- Speaker #0
Bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast Perspective de France Stratégie qui va aujourd'hui nous emmener faire un petit tour en forêt. En effet, avec un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, mais aussi le changement climatique qui se poursuit sans attendre cette échéance 2050, on se doute que les forêts françaises sont au cœur des enjeux et des stratégies. Alors, quelle est la situation actuelle ? Devons-nous laisser la forêt tranquille ou peut-être l'utiliser différemment ? Et dans ce cas, que devons-nous privilégier ? Avons-nous finalement les bons objectifs et les bonnes méthodes pour les atteindre ? Afin de répondre à ces divers questionnements, nous allons parcourir la note d'analyse intitulée Vers une planification de la filière forêt-bois pour y trouver des réponses avec au micro Hélène Arambourou et Nicolas Rivinger du département Développement durable et numérique de France Stratégie. Bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors, on va d'abord dresser un portrait de la filière bois en France, détailler son rôle, ou plutôt ses rôles, puisque la forêt est indispensable dans plusieurs domaines, comme on peut s'en douter. Je vous laisse donc nous présenter, entre guillemets, tout ce qu'il y a de bien avec une forêt pour commencer.
- Speaker #1
Alors, dans ce travail, on a identifié trois grandes fonctions de la forêt, alors celle qui est peut-être la plus évidente, c'est une fonction économique de fourniture d'une matière première, qui est donc le bois. Ce bois peut avoir plusieurs usages, alors il y a l'usage en tant que source d'énergie. Ce qui représente environ la moitié de la récolte aujourd'hui. Ensuite, on a un usage de bois d'oeuvre, environ un peu moins de 40% de la récolte. Donc ça, c'est la charpente, les musées, etc. Et le reste, ce qu'on dénomme bois industrie, qui regroupe notamment la production de papier et des panneaux de particules. Ensuite, on a une deuxième grande fonction, qui est une fonction de stockage du carbone. On estime aujourd'hui qu'environ 3 milliards de tonnes de carbone sont stockées dans la forêt française, à la fois dans la biodiversité vivante, dans les arbres sur pied, mais aussi dans le bois mort et dans les sols. C'est un stock qui continue à s'accroître aujourd'hui en France. Dans la dernière décennie, on a environ 50 millions de tonnes qui ont été en moyenne séquestrées chaque année. C'est un flux qui vient s'augmenter au stock et qui correspond environ à 13% pour fixer les idées des émissions annuelles françaises totales de gaz à effet de serre. Mais ce qui est inquiétant aujourd'hui, c'est que ce flux diminue très rapidement. Sous l'effet de plusieurs causes. D'une part, d'une faite de l'augmentation de la mortalité des arbres. Du fait aussi de la... diminution de leur croissance et aussi dans une moindre mesure de l'augmentation des prélèvements qui servent aux fonctions économiques que j'évoquais précédemment. Et enfin, la forêt est aussi un réservoir de biodiversité. La situation est plutôt nuancée en la matière, puisque même si on peut considérer que la biodiversité des espaces forestiers est plutôt préservée par rapport à d'autres milieux, on a tout de même un quart des habitats forestiers qui sont considérés dans un mauvais état de conservation. On a... plus de la moitié des espèces de plantes forestières qui sont considérées comme menacées par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Et on a des populations d'oiseaux qui ont chuté d'environ 20% entre 1980 et 2016.
- Speaker #0
Ok. Alors du coup, en ce qui concerne la production, vous l'avez mentionné, la forêt fournit du bois matériau et du bois énergie. Est-ce que ces deux filières sont aussi développées, aussi soutenues l'une que l'autre et de façon équilibrée ?
- Speaker #2
Alors non, c'est ce qu'on évoque dans cette note. avec une filière bois énergie qui est beaucoup plus soutenue par les pouvoirs publics que la filière bois matériaux. Alors je reprends les chiffres d'un rapport de la Cour des comptes qui montre qu'en 2018, la moitié des soutiens publics à la totalité de la filière forêt-bois, donc de la civiculture à la transformation en aval, est dédiée au bois énergie contre moins de 100 millions pour le bois matériau. Et ce différentiel continue de s'accentuer, puisqu'entre 2018 et 2022, on a plus de 300 millions. qui ont été dédiées à des aides pour le chauffage au bois. Et ces soutiens différenciés entre le bois matériau et le bois énergique ont un effet sur la structuration de la filière, puisqu'on voit bien que depuis 2010, le bois énergique commercialisé a beaucoup augmenté au détriment du bois d'œuvre et du bois industriel. Et si on regarde, en fait, non plus ce qui sort de la forêt, mais tout le bois qui à la fin est brûlé, donc en prenant... tous les coproduits de la transformation du bois d'oeuf et du bois d'industrie, ce sont aujourd'hui 68% du bois de la forêt qui est bondé.
- Speaker #0
D'accord, mais alors du coup, du point de vue de l'objectif d'atténuation du carbone que vous évoquiez précédemment, cette préférence donnée au bois énergie est-elle vraiment justifiée ?
- Speaker #1
Alors la réponse est non, clairement. Donc en fait, il y a un usage qui est clairement vertueux du point de vue de l'atténuation, qui est l'usage de matériaux à longue durée de vie, disons des durées de vie qui va de 50 à 100 ans. Parce que d'une part, ces matériaux vont stocker le carbone pendant toute cette durée de vie, et d'autre part, les arbres qui ont été coupés vont repousser petit à petit, donc ils vont séquestrer du carbone additionnel. Et sans même parler du fait que ces matériaux vont dans certains cas se substituer à des matériaux comme le ciment ou l'acier, dont la production est elle-même très émettrice. Le cas du bois énergique est très différent du cas des matériaux à longue durée de vie, puisque quand on brûle le bois, on déstocke le carbone. Et donc le bois énergique conduit initialement à des émissions qui sont à peu près équivalentes à celles du charbon, à quantité d'énergie donnée. Alors évidemment, le bois n'est pas équivalent au charbon, et ce qui différencie le bois, c'est que la repousse des arbres permet petit à petit de neutraliser ces émissions. Mais il faut bien voir que cette neutralisation peut prendre beaucoup de temps, et en général ça prend des dizaines d'années. Alors ça... pas dire qu'il faut bannir le bois énergie dans toutes les situations, tout dépend des autres sources d'énergie qui sont à disposition, mais ça implique en tout cas que d'une part il serait souhaitable du point de vue des politiques publiques de réorienter les aides qui aujourd'hui vont bois énergie vers les produits à longue durée de vie, et d'autre part qu'il serait aussi souhaitable de bien prendre en compte cette dynamique des émissions du bois énergie dans les bilans carbone qui sont réalisés par les organismes publics et privés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui puisqu'on... part du principe que le bois est neutre en carbone, ce qui n'est pas le cas sur toute la durée de vie.
- Speaker #0
Donc au niveau de l'atténuation carbone, il faudrait construire plus durable et moins brûlé, ça semble assez logique finalement. D'ailleurs, en parlant de construction, la forêt est aussi un habitat naturel où de nombreuses espèces d'animals se construisent un abri. Dans la note, on rappelle le rôle de la forêt comme réservoir de biodiversité, mais toutes les forêts ne sont pas égales sur ce point. C'est-à-dire ?
- Speaker #2
En effet. Toutes les forêts ne sont pas égales. Pourquoi ? Parce que les forêts les plus riches en biodiversité sont généralement les forêts anciennes, c'est-à-dire qui ont une longue continuité dans le temps, et des forêts avec des arbres matures. Des arbres matures, c'est des arbres âgés dont l'âge dépasse l'optimum économique. Alors cet optimum économique, il varie, il peut être de 40 ans pour le pain maritime à plus de 150 ans pour le chêne. Et donc pourquoi ces forêts anciennes ? et matures sont riches en biodiversité tout simplement parce qu'elles sont riches en bois mort, en bois mort au sol, en arbres sur pieds morts, et elles sont riches en arbres âgés. Et les arbres âgés, ils ont des blessures, ils ont des cavités, et toutes ces petites cavités sont autant d'habitats pour les oiseaux cavicoles, donc je pense par exemple aux mésanges, aux chouettes, aux piques, et sont aussi des habitats pour les champignons ou certains coléoptères. Et c'est pour ça que ces forêts anciennes, avec des arbres âgés, sont aussi riches en biodiversité.
- Speaker #0
Merci beaucoup Hélène. Alors, on vient de voir que la forêt remplit trois missions nécessaires, qu'il faudrait toutes les trois renforcer, encourager, soutenir. Mais les stratégies pour le faire divergent. Et surtout, il semblerait qu'aucune stratégie ne permette de satisfaire les trois rôles en même temps. Parce que développer un rôle se fait forcément au détriment d'un autre, voire des deux autres. On va y revenir, mais est-ce que vous pouvez d'abord nous expliquer les stratégies qui sont possibles ? Alors,
- Speaker #1
on va y dire ja. en fait une quasi infinité de stratégies de gestion possibles puisque pour chaque massif forestier, on peut jouer sur son type de coupe, sa fréquence, l'essence, etc. Notre premier message, c'est que la gestion doit être adaptée à la fois aux caractéristiques de la forêt et aux priorités politiques en matière de fonctions à privilégier. Alors on a voulu aller quand même un cran plus loin en éclairant de manière très schématique les avantages et inconvénients de deux stratégies polaires. La première consistant à augmenter le stock de carbone contenu dans la forêt, donc en diminuant les prélèvements. La moitié de la production biologique nette, donc on représente environ les deux tiers aujourd'hui. Et la seconde, consistant à l'inverse, a augmenté ce taux de prélèvement, donc entre 70 et 80%, ce qui correspond peu ou prou à ce que prévoyait la seconde stratégie nationale bas carbone, la SNBC2, qui est aujourd'hui en cours de révision.
- Speaker #0
D'accord, alors prenons les choses dans l'ordre. La première stratégie, vous venez de le dire Nicolas, c'est on réduit l'exploitation de la forêt, comme ça on augmente le stock de carbone, la forêt joue pleinement son rôle dans la lutte contre le changement climatique. et les objectifs de réduction de CO2. Ça paraît plutôt bien, ça.
- Speaker #1
Oui, alors c'est une stratégie qui a deux avantages majeurs. C'est d'abord celle qui est préférable en matière de biodiversité de manière non ambigüe. Ensuite, c'est aussi celle qui permet de stocker le plus de carbone dans la forêt, donc qui va avoir le meilleur bilan carbone à court et moyen terme. À long terme, les choses sont un peu moins évidentes parce que comme les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, la séquestration va tendre à devenir nulle. Donc l'horizon de temps qu'on privilégie est aussi une dimension extrêmement importante dans les choix en matière de gestion forestière.
- Speaker #0
Ok, donc tout n'est pas rose, ou plutôt vert si on opte pour cette stratégie. Il nous reste donc la seconde, qui est celle d'une exploitation accrue. Mais je suppose aussi que celle-ci a ses avantages et ses inconvénients. Je vous laisse les détailler.
- Speaker #2
En effet, il y a des avantages et des inconvénients à la stratégie d'une exploitation accrue. Le premier avantage, c'est qu'elle peut constituer une assurance face aux risques climatiques. Imaginons qu'on a stocké préférentiellement le carbone dans notre forêt, un incendie peut d'un coup aboutir au déstockage massif de tout ce carbone. Tandis que si on l'exploite davantage et on stocke le carbone dans les matériaux à durée de vie longue, alors on est moins vulnérable face aux effets d'un événement climatique. Toutefois, bien sûr, cette stratégie présente plusieurs fragilités. Tout d'abord, la faisabilité technico-économique. En effet, pour... réorienter la transformation du bois et impulser une utilisation massive du bois, il faudrait augmenter les soutiens publics. Par exemple, une étude de l'INRAE a évalué que ce soutien public pourrait atteindre 6 milliards en 2050 contre 1,2 milliard en 2018. Ensuite, comme l'évoquait Nicolas, la préservation de la biodiversité pourrait être affectée par une exploitation massive. Pourquoi ? Parce que qui dit exploitation dit je vais enlever davantage de bois mort, je vais enlever davantage de gros bois. Et donc comme ma diversité biologique est étroitement liée à la quantité de bois mort et à la quantité d'arbres âgés, je vais de fait avoir une biodiversité altérée. Enfin, cette stratégie peut avoir un effet sur les sols. Si on effectue des coupes rases, comme on le fait parfois, alors on va avoir un relargage du carbone contenu dans les sols. Et... Et lorsque l'on exporte une partie du bois d'une forêt, de fait, on exporte la matière organique et les nutriments contenus dans ce bois. Donc, on va appauvrir les sols.
- Speaker #0
Donc, effectivement, pas de stratégie parfaite. On le comprend facilement. S'il fallait faire une synthèse de tout ce que l'on vient de voir, j'ai l'impression qu'il faut choisir entre le long terme et le court-moyen terme. Ce n'est pas vraiment évident, d'autant qu'on parle de plus en plus d'urgence climatique. Quelle est votre conclusion ?
- Speaker #2
Alors, notre conclusion, c'est de dire qu'il n'y a pas de solution miracle. Il faut adapter. bien sûr la gestion sylvicole aux caractéristiques des peuplement. Pour les peuplement avec des arbres âgés, des peuplement qui ont une certaine continuité dans le temps, il faudrait privilégier plutôt la préservation de ces peuplement afin de favoriser la diversité biologique. Pour les peuplement dépérissants, on voit que du fait du changement climatique, certains arbres ont de plus en plus de difficultés à pousser et donc là on pourrait s'imaginer d'avoir un remplacement plutôt doux. de ces peuplements avec des variétés qui soient plus adaptées aux changements globales. Mais là encore, l'idée n'est pas de remplacer ces peuplements par un peuplement mono-spécifique, mais d'avoir des peuplements avec une large variété d'espèces, avec une variété d'âge. Pourquoi ? Parce qu'un peuplement très riche en termes de variété et d'âge est un peuplement qui va mieux résister aux crises sanitaires climatiques. Et enfin, notre dernière question. conclusion, c'est de dire, une fois qu'on sort le bois de la forêt, il faudrait plutôt stocker le carbone dans les matériaux à durée de vie longue plutôt que de brûler ce bois.
- Speaker #0
Bien sûr. Merci beaucoup à tous les deux, Hélène Arambourou et Nicolas Ridinger, parce que nous avons pu, grâce à vous, reprendre de façon complète cette note d'analyse qui, je le rappelle, s'intitule Vers une planification de la filière forêt-bois et prendre la mesure de l'importance de cette planification. Comme toujours, on retrouve la note. en intégralité sur le site de France Stratégie, notamment pour visualiser les tableaux graphiques et figures qui la complètent. Par exemple, ce magnifique vieil arbre en pleine page et son importance pour la biodiversité, mais pas forcément pour l'atténuation carbone si vous avez bien suivi l'épisode. Et bien sûr, merci d'écouter le podcast Perspective. Vous pouvez nous laisser vos commentaires, vous pouvez partager cet épisode à vos contacts amoureux de la forêt, et vous pouvez aussi vous abonner sur votre plateforme de podcast préférée pour être prévenu des prochains épisodes. A bientôt !