- Elizabeth Johnston
Bienvenue dans le podcast du Forum européen pour la sécurité urbaine. Je suis Elisabeth Johnston, déléguée générale de l'EFUS, le réseau européen de 250 autorités locales et régionales dédiées à la sécurité urbaine. Aujourd'hui, pour aborder le sujet de la violence chez les jeunes, j'ai le plaisir d'accueillir Serena Yami, adjointe au maire déléguée à la tranquillité publique de la ville de Noisy-le-Sec, en Seine-Saint-Denis, ainsi qu'Audrey Palama, spécialiste des violences collectives avec près de 30 ans d'expérience en conflit armé et violences urbaines en France comme à l'international.
Bonjour Serena.
- Audrey Palama
Bonjour Elizabeth.
- Elizabeth Johnston
Bonjour Audrey.
- Serena Yami
Bonjour Elizabeth.
- Elizabeth Johnston
En tant qu'élu délégué à la tranquillité publique, Serena, quelles sont vos principales préoccupations face au phénomène de la violence chez les jeunes ? Et comment votre collectivité locale s'en part-elle du sujet ?
- Audrey Palama
Alors, notre principale préoccupation dans le cadre de ce mandat, ce sont les rivalités interquartiers. Donc, ces rivalités qui opposent les jeunes de différents quartiers de la ville, principalement sur des stratégies, des principes de territorialité, en fait. Il y a des sortes de rivalités. Et ça donne lieu à des affrontements physiques qui peuvent être violents et qui peuvent être assez dramatiques et avoir des conséquences physiques et psychiques très lourdes, notamment des stratégies d'évitement, parfois, pour éviter tel ou tel quartier. Et ça impacte leur... quotidien, mais ça peut impacter en tout cas leur parcours scolaire. Et donc ça, c'est une de nos principales préoccupations, et c'est pour cela qu'on en a fait un des enjeux de notre mandat pour essayer de trouver les solutions et en tout cas apporter une partie des réponses qui puissent permettre d'apaiser ces tensions de manière pérenne et de protéger les jeunes qui sont dans ces conflits et également leurs proches qui sont des victimes ou qui peuvent être des victimes collatérales dans le cadre de ces violences.
- Elizabeth Johnston
Est-ce que vous avez l'impression que la violence chez les jeunes touche certains quartiers ou certaines populations plus que d'autres ?
- Audrey Palama
Noisilles-Sec compte environ 46 000 habitants, 5 quartiers prioritaires de la ville, et on se rend compte que les violences, les rivalités interquartiers, telles qu'on les appelle, les violences entre groupes de jeunes, touchent 3 de nos quartiers prioritaires de la ville. Concernant les publics, alors il faut savoir que Noisilles-Sec a une population très jeune, 30% de la population a moins de 18 ans. Et ces violences touchent des encore plus jeunes et commencent dès 13 ans désormais. Et finalement, on se rend compte que vers 18, 19, 20 ans, les jeunes qui étaient dans ces schémas-là commencent à sortir de ce schéma de violence parce qu'ils commencent à s'insérer professionnellement ou en tout cas, ils sortent de la ville pour d'autres cursus scolaires.
- Elizabeth Johnston
Quelles actions concrètes est-ce que vous arrivez à mettre en place au niveau d'une collectivité pour prévenir cette violence et lutter ? contre ces violences lorsqu'elles sont déjà installées ?
- Audrey Palama
Il y a tout un travail au cours de la déconstruction des masculinités, virilistes notamment, puisque les violences entre groupes de jeunes et principalement entre groupes de jeunes garçons se construisent autour du capital guerrier pour compenser peut-être un capital social ou culturel que ces jeunes garçons et ces jeunes hommes n'ont pas dans une société qui va donc les valoriser à travers ce capital guerrier. Donc par rapport à ça, on a mis en place des cours égalitaires pour rééquilibrer aussi le statut des femmes, des jeunes filles et des garçons dans les cours de récréation. Ça, c'est un premier angle. Ensuite, il y a tout le travail éducatif avec le programme de réussite éducatif qu'on a mis en place sur la ville, de la médiation sociale et urbaine, de la prévention spécialisée. qui est sur un quartier et qu'on aimerait réussir à développer sur d'autres quartiers avec l'appui du département. Donc ça, c'est un petit peu plus compliqué. Et puis, il y a également tout le relationnel interquartier que l'on arrive, ou en tout cas que l'on essaye à créer à travers des actions et des séjours interquartiers dans la ville ou à l'extérieur. On a des centres de vacances en dehors de l'île de France. On a une association de parents d'élèves qui a monté la boum des CM2. qui réunit des CM2 de plusieurs établissements et donc de plusieurs quartiers, avant l'entrée en sixième. Donc c'est assez stratégique aussi, c'est une étape charnière. Et dans le même esprit, la municipalité a monté un conseil municipal des enfants qui regroupe des enfants de plusieurs centres de loisirs de quartiers différents.
- Elizabeth Johnston
Merci. Nous sommes accompagnés aujourd'hui aussi par Audrey Palama, qui a pratiqué pendant une quinzaine d'années la médiation. Vous avez été déléguée du Comité international de la Croix-Rouge et conseillère en dialogue avec les groupes armés et les gangs. Comment l'idée d'explorer les liens entre processus de paix et réconciliation dans les conflits armés et la prévention des violences urbaines telles qu'on vient d'en entendre parler à Noisy-le-Sec est-elle née ?
- Serena Yami
L'idée a germé au travers d'un projet mené avec le Forum français pour la sécurité urbaine dans une autre ville de région parisienne, où nous avons mené un diagnostic participatif sur les rivalités interquartiers, ce qui nous a permis de dialoguer avec quasiment toutes les franges. de la population. y compris les jeunes impliqués, les jeunes non impliqués, les parents, les commerçants, etc. Et bien sûr, les acteurs de la ville. Ce qui m'a fait prendre conscience du lien, et d'ailleurs nous en avons discuté ensemble, c'est déjà le vocabulaire. Il y a, et tout à l'heure Serena a mentionné le capital guerrier, donc on n'est pas loin, il y a ces mots, nous sommes en guerre, c'est mon ennemi, je vais le tuer, ces mots ont été prononcés par des personnes. Donc le vocabulaire est en commun. Il y a aussi la notion de territoire. Nous sommes sur des rivalités territoriales interquartiers. Une autre notion aussi qui est proche des conflits armés, c'est le côté cyclique. Beaucoup de personnes nous ont dit ne pas croire en la paix, en la fin de ce phénomène, parce que cela revient tout le temps. Et ça, c'est vraiment ce qui se passe aussi dans les conflits, surtout dans les conflits armés où il n'y a pas... pas eu, ou on va dire, il y a eu des trêves. Les trêves, c'est l'arrêt de la violence. On arrête de se battre et ça, on le voit beaucoup dans les rixes, parce que parallèlement à la culture de cette violence urbaine, il y a aussi une culture du dialogue qui a été développée. Parce qu'à un moment, les jeunes, il y a des moments où il faut qu'ils arrêtent. Pour eux, pour leur sécurité, pour leur famille. Et donc, ils ont développ�� aussi ces ressources de dialogue et de négociation, eux et leur entourage. Et ça, c'est vraiment très important. Donc, le parallèle... C'était, on ne sait pas stopper une guerre, un conflit armé, sans travailler avec toutes les parties prenantes, pas seulement avec les jeunes, pas seulement avec ceux qui se battent, avec toutes les parties prenantes qui construisent le contexte, pour réparer ce contexte. On ne sait pas arrêter les guerres sans faire cela.
- Elizabeth Johnston
Merci beaucoup. Et du coup, est-ce que vous pouvez peut-être développer un peu plus le rôle des institutions locales, je pense à la mairie, mais aussi à la police municipale, mais aussi aux médiateurs, et aux éducateurs de jeunesse ? Quel est leur rôle dans ce processus de pacification ?
- Serena Yami
Leur rôle, il est primordial. Déjà, je tiens à signaler que je suis spécialiste des violences collectives, mais je ne suis pas une spécialiste des rivalités interquartiers. Les experts, les spécialistes, ce sont les personnes dont vous venez de parler, c'est Serena, ce sont les jeunes impliqués, c'est leur entourage. Donc la richesse, elle est là, c'est les personnes qui y travaillent. Ensuite, si on regarde les parties prenantes, il y a les professionnels que vous venez de mentionner, Elisabeth, et donc les villes, on va dire en premier lieu, qui peuvent donner un... cadre, c'est-à-dire donner un cadre, donner aussi une décision politique de, oui, on va s'atteler à ce problème-là, et d'ailleurs la plupart des villes s'y attellent, mais on va s'y atteler dans le temps long, en prenant ce risque aussi de travailler avec toutes les parties prenantes. C'est délicat, c'est pas évident. Et ça, seule la ville peut donner ses garanties de l'engagement sur du temps long, donner un cadre, donner des ressources et faire ce travail aussi préliminaire d'identifier ces parties prenantes et de créer un premier dialogue. En gros, c'est de donner la coquille, le cadre, de sécuriser également, parce qu'il est très difficile de dialoguer dans la violence. Alors souvent, l'arrêt de la violence vient des acteurs eux-mêmes, des jeunes, des plus grands qui ont été impliqués avant et qui négocient. Et malheureusement, cela reprend souvent parce que ces trêves, donc arrêt de violence, ne sont pas forcément suivis d'une généralisation à toutes les bandes impliquées, puisque par quartier, Serena, c'est peut-être le cas aussi à Noisy. On peut avoir les 12-13 ans. qui se battent entre eux, entre deux quartiers, mais aussi les 14-15, les 17-18. Et en fait, il faut que toutes ces générations soient pacifiées pour que l'arrêt des rivalités soit réel et global. Donc, le contenu, on va dire, l'expérience vient des acteurs de terrain, je veux dire des jeunes, des habitants et des acteurs de terrain qui sont très proches, comme les médiateurs, les éducateurs spécialisés, pour étendre et généraliser cette rêve. Et la ville... garantit le soutien politique et le temps long.
- Elizabeth Johnston
Serena, est-ce que vous vous y retrouvez par rapport à ce que disait Audrey du rôle de cadre et de long terme que la ville peut donner en complément au rôle de terrain des acteurs, éducateurs, jeunesse, etc. ?
- Audrey Palama
Je pense que s'il n'y a pas de, et Audrey l'a dit, de volonté politique derrière pour élaborer une stratégie et la porter, chacun va de son côté essayer d'agir. mais il n'y aura pas de continuité d'action et il n'y aura pas de lisibilité très très claire et surtout il n'y aura pas de maillage entre les différentes actions et les différents territoires. Et donc là où la ville a un rôle assez primordial, je crois, à jouer et où elle peut en tout cas l'exercer, c'est permettre de mailler les acteurs, les actrices institutionnelles et informelles du territoire pour pouvoir mettre en place et piloter sa stratégie, avec l'importance d'avoir des réponses. coordonnées sur chacun des territoires. Parce que, Audrey le disait tout à l'heure, parfois on agit sur une tranche d'âge et pas sur l'autre, mais il y a aussi, à l'inverse, parfois on agit sur un quartier et pas sur l'autre. Et finalement, si on ne traite pas tous les quartiers au même moment, ou en tout cas sur une temporalité similaire, ça ne pourra que repartir à un moment donné. Et j'en reviens à l'importance de la prévention spécialisée qu'on n'a pas vraiment entre nos mains, qui est sous la direction du Conseil départemental. et qu'on n'arrive pas à décliner sur différents quartiers alors que ce serait précieux.
- Elizabeth Johnston
Audrey, est-ce que vous pourriez nous faire part d'exemples, de pratiques issues des processus de paix internationaux que vous avez pu connaître qui peuvent inspirer les politiques locales en France ou peut-être en Europe ?
- Serena Yami
La première chose, c'est ce qui est en train d'être fait par les acteurs de terrain. C'est-à-dire qu'on n'attend pas... que la violence cesse pour dialoguer. La paix, elle se construit à chaque instant. Donc tout le travail que font les acteurs de terrain, mais aussi, je tiens encore à insister, les parents, les habitants, tous ceux qui sont en dialogue avec les jeunes, tous ceux qui osent aussi porter la parole de la paix, parce qu'on s'en est rendu compte, c'est souvent les mamans, je ne sais pas si vous avez d'autres exemples, qui y croient, et on peut... penser qu'elles sont naïves. En tout cas, certains leur prêtent des postures naïves, alors que ce sont les seuls qui osent. Donc, construire, oser parler de paix, même quand ça va mal. Il faut continuer et toujours maintenir le dialogue. Un autre parallèle que l'on peut tirer avec les conflits armés internationaux, c'est de maintenir de manière permanente l'activité de médiation, de dialogue avec les jeunes impliqués. et avec aussi les autres personnes qui ont de l'influence sur eux, et puis de pouvoir saisir les opportunités, les momentum, où les personnes impliquées, les jeunes, peuvent être plus à l'écoute et plus prêts à cesser la violence. Ça peut être des cas où, dans leur cycle de violence, c'est allé trop loin, il y a eu malheureusement des morts ou des blessés, ou des personnes de leur entourage affectées. Ça peut être également des événements plus globaux. comme on l'a vu l'année dernière, pendant l'été dernier, lorsqu'un jeune a perdu la vie lors d'un croisement avec la police, et ce qui a déclenché des émeutes dans un très grand nombre de villes. Et là, beaucoup de personnes ont interrogé cette violence, se sont mobilisées, et c'était peut-être également un bon moment pour justement parler des effets négatifs de cette violence et de profiter de la mobilisation de beaucoup de gens. personne.
- Elizabeth Johnston
Est-ce que Serena, vous reconnaissez aussi vous cette importance des moments à saisir ?
- Audrey Palama
Oui, mais je crois qu'il ne faut pas se tromper de moments et ce n'est pas toujours évident de déterminer le bon moment parce que parfois effectivement un afflux de violence peut donner lieu à une prise de conscience et parfois ça peut donner lieu à un esprit revanchard et à un enchaînement de violences. Et ça, je ne sais pas si les acteurs que nous sommes avant les cartes en main ou si ce sont les jeunes qui décident, c'est peut-être un sujet que l'on pourra traiter avec Audrey, je ne sais pas qui décide de quel moment il s'agit, à savoir si c'est un moment où on va pouvoir casser le cycle ou au contraire si c'est un moment où le cycle va prendre de l'ampleur. Au même titre, je parlais tout à l'heure des actions interquartiers. Il faut que l'on soit très vigilant quand on les mène et quand on réunit plusieurs jeunes de quartiers différents à ce que tout se passe bien. parce que parfois, de vouloir les réunir, ça peut déclencher des bagarres, tout simplement. Et donc, on est toujours un petit peu sur le fil. Alors nous, on encadre de plus en plus ces événements avec des médiateurs, de moins en moins avec des agents de sécurité et de plus en plus avec de la médiation. Mais néanmoins, on sait que chaque événement interquartier, la fête de la musique par exemple, peut être un moment de basculement ou au contraire, un moment de cohésion sociale. Et ça, ce n'est pas toujours entre nos mains. en réalité.
- Elizabeth Johnston
Est-ce que vous impliquez directement les jeunes dans les réflexions justement autour de ces solutions ? Et est-ce que ça c'est peut-être une des pistes aussi pour aider le collectif à identifier ces moments propices ?
- Audrey Palama
Ça dépend de quels jeunes on parle. Il y a eu et il y a toujours des échanges dans le cadre des conseils municipaux des enfants, effectivement, où on va pouvoir interroger la violence. Il y a... ce que l'on appelle les soirées du pitch du point formation jeunesse où les animateurs et les animatrices jeunesse vont animer des débats et effectivement ce sujet revient. Mais en revanche, quand on a réuni des séminaires avec le forum pour élaborer notre stratégie pour lutter contre les rivalités interquartiers, on n'a pas réussi à faire venir des jeunes. Alors on a eu de jeunes adultes, mais de jeunes en prise au Rix. pas réussi à les amener pour qu'eux-mêmes puissent contribuer. Et en fait, on a un peu fait pour eux, mais sans eux, pour le moment. Ce qui ne veut pas dire que par la suite, on ne va pas réussir à rééquilibrer ça, notamment quand on entamera, je l'espère, ce processus de paix et de réconciliation que l'on envisage de faire avec Audrey. Mais c'est un écueil pour le moment qu'il nous faut constater.
- Elizabeth Johnston
Audrey, ce processus vous semble familier, à la fois de reconnaissance du sujet, mais peut-être de difficulté de s'en emparer par les jeunes eux-mêmes.
- Serena Yami
Tout à fait, et j'ai vraiment gardé en mémoire un jeune dans une ville où on a fait le projet avec le Forum français pour la sécurité urbaine, qui lors de la restitution publique a dit « mais moi je veux bien arrêter, mais je fais comment ? Je fais comment ? Comment est-ce que je suis censée réagir si je me fais attaquer ? » Est-ce que je vais passer pour un lâche si je ne réponds pas ? Et il a dit aussi une chose très intéressante. Il a dit, moi, je n'ai pas la force de ne pas répondre. Dans le sens, je n'ai pas la force, moi, de risquer de perdre la face par rapport aux autres. Et c'est là qu'on voit, encore une fois, le temps long et le fait qu'on ne va pas réussir du premier coup. Parce qu'une fois qu'on a réussi à faire peut-être cesser la violence, en tout cas les pics de violence, une fois qu'on a réussi à mettre les personnes... ensemble dans un même endroit. Même si, comme le disait Serena, il faut toujours être vigilant. Et puis en plus, pour que ça fonctionne, pour que ça apaise les tensions, il faut que ce soit des expériences agréables. Là, j'en viens sur les expériences et dans la psychologie sociale, c'est que vraiment, une des conditions très importantes pour que le contact, la mise en relation ait un impact positif ensuite, c'est que ce soit agréable. Et donc qu'il n'y ait pas de tensions, pas de stress. C'est très délicat à mettre en œuvre. Et ensuite... Mais il y a tout le contexte, on va dire, il y a les habitudes, les normes, tout ce dont parlait Serena tout à l'heure sur la virilité. Donc, on va dire, la dernière étape, c'est de continuer à travailler dans le temps long sur le changement de ces normes, mais aussi sur des choses très pragmatiques. Qu'est-ce que je fais si on m'attaque ? Et j'ai trouvé ça très pertinent de la part du jeune.
- Elizabeth Johnston
Alors du coup, est-ce que les rencontres interquartiers suffiraient à résoudre ces problèmes de rivalité entre quartiers ?
- Audrey Palama
A elles seules, non. Elles permettent aux jeunes de se dire « Ok, en réalité, on n'est pas du même quartier, on a plein de points communs, et si on était du même quartier, on pourrait être amis. » Mais finalement, cette espèce de carte mentale des embrouilles prend le dessus, et quand ils reviennent sur le territoire qui est en fait plein de petits territoires, qui constitue plein de petits territoires différents, eh bien... l'appartenance au territoire, prend le dessus sur les affinités et surtout vis-à-vis du regard des autres. C'est-à-dire qu'on ne peut pas, on s'entend bien, mais on ne peut pas être amis parce que mon quartier ne peut pas être ami avec ton quartier.
- Serena Yami
Il y a des expériences qui ont été faites et dans des contextes notamment de tensions de très très longue date et très violentes, de comment est-ce qu'on généralise en fait ce lien qui est créé entre deux personnes de quartiers rivaux qui partent en séjour ensemble. Comment est-ce qu'on généralise ce lien à tout le quartier ? Comment on fait baisser, tomber le préjugé finalement au niveau du quartier ? Et ça, il y a des méthodes pour le faire. Ça peut être par des contacts directs, physiques, mais ça peut aussi être de manière indirecte, en parlant des autres, en augmentant la connaissance et en faisant tomber aussi les préjugés de cette manière-là. Donc il y a les contacts directs, mais aussi les contacts indirects qui peuvent être tout aussi efficaces.
- Elizabeth Johnston
Audrey, de votre expérience avec les différentes villes françaises ou européennes avec lesquelles vous avez pu travailler, quel message souhaiteriez-vous adresser aux décideurs, aux acteurs de terrain pour mieux aborder cette question de la paix durable et mieux prévenir la violence chez les jeunes ?
- Serena Yami
Peut-être pas un point, donc Elisabeth, mais deux points. Le premier, c'est, j'en reviens à mon point de départ, de tenter de trouver un équilibre entre les actions à destination des jeunes impliqués dans les rivalités interquartiers et les actions à destination. des autres jeunes qui ne sont pas impliqués mais qui ont aussi besoin de soutien pour éviter d'être des victimes collatérales et de tous les acteurs qui entourent les jeunes 24h sur 24. Et là, je ne parle pas des acteurs professionnels, je parle des personnes qui font partie de l'entourage des jeunes. Ça peut être des grands, comme on dit, des jeunes plus grands, mais qui, eux, se sont investis dans les médiations, justement dans les négociations et qui n'ont pas forcément toute la palette de compétences nécessaires. Je parle des parents, je parle ça peut être des voisins, des commerçants, en tout cas les personnes qui sont autour. Comment est-ce qu'on renforce ou développe les compétences de ces acteurs non professionnels ? La deuxième chose, c'est de travailler sur la coordination et l'objectif commun entre les différents services. Là, je parle des professionnels qui travaillent à la prévention, à la gestion des rivalités interquartiers, parce que c'est tout naturel, chacun a son objectif, chacun a sa culture, et ce n'est pas évident. de travailler tous ensemble en faisant en sorte d'aller tous dans une même direction pour un objectif commun. Et de ce que j'ai pu voir, c'est un travail vraiment préalable, nécessaire, également à construire un contexte favorable à l'arrêt des rivalités interquartiers.
- Elizabeth Johnston
Dans ce même esprit de soutenir les collectivités qui font face au même genre de sujet dont on vient de parler, Serena, auriez-vous quelques éléments clés que vous avez envie de souligner aujourd'hui ?
- Audrey Palama
Je vais rejoindre ce que vient de dire Audrey, je pense. La nécessité d'avoir une culture partagée autour de ce que sont les rivalités interquartiers, leur processus de fabrication et comment les déconstruire. Donc le rôle principal d'une formation. Formation peut-être à la gestion de conflits dans l'espace public. Nous, je sais qu'on a formé des agents dont le métier n'est pas la sécurité, mais des agents de la collectivité qui sont sur le terrain à chaque événement et qui sont assez démunis face à ça. et également l'importance de la médiation par les pairs, P-A-I-R-S, qui sont souvent des mamans, pour le coup. D'ailleurs, nous, on a un collectif de mamans qui s'est monté sur la ville de Noisy-le-Sec, qui font un travail très appréciable et très important auprès des jeunes dans les quartiers, et aussi le rôle des associations de quartiers qui ont une certaine reconnaissance. Et c'est vrai que nous, institutions, polices, villes, etc., il y a une certaine défiance. je ne sais pas si c'est de la défiance, mais en tout cas le contact et ce que l'on peut dire est pris avec beaucoup plus de distance que lorsque ce sont des proches, des parents ou des gens du quartier qui y ont grandi et auprès desquels les jeunes se reconnaissent.
- Elizabeth Johnston
Alors vous avez toutes les deux beaucoup parlé de jeunes gens, jeunes garçons impliqués dans ces violences collectives. Est-ce que ça veut dire que les filles en sont absentes ou jouent un rôle différent dans ces rivalités interquartiers et dans ces violences ?
- Audrey Palama
Sur Noisilles secs, les rivalités intercartier, en tout cas les affrontements physiques, concernent davantage les garçons et les jeunes hommes, ce qui ne veut pas dire que les jeunes filles en soient totalement exclues, mais ce qui se remarque, c'est qu'elles ont souvent, un peu comme dans les cours de récréation, on y revient, un rôle périphérique. C'est-à-dire que c'est elles qui vont leur dire potentiellement, et Marouane Mohamed en parle dans son dernier livre, « Il y a embrouille, sociologie de quartier » , C'est elles éventuellement qui vont donner l'emploi du temps de tel ou tel garçon, de tel ou tel quartier, de tel ou tel... Elles vont avoir un rôle un peu d'informatrice. Et en revanche, elles sont très présentes, que ce soit les mamans, les grandes sœurs, les cousines, pour ensuite essayer d'apaiser les tensions. Donc elles ont un peu, en tout cas surnoisies, je ne dis pas que c'est une réalité absolue, mais ou elles ont un rôle plus périphérique, ou alors... elles vont être celles qui vont tenter d'apaiser les tensions et les rivalités, et parfois aussi celles qui en souffrent aussi énormément.
- Serena Yami
Je suis d'accord avec Serena, de l'investissement également, pour persuader les garçons de ne pas entrer dans la violence. Et là, beaucoup m'ont dit, ils ne nous écoutent pas. Une fois qu'ils y sont, on n'y arrive pas. Et donc peut-être des outils aussi pour elles, en tant que perches, pour réussir à dialoguer, ou qui peuvent-elles alerter quand elles voient qu'il y a une... une dérive.
- Elizabeth Johnston
Merci beaucoup Audrey et Serena d'avoir partagé vos expériences et votre expertise.
- Audrey Palama
Merci Elisabeth,
- Serena Yami
merci.
- Elizabeth Johnston
Nous espérons que vous avez apprécié cet épisode financé par la Commission européenne dans le cadre du projet Icarus. Retrouvez-nous sur toutes les plateformes pour nos podcasts. A très bientôt pour un prochain épisode du podcast de l'UFUS.