Speaker #0Bienvenue dans votre podcast favori pour passer un moment de détente et une nuit paisible. Installez-vous confortablement et profitez chaque soir de votre moment de relaxation avec le podcast Dormir sans souci. Pour débuter le podcast, découvrez la citation du jour, une source d'inspiration qui vous guidera vers la tranquillité intérieure. Notre citation du jour nous a été envoyée par notre abonné Anna de Nantes. La vie est un sommeil, l'amour en est le rêve, et vous aurez vécu si vous avez aimé. De Alfred de Musset Merci Anna Quand il n'était encore qu'un tout petit garçon chez ses braves gens de père et mère, c'était le meilleur moment de la journée. Le dîner était fini et la maman, après avoir donné un coup de serviette à la toile cirée, servait la demi-tasse du père. Du père qui seul prenait du café, non pas par luxe et gourmandise, mais parce qu'il devait veiller très tard à faire des écritures. Et tandis que le bonhomme sucrait son mocha, un seul morceau bien entendu, devant toute la famille assise autour de la table ronde, la maman apportait le panier à ouvrage. Les trois sœurs, nées à un an de distance, se ressemblant, chastement joli, avec les robes taillées dans la même pièce d'étoffe et les honnêtes bandeaux plats des filles sans dot qui ne se marieront pas, commençaient à ourler des mouchoirs. Et lui, le gamin, le dernier-né, le Benjamin, édifiait un château de cartes. En juillet, dans les longs jours, on allumait la lampe le plus tard possible, et par la fenêtre ouverte, on voyait un ciel orageux de soir d'été, aux nuages bouleversés, et le dôme des Invalides, tout écaillé d'or, dans la fournaise du couchant. Comme c'était très mauvais pour la digestion d'écrire comme ça tout de suite après dîner, on faisait un peu causer le père, afin de retarder le moment où il se mettrait à son travail du soir, des copies de mémoire assis sous le rôle pour un entrepreneur du quartier. Le pauvre homme, une nature de rêveur, un esprit littéraire qui jadis dans sa chambre d'étudiant avait rimé des audes, en était arrivé là, ayant perdu l'espoir de passer sous chef et employé toutes ses soirées à copier du jargon technique. Mais pour le moment... Il s'oubliait à bavarder avec sa femme et ses filles. Et tout cela, gaiement, car tout allait à peu près bien dans l'humble ménage. Tout à coup, il faisait presque nuit dans la chambre, Et le père s'apercevait que son petit garçon venait de s'endormir, de s'endormir la tête sur son bras replié parmi l'écroulement du dernier château de cartes. Et il disait joyeusement, Le marchand de sable est passé. L'exquise minute, on ne l'oubliera jamais, le gamin qui a des cheveux gris maintenant. Sa mère le prenait dans ses bras, et il sentait la barbe rude de son père, et les lèvres fraîches de ses trois sœurs se posaient tour à tour sur son front. Puis, avec une délicieuse sensation d'évanouissement, Il laissait tomber sa petite tête sur l'épaule maternelle, et il entendait confusément une voix douce, si douce et si caressante, murmurer près de son oreille. Maintenant, il s'agit de faire dodo. Bonne nuit. Et vingt ans plus tard, il était un poète inédit, un étudiant en rime, et il faisait une partie de campagne avec sa chère petite Maria, une maudiste ressemblant à une madone du Corrèges, qui serait anglaise. À l'arrivée, en descendant de la voiture publique et en déposant leur léger bagage dans la chambre d'auberge, ils avaient bien ri, elle et lui, du brevet de maître d'armes encadré, du bouquet de fleurs d'oranger sous un globe et du grand lit à bateau. Mais quand ils eurent ouvert la fenêtre donnant sur la campagne et qu'ils virent devant eux la route forestière, La route humide et verte, fuyant sous les châtaigniers, ils poussèrent un cri de joie, les Parisiens, et dans leur enthousiasme, ils se donnèrent un baiser en pleine bouche devant la nature. Et depuis deux jours, deux jours de juin trop chaud à l'atmosphère de bain trempé de courtes averses, il vivait là, battant les bois du matin au soir, et avant de se coucher, laissant la fenêtre entreouverte pour être réveillé par le chant des oiseaux. Et ils étaient si heureux, si heureux qu'ils avaient oublié tout leur passé, et qu'il leur semblait avoir toujours habité dans cette chambre rustique. Elle y avait mis le charme de l'intimité, la jolie blonde, en jetant au retour des folles promenades son ombrelle sur le couvre-pied du lit. et en posant sur le globe aux fleurs d'oranger son coquet chapeau de grisette. Déjà il avait eu des maîtresses, mais celle-ci était vraiment la première, la seule qui l'eût aimée ainsi, avec cet abandon, avec cette confiance. Douce, silencieuse. aimante et si mignonne avec des yeux tendrement malins. Il était fou d'elle, fou de l'odeur fraîche qu'elle exhalait, de ses mots d'enfant, de la moue si sage et si sérieuse de sa bouche, quand elle était si pensive. Et elle ? Elle l'aimait si naïvement. Et s'il restait deux jours sans la voir, elle lui écrivait, d'une grosse écriture maladroite, des adorables lettres, pleines de sentiments et de fautes d'orthographe. Voilà longtemps qu'il projetait de faire cette bonne partie. longtemps qu'il n'avait pas pu. Pourquoi ? Parce que la liberté est rare, et aussi à cause de ce bête d'argent qui manque toujours. Mais enfin, il s'en était donné tous les deux, du bon temps et du grand air. Mais l'instant le plus doux de ces douces heures L'instant dont le souvenir fera naître encore un souvenir sur ses lèvres de vieillard dans quarante ou cinquante ans quand il traînera sa canne d'invalide sur le sable de la petite Provence. Ce fut vers onze heures du soir, la veille du départ. Comme il pleuvait à verse, il s'était attardé devant la cheminée de la cuisine. lui séchant ses gros souliers de chasse, et elle arrangeant la gerbe de fleurs des champs qu'elle voulait rapporter à Paris. Puis, ils étaient remontés dans leur chambre, où ils avaient fourbancé quelque temps, en riant d'entendre dans la salle basse traîner la jambe boiteuse de l'aubergiste qui fermait ses volets. Et enfin tout s'était tu. La pluie avait cessé et il s'était senti tout à coup environné par le grand silence et la profonde solitude de la campagne nocturne. Sans rien dire, elle prit l'unique bougeoir. le posa sur la cheminée devant la glace sombre et tachée par les mouches, et elle commença sa toilette de nuit. Lui, plongé au fond du grand fauteuil, les jambes croisées, la regardait tout engourdi de bonheur et de fatigue. Elle avait retiré sa robe et son jupon, et gardant seulement son corset de satin noir qui étreignait sa taille mince, elle levait gracieusement, pour tordre son chignon, ses bras un peu grêles au-dessus de sa tête, lorsqu'elle vit dans la glace son amant qui lui souriait, et elle, elle lui rendit ce sourire. Comme il l'aimait dans ce moment-là, comme il l'aimait bien, sans désir. Deux nuits d'ivresse les avaient éteints, mais il était plus tendre encore dans son accablement. Devant le lit préparé qui embaumait la lavande, devant les deux oreillers jumeaux, Il savourait d'avance la volupté délicate de s'abandonner à l'étreinte de son ami, de lui dire bonsoir dans un baiser sans fièvre, et de s'endormir sur ce cœur simple qui ne battait que pour lui. Et c'est alors... Que semblant deviner sa pensée, elle était venue s'asseoir sur ses genoux, l'avait pris dans ses petits bras, et le regardant de tout près avec ses yeux fins et doux que fermait à demi le sommeil, elle lui avait dit, caline comme un enfant qui veut être bercé, et d'une voix mourante de lassitude, Maintenant. Il s'agit de faire dodo. Bonne nuit. Aujourd'hui, il se fait vieux. Ce conteur d'histoires d'amour, ce marchand de rêves. Cinquante ans tout à l'heure, les cheveux poivrés sels, la patte d'oie au coin de l'œil et l'estomac gâté, une mauvaise pierre dans son sac, comme on dit. Ce matin, lorsqu'il s'est réveillé, la bouche amère, et qu'il a lu le billet de Ferpa, Il n'a pas voulu tout d'abord aller à cet enterrement. Saluer le cercueil d'un homme qu'il méprisait, à quoi bon cette hypocrisie ? C'était un confrère, sans doute. Quel mot absurde ! Mais un drôle, une plume vénale. Tant. Il n'avait pas eu à se plaindre de ce malheureux, au contraire. Sans intérêt personnel, par simple goût, ce journaliste lui avait toujours montré une sympathie dont il rougissait, l'avait loué avec tact et même chaudement défendu dans de mauvais jours. on était sinon des amis du moins des camarades on se serrait la main quand on se rencontrait par hasard allons il suivrait ce convoi il devait aux morts cette politesse et par ce sale et pluvieux matin de novembre Il s'était rasé et habillé de bonheur. Il avait déjeuné à la hâte, les œufs n'étaient pas frais, poids. Il avait pris un fiacre qui sentait le chien mouillé, et il était arrivé en retard à l'église quand le service funèbre était presque terminé. Mais puisqu'il est venu, il ira jusqu'au bout. On vient de donner l'absoute. Il prend la file, jette l'eau bénite, remonte dans son fiacre, et le cortège se met en route vers les faubourgs sous la pluie fine et froide. Puis au cimetière, c'est l'éternel et lugubre comédie. Les gens qui tout au long du chemin ont ri d'un scandale arrivé la veille et qui se composent un visage digne au chagrin en se rangeant autour de la fosse béante, là l'orateur ridicule qui ment comme un dentiste en parlant du mort dans l'espoir de quelques réclames. Et dans un coin, témoignage de la belle existence du défunt, sa maîtresse, dont le deuil semble un déguisement et dont les larmes font couler le maquillage. Il en a assez, l'homme nerveux. Il prévoit qu'à la sortie, il faudra encore distribuer des poignées de main déshonorantes. Et il s'esquive avant la fin, et se dérobe derrière un magnifique monument annonce élevé à la mémoire d'un fameux marchand de nouveautés. Il s'enfuit dans une allée déserte du cimetière. Il n'en peut plus. Mais ce ciel couleur de suie, ses feuilles mortes dans la boue, ses arbres noirs dégoûtants sur les tombes, Et ce vent, ce vent qui passe en gémissant, c'est sinistre. Le rêveur solitaire éprouve tout à coup une inexprimable détresse. Il songe qu'il n'est plus jeune, qu'il se porte mal, que sa vie est contentieuse et précaire, et que ce n'est rien, mais rien, que sa réputation si enviée par ses confrères, que sa gloire de papier. Il se dit que lorsqu'on le mettra en terre, bientôt, Les choses se passeront comme pour cet homme taré, même crosse de fusil sonnant sur les dalles de l'église, même indifférent dans les fiacres causant de leurs petites affaires, même grotesque en cravate blanche débitant des sottises avec une émotion de cabotin, tandis qu'un ami complaisant l'abrite sous un parapluie. et il est tellement saturé de tristesse et de dégoût qu'il voudrait être mort déjà, et que ce fut fini, tout à fait fini. Oh, comme on doit bien se reposer ici ! Alors, dans le vent qui murmure et qui pleure, Il croit entendre, réponse à son affreux désir, les paroles qui lui rappellent les heures excellentes de sa vie, les paroles qu'il n'a entendues prononcer que par sa mère bien-aimée et par sa maîtresse la mieux chérie. Maintenant, il s'agit de faire dodo. Bonne nuit.