Speaker #0au coeur sombre de la normandie en france lĂ oĂč le vent charrie une odeur de rouille et de ruines depuis les usines d'Ă©labrĂ© un jeune homme nommĂ© julien laurent titubait dans une vie sur le point de se dĂ©chirer en lambeaux innommables c'Ă©tait le juillet et l'air pesait lourd sur l'Ă©tendue industrielle de Rouen, saturĂ©e d'une promesse de pourriture. Julien, un Ă©tudiant en ingĂ©nierie de 23 ans aux yeux trop brillants pour le monde tachĂ© de crasse qu'il habitait, se tenait dans la salle de pose de la scierie des CrĂȘpes, oĂč il travaillait comme mĂ©canicien. pendant ses congĂ©s d'Ă©tĂ©. Les nĂ©ons bourdonnaient comme des mouches mourantes, projetant une lueur maladive sur le linoleum Ă©brĂ©chĂ©, et les deux hommes assis Ă la table, mĂąchant leurs sandwiches en silence. Ils Ă©taient plus ĂągĂ©s, Henri, un homme sec dans la cinquantaine au visage taillĂ© par des annĂ©es de rancune, et Marcel, une silhouette massive dont les yeux semblaient se vous transpercer pour contempler un abĂźme secret. Julien, toujours l'Ă©tranger, versa ses cĂ©rĂ©ales dans un bol Ă©brĂ©chĂ©, le bruit des flocons rĂ©sonnant comme une petite rĂ©bellion contre le silence. silence oppressant. Il prit son carton de lait sans lactose dans le frigo commun, une nĂ©cessitĂ© pour son estomac fragile, et s'assit, esquissant un sourire qui resta sans rĂ©ponse. L'air Ă©tait viciĂ© ici, chargĂ© d'une malveillance muette qui collait au mur comme une moisissure humide. « Dure journĂ©e, hein ? » tenta Julien, sa voix brisant le silence comme un os qui craque. Marcel leva les yeux, son regard froid et reptilien, et haussa les Ă©paules avant de replonger dans son repas. Henri, lui, s'interrompit en pleine bouchĂ©e, une grimace tordant ses traits burinĂ©s. « Pas bonne, » marmonna-t-il d'une voix rauque. « La tĂȘte cogne. L'estomac est en vrac. J'ai l'impression de pourrir de l'intĂ©rieur. » Julien Ausha la tĂȘte, mal Ă l'aise et incertain, et enfourna ses cĂ©rĂ©ales pour noyer son malaise. Les deux hommes reprirent en leur silence, et bientĂŽt il s'Ă©chappa de la salle de pause, le poids de leur regard pesant sur sa colonne vertĂ©brale. Mais quelques minutes plus tard, alors qu'il se penchait sur une machine rouillĂ©e sur le sol de l'usine, une douleur lui dĂ©chira l'abdomen. AiguĂ«, brĂ»lante, vivante, il se plia en deux, haletant. Sa clĂ© tombant de sa main pour heurter le bĂ©ton dans un clangue mĂ©tallique. Une nausĂ©e monta comme une marĂ©e. Et il agrippa son ventre, l'esprit en Ă©bullition. IntolĂ©rance au lactose, bien sĂ»r, mais il avait utilisĂ© son lait, n'est-ce pas ? Il tituba jusqu'Ă la salle de pause, ouvrit le frigo Ă la volĂ©e et le vit. Son carton, seul, intact de toute autre main. La prise de conscience le frappa comme un point. Pas de lactose, pas d'erreur. Quelque chose d'autre le rongeait, quelque chose de tordu. Il regagna Ă peine sa voiture. Le monde vacillant dans une danse malade, tandis qu'il filait chez lui, dans son petit appartement Ă l'ombre des flĂšches gothiques de Rouen. LĂ , il vomit dans les toilettes, une bile noire et huileuse qui semblait s'agiter en touchant l'eau. Quand il se releva, s'essuyant la bouche, une nouvelle horreur s'insinua. Ses doigts picotaient, puis s'engourdissaient, comme si la vie s'en Ă©coulait. Il flĂ©chit les mains, dĂ©sespĂ©rĂ©, mais la sensation s'Ă©tendait, une mort froide et rampante grimpant le long de ses bras. « Maman ! » murmura-t-il dans le tĂ©lĂ©phone, sa voix tremblante comme celle d'un enfant. « J'ai besoin de toi. » Deux semaines plus tard, Julien Ă©tait prisonnier de son propre corps, une coquille se consumant dans un lit qui puait la sueur et le dĂ©sespoir. Sur les conseils de sa mĂšre, il avait vu un mĂ©decin qui avait balayĂ© ses plaintes. Surmenage, rien de plus, lui prescrivant des vitamines qui ne faisaient que se moquer de sa souffrance. Les picotements avaient envahi ses avant-bras. Et la nausĂ©e Ă©tait une compagne constante, une sensue aspirant sa volontĂ©. Ce matin-lĂ , il avait dĂ©cidĂ© de lutter, se doucher, manger, reprendre un semblant de normalitĂ©. Mais en titubant vers la salle de bain, ses jambes le trahir, se dĂ©robant comme des brindilles cassantes, il s'accrocha au chambranle, puis s'effondra, rampant jusqu'Ă son lit, les ongles griffant le plancher, bĂȘte blessĂ©e se traĂźnant pour mourir. Sa mĂšre le trouva lĂ , pĂąle et tremblant, et le conduisit Ă l'hĂŽpital. Une neurologue aux yeux perçants et Ă l'esprit acĂ©rĂ© examina son corps en dĂ©route. Elle l'interrogea sur les drogues, les blessures Ă la tĂȘte, les malĂ©dictions familiales, rien ne collait. Elle piqua ses bras et il ne sentit rien d'autre que le vide bourdonnant qui avait englouti ses nerfs. Ses rĂ©flexes Ă©taient lents, ses yeux vitreux sous sa lampe stylo. « Inflammation, dit-elle, la voix tendue par l'effroi. Cerveau, moelle Ă©piniĂšre, quelque chose vous attaque de l'intĂ©rieur. » Agneau ligotait sur l'autel d'un massacre inconnu. Six jours plus tard, la neurologue revint dans sa chambre et se figea. Julien Gisela, parodie grotesque de lui-mĂȘme, flasque gonflĂ©e, son visage un masque boursouflĂ©, ses yeux fixant un nĂ©ant que personne d'autre ne pouvait voir. Les scanners avaient confirmĂ© l'inflammation, un incendie ravageant son cerveau et son tronc cĂ©rĂ©bral. Mais aucune infection ne l'expliquait. Auto-immun, supposa-t-elle, mais les mĂ©dicaments qu'elle lui injecta « Ătait aussi inutile que des priĂšres Ă un dieu sourd. Comment vous sentez-vous ? » demanda-t-elle en touchant son Ă©paule. bascula, ses yeux roulant en arriĂšre pour rĂ©vĂ©ler des blancs injectĂ©s de sang. Et il croassa. Bouche, mĂ©tal. Elle cligna des yeux. GoĂ»t, oh ! un goĂ»t mĂ©tallique, un indice, un fil dans la tapisserie cauchemardesque, mais qui ne menait nulle part oĂč elle pouvait le suivre. Elle lui tendit un gobelet et il tenta de boire. Mais l'eau coula sur son menton, tĂąchant sa blouse d'un filet scintillant qui semblait pulser faiblement dans la pĂ©nombre. Elle le transfĂ©ra dans un hĂŽpital universitaire, espĂ©rant que des spĂ©cialistes pourront le faire. perceraient le voile qu'elles ne pouvaient traverser. Mais eux aussi furent dĂ©concertĂ©s, alors que ses reins et son foie commencĂšrent Ă lĂącher, organes pourrissant dans une enveloppe encore vivante. En septembre, Julien n'Ă©tait plus qu'un fantĂŽme dans le commun, son corps un champ de bataille, oĂč quelque chose d'ancien et vorace se repaissait. La plupart des mĂ©decins abandonnĂšrent, le soignant comme des jardiniers Ă©lagants un arbre mourant. Mais l'un d'eux, un homme Ă©maciĂ© au regard fiĂ©vreux, refusa de capituler. Il fouilla les revues mĂ©dicales. traquant les murmures de l'obscur, jusqu'Ă ce qu'il le trouve, un cas vieux de dĂ©cennie, des symptĂŽmes reflĂ©tant ceux de Julien dans un dĂ©filĂ© grotesque, crampes, engourdissements, gonflements cĂ©rĂ©brales, goĂ»ts mĂ©talliques, dĂ©faillance des organes, une maladie si rare qu'elle n'avait frappĂ© que trois fois en un siĂšcle, un test sanguin le confirma, et le triomphe du mĂ©decin se mua en horreur, Julien n'Ă©tait pas malade, il Ă©tait empoisonnĂ©, du mercure Ă des doses dĂ©fiant la raison, coulait dans ses veines, Ce n'Ă©tait pas un accident, c'Ă©tait un meurtre, lent et dĂ©libĂ©rĂ©, et cela signifiait que d'autres Ă©taient en danger. La police dĂ©ferla, dĂ©chirant la vie de Julien comme des vautours sur une charogne. Ils interrogĂšrent sa famille, ses amis, les drones de l'usine qu'ils connaissaient Ă peine. Des Ă©quipes mĂ©dico-lĂ©gales balayĂšrent son appartement, la scierie, mĂȘme le frigo de la salle de pause, cherchant la source. Rien. Julien persistait dans son Ă©tat vĂ©gĂ©tatif, cri muet, emprisonnĂ© dans la chair, tandis que l'enquĂȘte s'essoufflait. Deux ans passĂšrent, et la piste refroidit, jusqu'Ă ce que l'usine se remette Ă murmurer. Henri, l'homme bourru de ce dĂ©jeuner fatidique, s'effondra dans une insuffisance rĂ©nale, ses entrailles se liquĂ©fiant sous les machines de dialyse. Un autre ouvrier, Ătienne, vingt-six ans et audacieux, se plia en deux sous des douleurs stomacales si fĂ©roces qu'elles le mirent Ă genoux. Personne ne relia les points, la maladie Ă©tait la malĂ©diction de l'usine, un flĂ©au banal. Jusqu'Ă ce qu'Ătienne s'asseye dans la salle de pause un jour de mai 2018, dĂ©pliant son sandwich. Une poudre fine et argentĂ©e saupoudrait le pain, scintillante comme les yeux de quelque chose tapis dans l'ombre. Il se figea, le cĆur battant, et appela la police. La piste mena Ă une maison Ă la pĂ©riphĂ©rie de Rouen, une relique affaissĂ©e de pierres et de secrets. Ă l'Ă©tage, tout Ă©tait ordinaire. Rideau fanĂ©, fauteuil grinçant, mais le sous-sol Ă©tait une plongĂ©e dans la folie. Une table mĂ©tallique luisait sous des ampoules vacillantes, jonchĂ©es de bĂ©chĂ©s et de balances, tandis que des Ă©tagĂšres s'Ă©levaient, chargĂ©es de bocaux, confitures, peintures, mayonnaise, remplies de liquides scintillants comme la mort liquide. Mercure, plomb, cadmium, un bouillon de sorciĂšre plus lĂ©tal que le gaz moutarde, concoctĂ© par un esprit dĂ©rangĂ©. L'architecte de cet enfer Ă©tait Marcel, le gĂ©ant silencieux du dernier repas de Julien. Pendant des annĂ©es, il avait achetĂ© des produits chimiques en ligne. les mĂ©langeant dans son antre souterrain et les saupoudrant sur la nourriture de ses collĂšgues. Un alchimiste de l'agonie testant son art. Les cĂ©rĂ©ales de Julien avaient Ă©tĂ© saturĂ©es de mercure, un poison lent transformant son corps en mausolĂ©e. Les sandwiches d'Ătienne portĂšrent du plomb, les repas d'Henri un cocktail de cadmium et de mort. Marcel ne dit rien quand ils l'emmenĂšrent, son haussement d'Ă©paule un dernier dĂ©fi. En mars 2019, il fut condamnĂ© Ă perpĂ©tuitĂ©, bĂȘte en cage mais sans remords. Julien mourut dix mois plus tard. Trois ans prisonniers dans son propre crĂąne, Ătienne et Henri subsistent, leur corps marquĂ© par le baiser persistant du poison. Mais l'usine tient toujours debout, ses murs murmurant d'une chose plus ancienne qui a Ă©veillĂ© la faim de Marcel. Certains disent dĂšs que la poudre n'Ă©tait pas que chimique qu'elle portait le goĂ»t du vide, une faim venue d'ailleurs qui se nourrit de chair et d'Ăąme. Et dans la salle de pause tard la nuit, le frigo ronronne une chanson gutturale, attendant le prochain Ă s'asseoir et manger.