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Et pourquoi ¿

le temps (partie 1/2)

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21min |05/03/2025
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21min |05/03/2025
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Description

Et pourquoi nous n'avons plus le temps ?

C’est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais je vais vous aider à y réfléchir.


Dans cette première partie, nous allons exploré comment notre rapport au temps s’est transformé sous l’effet d’une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle, ou personnelle, le sentiment de manquer de temps est devenu omniprésent, au point de structurer nos comportements. 

__________________


Les Sources :

Hartmut Rosa - Accélération (MLIT)

Pascal Chabot - Global Burn-Out (Puf)

Christine Chevret-Castellani - Médiatisation du burn-out dans la presse écrite

Christine Bouton - Interview pour pme.ch

Claire Bélisle - Lire dans un monde numérique (Presse de l'ENSSIB)

Charles Adrianssens et Paul Monjotin - L'ère du temps libéré

André Gorz - Batir la civilisation du temps libéré (Article du Monde Diplomatique)

___________________


La BO : Spotify -> https://open.spotify.com/playlist/1xGkvuPQ5HdWCbOr5wCwXP?si=18029b6038af41cd

Instagram : https://www.instagram.com/etpourquoi.lepodcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Et Pourquoi, le podcast qui ne répondra pas à vos questions mais vous aidera à y réfléchir. Vous m'avez déjà entendu dire au cours des précédents épisodes que le thème d'aujourd'hui serait particulièrement politique. Alors, même si j'enfonce une porte ouverte en disant que tout ce qui fait société est politique, cette fois-ci, et étant donné que le sujet a fait l'objet d'un ministère à son nom, éphémère certes, mais qui a eu le mérite de créer les chèques vacances, il fallait que je prenne le temps de m'y arrêter. Et croyez-moi, le temps, il va en être question ici. Je peux parier sans hésitation qu'il vous est déjà arrivé dans les 24 dernières heures de prononcer cette phrase « j'ai pas le temps » . Et alors, si vous avez réussi le bingo d'un « j'ai pas le temps, je suis pressé » , alors là, jackpot, car c'est exactement de ça dont il va être question. Que celui d'entre vous qui n'a pas déjà ressenti cette sensation de ne pas avoir le temps, lève le doigt. Dans la plupart des cas, cette sensation se fait ressentir dans le cadre du travail. Vous avez déjà peut-être entendu de la part de votre supérieur « c'est pour hier » . Et j'imagine que vous avez déjà fait ça. que vous avez déjà lu en fin de mail ASAP, anglicisme pour As Soon As Possible, soit aussi vite que possible. Mais nous verrons que même en dehors du travail, nous n'avons plus le temps. Vous l'aurez compris, nous allons explorer comment les heures sont devenues des minutes, puis des secondes, nous allons parler de comment passe le temps. Et pourquoi nous n'avons plus le temps, c'est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais vous aider à y réfléchir. Je ne sais pas vous, mais j'observe dans mon entourage un phénomène plutôt généralisé qui me fait penser à ce super-pouvoir que tout le monde aimerait avoir. Vous savez, ces personnages de films qui vont plus vite que la lumière et dont l'expression graphique et visuelle se traduit par un ralentissement de l'action autour d'eux. Je ne vous cache pas qu'il m'est arrivé d'avoir envie de ce pouvoir. De façon plus terre à terre, des proches m'ont fait prendre conscience que je semblais être à contre-courant du mouvement collectif dans mon approche du temps, me permettant de réaliser qu'en moi, mais aussi en nous tous, de nouvelles inquiétudes naissaient. Et oui, comme si celles que nous avions déjà ne suffisaient pas. Elle m'a été particulièrement flagrante la semaine dernière, quand un ami, venu à la maison pour prendre un café, m'a dit, une heure trente après que nous ayons échangé sur nos préoccupations, nos envies, nos attentes, bref, ce que nous appelons communément refaire le monde, il me dit, il faut que j'y aille, sinon je vais culpabiliser de n'avoir rien fait. Je peux moi-même avoir cette réflexion. Mais l'entendre me l'a fait sonner comme la révélation d'un sujet bien profond et généralisé. Dans le même ordre d'idées, une autre connaissance me montrait une application sur son téléphone m'expliquant comment celle-ci lui permettait d'être plus productive et où chaque minute était labellisée pour une activité avec un temps bien défini. Levé, petit déjeuner, écoute d'un podcast, le mien évidemment, trajet, travail, café, réunion, appel téléphonique, sport, absolument. tout semblait optimisé et quantifié avec une donnée temps dédiée, où les espaces vides sont invités à se remplir, l'application affichant un intervalle terminé, et après, véritable mécanisation du temps présent. Je vais être honnête, je ne m'exclus pas du tout de ce phénomène, même si pour l'heure, bien que férue d'applications en tout genre, celles-ci n'ont pas vraiment réussi à automatiser mon temps. mais il est évident qu'en ayant dans vos oreilles un sujet par mois de deux fois vingt minutes je me suis engagé à respecter ce rendez-vous mensuel et il m'incombe d'organiser mon temps de sorte à respecter la durée nécessaire à la création de chaque épisode qu'il s'agisse d'un sentiment personnel ou d'une mécanisation informatique de notre temps le monde d'aujourd'hui semble vouloir défier la course du soleil jusqu'à la grande maîtresse du temps qui passe. Da ns les constats Première partie, l'accélération sociale et ses paradoxes. Je l'ai évoqué plus tôt, et je vais le redire, il s'agit probablement là du sujet le plus politique sur lequel j'ai eu à travailler. Alors bien qu'il ne sera pas ici question de politique à proprement parler, il est évident qu'entre les lignes des différents auteurs que j'ai pu lire se dessinent ceux qui pourraient constituer des bases solides de réflexion pouvant emmener une personnalité politique à faire des propositions de loi. D'ailleurs, je vais d'ores et déjà faire une entrave à notre plan de vol habituel en parlant histoire, Et en revenant sur la personnalité que j'évoquais plus tôt, un homme politique qui officia au sommet de l'État entre 1980 et 1983, pour certains c'était hier, pour d'autres c'est la préhistoire, André Henry. Nommé par Mitterrand en tant que ministre du temps libre et assisté par deux ministres délégués, jeunesse et sport et tourisme, son ministère se voulait un symbole de progrès social et d'émancipation des travailleurs. Mais voilà, il se heurte très vite à l'inertie administrative et au... tensions politiques. Sa création se fit d'ailleurs plus en réaction à que dans une réelle volonté de questionner la place et la fonction du temps libre dans les différents aspects de la société. Deux autres éléments probants qui annonçaient à l'avance le caractère éphémère de ce ministère, le fait que son action se limite à la jeunesse, au sport et au tourisme. Il n'est alors nullement question de travail et il se dit que lors de sa prise de fonction, le président n'aurait accordé que deux minutes d'entretien à André Henry. en concluant par un écoutez je n'ai pas le temps débrouillez-vous il y a là presque de l'ironie pourtant l'idée derrière ce ministère était loin d'être anodine elle posait la question de la place du temps libre dans une société obsédée par la production et la performance andré henry le disait lui-même le temps libre ce ne sont pas seulement les loisirs c'est aussi la culture et la vie citoyenne l'engagement citoyen pour la république cette vision du temps libre comme un espace de participation de réflexion et d'épanouissement collectif, s'opposer frontalement à une conception purement récréative et consumériste du loisir, dans un contexte où le rythme de vie s'accélérait sous l'effet des transformations économiques et technologiques. La question ne se limite donc pas à une volonté politique ou institutionnelle, elle touche à une dynamique plus profonde qui façonne notre rapport au temps. C'est précisément ce que décrit Hartmut Rosa, que je citerai régulièrement en analysant comment la modernité s'est accompagnée d'un processus d'accélération sociale où les gains de temps apportés par le progrès technique coexistent paradoxalement avec un sentiment généralisé de manque de temps. Alors, vous en avez l'habitude, petit avertissement, j'ai bien conscience qu'en général j'attends la deuxième partie de l'épisode pour attaquer les choses sérieuses, mais que voulez-vous ? Vous allez vous dire « il se fout de nous » , mais non, nous n'avons pas le temps d'attendre plus longtemps. Enfin, si. Prenez le temps de vous faire chauffer de l'eau pour vous préparer une infusion au menthe poivrée. Il paraît que c'est excellent pour le mal de tête, car nous allons aborder les textes passionnants et intellectuellement sportifs de Rosa, qui dans ses ouvrages Accélération et Aliénation et Accélération offrent entre autres ce qu'il définit comme une accélération sociale de nos sociétés. Selon lui, l'accélération s'opère à trois niveaux. Technique, les moyens de transport et de communication plus rapides. Social, je vais m'y attarder un peu plus, par exemple, la durée de vie des modèles familiaux qui s'est raccourcie au fil des générations. Autrefois, les structures familiales restaient stables pendant plusieurs générations, alors qu'aujourd'hui, elles changent plusieurs fois au cours d'une vie. Il en va de même pour le monde du travail, où la stabilité professionnelle est de plus en plus rare. Et enfin, troisième niveau, le rythme de vie, par la pression subie d'en faire toujours plus en moins de temps. Ces trois formes d'accélération sont interconnectées. et forme un cycle auto-entretenu. L'accélération technique entraîne des transformations sociales rapides qui elles-mêmes poussent les individus à adopter un rythme de vie plus effréné. Ce cycle perpétuel est l'une des caractéristiques fondamentales de ce que Rosa appelle la modernité tardive. Stop ! Moment bande poivrée. La modernité tardive. Alors, pour la faire courte et probablement maladroite, avec la possibilité que je résume mal ce concept, C'est l'idée que pour conserver un statut de modernité, nous sommes obligés de courir après le temps. Ou pour la faire plus simple, lorsque votre réveil sonne le matin, vous êtes déjà à la bourre. Bref, c'est là qu'on atteint le cœur du paradoxe. Nous n'avons jamais autant optimisé notre temps. Et pourtant, nous n'avons jamais eu autant l'impression d'en manquer. Le livre « L'ère du temps libéré » de Paul Mongeotin et Charles-Adrien Sens montre qu'en 2019, 61% des Français préféraient gagner moins pour avoir plus de temps libre. Pourtant, dans la même période, la part des salariés contraint par des délais serrés ou des réponses immédiates à des solutions est passé de 28% en 84 à 58% en 2016. Prenons deux exemples de Rosa, qui illustreront très bien ces notions d'accélération. L'un sera d'ailleurs très parlant au moins à un de nos auditeurs. Imaginez que vous gagnez 30 minutes grâce à une nouvelle technologie boostée à l'IA, un robot qui vous prépare votre café le matin par exemple. Ces 30 minutes devraient être du temps libéré supplémentaire ? Eh bien non. Au lieu de savourer un moment de calme, Vous allez probablement les utiliser pour répondre à plus de mails, planifier des tâches supplémentaires ou compresser encore plus votre emploi du temps. Ce qui devait être un gain se transforme en surcharge. Deuxième exemple, qui définit ce que l'auteur appelle l'aliénation temporelle, notre rapport aux médias et à l'information. Chaque jour, nous sommes bombardés de nouvelles qui nous imposent une actualité en flux tendu, nous donnant l'impression que nous devons tout suivre. Tout comprendre, tout intégrer, sous peine d'être déconnecté. Mais ce tourbillon d'informations ne nous laisse pas le temps de digérer ou de mettre en perspective ce que nous apprenons. Résultat, une anxiété accrue et une sensation de perte de contrôle. Nous assistons là au concept développé dans le livre, la compression du présent. Nous perdons progressivement notre capacité à nous projeter dans un avenir stable. Le passé devient obsolète plus rapidement, et le futur... est perçu comme incertain. L'instantanéité prime sur la réflexion à long terme véritable sentiment d'aliénation temporelle. Le monde change et nous n'avons plus de prise sur lui. La famine n'est alors plus alimentaire, elle est temporelle. Nous avons de plus en plus de moyens d'aller vite, mais nous nous retrouvons toujours à court de temps. Nous allons prendre un moment pour nous. Je vais faire un truc. pas du tout normal dans un podcast, après vous avoir pressé avec des concepts nécessaires à la suite de l'épisode, je vais vous laisser du temps. Je vais faire un truc un peu suicidaire pour un podcaster, mais je tente l'expérience, je vais vous inviter à utiliser la touche pause de votre lecteur. Si vous êtes chez vous, c'est le moment de la petitement poivrer. Si vous êtes dans votre voiture, n'écoutez rien, roulez, regardez la route, le paysage, écoutez les sons de votre véhicule. S'il y a un son chelou, allez faire un contrôle technique. Bref, une fois que vous aurez fait ça, soyez sympa. Appuyez sur lecture avant qu'un mail ou un SMS vienne à ta grand pour votre pause. Prochain chapitre, les nouvelles formes d'aliénation. Si l'accélération sociale transforme notre rapport au temps, elle impacte également profondément notre relation au travail et à notre propre existence. Nous allons ici explorer comment le travail, autrefois perçu comme un vecteur d'émancipation et de stabilité, s'est progressivement transformé en un facteur central de l'aliénation moderne. Et nous allons démarrer avec une notion dont nous avons tous entendu parler, le burn-out, qui pour les moins anglophones d'entre vous signifie « se consumer » . C'est Herbert Freudenberger, psychologue et psychanalyste américain, qui en 1970 fut le premier à conceptualiser dans le cadre professionnel le burn-out. Il y décrivait ce phénomène comme un épuisement émotionnel, mental et physique causé par un engagement excessif. Si à l'époque cette notion concernait principalement les professions du soin et du social, aujourd'hui elle touche tous les secteurs. Pascal Chabot, dans Global Burnout, décrit celui-ci comme la maladie de trop. Trop de sollicitations, trop d'exigences, trop de pression à la performance, au point que l'individu finit par s'effondrer sous le poids d'une accélération qu'il ne peut plus maîtriser. Et d'ailleurs, ce phénomène ne touche pas uniquement les travailleurs précaires ou ceux occupant des emplois subalternes. Il concerne également des cadres, des indépendants et même des professions dites « passions » qui, au lieu d'offrir un épanouissement, finissent par enfermer leurs acteurs dans une spirale infernale d'exigences et d'auto-exploitation. Col bleu et col blanc sont dans un même bateau et ils font face à la même tempête. Dans son étude de cas, la médiatisation du burn-out dans la presse écrite, Christine Chevret-Castellani positionne le point de bascule lors des suicides chez Renault, EDF en 2017 et Orange, anciennement France Télécom, en 2019, faisant évoluer les discours d'une perception psychologique liée à des faiblesses individuelles à une critique plus globale des organisations du travail et du management contemporain. Et bien que la médiatisation du terme en ait fait une formule, qui peut désormais désigner d'autres formes d'épuisement, hors cadre professionnel, elle rappelle qu'il ne faut pas oublier qu'il y a derrière de véritables enjeux sociaux. Un autre des aspects les plus insidieux de cette accélération du travail est le phénomène de blurring, brouillage, soit l'effacement progressif des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Grâce ou à cause des technologies, les salariés sont joignables en permanence. E-mail, notifications, réunions Zoom tardives, le travail déborde de son cadre temporel traditionnel pour s'immiscer dans les moments censés être consacrés. au repos et au loisir des stratégies bien rodées émergent l'horaire d'envoi d'un email devient un choix stratégique programmé à 8 heures du matin alors qu'il a été rédigé la veille à 23 heures objectif donner l'illusion d'une présence active dès le début de la journée résultat votre image est sauve et ce mail qui vous a pris deux heures à écrire semblera avoir été expédié en une minute mais pourquoi sacrifier son temps libre la veille parce qu'un email reçu en fin de journée signé probablement d'un vague ASAP ne précise jamais s'il faut répondre immédiatement ou attendre le lendemain. Rosa montre que cette porosité entre sphère professionnelle et personnelle contribue à ce sentiment de perte de contrôle dont on parlait plus tôt. Alors que le modèle traditionnel du travail impliquait des horaires clairs et des espaces distincts, l'ère numérique a entraîné une flexibilité forcée où chacun doit être disponible en permanence. Les travailleurs d'aujourd'hui ne décident plus du rythme de leur journée Ils sont soumis à des deadlines toujours plus serrés, à des notifications constantes et à des impératifs de productivité qui ne laissent aucun répit. Cette injonction à être toujours « on » a des conséquences psychologiques lourdes, augmentation du stress, réduction de la qualité du sommeil et in fine un risque accru d'épuisement professionnel. Un paradoxe intéressant, relevé par Rosa et Chabot, est celui de la fausse autonomie. L'essor du travail indépendant et du freelancing est un des éléments qui sont les plus importants pour la société. était censé offrir plus de liberté pourtant nombreux sont ceux qui se retrouvent piégés dans une logique d'hyperdisponibilité où chaque minute non travaillée est perçue comme une perte de revenu potentiel faisant naître la culpabilité de n'avoir rien fait que j'évoquais en introduction résultat l'angoisse du temps mort s'installe et l'équilibre entre travail et vie personnelle se brouille finalement l'accélération du travail ne se traduit pas uniquement par un rythme plus soutenu mais par une dépossession de soi. Comme le résume Rosa, nous courons pour ne pas être dépassés, mais nous ne savons plus vers quoi nous courons. Cette perte de contrôle sur le travail se reflète dans une anxiété grandissante et une saturation psychologique qui touche de plus en plus de travailleurs, toutes catégoriques au fond du. Comme à l'accoutumée, je termine cette grande session en demandant pourquoi ce sujet. Alors, pourquoi ce sujet ? Ben, pour que vous vous mettiez au yoga. Non, non, je plaisante pas. Allez donc maîtriser le chien tête en bas, car au-delà des positions animalières et de l'ouverture de vos chakras, la pratique a le mérite de vous contraindre à vivre le présent en vous détachant de la réunion Zoom d'avant et de l'email qui va suivre. En 2018, une enquête Harris Interactive révélait que 65% des Français estiment manquer de temps pour faire ce qu'ils voudraient dans une journée. Et nous n'avons jamais disposé d'autant de moyens technologiques censés nous en faire gagner. Le 10 février dernier, hier, Arthur Mensch, étoile montante de l'IA avec son modèle d'intelligence artificielle Mistral AI, dans un interview France Inter, disait « Les travailleurs qui l'utilisent, l'IA, au quotidien, gagnent plusieurs heures par jour pour régler les tâches qui ne sont pas les plus intéressantes, mais arrivent à les faire plus vite. Plus qu'une promesse, c'est effectivement une réalité. » La réflexion s'ouvre alors sur l'équilibre à trouver. Et une répartition en adéquation avec les aspirations statistiquement montrées, afin que la promesse de ce temps libéré ne soit pas uniquement une marchandise réinvestie dans la productivité. Car cette course en avant commence à rencontrer de la résistance. Une prise de conscience collective émerge. 53% des Français déclarent aujourd'hui vouloir ralentir leur rythme de vie. Ce n'est pas un simple caprice de privilégier ou une mode passagère. C'est un mouvement profond qui s'exprime dans des choix concrets. J'en reviens à mon yoga, qui voit sa popularité augmenter de façon considérable. Imaginez bien, entre 2020 et 2023, plus 300% de pratiquants en France. Sans parler du boom du télétravail et l'envie de revenir à des modes de vie plus sobres, plus maîtrisés. Comme le soulignent Mongeotin et Adrian Sens, là où en 2007 le discours politique exaltait le fameux « travaillez plus pour gagner plus » , en 2022 la tendance s'est inversée. Un basculement idéologique est en cours. La productivité n'est plus un idéal absolu. Elle est de plus en plus perçue comme une contrainte qui nous empêcherait de vivre pleinement. Cette bataille ne se limite pas à un seul choix individuel. Le temps est un enjeu politique. Pendant des siècles, les conquêtes sociales ont permis de créer des espaces de temps libre. La réduction du temps de travail, les congés payés, la retraite. Mais aujourd'hui, notre temps libre devient source de productivité. Plateforme de streaming qui maximise notre attention. Algorithme, qui nous maintient scotchés à nos écrans, loisirs transformés en performances à rentabiliser sur les réseaux sociaux, optimisés, consommés. Et je m'arrête là. Car comme je le disais au début de cet épisode, le sujet est hautement politique. Alors, si vous attendez de moi une déclaration politique, je vous citerai la note datée du 12 avril 2020 sur mon téléphone. Une société qui grandit, c'est une société où l'on plante des arbres en sachant que l'on ne profitera jamais de leur ombre. Dans cette première partie, nous avons exploré comment notre rapport au temps s'est transformé sous l'effet d'une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle ou personnelle, le sentiment de manque de temps est devenu omniprésent au point de structurer nos comportements. Nous avons vu à quel point la question était politique, défini les concepts d'accélération et d'aliénation sociale d'Armut Rosa, et observé l'évolution profonde des prises récentes de conscience du temps libéré. Dans la prochaine partie, nous verrons comment l'accélération a façonné notre rapport au temps de la Révolution française à notre téléphone. Nous verrons comment la lecture s'est diversifiée et comment la culture elle-même s'adapte à cette cadence effrénée. Entre adaptation et résistance, nous explorons les pistes pour reprendre le contrôle du temps qui semble nous échapper. Si à ce stade vous ne savez toujours pas où je veux en venir et que vous avez l'impression que je n'ai pas encore répondu à la question, c'est normal. Pour ça, il faudra écouter la deuxième partie de cet épisode. En attendant, vous aurez le temps d'y réfléchir. Pour savoir si je vous donnerai une réponse, je vous donne rendez-vous dans deux semaines. Merci.

Chapters

  • Accélération social et paradoxe

    04:00

  • Les nouvelles formes d'aliénation

    11:43

  • Pourquoi ce sujet ?

    16:49

Description

Et pourquoi nous n'avons plus le temps ?

C’est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais je vais vous aider à y réfléchir.


Dans cette première partie, nous allons exploré comment notre rapport au temps s’est transformé sous l’effet d’une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle, ou personnelle, le sentiment de manquer de temps est devenu omniprésent, au point de structurer nos comportements. 

__________________


Les Sources :

Hartmut Rosa - Accélération (MLIT)

Pascal Chabot - Global Burn-Out (Puf)

Christine Chevret-Castellani - Médiatisation du burn-out dans la presse écrite

Christine Bouton - Interview pour pme.ch

Claire Bélisle - Lire dans un monde numérique (Presse de l'ENSSIB)

Charles Adrianssens et Paul Monjotin - L'ère du temps libéré

André Gorz - Batir la civilisation du temps libéré (Article du Monde Diplomatique)

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Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Et Pourquoi, le podcast qui ne répondra pas à vos questions mais vous aidera à y réfléchir. Vous m'avez déjà entendu dire au cours des précédents épisodes que le thème d'aujourd'hui serait particulièrement politique. Alors, même si j'enfonce une porte ouverte en disant que tout ce qui fait société est politique, cette fois-ci, et étant donné que le sujet a fait l'objet d'un ministère à son nom, éphémère certes, mais qui a eu le mérite de créer les chèques vacances, il fallait que je prenne le temps de m'y arrêter. Et croyez-moi, le temps, il va en être question ici. Je peux parier sans hésitation qu'il vous est déjà arrivé dans les 24 dernières heures de prononcer cette phrase « j'ai pas le temps » . Et alors, si vous avez réussi le bingo d'un « j'ai pas le temps, je suis pressé » , alors là, jackpot, car c'est exactement de ça dont il va être question. Que celui d'entre vous qui n'a pas déjà ressenti cette sensation de ne pas avoir le temps, lève le doigt. Dans la plupart des cas, cette sensation se fait ressentir dans le cadre du travail. Vous avez déjà peut-être entendu de la part de votre supérieur « c'est pour hier » . Et j'imagine que vous avez déjà fait ça. que vous avez déjà lu en fin de mail ASAP, anglicisme pour As Soon As Possible, soit aussi vite que possible. Mais nous verrons que même en dehors du travail, nous n'avons plus le temps. Vous l'aurez compris, nous allons explorer comment les heures sont devenues des minutes, puis des secondes, nous allons parler de comment passe le temps. Et pourquoi nous n'avons plus le temps, c'est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais vous aider à y réfléchir. Je ne sais pas vous, mais j'observe dans mon entourage un phénomène plutôt généralisé qui me fait penser à ce super-pouvoir que tout le monde aimerait avoir. Vous savez, ces personnages de films qui vont plus vite que la lumière et dont l'expression graphique et visuelle se traduit par un ralentissement de l'action autour d'eux. Je ne vous cache pas qu'il m'est arrivé d'avoir envie de ce pouvoir. De façon plus terre à terre, des proches m'ont fait prendre conscience que je semblais être à contre-courant du mouvement collectif dans mon approche du temps, me permettant de réaliser qu'en moi, mais aussi en nous tous, de nouvelles inquiétudes naissaient. Et oui, comme si celles que nous avions déjà ne suffisaient pas. Elle m'a été particulièrement flagrante la semaine dernière, quand un ami, venu à la maison pour prendre un café, m'a dit, une heure trente après que nous ayons échangé sur nos préoccupations, nos envies, nos attentes, bref, ce que nous appelons communément refaire le monde, il me dit, il faut que j'y aille, sinon je vais culpabiliser de n'avoir rien fait. Je peux moi-même avoir cette réflexion. Mais l'entendre me l'a fait sonner comme la révélation d'un sujet bien profond et généralisé. Dans le même ordre d'idées, une autre connaissance me montrait une application sur son téléphone m'expliquant comment celle-ci lui permettait d'être plus productive et où chaque minute était labellisée pour une activité avec un temps bien défini. Levé, petit déjeuner, écoute d'un podcast, le mien évidemment, trajet, travail, café, réunion, appel téléphonique, sport, absolument. tout semblait optimisé et quantifié avec une donnée temps dédiée, où les espaces vides sont invités à se remplir, l'application affichant un intervalle terminé, et après, véritable mécanisation du temps présent. Je vais être honnête, je ne m'exclus pas du tout de ce phénomène, même si pour l'heure, bien que férue d'applications en tout genre, celles-ci n'ont pas vraiment réussi à automatiser mon temps. mais il est évident qu'en ayant dans vos oreilles un sujet par mois de deux fois vingt minutes je me suis engagé à respecter ce rendez-vous mensuel et il m'incombe d'organiser mon temps de sorte à respecter la durée nécessaire à la création de chaque épisode qu'il s'agisse d'un sentiment personnel ou d'une mécanisation informatique de notre temps le monde d'aujourd'hui semble vouloir défier la course du soleil jusqu'à la grande maîtresse du temps qui passe. Da ns les constats Première partie, l'accélération sociale et ses paradoxes. Je l'ai évoqué plus tôt, et je vais le redire, il s'agit probablement là du sujet le plus politique sur lequel j'ai eu à travailler. Alors bien qu'il ne sera pas ici question de politique à proprement parler, il est évident qu'entre les lignes des différents auteurs que j'ai pu lire se dessinent ceux qui pourraient constituer des bases solides de réflexion pouvant emmener une personnalité politique à faire des propositions de loi. D'ailleurs, je vais d'ores et déjà faire une entrave à notre plan de vol habituel en parlant histoire, Et en revenant sur la personnalité que j'évoquais plus tôt, un homme politique qui officia au sommet de l'État entre 1980 et 1983, pour certains c'était hier, pour d'autres c'est la préhistoire, André Henry. Nommé par Mitterrand en tant que ministre du temps libre et assisté par deux ministres délégués, jeunesse et sport et tourisme, son ministère se voulait un symbole de progrès social et d'émancipation des travailleurs. Mais voilà, il se heurte très vite à l'inertie administrative et au... tensions politiques. Sa création se fit d'ailleurs plus en réaction à que dans une réelle volonté de questionner la place et la fonction du temps libre dans les différents aspects de la société. Deux autres éléments probants qui annonçaient à l'avance le caractère éphémère de ce ministère, le fait que son action se limite à la jeunesse, au sport et au tourisme. Il n'est alors nullement question de travail et il se dit que lors de sa prise de fonction, le président n'aurait accordé que deux minutes d'entretien à André Henry. en concluant par un écoutez je n'ai pas le temps débrouillez-vous il y a là presque de l'ironie pourtant l'idée derrière ce ministère était loin d'être anodine elle posait la question de la place du temps libre dans une société obsédée par la production et la performance andré henry le disait lui-même le temps libre ce ne sont pas seulement les loisirs c'est aussi la culture et la vie citoyenne l'engagement citoyen pour la république cette vision du temps libre comme un espace de participation de réflexion et d'épanouissement collectif, s'opposer frontalement à une conception purement récréative et consumériste du loisir, dans un contexte où le rythme de vie s'accélérait sous l'effet des transformations économiques et technologiques. La question ne se limite donc pas à une volonté politique ou institutionnelle, elle touche à une dynamique plus profonde qui façonne notre rapport au temps. C'est précisément ce que décrit Hartmut Rosa, que je citerai régulièrement en analysant comment la modernité s'est accompagnée d'un processus d'accélération sociale où les gains de temps apportés par le progrès technique coexistent paradoxalement avec un sentiment généralisé de manque de temps. Alors, vous en avez l'habitude, petit avertissement, j'ai bien conscience qu'en général j'attends la deuxième partie de l'épisode pour attaquer les choses sérieuses, mais que voulez-vous ? Vous allez vous dire « il se fout de nous » , mais non, nous n'avons pas le temps d'attendre plus longtemps. Enfin, si. Prenez le temps de vous faire chauffer de l'eau pour vous préparer une infusion au menthe poivrée. Il paraît que c'est excellent pour le mal de tête, car nous allons aborder les textes passionnants et intellectuellement sportifs de Rosa, qui dans ses ouvrages Accélération et Aliénation et Accélération offrent entre autres ce qu'il définit comme une accélération sociale de nos sociétés. Selon lui, l'accélération s'opère à trois niveaux. Technique, les moyens de transport et de communication plus rapides. Social, je vais m'y attarder un peu plus, par exemple, la durée de vie des modèles familiaux qui s'est raccourcie au fil des générations. Autrefois, les structures familiales restaient stables pendant plusieurs générations, alors qu'aujourd'hui, elles changent plusieurs fois au cours d'une vie. Il en va de même pour le monde du travail, où la stabilité professionnelle est de plus en plus rare. Et enfin, troisième niveau, le rythme de vie, par la pression subie d'en faire toujours plus en moins de temps. Ces trois formes d'accélération sont interconnectées. et forme un cycle auto-entretenu. L'accélération technique entraîne des transformations sociales rapides qui elles-mêmes poussent les individus à adopter un rythme de vie plus effréné. Ce cycle perpétuel est l'une des caractéristiques fondamentales de ce que Rosa appelle la modernité tardive. Stop ! Moment bande poivrée. La modernité tardive. Alors, pour la faire courte et probablement maladroite, avec la possibilité que je résume mal ce concept, C'est l'idée que pour conserver un statut de modernité, nous sommes obligés de courir après le temps. Ou pour la faire plus simple, lorsque votre réveil sonne le matin, vous êtes déjà à la bourre. Bref, c'est là qu'on atteint le cœur du paradoxe. Nous n'avons jamais autant optimisé notre temps. Et pourtant, nous n'avons jamais eu autant l'impression d'en manquer. Le livre « L'ère du temps libéré » de Paul Mongeotin et Charles-Adrien Sens montre qu'en 2019, 61% des Français préféraient gagner moins pour avoir plus de temps libre. Pourtant, dans la même période, la part des salariés contraint par des délais serrés ou des réponses immédiates à des solutions est passé de 28% en 84 à 58% en 2016. Prenons deux exemples de Rosa, qui illustreront très bien ces notions d'accélération. L'un sera d'ailleurs très parlant au moins à un de nos auditeurs. Imaginez que vous gagnez 30 minutes grâce à une nouvelle technologie boostée à l'IA, un robot qui vous prépare votre café le matin par exemple. Ces 30 minutes devraient être du temps libéré supplémentaire ? Eh bien non. Au lieu de savourer un moment de calme, Vous allez probablement les utiliser pour répondre à plus de mails, planifier des tâches supplémentaires ou compresser encore plus votre emploi du temps. Ce qui devait être un gain se transforme en surcharge. Deuxième exemple, qui définit ce que l'auteur appelle l'aliénation temporelle, notre rapport aux médias et à l'information. Chaque jour, nous sommes bombardés de nouvelles qui nous imposent une actualité en flux tendu, nous donnant l'impression que nous devons tout suivre. Tout comprendre, tout intégrer, sous peine d'être déconnecté. Mais ce tourbillon d'informations ne nous laisse pas le temps de digérer ou de mettre en perspective ce que nous apprenons. Résultat, une anxiété accrue et une sensation de perte de contrôle. Nous assistons là au concept développé dans le livre, la compression du présent. Nous perdons progressivement notre capacité à nous projeter dans un avenir stable. Le passé devient obsolète plus rapidement, et le futur... est perçu comme incertain. L'instantanéité prime sur la réflexion à long terme véritable sentiment d'aliénation temporelle. Le monde change et nous n'avons plus de prise sur lui. La famine n'est alors plus alimentaire, elle est temporelle. Nous avons de plus en plus de moyens d'aller vite, mais nous nous retrouvons toujours à court de temps. Nous allons prendre un moment pour nous. Je vais faire un truc. pas du tout normal dans un podcast, après vous avoir pressé avec des concepts nécessaires à la suite de l'épisode, je vais vous laisser du temps. Je vais faire un truc un peu suicidaire pour un podcaster, mais je tente l'expérience, je vais vous inviter à utiliser la touche pause de votre lecteur. Si vous êtes chez vous, c'est le moment de la petitement poivrer. Si vous êtes dans votre voiture, n'écoutez rien, roulez, regardez la route, le paysage, écoutez les sons de votre véhicule. S'il y a un son chelou, allez faire un contrôle technique. Bref, une fois que vous aurez fait ça, soyez sympa. Appuyez sur lecture avant qu'un mail ou un SMS vienne à ta grand pour votre pause. Prochain chapitre, les nouvelles formes d'aliénation. Si l'accélération sociale transforme notre rapport au temps, elle impacte également profondément notre relation au travail et à notre propre existence. Nous allons ici explorer comment le travail, autrefois perçu comme un vecteur d'émancipation et de stabilité, s'est progressivement transformé en un facteur central de l'aliénation moderne. Et nous allons démarrer avec une notion dont nous avons tous entendu parler, le burn-out, qui pour les moins anglophones d'entre vous signifie « se consumer » . C'est Herbert Freudenberger, psychologue et psychanalyste américain, qui en 1970 fut le premier à conceptualiser dans le cadre professionnel le burn-out. Il y décrivait ce phénomène comme un épuisement émotionnel, mental et physique causé par un engagement excessif. Si à l'époque cette notion concernait principalement les professions du soin et du social, aujourd'hui elle touche tous les secteurs. Pascal Chabot, dans Global Burnout, décrit celui-ci comme la maladie de trop. Trop de sollicitations, trop d'exigences, trop de pression à la performance, au point que l'individu finit par s'effondrer sous le poids d'une accélération qu'il ne peut plus maîtriser. Et d'ailleurs, ce phénomène ne touche pas uniquement les travailleurs précaires ou ceux occupant des emplois subalternes. Il concerne également des cadres, des indépendants et même des professions dites « passions » qui, au lieu d'offrir un épanouissement, finissent par enfermer leurs acteurs dans une spirale infernale d'exigences et d'auto-exploitation. Col bleu et col blanc sont dans un même bateau et ils font face à la même tempête. Dans son étude de cas, la médiatisation du burn-out dans la presse écrite, Christine Chevret-Castellani positionne le point de bascule lors des suicides chez Renault, EDF en 2017 et Orange, anciennement France Télécom, en 2019, faisant évoluer les discours d'une perception psychologique liée à des faiblesses individuelles à une critique plus globale des organisations du travail et du management contemporain. Et bien que la médiatisation du terme en ait fait une formule, qui peut désormais désigner d'autres formes d'épuisement, hors cadre professionnel, elle rappelle qu'il ne faut pas oublier qu'il y a derrière de véritables enjeux sociaux. Un autre des aspects les plus insidieux de cette accélération du travail est le phénomène de blurring, brouillage, soit l'effacement progressif des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Grâce ou à cause des technologies, les salariés sont joignables en permanence. E-mail, notifications, réunions Zoom tardives, le travail déborde de son cadre temporel traditionnel pour s'immiscer dans les moments censés être consacrés. au repos et au loisir des stratégies bien rodées émergent l'horaire d'envoi d'un email devient un choix stratégique programmé à 8 heures du matin alors qu'il a été rédigé la veille à 23 heures objectif donner l'illusion d'une présence active dès le début de la journée résultat votre image est sauve et ce mail qui vous a pris deux heures à écrire semblera avoir été expédié en une minute mais pourquoi sacrifier son temps libre la veille parce qu'un email reçu en fin de journée signé probablement d'un vague ASAP ne précise jamais s'il faut répondre immédiatement ou attendre le lendemain. Rosa montre que cette porosité entre sphère professionnelle et personnelle contribue à ce sentiment de perte de contrôle dont on parlait plus tôt. Alors que le modèle traditionnel du travail impliquait des horaires clairs et des espaces distincts, l'ère numérique a entraîné une flexibilité forcée où chacun doit être disponible en permanence. Les travailleurs d'aujourd'hui ne décident plus du rythme de leur journée Ils sont soumis à des deadlines toujours plus serrés, à des notifications constantes et à des impératifs de productivité qui ne laissent aucun répit. Cette injonction à être toujours « on » a des conséquences psychologiques lourdes, augmentation du stress, réduction de la qualité du sommeil et in fine un risque accru d'épuisement professionnel. Un paradoxe intéressant, relevé par Rosa et Chabot, est celui de la fausse autonomie. L'essor du travail indépendant et du freelancing est un des éléments qui sont les plus importants pour la société. était censé offrir plus de liberté pourtant nombreux sont ceux qui se retrouvent piégés dans une logique d'hyperdisponibilité où chaque minute non travaillée est perçue comme une perte de revenu potentiel faisant naître la culpabilité de n'avoir rien fait que j'évoquais en introduction résultat l'angoisse du temps mort s'installe et l'équilibre entre travail et vie personnelle se brouille finalement l'accélération du travail ne se traduit pas uniquement par un rythme plus soutenu mais par une dépossession de soi. Comme le résume Rosa, nous courons pour ne pas être dépassés, mais nous ne savons plus vers quoi nous courons. Cette perte de contrôle sur le travail se reflète dans une anxiété grandissante et une saturation psychologique qui touche de plus en plus de travailleurs, toutes catégoriques au fond du. Comme à l'accoutumée, je termine cette grande session en demandant pourquoi ce sujet. Alors, pourquoi ce sujet ? Ben, pour que vous vous mettiez au yoga. Non, non, je plaisante pas. Allez donc maîtriser le chien tête en bas, car au-delà des positions animalières et de l'ouverture de vos chakras, la pratique a le mérite de vous contraindre à vivre le présent en vous détachant de la réunion Zoom d'avant et de l'email qui va suivre. En 2018, une enquête Harris Interactive révélait que 65% des Français estiment manquer de temps pour faire ce qu'ils voudraient dans une journée. Et nous n'avons jamais disposé d'autant de moyens technologiques censés nous en faire gagner. Le 10 février dernier, hier, Arthur Mensch, étoile montante de l'IA avec son modèle d'intelligence artificielle Mistral AI, dans un interview France Inter, disait « Les travailleurs qui l'utilisent, l'IA, au quotidien, gagnent plusieurs heures par jour pour régler les tâches qui ne sont pas les plus intéressantes, mais arrivent à les faire plus vite. Plus qu'une promesse, c'est effectivement une réalité. » La réflexion s'ouvre alors sur l'équilibre à trouver. Et une répartition en adéquation avec les aspirations statistiquement montrées, afin que la promesse de ce temps libéré ne soit pas uniquement une marchandise réinvestie dans la productivité. Car cette course en avant commence à rencontrer de la résistance. Une prise de conscience collective émerge. 53% des Français déclarent aujourd'hui vouloir ralentir leur rythme de vie. Ce n'est pas un simple caprice de privilégier ou une mode passagère. C'est un mouvement profond qui s'exprime dans des choix concrets. J'en reviens à mon yoga, qui voit sa popularité augmenter de façon considérable. Imaginez bien, entre 2020 et 2023, plus 300% de pratiquants en France. Sans parler du boom du télétravail et l'envie de revenir à des modes de vie plus sobres, plus maîtrisés. Comme le soulignent Mongeotin et Adrian Sens, là où en 2007 le discours politique exaltait le fameux « travaillez plus pour gagner plus » , en 2022 la tendance s'est inversée. Un basculement idéologique est en cours. La productivité n'est plus un idéal absolu. Elle est de plus en plus perçue comme une contrainte qui nous empêcherait de vivre pleinement. Cette bataille ne se limite pas à un seul choix individuel. Le temps est un enjeu politique. Pendant des siècles, les conquêtes sociales ont permis de créer des espaces de temps libre. La réduction du temps de travail, les congés payés, la retraite. Mais aujourd'hui, notre temps libre devient source de productivité. Plateforme de streaming qui maximise notre attention. Algorithme, qui nous maintient scotchés à nos écrans, loisirs transformés en performances à rentabiliser sur les réseaux sociaux, optimisés, consommés. Et je m'arrête là. Car comme je le disais au début de cet épisode, le sujet est hautement politique. Alors, si vous attendez de moi une déclaration politique, je vous citerai la note datée du 12 avril 2020 sur mon téléphone. Une société qui grandit, c'est une société où l'on plante des arbres en sachant que l'on ne profitera jamais de leur ombre. Dans cette première partie, nous avons exploré comment notre rapport au temps s'est transformé sous l'effet d'une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle ou personnelle, le sentiment de manque de temps est devenu omniprésent au point de structurer nos comportements. Nous avons vu à quel point la question était politique, défini les concepts d'accélération et d'aliénation sociale d'Armut Rosa, et observé l'évolution profonde des prises récentes de conscience du temps libéré. Dans la prochaine partie, nous verrons comment l'accélération a façonné notre rapport au temps de la Révolution française à notre téléphone. Nous verrons comment la lecture s'est diversifiée et comment la culture elle-même s'adapte à cette cadence effrénée. Entre adaptation et résistance, nous explorons les pistes pour reprendre le contrôle du temps qui semble nous échapper. Si à ce stade vous ne savez toujours pas où je veux en venir et que vous avez l'impression que je n'ai pas encore répondu à la question, c'est normal. Pour ça, il faudra écouter la deuxième partie de cet épisode. En attendant, vous aurez le temps d'y réfléchir. Pour savoir si je vous donnerai une réponse, je vous donne rendez-vous dans deux semaines. Merci.

Chapters

  • Accélération social et paradoxe

    04:00

  • Les nouvelles formes d'aliénation

    11:43

  • Pourquoi ce sujet ?

    16:49

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Description

Et pourquoi nous n'avons plus le temps ?

C’est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais je vais vous aider à y réfléchir.


Dans cette première partie, nous allons exploré comment notre rapport au temps s’est transformé sous l’effet d’une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle, ou personnelle, le sentiment de manquer de temps est devenu omniprésent, au point de structurer nos comportements. 

__________________


Les Sources :

Hartmut Rosa - Accélération (MLIT)

Pascal Chabot - Global Burn-Out (Puf)

Christine Chevret-Castellani - Médiatisation du burn-out dans la presse écrite

Christine Bouton - Interview pour pme.ch

Claire Bélisle - Lire dans un monde numérique (Presse de l'ENSSIB)

Charles Adrianssens et Paul Monjotin - L'ère du temps libéré

André Gorz - Batir la civilisation du temps libéré (Article du Monde Diplomatique)

___________________


La BO : Spotify -> https://open.spotify.com/playlist/1xGkvuPQ5HdWCbOr5wCwXP?si=18029b6038af41cd

Instagram : https://www.instagram.com/etpourquoi.lepodcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Et Pourquoi, le podcast qui ne répondra pas à vos questions mais vous aidera à y réfléchir. Vous m'avez déjà entendu dire au cours des précédents épisodes que le thème d'aujourd'hui serait particulièrement politique. Alors, même si j'enfonce une porte ouverte en disant que tout ce qui fait société est politique, cette fois-ci, et étant donné que le sujet a fait l'objet d'un ministère à son nom, éphémère certes, mais qui a eu le mérite de créer les chèques vacances, il fallait que je prenne le temps de m'y arrêter. Et croyez-moi, le temps, il va en être question ici. Je peux parier sans hésitation qu'il vous est déjà arrivé dans les 24 dernières heures de prononcer cette phrase « j'ai pas le temps » . Et alors, si vous avez réussi le bingo d'un « j'ai pas le temps, je suis pressé » , alors là, jackpot, car c'est exactement de ça dont il va être question. Que celui d'entre vous qui n'a pas déjà ressenti cette sensation de ne pas avoir le temps, lève le doigt. Dans la plupart des cas, cette sensation se fait ressentir dans le cadre du travail. Vous avez déjà peut-être entendu de la part de votre supérieur « c'est pour hier » . Et j'imagine que vous avez déjà fait ça. que vous avez déjà lu en fin de mail ASAP, anglicisme pour As Soon As Possible, soit aussi vite que possible. Mais nous verrons que même en dehors du travail, nous n'avons plus le temps. Vous l'aurez compris, nous allons explorer comment les heures sont devenues des minutes, puis des secondes, nous allons parler de comment passe le temps. Et pourquoi nous n'avons plus le temps, c'est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais vous aider à y réfléchir. Je ne sais pas vous, mais j'observe dans mon entourage un phénomène plutôt généralisé qui me fait penser à ce super-pouvoir que tout le monde aimerait avoir. Vous savez, ces personnages de films qui vont plus vite que la lumière et dont l'expression graphique et visuelle se traduit par un ralentissement de l'action autour d'eux. Je ne vous cache pas qu'il m'est arrivé d'avoir envie de ce pouvoir. De façon plus terre à terre, des proches m'ont fait prendre conscience que je semblais être à contre-courant du mouvement collectif dans mon approche du temps, me permettant de réaliser qu'en moi, mais aussi en nous tous, de nouvelles inquiétudes naissaient. Et oui, comme si celles que nous avions déjà ne suffisaient pas. Elle m'a été particulièrement flagrante la semaine dernière, quand un ami, venu à la maison pour prendre un café, m'a dit, une heure trente après que nous ayons échangé sur nos préoccupations, nos envies, nos attentes, bref, ce que nous appelons communément refaire le monde, il me dit, il faut que j'y aille, sinon je vais culpabiliser de n'avoir rien fait. Je peux moi-même avoir cette réflexion. Mais l'entendre me l'a fait sonner comme la révélation d'un sujet bien profond et généralisé. Dans le même ordre d'idées, une autre connaissance me montrait une application sur son téléphone m'expliquant comment celle-ci lui permettait d'être plus productive et où chaque minute était labellisée pour une activité avec un temps bien défini. Levé, petit déjeuner, écoute d'un podcast, le mien évidemment, trajet, travail, café, réunion, appel téléphonique, sport, absolument. tout semblait optimisé et quantifié avec une donnée temps dédiée, où les espaces vides sont invités à se remplir, l'application affichant un intervalle terminé, et après, véritable mécanisation du temps présent. Je vais être honnête, je ne m'exclus pas du tout de ce phénomène, même si pour l'heure, bien que férue d'applications en tout genre, celles-ci n'ont pas vraiment réussi à automatiser mon temps. mais il est évident qu'en ayant dans vos oreilles un sujet par mois de deux fois vingt minutes je me suis engagé à respecter ce rendez-vous mensuel et il m'incombe d'organiser mon temps de sorte à respecter la durée nécessaire à la création de chaque épisode qu'il s'agisse d'un sentiment personnel ou d'une mécanisation informatique de notre temps le monde d'aujourd'hui semble vouloir défier la course du soleil jusqu'à la grande maîtresse du temps qui passe. Da ns les constats Première partie, l'accélération sociale et ses paradoxes. Je l'ai évoqué plus tôt, et je vais le redire, il s'agit probablement là du sujet le plus politique sur lequel j'ai eu à travailler. Alors bien qu'il ne sera pas ici question de politique à proprement parler, il est évident qu'entre les lignes des différents auteurs que j'ai pu lire se dessinent ceux qui pourraient constituer des bases solides de réflexion pouvant emmener une personnalité politique à faire des propositions de loi. D'ailleurs, je vais d'ores et déjà faire une entrave à notre plan de vol habituel en parlant histoire, Et en revenant sur la personnalité que j'évoquais plus tôt, un homme politique qui officia au sommet de l'État entre 1980 et 1983, pour certains c'était hier, pour d'autres c'est la préhistoire, André Henry. Nommé par Mitterrand en tant que ministre du temps libre et assisté par deux ministres délégués, jeunesse et sport et tourisme, son ministère se voulait un symbole de progrès social et d'émancipation des travailleurs. Mais voilà, il se heurte très vite à l'inertie administrative et au... tensions politiques. Sa création se fit d'ailleurs plus en réaction à que dans une réelle volonté de questionner la place et la fonction du temps libre dans les différents aspects de la société. Deux autres éléments probants qui annonçaient à l'avance le caractère éphémère de ce ministère, le fait que son action se limite à la jeunesse, au sport et au tourisme. Il n'est alors nullement question de travail et il se dit que lors de sa prise de fonction, le président n'aurait accordé que deux minutes d'entretien à André Henry. en concluant par un écoutez je n'ai pas le temps débrouillez-vous il y a là presque de l'ironie pourtant l'idée derrière ce ministère était loin d'être anodine elle posait la question de la place du temps libre dans une société obsédée par la production et la performance andré henry le disait lui-même le temps libre ce ne sont pas seulement les loisirs c'est aussi la culture et la vie citoyenne l'engagement citoyen pour la république cette vision du temps libre comme un espace de participation de réflexion et d'épanouissement collectif, s'opposer frontalement à une conception purement récréative et consumériste du loisir, dans un contexte où le rythme de vie s'accélérait sous l'effet des transformations économiques et technologiques. La question ne se limite donc pas à une volonté politique ou institutionnelle, elle touche à une dynamique plus profonde qui façonne notre rapport au temps. C'est précisément ce que décrit Hartmut Rosa, que je citerai régulièrement en analysant comment la modernité s'est accompagnée d'un processus d'accélération sociale où les gains de temps apportés par le progrès technique coexistent paradoxalement avec un sentiment généralisé de manque de temps. Alors, vous en avez l'habitude, petit avertissement, j'ai bien conscience qu'en général j'attends la deuxième partie de l'épisode pour attaquer les choses sérieuses, mais que voulez-vous ? Vous allez vous dire « il se fout de nous » , mais non, nous n'avons pas le temps d'attendre plus longtemps. Enfin, si. Prenez le temps de vous faire chauffer de l'eau pour vous préparer une infusion au menthe poivrée. Il paraît que c'est excellent pour le mal de tête, car nous allons aborder les textes passionnants et intellectuellement sportifs de Rosa, qui dans ses ouvrages Accélération et Aliénation et Accélération offrent entre autres ce qu'il définit comme une accélération sociale de nos sociétés. Selon lui, l'accélération s'opère à trois niveaux. Technique, les moyens de transport et de communication plus rapides. Social, je vais m'y attarder un peu plus, par exemple, la durée de vie des modèles familiaux qui s'est raccourcie au fil des générations. Autrefois, les structures familiales restaient stables pendant plusieurs générations, alors qu'aujourd'hui, elles changent plusieurs fois au cours d'une vie. Il en va de même pour le monde du travail, où la stabilité professionnelle est de plus en plus rare. Et enfin, troisième niveau, le rythme de vie, par la pression subie d'en faire toujours plus en moins de temps. Ces trois formes d'accélération sont interconnectées. et forme un cycle auto-entretenu. L'accélération technique entraîne des transformations sociales rapides qui elles-mêmes poussent les individus à adopter un rythme de vie plus effréné. Ce cycle perpétuel est l'une des caractéristiques fondamentales de ce que Rosa appelle la modernité tardive. Stop ! Moment bande poivrée. La modernité tardive. Alors, pour la faire courte et probablement maladroite, avec la possibilité que je résume mal ce concept, C'est l'idée que pour conserver un statut de modernité, nous sommes obligés de courir après le temps. Ou pour la faire plus simple, lorsque votre réveil sonne le matin, vous êtes déjà à la bourre. Bref, c'est là qu'on atteint le cœur du paradoxe. Nous n'avons jamais autant optimisé notre temps. Et pourtant, nous n'avons jamais eu autant l'impression d'en manquer. Le livre « L'ère du temps libéré » de Paul Mongeotin et Charles-Adrien Sens montre qu'en 2019, 61% des Français préféraient gagner moins pour avoir plus de temps libre. Pourtant, dans la même période, la part des salariés contraint par des délais serrés ou des réponses immédiates à des solutions est passé de 28% en 84 à 58% en 2016. Prenons deux exemples de Rosa, qui illustreront très bien ces notions d'accélération. L'un sera d'ailleurs très parlant au moins à un de nos auditeurs. Imaginez que vous gagnez 30 minutes grâce à une nouvelle technologie boostée à l'IA, un robot qui vous prépare votre café le matin par exemple. Ces 30 minutes devraient être du temps libéré supplémentaire ? Eh bien non. Au lieu de savourer un moment de calme, Vous allez probablement les utiliser pour répondre à plus de mails, planifier des tâches supplémentaires ou compresser encore plus votre emploi du temps. Ce qui devait être un gain se transforme en surcharge. Deuxième exemple, qui définit ce que l'auteur appelle l'aliénation temporelle, notre rapport aux médias et à l'information. Chaque jour, nous sommes bombardés de nouvelles qui nous imposent une actualité en flux tendu, nous donnant l'impression que nous devons tout suivre. Tout comprendre, tout intégrer, sous peine d'être déconnecté. Mais ce tourbillon d'informations ne nous laisse pas le temps de digérer ou de mettre en perspective ce que nous apprenons. Résultat, une anxiété accrue et une sensation de perte de contrôle. Nous assistons là au concept développé dans le livre, la compression du présent. Nous perdons progressivement notre capacité à nous projeter dans un avenir stable. Le passé devient obsolète plus rapidement, et le futur... est perçu comme incertain. L'instantanéité prime sur la réflexion à long terme véritable sentiment d'aliénation temporelle. Le monde change et nous n'avons plus de prise sur lui. La famine n'est alors plus alimentaire, elle est temporelle. Nous avons de plus en plus de moyens d'aller vite, mais nous nous retrouvons toujours à court de temps. Nous allons prendre un moment pour nous. Je vais faire un truc. pas du tout normal dans un podcast, après vous avoir pressé avec des concepts nécessaires à la suite de l'épisode, je vais vous laisser du temps. Je vais faire un truc un peu suicidaire pour un podcaster, mais je tente l'expérience, je vais vous inviter à utiliser la touche pause de votre lecteur. Si vous êtes chez vous, c'est le moment de la petitement poivrer. Si vous êtes dans votre voiture, n'écoutez rien, roulez, regardez la route, le paysage, écoutez les sons de votre véhicule. S'il y a un son chelou, allez faire un contrôle technique. Bref, une fois que vous aurez fait ça, soyez sympa. Appuyez sur lecture avant qu'un mail ou un SMS vienne à ta grand pour votre pause. Prochain chapitre, les nouvelles formes d'aliénation. Si l'accélération sociale transforme notre rapport au temps, elle impacte également profondément notre relation au travail et à notre propre existence. Nous allons ici explorer comment le travail, autrefois perçu comme un vecteur d'émancipation et de stabilité, s'est progressivement transformé en un facteur central de l'aliénation moderne. Et nous allons démarrer avec une notion dont nous avons tous entendu parler, le burn-out, qui pour les moins anglophones d'entre vous signifie « se consumer » . C'est Herbert Freudenberger, psychologue et psychanalyste américain, qui en 1970 fut le premier à conceptualiser dans le cadre professionnel le burn-out. Il y décrivait ce phénomène comme un épuisement émotionnel, mental et physique causé par un engagement excessif. Si à l'époque cette notion concernait principalement les professions du soin et du social, aujourd'hui elle touche tous les secteurs. Pascal Chabot, dans Global Burnout, décrit celui-ci comme la maladie de trop. Trop de sollicitations, trop d'exigences, trop de pression à la performance, au point que l'individu finit par s'effondrer sous le poids d'une accélération qu'il ne peut plus maîtriser. Et d'ailleurs, ce phénomène ne touche pas uniquement les travailleurs précaires ou ceux occupant des emplois subalternes. Il concerne également des cadres, des indépendants et même des professions dites « passions » qui, au lieu d'offrir un épanouissement, finissent par enfermer leurs acteurs dans une spirale infernale d'exigences et d'auto-exploitation. Col bleu et col blanc sont dans un même bateau et ils font face à la même tempête. Dans son étude de cas, la médiatisation du burn-out dans la presse écrite, Christine Chevret-Castellani positionne le point de bascule lors des suicides chez Renault, EDF en 2017 et Orange, anciennement France Télécom, en 2019, faisant évoluer les discours d'une perception psychologique liée à des faiblesses individuelles à une critique plus globale des organisations du travail et du management contemporain. Et bien que la médiatisation du terme en ait fait une formule, qui peut désormais désigner d'autres formes d'épuisement, hors cadre professionnel, elle rappelle qu'il ne faut pas oublier qu'il y a derrière de véritables enjeux sociaux. Un autre des aspects les plus insidieux de cette accélération du travail est le phénomène de blurring, brouillage, soit l'effacement progressif des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Grâce ou à cause des technologies, les salariés sont joignables en permanence. E-mail, notifications, réunions Zoom tardives, le travail déborde de son cadre temporel traditionnel pour s'immiscer dans les moments censés être consacrés. au repos et au loisir des stratégies bien rodées émergent l'horaire d'envoi d'un email devient un choix stratégique programmé à 8 heures du matin alors qu'il a été rédigé la veille à 23 heures objectif donner l'illusion d'une présence active dès le début de la journée résultat votre image est sauve et ce mail qui vous a pris deux heures à écrire semblera avoir été expédié en une minute mais pourquoi sacrifier son temps libre la veille parce qu'un email reçu en fin de journée signé probablement d'un vague ASAP ne précise jamais s'il faut répondre immédiatement ou attendre le lendemain. Rosa montre que cette porosité entre sphère professionnelle et personnelle contribue à ce sentiment de perte de contrôle dont on parlait plus tôt. Alors que le modèle traditionnel du travail impliquait des horaires clairs et des espaces distincts, l'ère numérique a entraîné une flexibilité forcée où chacun doit être disponible en permanence. Les travailleurs d'aujourd'hui ne décident plus du rythme de leur journée Ils sont soumis à des deadlines toujours plus serrés, à des notifications constantes et à des impératifs de productivité qui ne laissent aucun répit. Cette injonction à être toujours « on » a des conséquences psychologiques lourdes, augmentation du stress, réduction de la qualité du sommeil et in fine un risque accru d'épuisement professionnel. Un paradoxe intéressant, relevé par Rosa et Chabot, est celui de la fausse autonomie. L'essor du travail indépendant et du freelancing est un des éléments qui sont les plus importants pour la société. était censé offrir plus de liberté pourtant nombreux sont ceux qui se retrouvent piégés dans une logique d'hyperdisponibilité où chaque minute non travaillée est perçue comme une perte de revenu potentiel faisant naître la culpabilité de n'avoir rien fait que j'évoquais en introduction résultat l'angoisse du temps mort s'installe et l'équilibre entre travail et vie personnelle se brouille finalement l'accélération du travail ne se traduit pas uniquement par un rythme plus soutenu mais par une dépossession de soi. Comme le résume Rosa, nous courons pour ne pas être dépassés, mais nous ne savons plus vers quoi nous courons. Cette perte de contrôle sur le travail se reflète dans une anxiété grandissante et une saturation psychologique qui touche de plus en plus de travailleurs, toutes catégoriques au fond du. Comme à l'accoutumée, je termine cette grande session en demandant pourquoi ce sujet. Alors, pourquoi ce sujet ? Ben, pour que vous vous mettiez au yoga. Non, non, je plaisante pas. Allez donc maîtriser le chien tête en bas, car au-delà des positions animalières et de l'ouverture de vos chakras, la pratique a le mérite de vous contraindre à vivre le présent en vous détachant de la réunion Zoom d'avant et de l'email qui va suivre. En 2018, une enquête Harris Interactive révélait que 65% des Français estiment manquer de temps pour faire ce qu'ils voudraient dans une journée. Et nous n'avons jamais disposé d'autant de moyens technologiques censés nous en faire gagner. Le 10 février dernier, hier, Arthur Mensch, étoile montante de l'IA avec son modèle d'intelligence artificielle Mistral AI, dans un interview France Inter, disait « Les travailleurs qui l'utilisent, l'IA, au quotidien, gagnent plusieurs heures par jour pour régler les tâches qui ne sont pas les plus intéressantes, mais arrivent à les faire plus vite. Plus qu'une promesse, c'est effectivement une réalité. » La réflexion s'ouvre alors sur l'équilibre à trouver. Et une répartition en adéquation avec les aspirations statistiquement montrées, afin que la promesse de ce temps libéré ne soit pas uniquement une marchandise réinvestie dans la productivité. Car cette course en avant commence à rencontrer de la résistance. Une prise de conscience collective émerge. 53% des Français déclarent aujourd'hui vouloir ralentir leur rythme de vie. Ce n'est pas un simple caprice de privilégier ou une mode passagère. C'est un mouvement profond qui s'exprime dans des choix concrets. J'en reviens à mon yoga, qui voit sa popularité augmenter de façon considérable. Imaginez bien, entre 2020 et 2023, plus 300% de pratiquants en France. Sans parler du boom du télétravail et l'envie de revenir à des modes de vie plus sobres, plus maîtrisés. Comme le soulignent Mongeotin et Adrian Sens, là où en 2007 le discours politique exaltait le fameux « travaillez plus pour gagner plus » , en 2022 la tendance s'est inversée. Un basculement idéologique est en cours. La productivité n'est plus un idéal absolu. Elle est de plus en plus perçue comme une contrainte qui nous empêcherait de vivre pleinement. Cette bataille ne se limite pas à un seul choix individuel. Le temps est un enjeu politique. Pendant des siècles, les conquêtes sociales ont permis de créer des espaces de temps libre. La réduction du temps de travail, les congés payés, la retraite. Mais aujourd'hui, notre temps libre devient source de productivité. Plateforme de streaming qui maximise notre attention. Algorithme, qui nous maintient scotchés à nos écrans, loisirs transformés en performances à rentabiliser sur les réseaux sociaux, optimisés, consommés. Et je m'arrête là. Car comme je le disais au début de cet épisode, le sujet est hautement politique. Alors, si vous attendez de moi une déclaration politique, je vous citerai la note datée du 12 avril 2020 sur mon téléphone. Une société qui grandit, c'est une société où l'on plante des arbres en sachant que l'on ne profitera jamais de leur ombre. Dans cette première partie, nous avons exploré comment notre rapport au temps s'est transformé sous l'effet d'une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle ou personnelle, le sentiment de manque de temps est devenu omniprésent au point de structurer nos comportements. Nous avons vu à quel point la question était politique, défini les concepts d'accélération et d'aliénation sociale d'Armut Rosa, et observé l'évolution profonde des prises récentes de conscience du temps libéré. Dans la prochaine partie, nous verrons comment l'accélération a façonné notre rapport au temps de la Révolution française à notre téléphone. Nous verrons comment la lecture s'est diversifiée et comment la culture elle-même s'adapte à cette cadence effrénée. Entre adaptation et résistance, nous explorons les pistes pour reprendre le contrôle du temps qui semble nous échapper. Si à ce stade vous ne savez toujours pas où je veux en venir et que vous avez l'impression que je n'ai pas encore répondu à la question, c'est normal. Pour ça, il faudra écouter la deuxième partie de cet épisode. En attendant, vous aurez le temps d'y réfléchir. Pour savoir si je vous donnerai une réponse, je vous donne rendez-vous dans deux semaines. Merci.

Chapters

  • Accélération social et paradoxe

    04:00

  • Les nouvelles formes d'aliénation

    11:43

  • Pourquoi ce sujet ?

    16:49

Description

Et pourquoi nous n'avons plus le temps ?

C’est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais je vais vous aider à y réfléchir.


Dans cette première partie, nous allons exploré comment notre rapport au temps s’est transformé sous l’effet d’une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle, ou personnelle, le sentiment de manquer de temps est devenu omniprésent, au point de structurer nos comportements. 

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Les Sources :

Hartmut Rosa - Accélération (MLIT)

Pascal Chabot - Global Burn-Out (Puf)

Christine Chevret-Castellani - Médiatisation du burn-out dans la presse écrite

Christine Bouton - Interview pour pme.ch

Claire Bélisle - Lire dans un monde numérique (Presse de l'ENSSIB)

Charles Adrianssens et Paul Monjotin - L'ère du temps libéré

André Gorz - Batir la civilisation du temps libéré (Article du Monde Diplomatique)

___________________


La BO : Spotify -> https://open.spotify.com/playlist/1xGkvuPQ5HdWCbOr5wCwXP?si=18029b6038af41cd

Instagram : https://www.instagram.com/etpourquoi.lepodcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Et Pourquoi, le podcast qui ne répondra pas à vos questions mais vous aidera à y réfléchir. Vous m'avez déjà entendu dire au cours des précédents épisodes que le thème d'aujourd'hui serait particulièrement politique. Alors, même si j'enfonce une porte ouverte en disant que tout ce qui fait société est politique, cette fois-ci, et étant donné que le sujet a fait l'objet d'un ministère à son nom, éphémère certes, mais qui a eu le mérite de créer les chèques vacances, il fallait que je prenne le temps de m'y arrêter. Et croyez-moi, le temps, il va en être question ici. Je peux parier sans hésitation qu'il vous est déjà arrivé dans les 24 dernières heures de prononcer cette phrase « j'ai pas le temps » . Et alors, si vous avez réussi le bingo d'un « j'ai pas le temps, je suis pressé » , alors là, jackpot, car c'est exactement de ça dont il va être question. Que celui d'entre vous qui n'a pas déjà ressenti cette sensation de ne pas avoir le temps, lève le doigt. Dans la plupart des cas, cette sensation se fait ressentir dans le cadre du travail. Vous avez déjà peut-être entendu de la part de votre supérieur « c'est pour hier » . Et j'imagine que vous avez déjà fait ça. que vous avez déjà lu en fin de mail ASAP, anglicisme pour As Soon As Possible, soit aussi vite que possible. Mais nous verrons que même en dehors du travail, nous n'avons plus le temps. Vous l'aurez compris, nous allons explorer comment les heures sont devenues des minutes, puis des secondes, nous allons parler de comment passe le temps. Et pourquoi nous n'avons plus le temps, c'est la question à laquelle je ne vais pas répondre, mais vous aider à y réfléchir. Je ne sais pas vous, mais j'observe dans mon entourage un phénomène plutôt généralisé qui me fait penser à ce super-pouvoir que tout le monde aimerait avoir. Vous savez, ces personnages de films qui vont plus vite que la lumière et dont l'expression graphique et visuelle se traduit par un ralentissement de l'action autour d'eux. Je ne vous cache pas qu'il m'est arrivé d'avoir envie de ce pouvoir. De façon plus terre à terre, des proches m'ont fait prendre conscience que je semblais être à contre-courant du mouvement collectif dans mon approche du temps, me permettant de réaliser qu'en moi, mais aussi en nous tous, de nouvelles inquiétudes naissaient. Et oui, comme si celles que nous avions déjà ne suffisaient pas. Elle m'a été particulièrement flagrante la semaine dernière, quand un ami, venu à la maison pour prendre un café, m'a dit, une heure trente après que nous ayons échangé sur nos préoccupations, nos envies, nos attentes, bref, ce que nous appelons communément refaire le monde, il me dit, il faut que j'y aille, sinon je vais culpabiliser de n'avoir rien fait. Je peux moi-même avoir cette réflexion. Mais l'entendre me l'a fait sonner comme la révélation d'un sujet bien profond et généralisé. Dans le même ordre d'idées, une autre connaissance me montrait une application sur son téléphone m'expliquant comment celle-ci lui permettait d'être plus productive et où chaque minute était labellisée pour une activité avec un temps bien défini. Levé, petit déjeuner, écoute d'un podcast, le mien évidemment, trajet, travail, café, réunion, appel téléphonique, sport, absolument. tout semblait optimisé et quantifié avec une donnée temps dédiée, où les espaces vides sont invités à se remplir, l'application affichant un intervalle terminé, et après, véritable mécanisation du temps présent. Je vais être honnête, je ne m'exclus pas du tout de ce phénomène, même si pour l'heure, bien que férue d'applications en tout genre, celles-ci n'ont pas vraiment réussi à automatiser mon temps. mais il est évident qu'en ayant dans vos oreilles un sujet par mois de deux fois vingt minutes je me suis engagé à respecter ce rendez-vous mensuel et il m'incombe d'organiser mon temps de sorte à respecter la durée nécessaire à la création de chaque épisode qu'il s'agisse d'un sentiment personnel ou d'une mécanisation informatique de notre temps le monde d'aujourd'hui semble vouloir défier la course du soleil jusqu'à la grande maîtresse du temps qui passe. Da ns les constats Première partie, l'accélération sociale et ses paradoxes. Je l'ai évoqué plus tôt, et je vais le redire, il s'agit probablement là du sujet le plus politique sur lequel j'ai eu à travailler. Alors bien qu'il ne sera pas ici question de politique à proprement parler, il est évident qu'entre les lignes des différents auteurs que j'ai pu lire se dessinent ceux qui pourraient constituer des bases solides de réflexion pouvant emmener une personnalité politique à faire des propositions de loi. D'ailleurs, je vais d'ores et déjà faire une entrave à notre plan de vol habituel en parlant histoire, Et en revenant sur la personnalité que j'évoquais plus tôt, un homme politique qui officia au sommet de l'État entre 1980 et 1983, pour certains c'était hier, pour d'autres c'est la préhistoire, André Henry. Nommé par Mitterrand en tant que ministre du temps libre et assisté par deux ministres délégués, jeunesse et sport et tourisme, son ministère se voulait un symbole de progrès social et d'émancipation des travailleurs. Mais voilà, il se heurte très vite à l'inertie administrative et au... tensions politiques. Sa création se fit d'ailleurs plus en réaction à que dans une réelle volonté de questionner la place et la fonction du temps libre dans les différents aspects de la société. Deux autres éléments probants qui annonçaient à l'avance le caractère éphémère de ce ministère, le fait que son action se limite à la jeunesse, au sport et au tourisme. Il n'est alors nullement question de travail et il se dit que lors de sa prise de fonction, le président n'aurait accordé que deux minutes d'entretien à André Henry. en concluant par un écoutez je n'ai pas le temps débrouillez-vous il y a là presque de l'ironie pourtant l'idée derrière ce ministère était loin d'être anodine elle posait la question de la place du temps libre dans une société obsédée par la production et la performance andré henry le disait lui-même le temps libre ce ne sont pas seulement les loisirs c'est aussi la culture et la vie citoyenne l'engagement citoyen pour la république cette vision du temps libre comme un espace de participation de réflexion et d'épanouissement collectif, s'opposer frontalement à une conception purement récréative et consumériste du loisir, dans un contexte où le rythme de vie s'accélérait sous l'effet des transformations économiques et technologiques. La question ne se limite donc pas à une volonté politique ou institutionnelle, elle touche à une dynamique plus profonde qui façonne notre rapport au temps. C'est précisément ce que décrit Hartmut Rosa, que je citerai régulièrement en analysant comment la modernité s'est accompagnée d'un processus d'accélération sociale où les gains de temps apportés par le progrès technique coexistent paradoxalement avec un sentiment généralisé de manque de temps. Alors, vous en avez l'habitude, petit avertissement, j'ai bien conscience qu'en général j'attends la deuxième partie de l'épisode pour attaquer les choses sérieuses, mais que voulez-vous ? Vous allez vous dire « il se fout de nous » , mais non, nous n'avons pas le temps d'attendre plus longtemps. Enfin, si. Prenez le temps de vous faire chauffer de l'eau pour vous préparer une infusion au menthe poivrée. Il paraît que c'est excellent pour le mal de tête, car nous allons aborder les textes passionnants et intellectuellement sportifs de Rosa, qui dans ses ouvrages Accélération et Aliénation et Accélération offrent entre autres ce qu'il définit comme une accélération sociale de nos sociétés. Selon lui, l'accélération s'opère à trois niveaux. Technique, les moyens de transport et de communication plus rapides. Social, je vais m'y attarder un peu plus, par exemple, la durée de vie des modèles familiaux qui s'est raccourcie au fil des générations. Autrefois, les structures familiales restaient stables pendant plusieurs générations, alors qu'aujourd'hui, elles changent plusieurs fois au cours d'une vie. Il en va de même pour le monde du travail, où la stabilité professionnelle est de plus en plus rare. Et enfin, troisième niveau, le rythme de vie, par la pression subie d'en faire toujours plus en moins de temps. Ces trois formes d'accélération sont interconnectées. et forme un cycle auto-entretenu. L'accélération technique entraîne des transformations sociales rapides qui elles-mêmes poussent les individus à adopter un rythme de vie plus effréné. Ce cycle perpétuel est l'une des caractéristiques fondamentales de ce que Rosa appelle la modernité tardive. Stop ! Moment bande poivrée. La modernité tardive. Alors, pour la faire courte et probablement maladroite, avec la possibilité que je résume mal ce concept, C'est l'idée que pour conserver un statut de modernité, nous sommes obligés de courir après le temps. Ou pour la faire plus simple, lorsque votre réveil sonne le matin, vous êtes déjà à la bourre. Bref, c'est là qu'on atteint le cœur du paradoxe. Nous n'avons jamais autant optimisé notre temps. Et pourtant, nous n'avons jamais eu autant l'impression d'en manquer. Le livre « L'ère du temps libéré » de Paul Mongeotin et Charles-Adrien Sens montre qu'en 2019, 61% des Français préféraient gagner moins pour avoir plus de temps libre. Pourtant, dans la même période, la part des salariés contraint par des délais serrés ou des réponses immédiates à des solutions est passé de 28% en 84 à 58% en 2016. Prenons deux exemples de Rosa, qui illustreront très bien ces notions d'accélération. L'un sera d'ailleurs très parlant au moins à un de nos auditeurs. Imaginez que vous gagnez 30 minutes grâce à une nouvelle technologie boostée à l'IA, un robot qui vous prépare votre café le matin par exemple. Ces 30 minutes devraient être du temps libéré supplémentaire ? Eh bien non. Au lieu de savourer un moment de calme, Vous allez probablement les utiliser pour répondre à plus de mails, planifier des tâches supplémentaires ou compresser encore plus votre emploi du temps. Ce qui devait être un gain se transforme en surcharge. Deuxième exemple, qui définit ce que l'auteur appelle l'aliénation temporelle, notre rapport aux médias et à l'information. Chaque jour, nous sommes bombardés de nouvelles qui nous imposent une actualité en flux tendu, nous donnant l'impression que nous devons tout suivre. Tout comprendre, tout intégrer, sous peine d'être déconnecté. Mais ce tourbillon d'informations ne nous laisse pas le temps de digérer ou de mettre en perspective ce que nous apprenons. Résultat, une anxiété accrue et une sensation de perte de contrôle. Nous assistons là au concept développé dans le livre, la compression du présent. Nous perdons progressivement notre capacité à nous projeter dans un avenir stable. Le passé devient obsolète plus rapidement, et le futur... est perçu comme incertain. L'instantanéité prime sur la réflexion à long terme véritable sentiment d'aliénation temporelle. Le monde change et nous n'avons plus de prise sur lui. La famine n'est alors plus alimentaire, elle est temporelle. Nous avons de plus en plus de moyens d'aller vite, mais nous nous retrouvons toujours à court de temps. Nous allons prendre un moment pour nous. Je vais faire un truc. pas du tout normal dans un podcast, après vous avoir pressé avec des concepts nécessaires à la suite de l'épisode, je vais vous laisser du temps. Je vais faire un truc un peu suicidaire pour un podcaster, mais je tente l'expérience, je vais vous inviter à utiliser la touche pause de votre lecteur. Si vous êtes chez vous, c'est le moment de la petitement poivrer. Si vous êtes dans votre voiture, n'écoutez rien, roulez, regardez la route, le paysage, écoutez les sons de votre véhicule. S'il y a un son chelou, allez faire un contrôle technique. Bref, une fois que vous aurez fait ça, soyez sympa. Appuyez sur lecture avant qu'un mail ou un SMS vienne à ta grand pour votre pause. Prochain chapitre, les nouvelles formes d'aliénation. Si l'accélération sociale transforme notre rapport au temps, elle impacte également profondément notre relation au travail et à notre propre existence. Nous allons ici explorer comment le travail, autrefois perçu comme un vecteur d'émancipation et de stabilité, s'est progressivement transformé en un facteur central de l'aliénation moderne. Et nous allons démarrer avec une notion dont nous avons tous entendu parler, le burn-out, qui pour les moins anglophones d'entre vous signifie « se consumer » . C'est Herbert Freudenberger, psychologue et psychanalyste américain, qui en 1970 fut le premier à conceptualiser dans le cadre professionnel le burn-out. Il y décrivait ce phénomène comme un épuisement émotionnel, mental et physique causé par un engagement excessif. Si à l'époque cette notion concernait principalement les professions du soin et du social, aujourd'hui elle touche tous les secteurs. Pascal Chabot, dans Global Burnout, décrit celui-ci comme la maladie de trop. Trop de sollicitations, trop d'exigences, trop de pression à la performance, au point que l'individu finit par s'effondrer sous le poids d'une accélération qu'il ne peut plus maîtriser. Et d'ailleurs, ce phénomène ne touche pas uniquement les travailleurs précaires ou ceux occupant des emplois subalternes. Il concerne également des cadres, des indépendants et même des professions dites « passions » qui, au lieu d'offrir un épanouissement, finissent par enfermer leurs acteurs dans une spirale infernale d'exigences et d'auto-exploitation. Col bleu et col blanc sont dans un même bateau et ils font face à la même tempête. Dans son étude de cas, la médiatisation du burn-out dans la presse écrite, Christine Chevret-Castellani positionne le point de bascule lors des suicides chez Renault, EDF en 2017 et Orange, anciennement France Télécom, en 2019, faisant évoluer les discours d'une perception psychologique liée à des faiblesses individuelles à une critique plus globale des organisations du travail et du management contemporain. Et bien que la médiatisation du terme en ait fait une formule, qui peut désormais désigner d'autres formes d'épuisement, hors cadre professionnel, elle rappelle qu'il ne faut pas oublier qu'il y a derrière de véritables enjeux sociaux. Un autre des aspects les plus insidieux de cette accélération du travail est le phénomène de blurring, brouillage, soit l'effacement progressif des frontières entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Grâce ou à cause des technologies, les salariés sont joignables en permanence. E-mail, notifications, réunions Zoom tardives, le travail déborde de son cadre temporel traditionnel pour s'immiscer dans les moments censés être consacrés. au repos et au loisir des stratégies bien rodées émergent l'horaire d'envoi d'un email devient un choix stratégique programmé à 8 heures du matin alors qu'il a été rédigé la veille à 23 heures objectif donner l'illusion d'une présence active dès le début de la journée résultat votre image est sauve et ce mail qui vous a pris deux heures à écrire semblera avoir été expédié en une minute mais pourquoi sacrifier son temps libre la veille parce qu'un email reçu en fin de journée signé probablement d'un vague ASAP ne précise jamais s'il faut répondre immédiatement ou attendre le lendemain. Rosa montre que cette porosité entre sphère professionnelle et personnelle contribue à ce sentiment de perte de contrôle dont on parlait plus tôt. Alors que le modèle traditionnel du travail impliquait des horaires clairs et des espaces distincts, l'ère numérique a entraîné une flexibilité forcée où chacun doit être disponible en permanence. Les travailleurs d'aujourd'hui ne décident plus du rythme de leur journée Ils sont soumis à des deadlines toujours plus serrés, à des notifications constantes et à des impératifs de productivité qui ne laissent aucun répit. Cette injonction à être toujours « on » a des conséquences psychologiques lourdes, augmentation du stress, réduction de la qualité du sommeil et in fine un risque accru d'épuisement professionnel. Un paradoxe intéressant, relevé par Rosa et Chabot, est celui de la fausse autonomie. L'essor du travail indépendant et du freelancing est un des éléments qui sont les plus importants pour la société. était censé offrir plus de liberté pourtant nombreux sont ceux qui se retrouvent piégés dans une logique d'hyperdisponibilité où chaque minute non travaillée est perçue comme une perte de revenu potentiel faisant naître la culpabilité de n'avoir rien fait que j'évoquais en introduction résultat l'angoisse du temps mort s'installe et l'équilibre entre travail et vie personnelle se brouille finalement l'accélération du travail ne se traduit pas uniquement par un rythme plus soutenu mais par une dépossession de soi. Comme le résume Rosa, nous courons pour ne pas être dépassés, mais nous ne savons plus vers quoi nous courons. Cette perte de contrôle sur le travail se reflète dans une anxiété grandissante et une saturation psychologique qui touche de plus en plus de travailleurs, toutes catégoriques au fond du. Comme à l'accoutumée, je termine cette grande session en demandant pourquoi ce sujet. Alors, pourquoi ce sujet ? Ben, pour que vous vous mettiez au yoga. Non, non, je plaisante pas. Allez donc maîtriser le chien tête en bas, car au-delà des positions animalières et de l'ouverture de vos chakras, la pratique a le mérite de vous contraindre à vivre le présent en vous détachant de la réunion Zoom d'avant et de l'email qui va suivre. En 2018, une enquête Harris Interactive révélait que 65% des Français estiment manquer de temps pour faire ce qu'ils voudraient dans une journée. Et nous n'avons jamais disposé d'autant de moyens technologiques censés nous en faire gagner. Le 10 février dernier, hier, Arthur Mensch, étoile montante de l'IA avec son modèle d'intelligence artificielle Mistral AI, dans un interview France Inter, disait « Les travailleurs qui l'utilisent, l'IA, au quotidien, gagnent plusieurs heures par jour pour régler les tâches qui ne sont pas les plus intéressantes, mais arrivent à les faire plus vite. Plus qu'une promesse, c'est effectivement une réalité. » La réflexion s'ouvre alors sur l'équilibre à trouver. Et une répartition en adéquation avec les aspirations statistiquement montrées, afin que la promesse de ce temps libéré ne soit pas uniquement une marchandise réinvestie dans la productivité. Car cette course en avant commence à rencontrer de la résistance. Une prise de conscience collective émerge. 53% des Français déclarent aujourd'hui vouloir ralentir leur rythme de vie. Ce n'est pas un simple caprice de privilégier ou une mode passagère. C'est un mouvement profond qui s'exprime dans des choix concrets. J'en reviens à mon yoga, qui voit sa popularité augmenter de façon considérable. Imaginez bien, entre 2020 et 2023, plus 300% de pratiquants en France. Sans parler du boom du télétravail et l'envie de revenir à des modes de vie plus sobres, plus maîtrisés. Comme le soulignent Mongeotin et Adrian Sens, là où en 2007 le discours politique exaltait le fameux « travaillez plus pour gagner plus » , en 2022 la tendance s'est inversée. Un basculement idéologique est en cours. La productivité n'est plus un idéal absolu. Elle est de plus en plus perçue comme une contrainte qui nous empêcherait de vivre pleinement. Cette bataille ne se limite pas à un seul choix individuel. Le temps est un enjeu politique. Pendant des siècles, les conquêtes sociales ont permis de créer des espaces de temps libre. La réduction du temps de travail, les congés payés, la retraite. Mais aujourd'hui, notre temps libre devient source de productivité. Plateforme de streaming qui maximise notre attention. Algorithme, qui nous maintient scotchés à nos écrans, loisirs transformés en performances à rentabiliser sur les réseaux sociaux, optimisés, consommés. Et je m'arrête là. Car comme je le disais au début de cet épisode, le sujet est hautement politique. Alors, si vous attendez de moi une déclaration politique, je vous citerai la note datée du 12 avril 2020 sur mon téléphone. Une société qui grandit, c'est une société où l'on plante des arbres en sachant que l'on ne profitera jamais de leur ombre. Dans cette première partie, nous avons exploré comment notre rapport au temps s'est transformé sous l'effet d'une accélération constante de nos rythmes de vie. Que ce soit dans la sphère professionnelle ou personnelle, le sentiment de manque de temps est devenu omniprésent au point de structurer nos comportements. Nous avons vu à quel point la question était politique, défini les concepts d'accélération et d'aliénation sociale d'Armut Rosa, et observé l'évolution profonde des prises récentes de conscience du temps libéré. Dans la prochaine partie, nous verrons comment l'accélération a façonné notre rapport au temps de la Révolution française à notre téléphone. Nous verrons comment la lecture s'est diversifiée et comment la culture elle-même s'adapte à cette cadence effrénée. Entre adaptation et résistance, nous explorons les pistes pour reprendre le contrôle du temps qui semble nous échapper. Si à ce stade vous ne savez toujours pas où je veux en venir et que vous avez l'impression que je n'ai pas encore répondu à la question, c'est normal. Pour ça, il faudra écouter la deuxième partie de cet épisode. En attendant, vous aurez le temps d'y réfléchir. Pour savoir si je vous donnerai une réponse, je vous donne rendez-vous dans deux semaines. Merci.

Chapters

  • Accélération social et paradoxe

    04:00

  • Les nouvelles formes d'aliénation

    11:43

  • Pourquoi ce sujet ?

    16:49

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