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Des fous et des dieux

Rodney Saint-Éloi, chasseur de mystères

Rodney Saint-Éloi, chasseur de mystères

44min |15/10/2024
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Description

Rodney Saint-Éloi est écrivain, poète et éditeur. Son œuvre est marquée par le voyage, l'exil, la rencontre et la ville. Sa poésie choque, brise, tourmente et émerveille. En tant que directeur de publication chez Mémoire d'encrier, il a considérablement enrichi les imaginaires. Le podcast Des fous et des dieux lui a rendu visite dans son appartement à Montréal. Une plongée dans sa vie et son œuvre. 🤗


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bande annonce,

  • Speaker #1

    Des Fous et des Dieux est à Montréal. Je suis actuellement chez Rodney St-Éloi. Mon invité est éditeur, poète et essayiste. Il est né à Cavaillon en Haïti. De Editions de mémoires à Paul Prince et Mémoires d'Encrier ici au Canada. Rodney Saint-Edouard est un homme qui a beaucoup apporté aux imaginaires. Il a publié et écrit un peu partout dans le monde. Bonjour à tous. Bonjour Wodney Saint-Edouard.

  • Speaker #0

    Bonjour Zami Mouin. Bonjour à toi.

  • Speaker #1

    Il y a un de vos poèmes que j'aime beaucoup. On commence avec, vous dites Je suis lié à Cavaillon, au bras d'une rivière verte. Ma naissance a bravé les étoiles. Les couleurs sont ivres de printemps. La mer ne dort jamais près du sable. Tout le monde voyage la nuit, tout le monde déserte le jour. Quelle métaphore pour raconter votre enfance ?

  • Speaker #0

    Oui, je suis né à Cavaillon, merci de me rappeler. C'est drôle quand on lit, quand j'entends un poème que j'écris. souvent je fais l'exercice d'être que c'est moi c'est qui ce poète magnifique qui écrit ce poème merci de m'apprendre que c'était moi et souvent on oublie quand on écrit comme ça autant que je suis retourné à l'enfance une enfance un peu tourmenté parce que je suis né à Cavaillon et puis après tout de suite j'ai été comme déporté à Port Prince c'était comme mon premier arrachement mon premier exil c'est de cavallon à port aux presses.

  • Speaker #1

    Mais l'enfance est un thème très très prédominant dans votre oeuvre pourquoi parce qu'on ne quitte jamais l'enfance ?

  • Speaker #0

    Mais l'enfance c'est ce qui me fonde et me refonde constamment l'enfance est important parce que l'enfance me met dans mes propres vulnérabilités c'est à dire quand on a un enfant On regarde la mer, on regarde le ciel, on regarde les arbres, on regarde les anneaux-lits, les arts. On est comme un élément parmi les éléments. Il n'y a aucune arrogance, aucun orgueil de soi. On rêve. L'enfance, c'est un espace où on est dépouillé de toutes les injonctions. Quand on nous dit de ne pas toucher au feu, on veut toucher au feu. Donc, je pense que l'enfance, c'est le lieu de tous les possibles. C'est-à-dire que tout ce que j'imaginais quand j'étais enfant, et c'est ce que, quand moi, je suis devenu adulte, devenu vieux, et mon rêve... c'est de retourner à ce lieu là, à cet espace impossible parce que je pense que la meilleure partie d'un être humain c'est l'enfance, c'est l'enfant que j'étais et quand j'écris, et l'une des choses que je me demande c'est comment retrouver Et que ce... Ce n'est pas ce paradis, mais c'est plutôt comment retrouver cet espace où j'étais si libre. où j'avais tellement d'amour, j'avais tellement... En fait, il y a le mot créole, l'expression créole qui dit sans sentiments. Je pense qu'en grandissant, on perd les sentiments, on perd les émotions. On perd ce regard global sur le monde. On perd cette espèce de révolte qui est en nous. Et je pense que c'est en retournant à cet espace, que c'est grâce à ce retour et qu'on découvre que notre humanité a commencé là. Et ce qu'on découvre aussi de plus près, c'est tout ce qui nous a précédés. Et dans tout ce que j'écris, dans mon œuvre, il y a toujours cette question. qui est fondamentale pour moi. Et c'est dès l'enfance que cette question s'est posée à moi, c'est-à-dire, c'est qu'est-ce qui nous a précédés ? Et qui nous a appris à parler ? Qui nous a appris à regarder le monde ? Qui nous a appris à regarder les étoiles ? Et du plus loin que je remonte, il y avait une grande-grand-mère qui s'appelle Tida, et qui chantait naturellement, comme tous les jeunes haïtiens, dans le chant d'espérance, et qui lisait des cantiques le soir avec moi. et qui lisait nécessairement, en fait, le psaume 23, L'Éternel est mon berger, je ne m'en curerai de rien, il me fait reposer dans de verres pâturages. Donc c'était important pour moi, un enfant qui vit dans un milieu très humble, à Cavaillon, quand j'étais en vacances, et puis j'avais une grand-mère qui me dit, en français, et cette grand-mère ne savait pas lire, et cette grand-mère... on répétait ensemble tous les soirs l'éternel est mon berger j'avais un berger c'était l'éternel et il me disait Je ne manquerai de rien. Donc, c'est-à-dire que j'ai jamais, avec cette grand-mère-là, j'ai jamais la conscience de la dépossession. Donc, cette grand-mère a fait de moi un presse parce qu'elle me dit clairement, tous les soirs, avec la Bible, je ne manquerai de rien. Et cette phrase est rentrée en moi. Je ne manquerai de rien. C'est-à-dire, dès que le soleil se lève, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès qu'il pleut, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès que les arbres poussent, tu ne manques absolument rien. Tu entends caqueter les poules, tu vois les chevaux rénir. Et c'était ça. Donc j'ai grandi dans tout ça. Et en écrivant, j'ai toujours essayé de réveiller en moi cet espace d'humanité. pleines et belles. Des fous et des dieux.

  • Speaker #1

    Comment a été votre enfance Wodni ? Il y avait cette tradition de raconter des histoires, il y avait la rivière, comment a été Kavaillon ?

  • Speaker #0

    C'était les éléments, la rivière Casimir, c'était Les arbres, c'était les mangos, c'était les aigles qui venaient pour kidnapper les poussins. Et puis tout le monde qui disait... les chipôles, etc. C'était le vivre ensemble quand je débarque à Cavaillon pour des vacances. Et puis, justement, tous les voisins, en fait, c'était la famille. Ça n'existe pas. C'est pas voisinage, c'est famille. Tout le monde était ensemble. C'était ce vivre ensemble qui fait que j'arrive le soir très, très tard parce que je devais... La voiture, l'autobus me déposait. à Cavaillon, à la ville, et puis je devais monter à Châtry. Ça prenait donc, il fallait que je sois déposé à Cavaillon, peut-être vers 4h de l'après-midi ou 3h, donc il fallait marcher 3-4h pour retrouver Châtry. C'est dans les mornes, dans les collines, et c'est intéressant l'expression des mornes, après les collines, il y a toujours d'autres collines, parce que j'ai marché, j'ai foulé la terre, et j'ai vu toutes ces montagnes derrière les montagnes, c'était du ciment. mon expérience enfant donc on me conduisait chez ma grand-mère et là j'arrive c'est la fête donc c'est la grosse nourriture etc et puis après le matin quand je me réveille je me réveille avec l'odeur de il y a nécessairement un voisin qui sait que Tipepi c'est mon nom mon petit nom là bas donc Tipepi est arrivé donc c'est comme un petit prince et puis j'ai vu toujours la vache c'est à dire toujours une vache qu'on est en train de traire Pour moi, c'est-à-dire comme un cadeau, j'arrive et puis tu vois la vache, tu vois le lait et tu vois les patates douces. Et ça va être là comme un rituel de départ quand j'arrive. Et puis le premier matin, c'était ça. Et c'est cet espace de générosité. Et peut-être c'est, je ne connais pas en fait, c'est quelqu'un qui a... une vache dans la zone qui vient de mettre bas, et puis le premier lait du jour, le lait est préparé pour moi. Et j'étais là comme... Et tout est fait de bonté. Et quand je vois par rapport à toutes les guerres, les guerres visibles et invisibles que l'on vit en tant qu'haïtien, et puis un peu partout dans le monde, je reviens souvent à ce temps-là qui est un temps, je dirais, même pas d'épanouissement, c'est un temps absolu où on peut rêver, où on peut danser, où on peut vivre de ce qu'on appelle vraiment vivre.

  • Speaker #1

    J'ai lu Nous ne trahirons pas le poème et Autre qu'un, c'est une anthologie de vos poèmes. Cette collection dirigée par Alain Mabankou est parue chez Point. En lisant cette anthologie, Wodney, je trouve que vos poèmes sont très autobiographiques. Ça raconte toujours une histoire. Vous parlez de votre enfance, du voyage, du monde et de la vie aussi. Qu'est-ce qu'un poème, Wodney ? Est-ce que c'est d'abord l'histoire d'une vie ?

  • Speaker #0

    Merci d'avoir lu et d'avoir constaté ce parcours. Parce que la question qu'on pose, c'est une question, je dirais, anthologique, c'est-à-dire une question... très philosophique pour moi pour dire ma présence au monde en fait je suis en train de dire ma présence au monde et ma présence est liée aux vivants comme je le disais tantôt mais aussi aux gens qui m'ont précédé parce que je pense que la poésie c'est simplement c'est tracer sa présence sur la terre c'est comme si tu avais un crayon et puis tu te dis est-ce que Dieu effacera comme Le créant de mon Dieu n'a pas de gomme, comme le fameux roman de Philippe d'Alembert et le proverbe créant aussi qui dit, créant mon Dieu n'a pas de gomme. Et c'est comme si on lutte contre ce destin en lisant, parce qu'en fait, l'être que je suis, si je n'écris pas mon histoire, personne ne l'écrira. Et quand je dis l'être que je suis, c'est-à-dire que je suis le fils de Bertha, je suis obligé d'écrire Bertha. Je suis obligé d'écrire et d'amuser le visage de Bertha. j'écris le livre qui s'appelle aussi quand il fait trisberta chante c'est un hommage à ma mère et ce livre a été et celui par un poste livre paraît en france chez louise dormaison ce livre paraît ici chez québec amérique ce livre a été accueilli vraiment favorablement chaleureusement et souvent je rencontre des québécoises qui m'ont dit bertha c'est moi Bertha c'est comme ma mère, c'est comme ma grand-mère, c'est comme... Et là ça me fait plaisir de voir, et comme le disait si bien Mahmoud Darwish, le poète palestinien, aucun peuple n'est plus petit que son poème. Donc c'est important pour moi de voir comment je peux écrire Bertha, inscrire Bertha dans une histoire, parce que c'est pas le Musée des Beaux-Arts qui va faire, qui va fixer l'image de Bertha, c'est... Pour moi, écrire, c'est créer sa propre mythologie, sa propre histoire, sa propre légende et raconter ses propres histoires parce que le monde se construit à partir d'un ensemble d'histoires. Mais mon histoire n'a jamais été racontée. Donc, c'est à moi qu'il est revenu cette espèce d'exigence de raconter mon histoire. Et en poésie, je pense que c'est important que je me pose toujours la question. Il y a des gens qui disent... C'est de la mégalomanie. Je ne pense pas que c'est de la mégalomanie. Je pense plutôt que c'est une espèce de manque original. C'est ma part manquante. C'est même un fantôme. Et c'est le pays aussi que j'essaie de raconter, parce que c'est un pays fantôme. Quand on est surtout en exil, donc mon premier exil c'était de cavaleur à Port-au-Prince. Et quand j'ai laissé Port-au-Prince pour venir à Montréal, c'est de la folie. C'est-à-dire, je vis une suite d'exil et le seul lieu d'attache, le seul lieu réel dans toutes mes fictions que je crée, mon seul lieu réel concret, c'est l'enfance.

  • Speaker #1

    Lorsque vous racontez ces histoires, est-ce qu'il y a quelque chose qui se libère ?

  • Speaker #0

    D'abord, je ne me prends pas pour un autre. Je sais clairement, quand je dis Saint-Éloi, je sais clairement qui est qui. Je m'inscris dans une filiation qui est moi-même. Et je regarde Saint-Éloi par rapport à toutes les autres familles. Donc je m'inscris dans une généalogie. Et cette généalogie, ça me permet de voir les barrières sociales, les barrières idéologiques, les barrières financières, les barrières de classe, de race, et le colorisme. Tout ça, ça me permet de ne pas me tromper. sur moi-même, parce que des fois on se trompe sur ce qu'on est, et je pense que ce qui est important c'est sa propre vérité quand on écrit, et la vérité est dans les expériences qu'on a vécues ou bien qu'on a imaginées.

  • Speaker #1

    Le Cavaillon à Port-au-Prince, de Port-au-Prince à Montréal, vous racontez, j'ai lu un extrait de Les racistes n'ont jamais vu la mer, où vous racontez lorsque vous arrivez ici et vous lisiez à ce moment-là Fernando Pessoa, le livre de l'intranquillité. Je me demande, est-ce que, comme je sais ce qui vous est arrivé avec le livre de l'intranquillité, est-ce qu'il n'y avait pas comme un point commun, l'intranquillité de vivre ailleurs, l'intranquillité de l'exil ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin je ne sais pas, je ne fais pas de hiérarchie, je ne pense pas que vivre ici soit supérieur ou inférieur à vivre en Haïti. ou bien à vivre en Chine ou à Cuba. Je pense que ce sont des lieux et ce sont les êtres humains quand ils habitent un lieu, ce sont ces êtres qui donnent un imaginaire à ce lieu. Et Port-au-Prince ou bien Cavaillon, pour vivre, pour ne pas me laisser épuiser dans ma propre quête d'espérance, donc je m'arrête à l'enfance. Parce que si je rentre dans l'histoire, et Zenglen qui se passe aujourd'hui dans l'actualité haïtienne, la chronique de la guerre, du génocide haïtien. Et je me génocide moi-même. Donc je suis obligé de faire attention à moi-même. C'est comme si c'était un jardin, en fait, que je suis en train de... planter tous les jours, de regarder, et pour y croire, parce qu'il faut y croire, il faut pouvoir dire demain, comme Aimé Césaire disait, il faut pouvoir regarder demain avec sérénité. Et pour pouvoir regarder demain avec sérénité, mon seul pari, c'est l'écriture, mon seul pari, c'est l'imaginaire, parce que je pense que c'est... L'imaginaire, c'est le lieu de tous les possibles. Et je pense que l'erreur qu'on fait en Haïti, c'est qu'on pense que les choses vont changer parce qu'il y aura des politiciens miraculeux qui vont changer les choses, qu'il y aura une espèce de baguette magique qui va faire en sorte que ça fonctionne. Moi, je ne crois pas. Je crois que la grandeur d'un pays se mesure à la grandeur de ses habitants, des gens qui créent ce pays. Donc il faut... faut le crier et dans notre imaginaire donc haïti c'est un peu peut-être grand parce qu'il y avait une grandeur de la pensée haïtienne grandeur dans l'âme haïtienne et je pense que c'est ce qu'il faut à mon sens renforcer et c'est pourquoi la lecture est fondamentale et soin m'a sauvé comme jacques roumain jacques séphène alexis marie vieux ont sauvé comme et il ya tellement de livres qui m'ont qui m'ont sauvé je vis en fait avec ces livres là et d'abord des livres que j'ai écrit mais c'est pas les livres que j'ai écrit qui m'ont sauvé en fait c'est les livres des autres et je pense que mes tuteurs mes méthodes à la vie c'est ma bibliothèque qui est dans ma chambre. C'est une grande bibliothèque où je promène dans tous les labyrinthes du monde, où je découvre toutes les complexités, toutes les couches de complexité de la vie.

  • Speaker #1

    Là, je vois que vous êtes en train de lire Yasmina Kadra. Il y a aussi Jeanne Bernamer, La patience des traces.

  • Speaker #0

    Mais sur ma table de travail, il y a toujours plein d'écrivains que j'essaie d'appuyer. parce que je pense que un livre me grandit toujours et je pense que un être humain est en état d'élabrement, de décomposition totale quand l'être humain arrête de grandir et c'est ce qu'il nous fait et ça me ramène à moi-même à l'extrême petitesse de mon être en tant qu'humain, c'est-à-dire si je suis déconnecté des autres, je ne peux pas être déconnecté du monde. Le Donc c'est pourquoi quand je lis Le Café du Temps Retrouvé, je retrouve un temps japonais qui est fondamental pour moi. Quand je lis celui-là, Le Guin, je suis dans une altérité autre. Je suis en train de penser avec cette femme si capitale. Et des fois, j'ai dit, ah, j'aurais pu écrire ça, j'aurais pu dire ça. Je suis en train de mêler mes mots et mon imaginaire. mon corps avec les mots, les imaginaires et les corps des autres. Et c'est ce qui me rend beaucoup plus grand, c'est ce qui me rend beaucoup plus beau, et c'est ce qui me fait croire que la vie mérite d'être vécue, c'est ce qui me fait croire qu'il y a quelque chose qu'on appelle l'amour, et c'est ce qui me fait croire que la vie est là et la vie nous dépasse, la mer est là et la mer est indépassable. Donc c'est comme si, c'est ce qui me ramène à mon propre rendez-vous avec moi-même et avec l'histoire. Et c'est pourquoi dans le poème, vous allez voir que j'ai dit, j'ai rendez-vous avec l'histoire. Ça, c'est capital. Et je pense que si je n'écris pas, je ne lis pas, je n'ai plus de rendez-vous avec l'histoire. Parce que j'arrive ici et je découvre l'histoire des Premières Nations. Et puis ça m'a reconnecté avec Haïti, avec une temporalité. Et c'est des trouches de temporalité, de complexité, qui font de nous ce que nous sommes. Et ça, c'est important pour moi.

  • Speaker #1

    Oui, Wodney, vous habitez ici. Il y a une bibliothèque, il y a des oiseaux, c'est très calme. Vous cuisinez. Il me semble que vous aimez cuisiner et vous habitez ici.

  • Speaker #0

    Depuis quand ? Ça fait... 12 ans que j'habite ici mais je suis à montréal depuis j'ai étudié à l'université Laval à québec j'ai sillonné tous les quartiers de montréal jusqu'à ce que je sois ici et présentement donc je fais la cuisine parce que je pense Je pense que ça fait partie de ma mythologie. Parce que j'ai écrit un livre qui s'appelle Je suis la fille du barbe à brûler Et puis, j'aime beaucoup les regards sur ce livre. Ce livre a été repris aussi dans l'édition Point Nous ne traînons pas le poème et autres textes. Et Je suis la fille du barbe à brûler Donc, je travaille beaucoup sur l'altérité. vivre notre masculinité au féminin, de sorte que notre être un homme ne nous empêche pas d'être un être humain. Donc, casser tout ce qu'on nous a appris, comme le masculin l'emporte sur le féminin, parce que c'est une injure à nous-mêmes, parce que le masculin ne peut pas l'emporter sur le féminin. Quand j'ai écrit ce livre, je suis la fille du barba brûlé. C'était peut-être plus facile de dire que je suis le fils. Mais c'est faire un effort d'altérité pour aller vers l'autre en moi qui est l'espace féminin. C'est-à-dire d'amplifier cet espace en moi. J'aime beaucoup cuisiner parce qu'en cuisinant, je touche l'oignon, je touche la tomate. Je me sens plus proche de la terre. Je me sens plus proche. et de moi-même aussi, de mon corps. Et parce qu'en Haïti, on nous a toujours mis dehors. Côté cuisine, les hommes n'ont pas la cuisine, etc. Dans mes expériences, c'était un peu ça. Et je pense que j'ai voulu... Aller vers ma propre féminité parce que tout ce que je suis, tout ce que j'ai dans ma vie, c'est venu simplement des femmes. C'est des femmes qui m'ont élevé, c'est des femmes qui m'ont éduqué, c'est des femmes qui m'ont donné le goût de vivre et le sentiment que l'espoir doit être tous les jours présent. c'est les femmes qui m'ont inculqué la manière de vivre avec élégance, en fixant la beauté, en fixant l'horizon, en disant le mot demain. C'est des femmes, c'est-à-dire des femmes très humbles. Et c'est ce qui me fascine, c'est que je pense que souvent les femmes savent donner ce qu'elles n'ont pas. Ma grand-mère m'a donné la lecture. Elle n'avait pas l'alphabet, elle n'avait pas la lecture, elle ne savait ni lire ni écrire. Elle m'a donné ce qui est plus précieux pour moi, l'impossible. Donc je pense que, et c'est pourquoi quand j'ai été ici membre de l'Académie des lettres du Québec, je suis académicien, et quand je leur ai dit, attention, celui que vous êtes en train de couronner, académicien, sachez simplement une chose, je vais vous rentrer dans la confédération. c'est que j'accepte cet honneur que vous me faites mais sachez une chose que vous faites honneur à moi mais avant moi il y avait et Ida et c'est Ida qui m'apprenait à lire et ça se passait dans la bible et dans le chant d'espérance et Ida ne savait pas lire et je demande aux gens de l'académie à mes confrères et consœurs académiciennes et de changer la définition du verbe donner en leur disant qu'à partir d'aujourd'hui, je voudrais que vous redéfinissiez le verbe donner à l'infinitif. Donner veut dire, pour moi et pour Tida, et peut-être même pour Bertha et Mersilia, donner veut dire donner ce qu'on n'a pas.

  • Speaker #1

    il ya un verre qui m'a bouleversé dans votre livre vous dites j'ai un pacte avec l'exil mais qu'est ce que ça veut dire j'ai un pacte avec l'exil c'est très fort parce que en fait moi j'ai grandi avec à l'homme de mon

  • Speaker #0

    pays que voici de anthony phelps j'ai grandi à l'homme de Ces îles qui marchent de René Philoctète, c'est un livre que j'ai édité, réédité plusieurs fois. René Philoctète, c'est comme un père pour moi. J'ai grandi avec Aimé Césaire, Car il est en retour au pays natal Et j'ai grandi avec Da Vertige. Donc, c'est vraiment la littérature haïtienne à un certain point de vue. a été toujours au masculin c'est des mecs qui parlent etc et c'était souvent des métaphores guerrières c'est changer le pays et surtout tous les haïtiens qui écrivait voulait écrire j'ai l'impression De ma perception de la littérature haïtienne, tout le monde voulait écrire un grand poème qui était Caille d'un retour au pays natal que ce soit Dépest, parce que vraiment il y a toujours quelque chose, le pays natal, qui est comme Jacques Mel dans tous mes rêves, qui est devenu Adyana dans tous mes rêves de Dépest. Et il y a eu chez moi une espèce de cassure. Cassure dans le sens où je pense que j'ai un destin d'exil. C'est-à-dire que je pense qu'il y a un épuisement de l'espoir. C'est pas que... En fait, je voudrais pouvoir habiter le monde. C'est-à-dire que j'ai cette croyance en moi quand j'étais petit et qu'il fallait écrire. un cahier de retour au pays natal, il y a un autre être en moi qui dit c'est une fiction c'est une double fiction le poème et la fiction que je veux un jour reconstruire à Haïti je veux un jour, moi ce que je veux c'est simplement écrire un poème pa pa Reconstruire Haïti, je ne pense pas que c'est mon devoir. Je veux participer à la construction, la reconstruction de mon pays qui est délabré. Mais j'enlève ce mythe héroïque qu'on accorde à l'écrivain. Donc, qu'il y ait un retour au pays natal, etc. Des choses comme ça. Donc, c'est pourquoi j'ai dit que j'ai un pacte avec l'exil. Pour moi, le pacte avec l'exil, c'est un pacte aussi avec la distance. C'est un pacte. C'est-à-dire qu'il faut que j'admette que je suis un être divisé. Donc, dans ma tête, il y a plein de villes. Quand je vais, si on va dans les territoires autochtones, chez les premiers peuples, on m'appelle Otimo Mounouchi. OK, gros, gros char. C'est comme ça qu'on m'appelle chez les autochtones. Ici, quand je vais au Sénégal, parce que je... Je connais bien le Sénégal et le Sénégal me reconnaît comme un de ses dignes fils. On m'appelle Wagan. Wagan veut dire en langue serrère, et pas l'invincible mais celui qui n'a pas été encore vaincu. Toujours cette métaphore guerrière qui est liée aux langues. Et vous voyez chez les autochtones, c'est gros gros chat. Pourquoi ils disent ça ? Comme s'ils n'ont pas de lion. dans leur imaginaire. Pour eux, dans la forêt, c'est un gros gros chat. C'est-à-dire, le gros gros chat, c'est comme qu'il remplace l'union. Donc, je t'ai parlé d'altérité, et pour moi, c'est ça aussi, avoir le pacte avec l'exil, c'est-à-dire c'est être ouvert à toute la possibilité de connexion humaine, c'est-à-dire ne plus décliner l'humanité au singulier mais dans un faisceau, dans une espèce de rhizome, dans une espèce de grande ouverture pour voir que, ah, Je suis à Dakar, je suis à Casamance, il y a un Sénégalais à moi, et je suis content quand je vois mes amis, soit Tchernomone Nembo, bien fait, Linsa, un ami guinéen, un ami sénégalais, qui se battent pour dire, est-ce qu'il est serré, ou bien est-ce qu'il est de telle autre nation, qu'est-ce qu'il est, est-ce que tu vois ? Et moi je travaille beaucoup sur les langues, parce qu'il n'y a plus de... 8000 langues dans le monde et on connaît 4 ou 5 et que j'aimerais bien quand quand j'écoute je dis mais et quand un haïtien parle je sais qu'il y a le créole qui est en dessous de sa langue et maintenant il y a des peuples qui comme au Cameroun il peut y avoir comme un citoyen camerounais traverse dans une journée peut-être 10-15 langues Donc quand ils parlent dans d'autres langues, ce sont ces langues-là qui sont parlées dans ces langues. Donc toutes ces langues minorées-là m'intéressent. Et c'est pourquoi, dans la littérature, ce que j'essaie de faire, c'est amener le regard vers tout ce qui est un angle mort. Tout ce qu'on ne voit pas. Ça existe, mais on nous dit où regarder, on nous dit quoi voir. Parce qu'il y a des autorités constituées officielles, comme les musées, les maisons d'édition, les librairies, les archives, etc. Et qu'est-ce qu'on n'archive pas ? C'est-à-dire qu'il y a plein d'archives qui sont des non-archives. Et c'est pourquoi les voix qui sont les plus fortes pour moi... Ce sont les voix qu'on n'entend pas. Les histoires qui me sont les plus importantes, en fait, ce sont les histoires qui ne sont pas encore racontées. Des fous et des dieux, un podcast pour dire le mot.

  • Speaker #1

    j'aimerais savoir comment se déroule la journée de road ne s'est éloigné ici à montréal en fait c'est une journée très simple en

  • Speaker #0

    fait je dors je ne dors pas parce que dans mon de ma chambre il ya des centaines de livres et je suis mon lit a toujours une dizaine de livres qui me font si qui me rappelle à ma mission qui est d'habiter le monde. Et je pense que je suis dans ma chambre et puis j'ai comme 10 cultures différentes, des livres de poèmes, des romans, etc. Je suis un lecteur boulimique, donc je commence en fait, mon matin commence par, en disant quel livre que j'ai lu, quel livre que je n'ai pas lu. Mon matin commence par un café, puis je viens de la cuisine, je fais mon petit rituel avec moi-même, je fais ma propre... Et mon propre petit déjeuner, j'appelle mes enfants, j'appelle ma fille Romy pour savoir comment elle a dormi. J'appelle Clérance, j'appelle Aimée et mes enfants qui sont un peu plus grands. Et puis on fait une petite conversation et puis j'ai commencé à voir en fait quel livre qui me fait signe. Est-ce que c'est Ursula Le Guin ? Mais je fais par hasard, j'ouvre un livre, je prends mes lunettes, je regarde. Et puis... comme ça et puis je dis ah je vais lire Ursula mais pour lire les écrivains la première chose que je fais c'est que je les tutoie et puis c'est vraiment je les tutoie et puis je regarde par exemple j'aime beaucoup lire les exègues voir quelles sont les filiations pourquoi Ursula Le Guin mais avant d'un son livre elle met en exègue une citation de le maha bharata j'ai dit ah ça j'apprends et puis je vois je lis le jour de ma naissance je commis ma première erreur Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc c'est important, ça me dit que je peux même faire des erreurs. Et puis je relis, parce que pour bien comprendre, je pense qu'il faut relire. Je regarde en prenant mon café, j'ai dit, le jour de ma naissance, je connais ma première erreur. Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc tu vois, c'est l'erreur qui débouche sur la sagesse. Et en naissant, le jour de ma naissance, j'ai commis ma première erreur. J'ai dit, ah, ça m'intéresse. Et c'est là le grune, et puis je tourne, je tourne, je regarde, et je me dis, ah, c'est un livre que je dois prendre le temps vraiment de le lire. Et puis c'est au-dessus de mon... J'essaie de tâter. pour voir en fait un café, tout le café de Tokyo très particulier qui propose une expérience unique, voyager dans le passé. Donc j'ai dit, ah mais j'aimerais bien voyager dans le passé. Et puis là j'ai Yasmina Khadra, en fait la plupart sont, en fait il y a plein d'écrivains là qui sont des amis. Yasmina Khadra est un ami. Et puis c'est important quand je lis par exemple les vertueux. et de Yasmina Khadra. Et puis je vois la dédicace. Pourquoi ce livre mérite d'être lu ? Pourquoi ce livre mérite d'être écrit ? Et Yasmina Khadra me dit une chose terrible dans la dédicace. Et c'est ça la vérité de l'écrivain. On cherche et on dit OK. J'ai dit OK, ça c'est mon livre, je vais le lire. Parce que Yasmina a écrit le livre et le livre est dédié à sa mère et la dédicace est la suivante. à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre. Je suis toujours intéressé par les paradoxes. Quand tu vois Yasmina Kadra qui a préfacé mon livre à Itikimbella, écrit ça, et je dis, mais là, Yasmina, est-ce qu'il ne parle pas de Bertha, de Tida, de Contita, de Mercilia ? Tu vois, il dit, à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre, c'est important pour moi. de parler de tout ce qui nous a précédés. Donc voilà Yasmina Khadra qui devient un immense écrivain algérien et qui dit, je dédie ce livre à ma mère. Et cette mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui l'a inspirée. Et c'est l'histoire de Tida, sa grand-mère. Et c'est pourquoi j'ai dit le verbe donner, c'est donner ce qu'on n'a pas. Ce n'est pas donner ce qu'on a de trop. Et c'est ça ces grands-mères-là. Et ces grands-mères-là, quand vous allez au Louvre, vous n'allez pas trouver leur image. Vous allez trouver Mona Lisa, mais vous n'allez pas trouver. Ça, c'est l'image de Bertha qui est là. Donc c'est important de vivre avec tout ça et de voir quelles sont les connexions que ça nous fait. J'aime beaucoup Jeanne Benhamer et puis qui est... qui est une... Elle est poète aussi, elle est une romancière très très importante et en exergue de son livre, il y a une citation de Stéphane Mallarmé et... Imitez le chinois au cœur limpide et fin, de qui l'extase pure est de peindre la fin. Sur cette tasse de neige, à la lune ravie d'une bizarre fleur qui parfume sa vie, transparente La fleur qu'il a sentie, enfin, au filigrane bleu de l'âme se greffant. On passe de l'Algérie, maintenant on tombe imité le chinois au cœur limpide et fin. Est-ce que vous voyez donc que je suis, j'aime bien être bouleversé dans tout, dans ce que je lis, je passe d'un univers à un autre, et je continue avec Jeanne Benhamer, tantôt. On parlait de cuisine, Simon est assis dans sa cuisine seul. Il vient de ramasser les deux parties d'un vieux bol bleu, une dans chaque main. Donc je découvre un ami qui s'appelle Simon, et souvent lui et moi, nous faisons les mêmes gestes. Et il y a peut-être un siècle qui nous sépare, et c'est ça qui me témoigne de ma présence en tant qu'humain. De partout au monde, nous faisons, quel que soit le continent qu'on est, on fait les mêmes gestes pour vivre.

  • Speaker #1

    on a parlé des livres mais on n'a pas parlé de la musique et puis je trouve qu'il ya beaucoup de peinture dans votre maison les peintures c'est

  • Speaker #0

    mais pas en manquant parce que vous vivez vous voyez il y a en fait parce que j'ai besoin de jardin donc j'ai créé chez moi ce jardin c'est mon jardin et c'est j'ai un bananier là parce que j'ai une toile de lupinère laza qui est là Parce qu'il y a un verre bananier que j'ai trouvé à Jacquemelle chez Lueckner Lazare à la fin des années 80. Et j'avais acheté une petite toile de Lueckner Lazare. Et Lueckner Lazare avait vécu longtemps à New York. peintre Luc Néal Hazard parce qu'il travaillait à 10 cépénie et il faisait un travail très très difficile, très très monotone et il rentrait chez lui, il peignait, il peignait toujours le verre bananier et Il disait qu'il a toujours vécu en exil et connecté à Jacques Mel parce qu'il a toujours fait pousser chez lui un bananier. Dans son petit appartement à New York, il y avait un bananier. Le matin, il va à l'usine et le soir, quand il le rencontrait, il était auprès de son bananier et il peignait. Il avait ce verre banane. Et la musique aussi parce que... En fait, il faut se dépeupler. Quand je dis se dépeupler, parce que quand on vit, quand je parle de suite d'exil, c'est-à-dire qu'il faut réveiller en nous. En fait, le mot de réveiller en nous, les humanités, des fois je suis ici, j'essaie d'éviter la nostalgie, mais je crée une ambiance haïtienne, que ce soit au niveau de la cuisine, que ce soit au niveau des plantes, il y a beaucoup de plantes. qui renvoient à Haïti directement, beaucoup de peintures. Ça, c'est Ronald Meuse, ça, c'est Tiga, ça, c'est Lamotte, ça, c'est... Il y a de jeunes sculpteurs haïtiens.

  • Speaker #1

    Il y a Sébastien, non ?

  • Speaker #0

    Il y a Sébastien. Il y a vraiment beaucoup. Il y a Louis-Jean Saint-Florent, Stevenson Magloire. En fait, c'est mon univers. C'est-à-dire, j'essaie de vivre une certaine totalité. de moi-même parce que en fait on parlait de dépossession parce que j'essaie de vaincre, de lutter contre ma propre dépossession, l'idée de ma dépossession parce que quand on vit dans un pays pauvre comme Haïti on intègre chez nous L'idée de la dépossession, comme si des proverbes qui nous disent bito non led non la Non, il faut créer de la beauté, de la cuisine, de la lait plein qui sont chez nous, de la musique qu'on écoute. c'est à dire ça nous maintient vivants et vivants en fait comme ça maintient la sève qu'il y a en nous parce qu'en fait et c'est Jacques-Stéphane Alexis qui parlait et c'est une phrase qu'on utilise partout, quand il disait un être humain, ce n'est pas des bras, des jambes, etc. Et si on ne fait pas attention, on peut devenir sec, comme j'oublie la phrase, mais on peut se dessécher si on ne prend pas soin de la sève qui nourrit notre corps, notre pensée, notre âme. Donc je pense que créer un univers... et qui nous met en état d'art, en état de pensée, qui ne nous renferme pas sur une conscience malheureuse, mais qui ouvre des fenêtres. C'est comme si, avec les parmencantes, les exils successifs, il y a un poème que j'essaie de construire avec l'environnement que j'abonne.

  • Speaker #1

    Merci, Woudni. C'était un plaisir.

  • Speaker #0

    Merci. Merci, Sonny. Mon chère, je suis content. C'était un bonheur de te rencontrer. Vous venez d'écouter Des Fous et des Dieux. Présentation, Moksoni Rikon. Réalisation, Rydza Marom Zitren et Marie-Andrée Bélange.

Description

Rodney Saint-Éloi est écrivain, poète et éditeur. Son œuvre est marquée par le voyage, l'exil, la rencontre et la ville. Sa poésie choque, brise, tourmente et émerveille. En tant que directeur de publication chez Mémoire d'encrier, il a considérablement enrichi les imaginaires. Le podcast Des fous et des dieux lui a rendu visite dans son appartement à Montréal. Une plongée dans sa vie et son œuvre. 🤗


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bande annonce,

  • Speaker #1

    Des Fous et des Dieux est à Montréal. Je suis actuellement chez Rodney St-Éloi. Mon invité est éditeur, poète et essayiste. Il est né à Cavaillon en Haïti. De Editions de mémoires à Paul Prince et Mémoires d'Encrier ici au Canada. Rodney Saint-Edouard est un homme qui a beaucoup apporté aux imaginaires. Il a publié et écrit un peu partout dans le monde. Bonjour à tous. Bonjour Wodney Saint-Edouard.

  • Speaker #0

    Bonjour Zami Mouin. Bonjour à toi.

  • Speaker #1

    Il y a un de vos poèmes que j'aime beaucoup. On commence avec, vous dites Je suis lié à Cavaillon, au bras d'une rivière verte. Ma naissance a bravé les étoiles. Les couleurs sont ivres de printemps. La mer ne dort jamais près du sable. Tout le monde voyage la nuit, tout le monde déserte le jour. Quelle métaphore pour raconter votre enfance ?

  • Speaker #0

    Oui, je suis né à Cavaillon, merci de me rappeler. C'est drôle quand on lit, quand j'entends un poème que j'écris. souvent je fais l'exercice d'être que c'est moi c'est qui ce poète magnifique qui écrit ce poème merci de m'apprendre que c'était moi et souvent on oublie quand on écrit comme ça autant que je suis retourné à l'enfance une enfance un peu tourmenté parce que je suis né à Cavaillon et puis après tout de suite j'ai été comme déporté à Port Prince c'était comme mon premier arrachement mon premier exil c'est de cavallon à port aux presses.

  • Speaker #1

    Mais l'enfance est un thème très très prédominant dans votre oeuvre pourquoi parce qu'on ne quitte jamais l'enfance ?

  • Speaker #0

    Mais l'enfance c'est ce qui me fonde et me refonde constamment l'enfance est important parce que l'enfance me met dans mes propres vulnérabilités c'est à dire quand on a un enfant On regarde la mer, on regarde le ciel, on regarde les arbres, on regarde les anneaux-lits, les arts. On est comme un élément parmi les éléments. Il n'y a aucune arrogance, aucun orgueil de soi. On rêve. L'enfance, c'est un espace où on est dépouillé de toutes les injonctions. Quand on nous dit de ne pas toucher au feu, on veut toucher au feu. Donc, je pense que l'enfance, c'est le lieu de tous les possibles. C'est-à-dire que tout ce que j'imaginais quand j'étais enfant, et c'est ce que, quand moi, je suis devenu adulte, devenu vieux, et mon rêve... c'est de retourner à ce lieu là, à cet espace impossible parce que je pense que la meilleure partie d'un être humain c'est l'enfance, c'est l'enfant que j'étais et quand j'écris, et l'une des choses que je me demande c'est comment retrouver Et que ce... Ce n'est pas ce paradis, mais c'est plutôt comment retrouver cet espace où j'étais si libre. où j'avais tellement d'amour, j'avais tellement... En fait, il y a le mot créole, l'expression créole qui dit sans sentiments. Je pense qu'en grandissant, on perd les sentiments, on perd les émotions. On perd ce regard global sur le monde. On perd cette espèce de révolte qui est en nous. Et je pense que c'est en retournant à cet espace, que c'est grâce à ce retour et qu'on découvre que notre humanité a commencé là. Et ce qu'on découvre aussi de plus près, c'est tout ce qui nous a précédés. Et dans tout ce que j'écris, dans mon œuvre, il y a toujours cette question. qui est fondamentale pour moi. Et c'est dès l'enfance que cette question s'est posée à moi, c'est-à-dire, c'est qu'est-ce qui nous a précédés ? Et qui nous a appris à parler ? Qui nous a appris à regarder le monde ? Qui nous a appris à regarder les étoiles ? Et du plus loin que je remonte, il y avait une grande-grand-mère qui s'appelle Tida, et qui chantait naturellement, comme tous les jeunes haïtiens, dans le chant d'espérance, et qui lisait des cantiques le soir avec moi. et qui lisait nécessairement, en fait, le psaume 23, L'Éternel est mon berger, je ne m'en curerai de rien, il me fait reposer dans de verres pâturages. Donc c'était important pour moi, un enfant qui vit dans un milieu très humble, à Cavaillon, quand j'étais en vacances, et puis j'avais une grand-mère qui me dit, en français, et cette grand-mère ne savait pas lire, et cette grand-mère... on répétait ensemble tous les soirs l'éternel est mon berger j'avais un berger c'était l'éternel et il me disait Je ne manquerai de rien. Donc, c'est-à-dire que j'ai jamais, avec cette grand-mère-là, j'ai jamais la conscience de la dépossession. Donc, cette grand-mère a fait de moi un presse parce qu'elle me dit clairement, tous les soirs, avec la Bible, je ne manquerai de rien. Et cette phrase est rentrée en moi. Je ne manquerai de rien. C'est-à-dire, dès que le soleil se lève, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès qu'il pleut, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès que les arbres poussent, tu ne manques absolument rien. Tu entends caqueter les poules, tu vois les chevaux rénir. Et c'était ça. Donc j'ai grandi dans tout ça. Et en écrivant, j'ai toujours essayé de réveiller en moi cet espace d'humanité. pleines et belles. Des fous et des dieux.

  • Speaker #1

    Comment a été votre enfance Wodni ? Il y avait cette tradition de raconter des histoires, il y avait la rivière, comment a été Kavaillon ?

  • Speaker #0

    C'était les éléments, la rivière Casimir, c'était Les arbres, c'était les mangos, c'était les aigles qui venaient pour kidnapper les poussins. Et puis tout le monde qui disait... les chipôles, etc. C'était le vivre ensemble quand je débarque à Cavaillon pour des vacances. Et puis, justement, tous les voisins, en fait, c'était la famille. Ça n'existe pas. C'est pas voisinage, c'est famille. Tout le monde était ensemble. C'était ce vivre ensemble qui fait que j'arrive le soir très, très tard parce que je devais... La voiture, l'autobus me déposait. à Cavaillon, à la ville, et puis je devais monter à Châtry. Ça prenait donc, il fallait que je sois déposé à Cavaillon, peut-être vers 4h de l'après-midi ou 3h, donc il fallait marcher 3-4h pour retrouver Châtry. C'est dans les mornes, dans les collines, et c'est intéressant l'expression des mornes, après les collines, il y a toujours d'autres collines, parce que j'ai marché, j'ai foulé la terre, et j'ai vu toutes ces montagnes derrière les montagnes, c'était du ciment. mon expérience enfant donc on me conduisait chez ma grand-mère et là j'arrive c'est la fête donc c'est la grosse nourriture etc et puis après le matin quand je me réveille je me réveille avec l'odeur de il y a nécessairement un voisin qui sait que Tipepi c'est mon nom mon petit nom là bas donc Tipepi est arrivé donc c'est comme un petit prince et puis j'ai vu toujours la vache c'est à dire toujours une vache qu'on est en train de traire Pour moi, c'est-à-dire comme un cadeau, j'arrive et puis tu vois la vache, tu vois le lait et tu vois les patates douces. Et ça va être là comme un rituel de départ quand j'arrive. Et puis le premier matin, c'était ça. Et c'est cet espace de générosité. Et peut-être c'est, je ne connais pas en fait, c'est quelqu'un qui a... une vache dans la zone qui vient de mettre bas, et puis le premier lait du jour, le lait est préparé pour moi. Et j'étais là comme... Et tout est fait de bonté. Et quand je vois par rapport à toutes les guerres, les guerres visibles et invisibles que l'on vit en tant qu'haïtien, et puis un peu partout dans le monde, je reviens souvent à ce temps-là qui est un temps, je dirais, même pas d'épanouissement, c'est un temps absolu où on peut rêver, où on peut danser, où on peut vivre de ce qu'on appelle vraiment vivre.

  • Speaker #1

    J'ai lu Nous ne trahirons pas le poème et Autre qu'un, c'est une anthologie de vos poèmes. Cette collection dirigée par Alain Mabankou est parue chez Point. En lisant cette anthologie, Wodney, je trouve que vos poèmes sont très autobiographiques. Ça raconte toujours une histoire. Vous parlez de votre enfance, du voyage, du monde et de la vie aussi. Qu'est-ce qu'un poème, Wodney ? Est-ce que c'est d'abord l'histoire d'une vie ?

  • Speaker #0

    Merci d'avoir lu et d'avoir constaté ce parcours. Parce que la question qu'on pose, c'est une question, je dirais, anthologique, c'est-à-dire une question... très philosophique pour moi pour dire ma présence au monde en fait je suis en train de dire ma présence au monde et ma présence est liée aux vivants comme je le disais tantôt mais aussi aux gens qui m'ont précédé parce que je pense que la poésie c'est simplement c'est tracer sa présence sur la terre c'est comme si tu avais un crayon et puis tu te dis est-ce que Dieu effacera comme Le créant de mon Dieu n'a pas de gomme, comme le fameux roman de Philippe d'Alembert et le proverbe créant aussi qui dit, créant mon Dieu n'a pas de gomme. Et c'est comme si on lutte contre ce destin en lisant, parce qu'en fait, l'être que je suis, si je n'écris pas mon histoire, personne ne l'écrira. Et quand je dis l'être que je suis, c'est-à-dire que je suis le fils de Bertha, je suis obligé d'écrire Bertha. Je suis obligé d'écrire et d'amuser le visage de Bertha. j'écris le livre qui s'appelle aussi quand il fait trisberta chante c'est un hommage à ma mère et ce livre a été et celui par un poste livre paraît en france chez louise dormaison ce livre paraît ici chez québec amérique ce livre a été accueilli vraiment favorablement chaleureusement et souvent je rencontre des québécoises qui m'ont dit bertha c'est moi Bertha c'est comme ma mère, c'est comme ma grand-mère, c'est comme... Et là ça me fait plaisir de voir, et comme le disait si bien Mahmoud Darwish, le poète palestinien, aucun peuple n'est plus petit que son poème. Donc c'est important pour moi de voir comment je peux écrire Bertha, inscrire Bertha dans une histoire, parce que c'est pas le Musée des Beaux-Arts qui va faire, qui va fixer l'image de Bertha, c'est... Pour moi, écrire, c'est créer sa propre mythologie, sa propre histoire, sa propre légende et raconter ses propres histoires parce que le monde se construit à partir d'un ensemble d'histoires. Mais mon histoire n'a jamais été racontée. Donc, c'est à moi qu'il est revenu cette espèce d'exigence de raconter mon histoire. Et en poésie, je pense que c'est important que je me pose toujours la question. Il y a des gens qui disent... C'est de la mégalomanie. Je ne pense pas que c'est de la mégalomanie. Je pense plutôt que c'est une espèce de manque original. C'est ma part manquante. C'est même un fantôme. Et c'est le pays aussi que j'essaie de raconter, parce que c'est un pays fantôme. Quand on est surtout en exil, donc mon premier exil c'était de cavaleur à Port-au-Prince. Et quand j'ai laissé Port-au-Prince pour venir à Montréal, c'est de la folie. C'est-à-dire, je vis une suite d'exil et le seul lieu d'attache, le seul lieu réel dans toutes mes fictions que je crée, mon seul lieu réel concret, c'est l'enfance.

  • Speaker #1

    Lorsque vous racontez ces histoires, est-ce qu'il y a quelque chose qui se libère ?

  • Speaker #0

    D'abord, je ne me prends pas pour un autre. Je sais clairement, quand je dis Saint-Éloi, je sais clairement qui est qui. Je m'inscris dans une filiation qui est moi-même. Et je regarde Saint-Éloi par rapport à toutes les autres familles. Donc je m'inscris dans une généalogie. Et cette généalogie, ça me permet de voir les barrières sociales, les barrières idéologiques, les barrières financières, les barrières de classe, de race, et le colorisme. Tout ça, ça me permet de ne pas me tromper. sur moi-même, parce que des fois on se trompe sur ce qu'on est, et je pense que ce qui est important c'est sa propre vérité quand on écrit, et la vérité est dans les expériences qu'on a vécues ou bien qu'on a imaginées.

  • Speaker #1

    Le Cavaillon à Port-au-Prince, de Port-au-Prince à Montréal, vous racontez, j'ai lu un extrait de Les racistes n'ont jamais vu la mer, où vous racontez lorsque vous arrivez ici et vous lisiez à ce moment-là Fernando Pessoa, le livre de l'intranquillité. Je me demande, est-ce que, comme je sais ce qui vous est arrivé avec le livre de l'intranquillité, est-ce qu'il n'y avait pas comme un point commun, l'intranquillité de vivre ailleurs, l'intranquillité de l'exil ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin je ne sais pas, je ne fais pas de hiérarchie, je ne pense pas que vivre ici soit supérieur ou inférieur à vivre en Haïti. ou bien à vivre en Chine ou à Cuba. Je pense que ce sont des lieux et ce sont les êtres humains quand ils habitent un lieu, ce sont ces êtres qui donnent un imaginaire à ce lieu. Et Port-au-Prince ou bien Cavaillon, pour vivre, pour ne pas me laisser épuiser dans ma propre quête d'espérance, donc je m'arrête à l'enfance. Parce que si je rentre dans l'histoire, et Zenglen qui se passe aujourd'hui dans l'actualité haïtienne, la chronique de la guerre, du génocide haïtien. Et je me génocide moi-même. Donc je suis obligé de faire attention à moi-même. C'est comme si c'était un jardin, en fait, que je suis en train de... planter tous les jours, de regarder, et pour y croire, parce qu'il faut y croire, il faut pouvoir dire demain, comme Aimé Césaire disait, il faut pouvoir regarder demain avec sérénité. Et pour pouvoir regarder demain avec sérénité, mon seul pari, c'est l'écriture, mon seul pari, c'est l'imaginaire, parce que je pense que c'est... L'imaginaire, c'est le lieu de tous les possibles. Et je pense que l'erreur qu'on fait en Haïti, c'est qu'on pense que les choses vont changer parce qu'il y aura des politiciens miraculeux qui vont changer les choses, qu'il y aura une espèce de baguette magique qui va faire en sorte que ça fonctionne. Moi, je ne crois pas. Je crois que la grandeur d'un pays se mesure à la grandeur de ses habitants, des gens qui créent ce pays. Donc il faut... faut le crier et dans notre imaginaire donc haïti c'est un peu peut-être grand parce qu'il y avait une grandeur de la pensée haïtienne grandeur dans l'âme haïtienne et je pense que c'est ce qu'il faut à mon sens renforcer et c'est pourquoi la lecture est fondamentale et soin m'a sauvé comme jacques roumain jacques séphène alexis marie vieux ont sauvé comme et il ya tellement de livres qui m'ont qui m'ont sauvé je vis en fait avec ces livres là et d'abord des livres que j'ai écrit mais c'est pas les livres que j'ai écrit qui m'ont sauvé en fait c'est les livres des autres et je pense que mes tuteurs mes méthodes à la vie c'est ma bibliothèque qui est dans ma chambre. C'est une grande bibliothèque où je promène dans tous les labyrinthes du monde, où je découvre toutes les complexités, toutes les couches de complexité de la vie.

  • Speaker #1

    Là, je vois que vous êtes en train de lire Yasmina Kadra. Il y a aussi Jeanne Bernamer, La patience des traces.

  • Speaker #0

    Mais sur ma table de travail, il y a toujours plein d'écrivains que j'essaie d'appuyer. parce que je pense que un livre me grandit toujours et je pense que un être humain est en état d'élabrement, de décomposition totale quand l'être humain arrête de grandir et c'est ce qu'il nous fait et ça me ramène à moi-même à l'extrême petitesse de mon être en tant qu'humain, c'est-à-dire si je suis déconnecté des autres, je ne peux pas être déconnecté du monde. Le Donc c'est pourquoi quand je lis Le Café du Temps Retrouvé, je retrouve un temps japonais qui est fondamental pour moi. Quand je lis celui-là, Le Guin, je suis dans une altérité autre. Je suis en train de penser avec cette femme si capitale. Et des fois, j'ai dit, ah, j'aurais pu écrire ça, j'aurais pu dire ça. Je suis en train de mêler mes mots et mon imaginaire. mon corps avec les mots, les imaginaires et les corps des autres. Et c'est ce qui me rend beaucoup plus grand, c'est ce qui me rend beaucoup plus beau, et c'est ce qui me fait croire que la vie mérite d'être vécue, c'est ce qui me fait croire qu'il y a quelque chose qu'on appelle l'amour, et c'est ce qui me fait croire que la vie est là et la vie nous dépasse, la mer est là et la mer est indépassable. Donc c'est comme si, c'est ce qui me ramène à mon propre rendez-vous avec moi-même et avec l'histoire. Et c'est pourquoi dans le poème, vous allez voir que j'ai dit, j'ai rendez-vous avec l'histoire. Ça, c'est capital. Et je pense que si je n'écris pas, je ne lis pas, je n'ai plus de rendez-vous avec l'histoire. Parce que j'arrive ici et je découvre l'histoire des Premières Nations. Et puis ça m'a reconnecté avec Haïti, avec une temporalité. Et c'est des trouches de temporalité, de complexité, qui font de nous ce que nous sommes. Et ça, c'est important pour moi.

  • Speaker #1

    Oui, Wodney, vous habitez ici. Il y a une bibliothèque, il y a des oiseaux, c'est très calme. Vous cuisinez. Il me semble que vous aimez cuisiner et vous habitez ici.

  • Speaker #0

    Depuis quand ? Ça fait... 12 ans que j'habite ici mais je suis à montréal depuis j'ai étudié à l'université Laval à québec j'ai sillonné tous les quartiers de montréal jusqu'à ce que je sois ici et présentement donc je fais la cuisine parce que je pense Je pense que ça fait partie de ma mythologie. Parce que j'ai écrit un livre qui s'appelle Je suis la fille du barbe à brûler Et puis, j'aime beaucoup les regards sur ce livre. Ce livre a été repris aussi dans l'édition Point Nous ne traînons pas le poème et autres textes. Et Je suis la fille du barbe à brûler Donc, je travaille beaucoup sur l'altérité. vivre notre masculinité au féminin, de sorte que notre être un homme ne nous empêche pas d'être un être humain. Donc, casser tout ce qu'on nous a appris, comme le masculin l'emporte sur le féminin, parce que c'est une injure à nous-mêmes, parce que le masculin ne peut pas l'emporter sur le féminin. Quand j'ai écrit ce livre, je suis la fille du barba brûlé. C'était peut-être plus facile de dire que je suis le fils. Mais c'est faire un effort d'altérité pour aller vers l'autre en moi qui est l'espace féminin. C'est-à-dire d'amplifier cet espace en moi. J'aime beaucoup cuisiner parce qu'en cuisinant, je touche l'oignon, je touche la tomate. Je me sens plus proche de la terre. Je me sens plus proche. et de moi-même aussi, de mon corps. Et parce qu'en Haïti, on nous a toujours mis dehors. Côté cuisine, les hommes n'ont pas la cuisine, etc. Dans mes expériences, c'était un peu ça. Et je pense que j'ai voulu... Aller vers ma propre féminité parce que tout ce que je suis, tout ce que j'ai dans ma vie, c'est venu simplement des femmes. C'est des femmes qui m'ont élevé, c'est des femmes qui m'ont éduqué, c'est des femmes qui m'ont donné le goût de vivre et le sentiment que l'espoir doit être tous les jours présent. c'est les femmes qui m'ont inculqué la manière de vivre avec élégance, en fixant la beauté, en fixant l'horizon, en disant le mot demain. C'est des femmes, c'est-à-dire des femmes très humbles. Et c'est ce qui me fascine, c'est que je pense que souvent les femmes savent donner ce qu'elles n'ont pas. Ma grand-mère m'a donné la lecture. Elle n'avait pas l'alphabet, elle n'avait pas la lecture, elle ne savait ni lire ni écrire. Elle m'a donné ce qui est plus précieux pour moi, l'impossible. Donc je pense que, et c'est pourquoi quand j'ai été ici membre de l'Académie des lettres du Québec, je suis académicien, et quand je leur ai dit, attention, celui que vous êtes en train de couronner, académicien, sachez simplement une chose, je vais vous rentrer dans la confédération. c'est que j'accepte cet honneur que vous me faites mais sachez une chose que vous faites honneur à moi mais avant moi il y avait et Ida et c'est Ida qui m'apprenait à lire et ça se passait dans la bible et dans le chant d'espérance et Ida ne savait pas lire et je demande aux gens de l'académie à mes confrères et consœurs académiciennes et de changer la définition du verbe donner en leur disant qu'à partir d'aujourd'hui, je voudrais que vous redéfinissiez le verbe donner à l'infinitif. Donner veut dire, pour moi et pour Tida, et peut-être même pour Bertha et Mersilia, donner veut dire donner ce qu'on n'a pas.

  • Speaker #1

    il ya un verre qui m'a bouleversé dans votre livre vous dites j'ai un pacte avec l'exil mais qu'est ce que ça veut dire j'ai un pacte avec l'exil c'est très fort parce que en fait moi j'ai grandi avec à l'homme de mon

  • Speaker #0

    pays que voici de anthony phelps j'ai grandi à l'homme de Ces îles qui marchent de René Philoctète, c'est un livre que j'ai édité, réédité plusieurs fois. René Philoctète, c'est comme un père pour moi. J'ai grandi avec Aimé Césaire, Car il est en retour au pays natal Et j'ai grandi avec Da Vertige. Donc, c'est vraiment la littérature haïtienne à un certain point de vue. a été toujours au masculin c'est des mecs qui parlent etc et c'était souvent des métaphores guerrières c'est changer le pays et surtout tous les haïtiens qui écrivait voulait écrire j'ai l'impression De ma perception de la littérature haïtienne, tout le monde voulait écrire un grand poème qui était Caille d'un retour au pays natal que ce soit Dépest, parce que vraiment il y a toujours quelque chose, le pays natal, qui est comme Jacques Mel dans tous mes rêves, qui est devenu Adyana dans tous mes rêves de Dépest. Et il y a eu chez moi une espèce de cassure. Cassure dans le sens où je pense que j'ai un destin d'exil. C'est-à-dire que je pense qu'il y a un épuisement de l'espoir. C'est pas que... En fait, je voudrais pouvoir habiter le monde. C'est-à-dire que j'ai cette croyance en moi quand j'étais petit et qu'il fallait écrire. un cahier de retour au pays natal, il y a un autre être en moi qui dit c'est une fiction c'est une double fiction le poème et la fiction que je veux un jour reconstruire à Haïti je veux un jour, moi ce que je veux c'est simplement écrire un poème pa pa Reconstruire Haïti, je ne pense pas que c'est mon devoir. Je veux participer à la construction, la reconstruction de mon pays qui est délabré. Mais j'enlève ce mythe héroïque qu'on accorde à l'écrivain. Donc, qu'il y ait un retour au pays natal, etc. Des choses comme ça. Donc, c'est pourquoi j'ai dit que j'ai un pacte avec l'exil. Pour moi, le pacte avec l'exil, c'est un pacte aussi avec la distance. C'est un pacte. C'est-à-dire qu'il faut que j'admette que je suis un être divisé. Donc, dans ma tête, il y a plein de villes. Quand je vais, si on va dans les territoires autochtones, chez les premiers peuples, on m'appelle Otimo Mounouchi. OK, gros, gros char. C'est comme ça qu'on m'appelle chez les autochtones. Ici, quand je vais au Sénégal, parce que je... Je connais bien le Sénégal et le Sénégal me reconnaît comme un de ses dignes fils. On m'appelle Wagan. Wagan veut dire en langue serrère, et pas l'invincible mais celui qui n'a pas été encore vaincu. Toujours cette métaphore guerrière qui est liée aux langues. Et vous voyez chez les autochtones, c'est gros gros chat. Pourquoi ils disent ça ? Comme s'ils n'ont pas de lion. dans leur imaginaire. Pour eux, dans la forêt, c'est un gros gros chat. C'est-à-dire, le gros gros chat, c'est comme qu'il remplace l'union. Donc, je t'ai parlé d'altérité, et pour moi, c'est ça aussi, avoir le pacte avec l'exil, c'est-à-dire c'est être ouvert à toute la possibilité de connexion humaine, c'est-à-dire ne plus décliner l'humanité au singulier mais dans un faisceau, dans une espèce de rhizome, dans une espèce de grande ouverture pour voir que, ah, Je suis à Dakar, je suis à Casamance, il y a un Sénégalais à moi, et je suis content quand je vois mes amis, soit Tchernomone Nembo, bien fait, Linsa, un ami guinéen, un ami sénégalais, qui se battent pour dire, est-ce qu'il est serré, ou bien est-ce qu'il est de telle autre nation, qu'est-ce qu'il est, est-ce que tu vois ? Et moi je travaille beaucoup sur les langues, parce qu'il n'y a plus de... 8000 langues dans le monde et on connaît 4 ou 5 et que j'aimerais bien quand quand j'écoute je dis mais et quand un haïtien parle je sais qu'il y a le créole qui est en dessous de sa langue et maintenant il y a des peuples qui comme au Cameroun il peut y avoir comme un citoyen camerounais traverse dans une journée peut-être 10-15 langues Donc quand ils parlent dans d'autres langues, ce sont ces langues-là qui sont parlées dans ces langues. Donc toutes ces langues minorées-là m'intéressent. Et c'est pourquoi, dans la littérature, ce que j'essaie de faire, c'est amener le regard vers tout ce qui est un angle mort. Tout ce qu'on ne voit pas. Ça existe, mais on nous dit où regarder, on nous dit quoi voir. Parce qu'il y a des autorités constituées officielles, comme les musées, les maisons d'édition, les librairies, les archives, etc. Et qu'est-ce qu'on n'archive pas ? C'est-à-dire qu'il y a plein d'archives qui sont des non-archives. Et c'est pourquoi les voix qui sont les plus fortes pour moi... Ce sont les voix qu'on n'entend pas. Les histoires qui me sont les plus importantes, en fait, ce sont les histoires qui ne sont pas encore racontées. Des fous et des dieux, un podcast pour dire le mot.

  • Speaker #1

    j'aimerais savoir comment se déroule la journée de road ne s'est éloigné ici à montréal en fait c'est une journée très simple en

  • Speaker #0

    fait je dors je ne dors pas parce que dans mon de ma chambre il ya des centaines de livres et je suis mon lit a toujours une dizaine de livres qui me font si qui me rappelle à ma mission qui est d'habiter le monde. Et je pense que je suis dans ma chambre et puis j'ai comme 10 cultures différentes, des livres de poèmes, des romans, etc. Je suis un lecteur boulimique, donc je commence en fait, mon matin commence par, en disant quel livre que j'ai lu, quel livre que je n'ai pas lu. Mon matin commence par un café, puis je viens de la cuisine, je fais mon petit rituel avec moi-même, je fais ma propre... Et mon propre petit déjeuner, j'appelle mes enfants, j'appelle ma fille Romy pour savoir comment elle a dormi. J'appelle Clérance, j'appelle Aimée et mes enfants qui sont un peu plus grands. Et puis on fait une petite conversation et puis j'ai commencé à voir en fait quel livre qui me fait signe. Est-ce que c'est Ursula Le Guin ? Mais je fais par hasard, j'ouvre un livre, je prends mes lunettes, je regarde. Et puis... comme ça et puis je dis ah je vais lire Ursula mais pour lire les écrivains la première chose que je fais c'est que je les tutoie et puis c'est vraiment je les tutoie et puis je regarde par exemple j'aime beaucoup lire les exègues voir quelles sont les filiations pourquoi Ursula Le Guin mais avant d'un son livre elle met en exègue une citation de le maha bharata j'ai dit ah ça j'apprends et puis je vois je lis le jour de ma naissance je commis ma première erreur Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc c'est important, ça me dit que je peux même faire des erreurs. Et puis je relis, parce que pour bien comprendre, je pense qu'il faut relire. Je regarde en prenant mon café, j'ai dit, le jour de ma naissance, je connais ma première erreur. Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc tu vois, c'est l'erreur qui débouche sur la sagesse. Et en naissant, le jour de ma naissance, j'ai commis ma première erreur. J'ai dit, ah, ça m'intéresse. Et c'est là le grune, et puis je tourne, je tourne, je regarde, et je me dis, ah, c'est un livre que je dois prendre le temps vraiment de le lire. Et puis c'est au-dessus de mon... J'essaie de tâter. pour voir en fait un café, tout le café de Tokyo très particulier qui propose une expérience unique, voyager dans le passé. Donc j'ai dit, ah mais j'aimerais bien voyager dans le passé. Et puis là j'ai Yasmina Khadra, en fait la plupart sont, en fait il y a plein d'écrivains là qui sont des amis. Yasmina Khadra est un ami. Et puis c'est important quand je lis par exemple les vertueux. et de Yasmina Khadra. Et puis je vois la dédicace. Pourquoi ce livre mérite d'être lu ? Pourquoi ce livre mérite d'être écrit ? Et Yasmina Khadra me dit une chose terrible dans la dédicace. Et c'est ça la vérité de l'écrivain. On cherche et on dit OK. J'ai dit OK, ça c'est mon livre, je vais le lire. Parce que Yasmina a écrit le livre et le livre est dédié à sa mère et la dédicace est la suivante. à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre. Je suis toujours intéressé par les paradoxes. Quand tu vois Yasmina Kadra qui a préfacé mon livre à Itikimbella, écrit ça, et je dis, mais là, Yasmina, est-ce qu'il ne parle pas de Bertha, de Tida, de Contita, de Mercilia ? Tu vois, il dit, à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre, c'est important pour moi. de parler de tout ce qui nous a précédés. Donc voilà Yasmina Khadra qui devient un immense écrivain algérien et qui dit, je dédie ce livre à ma mère. Et cette mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui l'a inspirée. Et c'est l'histoire de Tida, sa grand-mère. Et c'est pourquoi j'ai dit le verbe donner, c'est donner ce qu'on n'a pas. Ce n'est pas donner ce qu'on a de trop. Et c'est ça ces grands-mères-là. Et ces grands-mères-là, quand vous allez au Louvre, vous n'allez pas trouver leur image. Vous allez trouver Mona Lisa, mais vous n'allez pas trouver. Ça, c'est l'image de Bertha qui est là. Donc c'est important de vivre avec tout ça et de voir quelles sont les connexions que ça nous fait. J'aime beaucoup Jeanne Benhamer et puis qui est... qui est une... Elle est poète aussi, elle est une romancière très très importante et en exergue de son livre, il y a une citation de Stéphane Mallarmé et... Imitez le chinois au cœur limpide et fin, de qui l'extase pure est de peindre la fin. Sur cette tasse de neige, à la lune ravie d'une bizarre fleur qui parfume sa vie, transparente La fleur qu'il a sentie, enfin, au filigrane bleu de l'âme se greffant. On passe de l'Algérie, maintenant on tombe imité le chinois au cœur limpide et fin. Est-ce que vous voyez donc que je suis, j'aime bien être bouleversé dans tout, dans ce que je lis, je passe d'un univers à un autre, et je continue avec Jeanne Benhamer, tantôt. On parlait de cuisine, Simon est assis dans sa cuisine seul. Il vient de ramasser les deux parties d'un vieux bol bleu, une dans chaque main. Donc je découvre un ami qui s'appelle Simon, et souvent lui et moi, nous faisons les mêmes gestes. Et il y a peut-être un siècle qui nous sépare, et c'est ça qui me témoigne de ma présence en tant qu'humain. De partout au monde, nous faisons, quel que soit le continent qu'on est, on fait les mêmes gestes pour vivre.

  • Speaker #1

    on a parlé des livres mais on n'a pas parlé de la musique et puis je trouve qu'il ya beaucoup de peinture dans votre maison les peintures c'est

  • Speaker #0

    mais pas en manquant parce que vous vivez vous voyez il y a en fait parce que j'ai besoin de jardin donc j'ai créé chez moi ce jardin c'est mon jardin et c'est j'ai un bananier là parce que j'ai une toile de lupinère laza qui est là Parce qu'il y a un verre bananier que j'ai trouvé à Jacquemelle chez Lueckner Lazare à la fin des années 80. Et j'avais acheté une petite toile de Lueckner Lazare. Et Lueckner Lazare avait vécu longtemps à New York. peintre Luc Néal Hazard parce qu'il travaillait à 10 cépénie et il faisait un travail très très difficile, très très monotone et il rentrait chez lui, il peignait, il peignait toujours le verre bananier et Il disait qu'il a toujours vécu en exil et connecté à Jacques Mel parce qu'il a toujours fait pousser chez lui un bananier. Dans son petit appartement à New York, il y avait un bananier. Le matin, il va à l'usine et le soir, quand il le rencontrait, il était auprès de son bananier et il peignait. Il avait ce verre banane. Et la musique aussi parce que... En fait, il faut se dépeupler. Quand je dis se dépeupler, parce que quand on vit, quand je parle de suite d'exil, c'est-à-dire qu'il faut réveiller en nous. En fait, le mot de réveiller en nous, les humanités, des fois je suis ici, j'essaie d'éviter la nostalgie, mais je crée une ambiance haïtienne, que ce soit au niveau de la cuisine, que ce soit au niveau des plantes, il y a beaucoup de plantes. qui renvoient à Haïti directement, beaucoup de peintures. Ça, c'est Ronald Meuse, ça, c'est Tiga, ça, c'est Lamotte, ça, c'est... Il y a de jeunes sculpteurs haïtiens.

  • Speaker #1

    Il y a Sébastien, non ?

  • Speaker #0

    Il y a Sébastien. Il y a vraiment beaucoup. Il y a Louis-Jean Saint-Florent, Stevenson Magloire. En fait, c'est mon univers. C'est-à-dire, j'essaie de vivre une certaine totalité. de moi-même parce que en fait on parlait de dépossession parce que j'essaie de vaincre, de lutter contre ma propre dépossession, l'idée de ma dépossession parce que quand on vit dans un pays pauvre comme Haïti on intègre chez nous L'idée de la dépossession, comme si des proverbes qui nous disent bito non led non la Non, il faut créer de la beauté, de la cuisine, de la lait plein qui sont chez nous, de la musique qu'on écoute. c'est à dire ça nous maintient vivants et vivants en fait comme ça maintient la sève qu'il y a en nous parce qu'en fait et c'est Jacques-Stéphane Alexis qui parlait et c'est une phrase qu'on utilise partout, quand il disait un être humain, ce n'est pas des bras, des jambes, etc. Et si on ne fait pas attention, on peut devenir sec, comme j'oublie la phrase, mais on peut se dessécher si on ne prend pas soin de la sève qui nourrit notre corps, notre pensée, notre âme. Donc je pense que créer un univers... et qui nous met en état d'art, en état de pensée, qui ne nous renferme pas sur une conscience malheureuse, mais qui ouvre des fenêtres. C'est comme si, avec les parmencantes, les exils successifs, il y a un poème que j'essaie de construire avec l'environnement que j'abonne.

  • Speaker #1

    Merci, Woudni. C'était un plaisir.

  • Speaker #0

    Merci. Merci, Sonny. Mon chère, je suis content. C'était un bonheur de te rencontrer. Vous venez d'écouter Des Fous et des Dieux. Présentation, Moksoni Rikon. Réalisation, Rydza Marom Zitren et Marie-Andrée Bélange.

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Description

Rodney Saint-Éloi est écrivain, poète et éditeur. Son œuvre est marquée par le voyage, l'exil, la rencontre et la ville. Sa poésie choque, brise, tourmente et émerveille. En tant que directeur de publication chez Mémoire d'encrier, il a considérablement enrichi les imaginaires. Le podcast Des fous et des dieux lui a rendu visite dans son appartement à Montréal. Une plongée dans sa vie et son œuvre. 🤗


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bande annonce,

  • Speaker #1

    Des Fous et des Dieux est à Montréal. Je suis actuellement chez Rodney St-Éloi. Mon invité est éditeur, poète et essayiste. Il est né à Cavaillon en Haïti. De Editions de mémoires à Paul Prince et Mémoires d'Encrier ici au Canada. Rodney Saint-Edouard est un homme qui a beaucoup apporté aux imaginaires. Il a publié et écrit un peu partout dans le monde. Bonjour à tous. Bonjour Wodney Saint-Edouard.

  • Speaker #0

    Bonjour Zami Mouin. Bonjour à toi.

  • Speaker #1

    Il y a un de vos poèmes que j'aime beaucoup. On commence avec, vous dites Je suis lié à Cavaillon, au bras d'une rivière verte. Ma naissance a bravé les étoiles. Les couleurs sont ivres de printemps. La mer ne dort jamais près du sable. Tout le monde voyage la nuit, tout le monde déserte le jour. Quelle métaphore pour raconter votre enfance ?

  • Speaker #0

    Oui, je suis né à Cavaillon, merci de me rappeler. C'est drôle quand on lit, quand j'entends un poème que j'écris. souvent je fais l'exercice d'être que c'est moi c'est qui ce poète magnifique qui écrit ce poème merci de m'apprendre que c'était moi et souvent on oublie quand on écrit comme ça autant que je suis retourné à l'enfance une enfance un peu tourmenté parce que je suis né à Cavaillon et puis après tout de suite j'ai été comme déporté à Port Prince c'était comme mon premier arrachement mon premier exil c'est de cavallon à port aux presses.

  • Speaker #1

    Mais l'enfance est un thème très très prédominant dans votre oeuvre pourquoi parce qu'on ne quitte jamais l'enfance ?

  • Speaker #0

    Mais l'enfance c'est ce qui me fonde et me refonde constamment l'enfance est important parce que l'enfance me met dans mes propres vulnérabilités c'est à dire quand on a un enfant On regarde la mer, on regarde le ciel, on regarde les arbres, on regarde les anneaux-lits, les arts. On est comme un élément parmi les éléments. Il n'y a aucune arrogance, aucun orgueil de soi. On rêve. L'enfance, c'est un espace où on est dépouillé de toutes les injonctions. Quand on nous dit de ne pas toucher au feu, on veut toucher au feu. Donc, je pense que l'enfance, c'est le lieu de tous les possibles. C'est-à-dire que tout ce que j'imaginais quand j'étais enfant, et c'est ce que, quand moi, je suis devenu adulte, devenu vieux, et mon rêve... c'est de retourner à ce lieu là, à cet espace impossible parce que je pense que la meilleure partie d'un être humain c'est l'enfance, c'est l'enfant que j'étais et quand j'écris, et l'une des choses que je me demande c'est comment retrouver Et que ce... Ce n'est pas ce paradis, mais c'est plutôt comment retrouver cet espace où j'étais si libre. où j'avais tellement d'amour, j'avais tellement... En fait, il y a le mot créole, l'expression créole qui dit sans sentiments. Je pense qu'en grandissant, on perd les sentiments, on perd les émotions. On perd ce regard global sur le monde. On perd cette espèce de révolte qui est en nous. Et je pense que c'est en retournant à cet espace, que c'est grâce à ce retour et qu'on découvre que notre humanité a commencé là. Et ce qu'on découvre aussi de plus près, c'est tout ce qui nous a précédés. Et dans tout ce que j'écris, dans mon œuvre, il y a toujours cette question. qui est fondamentale pour moi. Et c'est dès l'enfance que cette question s'est posée à moi, c'est-à-dire, c'est qu'est-ce qui nous a précédés ? Et qui nous a appris à parler ? Qui nous a appris à regarder le monde ? Qui nous a appris à regarder les étoiles ? Et du plus loin que je remonte, il y avait une grande-grand-mère qui s'appelle Tida, et qui chantait naturellement, comme tous les jeunes haïtiens, dans le chant d'espérance, et qui lisait des cantiques le soir avec moi. et qui lisait nécessairement, en fait, le psaume 23, L'Éternel est mon berger, je ne m'en curerai de rien, il me fait reposer dans de verres pâturages. Donc c'était important pour moi, un enfant qui vit dans un milieu très humble, à Cavaillon, quand j'étais en vacances, et puis j'avais une grand-mère qui me dit, en français, et cette grand-mère ne savait pas lire, et cette grand-mère... on répétait ensemble tous les soirs l'éternel est mon berger j'avais un berger c'était l'éternel et il me disait Je ne manquerai de rien. Donc, c'est-à-dire que j'ai jamais, avec cette grand-mère-là, j'ai jamais la conscience de la dépossession. Donc, cette grand-mère a fait de moi un presse parce qu'elle me dit clairement, tous les soirs, avec la Bible, je ne manquerai de rien. Et cette phrase est rentrée en moi. Je ne manquerai de rien. C'est-à-dire, dès que le soleil se lève, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès qu'il pleut, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès que les arbres poussent, tu ne manques absolument rien. Tu entends caqueter les poules, tu vois les chevaux rénir. Et c'était ça. Donc j'ai grandi dans tout ça. Et en écrivant, j'ai toujours essayé de réveiller en moi cet espace d'humanité. pleines et belles. Des fous et des dieux.

  • Speaker #1

    Comment a été votre enfance Wodni ? Il y avait cette tradition de raconter des histoires, il y avait la rivière, comment a été Kavaillon ?

  • Speaker #0

    C'était les éléments, la rivière Casimir, c'était Les arbres, c'était les mangos, c'était les aigles qui venaient pour kidnapper les poussins. Et puis tout le monde qui disait... les chipôles, etc. C'était le vivre ensemble quand je débarque à Cavaillon pour des vacances. Et puis, justement, tous les voisins, en fait, c'était la famille. Ça n'existe pas. C'est pas voisinage, c'est famille. Tout le monde était ensemble. C'était ce vivre ensemble qui fait que j'arrive le soir très, très tard parce que je devais... La voiture, l'autobus me déposait. à Cavaillon, à la ville, et puis je devais monter à Châtry. Ça prenait donc, il fallait que je sois déposé à Cavaillon, peut-être vers 4h de l'après-midi ou 3h, donc il fallait marcher 3-4h pour retrouver Châtry. C'est dans les mornes, dans les collines, et c'est intéressant l'expression des mornes, après les collines, il y a toujours d'autres collines, parce que j'ai marché, j'ai foulé la terre, et j'ai vu toutes ces montagnes derrière les montagnes, c'était du ciment. mon expérience enfant donc on me conduisait chez ma grand-mère et là j'arrive c'est la fête donc c'est la grosse nourriture etc et puis après le matin quand je me réveille je me réveille avec l'odeur de il y a nécessairement un voisin qui sait que Tipepi c'est mon nom mon petit nom là bas donc Tipepi est arrivé donc c'est comme un petit prince et puis j'ai vu toujours la vache c'est à dire toujours une vache qu'on est en train de traire Pour moi, c'est-à-dire comme un cadeau, j'arrive et puis tu vois la vache, tu vois le lait et tu vois les patates douces. Et ça va être là comme un rituel de départ quand j'arrive. Et puis le premier matin, c'était ça. Et c'est cet espace de générosité. Et peut-être c'est, je ne connais pas en fait, c'est quelqu'un qui a... une vache dans la zone qui vient de mettre bas, et puis le premier lait du jour, le lait est préparé pour moi. Et j'étais là comme... Et tout est fait de bonté. Et quand je vois par rapport à toutes les guerres, les guerres visibles et invisibles que l'on vit en tant qu'haïtien, et puis un peu partout dans le monde, je reviens souvent à ce temps-là qui est un temps, je dirais, même pas d'épanouissement, c'est un temps absolu où on peut rêver, où on peut danser, où on peut vivre de ce qu'on appelle vraiment vivre.

  • Speaker #1

    J'ai lu Nous ne trahirons pas le poème et Autre qu'un, c'est une anthologie de vos poèmes. Cette collection dirigée par Alain Mabankou est parue chez Point. En lisant cette anthologie, Wodney, je trouve que vos poèmes sont très autobiographiques. Ça raconte toujours une histoire. Vous parlez de votre enfance, du voyage, du monde et de la vie aussi. Qu'est-ce qu'un poème, Wodney ? Est-ce que c'est d'abord l'histoire d'une vie ?

  • Speaker #0

    Merci d'avoir lu et d'avoir constaté ce parcours. Parce que la question qu'on pose, c'est une question, je dirais, anthologique, c'est-à-dire une question... très philosophique pour moi pour dire ma présence au monde en fait je suis en train de dire ma présence au monde et ma présence est liée aux vivants comme je le disais tantôt mais aussi aux gens qui m'ont précédé parce que je pense que la poésie c'est simplement c'est tracer sa présence sur la terre c'est comme si tu avais un crayon et puis tu te dis est-ce que Dieu effacera comme Le créant de mon Dieu n'a pas de gomme, comme le fameux roman de Philippe d'Alembert et le proverbe créant aussi qui dit, créant mon Dieu n'a pas de gomme. Et c'est comme si on lutte contre ce destin en lisant, parce qu'en fait, l'être que je suis, si je n'écris pas mon histoire, personne ne l'écrira. Et quand je dis l'être que je suis, c'est-à-dire que je suis le fils de Bertha, je suis obligé d'écrire Bertha. Je suis obligé d'écrire et d'amuser le visage de Bertha. j'écris le livre qui s'appelle aussi quand il fait trisberta chante c'est un hommage à ma mère et ce livre a été et celui par un poste livre paraît en france chez louise dormaison ce livre paraît ici chez québec amérique ce livre a été accueilli vraiment favorablement chaleureusement et souvent je rencontre des québécoises qui m'ont dit bertha c'est moi Bertha c'est comme ma mère, c'est comme ma grand-mère, c'est comme... Et là ça me fait plaisir de voir, et comme le disait si bien Mahmoud Darwish, le poète palestinien, aucun peuple n'est plus petit que son poème. Donc c'est important pour moi de voir comment je peux écrire Bertha, inscrire Bertha dans une histoire, parce que c'est pas le Musée des Beaux-Arts qui va faire, qui va fixer l'image de Bertha, c'est... Pour moi, écrire, c'est créer sa propre mythologie, sa propre histoire, sa propre légende et raconter ses propres histoires parce que le monde se construit à partir d'un ensemble d'histoires. Mais mon histoire n'a jamais été racontée. Donc, c'est à moi qu'il est revenu cette espèce d'exigence de raconter mon histoire. Et en poésie, je pense que c'est important que je me pose toujours la question. Il y a des gens qui disent... C'est de la mégalomanie. Je ne pense pas que c'est de la mégalomanie. Je pense plutôt que c'est une espèce de manque original. C'est ma part manquante. C'est même un fantôme. Et c'est le pays aussi que j'essaie de raconter, parce que c'est un pays fantôme. Quand on est surtout en exil, donc mon premier exil c'était de cavaleur à Port-au-Prince. Et quand j'ai laissé Port-au-Prince pour venir à Montréal, c'est de la folie. C'est-à-dire, je vis une suite d'exil et le seul lieu d'attache, le seul lieu réel dans toutes mes fictions que je crée, mon seul lieu réel concret, c'est l'enfance.

  • Speaker #1

    Lorsque vous racontez ces histoires, est-ce qu'il y a quelque chose qui se libère ?

  • Speaker #0

    D'abord, je ne me prends pas pour un autre. Je sais clairement, quand je dis Saint-Éloi, je sais clairement qui est qui. Je m'inscris dans une filiation qui est moi-même. Et je regarde Saint-Éloi par rapport à toutes les autres familles. Donc je m'inscris dans une généalogie. Et cette généalogie, ça me permet de voir les barrières sociales, les barrières idéologiques, les barrières financières, les barrières de classe, de race, et le colorisme. Tout ça, ça me permet de ne pas me tromper. sur moi-même, parce que des fois on se trompe sur ce qu'on est, et je pense que ce qui est important c'est sa propre vérité quand on écrit, et la vérité est dans les expériences qu'on a vécues ou bien qu'on a imaginées.

  • Speaker #1

    Le Cavaillon à Port-au-Prince, de Port-au-Prince à Montréal, vous racontez, j'ai lu un extrait de Les racistes n'ont jamais vu la mer, où vous racontez lorsque vous arrivez ici et vous lisiez à ce moment-là Fernando Pessoa, le livre de l'intranquillité. Je me demande, est-ce que, comme je sais ce qui vous est arrivé avec le livre de l'intranquillité, est-ce qu'il n'y avait pas comme un point commun, l'intranquillité de vivre ailleurs, l'intranquillité de l'exil ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin je ne sais pas, je ne fais pas de hiérarchie, je ne pense pas que vivre ici soit supérieur ou inférieur à vivre en Haïti. ou bien à vivre en Chine ou à Cuba. Je pense que ce sont des lieux et ce sont les êtres humains quand ils habitent un lieu, ce sont ces êtres qui donnent un imaginaire à ce lieu. Et Port-au-Prince ou bien Cavaillon, pour vivre, pour ne pas me laisser épuiser dans ma propre quête d'espérance, donc je m'arrête à l'enfance. Parce que si je rentre dans l'histoire, et Zenglen qui se passe aujourd'hui dans l'actualité haïtienne, la chronique de la guerre, du génocide haïtien. Et je me génocide moi-même. Donc je suis obligé de faire attention à moi-même. C'est comme si c'était un jardin, en fait, que je suis en train de... planter tous les jours, de regarder, et pour y croire, parce qu'il faut y croire, il faut pouvoir dire demain, comme Aimé Césaire disait, il faut pouvoir regarder demain avec sérénité. Et pour pouvoir regarder demain avec sérénité, mon seul pari, c'est l'écriture, mon seul pari, c'est l'imaginaire, parce que je pense que c'est... L'imaginaire, c'est le lieu de tous les possibles. Et je pense que l'erreur qu'on fait en Haïti, c'est qu'on pense que les choses vont changer parce qu'il y aura des politiciens miraculeux qui vont changer les choses, qu'il y aura une espèce de baguette magique qui va faire en sorte que ça fonctionne. Moi, je ne crois pas. Je crois que la grandeur d'un pays se mesure à la grandeur de ses habitants, des gens qui créent ce pays. Donc il faut... faut le crier et dans notre imaginaire donc haïti c'est un peu peut-être grand parce qu'il y avait une grandeur de la pensée haïtienne grandeur dans l'âme haïtienne et je pense que c'est ce qu'il faut à mon sens renforcer et c'est pourquoi la lecture est fondamentale et soin m'a sauvé comme jacques roumain jacques séphène alexis marie vieux ont sauvé comme et il ya tellement de livres qui m'ont qui m'ont sauvé je vis en fait avec ces livres là et d'abord des livres que j'ai écrit mais c'est pas les livres que j'ai écrit qui m'ont sauvé en fait c'est les livres des autres et je pense que mes tuteurs mes méthodes à la vie c'est ma bibliothèque qui est dans ma chambre. C'est une grande bibliothèque où je promène dans tous les labyrinthes du monde, où je découvre toutes les complexités, toutes les couches de complexité de la vie.

  • Speaker #1

    Là, je vois que vous êtes en train de lire Yasmina Kadra. Il y a aussi Jeanne Bernamer, La patience des traces.

  • Speaker #0

    Mais sur ma table de travail, il y a toujours plein d'écrivains que j'essaie d'appuyer. parce que je pense que un livre me grandit toujours et je pense que un être humain est en état d'élabrement, de décomposition totale quand l'être humain arrête de grandir et c'est ce qu'il nous fait et ça me ramène à moi-même à l'extrême petitesse de mon être en tant qu'humain, c'est-à-dire si je suis déconnecté des autres, je ne peux pas être déconnecté du monde. Le Donc c'est pourquoi quand je lis Le Café du Temps Retrouvé, je retrouve un temps japonais qui est fondamental pour moi. Quand je lis celui-là, Le Guin, je suis dans une altérité autre. Je suis en train de penser avec cette femme si capitale. Et des fois, j'ai dit, ah, j'aurais pu écrire ça, j'aurais pu dire ça. Je suis en train de mêler mes mots et mon imaginaire. mon corps avec les mots, les imaginaires et les corps des autres. Et c'est ce qui me rend beaucoup plus grand, c'est ce qui me rend beaucoup plus beau, et c'est ce qui me fait croire que la vie mérite d'être vécue, c'est ce qui me fait croire qu'il y a quelque chose qu'on appelle l'amour, et c'est ce qui me fait croire que la vie est là et la vie nous dépasse, la mer est là et la mer est indépassable. Donc c'est comme si, c'est ce qui me ramène à mon propre rendez-vous avec moi-même et avec l'histoire. Et c'est pourquoi dans le poème, vous allez voir que j'ai dit, j'ai rendez-vous avec l'histoire. Ça, c'est capital. Et je pense que si je n'écris pas, je ne lis pas, je n'ai plus de rendez-vous avec l'histoire. Parce que j'arrive ici et je découvre l'histoire des Premières Nations. Et puis ça m'a reconnecté avec Haïti, avec une temporalité. Et c'est des trouches de temporalité, de complexité, qui font de nous ce que nous sommes. Et ça, c'est important pour moi.

  • Speaker #1

    Oui, Wodney, vous habitez ici. Il y a une bibliothèque, il y a des oiseaux, c'est très calme. Vous cuisinez. Il me semble que vous aimez cuisiner et vous habitez ici.

  • Speaker #0

    Depuis quand ? Ça fait... 12 ans que j'habite ici mais je suis à montréal depuis j'ai étudié à l'université Laval à québec j'ai sillonné tous les quartiers de montréal jusqu'à ce que je sois ici et présentement donc je fais la cuisine parce que je pense Je pense que ça fait partie de ma mythologie. Parce que j'ai écrit un livre qui s'appelle Je suis la fille du barbe à brûler Et puis, j'aime beaucoup les regards sur ce livre. Ce livre a été repris aussi dans l'édition Point Nous ne traînons pas le poème et autres textes. Et Je suis la fille du barbe à brûler Donc, je travaille beaucoup sur l'altérité. vivre notre masculinité au féminin, de sorte que notre être un homme ne nous empêche pas d'être un être humain. Donc, casser tout ce qu'on nous a appris, comme le masculin l'emporte sur le féminin, parce que c'est une injure à nous-mêmes, parce que le masculin ne peut pas l'emporter sur le féminin. Quand j'ai écrit ce livre, je suis la fille du barba brûlé. C'était peut-être plus facile de dire que je suis le fils. Mais c'est faire un effort d'altérité pour aller vers l'autre en moi qui est l'espace féminin. C'est-à-dire d'amplifier cet espace en moi. J'aime beaucoup cuisiner parce qu'en cuisinant, je touche l'oignon, je touche la tomate. Je me sens plus proche de la terre. Je me sens plus proche. et de moi-même aussi, de mon corps. Et parce qu'en Haïti, on nous a toujours mis dehors. Côté cuisine, les hommes n'ont pas la cuisine, etc. Dans mes expériences, c'était un peu ça. Et je pense que j'ai voulu... Aller vers ma propre féminité parce que tout ce que je suis, tout ce que j'ai dans ma vie, c'est venu simplement des femmes. C'est des femmes qui m'ont élevé, c'est des femmes qui m'ont éduqué, c'est des femmes qui m'ont donné le goût de vivre et le sentiment que l'espoir doit être tous les jours présent. c'est les femmes qui m'ont inculqué la manière de vivre avec élégance, en fixant la beauté, en fixant l'horizon, en disant le mot demain. C'est des femmes, c'est-à-dire des femmes très humbles. Et c'est ce qui me fascine, c'est que je pense que souvent les femmes savent donner ce qu'elles n'ont pas. Ma grand-mère m'a donné la lecture. Elle n'avait pas l'alphabet, elle n'avait pas la lecture, elle ne savait ni lire ni écrire. Elle m'a donné ce qui est plus précieux pour moi, l'impossible. Donc je pense que, et c'est pourquoi quand j'ai été ici membre de l'Académie des lettres du Québec, je suis académicien, et quand je leur ai dit, attention, celui que vous êtes en train de couronner, académicien, sachez simplement une chose, je vais vous rentrer dans la confédération. c'est que j'accepte cet honneur que vous me faites mais sachez une chose que vous faites honneur à moi mais avant moi il y avait et Ida et c'est Ida qui m'apprenait à lire et ça se passait dans la bible et dans le chant d'espérance et Ida ne savait pas lire et je demande aux gens de l'académie à mes confrères et consœurs académiciennes et de changer la définition du verbe donner en leur disant qu'à partir d'aujourd'hui, je voudrais que vous redéfinissiez le verbe donner à l'infinitif. Donner veut dire, pour moi et pour Tida, et peut-être même pour Bertha et Mersilia, donner veut dire donner ce qu'on n'a pas.

  • Speaker #1

    il ya un verre qui m'a bouleversé dans votre livre vous dites j'ai un pacte avec l'exil mais qu'est ce que ça veut dire j'ai un pacte avec l'exil c'est très fort parce que en fait moi j'ai grandi avec à l'homme de mon

  • Speaker #0

    pays que voici de anthony phelps j'ai grandi à l'homme de Ces îles qui marchent de René Philoctète, c'est un livre que j'ai édité, réédité plusieurs fois. René Philoctète, c'est comme un père pour moi. J'ai grandi avec Aimé Césaire, Car il est en retour au pays natal Et j'ai grandi avec Da Vertige. Donc, c'est vraiment la littérature haïtienne à un certain point de vue. a été toujours au masculin c'est des mecs qui parlent etc et c'était souvent des métaphores guerrières c'est changer le pays et surtout tous les haïtiens qui écrivait voulait écrire j'ai l'impression De ma perception de la littérature haïtienne, tout le monde voulait écrire un grand poème qui était Caille d'un retour au pays natal que ce soit Dépest, parce que vraiment il y a toujours quelque chose, le pays natal, qui est comme Jacques Mel dans tous mes rêves, qui est devenu Adyana dans tous mes rêves de Dépest. Et il y a eu chez moi une espèce de cassure. Cassure dans le sens où je pense que j'ai un destin d'exil. C'est-à-dire que je pense qu'il y a un épuisement de l'espoir. C'est pas que... En fait, je voudrais pouvoir habiter le monde. C'est-à-dire que j'ai cette croyance en moi quand j'étais petit et qu'il fallait écrire. un cahier de retour au pays natal, il y a un autre être en moi qui dit c'est une fiction c'est une double fiction le poème et la fiction que je veux un jour reconstruire à Haïti je veux un jour, moi ce que je veux c'est simplement écrire un poème pa pa Reconstruire Haïti, je ne pense pas que c'est mon devoir. Je veux participer à la construction, la reconstruction de mon pays qui est délabré. Mais j'enlève ce mythe héroïque qu'on accorde à l'écrivain. Donc, qu'il y ait un retour au pays natal, etc. Des choses comme ça. Donc, c'est pourquoi j'ai dit que j'ai un pacte avec l'exil. Pour moi, le pacte avec l'exil, c'est un pacte aussi avec la distance. C'est un pacte. C'est-à-dire qu'il faut que j'admette que je suis un être divisé. Donc, dans ma tête, il y a plein de villes. Quand je vais, si on va dans les territoires autochtones, chez les premiers peuples, on m'appelle Otimo Mounouchi. OK, gros, gros char. C'est comme ça qu'on m'appelle chez les autochtones. Ici, quand je vais au Sénégal, parce que je... Je connais bien le Sénégal et le Sénégal me reconnaît comme un de ses dignes fils. On m'appelle Wagan. Wagan veut dire en langue serrère, et pas l'invincible mais celui qui n'a pas été encore vaincu. Toujours cette métaphore guerrière qui est liée aux langues. Et vous voyez chez les autochtones, c'est gros gros chat. Pourquoi ils disent ça ? Comme s'ils n'ont pas de lion. dans leur imaginaire. Pour eux, dans la forêt, c'est un gros gros chat. C'est-à-dire, le gros gros chat, c'est comme qu'il remplace l'union. Donc, je t'ai parlé d'altérité, et pour moi, c'est ça aussi, avoir le pacte avec l'exil, c'est-à-dire c'est être ouvert à toute la possibilité de connexion humaine, c'est-à-dire ne plus décliner l'humanité au singulier mais dans un faisceau, dans une espèce de rhizome, dans une espèce de grande ouverture pour voir que, ah, Je suis à Dakar, je suis à Casamance, il y a un Sénégalais à moi, et je suis content quand je vois mes amis, soit Tchernomone Nembo, bien fait, Linsa, un ami guinéen, un ami sénégalais, qui se battent pour dire, est-ce qu'il est serré, ou bien est-ce qu'il est de telle autre nation, qu'est-ce qu'il est, est-ce que tu vois ? Et moi je travaille beaucoup sur les langues, parce qu'il n'y a plus de... 8000 langues dans le monde et on connaît 4 ou 5 et que j'aimerais bien quand quand j'écoute je dis mais et quand un haïtien parle je sais qu'il y a le créole qui est en dessous de sa langue et maintenant il y a des peuples qui comme au Cameroun il peut y avoir comme un citoyen camerounais traverse dans une journée peut-être 10-15 langues Donc quand ils parlent dans d'autres langues, ce sont ces langues-là qui sont parlées dans ces langues. Donc toutes ces langues minorées-là m'intéressent. Et c'est pourquoi, dans la littérature, ce que j'essaie de faire, c'est amener le regard vers tout ce qui est un angle mort. Tout ce qu'on ne voit pas. Ça existe, mais on nous dit où regarder, on nous dit quoi voir. Parce qu'il y a des autorités constituées officielles, comme les musées, les maisons d'édition, les librairies, les archives, etc. Et qu'est-ce qu'on n'archive pas ? C'est-à-dire qu'il y a plein d'archives qui sont des non-archives. Et c'est pourquoi les voix qui sont les plus fortes pour moi... Ce sont les voix qu'on n'entend pas. Les histoires qui me sont les plus importantes, en fait, ce sont les histoires qui ne sont pas encore racontées. Des fous et des dieux, un podcast pour dire le mot.

  • Speaker #1

    j'aimerais savoir comment se déroule la journée de road ne s'est éloigné ici à montréal en fait c'est une journée très simple en

  • Speaker #0

    fait je dors je ne dors pas parce que dans mon de ma chambre il ya des centaines de livres et je suis mon lit a toujours une dizaine de livres qui me font si qui me rappelle à ma mission qui est d'habiter le monde. Et je pense que je suis dans ma chambre et puis j'ai comme 10 cultures différentes, des livres de poèmes, des romans, etc. Je suis un lecteur boulimique, donc je commence en fait, mon matin commence par, en disant quel livre que j'ai lu, quel livre que je n'ai pas lu. Mon matin commence par un café, puis je viens de la cuisine, je fais mon petit rituel avec moi-même, je fais ma propre... Et mon propre petit déjeuner, j'appelle mes enfants, j'appelle ma fille Romy pour savoir comment elle a dormi. J'appelle Clérance, j'appelle Aimée et mes enfants qui sont un peu plus grands. Et puis on fait une petite conversation et puis j'ai commencé à voir en fait quel livre qui me fait signe. Est-ce que c'est Ursula Le Guin ? Mais je fais par hasard, j'ouvre un livre, je prends mes lunettes, je regarde. Et puis... comme ça et puis je dis ah je vais lire Ursula mais pour lire les écrivains la première chose que je fais c'est que je les tutoie et puis c'est vraiment je les tutoie et puis je regarde par exemple j'aime beaucoup lire les exègues voir quelles sont les filiations pourquoi Ursula Le Guin mais avant d'un son livre elle met en exègue une citation de le maha bharata j'ai dit ah ça j'apprends et puis je vois je lis le jour de ma naissance je commis ma première erreur Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc c'est important, ça me dit que je peux même faire des erreurs. Et puis je relis, parce que pour bien comprendre, je pense qu'il faut relire. Je regarde en prenant mon café, j'ai dit, le jour de ma naissance, je connais ma première erreur. Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc tu vois, c'est l'erreur qui débouche sur la sagesse. Et en naissant, le jour de ma naissance, j'ai commis ma première erreur. J'ai dit, ah, ça m'intéresse. Et c'est là le grune, et puis je tourne, je tourne, je regarde, et je me dis, ah, c'est un livre que je dois prendre le temps vraiment de le lire. Et puis c'est au-dessus de mon... J'essaie de tâter. pour voir en fait un café, tout le café de Tokyo très particulier qui propose une expérience unique, voyager dans le passé. Donc j'ai dit, ah mais j'aimerais bien voyager dans le passé. Et puis là j'ai Yasmina Khadra, en fait la plupart sont, en fait il y a plein d'écrivains là qui sont des amis. Yasmina Khadra est un ami. Et puis c'est important quand je lis par exemple les vertueux. et de Yasmina Khadra. Et puis je vois la dédicace. Pourquoi ce livre mérite d'être lu ? Pourquoi ce livre mérite d'être écrit ? Et Yasmina Khadra me dit une chose terrible dans la dédicace. Et c'est ça la vérité de l'écrivain. On cherche et on dit OK. J'ai dit OK, ça c'est mon livre, je vais le lire. Parce que Yasmina a écrit le livre et le livre est dédié à sa mère et la dédicace est la suivante. à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre. Je suis toujours intéressé par les paradoxes. Quand tu vois Yasmina Kadra qui a préfacé mon livre à Itikimbella, écrit ça, et je dis, mais là, Yasmina, est-ce qu'il ne parle pas de Bertha, de Tida, de Contita, de Mercilia ? Tu vois, il dit, à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre, c'est important pour moi. de parler de tout ce qui nous a précédés. Donc voilà Yasmina Khadra qui devient un immense écrivain algérien et qui dit, je dédie ce livre à ma mère. Et cette mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui l'a inspirée. Et c'est l'histoire de Tida, sa grand-mère. Et c'est pourquoi j'ai dit le verbe donner, c'est donner ce qu'on n'a pas. Ce n'est pas donner ce qu'on a de trop. Et c'est ça ces grands-mères-là. Et ces grands-mères-là, quand vous allez au Louvre, vous n'allez pas trouver leur image. Vous allez trouver Mona Lisa, mais vous n'allez pas trouver. Ça, c'est l'image de Bertha qui est là. Donc c'est important de vivre avec tout ça et de voir quelles sont les connexions que ça nous fait. J'aime beaucoup Jeanne Benhamer et puis qui est... qui est une... Elle est poète aussi, elle est une romancière très très importante et en exergue de son livre, il y a une citation de Stéphane Mallarmé et... Imitez le chinois au cœur limpide et fin, de qui l'extase pure est de peindre la fin. Sur cette tasse de neige, à la lune ravie d'une bizarre fleur qui parfume sa vie, transparente La fleur qu'il a sentie, enfin, au filigrane bleu de l'âme se greffant. On passe de l'Algérie, maintenant on tombe imité le chinois au cœur limpide et fin. Est-ce que vous voyez donc que je suis, j'aime bien être bouleversé dans tout, dans ce que je lis, je passe d'un univers à un autre, et je continue avec Jeanne Benhamer, tantôt. On parlait de cuisine, Simon est assis dans sa cuisine seul. Il vient de ramasser les deux parties d'un vieux bol bleu, une dans chaque main. Donc je découvre un ami qui s'appelle Simon, et souvent lui et moi, nous faisons les mêmes gestes. Et il y a peut-être un siècle qui nous sépare, et c'est ça qui me témoigne de ma présence en tant qu'humain. De partout au monde, nous faisons, quel que soit le continent qu'on est, on fait les mêmes gestes pour vivre.

  • Speaker #1

    on a parlé des livres mais on n'a pas parlé de la musique et puis je trouve qu'il ya beaucoup de peinture dans votre maison les peintures c'est

  • Speaker #0

    mais pas en manquant parce que vous vivez vous voyez il y a en fait parce que j'ai besoin de jardin donc j'ai créé chez moi ce jardin c'est mon jardin et c'est j'ai un bananier là parce que j'ai une toile de lupinère laza qui est là Parce qu'il y a un verre bananier que j'ai trouvé à Jacquemelle chez Lueckner Lazare à la fin des années 80. Et j'avais acheté une petite toile de Lueckner Lazare. Et Lueckner Lazare avait vécu longtemps à New York. peintre Luc Néal Hazard parce qu'il travaillait à 10 cépénie et il faisait un travail très très difficile, très très monotone et il rentrait chez lui, il peignait, il peignait toujours le verre bananier et Il disait qu'il a toujours vécu en exil et connecté à Jacques Mel parce qu'il a toujours fait pousser chez lui un bananier. Dans son petit appartement à New York, il y avait un bananier. Le matin, il va à l'usine et le soir, quand il le rencontrait, il était auprès de son bananier et il peignait. Il avait ce verre banane. Et la musique aussi parce que... En fait, il faut se dépeupler. Quand je dis se dépeupler, parce que quand on vit, quand je parle de suite d'exil, c'est-à-dire qu'il faut réveiller en nous. En fait, le mot de réveiller en nous, les humanités, des fois je suis ici, j'essaie d'éviter la nostalgie, mais je crée une ambiance haïtienne, que ce soit au niveau de la cuisine, que ce soit au niveau des plantes, il y a beaucoup de plantes. qui renvoient à Haïti directement, beaucoup de peintures. Ça, c'est Ronald Meuse, ça, c'est Tiga, ça, c'est Lamotte, ça, c'est... Il y a de jeunes sculpteurs haïtiens.

  • Speaker #1

    Il y a Sébastien, non ?

  • Speaker #0

    Il y a Sébastien. Il y a vraiment beaucoup. Il y a Louis-Jean Saint-Florent, Stevenson Magloire. En fait, c'est mon univers. C'est-à-dire, j'essaie de vivre une certaine totalité. de moi-même parce que en fait on parlait de dépossession parce que j'essaie de vaincre, de lutter contre ma propre dépossession, l'idée de ma dépossession parce que quand on vit dans un pays pauvre comme Haïti on intègre chez nous L'idée de la dépossession, comme si des proverbes qui nous disent bito non led non la Non, il faut créer de la beauté, de la cuisine, de la lait plein qui sont chez nous, de la musique qu'on écoute. c'est à dire ça nous maintient vivants et vivants en fait comme ça maintient la sève qu'il y a en nous parce qu'en fait et c'est Jacques-Stéphane Alexis qui parlait et c'est une phrase qu'on utilise partout, quand il disait un être humain, ce n'est pas des bras, des jambes, etc. Et si on ne fait pas attention, on peut devenir sec, comme j'oublie la phrase, mais on peut se dessécher si on ne prend pas soin de la sève qui nourrit notre corps, notre pensée, notre âme. Donc je pense que créer un univers... et qui nous met en état d'art, en état de pensée, qui ne nous renferme pas sur une conscience malheureuse, mais qui ouvre des fenêtres. C'est comme si, avec les parmencantes, les exils successifs, il y a un poème que j'essaie de construire avec l'environnement que j'abonne.

  • Speaker #1

    Merci, Woudni. C'était un plaisir.

  • Speaker #0

    Merci. Merci, Sonny. Mon chère, je suis content. C'était un bonheur de te rencontrer. Vous venez d'écouter Des Fous et des Dieux. Présentation, Moksoni Rikon. Réalisation, Rydza Marom Zitren et Marie-Andrée Bélange.

Description

Rodney Saint-Éloi est écrivain, poète et éditeur. Son œuvre est marquée par le voyage, l'exil, la rencontre et la ville. Sa poésie choque, brise, tourmente et émerveille. En tant que directeur de publication chez Mémoire d'encrier, il a considérablement enrichi les imaginaires. Le podcast Des fous et des dieux lui a rendu visite dans son appartement à Montréal. Une plongée dans sa vie et son œuvre. 🤗


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bande annonce,

  • Speaker #1

    Des Fous et des Dieux est à Montréal. Je suis actuellement chez Rodney St-Éloi. Mon invité est éditeur, poète et essayiste. Il est né à Cavaillon en Haïti. De Editions de mémoires à Paul Prince et Mémoires d'Encrier ici au Canada. Rodney Saint-Edouard est un homme qui a beaucoup apporté aux imaginaires. Il a publié et écrit un peu partout dans le monde. Bonjour à tous. Bonjour Wodney Saint-Edouard.

  • Speaker #0

    Bonjour Zami Mouin. Bonjour à toi.

  • Speaker #1

    Il y a un de vos poèmes que j'aime beaucoup. On commence avec, vous dites Je suis lié à Cavaillon, au bras d'une rivière verte. Ma naissance a bravé les étoiles. Les couleurs sont ivres de printemps. La mer ne dort jamais près du sable. Tout le monde voyage la nuit, tout le monde déserte le jour. Quelle métaphore pour raconter votre enfance ?

  • Speaker #0

    Oui, je suis né à Cavaillon, merci de me rappeler. C'est drôle quand on lit, quand j'entends un poème que j'écris. souvent je fais l'exercice d'être que c'est moi c'est qui ce poète magnifique qui écrit ce poème merci de m'apprendre que c'était moi et souvent on oublie quand on écrit comme ça autant que je suis retourné à l'enfance une enfance un peu tourmenté parce que je suis né à Cavaillon et puis après tout de suite j'ai été comme déporté à Port Prince c'était comme mon premier arrachement mon premier exil c'est de cavallon à port aux presses.

  • Speaker #1

    Mais l'enfance est un thème très très prédominant dans votre oeuvre pourquoi parce qu'on ne quitte jamais l'enfance ?

  • Speaker #0

    Mais l'enfance c'est ce qui me fonde et me refonde constamment l'enfance est important parce que l'enfance me met dans mes propres vulnérabilités c'est à dire quand on a un enfant On regarde la mer, on regarde le ciel, on regarde les arbres, on regarde les anneaux-lits, les arts. On est comme un élément parmi les éléments. Il n'y a aucune arrogance, aucun orgueil de soi. On rêve. L'enfance, c'est un espace où on est dépouillé de toutes les injonctions. Quand on nous dit de ne pas toucher au feu, on veut toucher au feu. Donc, je pense que l'enfance, c'est le lieu de tous les possibles. C'est-à-dire que tout ce que j'imaginais quand j'étais enfant, et c'est ce que, quand moi, je suis devenu adulte, devenu vieux, et mon rêve... c'est de retourner à ce lieu là, à cet espace impossible parce que je pense que la meilleure partie d'un être humain c'est l'enfance, c'est l'enfant que j'étais et quand j'écris, et l'une des choses que je me demande c'est comment retrouver Et que ce... Ce n'est pas ce paradis, mais c'est plutôt comment retrouver cet espace où j'étais si libre. où j'avais tellement d'amour, j'avais tellement... En fait, il y a le mot créole, l'expression créole qui dit sans sentiments. Je pense qu'en grandissant, on perd les sentiments, on perd les émotions. On perd ce regard global sur le monde. On perd cette espèce de révolte qui est en nous. Et je pense que c'est en retournant à cet espace, que c'est grâce à ce retour et qu'on découvre que notre humanité a commencé là. Et ce qu'on découvre aussi de plus près, c'est tout ce qui nous a précédés. Et dans tout ce que j'écris, dans mon œuvre, il y a toujours cette question. qui est fondamentale pour moi. Et c'est dès l'enfance que cette question s'est posée à moi, c'est-à-dire, c'est qu'est-ce qui nous a précédés ? Et qui nous a appris à parler ? Qui nous a appris à regarder le monde ? Qui nous a appris à regarder les étoiles ? Et du plus loin que je remonte, il y avait une grande-grand-mère qui s'appelle Tida, et qui chantait naturellement, comme tous les jeunes haïtiens, dans le chant d'espérance, et qui lisait des cantiques le soir avec moi. et qui lisait nécessairement, en fait, le psaume 23, L'Éternel est mon berger, je ne m'en curerai de rien, il me fait reposer dans de verres pâturages. Donc c'était important pour moi, un enfant qui vit dans un milieu très humble, à Cavaillon, quand j'étais en vacances, et puis j'avais une grand-mère qui me dit, en français, et cette grand-mère ne savait pas lire, et cette grand-mère... on répétait ensemble tous les soirs l'éternel est mon berger j'avais un berger c'était l'éternel et il me disait Je ne manquerai de rien. Donc, c'est-à-dire que j'ai jamais, avec cette grand-mère-là, j'ai jamais la conscience de la dépossession. Donc, cette grand-mère a fait de moi un presse parce qu'elle me dit clairement, tous les soirs, avec la Bible, je ne manquerai de rien. Et cette phrase est rentrée en moi. Je ne manquerai de rien. C'est-à-dire, dès que le soleil se lève, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès qu'il pleut, qu'est-ce qui peut te manquer ? Dès que les arbres poussent, tu ne manques absolument rien. Tu entends caqueter les poules, tu vois les chevaux rénir. Et c'était ça. Donc j'ai grandi dans tout ça. Et en écrivant, j'ai toujours essayé de réveiller en moi cet espace d'humanité. pleines et belles. Des fous et des dieux.

  • Speaker #1

    Comment a été votre enfance Wodni ? Il y avait cette tradition de raconter des histoires, il y avait la rivière, comment a été Kavaillon ?

  • Speaker #0

    C'était les éléments, la rivière Casimir, c'était Les arbres, c'était les mangos, c'était les aigles qui venaient pour kidnapper les poussins. Et puis tout le monde qui disait... les chipôles, etc. C'était le vivre ensemble quand je débarque à Cavaillon pour des vacances. Et puis, justement, tous les voisins, en fait, c'était la famille. Ça n'existe pas. C'est pas voisinage, c'est famille. Tout le monde était ensemble. C'était ce vivre ensemble qui fait que j'arrive le soir très, très tard parce que je devais... La voiture, l'autobus me déposait. à Cavaillon, à la ville, et puis je devais monter à Châtry. Ça prenait donc, il fallait que je sois déposé à Cavaillon, peut-être vers 4h de l'après-midi ou 3h, donc il fallait marcher 3-4h pour retrouver Châtry. C'est dans les mornes, dans les collines, et c'est intéressant l'expression des mornes, après les collines, il y a toujours d'autres collines, parce que j'ai marché, j'ai foulé la terre, et j'ai vu toutes ces montagnes derrière les montagnes, c'était du ciment. mon expérience enfant donc on me conduisait chez ma grand-mère et là j'arrive c'est la fête donc c'est la grosse nourriture etc et puis après le matin quand je me réveille je me réveille avec l'odeur de il y a nécessairement un voisin qui sait que Tipepi c'est mon nom mon petit nom là bas donc Tipepi est arrivé donc c'est comme un petit prince et puis j'ai vu toujours la vache c'est à dire toujours une vache qu'on est en train de traire Pour moi, c'est-à-dire comme un cadeau, j'arrive et puis tu vois la vache, tu vois le lait et tu vois les patates douces. Et ça va être là comme un rituel de départ quand j'arrive. Et puis le premier matin, c'était ça. Et c'est cet espace de générosité. Et peut-être c'est, je ne connais pas en fait, c'est quelqu'un qui a... une vache dans la zone qui vient de mettre bas, et puis le premier lait du jour, le lait est préparé pour moi. Et j'étais là comme... Et tout est fait de bonté. Et quand je vois par rapport à toutes les guerres, les guerres visibles et invisibles que l'on vit en tant qu'haïtien, et puis un peu partout dans le monde, je reviens souvent à ce temps-là qui est un temps, je dirais, même pas d'épanouissement, c'est un temps absolu où on peut rêver, où on peut danser, où on peut vivre de ce qu'on appelle vraiment vivre.

  • Speaker #1

    J'ai lu Nous ne trahirons pas le poème et Autre qu'un, c'est une anthologie de vos poèmes. Cette collection dirigée par Alain Mabankou est parue chez Point. En lisant cette anthologie, Wodney, je trouve que vos poèmes sont très autobiographiques. Ça raconte toujours une histoire. Vous parlez de votre enfance, du voyage, du monde et de la vie aussi. Qu'est-ce qu'un poème, Wodney ? Est-ce que c'est d'abord l'histoire d'une vie ?

  • Speaker #0

    Merci d'avoir lu et d'avoir constaté ce parcours. Parce que la question qu'on pose, c'est une question, je dirais, anthologique, c'est-à-dire une question... très philosophique pour moi pour dire ma présence au monde en fait je suis en train de dire ma présence au monde et ma présence est liée aux vivants comme je le disais tantôt mais aussi aux gens qui m'ont précédé parce que je pense que la poésie c'est simplement c'est tracer sa présence sur la terre c'est comme si tu avais un crayon et puis tu te dis est-ce que Dieu effacera comme Le créant de mon Dieu n'a pas de gomme, comme le fameux roman de Philippe d'Alembert et le proverbe créant aussi qui dit, créant mon Dieu n'a pas de gomme. Et c'est comme si on lutte contre ce destin en lisant, parce qu'en fait, l'être que je suis, si je n'écris pas mon histoire, personne ne l'écrira. Et quand je dis l'être que je suis, c'est-à-dire que je suis le fils de Bertha, je suis obligé d'écrire Bertha. Je suis obligé d'écrire et d'amuser le visage de Bertha. j'écris le livre qui s'appelle aussi quand il fait trisberta chante c'est un hommage à ma mère et ce livre a été et celui par un poste livre paraît en france chez louise dormaison ce livre paraît ici chez québec amérique ce livre a été accueilli vraiment favorablement chaleureusement et souvent je rencontre des québécoises qui m'ont dit bertha c'est moi Bertha c'est comme ma mère, c'est comme ma grand-mère, c'est comme... Et là ça me fait plaisir de voir, et comme le disait si bien Mahmoud Darwish, le poète palestinien, aucun peuple n'est plus petit que son poème. Donc c'est important pour moi de voir comment je peux écrire Bertha, inscrire Bertha dans une histoire, parce que c'est pas le Musée des Beaux-Arts qui va faire, qui va fixer l'image de Bertha, c'est... Pour moi, écrire, c'est créer sa propre mythologie, sa propre histoire, sa propre légende et raconter ses propres histoires parce que le monde se construit à partir d'un ensemble d'histoires. Mais mon histoire n'a jamais été racontée. Donc, c'est à moi qu'il est revenu cette espèce d'exigence de raconter mon histoire. Et en poésie, je pense que c'est important que je me pose toujours la question. Il y a des gens qui disent... C'est de la mégalomanie. Je ne pense pas que c'est de la mégalomanie. Je pense plutôt que c'est une espèce de manque original. C'est ma part manquante. C'est même un fantôme. Et c'est le pays aussi que j'essaie de raconter, parce que c'est un pays fantôme. Quand on est surtout en exil, donc mon premier exil c'était de cavaleur à Port-au-Prince. Et quand j'ai laissé Port-au-Prince pour venir à Montréal, c'est de la folie. C'est-à-dire, je vis une suite d'exil et le seul lieu d'attache, le seul lieu réel dans toutes mes fictions que je crée, mon seul lieu réel concret, c'est l'enfance.

  • Speaker #1

    Lorsque vous racontez ces histoires, est-ce qu'il y a quelque chose qui se libère ?

  • Speaker #0

    D'abord, je ne me prends pas pour un autre. Je sais clairement, quand je dis Saint-Éloi, je sais clairement qui est qui. Je m'inscris dans une filiation qui est moi-même. Et je regarde Saint-Éloi par rapport à toutes les autres familles. Donc je m'inscris dans une généalogie. Et cette généalogie, ça me permet de voir les barrières sociales, les barrières idéologiques, les barrières financières, les barrières de classe, de race, et le colorisme. Tout ça, ça me permet de ne pas me tromper. sur moi-même, parce que des fois on se trompe sur ce qu'on est, et je pense que ce qui est important c'est sa propre vérité quand on écrit, et la vérité est dans les expériences qu'on a vécues ou bien qu'on a imaginées.

  • Speaker #1

    Le Cavaillon à Port-au-Prince, de Port-au-Prince à Montréal, vous racontez, j'ai lu un extrait de Les racistes n'ont jamais vu la mer, où vous racontez lorsque vous arrivez ici et vous lisiez à ce moment-là Fernando Pessoa, le livre de l'intranquillité. Je me demande, est-ce que, comme je sais ce qui vous est arrivé avec le livre de l'intranquillité, est-ce qu'il n'y avait pas comme un point commun, l'intranquillité de vivre ailleurs, l'intranquillité de l'exil ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin je ne sais pas, je ne fais pas de hiérarchie, je ne pense pas que vivre ici soit supérieur ou inférieur à vivre en Haïti. ou bien à vivre en Chine ou à Cuba. Je pense que ce sont des lieux et ce sont les êtres humains quand ils habitent un lieu, ce sont ces êtres qui donnent un imaginaire à ce lieu. Et Port-au-Prince ou bien Cavaillon, pour vivre, pour ne pas me laisser épuiser dans ma propre quête d'espérance, donc je m'arrête à l'enfance. Parce que si je rentre dans l'histoire, et Zenglen qui se passe aujourd'hui dans l'actualité haïtienne, la chronique de la guerre, du génocide haïtien. Et je me génocide moi-même. Donc je suis obligé de faire attention à moi-même. C'est comme si c'était un jardin, en fait, que je suis en train de... planter tous les jours, de regarder, et pour y croire, parce qu'il faut y croire, il faut pouvoir dire demain, comme Aimé Césaire disait, il faut pouvoir regarder demain avec sérénité. Et pour pouvoir regarder demain avec sérénité, mon seul pari, c'est l'écriture, mon seul pari, c'est l'imaginaire, parce que je pense que c'est... L'imaginaire, c'est le lieu de tous les possibles. Et je pense que l'erreur qu'on fait en Haïti, c'est qu'on pense que les choses vont changer parce qu'il y aura des politiciens miraculeux qui vont changer les choses, qu'il y aura une espèce de baguette magique qui va faire en sorte que ça fonctionne. Moi, je ne crois pas. Je crois que la grandeur d'un pays se mesure à la grandeur de ses habitants, des gens qui créent ce pays. Donc il faut... faut le crier et dans notre imaginaire donc haïti c'est un peu peut-être grand parce qu'il y avait une grandeur de la pensée haïtienne grandeur dans l'âme haïtienne et je pense que c'est ce qu'il faut à mon sens renforcer et c'est pourquoi la lecture est fondamentale et soin m'a sauvé comme jacques roumain jacques séphène alexis marie vieux ont sauvé comme et il ya tellement de livres qui m'ont qui m'ont sauvé je vis en fait avec ces livres là et d'abord des livres que j'ai écrit mais c'est pas les livres que j'ai écrit qui m'ont sauvé en fait c'est les livres des autres et je pense que mes tuteurs mes méthodes à la vie c'est ma bibliothèque qui est dans ma chambre. C'est une grande bibliothèque où je promène dans tous les labyrinthes du monde, où je découvre toutes les complexités, toutes les couches de complexité de la vie.

  • Speaker #1

    Là, je vois que vous êtes en train de lire Yasmina Kadra. Il y a aussi Jeanne Bernamer, La patience des traces.

  • Speaker #0

    Mais sur ma table de travail, il y a toujours plein d'écrivains que j'essaie d'appuyer. parce que je pense que un livre me grandit toujours et je pense que un être humain est en état d'élabrement, de décomposition totale quand l'être humain arrête de grandir et c'est ce qu'il nous fait et ça me ramène à moi-même à l'extrême petitesse de mon être en tant qu'humain, c'est-à-dire si je suis déconnecté des autres, je ne peux pas être déconnecté du monde. Le Donc c'est pourquoi quand je lis Le Café du Temps Retrouvé, je retrouve un temps japonais qui est fondamental pour moi. Quand je lis celui-là, Le Guin, je suis dans une altérité autre. Je suis en train de penser avec cette femme si capitale. Et des fois, j'ai dit, ah, j'aurais pu écrire ça, j'aurais pu dire ça. Je suis en train de mêler mes mots et mon imaginaire. mon corps avec les mots, les imaginaires et les corps des autres. Et c'est ce qui me rend beaucoup plus grand, c'est ce qui me rend beaucoup plus beau, et c'est ce qui me fait croire que la vie mérite d'être vécue, c'est ce qui me fait croire qu'il y a quelque chose qu'on appelle l'amour, et c'est ce qui me fait croire que la vie est là et la vie nous dépasse, la mer est là et la mer est indépassable. Donc c'est comme si, c'est ce qui me ramène à mon propre rendez-vous avec moi-même et avec l'histoire. Et c'est pourquoi dans le poème, vous allez voir que j'ai dit, j'ai rendez-vous avec l'histoire. Ça, c'est capital. Et je pense que si je n'écris pas, je ne lis pas, je n'ai plus de rendez-vous avec l'histoire. Parce que j'arrive ici et je découvre l'histoire des Premières Nations. Et puis ça m'a reconnecté avec Haïti, avec une temporalité. Et c'est des trouches de temporalité, de complexité, qui font de nous ce que nous sommes. Et ça, c'est important pour moi.

  • Speaker #1

    Oui, Wodney, vous habitez ici. Il y a une bibliothèque, il y a des oiseaux, c'est très calme. Vous cuisinez. Il me semble que vous aimez cuisiner et vous habitez ici.

  • Speaker #0

    Depuis quand ? Ça fait... 12 ans que j'habite ici mais je suis à montréal depuis j'ai étudié à l'université Laval à québec j'ai sillonné tous les quartiers de montréal jusqu'à ce que je sois ici et présentement donc je fais la cuisine parce que je pense Je pense que ça fait partie de ma mythologie. Parce que j'ai écrit un livre qui s'appelle Je suis la fille du barbe à brûler Et puis, j'aime beaucoup les regards sur ce livre. Ce livre a été repris aussi dans l'édition Point Nous ne traînons pas le poème et autres textes. Et Je suis la fille du barbe à brûler Donc, je travaille beaucoup sur l'altérité. vivre notre masculinité au féminin, de sorte que notre être un homme ne nous empêche pas d'être un être humain. Donc, casser tout ce qu'on nous a appris, comme le masculin l'emporte sur le féminin, parce que c'est une injure à nous-mêmes, parce que le masculin ne peut pas l'emporter sur le féminin. Quand j'ai écrit ce livre, je suis la fille du barba brûlé. C'était peut-être plus facile de dire que je suis le fils. Mais c'est faire un effort d'altérité pour aller vers l'autre en moi qui est l'espace féminin. C'est-à-dire d'amplifier cet espace en moi. J'aime beaucoup cuisiner parce qu'en cuisinant, je touche l'oignon, je touche la tomate. Je me sens plus proche de la terre. Je me sens plus proche. et de moi-même aussi, de mon corps. Et parce qu'en Haïti, on nous a toujours mis dehors. Côté cuisine, les hommes n'ont pas la cuisine, etc. Dans mes expériences, c'était un peu ça. Et je pense que j'ai voulu... Aller vers ma propre féminité parce que tout ce que je suis, tout ce que j'ai dans ma vie, c'est venu simplement des femmes. C'est des femmes qui m'ont élevé, c'est des femmes qui m'ont éduqué, c'est des femmes qui m'ont donné le goût de vivre et le sentiment que l'espoir doit être tous les jours présent. c'est les femmes qui m'ont inculqué la manière de vivre avec élégance, en fixant la beauté, en fixant l'horizon, en disant le mot demain. C'est des femmes, c'est-à-dire des femmes très humbles. Et c'est ce qui me fascine, c'est que je pense que souvent les femmes savent donner ce qu'elles n'ont pas. Ma grand-mère m'a donné la lecture. Elle n'avait pas l'alphabet, elle n'avait pas la lecture, elle ne savait ni lire ni écrire. Elle m'a donné ce qui est plus précieux pour moi, l'impossible. Donc je pense que, et c'est pourquoi quand j'ai été ici membre de l'Académie des lettres du Québec, je suis académicien, et quand je leur ai dit, attention, celui que vous êtes en train de couronner, académicien, sachez simplement une chose, je vais vous rentrer dans la confédération. c'est que j'accepte cet honneur que vous me faites mais sachez une chose que vous faites honneur à moi mais avant moi il y avait et Ida et c'est Ida qui m'apprenait à lire et ça se passait dans la bible et dans le chant d'espérance et Ida ne savait pas lire et je demande aux gens de l'académie à mes confrères et consœurs académiciennes et de changer la définition du verbe donner en leur disant qu'à partir d'aujourd'hui, je voudrais que vous redéfinissiez le verbe donner à l'infinitif. Donner veut dire, pour moi et pour Tida, et peut-être même pour Bertha et Mersilia, donner veut dire donner ce qu'on n'a pas.

  • Speaker #1

    il ya un verre qui m'a bouleversé dans votre livre vous dites j'ai un pacte avec l'exil mais qu'est ce que ça veut dire j'ai un pacte avec l'exil c'est très fort parce que en fait moi j'ai grandi avec à l'homme de mon

  • Speaker #0

    pays que voici de anthony phelps j'ai grandi à l'homme de Ces îles qui marchent de René Philoctète, c'est un livre que j'ai édité, réédité plusieurs fois. René Philoctète, c'est comme un père pour moi. J'ai grandi avec Aimé Césaire, Car il est en retour au pays natal Et j'ai grandi avec Da Vertige. Donc, c'est vraiment la littérature haïtienne à un certain point de vue. a été toujours au masculin c'est des mecs qui parlent etc et c'était souvent des métaphores guerrières c'est changer le pays et surtout tous les haïtiens qui écrivait voulait écrire j'ai l'impression De ma perception de la littérature haïtienne, tout le monde voulait écrire un grand poème qui était Caille d'un retour au pays natal que ce soit Dépest, parce que vraiment il y a toujours quelque chose, le pays natal, qui est comme Jacques Mel dans tous mes rêves, qui est devenu Adyana dans tous mes rêves de Dépest. Et il y a eu chez moi une espèce de cassure. Cassure dans le sens où je pense que j'ai un destin d'exil. C'est-à-dire que je pense qu'il y a un épuisement de l'espoir. C'est pas que... En fait, je voudrais pouvoir habiter le monde. C'est-à-dire que j'ai cette croyance en moi quand j'étais petit et qu'il fallait écrire. un cahier de retour au pays natal, il y a un autre être en moi qui dit c'est une fiction c'est une double fiction le poème et la fiction que je veux un jour reconstruire à Haïti je veux un jour, moi ce que je veux c'est simplement écrire un poème pa pa Reconstruire Haïti, je ne pense pas que c'est mon devoir. Je veux participer à la construction, la reconstruction de mon pays qui est délabré. Mais j'enlève ce mythe héroïque qu'on accorde à l'écrivain. Donc, qu'il y ait un retour au pays natal, etc. Des choses comme ça. Donc, c'est pourquoi j'ai dit que j'ai un pacte avec l'exil. Pour moi, le pacte avec l'exil, c'est un pacte aussi avec la distance. C'est un pacte. C'est-à-dire qu'il faut que j'admette que je suis un être divisé. Donc, dans ma tête, il y a plein de villes. Quand je vais, si on va dans les territoires autochtones, chez les premiers peuples, on m'appelle Otimo Mounouchi. OK, gros, gros char. C'est comme ça qu'on m'appelle chez les autochtones. Ici, quand je vais au Sénégal, parce que je... Je connais bien le Sénégal et le Sénégal me reconnaît comme un de ses dignes fils. On m'appelle Wagan. Wagan veut dire en langue serrère, et pas l'invincible mais celui qui n'a pas été encore vaincu. Toujours cette métaphore guerrière qui est liée aux langues. Et vous voyez chez les autochtones, c'est gros gros chat. Pourquoi ils disent ça ? Comme s'ils n'ont pas de lion. dans leur imaginaire. Pour eux, dans la forêt, c'est un gros gros chat. C'est-à-dire, le gros gros chat, c'est comme qu'il remplace l'union. Donc, je t'ai parlé d'altérité, et pour moi, c'est ça aussi, avoir le pacte avec l'exil, c'est-à-dire c'est être ouvert à toute la possibilité de connexion humaine, c'est-à-dire ne plus décliner l'humanité au singulier mais dans un faisceau, dans une espèce de rhizome, dans une espèce de grande ouverture pour voir que, ah, Je suis à Dakar, je suis à Casamance, il y a un Sénégalais à moi, et je suis content quand je vois mes amis, soit Tchernomone Nembo, bien fait, Linsa, un ami guinéen, un ami sénégalais, qui se battent pour dire, est-ce qu'il est serré, ou bien est-ce qu'il est de telle autre nation, qu'est-ce qu'il est, est-ce que tu vois ? Et moi je travaille beaucoup sur les langues, parce qu'il n'y a plus de... 8000 langues dans le monde et on connaît 4 ou 5 et que j'aimerais bien quand quand j'écoute je dis mais et quand un haïtien parle je sais qu'il y a le créole qui est en dessous de sa langue et maintenant il y a des peuples qui comme au Cameroun il peut y avoir comme un citoyen camerounais traverse dans une journée peut-être 10-15 langues Donc quand ils parlent dans d'autres langues, ce sont ces langues-là qui sont parlées dans ces langues. Donc toutes ces langues minorées-là m'intéressent. Et c'est pourquoi, dans la littérature, ce que j'essaie de faire, c'est amener le regard vers tout ce qui est un angle mort. Tout ce qu'on ne voit pas. Ça existe, mais on nous dit où regarder, on nous dit quoi voir. Parce qu'il y a des autorités constituées officielles, comme les musées, les maisons d'édition, les librairies, les archives, etc. Et qu'est-ce qu'on n'archive pas ? C'est-à-dire qu'il y a plein d'archives qui sont des non-archives. Et c'est pourquoi les voix qui sont les plus fortes pour moi... Ce sont les voix qu'on n'entend pas. Les histoires qui me sont les plus importantes, en fait, ce sont les histoires qui ne sont pas encore racontées. Des fous et des dieux, un podcast pour dire le mot.

  • Speaker #1

    j'aimerais savoir comment se déroule la journée de road ne s'est éloigné ici à montréal en fait c'est une journée très simple en

  • Speaker #0

    fait je dors je ne dors pas parce que dans mon de ma chambre il ya des centaines de livres et je suis mon lit a toujours une dizaine de livres qui me font si qui me rappelle à ma mission qui est d'habiter le monde. Et je pense que je suis dans ma chambre et puis j'ai comme 10 cultures différentes, des livres de poèmes, des romans, etc. Je suis un lecteur boulimique, donc je commence en fait, mon matin commence par, en disant quel livre que j'ai lu, quel livre que je n'ai pas lu. Mon matin commence par un café, puis je viens de la cuisine, je fais mon petit rituel avec moi-même, je fais ma propre... Et mon propre petit déjeuner, j'appelle mes enfants, j'appelle ma fille Romy pour savoir comment elle a dormi. J'appelle Clérance, j'appelle Aimée et mes enfants qui sont un peu plus grands. Et puis on fait une petite conversation et puis j'ai commencé à voir en fait quel livre qui me fait signe. Est-ce que c'est Ursula Le Guin ? Mais je fais par hasard, j'ouvre un livre, je prends mes lunettes, je regarde. Et puis... comme ça et puis je dis ah je vais lire Ursula mais pour lire les écrivains la première chose que je fais c'est que je les tutoie et puis c'est vraiment je les tutoie et puis je regarde par exemple j'aime beaucoup lire les exègues voir quelles sont les filiations pourquoi Ursula Le Guin mais avant d'un son livre elle met en exègue une citation de le maha bharata j'ai dit ah ça j'apprends et puis je vois je lis le jour de ma naissance je commis ma première erreur Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc c'est important, ça me dit que je peux même faire des erreurs. Et puis je relis, parce que pour bien comprendre, je pense qu'il faut relire. Je regarde en prenant mon café, j'ai dit, le jour de ma naissance, je connais ma première erreur. Et c'est en suivant cette voie que j'ai depuis recherché la sagesse. Donc tu vois, c'est l'erreur qui débouche sur la sagesse. Et en naissant, le jour de ma naissance, j'ai commis ma première erreur. J'ai dit, ah, ça m'intéresse. Et c'est là le grune, et puis je tourne, je tourne, je regarde, et je me dis, ah, c'est un livre que je dois prendre le temps vraiment de le lire. Et puis c'est au-dessus de mon... J'essaie de tâter. pour voir en fait un café, tout le café de Tokyo très particulier qui propose une expérience unique, voyager dans le passé. Donc j'ai dit, ah mais j'aimerais bien voyager dans le passé. Et puis là j'ai Yasmina Khadra, en fait la plupart sont, en fait il y a plein d'écrivains là qui sont des amis. Yasmina Khadra est un ami. Et puis c'est important quand je lis par exemple les vertueux. et de Yasmina Khadra. Et puis je vois la dédicace. Pourquoi ce livre mérite d'être lu ? Pourquoi ce livre mérite d'être écrit ? Et Yasmina Khadra me dit une chose terrible dans la dédicace. Et c'est ça la vérité de l'écrivain. On cherche et on dit OK. J'ai dit OK, ça c'est mon livre, je vais le lire. Parce que Yasmina a écrit le livre et le livre est dédié à sa mère et la dédicace est la suivante. à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre. Je suis toujours intéressé par les paradoxes. Quand tu vois Yasmina Kadra qui a préfacé mon livre à Itikimbella, écrit ça, et je dis, mais là, Yasmina, est-ce qu'il ne parle pas de Bertha, de Tida, de Contita, de Mercilia ? Tu vois, il dit, à ma mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui m'a inspiré ce livre, c'est important pour moi. de parler de tout ce qui nous a précédés. Donc voilà Yasmina Khadra qui devient un immense écrivain algérien et qui dit, je dédie ce livre à ma mère. Et cette mère qui ne savait ni lire ni écrire et qui l'a inspirée. Et c'est l'histoire de Tida, sa grand-mère. Et c'est pourquoi j'ai dit le verbe donner, c'est donner ce qu'on n'a pas. Ce n'est pas donner ce qu'on a de trop. Et c'est ça ces grands-mères-là. Et ces grands-mères-là, quand vous allez au Louvre, vous n'allez pas trouver leur image. Vous allez trouver Mona Lisa, mais vous n'allez pas trouver. Ça, c'est l'image de Bertha qui est là. Donc c'est important de vivre avec tout ça et de voir quelles sont les connexions que ça nous fait. J'aime beaucoup Jeanne Benhamer et puis qui est... qui est une... Elle est poète aussi, elle est une romancière très très importante et en exergue de son livre, il y a une citation de Stéphane Mallarmé et... Imitez le chinois au cœur limpide et fin, de qui l'extase pure est de peindre la fin. Sur cette tasse de neige, à la lune ravie d'une bizarre fleur qui parfume sa vie, transparente La fleur qu'il a sentie, enfin, au filigrane bleu de l'âme se greffant. On passe de l'Algérie, maintenant on tombe imité le chinois au cœur limpide et fin. Est-ce que vous voyez donc que je suis, j'aime bien être bouleversé dans tout, dans ce que je lis, je passe d'un univers à un autre, et je continue avec Jeanne Benhamer, tantôt. On parlait de cuisine, Simon est assis dans sa cuisine seul. Il vient de ramasser les deux parties d'un vieux bol bleu, une dans chaque main. Donc je découvre un ami qui s'appelle Simon, et souvent lui et moi, nous faisons les mêmes gestes. Et il y a peut-être un siècle qui nous sépare, et c'est ça qui me témoigne de ma présence en tant qu'humain. De partout au monde, nous faisons, quel que soit le continent qu'on est, on fait les mêmes gestes pour vivre.

  • Speaker #1

    on a parlé des livres mais on n'a pas parlé de la musique et puis je trouve qu'il ya beaucoup de peinture dans votre maison les peintures c'est

  • Speaker #0

    mais pas en manquant parce que vous vivez vous voyez il y a en fait parce que j'ai besoin de jardin donc j'ai créé chez moi ce jardin c'est mon jardin et c'est j'ai un bananier là parce que j'ai une toile de lupinère laza qui est là Parce qu'il y a un verre bananier que j'ai trouvé à Jacquemelle chez Lueckner Lazare à la fin des années 80. Et j'avais acheté une petite toile de Lueckner Lazare. Et Lueckner Lazare avait vécu longtemps à New York. peintre Luc Néal Hazard parce qu'il travaillait à 10 cépénie et il faisait un travail très très difficile, très très monotone et il rentrait chez lui, il peignait, il peignait toujours le verre bananier et Il disait qu'il a toujours vécu en exil et connecté à Jacques Mel parce qu'il a toujours fait pousser chez lui un bananier. Dans son petit appartement à New York, il y avait un bananier. Le matin, il va à l'usine et le soir, quand il le rencontrait, il était auprès de son bananier et il peignait. Il avait ce verre banane. Et la musique aussi parce que... En fait, il faut se dépeupler. Quand je dis se dépeupler, parce que quand on vit, quand je parle de suite d'exil, c'est-à-dire qu'il faut réveiller en nous. En fait, le mot de réveiller en nous, les humanités, des fois je suis ici, j'essaie d'éviter la nostalgie, mais je crée une ambiance haïtienne, que ce soit au niveau de la cuisine, que ce soit au niveau des plantes, il y a beaucoup de plantes. qui renvoient à Haïti directement, beaucoup de peintures. Ça, c'est Ronald Meuse, ça, c'est Tiga, ça, c'est Lamotte, ça, c'est... Il y a de jeunes sculpteurs haïtiens.

  • Speaker #1

    Il y a Sébastien, non ?

  • Speaker #0

    Il y a Sébastien. Il y a vraiment beaucoup. Il y a Louis-Jean Saint-Florent, Stevenson Magloire. En fait, c'est mon univers. C'est-à-dire, j'essaie de vivre une certaine totalité. de moi-même parce que en fait on parlait de dépossession parce que j'essaie de vaincre, de lutter contre ma propre dépossession, l'idée de ma dépossession parce que quand on vit dans un pays pauvre comme Haïti on intègre chez nous L'idée de la dépossession, comme si des proverbes qui nous disent bito non led non la Non, il faut créer de la beauté, de la cuisine, de la lait plein qui sont chez nous, de la musique qu'on écoute. c'est à dire ça nous maintient vivants et vivants en fait comme ça maintient la sève qu'il y a en nous parce qu'en fait et c'est Jacques-Stéphane Alexis qui parlait et c'est une phrase qu'on utilise partout, quand il disait un être humain, ce n'est pas des bras, des jambes, etc. Et si on ne fait pas attention, on peut devenir sec, comme j'oublie la phrase, mais on peut se dessécher si on ne prend pas soin de la sève qui nourrit notre corps, notre pensée, notre âme. Donc je pense que créer un univers... et qui nous met en état d'art, en état de pensée, qui ne nous renferme pas sur une conscience malheureuse, mais qui ouvre des fenêtres. C'est comme si, avec les parmencantes, les exils successifs, il y a un poème que j'essaie de construire avec l'environnement que j'abonne.

  • Speaker #1

    Merci, Woudni. C'était un plaisir.

  • Speaker #0

    Merci. Merci, Sonny. Mon chère, je suis content. C'était un bonheur de te rencontrer. Vous venez d'écouter Des Fous et des Dieux. Présentation, Moksoni Rikon. Réalisation, Rydza Marom Zitren et Marie-Andrée Bélange.

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