté pour que ça fonctionne bien. Donc en fait, on complique la mise au travail en utilisant des intermédiaires techniques avec le numérique. Moi, ce qui m'a frappée, c'est le manque de concertation de cette transformation numérique. On nous a imposé l'outil sans demander notre avis à nous enseignants qui sommes en premier contact avec les élèves. Et puis quand on est réfractaire, souvent l'idée c'est que si on ne l'utilise pas, c'est qu'on ne sait pas s'en servir. Donc souvent la réponse c'est de dire on va former les enseignants sans s'intéresser à la raison pourquoi on ne l'utilise pas.

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il n'y a pas eu de réflexion finalement sur l'intérêt d'équiper ?

  • Speaker #1

    Alors il y a sûrement eu des réflexions, mais il y a eu un manque de concertation au niveau des établissements. Et c'est un outil qui nous a été imposé avec, comme je vous disais, cette question des manuels numériques qui vient contraindre notre liberté pédagogique parce que d'ailleurs, il n'y a plus de manuel en papier, on est obligé d'utiliser la tablette avec nos élèves. Et ça sans prise en compte vraiment notre expérience. C'est le rôle de notre collectif, c'est de mettre en avant nos témoignages, notre expérience de terrain pour montrer comment ça se passe vraiment dans les salles de classe avec nos élèves et quels sont les plus-values réelles du numérique pour l'éducation. Oui,

  • Speaker #0

    il y a certains arguments, certaines personnes qui vont arguer que finalement tous ces outils, ces tablettes numériques, etc., elles vont constituer un moyen de lutter contre les inégalités et la précarité numérique. auxquelles de nombreux élèves sont confrontés. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

  • Speaker #1

    Alors, moi je pense, et c'est l'avis qu'on partage dans notre collectif Éducation numérique raisonnée, c'est qu'en fait, l'intrusion du numérique à l'école, au contraire, renforce les inégalités sociales. Nous, ce qu'on voit, c'est une très forte différence entre les parents de milieux plus favorisés qui ont conscience des enjeux, des potentiels risques du numérique sur les enfants. qui vont acheter les manuels scolaires, ils vont acheter une version en double, ils nous le disent en rendez-vous les parents. On a acheté le manuel parce qu'on n'en pouvait plus qu'ils soient en permanence connectés. Donc il y a ces enfants-là qui vont avoir accès aux papiers contrairement aux autres et puis qui vont contrôler le temps d'écran avec cette question, ce côté extrêmement complexe de comment réguler le temps d'écran, comment vérifier que votre enfant qui est sur sa tablette, il fait vraiment son exercice de maths et il n'est pas en train de regarder une vidéo ou en train de jouer en ligne. on sait que les parents qui sont plus présents, ils vont plus faire attention et plus cadrer ça. Les parents qui travaillent ou qui sont pas là ou qui n'ont pas conscience des enjeux, ça leur échappe en fait. De la même manière que le numérique récréatif, on sait que la place que prennent les écrans, elle est un petit peu limitée dans les malieux favorisés où les enfants sont inscrits à des cours de musique, sont inscrits dans des clubs sportifs, etc. Et donc cette emprise du numérique, Il nous semble qu'elle renforce au contraire les inégalités sociales. De la même manière, un bon élève, ça ne posera pas de problème pour lui. Le bon élève qui est hyper motivé en classe, il sort bien, on lui demande d'ouvrir sa tablette, de faire l'exercice, il le fait. Le problème, c'est l'élève qui est moins motivé, qui est moins bon, qui va en profiter pour faire autre chose et on aura du mal à voir qu'il fait autre chose. Et ça, à nouveau, pour nous, c'est un facteur d'inégalité. C'est-à-dire qu'on en perd en fait. Et ceux qu'on perd, c'est ceux qui auraient besoin d'être encore plus accompagnés.

  • Speaker #0

    Je comprends. Et puis si on en croit la stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027, l'investissement dans ces mesures vise à renforcer les compétences numériques et à préparer les élèves au métier d'avenir du 21e siècle. En tout cas, c'était l'objectif de base. Et donc, en limitant ou en supprimant l'accès aux nouvelles technologies à l'école, est-ce que vous ne craignez pas de créer un fossé entre les élèves qui vont y avoir accès à la maison ? et donc qui vont pouvoir s'y former, et ceux qui ont des difficultés vont se retrouver avec moins d'opportures.

  • Speaker #1

    Alors, c'est une très bonne question. Et en fait, notre point de vue, il est plus nuancé que ça. C'est-à-dire qu'on ne veut pas supprimer l'accès aux nouvelles technologies à l'école. On plaide pour le droit à la déconnexion. C'est-à-dire qu'on veut qu'à la maison, les élèves n'aient pas besoin de se connecter pour faire leurs devoirs. Et pour aussi simplifier la mission d'éducation parentale, de dire en fait, quand votre enfant travaille, il est pour l'école, le téléphone et la tablette sont éteints, dans une autre pièce, il est... pleinement concentré, il faut qu'il y ait des bouquins, il faut qu'il y ait de quoi écrire et on sait qu'ils travaillent pour l'école. Notre point de vue, il est de garantir la liberté pédagogique de nos collègues, des enseignants. Et on considère, alors moi, à titre personnel, j'avoue, je suis très peu convaincue de la plus-value du numérique éducatif. D'ailleurs, les études ne prouvent pas de vrais bénéfices. Mais je conçois tout à fait que j'ai des collègues qui puissent faire des séquences pédagogiques très pertinentes en utilisant, pourquoi pas, la tablette. un exercice dans un but précis, de manière ponctuelle, en classe. Donc ça, c'est nous, quelque chose qu'on considère qui doit pouvoir être maintenu à la liberté des professeurs, simplement de faire la différence entre ce qui se passe à l'école, sous le contrôle de l'enseignant, et ce qui se passe à la maison, qui doit être libre et déconnecté. À nouveau, notre idée, ce n'est pas de supprimer, mais de cadrer, de réguler l'usage.

  • Speaker #0

    et de revenir sur cette politique, cette stratégie que vous l'avez citée, cette stratégie numérique de l'éducation que je connais bien et qui, à mon avis, fait l'erreur de se centrer sur l'outil et non pas sur les usagers. Parce qu'elle va dans le sens des équipements individuels des élèves sans du tout réfléchir aux impacts sur les enseignants, sur les élèves eux-mêmes, alors qu'évidemment, c'est une question qui est fondamentale.

  • Speaker #1

    Vous parlez de cette stratégie qui fait l'erreur de se centrer sur l'outil. Il y a d'autres pays qui ont fait cette stratégie, qui ont choisi cette voie il y a quelques temps et qui en reviennent. Je pense à la Suède qui a été pionnière pour le numérique à l'école et qui actuellement fait marche arrière en jugeant les écrans responsables de la baisse du niveau des élèves. Donc, suivant l'avis des médecins, le pays souhaite réduire le temps passé devant les écrans et revenir aux manuels scolaires imprimés. Est-ce que vous jugez, vous l'avez déjà dit, mais que les écrans sont vraiment en grande partie responsables de la baisse de niveau des élèves ? Est-ce que ce n'est pas aussi dû à un désintérêt général ou un problème de pédagogie plus profond ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est complexe comme question et je ne suis pas légitime pour y répondre entièrement. Ce que je peux dire, c'est qu'à mon avis, c'est probablement pas le seul responsable, il y a beaucoup d'éléments à prendre en compte, mais c'est un... Comment dire ? C'est ce qui a fondamentalement modifié l'enfance et l'adolescence de nos élèves. Les élèves que j'ai dans ma classe, ils n'ont pas la même enfance que celle que nous, adultes, on a eue. Et c'est un problème qui est plus large que celui des écrans à l'école, et c'est là où, pour nous, notre collectif, bien qu'enseignant, on s'intéresse aussi au numérique récréatif, pas seulement au numérique éducatif, parce qu'on considère que les élèves que vous, parents, vous nous confiez. C'est la matière brute qu'on doit modeler, qu'on doit former, à qui on doit donner un esprit critique, qu'on doit enseigner certaines choses, etc. Mais en fait, la matière brute, elle est un peu pourrie quand elle a été complètement, comment dire, absorbée par les écrans, quand finalement la capacité d'attention est en baisse, quand elle a un certain mal-être, parce qu'on voit les chiffres de la santé mentale sont effrayants sur les jeunes d'aujourd'hui. Et on a prouvé les liens avec les réseaux sociaux, la responsabilité des réseaux sociaux. Donc notre idée, en fait, c'est de dire que pour régler un problème qui est certain, on ne va pas l'accentuer. C'est-à-dire qu'il y a un problème qui est de temps d'écran trop important, qui est à nouveau une question de temps volé à d'autres activités dont ont besoin nos élèves pour se développer, pour s'épanouir. Ne rajoutons pas du problème en leur rajoutant du temps d'écran à l'école. Et pour moi, l'un des chiffres les plus symptomatiques, c'est la lecture. Quand on voit que c'est la dernière enquête du Centre national du livre qui est parue récemment, 19 minutes par jour pour les jeunes de temps de lecture d'un livre imprimé, contre 3h11 d'écran. Et alors ce chiffre est encore plus, comment dire, prenant quand on regarde la tranche des 16-19 ans, 12 minutes par jour versus 5h10. Et je ne parle pas du temps consacré à l'école, de la lecture pour l'école ou du temps d'écran pour l'école. Donc on a un problème qui est massif et dont on doit s'emparer. Et à nouveau, sans être alarmiste, je pense qu'on a un scandale sanitaire en cours pour lequel nos dirigeants devront rendre des comptes, l'éducation nationale aussi. Et grâce aux travaux récents... qui ont été mis à jour notamment par la commission d'experts, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Donc maintenant, il y a une prise de conscience collective et l'école doit évidemment s'emparer du problème parce que c'est une question d'éducation.

  • Speaker #1

    J'irais même plus loin, il y a l'IA dont on n'a pas encore parlé, mais vous êtes professeur de lettres, donc vous donnez des dissertations à faire à vos élèves. Aujourd'hui, en fait, ils ont accès à énormément d'outils, je pense à Tchad GPT, mais il y en a plein d'autres. ne serait-ce qu'une recherche Google, en fait, pour pouvoir trouver des idées. Comment est-ce que vous pouvez nous parler de l'émergence de l'IA dans la vie de vos élèves ?

  • Speaker #0

    Oui, alors c'est un problème qui n'est pas nouveau. C'est-à-dire que moi, ça fait longtemps que je ne donne plus de travail, de réflexion, d'écriture à faire à la maison, parce que je sais que toutes les idées vont être prises sur Internet. Mais c'est un point, en fait, c'est un point que maintenant, quand je dis on va faire un... par exemple, un début d'année. On va faire une introduction sur tel sujet, mais je ne donne pas à l'avance le sujet, je donne juste la thématique. On va le faire en classe. J'ai trois ou quatre élèves qui m'ont écrit en classe exactement la même introduction. Je me suis dit, ce n'est pas possible, ils ont triché, ils ont été regardés sur Internet, etc. On a pris les choses au sérieux, on les a interrogés, etc. Je suis convaincue que ces élèves... que j'aime beaucoup d'ailleurs, n'ont pas triché. En fait, ils ont appris par cœur la veille ce qu'ils ont été pomper sur Internet sur un sujet très vague, mais qui n'avait pas vraiment de rapport avec la question, puisque je n'avais pas donné la question précise de dissertation. Donc en fait, nos élèves sont tellement peu sûrs d'eux, ils sont tellement convaincus qu'ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, que là, ils préféraient apprendre par cœur au cas où ce serait à peu près en lien avec le sujet, plutôt que se dire, allez, je me mets en danger et je vais essayer de trouver par moi-même une introduction. Donc je pense que ce problème de manque de confiance en soi et d'incapacité à réfléchir par soi-même, on l'a depuis longtemps dès lors qu'on a internet et que nos élèves, à la maison, vont aller chercher sur internet toute l'information. Là où il est un peu plus pervers avec l'intelligence artificielle, c'est qu'autant on peut... En deux secondes, je découvre ce que l'élève a pioché sur internet, c'est très facile de le confronter. Avec les outils comme ChatGPT, c'est plus complexe. Et moi, j'ai fait l'effort d'ailleurs de demander des exposés. Fais-moi la manière d'un élève de première, un exposé sur tel sujet. Honnêtement, ils sont très bons. Ils arrivent à imiter le style un peu maladroit des élèves. Donc, ce qui est compliqué, c'est qu'on leur donne des outils à nouveau qui les empêchent de penser par eux-mêmes. Et pour moi, le problème de l'intelligence artificielle et ce que je découvre à l'éducation, éducation nationale, dans ce que j'observe, c'est le même enthousiasme qui manque de recul critique qu'on a eu avec le numérique, de se dire en fait, ça va apporter des choses extraordinaires, alors que j'attendrais une sorte de méfiance, d'un principe de précaution. Ce que je trouve inquiétant avec l'intelligence artificielle, c'est que je vois pour nous, adultes, dans la vie professionnelle, que c'est une chance énorme de pouvoir être plus performant, d'aller plus vite, de ne pas faire les tâches ennuyeuses. Mais l'objectif d'un professionnel n'est pas du tout le même que celui d'un élève, qui doit apprendre justement en se trompant. La performance n'a aucun intérêt, en fait. Elle devrait n'avoir aucun intérêt dans le cursus scolaire. Ce que j'attends de voir d'un élève qui fait une dissertation, c'est la manière dont il a été lire l'œuvre, essayer de la comprendre, il a réfléchi à analyser le sujet. par lui-même, il s'est trompé, il a fait un hors-sujet. C'est tout ça qui m'intéresse. Je pense que je n'ai jamais encadré une dissertation bien réussie, ça n'intéresse personne, en fait, le résultat. C'est vraiment le cheminement qui est intéressant. Or, l'intelligence artificielle, elle vous donne la promesse de faire quelque chose de très très bien, très rapidement, sans vous ennuyer à lire l'œuvre, parce que maintenant, c'est ça. La suite, c'est que l'intelligence artificielle propose de dialoguer avec l'œuvre, donc de proposer des citations toutes faites qu'on a juste à aller vérifier. Mais on marche sur la tête, parce que tout l'intérêt de... de ce qu'on veut transmettre à nos élèves, c'est justement le goût de la lecture et cette capacité à réfléchir par soi-même avec le sens de l'effort qui est aussi, ça fait un peu ringard de dire ça, mais c'est fondamental en fait. Si à l'école on n'apprend pas ce sens de l'effort avec le plaisir de réussir après s'être trompé, en fait, que deviendront les adultes de demain qui se retrouveront ensuite en entreprise, qui seront nos médecins, qui auront des postes à responsabilité plus tard ?

  • Speaker #1

    Qui ne sauront pas réfléchir par eux-mêmes, effectivement. C'est mieux le... Votre propos de dire que c'est un véritable scandale sanitaire pour cette génération, c'est une génération sacrifiée. Il est urgent d'agir et de poser un cadre pour ces jeunes, peut-être par le gouvernement ou peut-être directement auprès des écoles.

  • Speaker #0

    Exactement, c'est notre rôle, c'est la raison pour laquelle on est mobilisés. On espère convaincre à la fois les pouvoirs publics. et de manière plus fine sur le plan local, les écoles. Et je m'adresse aussi à nouveau aux parents d'élèves. C'est avec eux qu'on va pouvoir faire changer les choses en appelant au respect de ce droit à la déconnexion et à un cadre plus clair sur le numérique.

  • Speaker #1

    J'aimerais élargir un peu aux écrans de smartphone. Vous parliez du numérique récréatif. J'aimerais parler du rapport de la commission Écran qui est sorti il y a quelques semaines. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce qu'il y a dit ?

  • Speaker #0

    Oui, alors d'abord c'est une dizaine d'experts qui se sont réunis de différents milieux pour faire un état des lieux du rapport des jeunes aux écrans, des enfants et des adolescents, et proposer des pistes pour améliorer les choses. La première chose, c'est les mots très forts qui ont été prononcés dans ce rapport. On parle de danger pour l'humanité, presque un enjeu civilisationnel. Ce qui est intéressant, c'est qu'ici, on a énormément d'enquêtes scientifiques qui ont été compilées. On peut dire qu'on a un vrai consensus scientifique maintenant sur les effets des écrans, enfin des écrans, ça ne veut rien dire, mais l'usage numérique chez les jeunes. Autre chose intéressante, c'est la responsabilité des réseaux sociaux qui a été pointée aussi de manière très ferme. On a parlé de marchandisation des enfants. C'est très fort en fait. Donc je dirais que je ségrerais à ces experts d'avoir rendu collective cette prise de conscience. Dans la mesure où maintenant, on a la matière pour agir. Alors dans les propositions concrètes... beaucoup, beaucoup de choses, mais je dirais peut-être le plus... Ce qui ressort, c'est la question progressive de l'accès aux smartphones par âge. Donc, il est suggéré d'attendre 13 ans pour donner accès à un téléphone connecté aux enfants, mais d'attendre 15 ans pour leur donner accès à un réseau social éthique. J'avoue que je ne connaissais pas le concept, j'ai découvert. C'est quoi un réseau social éthique ? C'est certains réseaux sociaux qui sont plus respectueux des enfants, enfin de la... données personnelles, etc. Et la commission recommande d'attendre 18 ans pour avoir accès aux réseaux sociaux qu'on connaît. Peut-être une petite critique, c'est le manque de lisibilité de ces recommandations. Pour nous, il nous semble qu'il faut être clair et interdire le smartphone, parce qu'on sait qu'avec le smartphone, il y a les réseaux sociaux, il y a tout l'accès à Internet, avant 15 ans, avant le lycée. Et c'est un mouvement qui commence à être européen. On a des pays voisins. en Angleterre, en Espagne, en Italie, qui commencent à réclamer, souvent c'est des initiatives des parents, pour protéger les enfants, d'attendre et de légiférer pour reculer l'âge de l'acquisition du premier smartphone.

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a effectivement besoin que les gouvernements se saisissent de ce sujet parce que les parents seuls, comme vous le disiez tout à l'heure, sont un peu démunis face à ça. C'est un des... Premier sujet de Discord à la maison. Il y a un vrai sujet de pression sociale sur les parents. Forcément, on a parlé que son enfant soit exclu quand tous les autres enfants de la classe ont un téléphone et accès à des réseaux sociaux. C'est difficile de tout faire porter aux parents. Est-ce que vous pensez, du coup, qu'il y a des mesures législatives et des engagements des académies qui vont voir le jour dans les prochains mois ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est ce qu'on espère, parce que c'est un problème pour lequel la solution ne peut être que collective. Comme vous disiez, c'est impossible pour les familles de gérer cette pression sociale. Le problème du smartphone, c'est que c'est à la fois un outil qui rapproche et un outil qui éloigne. Smartphone, il y a le téléphone, qui rassure aussi les parents dans le lien qu'on peut avoir avec ses enfants quand ils partent seuls à l'école, de se dire qu'on peut les joindre à tout moment. Et puis, il y a l'accès à Internet. avec les réseaux sociaux, qui les met en danger, qui est sans limite en fait, et qui est une sorte d'emprise addictive pour les enfants. Ce que je peux vous dire, c'est que les différents rendez-vous qu'on a eu avec des cabinets ministériels, on a eu en face de nous des conseillers qui nous soutenaient beaucoup et qui étaient prêts à aller dans le sens d'une interdiction. J'en n'entends pas beaucoup parler dans les médias. Donc je pense qu'il faut un énorme courage politique et une forte ambition pour la jeunesse, pour prendre ce sujet et le porter pour en faire une proposition de loi. Mais à mon sens, c'est absolument nécessaire. De la même manière qu'on a interdit le tabac et l'alcool avant 18 ans, on a besoin de protéger nos enfants. Ils n'ont pas besoin d'avoir un smartphone avant 15 ans, avant le lycée, d'avoir un accès à Internet. Il faut les reconnecter au réel. Et c'est aussi une des missions de notre collectif, l'éducation numérique raisonnée, c'est de reconnecter les enfants au réel.

  • Speaker #1

    Vous parlez également du... Pacte Smartphone, est-ce que vous pourriez nous en dire plus ?

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est une initiative que je trouve très intéressante, qui a été initiée par des parents d'élèves, à l'instar de ce qui se fait en Angleterre et en Italie je crois. Avant justement d'avoir une loi qui permette de protéger les familles, des parents se sont réunis, se sont mobilisés pour s'engager de manière collective à retarder l'acquisition du premier smartphone. L'idée, c'est justement de lutter contre cette pression sociale, que quand votre enfant vous dit mais en fait, tout le monde dans ma classe a un smartphone ce qui souvent d'ailleurs n'est pas tout à fait vrai, mais de se dire non, en fait, je ne veux pas que tu sois exclu, je ne veux pas que tu sois le seul c'est de se dire en fait, on est plusieurs au sein de ton établissement, plusieurs parents à s'engager à attendre le lycée pour t'équiper d'un smartphone Donc c'est un site internet, c'est très simple, moi je l'ai fait pour mes enfants. Vous rentrez l'adresse de votre école. et puis vous engagez, vous notez les dates de naissance de vos enfants, vous cliquez pour vous engager à attendre le lycée pour les équiper, et puis ensuite vous avez une carte interactive, où vous pouvez voir en France tous les différents pactes smartphone qui ont émergé, et le nombre de signataires qu'il y a à chaque fois. Donc c'est tout début de l'initiative pour l'instant, mais il y en a déjà un peu partout. Mais évidemment j'en parle et j'en fais la promotion, parce que plus seront nombreux les parents à signer et à s'engager, plus ce sera facile en fait. Si dans une classe, vous avez une majorité d'enfants qui n'ont pas de smartphone, c'est beaucoup plus facile de résister et de créer cette atmosphère. On parlait de reconnecter au réel, de proposer des alternatives, de faire en sorte que les enfants sortent, aillent jouer au foot, aillent au cinéma, se retrouvent entre eux et fassent des activités sans écran, déconnectées.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est engageant pour les écoles qui voient ces initiatives-là et qui vont se dire qu'on va aussi mettre en place des actions pour limiter les smartphones ? prendre tous les téléphones à l'arrivée à l'école à 8h30 et les restituer à

  • Speaker #0

    16h30. Alors c'est un autre sujet qui est important et qui est complexe, parce qu'en fait ça demande une mise en place, techniquement d'avoir des casiers, il y a aussi une question de responsabilité juridique, quand l'enfant donne son smartphone, dans quel état il le retrouve, qui est responsable entre temps, etc. Donc pour nous, la solution au problème, c'est vraiment qu'au collège il n'y ait pas de smartphone, que l'enfant ne vienne pas à l'école avec un smartphone. Et il y a des solutions alternatives, parce qu'on comprend le besoin des parents d'être en lien avec les enfants. On peut leur donner encore des téléphones. Il y a un tout nouveau téléphone avec écran tactile qui ressemble à un smartphone, mais sans accès à Internet, qui est en train de sortir, qui va être proposé en septembre. Ça s'appelle The Phone. Je suis en contact avec sa fondatrice, qui a un projet vraiment très intéressant de protection des enfants, de donner le meilleur aux enfants. la possibilité d'appeler, mais sans cette emprise, sans cette infinie possibilité d'Internet qui leur fait plus de mal que de bien.

  • Speaker #1

    Très bien, écoutez, je vous remercie beaucoup Agnès. On a encore beaucoup de choses à faire pour poser un cadre à l'éducation du numérique. Si chaque parent s'engage via ses pactes smartphone, et si le gouvernement et les écoles s'engagent à leur niveau, il sera possible de protéger nos enfants de l'usage déraisonné du numérique et donc de les aider à grandir. à penser et à construire leur propre raisonnement en toute indépendance. Merci beaucoup pour cet échange.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'avoir interviewée, de m'avoir donné la parole.

  • Speaker #1

    Je partage absolument vos positions pour une éducation numérique raisonnée. Merci à tous qui nous écoutez. J'espère que cet épisode vous a plu. Retrouvez les clips vidéo de cet épisode sur mon LinkedIn, Anne-Laure Delarivière. N'hésitez pas à nous suivre sur toutes les plateformes d'écoute et à nous laisser 5 étoiles sur Apple Podcast. À très vite dans l'œil de la cyber !

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Quoi de mieux comme épisode de rentrée qu'un thème sur le numérique à l'école ?


Le numérique s'y est imposé ces dernières années : 9 enseignants sur 10 reconnaissent aujourd'hui les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leurs cours dans le premier degré. Mais derrière cette apparente révolution éducative, se cache une question fondamentale : à quel point cette digitalisation rapide sert-elle vraiment nos enfants ? 

  

Découvrez mon échange passionnant avec Agnès Fabre, professeure au collège et lycée et cofondatrice du collectif pour une Éducation Numérique Raisonnée, pour explorer ces enjeux complexes.  

  • Comment le tout numérique modifie-t-il les habitudes d'apprentissage des élèves ?  

  • Que perdons-nous en abandonnant les manuels papier et les devoirs écrits ? Faut-il ralentir, voire revenir en arrière, à l’instar de la Suède ? 

  • Sommes-nous en train de sacrifier une génération sur l'autel du progrès technologique ? 

  

En France, le collectif “Education numérique raisonnée” reproche à l’Education nationale de voir le numérique comme un moyen d'enseignement et non comme une matière à part entière. Agnès milite pour un usage raisonné du numérique à l'école, où le plaisir de lire, de réfléchir, et d'apprendre reste au cœur de l'éducation. Ensemble, nous discuterons des solutions possibles pour trouver un équilibre entre former nos enfants aux compétences numériques indispensables et éviter qu'ils ne soient submergés par les écrans. 

  

Quel avenir pour nos enfants dans cette école hyperconnectée ? Rejoignez-nous pour une conversation essentielle et des réponses à toutes ces questions. 

 

👉Retrouvez "Dans l'œil de la cyber" sur toutes les plateformes d'écoute : https://smartlink.ausha.co/dans-l-oeil-de-la-cyber


***


🙏Un immense merci à tous ceux qui ont déjà laissé un avis ou 5 étoiles sur Apple Podcast ! Vos retours sont précieux !


💬 Si le podcast vous plaît ou si vous souhaitez simplement me faire un feedback, n'hésitez pas à me laisser un avis, je serai ravie de vous lire et de vous répondre !


***


🎙️"Dans l'œil de la cyber" est un podcast qui donne la parole aux acteurs majeurs du numérique pour décoder les grands sujets et tendances de ce secteur et de la cyber en particulier.


👩Je suis Anne-Laure de La Rivière, Directrice de la communication et des affaires publiques de Gatewatcher, une PME française spécialisée en détection des cyberattaques.


Bonne écoute ! 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans l'œil de la cyber, le podcast qui donne la parole aux acteurs du numérique. Je suis Anne-Laure de Larivière, directrice de la communication chez Gatewatcher, et je reçois Agnès Fabre, professeure certifiée de lettres classiques et cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Aujourd'hui, nous allons parler des enjeux du numérique dans le milieu scolaire. Neuf enseignants sur dix reconnaissent les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leur cours dans le premier degré. Et quelles sont les deux sources d'un tel changement éducatif ? Comment la France prépare-t-elle cette transition numérique ? Et sommes-nous à la hauteur de ce challenge ? Retrouvez tous nos podcasts sur www.gatewatcher.com, catégorie podcast. Si vous aimez ce qu'on fait, pensez à vous abonner au podcast dans l'œil de la cible pour ne pas rater la sortie du prochain épisode. Bonne écoute ! Agnès Fabre, bonjour !

  • Speaker #1

    Bonjour !

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation. Alors une fois n'est pas coutume, j'ai choisi d'aborder un sujet qui n'est pas directement lié à la cybersécurité. Il s'agit d'une grande actualité du numérique, c'est l'éducation numérique pour nos jeunes. Alors avant d'aborder la première question, j'aimerais revenir sur votre parcours. Agnès, vous êtes ancienne élève d'Hippo Cagnes et Cagnes au lycée Louis-le-Grand. Vous êtes également diplômée de l'ESSEC avec un MBA programme grande école. Vous avez commencé votre carrière dans le marketing opérationnel chez Air France. avant de devenir Product Manager chez Thalys. Et puis ensuite, vous avez décidé de vous reconvertir et de suivre votre passion pour l'enseignement en devenant professeur de français et de latin au collège et au lycée. C'est bien ça ?

  • Speaker #1

    C'est ça.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous a conduit à faire cette reconversion ?

  • Speaker #1

    Alors, j'aimais beaucoup ce que je faisais en entreprise, mais j'ai eu besoin de trouver encore plus de sens. Et le métier de l'enseignement était pour moi ce qui donnait le plus de sens, en fait, quand il s'agit de laisser mes enfants, quand j'ai eu ma deuxième fille. J'avais besoin de reconnecter avec mon parcours littéraire, de me remettre à la lecture et de réapprendre certaines choses qui me manquaient en entreprise. Et j'ai trouvé dans la transmission des savoirs ce contact humain qui me manquait et qui m'épanouit pleinement aujourd'hui. Le grand écart est important et pourtant je retrouve certains éléments qui sont communs, notamment une certaine... sens du marketing quand il s'agit de faire de la pédagogie, de rendre accessible aux élèves des notions qui peuvent être compliquées. Et puis la dimension analytique aussi, quand je lis des copies, de comprendre en fait quel est le mode de raisonnement des élèves, quelles sont leurs erreurs, comment les guider. J'ai l'impression de retrouver certains éléments d'un travail un peu analytique que je faisais déjà en entreprise finalement.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. Alors vous êtes également cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Donc votre objectif c'est d'alerter et de sensibiliser sur l'utilisation des outils numériques à l'école pour les élèves et donc d'en promouvoir un usage raisonné. Vous avez à la fois fait un appel et une lettre, est-ce que vous pourriez détailler les objectifs apportés par ce collectif ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà peut-être d'abord un petit mot sur le collectif, on est une vingtaine d'enseignants et de personnels de direction. Je pense que notre initiative est très novatrice, on s'est créé en janvier, il y a quelques mois seulement. Et on a réussi à mobiliser à la fois des enseignants du public et du privé, des personnels de direction et des enseignants. C'est assez nouveau d'avoir un groupe comme ça mobilisé sur une question qui dépasse nos simples revendications de métier, mais qui concerne vraiment le bien de nos élèves. Ce qui nous réunit, c'est le constat qu'on fait de l'emprise du numérique sur nos élèves, essentiellement récréatif d'ailleurs, la manière dont nos élèves sont accaparés par leurs écrans, au détriment de nombreuses autres activités. épanouissante et nécessaire pour leur développement. On est un peu partout en France et ce qui est intéressant, c'est que malgré la diversité des horizons, des milieux professionnels qui sont nés les nôtres, le constat est le même. Et donc notre appel, il porte à la fois sur ce qu'on appelle le numérique récréatif, c'est-à-dire le divertissement des enfants et des adolescents sur les écrans, et puis le numérique éducatif, la manière dont on utilise le numérique pour apprendre. Il y a cinq points. Les deux premiers concernent le numérique récréatif. D'abord, on demande une forte campagne de prévention qui aujourd'hui est inexistante pour instaurer un cadre dans les usages du numérique à la maison. On attend une démarche co-éducative avec les parents.

  • Speaker #0

    On entend souvent chez les médecins ou même quelques campagnes qui disent pas d'écran avant trois ans

  • Speaker #1

    Alors on le voit, mais c'est encore assez timide et souvent c'est cantonné aux âges, alors qu'il nous semble qu'il faudrait en fait un vrai cadre, une vraie hygiène de vie, un peu comme la routine des cinq fruits et légumes par jour qui est vraiment rentrée maintenant dans les mentalités, de dire en fait il ne faut pas d'écran dans la chambre à coucher, il ne faut pas de dessin animé avant d'aller à l'école le matin. On a des collègues du premier degré qui nous disent, ils voient en fait les enfants qui ont vu un dessin animé avant de venir à l'école par rapport aux autres, parce que l'effet sur la concentration est énorme. pas d'écran à table parce que c'est un moment où les interactions sociales, langagières sont extrêmement importantes au sein de la famille. Enfin toute une série de règles qu'il faut communiquer aux parents qui souvent sont démunis et nous ce qu'on constate c'est que les parents viennent nous voir et souvent ne savent pas et quand ils savent ils considèrent qu'ils n'ont pas la légitimité où il y a une sorte de crise d'autorité parentale pour lutter contre ce phénomène tentaculaire des écrans qui est le premier source de conflit dans les familles aujourd'hui. Donc c'est une première La première étape, ce serait la prévention, mais aussi de proposer des alternatives. Et notre appel, il demande aussi de réfléchir à une vraie politique ambitieuse pour la jeunesse, de proposer des alternatives, des divertissements sans écran, de promouvoir la lecture, mais aussi le sport, l'accès à la culture. Enfin, comment remplacer ce temps libre qui aujourd'hui est complètement accaparé par les jeux vidéo, par les smartphones, etc. Et le deuxième volet qui concerne plus le numérique éducatif. C'est d'abord le droit à la déconnexion qu'on réclame pour nos élèves, c'est-à-dire qu'on demande à ce qu'ils puissent travailler à la maison sans écran. Ça ne veut pas dire qu'on veut supprimer complètement les écrans, on considère qu'il peut y avoir un intérêt pédagogique en classe, mais qu'à la maison, on doit sacraliser un temps de concentration sans écran, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui, on en parlera probablement tout à l'heure. Et le dernier point, c'est de faire du numérique un vrai objet d'enseignement, en fait une matière de... un enseignement à part entière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où on a confondu le numérique comme moyen d'enseignement pour d'autres matières plus traditionnelles, alors qu'on considère que c'est des sciences et des enjeux qui doivent s'apprendre à l'école.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous avez un objectif de nombre de signatures pour cet appel, et un objectif de résultat concret ?

  • Speaker #1

    L'appel, en effet, on l'a lancé sur notre site internet, et d'ailleurs j'invite vos auditeurs à le signer. Ce n'est pas une pétition, c'est un vrai projet éducatif, il est assez complexe.

  • Speaker #0

    J'en profite, est-ce que vous pouvez nous rappeler ?

  • Speaker #1

    Éducation-numérique-raisonner.com C'est un prétexte pour nous de mobiliser la société civile. Aujourd'hui, on a un peu plus de 4000 signatures en quelques mois, dont un quart qui vient de la communauté éducative. On a à peu près plus de 1000 signataires d'enseignants ou autres. On sait qu'il y a des pétitions qui font beaucoup plus. Mais à nouveau, comme je vous le disais, c'est un prétexte pour mobiliser la société civile. Et notre objectif concret, c'est de mobiliser aussi les pouvoirs publics. Donc on a fait tout un travail de lobbying. On a rencontré les conseillers des différents cabinets ministériels, du président de la République. On a été auditionnés au Sénat. Et on essaie d'interpeller les pouvoirs publics pour se saisir de la question qui représente, selon nous, une urgence vraiment à la fois sanitaire et éducative.

  • Speaker #0

    Sur votre site internet, vous précisez être des adultes connectés, à l'aise avec la technologie, et que vous n'envisagez pas votre métier sans vous appuyer sur ces outils numériques, les ordinateurs, les tablettes, les ressources en ligne et les contenus audiovisuels. Qu'est-ce qui, selon vous, distingue l'utilisation de ces outils par les adultes et par les enfants, les élèves ? Et pourquoi est-ce que vous adoptez cette position ?

  • Speaker #1

    C'est une question intéressante. D'abord parce qu'on considère que ce sont des outils qui ne sont pas neutres. Je pense au travail de la commission d'experts qui est intervenue récemment pour étudier justement la question des écrans chez les jeunes et qui a établi un consensus scientifique sur les impacts de l'exposition aux écrans des enfants et des adolescents. Ce qu'on voit, c'est que l'impact sur l'œil, sur la vue de l'enfant et sur le sommeil sont extrêmement négatifs. Un enfant qui a l'œil qui est en maturation, en développement jusqu'à 16 ans. Et puis les cycles de sommeil à l'adolescence qui peuvent être perturbés souffrent d'une surexposition aux écrans. Mais également le cerveau, ça a été prouvé scientifiquement et on atteint sa maturation bien après le lycée, vers 20-25 ans. Et donc les enfants par nature sont en formation, en développement et donc plus fragiles et plus sensibles à des impacts négatifs qui peuvent venir des écrans et des outils numériques. Or, on sait que le caractère est extrêmement addictif du numérique. On considère qu'ils n'ont pas la maturité pour résister à ce caractère addictif. Et qu'un des plus grands problèmes, c'est le glissement du numérique éducatif. C'est-à-dire la bonne intention de dire on va faire apprendre sur un écran et le glissement vers le numérique récréatif qui vient ensuite prendre toute la place. Et le premier problème, Le problème, c'est la lecture, c'est la perte de la lecture chez les jeunes.

  • Speaker #0

    Même chez les adultes, il y a un problème d'addiction, parce que même si on a notre cerveau mature et qu'on n'a pas grandi avec ces outils numériques... On a quand même une vraie addiction.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Et notre... Alors, on l'utilise dans un but professionnel. C'est devenu incontournable. Mais c'est évident qu'il y a une sorte de phénomène d'absorption où notre temps est pris. Et il y a une sorte de... Pas toute la question de l'économie de l'attention où on ne maîtrise plus notre temps d'écran, comme vous dites, mais à plus forte raison chez les enfants. Mais plus je travaille sur le sujet, plus moi-même, je me remets en question. Et je trouve que c'est un peu la force des enfants et de l'éducation, c'est qu'en fait, les questions qu'on se pose pour le bien-être de nos enfants, ils nous invitent à nous remettre en question. Et il est évident qu'il y a un phénomène d'exemplarité, que dans les familles, quand les parents sont complètement absorbés par leur smartphone, et je plaide coupable en partie, c'est très compliqué ensuite de faire la part des choses. Donc c'est une remise en question collective qui doit se produire, c'est évident.

  • Speaker #0

    Bien sûr, il y a certains pays qui envisagent d'interdire. certains réseaux sociaux justement pour leur côté addictif. Donc on voit qu'on a vraiment du mal à s'en sortir en fait. Alors pour résumer, vous soutenez la mission de l'école qui est de former au numérique et donc de former aux outils tels que Excel, Word, etc. Mais vous ne souhaitez pas qu'on fasse du numérique une fin en soi, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Oui, alors moi quand j'ai commencé à enseigner il y a 7 ans, j'étais surprise d'entendre cette injonction de... d'intégrer le numérique à ma pratique pédagogique, c'est un peu le jargon de l'éducation nationale. En fait, je pense qu'il y a eu une certaine naïveté de considérer que le numérique, c'était la modernité et que l'école ne pouvait plus continuer à enseigner comme toujours. Et je pense qu'il y a quelque chose de très positif là-dedans, où on doit en effet se remettre en question, adapter l'enseignement, être à la pointe. Mais beaucoup de manque de recul critique sur justement la manière dont l'outil numérique vient en fait... transformer les apprentissages et prendre une place au détriment de beaucoup d'autres choses. Aujourd'hui, on le voit dans l'aspect récréatif, on se rend compte que tout le temps que nos enfants passent sur les réseaux sociaux, c'est du temps qu'ils ne passent pas à se parler, à jouer au ballon, à courir, qu'il y a un problème de sédentarité, etc. Mais à mon sens, il y a un problème qui est équivalent qui est en train de se produire à l'école avec le numérique éducatif. où le problème majeur, c'est la question du temps volé. C'est-à-dire quand vous mettez les enfants devant un écran, vous leur demandez d'autres exercices. Je pense par exemple à la banalisation des quiz en ligne. C'est très facile, c'est assez interactif, donc c'est plutôt agréable pour les élèves. C'est extrêmement rapide à corriger pour le prof, donc il y a quelque chose de très séduisant. Mais en fait, tout le temps que les enfants passent à remplir des quiz en ligne sur leur tablette ou sur leur ordinateur, c'est le temps qu'ils ne passent pas à s'entraîner, à rédiger. à faire des travaux rédactionnels. Alors, c'est un problème qui est très global, le problème de l'éducation en général. Mais moi, en tant que prof de français, pour avoir corrigé le bac encore cette année, je suis atterrée de voir le nombre de copies où c'est compliqué de trouver une phrase bien construite, avec un sujet, un verbe, un complément. Et c'est sûr que moins on s'entraîne à écrire, moins on écrit bien. Et il y a un vrai problème, à mon sens ici, de formation intellectuelle. de base que doit apporter l'école pour ensuite faire autre chose. Donc oui, notre objectif, c'est de former au numérique, c'est important, parce que ça va faire partie de la vie professionnelle de nos élèves, ça fait partie de notre monde contemporain, on ne peut pas le nier, mais de le garder à sa place d'outil, et de ne pas se faire contaminer, polluer par cet outil extrêmement envahissant, qui se fait souvent en détriment d'autres exigences.

  • Speaker #0

    Alors pour faire un apprentissage de l'outil numérique, et du coup le... Conseil supérieur des programmes de 2022 soutient votre vision, parce qu'il vise à la création d'une matière numérique à proprement parler, qui serait dispensée dès le collège, c'est bien ça ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Alors aujourd'hui, en fait, la formation en numérique, elle est essentiellement déléguée à la certification PICS, qui repose sur l'autonomie des élèves. Donc il y a une sorte d'auto-évaluation et puis ensuite de formation qui s'adapte au niveau de chaque élève. mais on est convaincu que c'est l'accompagnement humain qui fait la différence, et c'est ce que dit le Conseil supérieur des programmes. L'autre volet, c'est la spécialité en secondes qui est proposée, de numérique et sciences informatiques, mais qui n'est pas dispensée dans tous les établissements. À nouveau, c'est une spécialité, donc il faut la choisir seulement au lycée. Il nous semble qu'en effet, il y a un fossé béant sur la question de la formation au numérique. Il y a évidemment des questions budgétaires, de trouver des professeurs compétents, formés, qui puissent dispenser un enseignement sur des créneaux horaires dédiés. Mais à nouveau, il y a une question d'ambition sur ce qu'on veut apporter à nos élèves. Et il nous semble qu'on a confondu dans la stratégie d'éducation nationale l'équipement et la formation. En fait, ce n'est pas en équipant les élèves massivement de tablettes et d'ordinateurs qu'on les forme de manière concrète et constructive à l'outil.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que ce serait tout à fait pertinent de créer une véritable matière du numérique à l'école, dès le collège. Et j'ajoute même des formations professionnelles obligées, qu'il faudrait qu'il y ait un module. cybersécurité dans cette matière du numérique. Je trouve que nos jeunes ont encore trop peu conscience de l'importance de ces enjeux qui dépassent le simple changement de mot de passe sur un réseau social. Et donc une matière du numérique, pour moi, serait un excellent moyen de lutter également sur les stéréotypes de genre. Je ne sais pas si vous le voyez déjà au niveau du numérique, mais on a fait quelques études. Je suis membre du bureau de l'association Women for Cyber qui se penche justement beaucoup sur ces questions. Et on constate que 56% des lycéennes sont intéressées par l'informatique, par le numérique. Et puis seulement 6,5% des élèves ingénieurs après, plus tard en cyber, sont des femmes. Et donc, en tout cas, le secteur de la cybersécurité compte que 17% de femmes. dans notre pays. Donc on a une vraie déperdition au moment de l'orientation. Et je pense que du coup, une vraie formation dès le plus jeune âge permettrait également de sensibiliser les élèves à l'importance de la diversité dans ces secteurs. Je rappelle qu'en tout cas, dans la cybersécurité, on a beaucoup de mal à recruter des talents, quels qu'ils soient, et en particulier des femmes, et que c'est un secteur où la diversité de point de vue est... particulièrement important, notamment pour avoir une approche la plus complémentaire possible face aux cyberattaques, face aux modes de pensée des attaques. Donc en tout cas, parenthèse cyber refermée. Je voudrais du coup continuer sur le côté numérique éducatif. L'émergence de la technologie dans le domaine de l'éducation représente un changement majeur pour l'enseignement. Cette révolution a été accélérée par la crise du Covid en 2020. Je pense que là, tout le monde a été forcé de se mettre sur les écrans. Comment est-ce que cette transformation a impacté votre quotidien en tant que professeure ?

  • Speaker #1

    Alors en fait, le gros changement des dernières années, et comme vous l'avez dit, qui s'est accéléré avec la crise du Covid, c'est l'arrivée des écrans individuels dans les salles de classe. C'est-à-dire que moi, quand j'ai commencé à enseigner il y a sept ans maintenant, chaque classe était équipée d'un ordinateur, d'un poste fixe avec un vidéoprojecteur. Et puis, ce qu'on appelle les ENT, les espaces numériques de travail, étaient déjà tout à fait opérationnels. Et j'étais honnêtement assez émerveillée par la qualité de la modernité de ces salles de classe, la possibilité de projeter du contenu audiovisuel aux élèves très facilement, cette facilité à nouveau de mettre le travail en ligne grâce aux ENT. Mais il y a une petite révolution qui s'est créée après le Covid, avec l'arrivée des tablettes ou des ordinateurs, mais essentiellement des tablettes. pour les élèves. Il y a eu cette question d'angoisse d'assurer la continuité pédagogique si les écoles ferment et qui a précipité la prise de décision des établissements et des collectivités territoriales d'équiper massivement les élèves. Ce que moi je constate de manière concrète, c'est que le fait d'équiper les élèves individuellement, ça a en fait transformé pas mal de choses. C'est-à-dire qu'à partir du moment où chaque élève avait une tablette, les manuels scolaires sont passés au format numérique. C'est-à-dire qu'on a plus aujourd'hui, de moins en moins de manuels scolaires papier, ce qui peut présenter des avantages. On se dit en fait c'est moins lourd à porter, etc. Et puis en fait dans une petite tablette, on a accès à tous les différents manuels. Mais ça veut dire que concrètement, pour avoir accès à tel exercice, à tel texte, nos élèves doivent se connecter en permanence, que ce soit à l'école ou à la maison. Et puis il y a aussi une révolution d'habitude qui s'est faite sur la prise de notes manuscrites. C'est-à-dire que maintenant, quand on veut ajouter un cours, nous, en tant que prof, on peut le faire sur une sorte de cloud, un espace collaboratif, auquel chaque élève a donc accès puisqu'il a sa propre tablette. Donc l'élève a moins besoin d'écrire, de prendre des notes, de noter le cours. Et c'est la même chose pour l'agenda, le cahier texte en ligne. C'est-à-dire que comme on est obligé de noter tout le travail à faire sur ce cahier texte en ligne, ce qui est très pratique, ce qui est un outil évidemment très positif, notamment quand il y a des absents, des élèves qui sont malades, ils peuvent avoir accès. de manière objective à ce qui a été donné. En fait, nos élèves ont perdu l'habitude de prendre des notes. Ils n'ont plus d'agenda, d'ailleurs. Quand on leur dit, vous noterez ceci à faire pour lundi, en fait, ils font autre chose. C'est la fin du cours, ils sont en train de ranger leurs affaires, etc. Ce qui fait que, concrètement, en fait, ils sont déresponsabilisés parce qu'ils se disent que de toute façon, on aura accès à l'information. C'est une sorte de béquille numérique, en fait. À tout moment, ils peuvent avoir accès à l'information, qui sera mieux notée, d'ailleurs, parce qu'elle est notée par le prof. Donc, ils n'ont pas besoin d'écouter, ils n'ont pas besoin de comprendre, et ils n'ont pas besoin de retenir. C'est-à-dire, ils rentrent chez eux, en fait, ils n'ont aucune idée de savoir ce qu'ils vont faire le lendemain, et ils sont ailleurs, en fait. Ils se reconnectent à la maison, à nouveau, et ils découvrent, à ce moment-là, ce qu'il faut faire pour le lendemain. C'est un problème qui touche, alors, les élèves, mais aussi les enseignants. Parce que, pour nous, c'est aussi une solution de facilité. C'est-à-dire que le cours est passé un peu vite, la séance est finie un peu trop vite, ça sonne, on n'a plus le temps, on se dit bon, je vous mettrai les devoirs sur l'ENT, sur le cahier de texte en ligne Et je sais aussi, par les retours que j'ai de parents d'élèves, qu'il y a des enseignants peut-être un peu peu scrupuleux qui rajoutent des combliés, qui rajoutent des devoirs au dernier moment, tard le soir, pour le lendemain. Enfin, il y a une sorte de dérive de pratiques qui ne sont absolument pas cadrées. Donc ce que je dirais, c'est que l'arrivée de ces écrans individuels a modifié vraiment les pratiques puisqu'on a... pas eu de cadre, pas eu de régulation des usages. On s'est intéressé à l'outil sans s'intéresser aux usagers, aux enseignants et aux élèves. Et en fait, à nouveau, c'est un outil qui n'est pas neutre, l'outil numérique. Donc ça pose des problèmes concrets dans la question des apprentissages, de l'éducation, qui est notre rôle en tant qu'enseignant, pour les élèves, les rendre autonomes et responsables.

  • Speaker #0

    Donc là, vous dites que dès la sixième, dans certains établissements, il y a des élèves qui ne prennent pas de notes pour leur...

  • Speaker #1

    Oui, alors parfois même dans certaines écoles primaires, puisque c'est les collectivités territoriales qui financent les équipements numériques. Donc certaines communes équipent les écoles primaires de tablettes. Mais de plus en plus, en effet, au collège, dès la sixième, les élèves sont équipés de tablettes et perdent cette habitude, s'ils n'ont jamais pris, de prendre des notes. Alors c'est compliqué parce qu'en fait, ça dépend de chaque enseignant, ça dépend de chaque équipe. école, chaque région, on a du mal à avoir une vision très homogène de ce qui se passe dans les écoles en France. Mais moi, en tant que témoignage, et ce que je peux vous dire de notre collectif, et puis des très nombreux témoignages qu'on recueille de la part des parents d'élèves, qui nous remercient d'exister parce que je pense qu'il y a une vraie détresse de la part des parents sur ce sujet, c'est qu'en effet, dans la réalité, il y a une perte de la prise de notes manuscrites et de cet effet de responsabilisation des enfants qui sont en permanence connectés.

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un sujet que vous avez pris tout de suite à bras-le-corps quand vous êtes arrivée ? Ou est-ce qu'il y a certains éléments progressivement qui vous ont alerté sur ce sujet ? Vous avez été témoin de la transition numérique à l'école ces dernières années, donc vous avez dû voir des effets positifs et des effets négatifs. Comment ça s'est fait en fait ?

  • Speaker #1

    Oui, alors comme je vous disais, moi d'abord, l'outil pour le professeur, je trouve qu'il est très bon. Je trouve, moi ça m'arrive en tant que prof de français de projeter des petits morceaux de pièces de théâtre à mes élèves, etc. Quand les écrans individuels sont arrivés, c'est là où les choses ont changé. Moi, j'ai essayé de m'y mettre, c'était en effet au moment du Covid. Et j'ai vu des potentialités assez incroyables, parce que la promesse du numérique, elle est géniale. Ce qui m'intéressait, c'était de me dire, par certaines applications, je peux avoir accès au cahier virtuel de mes élèves. J'ai une trentaine d'élèves dans chaque classe. Et en fait, ils ont plus besoin de rendre leur copie, mais je peux, en cliquant sur une fenêtre de ma tablette, avoir accès à leur travail, je peux les corriger, etc. Sauf qu'en fait, je n'ai pas le temps de les corriger en permanence, en temps réel. Donc l'impression que j'ai, c'est qu'en fait, pour pouvoir vraiment exploiter les potentialités de cet outil, ce qu'il faudrait, c'est une intelligence artificielle qui me fasse corriger à ma place les élèves, etc. mais ce qui me semble extrêmement dangereux du point de vue de l'humain, de la manière dont ça a été prouvé que dans la pédagogie, l'importance du contact humain, de l'interaction entre le professeur et l'élève est fondamentale. Et donc, il m'a semblé... Alors déjà, ça ne marchait pas très bien. J'avais toujours un élève qui avait un problème de connexion. On confond aussi, je trouve, nous, adultes, la maîtrise du numérique qu'on connaît dans les milieux professionnels, où les moyens sont importants. où on est formé, où notre objectif c'est d'être efficace, et puis la logique de l'élève, qui en effet oublie son chargeur, oublie son code, et pas toujours d'une très bonne volonté pour que ça fonctionne bien. Donc en fait, on complique la mise au travail en utilisant des intermédiaires techniques avec le numérique. Moi, ce qui m'a frappée, c'est le manque de concertation de cette transformation numérique. On nous a imposé l'outil sans demander notre avis à nous enseignants qui sommes en premier contact avec les élèves. Et puis quand on est réfractaire, souvent l'idée c'est que si on ne l'utilise pas, c'est qu'on ne sait pas s'en servir. Donc souvent la réponse c'est de dire on va former les enseignants sans s'intéresser à la raison pourquoi on ne l'utilise pas.

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il n'y a pas eu de réflexion finalement sur l'intérêt d'équiper ?

  • Speaker #1

    Alors il y a sûrement eu des réflexions, mais il y a eu un manque de concertation au niveau des établissements. Et c'est un outil qui nous a été imposé avec, comme je vous disais, cette question des manuels numériques qui vient contraindre notre liberté pédagogique parce que d'ailleurs, il n'y a plus de manuel en papier, on est obligé d'utiliser la tablette avec nos élèves. Et ça sans prise en compte vraiment notre expérience. C'est le rôle de notre collectif, c'est de mettre en avant nos témoignages, notre expérience de terrain pour montrer comment ça se passe vraiment dans les salles de classe avec nos élèves et quels sont les plus-values réelles du numérique pour l'éducation. Oui,

  • Speaker #0

    il y a certains arguments, certaines personnes qui vont arguer que finalement tous ces outils, ces tablettes numériques, etc., elles vont constituer un moyen de lutter contre les inégalités et la précarité numérique. auxquelles de nombreux élèves sont confrontés. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

  • Speaker #1

    Alors, moi je pense, et c'est l'avis qu'on partage dans notre collectif Éducation numérique raisonnée, c'est qu'en fait, l'intrusion du numérique à l'école, au contraire, renforce les inégalités sociales. Nous, ce qu'on voit, c'est une très forte différence entre les parents de milieux plus favorisés qui ont conscience des enjeux, des potentiels risques du numérique sur les enfants. qui vont acheter les manuels scolaires, ils vont acheter une version en double, ils nous le disent en rendez-vous les parents. On a acheté le manuel parce qu'on n'en pouvait plus qu'ils soient en permanence connectés. Donc il y a ces enfants-là qui vont avoir accès aux papiers contrairement aux autres et puis qui vont contrôler le temps d'écran avec cette question, ce côté extrêmement complexe de comment réguler le temps d'écran, comment vérifier que votre enfant qui est sur sa tablette, il fait vraiment son exercice de maths et il n'est pas en train de regarder une vidéo ou en train de jouer en ligne. on sait que les parents qui sont plus présents, ils vont plus faire attention et plus cadrer ça. Les parents qui travaillent ou qui sont pas là ou qui n'ont pas conscience des enjeux, ça leur échappe en fait. De la même manière que le numérique récréatif, on sait que la place que prennent les écrans, elle est un petit peu limitée dans les malieux favorisés où les enfants sont inscrits à des cours de musique, sont inscrits dans des clubs sportifs, etc. Et donc cette emprise du numérique, Il nous semble qu'elle renforce au contraire les inégalités sociales. De la même manière, un bon élève, ça ne posera pas de problème pour lui. Le bon élève qui est hyper motivé en classe, il sort bien, on lui demande d'ouvrir sa tablette, de faire l'exercice, il le fait. Le problème, c'est l'élève qui est moins motivé, qui est moins bon, qui va en profiter pour faire autre chose et on aura du mal à voir qu'il fait autre chose. Et ça, à nouveau, pour nous, c'est un facteur d'inégalité. C'est-à-dire qu'on en perd en fait. Et ceux qu'on perd, c'est ceux qui auraient besoin d'être encore plus accompagnés.

  • Speaker #0

    Je comprends. Et puis si on en croit la stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027, l'investissement dans ces mesures vise à renforcer les compétences numériques et à préparer les élèves au métier d'avenir du 21e siècle. En tout cas, c'était l'objectif de base. Et donc, en limitant ou en supprimant l'accès aux nouvelles technologies à l'école, est-ce que vous ne craignez pas de créer un fossé entre les élèves qui vont y avoir accès à la maison ? et donc qui vont pouvoir s'y former, et ceux qui ont des difficultés vont se retrouver avec moins d'opportures.

  • Speaker #1

    Alors, c'est une très bonne question. Et en fait, notre point de vue, il est plus nuancé que ça. C'est-à-dire qu'on ne veut pas supprimer l'accès aux nouvelles technologies à l'école. On plaide pour le droit à la déconnexion. C'est-à-dire qu'on veut qu'à la maison, les élèves n'aient pas besoin de se connecter pour faire leurs devoirs. Et pour aussi simplifier la mission d'éducation parentale, de dire en fait, quand votre enfant travaille, il est pour l'école, le téléphone et la tablette sont éteints, dans une autre pièce, il est... pleinement concentré, il faut qu'il y ait des bouquins, il faut qu'il y ait de quoi écrire et on sait qu'ils travaillent pour l'école. Notre point de vue, il est de garantir la liberté pédagogique de nos collègues, des enseignants. Et on considère, alors moi, à titre personnel, j'avoue, je suis très peu convaincue de la plus-value du numérique éducatif. D'ailleurs, les études ne prouvent pas de vrais bénéfices. Mais je conçois tout à fait que j'ai des collègues qui puissent faire des séquences pédagogiques très pertinentes en utilisant, pourquoi pas, la tablette. un exercice dans un but précis, de manière ponctuelle, en classe. Donc ça, c'est nous, quelque chose qu'on considère qui doit pouvoir être maintenu à la liberté des professeurs, simplement de faire la différence entre ce qui se passe à l'école, sous le contrôle de l'enseignant, et ce qui se passe à la maison, qui doit être libre et déconnecté. À nouveau, notre idée, ce n'est pas de supprimer, mais de cadrer, de réguler l'usage.

  • Speaker #0

    et de revenir sur cette politique, cette stratégie que vous l'avez citée, cette stratégie numérique de l'éducation que je connais bien et qui, à mon avis, fait l'erreur de se centrer sur l'outil et non pas sur les usagers. Parce qu'elle va dans le sens des équipements individuels des élèves sans du tout réfléchir aux impacts sur les enseignants, sur les élèves eux-mêmes, alors qu'évidemment, c'est une question qui est fondamentale.

  • Speaker #1

    Vous parlez de cette stratégie qui fait l'erreur de se centrer sur l'outil. Il y a d'autres pays qui ont fait cette stratégie, qui ont choisi cette voie il y a quelques temps et qui en reviennent. Je pense à la Suède qui a été pionnière pour le numérique à l'école et qui actuellement fait marche arrière en jugeant les écrans responsables de la baisse du niveau des élèves. Donc, suivant l'avis des médecins, le pays souhaite réduire le temps passé devant les écrans et revenir aux manuels scolaires imprimés. Est-ce que vous jugez, vous l'avez déjà dit, mais que les écrans sont vraiment en grande partie responsables de la baisse de niveau des élèves ? Est-ce que ce n'est pas aussi dû à un désintérêt général ou un problème de pédagogie plus profond ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est complexe comme question et je ne suis pas légitime pour y répondre entièrement. Ce que je peux dire, c'est qu'à mon avis, c'est probablement pas le seul responsable, il y a beaucoup d'éléments à prendre en compte, mais c'est un... Comment dire ? C'est ce qui a fondamentalement modifié l'enfance et l'adolescence de nos élèves. Les élèves que j'ai dans ma classe, ils n'ont pas la même enfance que celle que nous, adultes, on a eue. Et c'est un problème qui est plus large que celui des écrans à l'école, et c'est là où, pour nous, notre collectif, bien qu'enseignant, on s'intéresse aussi au numérique récréatif, pas seulement au numérique éducatif, parce qu'on considère que les élèves que vous, parents, vous nous confiez. C'est la matière brute qu'on doit modeler, qu'on doit former, à qui on doit donner un esprit critique, qu'on doit enseigner certaines choses, etc. Mais en fait, la matière brute, elle est un peu pourrie quand elle a été complètement, comment dire, absorbée par les écrans, quand finalement la capacité d'attention est en baisse, quand elle a un certain mal-être, parce qu'on voit les chiffres de la santé mentale sont effrayants sur les jeunes d'aujourd'hui. Et on a prouvé les liens avec les réseaux sociaux, la responsabilité des réseaux sociaux. Donc notre idée, en fait, c'est de dire que pour régler un problème qui est certain, on ne va pas l'accentuer. C'est-à-dire qu'il y a un problème qui est de temps d'écran trop important, qui est à nouveau une question de temps volé à d'autres activités dont ont besoin nos élèves pour se développer, pour s'épanouir. Ne rajoutons pas du problème en leur rajoutant du temps d'écran à l'école. Et pour moi, l'un des chiffres les plus symptomatiques, c'est la lecture. Quand on voit que c'est la dernière enquête du Centre national du livre qui est parue récemment, 19 minutes par jour pour les jeunes de temps de lecture d'un livre imprimé, contre 3h11 d'écran. Et alors ce chiffre est encore plus, comment dire, prenant quand on regarde la tranche des 16-19 ans, 12 minutes par jour versus 5h10. Et je ne parle pas du temps consacré à l'école, de la lecture pour l'école ou du temps d'écran pour l'école. Donc on a un problème qui est massif et dont on doit s'emparer. Et à nouveau, sans être alarmiste, je pense qu'on a un scandale sanitaire en cours pour lequel nos dirigeants devront rendre des comptes, l'éducation nationale aussi. Et grâce aux travaux récents... qui ont été mis à jour notamment par la commission d'experts, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Donc maintenant, il y a une prise de conscience collective et l'école doit évidemment s'emparer du problème parce que c'est une question d'éducation.

  • Speaker #1

    J'irais même plus loin, il y a l'IA dont on n'a pas encore parlé, mais vous êtes professeur de lettres, donc vous donnez des dissertations à faire à vos élèves. Aujourd'hui, en fait, ils ont accès à énormément d'outils, je pense à Tchad GPT, mais il y en a plein d'autres. ne serait-ce qu'une recherche Google, en fait, pour pouvoir trouver des idées. Comment est-ce que vous pouvez nous parler de l'émergence de l'IA dans la vie de vos élèves ?

  • Speaker #0

    Oui, alors c'est un problème qui n'est pas nouveau. C'est-à-dire que moi, ça fait longtemps que je ne donne plus de travail, de réflexion, d'écriture à faire à la maison, parce que je sais que toutes les idées vont être prises sur Internet. Mais c'est un point, en fait, c'est un point que maintenant, quand je dis on va faire un... par exemple, un début d'année. On va faire une introduction sur tel sujet, mais je ne donne pas à l'avance le sujet, je donne juste la thématique. On va le faire en classe. J'ai trois ou quatre élèves qui m'ont écrit en classe exactement la même introduction. Je me suis dit, ce n'est pas possible, ils ont triché, ils ont été regardés sur Internet, etc. On a pris les choses au sérieux, on les a interrogés, etc. Je suis convaincue que ces élèves... que j'aime beaucoup d'ailleurs, n'ont pas triché. En fait, ils ont appris par cœur la veille ce qu'ils ont été pomper sur Internet sur un sujet très vague, mais qui n'avait pas vraiment de rapport avec la question, puisque je n'avais pas donné la question précise de dissertation. Donc en fait, nos élèves sont tellement peu sûrs d'eux, ils sont tellement convaincus qu'ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, que là, ils préféraient apprendre par cœur au cas où ce serait à peu près en lien avec le sujet, plutôt que se dire, allez, je me mets en danger et je vais essayer de trouver par moi-même une introduction. Donc je pense que ce problème de manque de confiance en soi et d'incapacité à réfléchir par soi-même, on l'a depuis longtemps dès lors qu'on a internet et que nos élèves, à la maison, vont aller chercher sur internet toute l'information. Là où il est un peu plus pervers avec l'intelligence artificielle, c'est qu'autant on peut... En deux secondes, je découvre ce que l'élève a pioché sur internet, c'est très facile de le confronter. Avec les outils comme ChatGPT, c'est plus complexe. Et moi, j'ai fait l'effort d'ailleurs de demander des exposés. Fais-moi la manière d'un élève de première, un exposé sur tel sujet. Honnêtement, ils sont très bons. Ils arrivent à imiter le style un peu maladroit des élèves. Donc, ce qui est compliqué, c'est qu'on leur donne des outils à nouveau qui les empêchent de penser par eux-mêmes. Et pour moi, le problème de l'intelligence artificielle et ce que je découvre à l'éducation, éducation nationale, dans ce que j'observe, c'est le même enthousiasme qui manque de recul critique qu'on a eu avec le numérique, de se dire en fait, ça va apporter des choses extraordinaires, alors que j'attendrais une sorte de méfiance, d'un principe de précaution. Ce que je trouve inquiétant avec l'intelligence artificielle, c'est que je vois pour nous, adultes, dans la vie professionnelle, que c'est une chance énorme de pouvoir être plus performant, d'aller plus vite, de ne pas faire les tâches ennuyeuses. Mais l'objectif d'un professionnel n'est pas du tout le même que celui d'un élève, qui doit apprendre justement en se trompant. La performance n'a aucun intérêt, en fait. Elle devrait n'avoir aucun intérêt dans le cursus scolaire. Ce que j'attends de voir d'un élève qui fait une dissertation, c'est la manière dont il a été lire l'œuvre, essayer de la comprendre, il a réfléchi à analyser le sujet. par lui-même, il s'est trompé, il a fait un hors-sujet. C'est tout ça qui m'intéresse. Je pense que je n'ai jamais encadré une dissertation bien réussie, ça n'intéresse personne, en fait, le résultat. C'est vraiment le cheminement qui est intéressant. Or, l'intelligence artificielle, elle vous donne la promesse de faire quelque chose de très très bien, très rapidement, sans vous ennuyer à lire l'œuvre, parce que maintenant, c'est ça. La suite, c'est que l'intelligence artificielle propose de dialoguer avec l'œuvre, donc de proposer des citations toutes faites qu'on a juste à aller vérifier. Mais on marche sur la tête, parce que tout l'intérêt de... de ce qu'on veut transmettre à nos élèves, c'est justement le goût de la lecture et cette capacité à réfléchir par soi-même avec le sens de l'effort qui est aussi, ça fait un peu ringard de dire ça, mais c'est fondamental en fait. Si à l'école on n'apprend pas ce sens de l'effort avec le plaisir de réussir après s'être trompé, en fait, que deviendront les adultes de demain qui se retrouveront ensuite en entreprise, qui seront nos médecins, qui auront des postes à responsabilité plus tard ?

  • Speaker #1

    Qui ne sauront pas réfléchir par eux-mêmes, effectivement. C'est mieux le... Votre propos de dire que c'est un véritable scandale sanitaire pour cette génération, c'est une génération sacrifiée. Il est urgent d'agir et de poser un cadre pour ces jeunes, peut-être par le gouvernement ou peut-être directement auprès des écoles.

  • Speaker #0

    Exactement, c'est notre rôle, c'est la raison pour laquelle on est mobilisés. On espère convaincre à la fois les pouvoirs publics. et de manière plus fine sur le plan local, les écoles. Et je m'adresse aussi à nouveau aux parents d'élèves. C'est avec eux qu'on va pouvoir faire changer les choses en appelant au respect de ce droit à la déconnexion et à un cadre plus clair sur le numérique.

  • Speaker #1

    J'aimerais élargir un peu aux écrans de smartphone. Vous parliez du numérique récréatif. J'aimerais parler du rapport de la commission Écran qui est sorti il y a quelques semaines. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce qu'il y a dit ?

  • Speaker #0

    Oui, alors d'abord c'est une dizaine d'experts qui se sont réunis de différents milieux pour faire un état des lieux du rapport des jeunes aux écrans, des enfants et des adolescents, et proposer des pistes pour améliorer les choses. La première chose, c'est les mots très forts qui ont été prononcés dans ce rapport. On parle de danger pour l'humanité, presque un enjeu civilisationnel. Ce qui est intéressant, c'est qu'ici, on a énormément d'enquêtes scientifiques qui ont été compilées. On peut dire qu'on a un vrai consensus scientifique maintenant sur les effets des écrans, enfin des écrans, ça ne veut rien dire, mais l'usage numérique chez les jeunes. Autre chose intéressante, c'est la responsabilité des réseaux sociaux qui a été pointée aussi de manière très ferme. On a parlé de marchandisation des enfants. C'est très fort en fait. Donc je dirais que je ségrerais à ces experts d'avoir rendu collective cette prise de conscience. Dans la mesure où maintenant, on a la matière pour agir. Alors dans les propositions concrètes... beaucoup, beaucoup de choses, mais je dirais peut-être le plus... Ce qui ressort, c'est la question progressive de l'accès aux smartphones par âge. Donc, il est suggéré d'attendre 13 ans pour donner accès à un téléphone connecté aux enfants, mais d'attendre 15 ans pour leur donner accès à un réseau social éthique. J'avoue que je ne connaissais pas le concept, j'ai découvert. C'est quoi un réseau social éthique ? C'est certains réseaux sociaux qui sont plus respectueux des enfants, enfin de la... données personnelles, etc. Et la commission recommande d'attendre 18 ans pour avoir accès aux réseaux sociaux qu'on connaît. Peut-être une petite critique, c'est le manque de lisibilité de ces recommandations. Pour nous, il nous semble qu'il faut être clair et interdire le smartphone, parce qu'on sait qu'avec le smartphone, il y a les réseaux sociaux, il y a tout l'accès à Internet, avant 15 ans, avant le lycée. Et c'est un mouvement qui commence à être européen. On a des pays voisins. en Angleterre, en Espagne, en Italie, qui commencent à réclamer, souvent c'est des initiatives des parents, pour protéger les enfants, d'attendre et de légiférer pour reculer l'âge de l'acquisition du premier smartphone.

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a effectivement besoin que les gouvernements se saisissent de ce sujet parce que les parents seuls, comme vous le disiez tout à l'heure, sont un peu démunis face à ça. C'est un des... Premier sujet de Discord à la maison. Il y a un vrai sujet de pression sociale sur les parents. Forcément, on a parlé que son enfant soit exclu quand tous les autres enfants de la classe ont un téléphone et accès à des réseaux sociaux. C'est difficile de tout faire porter aux parents. Est-ce que vous pensez, du coup, qu'il y a des mesures législatives et des engagements des académies qui vont voir le jour dans les prochains mois ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est ce qu'on espère, parce que c'est un problème pour lequel la solution ne peut être que collective. Comme vous disiez, c'est impossible pour les familles de gérer cette pression sociale. Le problème du smartphone, c'est que c'est à la fois un outil qui rapproche et un outil qui éloigne. Smartphone, il y a le téléphone, qui rassure aussi les parents dans le lien qu'on peut avoir avec ses enfants quand ils partent seuls à l'école, de se dire qu'on peut les joindre à tout moment. Et puis, il y a l'accès à Internet. avec les réseaux sociaux, qui les met en danger, qui est sans limite en fait, et qui est une sorte d'emprise addictive pour les enfants. Ce que je peux vous dire, c'est que les différents rendez-vous qu'on a eu avec des cabinets ministériels, on a eu en face de nous des conseillers qui nous soutenaient beaucoup et qui étaient prêts à aller dans le sens d'une interdiction. J'en n'entends pas beaucoup parler dans les médias. Donc je pense qu'il faut un énorme courage politique et une forte ambition pour la jeunesse, pour prendre ce sujet et le porter pour en faire une proposition de loi. Mais à mon sens, c'est absolument nécessaire. De la même manière qu'on a interdit le tabac et l'alcool avant 18 ans, on a besoin de protéger nos enfants. Ils n'ont pas besoin d'avoir un smartphone avant 15 ans, avant le lycée, d'avoir un accès à Internet. Il faut les reconnecter au réel. Et c'est aussi une des missions de notre collectif, l'éducation numérique raisonnée, c'est de reconnecter les enfants au réel.

  • Speaker #1

    Vous parlez également du... Pacte Smartphone, est-ce que vous pourriez nous en dire plus ?

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est une initiative que je trouve très intéressante, qui a été initiée par des parents d'élèves, à l'instar de ce qui se fait en Angleterre et en Italie je crois. Avant justement d'avoir une loi qui permette de protéger les familles, des parents se sont réunis, se sont mobilisés pour s'engager de manière collective à retarder l'acquisition du premier smartphone. L'idée, c'est justement de lutter contre cette pression sociale, que quand votre enfant vous dit mais en fait, tout le monde dans ma classe a un smartphone ce qui souvent d'ailleurs n'est pas tout à fait vrai, mais de se dire non, en fait, je ne veux pas que tu sois exclu, je ne veux pas que tu sois le seul c'est de se dire en fait, on est plusieurs au sein de ton établissement, plusieurs parents à s'engager à attendre le lycée pour t'équiper d'un smartphone Donc c'est un site internet, c'est très simple, moi je l'ai fait pour mes enfants. Vous rentrez l'adresse de votre école. et puis vous engagez, vous notez les dates de naissance de vos enfants, vous cliquez pour vous engager à attendre le lycée pour les équiper, et puis ensuite vous avez une carte interactive, où vous pouvez voir en France tous les différents pactes smartphone qui ont émergé, et le nombre de signataires qu'il y a à chaque fois. Donc c'est tout début de l'initiative pour l'instant, mais il y en a déjà un peu partout. Mais évidemment j'en parle et j'en fais la promotion, parce que plus seront nombreux les parents à signer et à s'engager, plus ce sera facile en fait. Si dans une classe, vous avez une majorité d'enfants qui n'ont pas de smartphone, c'est beaucoup plus facile de résister et de créer cette atmosphère. On parlait de reconnecter au réel, de proposer des alternatives, de faire en sorte que les enfants sortent, aillent jouer au foot, aillent au cinéma, se retrouvent entre eux et fassent des activités sans écran, déconnectées.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est engageant pour les écoles qui voient ces initiatives-là et qui vont se dire qu'on va aussi mettre en place des actions pour limiter les smartphones ? prendre tous les téléphones à l'arrivée à l'école à 8h30 et les restituer à

  • Speaker #0

    16h30. Alors c'est un autre sujet qui est important et qui est complexe, parce qu'en fait ça demande une mise en place, techniquement d'avoir des casiers, il y a aussi une question de responsabilité juridique, quand l'enfant donne son smartphone, dans quel état il le retrouve, qui est responsable entre temps, etc. Donc pour nous, la solution au problème, c'est vraiment qu'au collège il n'y ait pas de smartphone, que l'enfant ne vienne pas à l'école avec un smartphone. Et il y a des solutions alternatives, parce qu'on comprend le besoin des parents d'être en lien avec les enfants. On peut leur donner encore des téléphones. Il y a un tout nouveau téléphone avec écran tactile qui ressemble à un smartphone, mais sans accès à Internet, qui est en train de sortir, qui va être proposé en septembre. Ça s'appelle The Phone. Je suis en contact avec sa fondatrice, qui a un projet vraiment très intéressant de protection des enfants, de donner le meilleur aux enfants. la possibilité d'appeler, mais sans cette emprise, sans cette infinie possibilité d'Internet qui leur fait plus de mal que de bien.

  • Speaker #1

    Très bien, écoutez, je vous remercie beaucoup Agnès. On a encore beaucoup de choses à faire pour poser un cadre à l'éducation du numérique. Si chaque parent s'engage via ses pactes smartphone, et si le gouvernement et les écoles s'engagent à leur niveau, il sera possible de protéger nos enfants de l'usage déraisonné du numérique et donc de les aider à grandir. à penser et à construire leur propre raisonnement en toute indépendance. Merci beaucoup pour cet échange.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'avoir interviewée, de m'avoir donné la parole.

  • Speaker #1

    Je partage absolument vos positions pour une éducation numérique raisonnée. Merci à tous qui nous écoutez. J'espère que cet épisode vous a plu. Retrouvez les clips vidéo de cet épisode sur mon LinkedIn, Anne-Laure Delarivière. N'hésitez pas à nous suivre sur toutes les plateformes d'écoute et à nous laisser 5 étoiles sur Apple Podcast. À très vite dans l'œil de la cyber !

Description

Quoi de mieux comme épisode de rentrée qu'un thème sur le numérique à l'école ?


Le numérique s'y est imposé ces dernières années : 9 enseignants sur 10 reconnaissent aujourd'hui les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leurs cours dans le premier degré. Mais derrière cette apparente révolution éducative, se cache une question fondamentale : à quel point cette digitalisation rapide sert-elle vraiment nos enfants ? 

  

Découvrez mon échange passionnant avec Agnès Fabre, professeure au collège et lycée et cofondatrice du collectif pour une Éducation Numérique Raisonnée, pour explorer ces enjeux complexes.  

  • Comment le tout numérique modifie-t-il les habitudes d'apprentissage des élèves ?  

  • Que perdons-nous en abandonnant les manuels papier et les devoirs écrits ? Faut-il ralentir, voire revenir en arrière, à l’instar de la Suède ? 

  • Sommes-nous en train de sacrifier une génération sur l'autel du progrès technologique ? 

  

En France, le collectif “Education numérique raisonnée” reproche à l’Education nationale de voir le numérique comme un moyen d'enseignement et non comme une matière à part entière. Agnès milite pour un usage raisonné du numérique à l'école, où le plaisir de lire, de réfléchir, et d'apprendre reste au cœur de l'éducation. Ensemble, nous discuterons des solutions possibles pour trouver un équilibre entre former nos enfants aux compétences numériques indispensables et éviter qu'ils ne soient submergés par les écrans. 

  

Quel avenir pour nos enfants dans cette école hyperconnectée ? Rejoignez-nous pour une conversation essentielle et des réponses à toutes ces questions. 

 

👉Retrouvez "Dans l'œil de la cyber" sur toutes les plateformes d'écoute : https://smartlink.ausha.co/dans-l-oeil-de-la-cyber


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🙏Un immense merci à tous ceux qui ont déjà laissé un avis ou 5 étoiles sur Apple Podcast ! Vos retours sont précieux !


💬 Si le podcast vous plaît ou si vous souhaitez simplement me faire un feedback, n'hésitez pas à me laisser un avis, je serai ravie de vous lire et de vous répondre !


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🎙️"Dans l'œil de la cyber" est un podcast qui donne la parole aux acteurs majeurs du numérique pour décoder les grands sujets et tendances de ce secteur et de la cyber en particulier.


👩Je suis Anne-Laure de La Rivière, Directrice de la communication et des affaires publiques de Gatewatcher, une PME française spécialisée en détection des cyberattaques.


Bonne écoute ! 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans l'œil de la cyber, le podcast qui donne la parole aux acteurs du numérique. Je suis Anne-Laure de Larivière, directrice de la communication chez Gatewatcher, et je reçois Agnès Fabre, professeure certifiée de lettres classiques et cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Aujourd'hui, nous allons parler des enjeux du numérique dans le milieu scolaire. Neuf enseignants sur dix reconnaissent les bénéfices pédagogiques du numérique et l'utilisent pour préparer leur cours dans le premier degré. Et quelles sont les deux sources d'un tel changement éducatif ? Comment la France prépare-t-elle cette transition numérique ? Et sommes-nous à la hauteur de ce challenge ? Retrouvez tous nos podcasts sur www.gatewatcher.com, catégorie podcast. Si vous aimez ce qu'on fait, pensez à vous abonner au podcast dans l'œil de la cible pour ne pas rater la sortie du prochain épisode. Bonne écoute ! Agnès Fabre, bonjour !

  • Speaker #1

    Bonjour !

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté mon invitation. Alors une fois n'est pas coutume, j'ai choisi d'aborder un sujet qui n'est pas directement lié à la cybersécurité. Il s'agit d'une grande actualité du numérique, c'est l'éducation numérique pour nos jeunes. Alors avant d'aborder la première question, j'aimerais revenir sur votre parcours. Agnès, vous êtes ancienne élève d'Hippo Cagnes et Cagnes au lycée Louis-le-Grand. Vous êtes également diplômée de l'ESSEC avec un MBA programme grande école. Vous avez commencé votre carrière dans le marketing opérationnel chez Air France. avant de devenir Product Manager chez Thalys. Et puis ensuite, vous avez décidé de vous reconvertir et de suivre votre passion pour l'enseignement en devenant professeur de français et de latin au collège et au lycée. C'est bien ça ?

  • Speaker #1

    C'est ça.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous a conduit à faire cette reconversion ?

  • Speaker #1

    Alors, j'aimais beaucoup ce que je faisais en entreprise, mais j'ai eu besoin de trouver encore plus de sens. Et le métier de l'enseignement était pour moi ce qui donnait le plus de sens, en fait, quand il s'agit de laisser mes enfants, quand j'ai eu ma deuxième fille. J'avais besoin de reconnecter avec mon parcours littéraire, de me remettre à la lecture et de réapprendre certaines choses qui me manquaient en entreprise. Et j'ai trouvé dans la transmission des savoirs ce contact humain qui me manquait et qui m'épanouit pleinement aujourd'hui. Le grand écart est important et pourtant je retrouve certains éléments qui sont communs, notamment une certaine... sens du marketing quand il s'agit de faire de la pédagogie, de rendre accessible aux élèves des notions qui peuvent être compliquées. Et puis la dimension analytique aussi, quand je lis des copies, de comprendre en fait quel est le mode de raisonnement des élèves, quelles sont leurs erreurs, comment les guider. J'ai l'impression de retrouver certains éléments d'un travail un peu analytique que je faisais déjà en entreprise finalement.

  • Speaker #0

    C'est intéressant. Alors vous êtes également cofondatrice du collectif Éducation numérique raisonnée. Donc votre objectif c'est d'alerter et de sensibiliser sur l'utilisation des outils numériques à l'école pour les élèves et donc d'en promouvoir un usage raisonné. Vous avez à la fois fait un appel et une lettre, est-ce que vous pourriez détailler les objectifs apportés par ce collectif ?

  • Speaker #1

    Oui, alors déjà peut-être d'abord un petit mot sur le collectif, on est une vingtaine d'enseignants et de personnels de direction. Je pense que notre initiative est très novatrice, on s'est créé en janvier, il y a quelques mois seulement. Et on a réussi à mobiliser à la fois des enseignants du public et du privé, des personnels de direction et des enseignants. C'est assez nouveau d'avoir un groupe comme ça mobilisé sur une question qui dépasse nos simples revendications de métier, mais qui concerne vraiment le bien de nos élèves. Ce qui nous réunit, c'est le constat qu'on fait de l'emprise du numérique sur nos élèves, essentiellement récréatif d'ailleurs, la manière dont nos élèves sont accaparés par leurs écrans, au détriment de nombreuses autres activités. épanouissante et nécessaire pour leur développement. On est un peu partout en France et ce qui est intéressant, c'est que malgré la diversité des horizons, des milieux professionnels qui sont nés les nôtres, le constat est le même. Et donc notre appel, il porte à la fois sur ce qu'on appelle le numérique récréatif, c'est-à-dire le divertissement des enfants et des adolescents sur les écrans, et puis le numérique éducatif, la manière dont on utilise le numérique pour apprendre. Il y a cinq points. Les deux premiers concernent le numérique récréatif. D'abord, on demande une forte campagne de prévention qui aujourd'hui est inexistante pour instaurer un cadre dans les usages du numérique à la maison. On attend une démarche co-éducative avec les parents.

  • Speaker #0

    On entend souvent chez les médecins ou même quelques campagnes qui disent pas d'écran avant trois ans

  • Speaker #1

    Alors on le voit, mais c'est encore assez timide et souvent c'est cantonné aux âges, alors qu'il nous semble qu'il faudrait en fait un vrai cadre, une vraie hygiène de vie, un peu comme la routine des cinq fruits et légumes par jour qui est vraiment rentrée maintenant dans les mentalités, de dire en fait il ne faut pas d'écran dans la chambre à coucher, il ne faut pas de dessin animé avant d'aller à l'école le matin. On a des collègues du premier degré qui nous disent, ils voient en fait les enfants qui ont vu un dessin animé avant de venir à l'école par rapport aux autres, parce que l'effet sur la concentration est énorme. pas d'écran à table parce que c'est un moment où les interactions sociales, langagières sont extrêmement importantes au sein de la famille. Enfin toute une série de règles qu'il faut communiquer aux parents qui souvent sont démunis et nous ce qu'on constate c'est que les parents viennent nous voir et souvent ne savent pas et quand ils savent ils considèrent qu'ils n'ont pas la légitimité où il y a une sorte de crise d'autorité parentale pour lutter contre ce phénomène tentaculaire des écrans qui est le premier source de conflit dans les familles aujourd'hui. Donc c'est une première La première étape, ce serait la prévention, mais aussi de proposer des alternatives. Et notre appel, il demande aussi de réfléchir à une vraie politique ambitieuse pour la jeunesse, de proposer des alternatives, des divertissements sans écran, de promouvoir la lecture, mais aussi le sport, l'accès à la culture. Enfin, comment remplacer ce temps libre qui aujourd'hui est complètement accaparé par les jeux vidéo, par les smartphones, etc. Et le deuxième volet qui concerne plus le numérique éducatif. C'est d'abord le droit à la déconnexion qu'on réclame pour nos élèves, c'est-à-dire qu'on demande à ce qu'ils puissent travailler à la maison sans écran. Ça ne veut pas dire qu'on veut supprimer complètement les écrans, on considère qu'il peut y avoir un intérêt pédagogique en classe, mais qu'à la maison, on doit sacraliser un temps de concentration sans écran, ce qui n'est pas le cas du tout aujourd'hui, on en parlera probablement tout à l'heure. Et le dernier point, c'est de faire du numérique un vrai objet d'enseignement, en fait une matière de... un enseignement à part entière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où on a confondu le numérique comme moyen d'enseignement pour d'autres matières plus traditionnelles, alors qu'on considère que c'est des sciences et des enjeux qui doivent s'apprendre à l'école.

  • Speaker #0

    Est-ce que vous avez un objectif de nombre de signatures pour cet appel, et un objectif de résultat concret ?

  • Speaker #1

    L'appel, en effet, on l'a lancé sur notre site internet, et d'ailleurs j'invite vos auditeurs à le signer. Ce n'est pas une pétition, c'est un vrai projet éducatif, il est assez complexe.

  • Speaker #0

    J'en profite, est-ce que vous pouvez nous rappeler ?

  • Speaker #1

    Éducation-numérique-raisonner.com C'est un prétexte pour nous de mobiliser la société civile. Aujourd'hui, on a un peu plus de 4000 signatures en quelques mois, dont un quart qui vient de la communauté éducative. On a à peu près plus de 1000 signataires d'enseignants ou autres. On sait qu'il y a des pétitions qui font beaucoup plus. Mais à nouveau, comme je vous le disais, c'est un prétexte pour mobiliser la société civile. Et notre objectif concret, c'est de mobiliser aussi les pouvoirs publics. Donc on a fait tout un travail de lobbying. On a rencontré les conseillers des différents cabinets ministériels, du président de la République. On a été auditionnés au Sénat. Et on essaie d'interpeller les pouvoirs publics pour se saisir de la question qui représente, selon nous, une urgence vraiment à la fois sanitaire et éducative.

  • Speaker #0

    Sur votre site internet, vous précisez être des adultes connectés, à l'aise avec la technologie, et que vous n'envisagez pas votre métier sans vous appuyer sur ces outils numériques, les ordinateurs, les tablettes, les ressources en ligne et les contenus audiovisuels. Qu'est-ce qui, selon vous, distingue l'utilisation de ces outils par les adultes et par les enfants, les élèves ? Et pourquoi est-ce que vous adoptez cette position ?

  • Speaker #1

    C'est une question intéressante. D'abord parce qu'on considère que ce sont des outils qui ne sont pas neutres. Je pense au travail de la commission d'experts qui est intervenue récemment pour étudier justement la question des écrans chez les jeunes et qui a établi un consensus scientifique sur les impacts de l'exposition aux écrans des enfants et des adolescents. Ce qu'on voit, c'est que l'impact sur l'œil, sur la vue de l'enfant et sur le sommeil sont extrêmement négatifs. Un enfant qui a l'œil qui est en maturation, en développement jusqu'à 16 ans. Et puis les cycles de sommeil à l'adolescence qui peuvent être perturbés souffrent d'une surexposition aux écrans. Mais également le cerveau, ça a été prouvé scientifiquement et on atteint sa maturation bien après le lycée, vers 20-25 ans. Et donc les enfants par nature sont en formation, en développement et donc plus fragiles et plus sensibles à des impacts négatifs qui peuvent venir des écrans et des outils numériques. Or, on sait que le caractère est extrêmement addictif du numérique. On considère qu'ils n'ont pas la maturité pour résister à ce caractère addictif. Et qu'un des plus grands problèmes, c'est le glissement du numérique éducatif. C'est-à-dire la bonne intention de dire on va faire apprendre sur un écran et le glissement vers le numérique récréatif qui vient ensuite prendre toute la place. Et le premier problème, Le problème, c'est la lecture, c'est la perte de la lecture chez les jeunes.

  • Speaker #0

    Même chez les adultes, il y a un problème d'addiction, parce que même si on a notre cerveau mature et qu'on n'a pas grandi avec ces outils numériques... On a quand même une vraie addiction.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Et notre... Alors, on l'utilise dans un but professionnel. C'est devenu incontournable. Mais c'est évident qu'il y a une sorte de phénomène d'absorption où notre temps est pris. Et il y a une sorte de... Pas toute la question de l'économie de l'attention où on ne maîtrise plus notre temps d'écran, comme vous dites, mais à plus forte raison chez les enfants. Mais plus je travaille sur le sujet, plus moi-même, je me remets en question. Et je trouve que c'est un peu la force des enfants et de l'éducation, c'est qu'en fait, les questions qu'on se pose pour le bien-être de nos enfants, ils nous invitent à nous remettre en question. Et il est évident qu'il y a un phénomène d'exemplarité, que dans les familles, quand les parents sont complètement absorbés par leur smartphone, et je plaide coupable en partie, c'est très compliqué ensuite de faire la part des choses. Donc c'est une remise en question collective qui doit se produire, c'est évident.

  • Speaker #0

    Bien sûr, il y a certains pays qui envisagent d'interdire. certains réseaux sociaux justement pour leur côté addictif. Donc on voit qu'on a vraiment du mal à s'en sortir en fait. Alors pour résumer, vous soutenez la mission de l'école qui est de former au numérique et donc de former aux outils tels que Excel, Word, etc. Mais vous ne souhaitez pas qu'on fasse du numérique une fin en soi, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Oui, alors moi quand j'ai commencé à enseigner il y a 7 ans, j'étais surprise d'entendre cette injonction de... d'intégrer le numérique à ma pratique pédagogique, c'est un peu le jargon de l'éducation nationale. En fait, je pense qu'il y a eu une certaine naïveté de considérer que le numérique, c'était la modernité et que l'école ne pouvait plus continuer à enseigner comme toujours. Et je pense qu'il y a quelque chose de très positif là-dedans, où on doit en effet se remettre en question, adapter l'enseignement, être à la pointe. Mais beaucoup de manque de recul critique sur justement la manière dont l'outil numérique vient en fait... transformer les apprentissages et prendre une place au détriment de beaucoup d'autres choses. Aujourd'hui, on le voit dans l'aspect récréatif, on se rend compte que tout le temps que nos enfants passent sur les réseaux sociaux, c'est du temps qu'ils ne passent pas à se parler, à jouer au ballon, à courir, qu'il y a un problème de sédentarité, etc. Mais à mon sens, il y a un problème qui est équivalent qui est en train de se produire à l'école avec le numérique éducatif. où le problème majeur, c'est la question du temps volé. C'est-à-dire quand vous mettez les enfants devant un écran, vous leur demandez d'autres exercices. Je pense par exemple à la banalisation des quiz en ligne. C'est très facile, c'est assez interactif, donc c'est plutôt agréable pour les élèves. C'est extrêmement rapide à corriger pour le prof, donc il y a quelque chose de très séduisant. Mais en fait, tout le temps que les enfants passent à remplir des quiz en ligne sur leur tablette ou sur leur ordinateur, c'est le temps qu'ils ne passent pas à s'entraîner, à rédiger. à faire des travaux rédactionnels. Alors, c'est un problème qui est très global, le problème de l'éducation en général. Mais moi, en tant que prof de français, pour avoir corrigé le bac encore cette année, je suis atterrée de voir le nombre de copies où c'est compliqué de trouver une phrase bien construite, avec un sujet, un verbe, un complément. Et c'est sûr que moins on s'entraîne à écrire, moins on écrit bien. Et il y a un vrai problème, à mon sens ici, de formation intellectuelle. de base que doit apporter l'école pour ensuite faire autre chose. Donc oui, notre objectif, c'est de former au numérique, c'est important, parce que ça va faire partie de la vie professionnelle de nos élèves, ça fait partie de notre monde contemporain, on ne peut pas le nier, mais de le garder à sa place d'outil, et de ne pas se faire contaminer, polluer par cet outil extrêmement envahissant, qui se fait souvent en détriment d'autres exigences.

  • Speaker #0

    Alors pour faire un apprentissage de l'outil numérique, et du coup le... Conseil supérieur des programmes de 2022 soutient votre vision, parce qu'il vise à la création d'une matière numérique à proprement parler, qui serait dispensée dès le collège, c'est bien ça ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est ça. Alors aujourd'hui, en fait, la formation en numérique, elle est essentiellement déléguée à la certification PICS, qui repose sur l'autonomie des élèves. Donc il y a une sorte d'auto-évaluation et puis ensuite de formation qui s'adapte au niveau de chaque élève. mais on est convaincu que c'est l'accompagnement humain qui fait la différence, et c'est ce que dit le Conseil supérieur des programmes. L'autre volet, c'est la spécialité en secondes qui est proposée, de numérique et sciences informatiques, mais qui n'est pas dispensée dans tous les établissements. À nouveau, c'est une spécialité, donc il faut la choisir seulement au lycée. Il nous semble qu'en effet, il y a un fossé béant sur la question de la formation au numérique. Il y a évidemment des questions budgétaires, de trouver des professeurs compétents, formés, qui puissent dispenser un enseignement sur des créneaux horaires dédiés. Mais à nouveau, il y a une question d'ambition sur ce qu'on veut apporter à nos élèves. Et il nous semble qu'on a confondu dans la stratégie d'éducation nationale l'équipement et la formation. En fait, ce n'est pas en équipant les élèves massivement de tablettes et d'ordinateurs qu'on les forme de manière concrète et constructive à l'outil.

  • Speaker #0

    Bien sûr. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense que ce serait tout à fait pertinent de créer une véritable matière du numérique à l'école, dès le collège. Et j'ajoute même des formations professionnelles obligées, qu'il faudrait qu'il y ait un module. cybersécurité dans cette matière du numérique. Je trouve que nos jeunes ont encore trop peu conscience de l'importance de ces enjeux qui dépassent le simple changement de mot de passe sur un réseau social. Et donc une matière du numérique, pour moi, serait un excellent moyen de lutter également sur les stéréotypes de genre. Je ne sais pas si vous le voyez déjà au niveau du numérique, mais on a fait quelques études. Je suis membre du bureau de l'association Women for Cyber qui se penche justement beaucoup sur ces questions. Et on constate que 56% des lycéennes sont intéressées par l'informatique, par le numérique. Et puis seulement 6,5% des élèves ingénieurs après, plus tard en cyber, sont des femmes. Et donc, en tout cas, le secteur de la cybersécurité compte que 17% de femmes. dans notre pays. Donc on a une vraie déperdition au moment de l'orientation. Et je pense que du coup, une vraie formation dès le plus jeune âge permettrait également de sensibiliser les élèves à l'importance de la diversité dans ces secteurs. Je rappelle qu'en tout cas, dans la cybersécurité, on a beaucoup de mal à recruter des talents, quels qu'ils soient, et en particulier des femmes, et que c'est un secteur où la diversité de point de vue est... particulièrement important, notamment pour avoir une approche la plus complémentaire possible face aux cyberattaques, face aux modes de pensée des attaques. Donc en tout cas, parenthèse cyber refermée. Je voudrais du coup continuer sur le côté numérique éducatif. L'émergence de la technologie dans le domaine de l'éducation représente un changement majeur pour l'enseignement. Cette révolution a été accélérée par la crise du Covid en 2020. Je pense que là, tout le monde a été forcé de se mettre sur les écrans. Comment est-ce que cette transformation a impacté votre quotidien en tant que professeure ?

  • Speaker #1

    Alors en fait, le gros changement des dernières années, et comme vous l'avez dit, qui s'est accéléré avec la crise du Covid, c'est l'arrivée des écrans individuels dans les salles de classe. C'est-à-dire que moi, quand j'ai commencé à enseigner il y a sept ans maintenant, chaque classe était équipée d'un ordinateur, d'un poste fixe avec un vidéoprojecteur. Et puis, ce qu'on appelle les ENT, les espaces numériques de travail, étaient déjà tout à fait opérationnels. Et j'étais honnêtement assez émerveillée par la qualité de la modernité de ces salles de classe, la possibilité de projeter du contenu audiovisuel aux élèves très facilement, cette facilité à nouveau de mettre le travail en ligne grâce aux ENT. Mais il y a une petite révolution qui s'est créée après le Covid, avec l'arrivée des tablettes ou des ordinateurs, mais essentiellement des tablettes. pour les élèves. Il y a eu cette question d'angoisse d'assurer la continuité pédagogique si les écoles ferment et qui a précipité la prise de décision des établissements et des collectivités territoriales d'équiper massivement les élèves. Ce que moi je constate de manière concrète, c'est que le fait d'équiper les élèves individuellement, ça a en fait transformé pas mal de choses. C'est-à-dire qu'à partir du moment où chaque élève avait une tablette, les manuels scolaires sont passés au format numérique. C'est-à-dire qu'on a plus aujourd'hui, de moins en moins de manuels scolaires papier, ce qui peut présenter des avantages. On se dit en fait c'est moins lourd à porter, etc. Et puis en fait dans une petite tablette, on a accès à tous les différents manuels. Mais ça veut dire que concrètement, pour avoir accès à tel exercice, à tel texte, nos élèves doivent se connecter en permanence, que ce soit à l'école ou à la maison. Et puis il y a aussi une révolution d'habitude qui s'est faite sur la prise de notes manuscrites. C'est-à-dire que maintenant, quand on veut ajouter un cours, nous, en tant que prof, on peut le faire sur une sorte de cloud, un espace collaboratif, auquel chaque élève a donc accès puisqu'il a sa propre tablette. Donc l'élève a moins besoin d'écrire, de prendre des notes, de noter le cours. Et c'est la même chose pour l'agenda, le cahier texte en ligne. C'est-à-dire que comme on est obligé de noter tout le travail à faire sur ce cahier texte en ligne, ce qui est très pratique, ce qui est un outil évidemment très positif, notamment quand il y a des absents, des élèves qui sont malades, ils peuvent avoir accès. de manière objective à ce qui a été donné. En fait, nos élèves ont perdu l'habitude de prendre des notes. Ils n'ont plus d'agenda, d'ailleurs. Quand on leur dit, vous noterez ceci à faire pour lundi, en fait, ils font autre chose. C'est la fin du cours, ils sont en train de ranger leurs affaires, etc. Ce qui fait que, concrètement, en fait, ils sont déresponsabilisés parce qu'ils se disent que de toute façon, on aura accès à l'information. C'est une sorte de béquille numérique, en fait. À tout moment, ils peuvent avoir accès à l'information, qui sera mieux notée, d'ailleurs, parce qu'elle est notée par le prof. Donc, ils n'ont pas besoin d'écouter, ils n'ont pas besoin de comprendre, et ils n'ont pas besoin de retenir. C'est-à-dire, ils rentrent chez eux, en fait, ils n'ont aucune idée de savoir ce qu'ils vont faire le lendemain, et ils sont ailleurs, en fait. Ils se reconnectent à la maison, à nouveau, et ils découvrent, à ce moment-là, ce qu'il faut faire pour le lendemain. C'est un problème qui touche, alors, les élèves, mais aussi les enseignants. Parce que, pour nous, c'est aussi une solution de facilité. C'est-à-dire que le cours est passé un peu vite, la séance est finie un peu trop vite, ça sonne, on n'a plus le temps, on se dit bon, je vous mettrai les devoirs sur l'ENT, sur le cahier de texte en ligne Et je sais aussi, par les retours que j'ai de parents d'élèves, qu'il y a des enseignants peut-être un peu peu scrupuleux qui rajoutent des combliés, qui rajoutent des devoirs au dernier moment, tard le soir, pour le lendemain. Enfin, il y a une sorte de dérive de pratiques qui ne sont absolument pas cadrées. Donc ce que je dirais, c'est que l'arrivée de ces écrans individuels a modifié vraiment les pratiques puisqu'on a... pas eu de cadre, pas eu de régulation des usages. On s'est intéressé à l'outil sans s'intéresser aux usagers, aux enseignants et aux élèves. Et en fait, à nouveau, c'est un outil qui n'est pas neutre, l'outil numérique. Donc ça pose des problèmes concrets dans la question des apprentissages, de l'éducation, qui est notre rôle en tant qu'enseignant, pour les élèves, les rendre autonomes et responsables.

  • Speaker #0

    Donc là, vous dites que dès la sixième, dans certains établissements, il y a des élèves qui ne prennent pas de notes pour leur...

  • Speaker #1

    Oui, alors parfois même dans certaines écoles primaires, puisque c'est les collectivités territoriales qui financent les équipements numériques. Donc certaines communes équipent les écoles primaires de tablettes. Mais de plus en plus, en effet, au collège, dès la sixième, les élèves sont équipés de tablettes et perdent cette habitude, s'ils n'ont jamais pris, de prendre des notes. Alors c'est compliqué parce qu'en fait, ça dépend de chaque enseignant, ça dépend de chaque équipe. école, chaque région, on a du mal à avoir une vision très homogène de ce qui se passe dans les écoles en France. Mais moi, en tant que témoignage, et ce que je peux vous dire de notre collectif, et puis des très nombreux témoignages qu'on recueille de la part des parents d'élèves, qui nous remercient d'exister parce que je pense qu'il y a une vraie détresse de la part des parents sur ce sujet, c'est qu'en effet, dans la réalité, il y a une perte de la prise de notes manuscrites et de cet effet de responsabilisation des enfants qui sont en permanence connectés.

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un sujet que vous avez pris tout de suite à bras-le-corps quand vous êtes arrivée ? Ou est-ce qu'il y a certains éléments progressivement qui vous ont alerté sur ce sujet ? Vous avez été témoin de la transition numérique à l'école ces dernières années, donc vous avez dû voir des effets positifs et des effets négatifs. Comment ça s'est fait en fait ?

  • Speaker #1

    Oui, alors comme je vous disais, moi d'abord, l'outil pour le professeur, je trouve qu'il est très bon. Je trouve, moi ça m'arrive en tant que prof de français de projeter des petits morceaux de pièces de théâtre à mes élèves, etc. Quand les écrans individuels sont arrivés, c'est là où les choses ont changé. Moi, j'ai essayé de m'y mettre, c'était en effet au moment du Covid. Et j'ai vu des potentialités assez incroyables, parce que la promesse du numérique, elle est géniale. Ce qui m'intéressait, c'était de me dire, par certaines applications, je peux avoir accès au cahier virtuel de mes élèves. J'ai une trentaine d'élèves dans chaque classe. Et en fait, ils ont plus besoin de rendre leur copie, mais je peux, en cliquant sur une fenêtre de ma tablette, avoir accès à leur travail, je peux les corriger, etc. Sauf qu'en fait, je n'ai pas le temps de les corriger en permanence, en temps réel. Donc l'impression que j'ai, c'est qu'en fait, pour pouvoir vraiment exploiter les potentialités de cet outil, ce qu'il faudrait, c'est une intelligence artificielle qui me fasse corriger à ma place les élèves, etc. mais ce qui me semble extrêmement dangereux du point de vue de l'humain, de la manière dont ça a été prouvé que dans la pédagogie, l'importance du contact humain, de l'interaction entre le professeur et l'élève est fondamentale. Et donc, il m'a semblé... Alors déjà, ça ne marchait pas très bien. J'avais toujours un élève qui avait un problème de connexion. On confond aussi, je trouve, nous, adultes, la maîtrise du numérique qu'on connaît dans les milieux professionnels, où les moyens sont importants. où on est formé, où notre objectif c'est d'être efficace, et puis la logique de l'élève, qui en effet oublie son chargeur, oublie son code, et pas toujours d'une très bonne volonté pour que ça fonctionne bien. Donc en fait, on complique la mise au travail en utilisant des intermédiaires techniques avec le numérique. Moi, ce qui m'a frappée, c'est le manque de concertation de cette transformation numérique. On nous a imposé l'outil sans demander notre avis à nous enseignants qui sommes en premier contact avec les élèves. Et puis quand on est réfractaire, souvent l'idée c'est que si on ne l'utilise pas, c'est qu'on ne sait pas s'en servir. Donc souvent la réponse c'est de dire on va former les enseignants sans s'intéresser à la raison pourquoi on ne l'utilise pas.

  • Speaker #0

    Vous dites qu'il n'y a pas eu de réflexion finalement sur l'intérêt d'équiper ?

  • Speaker #1

    Alors il y a sûrement eu des réflexions, mais il y a eu un manque de concertation au niveau des établissements. Et c'est un outil qui nous a été imposé avec, comme je vous disais, cette question des manuels numériques qui vient contraindre notre liberté pédagogique parce que d'ailleurs, il n'y a plus de manuel en papier, on est obligé d'utiliser la tablette avec nos élèves. Et ça sans prise en compte vraiment notre expérience. C'est le rôle de notre collectif, c'est de mettre en avant nos témoignages, notre expérience de terrain pour montrer comment ça se passe vraiment dans les salles de classe avec nos élèves et quels sont les plus-values réelles du numérique pour l'éducation. Oui,

  • Speaker #0

    il y a certains arguments, certaines personnes qui vont arguer que finalement tous ces outils, ces tablettes numériques, etc., elles vont constituer un moyen de lutter contre les inégalités et la précarité numérique. auxquelles de nombreux élèves sont confrontés. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

  • Speaker #1

    Alors, moi je pense, et c'est l'avis qu'on partage dans notre collectif Éducation numérique raisonnée, c'est qu'en fait, l'intrusion du numérique à l'école, au contraire, renforce les inégalités sociales. Nous, ce qu'on voit, c'est une très forte différence entre les parents de milieux plus favorisés qui ont conscience des enjeux, des potentiels risques du numérique sur les enfants. qui vont acheter les manuels scolaires, ils vont acheter une version en double, ils nous le disent en rendez-vous les parents. On a acheté le manuel parce qu'on n'en pouvait plus qu'ils soient en permanence connectés. Donc il y a ces enfants-là qui vont avoir accès aux papiers contrairement aux autres et puis qui vont contrôler le temps d'écran avec cette question, ce côté extrêmement complexe de comment réguler le temps d'écran, comment vérifier que votre enfant qui est sur sa tablette, il fait vraiment son exercice de maths et il n'est pas en train de regarder une vidéo ou en train de jouer en ligne. on sait que les parents qui sont plus présents, ils vont plus faire attention et plus cadrer ça. Les parents qui travaillent ou qui sont pas là ou qui n'ont pas conscience des enjeux, ça leur échappe en fait. De la même manière que le numérique récréatif, on sait que la place que prennent les écrans, elle est un petit peu limitée dans les malieux favorisés où les enfants sont inscrits à des cours de musique, sont inscrits dans des clubs sportifs, etc. Et donc cette emprise du numérique, Il nous semble qu'elle renforce au contraire les inégalités sociales. De la même manière, un bon élève, ça ne posera pas de problème pour lui. Le bon élève qui est hyper motivé en classe, il sort bien, on lui demande d'ouvrir sa tablette, de faire l'exercice, il le fait. Le problème, c'est l'élève qui est moins motivé, qui est moins bon, qui va en profiter pour faire autre chose et on aura du mal à voir qu'il fait autre chose. Et ça, à nouveau, pour nous, c'est un facteur d'inégalité. C'est-à-dire qu'on en perd en fait. Et ceux qu'on perd, c'est ceux qui auraient besoin d'être encore plus accompagnés.

  • Speaker #0

    Je comprends. Et puis si on en croit la stratégie numérique pour l'éducation 2023-2027, l'investissement dans ces mesures vise à renforcer les compétences numériques et à préparer les élèves au métier d'avenir du 21e siècle. En tout cas, c'était l'objectif de base. Et donc, en limitant ou en supprimant l'accès aux nouvelles technologies à l'école, est-ce que vous ne craignez pas de créer un fossé entre les élèves qui vont y avoir accès à la maison ? et donc qui vont pouvoir s'y former, et ceux qui ont des difficultés vont se retrouver avec moins d'opportures.

  • Speaker #1

    Alors, c'est une très bonne question. Et en fait, notre point de vue, il est plus nuancé que ça. C'est-à-dire qu'on ne veut pas supprimer l'accès aux nouvelles technologies à l'école. On plaide pour le droit à la déconnexion. C'est-à-dire qu'on veut qu'à la maison, les élèves n'aient pas besoin de se connecter pour faire leurs devoirs. Et pour aussi simplifier la mission d'éducation parentale, de dire en fait, quand votre enfant travaille, il est pour l'école, le téléphone et la tablette sont éteints, dans une autre pièce, il est... pleinement concentré, il faut qu'il y ait des bouquins, il faut qu'il y ait de quoi écrire et on sait qu'ils travaillent pour l'école. Notre point de vue, il est de garantir la liberté pédagogique de nos collègues, des enseignants. Et on considère, alors moi, à titre personnel, j'avoue, je suis très peu convaincue de la plus-value du numérique éducatif. D'ailleurs, les études ne prouvent pas de vrais bénéfices. Mais je conçois tout à fait que j'ai des collègues qui puissent faire des séquences pédagogiques très pertinentes en utilisant, pourquoi pas, la tablette. un exercice dans un but précis, de manière ponctuelle, en classe. Donc ça, c'est nous, quelque chose qu'on considère qui doit pouvoir être maintenu à la liberté des professeurs, simplement de faire la différence entre ce qui se passe à l'école, sous le contrôle de l'enseignant, et ce qui se passe à la maison, qui doit être libre et déconnecté. À nouveau, notre idée, ce n'est pas de supprimer, mais de cadrer, de réguler l'usage.

  • Speaker #0

    et de revenir sur cette politique, cette stratégie que vous l'avez citée, cette stratégie numérique de l'éducation que je connais bien et qui, à mon avis, fait l'erreur de se centrer sur l'outil et non pas sur les usagers. Parce qu'elle va dans le sens des équipements individuels des élèves sans du tout réfléchir aux impacts sur les enseignants, sur les élèves eux-mêmes, alors qu'évidemment, c'est une question qui est fondamentale.

  • Speaker #1

    Vous parlez de cette stratégie qui fait l'erreur de se centrer sur l'outil. Il y a d'autres pays qui ont fait cette stratégie, qui ont choisi cette voie il y a quelques temps et qui en reviennent. Je pense à la Suède qui a été pionnière pour le numérique à l'école et qui actuellement fait marche arrière en jugeant les écrans responsables de la baisse du niveau des élèves. Donc, suivant l'avis des médecins, le pays souhaite réduire le temps passé devant les écrans et revenir aux manuels scolaires imprimés. Est-ce que vous jugez, vous l'avez déjà dit, mais que les écrans sont vraiment en grande partie responsables de la baisse de niveau des élèves ? Est-ce que ce n'est pas aussi dû à un désintérêt général ou un problème de pédagogie plus profond ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est complexe comme question et je ne suis pas légitime pour y répondre entièrement. Ce que je peux dire, c'est qu'à mon avis, c'est probablement pas le seul responsable, il y a beaucoup d'éléments à prendre en compte, mais c'est un... Comment dire ? C'est ce qui a fondamentalement modifié l'enfance et l'adolescence de nos élèves. Les élèves que j'ai dans ma classe, ils n'ont pas la même enfance que celle que nous, adultes, on a eue. Et c'est un problème qui est plus large que celui des écrans à l'école, et c'est là où, pour nous, notre collectif, bien qu'enseignant, on s'intéresse aussi au numérique récréatif, pas seulement au numérique éducatif, parce qu'on considère que les élèves que vous, parents, vous nous confiez. C'est la matière brute qu'on doit modeler, qu'on doit former, à qui on doit donner un esprit critique, qu'on doit enseigner certaines choses, etc. Mais en fait, la matière brute, elle est un peu pourrie quand elle a été complètement, comment dire, absorbée par les écrans, quand finalement la capacité d'attention est en baisse, quand elle a un certain mal-être, parce qu'on voit les chiffres de la santé mentale sont effrayants sur les jeunes d'aujourd'hui. Et on a prouvé les liens avec les réseaux sociaux, la responsabilité des réseaux sociaux. Donc notre idée, en fait, c'est de dire que pour régler un problème qui est certain, on ne va pas l'accentuer. C'est-à-dire qu'il y a un problème qui est de temps d'écran trop important, qui est à nouveau une question de temps volé à d'autres activités dont ont besoin nos élèves pour se développer, pour s'épanouir. Ne rajoutons pas du problème en leur rajoutant du temps d'écran à l'école. Et pour moi, l'un des chiffres les plus symptomatiques, c'est la lecture. Quand on voit que c'est la dernière enquête du Centre national du livre qui est parue récemment, 19 minutes par jour pour les jeunes de temps de lecture d'un livre imprimé, contre 3h11 d'écran. Et alors ce chiffre est encore plus, comment dire, prenant quand on regarde la tranche des 16-19 ans, 12 minutes par jour versus 5h10. Et je ne parle pas du temps consacré à l'école, de la lecture pour l'école ou du temps d'écran pour l'école. Donc on a un problème qui est massif et dont on doit s'emparer. Et à nouveau, sans être alarmiste, je pense qu'on a un scandale sanitaire en cours pour lequel nos dirigeants devront rendre des comptes, l'éducation nationale aussi. Et grâce aux travaux récents... qui ont été mis à jour notamment par la commission d'experts, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Donc maintenant, il y a une prise de conscience collective et l'école doit évidemment s'emparer du problème parce que c'est une question d'éducation.

  • Speaker #1

    J'irais même plus loin, il y a l'IA dont on n'a pas encore parlé, mais vous êtes professeur de lettres, donc vous donnez des dissertations à faire à vos élèves. Aujourd'hui, en fait, ils ont accès à énormément d'outils, je pense à Tchad GPT, mais il y en a plein d'autres. ne serait-ce qu'une recherche Google, en fait, pour pouvoir trouver des idées. Comment est-ce que vous pouvez nous parler de l'émergence de l'IA dans la vie de vos élèves ?

  • Speaker #0

    Oui, alors c'est un problème qui n'est pas nouveau. C'est-à-dire que moi, ça fait longtemps que je ne donne plus de travail, de réflexion, d'écriture à faire à la maison, parce que je sais que toutes les idées vont être prises sur Internet. Mais c'est un point, en fait, c'est un point que maintenant, quand je dis on va faire un... par exemple, un début d'année. On va faire une introduction sur tel sujet, mais je ne donne pas à l'avance le sujet, je donne juste la thématique. On va le faire en classe. J'ai trois ou quatre élèves qui m'ont écrit en classe exactement la même introduction. Je me suis dit, ce n'est pas possible, ils ont triché, ils ont été regardés sur Internet, etc. On a pris les choses au sérieux, on les a interrogés, etc. Je suis convaincue que ces élèves... que j'aime beaucoup d'ailleurs, n'ont pas triché. En fait, ils ont appris par cœur la veille ce qu'ils ont été pomper sur Internet sur un sujet très vague, mais qui n'avait pas vraiment de rapport avec la question, puisque je n'avais pas donné la question précise de dissertation. Donc en fait, nos élèves sont tellement peu sûrs d'eux, ils sont tellement convaincus qu'ils ne savent pas réfléchir par eux-mêmes, que là, ils préféraient apprendre par cœur au cas où ce serait à peu près en lien avec le sujet, plutôt que se dire, allez, je me mets en danger et je vais essayer de trouver par moi-même une introduction. Donc je pense que ce problème de manque de confiance en soi et d'incapacité à réfléchir par soi-même, on l'a depuis longtemps dès lors qu'on a internet et que nos élèves, à la maison, vont aller chercher sur internet toute l'information. Là où il est un peu plus pervers avec l'intelligence artificielle, c'est qu'autant on peut... En deux secondes, je découvre ce que l'élève a pioché sur internet, c'est très facile de le confronter. Avec les outils comme ChatGPT, c'est plus complexe. Et moi, j'ai fait l'effort d'ailleurs de demander des exposés. Fais-moi la manière d'un élève de première, un exposé sur tel sujet. Honnêtement, ils sont très bons. Ils arrivent à imiter le style un peu maladroit des élèves. Donc, ce qui est compliqué, c'est qu'on leur donne des outils à nouveau qui les empêchent de penser par eux-mêmes. Et pour moi, le problème de l'intelligence artificielle et ce que je découvre à l'éducation, éducation nationale, dans ce que j'observe, c'est le même enthousiasme qui manque de recul critique qu'on a eu avec le numérique, de se dire en fait, ça va apporter des choses extraordinaires, alors que j'attendrais une sorte de méfiance, d'un principe de précaution. Ce que je trouve inquiétant avec l'intelligence artificielle, c'est que je vois pour nous, adultes, dans la vie professionnelle, que c'est une chance énorme de pouvoir être plus performant, d'aller plus vite, de ne pas faire les tâches ennuyeuses. Mais l'objectif d'un professionnel n'est pas du tout le même que celui d'un élève, qui doit apprendre justement en se trompant. La performance n'a aucun intérêt, en fait. Elle devrait n'avoir aucun intérêt dans le cursus scolaire. Ce que j'attends de voir d'un élève qui fait une dissertation, c'est la manière dont il a été lire l'œuvre, essayer de la comprendre, il a réfléchi à analyser le sujet. par lui-même, il s'est trompé, il a fait un hors-sujet. C'est tout ça qui m'intéresse. Je pense que je n'ai jamais encadré une dissertation bien réussie, ça n'intéresse personne, en fait, le résultat. C'est vraiment le cheminement qui est intéressant. Or, l'intelligence artificielle, elle vous donne la promesse de faire quelque chose de très très bien, très rapidement, sans vous ennuyer à lire l'œuvre, parce que maintenant, c'est ça. La suite, c'est que l'intelligence artificielle propose de dialoguer avec l'œuvre, donc de proposer des citations toutes faites qu'on a juste à aller vérifier. Mais on marche sur la tête, parce que tout l'intérêt de... de ce qu'on veut transmettre à nos élèves, c'est justement le goût de la lecture et cette capacité à réfléchir par soi-même avec le sens de l'effort qui est aussi, ça fait un peu ringard de dire ça, mais c'est fondamental en fait. Si à l'école on n'apprend pas ce sens de l'effort avec le plaisir de réussir après s'être trompé, en fait, que deviendront les adultes de demain qui se retrouveront ensuite en entreprise, qui seront nos médecins, qui auront des postes à responsabilité plus tard ?

  • Speaker #1

    Qui ne sauront pas réfléchir par eux-mêmes, effectivement. C'est mieux le... Votre propos de dire que c'est un véritable scandale sanitaire pour cette génération, c'est une génération sacrifiée. Il est urgent d'agir et de poser un cadre pour ces jeunes, peut-être par le gouvernement ou peut-être directement auprès des écoles.

  • Speaker #0

    Exactement, c'est notre rôle, c'est la raison pour laquelle on est mobilisés. On espère convaincre à la fois les pouvoirs publics. et de manière plus fine sur le plan local, les écoles. Et je m'adresse aussi à nouveau aux parents d'élèves. C'est avec eux qu'on va pouvoir faire changer les choses en appelant au respect de ce droit à la déconnexion et à un cadre plus clair sur le numérique.

  • Speaker #1

    J'aimerais élargir un peu aux écrans de smartphone. Vous parliez du numérique récréatif. J'aimerais parler du rapport de la commission Écran qui est sorti il y a quelques semaines. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce qu'il y a dit ?

  • Speaker #0

    Oui, alors d'abord c'est une dizaine d'experts qui se sont réunis de différents milieux pour faire un état des lieux du rapport des jeunes aux écrans, des enfants et des adolescents, et proposer des pistes pour améliorer les choses. La première chose, c'est les mots très forts qui ont été prononcés dans ce rapport. On parle de danger pour l'humanité, presque un enjeu civilisationnel. Ce qui est intéressant, c'est qu'ici, on a énormément d'enquêtes scientifiques qui ont été compilées. On peut dire qu'on a un vrai consensus scientifique maintenant sur les effets des écrans, enfin des écrans, ça ne veut rien dire, mais l'usage numérique chez les jeunes. Autre chose intéressante, c'est la responsabilité des réseaux sociaux qui a été pointée aussi de manière très ferme. On a parlé de marchandisation des enfants. C'est très fort en fait. Donc je dirais que je ségrerais à ces experts d'avoir rendu collective cette prise de conscience. Dans la mesure où maintenant, on a la matière pour agir. Alors dans les propositions concrètes... beaucoup, beaucoup de choses, mais je dirais peut-être le plus... Ce qui ressort, c'est la question progressive de l'accès aux smartphones par âge. Donc, il est suggéré d'attendre 13 ans pour donner accès à un téléphone connecté aux enfants, mais d'attendre 15 ans pour leur donner accès à un réseau social éthique. J'avoue que je ne connaissais pas le concept, j'ai découvert. C'est quoi un réseau social éthique ? C'est certains réseaux sociaux qui sont plus respectueux des enfants, enfin de la... données personnelles, etc. Et la commission recommande d'attendre 18 ans pour avoir accès aux réseaux sociaux qu'on connaît. Peut-être une petite critique, c'est le manque de lisibilité de ces recommandations. Pour nous, il nous semble qu'il faut être clair et interdire le smartphone, parce qu'on sait qu'avec le smartphone, il y a les réseaux sociaux, il y a tout l'accès à Internet, avant 15 ans, avant le lycée. Et c'est un mouvement qui commence à être européen. On a des pays voisins. en Angleterre, en Espagne, en Italie, qui commencent à réclamer, souvent c'est des initiatives des parents, pour protéger les enfants, d'attendre et de légiférer pour reculer l'âge de l'acquisition du premier smartphone.

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a effectivement besoin que les gouvernements se saisissent de ce sujet parce que les parents seuls, comme vous le disiez tout à l'heure, sont un peu démunis face à ça. C'est un des... Premier sujet de Discord à la maison. Il y a un vrai sujet de pression sociale sur les parents. Forcément, on a parlé que son enfant soit exclu quand tous les autres enfants de la classe ont un téléphone et accès à des réseaux sociaux. C'est difficile de tout faire porter aux parents. Est-ce que vous pensez, du coup, qu'il y a des mesures législatives et des engagements des académies qui vont voir le jour dans les prochains mois ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est ce qu'on espère, parce que c'est un problème pour lequel la solution ne peut être que collective. Comme vous disiez, c'est impossible pour les familles de gérer cette pression sociale. Le problème du smartphone, c'est que c'est à la fois un outil qui rapproche et un outil qui éloigne. Smartphone, il y a le téléphone, qui rassure aussi les parents dans le lien qu'on peut avoir avec ses enfants quand ils partent seuls à l'école, de se dire qu'on peut les joindre à tout moment. Et puis, il y a l'accès à Internet. avec les réseaux sociaux, qui les met en danger, qui est sans limite en fait, et qui est une sorte d'emprise addictive pour les enfants. Ce que je peux vous dire, c'est que les différents rendez-vous qu'on a eu avec des cabinets ministériels, on a eu en face de nous des conseillers qui nous soutenaient beaucoup et qui étaient prêts à aller dans le sens d'une interdiction. J'en n'entends pas beaucoup parler dans les médias. Donc je pense qu'il faut un énorme courage politique et une forte ambition pour la jeunesse, pour prendre ce sujet et le porter pour en faire une proposition de loi. Mais à mon sens, c'est absolument nécessaire. De la même manière qu'on a interdit le tabac et l'alcool avant 18 ans, on a besoin de protéger nos enfants. Ils n'ont pas besoin d'avoir un smartphone avant 15 ans, avant le lycée, d'avoir un accès à Internet. Il faut les reconnecter au réel. Et c'est aussi une des missions de notre collectif, l'éducation numérique raisonnée, c'est de reconnecter les enfants au réel.

  • Speaker #1

    Vous parlez également du... Pacte Smartphone, est-ce que vous pourriez nous en dire plus ?

  • Speaker #0

    Oui, alors ça c'est une initiative que je trouve très intéressante, qui a été initiée par des parents d'élèves, à l'instar de ce qui se fait en Angleterre et en Italie je crois. Avant justement d'avoir une loi qui permette de protéger les familles, des parents se sont réunis, se sont mobilisés pour s'engager de manière collective à retarder l'acquisition du premier smartphone. L'idée, c'est justement de lutter contre cette pression sociale, que quand votre enfant vous dit mais en fait, tout le monde dans ma classe a un smartphone ce qui souvent d'ailleurs n'est pas tout à fait vrai, mais de se dire non, en fait, je ne veux pas que tu sois exclu, je ne veux pas que tu sois le seul c'est de se dire en fait, on est plusieurs au sein de ton établissement, plusieurs parents à s'engager à attendre le lycée pour t'équiper d'un smartphone Donc c'est un site internet, c'est très simple, moi je l'ai fait pour mes enfants. Vous rentrez l'adresse de votre école. et puis vous engagez, vous notez les dates de naissance de vos enfants, vous cliquez pour vous engager à attendre le lycée pour les équiper, et puis ensuite vous avez une carte interactive, où vous pouvez voir en France tous les différents pactes smartphone qui ont émergé, et le nombre de signataires qu'il y a à chaque fois. Donc c'est tout début de l'initiative pour l'instant, mais il y en a déjà un peu partout. Mais évidemment j'en parle et j'en fais la promotion, parce que plus seront nombreux les parents à signer et à s'engager, plus ce sera facile en fait. Si dans une classe, vous avez une majorité d'enfants qui n'ont pas de smartphone, c'est beaucoup plus facile de résister et de créer cette atmosphère. On parlait de reconnecter au réel, de proposer des alternatives, de faire en sorte que les enfants sortent, aillent jouer au foot, aillent au cinéma, se retrouvent entre eux et fassent des activités sans écran, déconnectées.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est engageant pour les écoles qui voient ces initiatives-là et qui vont se dire qu'on va aussi mettre en place des actions pour limiter les smartphones ? prendre tous les téléphones à l'arrivée à l'école à 8h30 et les restituer à

  • Speaker #0

    16h30. Alors c'est un autre sujet qui est important et qui est complexe, parce qu'en fait ça demande une mise en place, techniquement d'avoir des casiers, il y a aussi une question de responsabilité juridique, quand l'enfant donne son smartphone, dans quel état il le retrouve, qui est responsable entre temps, etc. Donc pour nous, la solution au problème, c'est vraiment qu'au collège il n'y ait pas de smartphone, que l'enfant ne vienne pas à l'école avec un smartphone. Et il y a des solutions alternatives, parce qu'on comprend le besoin des parents d'être en lien avec les enfants. On peut leur donner encore des téléphones. Il y a un tout nouveau téléphone avec écran tactile qui ressemble à un smartphone, mais sans accès à Internet, qui est en train de sortir, qui va être proposé en septembre. Ça s'appelle The Phone. Je suis en contact avec sa fondatrice, qui a un projet vraiment très intéressant de protection des enfants, de donner le meilleur aux enfants. la possibilité d'appeler, mais sans cette emprise, sans cette infinie possibilité d'Internet qui leur fait plus de mal que de bien.

  • Speaker #1

    Très bien, écoutez, je vous remercie beaucoup Agnès. On a encore beaucoup de choses à faire pour poser un cadre à l'éducation du numérique. Si chaque parent s'engage via ses pactes smartphone, et si le gouvernement et les écoles s'engagent à leur niveau, il sera possible de protéger nos enfants de l'usage déraisonné du numérique et donc de les aider à grandir. à penser et à construire leur propre raisonnement en toute indépendance. Merci beaucoup pour cet échange.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup de m'avoir interviewée, de m'avoir donné la parole.

  • Speaker #1

    Je partage absolument vos positions pour une éducation numérique raisonnée. Merci à tous qui nous écoutez. J'espère que cet épisode vous a plu. Retrouvez les clips vidéo de cet épisode sur mon LinkedIn, Anne-Laure Delarivière. N'hésitez pas à nous suivre sur toutes les plateformes d'écoute et à nous laisser 5 étoiles sur Apple Podcast. À très vite dans l'œil de la cyber !

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