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Toutes identités confondues, un podcast Frictions

Nos enfants après nous 1/3

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49min |05/02/2025
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Nos enfants après nous 1/3

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Description

Transmettre, c’est donner du sens à ce qui nous précède. Mais dans une France polarisée où l’identité se débat plus qu’elle ne se partage, l’héritage devient un enjeu, parfois un fardeau. À travers son propre parcours et des conversations avec de jeunes pères, fils d’immigrés ou ayant des attaches ailleurs, Walid interroge ce qui se passe entre deux générations. Ce qu’on garde. Ce qu’on refuse. Ce qu’on transforme. Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ?


EP#1/3. Comme Walid, Charly et Nabil sont fils d’immigrés et transfuges de classe. Charly, d’origine indienne et installé au Japon, raconte une identité marquée par un décalage entre l’attachement de ses parents à la France et les discriminations vécues à l’adolescence en banlieue, trouvant ailleurs une forme de réconciliation. Nabil, né à Paris d’une famille tunisienne, navigue entre un héritage culturel et les réalités d’une société française où l’assimilation reste un combat. Tous deux, désormais pères, partagent sur ce qu’ils transmettront à leurs filles.




Crédits : Ruh ad qqimey - Lounis Aït Menguellet


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités, produit par Friction. Bonne écoute. Vous vous souvenez, n'est-ce pas ? Je crois même que ceux qui n'étaient pas encore nés s'en souviennent. C'était le 12 juillet 1998, et ce jour-là, la France avait gagné bien plus qu'une Coupe du monde de football. Elle avait gagné le droit de rêver, de rêver à une nation rassemblée, à un pays réinventé, qui embrasserait du même regard... Tous ces enfants, loin des prophéties de malheur de Jean-Marie Le Pen. Black, blanc, beurre, disait-on. C'est ça l'équipe de France est championne du monde en battant le Brésil. Je crois qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible, mais on peut. Ah c'est superbe, quel pied, ah quel pied ! liesse populaire sur les champs-élysées un peuple se découvrait sous mes yeux effarés je n'avais pas encore tout à fait dix-sept ans j'habitais en banlieue dans l'essonne paris était loin en r e r et dans ma tête surtout je n'étais pas sûr d'y croire mais la fête s'était invitée jusque sous nos fenêtres Que reste-t-il de ce rêve ? Plus de 25 ans après, la France doute, se fracture. L'immigration est devenue un problème, la laïcité un bouclier, et l'identité un casse-tête. C'est toujours la prime à celui qui clashera le plus fort. L'immigration n'est pas une chance pour la France,

  • Speaker #1

    c'est même un fléau.

  • Speaker #0

    Le Pen est mort, c'est vrai, mais il laisse beaucoup d'enfants. L'immigration n'est pas une chance,

  • Speaker #2

    c'est un fardeau.

  • Speaker #0

    Il a imprimé beaucoup d'esprit. jusque dans les discours gouvernementaux j'ai vécu pas mal d'années à l'étranger dont quelques-unes en amérique latine par goût du voyage mais aussi par confort c'est plus facile de se construire quand on n'a pas à sans cesse se justifier de qui on est mais je reviens toujours ici en france Parce que chez soi, c'est d'abord là où se trouve le plus grand nombre de gens qu'on aime. Probablement aussi parce que je n'ai pas, ou pas encore, fondé cette famille qui m'obligerait à m'ancrer ailleurs.

  • Speaker #2

    Oui, bonjour, monsieur Raffedi, c'est la mairie de Brissomar. Je vous appelle concernant le décès de votre papa. On a bien reçu le certificat de décès, l'acte a bien été dressé.

  • Speaker #0

    Il y a quelques mois, j'ai perdu mon père. Nous avions une relation compliquée. Je n'ai pas eu une enfance très heureuse. Mes parents se sont séparés quand j'avais 9 ans. Il avait une vision souvent rétrograde de la masculinité. Ça ne m'a pas aidé.

  • Speaker #2

    Il faut nous rappeler ce qu'il souhaitait, mais en tous les cas, tout est bon, tout est fait. Voilà. Bonne fin de journée. Au revoir.

  • Speaker #0

    Mais avec le temps, depuis que ma vie se passe en partie ailleurs, j'ai mieux compris son histoire. Même la partie qu'il a passée sous silence. J'ai mesuré ses sacrifices, son sens du devoir, sa résilience hors normes. Un homme, ça s'empêche. Ce sont les mots qu'Albert Camus a reçus de son père quand il était dans les tranchées. Peut-être qu'au mieux aurait-il dit la même chose s'il avait su mieux écrire le français. J'ai regretté de ne pas avoir appris sa langue. Quand nous l'avons enterré en Algérie, dans le village kabyle qu'il a vu naître, j'ai ressenti la fierté. Et surtout... Le soulagement d'avoir pu accomplir ses dernières volontés. Mais ses adieux emprunts de religiosité, les hommages à ses aïeux, ça ne racontait pas tout.

  • Speaker #2

    C'est lui qui a entendu sa parole.

  • Speaker #0

    Ça ne racontait pas sa part de France. Mon père a passé 60 ans de sa vie entre Paris et sa proche banlieue. C'était un vrai Parisien qui connaissait par cœur la capitale. Il aimait autant la mélancolie de Matou Blounès que la fougue de Johnny, la simplicité de la semoule au lait caillé que le raffinement des cailles poilées. Mais il n'a jamais voulu prendre la nationalité française. Algérien jusqu'à la fin. Avec lui, une part de mon histoire s'est éteinte. une part de mon univers amputée cette absence m'a poussé à réfléchir qu'est-ce qu'on reçoit vraiment de ceux qui nous précèdent qu'est-ce qu'on choisit de transmettre et demain si avec ma compagne on décidait d'avoir des enfants est-ce que j'aurais envie de les élever en france et d'ailleurs est-ce vraiment possible ou est-ce que je ne ferais que perpétuer le déracinement Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ? Pour tenter d'y voir plus clair, j'ai fait ce que je fais d'habitude. J'en ai parlé à des amis, des proches, de jeunes papas qui ont sauté le pas, des hommes nés dans les années 80 qui comme moi naviguent entre plusieurs mondes, plusieurs héritages. Ensemble, on explore ce que ça signifie de transmettre dans une société qui vacille. Ce qu'on garde, ce qu'on refuse. et ce qu'on transforme. Nos enfants après nous, un podcast de Walid Aja Rachedi, réalisé par Laura Ausha. Épisode 1 Longtemps fils unique, sans cousin ou cousine à proximité, j'ai trouvé dans mes amis, filles comme garçons, cette fratrie qui me manquait. Parmi ses frères d'une autre mère, Charlie occupe une place particulière.

  • Speaker #2

    Je m'appelle Charlie.

  • Speaker #0

    C'est mon plus vieux pote. On s'est connus au lycée.

  • Speaker #2

    J'ai 42 ans, bientôt 43.

  • Speaker #0

    On habitait dans le même quartier en Essonne.

  • Speaker #2

    Et j'habite à Osaka au Japon. Je suis donc français de Pondichéry. C'est le sud de l'Inde.

  • Speaker #0

    Je lui dois une belle partie de ma culture musicale, rap et R&B des années 90-2000. Sa passion pour le football sud-américain et ses maillots flamboyants a sans doute nourri mon envie de vivre en Amérique latine. Les week-ends, on allait à Paris, comme on marcherait sur la lune. Un territoire si proche qu'on pouvait le toucher, mais qui restait étranger à nos yeux. Entre Evry-Courcouronne et Gare de Lyon, on passait des heures à refaire le monde. avant d'aller acheter des mangas à République ou des baskets à Clignancourt. Charlie a été la première personne à qui j'ai confié cette ambition secrète et improbable pour un banlieusard. Devenir romancier. Et il m'a toujours encouragé. Après le lycée, nos parcours ont suivi les mêmes lignes. Petit boulot d'été, fac, puis école de commerce pour décrocher un bac plus 5 rassurant. Et premier pas dans de grosses boîtes. C'est dans cette période au début de la vingtaine qu'une autre amitié fondatrice s'est nouée.

  • Speaker #1

    Nabil, j'ai 43 ans depuis hier.

  • Speaker #0

    Avec Nabil, l'histoire était différente. Lui aussi venait d'un milieu modeste, mais il avait toujours vécu à Paris.

  • Speaker #1

    Je suis né, j'ai grandi à Paris. Je suis d'origine tunisienne. Je suis souvent le plus parisien de tout le monde en vrai, même si ça ne se voit pas forcément.

  • Speaker #0

    En école de commerce, il semblait totalement à l'aise dans cet univers. Ça m'intriguait un peu. Mais c'est en alternance à la défense que notre amitié a vraiment pris racine. J'ai découvert son goût pour la philo, la littérature et la politique. Il avait aussi fait du cinéma. Ça détonnait. Mais c'était aussi ce qui le rendait intéressant. En 2005, Entre les émeutes à Clichy-sous-Bois, la situation géopolitique post-11 septembre et les débats sur la diversité en entreprise, les sujets brûlants à la pause café ne manquaient pas. Dans la vingtaine, fils d'immigrés et transfuge de classe comme moi, Charlie et Nabil m'ont offert deux variations dans ma miroir. Chacun reflétait à sa manière mes propres interrogations. Qui nous étions, ce qui nous était légué et ce que nous aspirions à devenir.

  • Speaker #2

    Je suis donc français de Pondichéry. L'histoire de la famille est liée à l'histoire de la France, en tout cas en Inde. Mes parents sont nés à Pondichéry. Eux-mêmes issus de parents qui sont français, eux-mêmes nés à Pondichéry. Et je suis donc la quatrième génération de français dans ma famille. Mes grands-pères ont tous les deux travaillé pour l'administration française. Ils étaient gendarmes et un autre était militaire. C'est toute une génération de pondichériens qui ont opté pour la nationalité française. Et ce qui explique pourquoi, au bout d'un moment, quand dans les années 70, la France avait besoin de personnes, d'oeuvres, l'opportunité est venue pour mon père et toute une génération de ses amis de bouger en France et de faire leur vie en France. C'est ce qui fait partie de mon histoire et pourquoi on est français dans ma famille.

  • Speaker #1

    Mon père est arrivé en France, il avait 17 ans, 18 ans par là. Il est arrivé en 70 ou 71, il avait 16-17 ans. Il y avait beaucoup de départs parce que je pense que suite à l'indépendance de la Tunisie, il y a eu une sorte de période de désillusion. Et ça représentait une forme d'Eldorado. Et les conditions administratives de séjour, d'obtention de papiers et tout étaient relativement simples encore. Ça commençait à se durcir, je crois, avec Pompidou. Mais voilà, mon père est arrivé, je crois, assez facilement. Il avait le copain de son père qui avait une épicerie à Bordeaux. Je crois qu'il s'est assez vite retrouvé à Bordeaux. Et puis, il est monté à Paris. Il a fait des petits jobs. Entre-temps, il a eu un enfant avec une femme française de souche, donc mon grand-frère. Et ensuite, il s'est dit, je vais au bled me marier avec une Tunisienne. Et donc, il a épousé ma mère, qui arrivait deux mois après son mariage en France. Et moi, je suis né quelques mois après. Mes parents viennent de Djerba, donc c'est une île au sud de la Tunisie. Il y a une identité forte, un peu comme en Corse. Souvent, les gens se demandent de Corse avant d'être français. Et donc, il y avait ce truc de, t'es djerbien, mais t'es aussi français. C'est-à-dire qu'on nous le disait, de toute façon, administrativement, vous êtes français. On peut être les deux.

  • Speaker #2

    Mon père est arrivé en 1974 exactement. Ça faisait vraiment partie d'un programme proposé à des Français qui étaient basés à l'étranger, principalement dans des ex-territoires ou colonies françaises, de construire une nouvelle vie en France tout en ayant un programme d'assimilation, d'exposition à la culture française. Il est arrivé avec quelques-uns de ses amis et ensuite il a été envoyé dans une famille française, dans la Nièvre, vers Nevers. Donc il a fait les vendanges, il a appris la culture française, la gastronomie à la française, comment vit une famille française, l'art de vivre on va dire. Et en fait c'était le début du commencement et ensuite il a fait un certain nombre d'étapes dans ce programme d'acclimatation, je ne sais pas si je peux dire ça. En tout cas de... connaissance de la culture française qui l'a emmené ensuite à prendre un travail dans notre entreprise ferroviaire nationale SNCF. Mon père, c'est quelqu'un de curieux, un aventurier, même si mes parents ont appris le français quand ils étaient à Pondichéry, c'était certainement la première fois pour lui d'aller à l'étranger, et puis d'y aller un peu pour de bon, parce que c'était un peu l'objectif. je pense qu'il était prudent, il était certainement méchant de ce qu'il m'avait raconté, mais il était aussi très curieux de comprendre comment les choses fonctionnent en France. Quand il me racontait ses histoires, il a toujours, comme un brin de nostalgie, il appréciait ses moments, en fait. Je pense que ça a été des moments fondateurs dans sa définition de qu'est-ce que la France et qu'est-ce que ça représente d'être français. C'est vrai qu'il a été quelque part déraciné, mais c'était volontaire, parce qu'il a été volontaire pour rejoindre ce programme. Je pense que ça a été un moment fondateur pour lui. C'est assez intéressant, parce qu'à chaque fois que j'en parle, les gens sont étonnés, ils disent Ah bon, il y avait des Français en Inde ? Oui, il y avait des Français. Malgré l'histoire qu'on nous enseigne, etc., il y a une forme d'oubli du passé de la France, et de tout cet héritage, quelquefois ça peut être un héritage qui peut être douloureux. La seule chose dont les gens se souviennent, c'est souvent les annales du baccalauréat, où ils voient le sujet présenté au lycée de Pondichéry en telle année. Ils disent Ah, Pondichéry, je connais ! C'est un petit blague un peu marrante. Mais effectivement, il y a une histoire, et moi je suis aussi fier d'être un Français de Pondichéry. Je sais d'où je viens, et je sais que j'ai une histoire qui est un peu différente, je ne sais pas, d'un Français de Paris ou d'un Français de... de Lille ou d'un Français de Marseille par exemple. Pourquoi je dis Français de Pondichéry ? C'est parce que l'assimilation, c'est quelque chose qui est fort dans un sens, mais de l'autre côté aussi, on n'oublie pas qui on est, on n'oublie pas d'où on vient. Et quand j'ai cherché à définir un peu mon identité, moi je me suis toujours accroché à quelle est mon histoire, pourquoi je suis là, pourquoi je suis français et pourquoi je dois m'en justifier en fait. On a tous des histoires différentes, mais je ne veux pas perdre en fait ce lien-là parce que c'est en moi et ça fait partie de moi et c'est même visible, parce que je ressemble à un Indien.

  • Speaker #1

    La France a quand même été un pays... depuis la révolution française, très centralisée, autour de Paris. On a aussi progressivement quasiment éradiqué les cultures bretonnes, du sud-ouest. L'histoire française, c'est aussi ça. C'est-à-dire que c'est une espèce de rouleau compresseur qui veut faire des petits français partout, en fait.

  • Speaker #0

    Dans leur voix, il y a des hésitations qui en disent long. Des mots qu'on manipule avec précaution, comme s'ils pouvaient vous exploser à la figure. Oui ! Ça demande du courage de se livrer. Parce que quand on est un garçon, la première chose qu'on nous apprend, c'est de garder nos sentiments pour nous. Surtout quand on a grandi dans un quartier populaire. Parce que dans nos familles immigrées, nos pères ont souvent raconté leurs histoires du bout des lèvres. Ils ont souvent tué ce qu'il y avait de plus douloureux. C'est ce que je me dis en imaginant le père de Charlie lui raconter les vendanges et la découverte d'un pays qu'il ne connaissait qu'en théorie. Ça me ramène à la fois où j'ai demandé au mien. Papa, c'était comment Paris dans les années 60 ? À une époque où il n'était pas facile d'être algérien ici. J'attendais des récits houleux, de la frustration, du ressentiment, peut-être d'entendre la mienne en miroir qui sait. Mais il y a eu de la lumière dans ses yeux. Il m'a dit qu'il y avait de la musique dans les rues en ces temps-là. Il a évoqué un concert de Johnny, un grand concert. J'étais surpris. Mon père parlait si peu et encore moins de ce qui l'avait rendu heureux. Plus tard, quand il m'a raconté les circonstances plus difficiles, comment la France s'est imposée à lui et chez lui, j'ai compris. Il protégeait un souvenir, une certaine idée de sa jeunesse, de ses 20 ans. Et j'ai compris qu'il me protégeait aussi. Et maintenant, moi aussi je fais pareil dans un sens. Ex-fan des 90's, nostalgique de Paris et de sa banlieue d'alors, métisse mais pas martyr, comme disait la chanson, je choisis ce que je raconte. Raconter, c'est choisir. Mais c'est encore Nabil qui en parle le mieux.

  • Speaker #1

    À Paris, entre amoureuses, je n'étais pas du tout dans une culture de ghetto ou quoi que ce soit. Mes premiers copains, il y en a un qui s'appelait Jérémy, son père était prof à la fac, c'est toujours un copain. Et sa mère était directrice de l'école maternelle où on était. Il y a un autre copain qui s'appelle Tupac. qui était moitié mexicain, moitié français, deux souches, entre guillemets, je ne sais pas comment le dire autrement. Et donc, c'était mes deux meilleurs copains chez qui j'allais dormir et tout. Et donc, il n'y avait pas du tout ce qu'on peut connaître chez des gens qui sont issus de l'immigration, c'est-à-dire des gens qui grandissent dans des quartiers qui sont un peu fermés. Donc, oui, je me suis senti français. Et je l'ai encore aujourd'hui, j'ai toujours en moi ce truc de, bah ouais, on peut être joueur de foot, joueur de basket et joueur d'échecs en même temps, même si effectivement, derrière la question de l'appartenance, il y a un truc plus profond. En plus, je parle arabe, je parle tunisien, j'y vais souvent. L'arabe, on le parlait à la maison. Ma mère m'a raconté qu'enfant à la maternelle, on ne parlait pas très bien français, on lui a fait la remarque en lui disant... Attention, il faut leur parler français, etc. J'ai bien perçu à certains moments de ma vie que l'arabe n'était pas un truc hyper valorisé. Moi, au début de l'adolescence, j'ai eu envie de m'approprier ça. Donc j'ai fait de l'arabe. Alors d'abord, mes parents m'avaient inscrit à des cours d'arabe enfant. Et ensuite, je me suis même inscrit au lycée. Je le faisais en LV3. C'était Henri IV en plus, parce que mon lycée ne faisait pas d'arabe. Et à Paris, dans les lycées intramuros, c'était Henri IV, Louis le Grand. Voilà, donc je faisais de l'arabe là-bas. Moi, j'étais dans un collège privé, on était dans le 20ème, le collège avait un peu mauvaise réputation, mes parents divorçaient à ce moment-là, et mon père s'est donné bonne conscience en me disant je vais payer une école, ce sera bien Après mon collège privé, j'étais dans un bon lycée public du 20ème, qui avait des résultats à 98-99% au bac, mais c'était ambiance culture un peu bobo. C'est-à-dire qu'il y avait cette espèce de mixité qu'on peut trouver dans le XXe. Donc moi, je fanfaronnais pas mal en classe et j'étais plutôt bien reconnu, plein de copains et tout. Puis il y avait aussi cette culture de gauche, des parents, même j'avais des copains journalistes, des journalistes connus, des gens comme ça. Il y avait cette culture un peu hybride. Nous, dans les années 80, alors bon, moi c'était à Paris, c'était différent, mais même j'ai des cousins qui ont grandi dans des cités, des cousins, enfin dans des cités de région parisienne, parmi les plus craignos. Même dans ces endroits-là, il y avait une diversité et les gens ne se considéraient pas juste comme marocains, algériens, tunisiens, sénégalais, machin. Et je pense que, en fait, le rejet des uns nourrit celui des autres et qu'à un moment donné, il y a un... Est-ce que ça vaut le coup de jouer le jeu ?

  • Speaker #2

    Lorsque j'étais adolescent, je me sentais français, même si, de par le contexte et certaines expériences que j'avais déjà eues quand j'avais 15 ou 16 ans, j'avais déjà fait face à certaines situations de rejet. Je me souviens que ça a aussi coïncidé avec une période de ma vie où j'écoutais beaucoup de la musique noire américaine, du hip-hop, surtout les années 80-90 avec des messages assez forts, avec un autre modèle de société, du communautarisme, etc. Il y avait une forme d'identification quelque part à travers cette musique-là que j'écoutais qui conditionnait un peu tout ce package. C'est certainement pour ces raisons-là, par exemple, que certainement à la Coupe du Monde 98, je n'étais pas en train de me dire je vais porter le maillot de l'équipe de France j'avais envie de porter le maillot de l'équipe de Brésil. Du coup, j'avais toujours ce sentiment torturé avec le fait d'avoir à la maison mes parents qui étaient très fiers d'être français et de l'autre côté, moi, de vivre des situations un peu discriminantes en fait.

  • Speaker #1

    Quand je suis arrivé en classe préparatoire, c'est la première fois que j'ai senti un truc de l'ordre d'un regard porté en fonction de la classe sociale ou de l'origine. Je suis allé en classe prépa à Carnot dans le 17ème, qui était une des meilleures classes prépa publiques à l'époque, en prépa HEC en tout cas. Et là, c'est tout de suite les gens qui se définissaient par rapport à l'argent, à leur classe sociale, et je me suis pris une énorme claque de ce point de vue-là. Tu pouvais moins briller parce que t'étais rigolo. Il y avait une Marocaine et une Tunisienne en classe prépa. La Tunisienne s'appelait Bourguiba comme l'ancien président. Elle venait de la famille du président. Et la Marocaine, pareil, classe sociale hyper élevée. Elle habitait dans un énorme à part dans le 16e, alors qu'elle n'avait que 17 ans. J'ai eu des questions parfois, type, mais tes deux parents sont Tunisiens ? Ah ouais, OK. Et j'ai eu une fois un mec qui m'a dit, avant toi, je n'avais jamais parlé en maghrébin. Je me souviens d'une fois, c'était marrant parce que c'était hyper frontal. Quelqu'un, un chauffeur de taxi, j'étais en costume, je prenais le train pour un déplacement pro, qui me demande ce que je fais, qui s'intéresse et qui est un peu impressionné parce que c'est un monde qu'il ne connaît pas, le conseil, la finance, etc. Et il me dit, mais c'est quand que vous allez rentrer chez vous en fait ? Vous avez réussi, vous avez des diplômes, maintenant allez dans votre pays. Pour participer à son développement, à sa croissance, je pense que c'est ce qu'il avait en tête. Et en fait, il a fallu que j'explique qu'étant né en France, ayant toute ma vie sociale, etc. ici, et oui, ça m'avait un peu travaillé, je m'étais dit Ah ouais, on en est là, en fait

  • Speaker #2

    Lorsque j'ai commencé à faire mes études supérieures, que j'étais en contact avec d'autres personnes, parfois issues de l'immigration, mais qui venaient d'autres endroits, ça m'a tout de suite donné une... une autre vision en fait de qu'est-ce que ça veut dire être français. En fait, ce n'est pas que négatif comme j'ai pu l'entendre beaucoup dans les générations de personnes qui étaient autour de moi à ce moment précis-là. Je pense que mon rapport a vraiment commencé à évoluer lorsque j'ai commencé à rentrer dans le monde du travail. Effectivement, un changement de niveau social, puis un changement... d'environnement lorsque j'ai acheté un appartement, j'ai habité dans une autre ville et un autre type d'espace etc. Le pas le plus profond quelque part c'est quand je suis allé vivre à l'étranger en fait. Ça m'a permis de réaliser que oui je suis profondément français. Alors ma façon d'être, ma façon de penser, ma façon d'interagir par mon accent lorsqu'on est à l'étranger. il n'y a plus de il est de telle couleur, c'est de telle couleur de peau etc. J'ai jamais ressenti ça en fait et ça m'a réconcilié encore plus avec le fait d'être français parce que comme je te disais j'avais ce rapport très torturé et au final aujourd'hui je suis assez plutôt fier et je raconte avec plaisir l'histoire et mon parcours par rapport à ça. Certainement que le Charlie de 98 serait surpris d'entendre le Charlie de 2024, très certainement.

  • Speaker #0

    Et le Wallid de 98, il en penserait quoi ? Peut-être qu'il le taquinerait ce Charlie, plus posé, réconcilié. Mais au fond, il serait admiratif surtout. Parce qu'il est resté fidèle à lui-même, toujours entre plusieurs mondes, toujours entier. Et qu'être en paix avec ses contradictions, c'est un truc immense. Il se dirait que finalement, ce Charlie-là, il est exactement là où il doit être. Et il se réjouirait qu'on soit encore amis, malgré la distance, malgré les années.

  • Speaker #2

    Moi, ça fait déjà quasiment dix ans que je ne vis plus en France. Quand on est dans un autre pays, on n'a plus cette charge, effectivement. On n'a plus ce sentiment d'être constamment jugé, ou ce sentiment de est-ce que je suis traité ou est-ce que je suis considéré de façon juste ? Est-ce que j'ai les mêmes chances que d'autres personnes ? En fait, cet élément-là, il disparaît. Aujourd'hui, par exemple, je suis au Japon. depuis un peu plus de 5 ans maintenant, quand je dis que je suis français, il n'y a personne qui me demande Ah oui, mais en fait, tu viens d'où ? Et ça, ça m'est arrivé souvent en France. C'est une question qui n'existe pas, par exemple, ici. On ne se sent pas jugé, en fait. Et on se sent dans un environnement où on est beaucoup plus à l'aise.

  • Speaker #1

    Clairement, je pense que mes choix de carrière ont été influencés par qui je suis. À la période de ma carrière où je suis, je vois d'autant plus... avec d'autant plus de force, le fameux plafond de verre dont j'entendais parler, c'est difficile d'adopter, de coopter des gens qui suivent la diversité. Tu peux avoir des gens hyper bien intentionnés et qui voudraient, sauf que quelqu'un de, entre guillemets, je ne sais pas, j'utilise les expressions que je peux, mais de la diversité qui va diriger un départ, ça veut dire qu'il faut que les équipes l'acceptent, il faut que les parties prenantes. l'accepte. Quand on est une femme, je pense que c'est quelque chose qu'on comprend relativement facilement. Moi, je sais que j'en parle avec ma femme. Et je lui dis, imagine, il y a des secteurs où tu mets une nana pour diriger des hommes, etc. Les comportements changent. Dans l'écosystème humain, il y a beaucoup de choses à faire accepter. Dans certains milieux, pas tous, c'est la même chose. Si tu mets un arabe, un noir, un chinois... Donc, moi, ce plafond de verre, clairement, je le vois. Et limite, je pense qu'il se durcit. Aujourd'hui, je réfléchis à partir de la France. Pas forcément pour ces raisons, c'est juste que j'ai fait quasiment 40 ans à Paris. Même si j'ai bougé et tout, je me verrais bien vivre ailleurs. Donc ouais, je comprends qu'à un moment donné, quand ta vie professionnelle n'avance plus ou pas pour des paramètres sur lesquels tu n'as pas de prise, tu vas chercher ton bonheur là où il est. Après ouais, je trouve que c'est dommage.

  • Speaker #2

    Est-ce que tous ces débats et tous ces sujets assez lourds sur lesquels j'ai l'impression qu'on fait un peu du sur place, voire parfois du retour en arrière, ça donne envie de revenir ? Pas forcément, pour être honnête. Ce que je me vois vivre avec mon épouse et ma fille en France, dans un contexte comme ça, c'est pas attirant. les débats et puis après à la réalité de la vie. Moi, j'ai ma famille en région parisienne. Ils sont très heureux. Ils ont leur père, ils ont leur façon, leur art de vivre, notre culture de famille. Et oui, ça, être plus proche de ça, je serais, je pense, ravi de l'être, notamment pour ma fille. Mon épouse, elle serait partante. Je sais que certainement que ça arrivera. Elle a un rapport à la France, évidemment, tous ces sujets de... de société, tous ces débats autour d'identité. Ce n'est pas forcément quelque chose qui est retranscrit, par exemple, dans les médias en japonais. Après, je sais qu'elle a un fort attrait pour la culture française, donc ça fait partie des questions et des discussions qu'on a de temps en temps avec mon épouse.

  • Speaker #0

    Et c'est vrai que la place de la femme, par exemple, dans la société japonaise, c'est quand même très différent. C'est formaté, les gens sont formatés pour penser d'une certaine façon ici. La diversité, même si c'est des sujets dont on parle en entreprise, par exemple, ce n'est pas forcément visible et c'est bien ancré en fait. Et c'est quelque chose qui pour elle est définitivement un attrait, puisqu'il s'agit d'imaginer une potentielle vie en France, entre une fois par an en France au maximum. Mon ressenti par rapport à l'ambiance actuelle, ou en tout cas les débats de société en France, je ne le ressens pas, disons, comme... comme un poids, mais par contre j'ai beaucoup d'intérêt pour le sujet. C'est comme si en France on n'acceptait pas en fait une partie de l'histoire de la France lorsqu'on commence à avoir ces débats sur la différence, la diversité. Il n'y a pas cette acceptation que oui, il y a des Français qui ne ressemblent pas à des Blancs. Il y a des évolutions et on le voit par exemple à travers la télé, à travers les pubs, etc. Mais il y a quand même ces sujets de débat dans la société où il y a quelque chose derrière, où il y a une forme de malaise et j'ai l'impression que la société, en tout cas entre il y a dix ans, quand je suis parti et maintenant, n'a pas forcément eu de progrès significatif. Je pensais effectivement que... que c'est un peu le sens de l'histoire, que quelque part les choses allaient devenir de plus en plus ouvertes, d'aller au-delà même de tolérance, d'un vivre ensemble qui serait évident en fait. On trouve un peu l'échiquier politique national avec une droite, une extrême droite qui est de plus en plus forte et affirmée. Je n'aurais jamais imaginé ça pour être honnête.

  • Speaker #1

    Une société, c'est une pyramide. Et effectivement, il y a de fait une lutte des places. Et du coup, dès qu'on peut trouver de quoi éjecter quelqu'un pour que la compétition soit moins rude, on le fait. Il n'y a même pas à dire que les gens sont cons parce qu'ils sont racistes. Ce n'est même pas ça. C'est qu'il y a un tel bruit de fond qu'à un moment donné, ce bruit de fond autour de l'islam, l'immigration, etc., évidemment, il est chiant, insupportable presque. Il y a une époque où, ouais, il était pesant. Et comme si... Mais en fait, j'ai résolu la question en me disant mais en fait, tout ça ne me regarde pas tant que ça, finalement. C'est-à-dire que je pense qu'il y a des personnes et des groupes qui ont intérêt à entretenir ce bruit de fond. Moi, c'est leur obsession. Mais c'est leur problème, en fait. J'ai arrêté de regarder la télé il y a plusieurs années. Je n'entends plus tant que ça. Et ouais, dans ma vie quotidienne, je suis assez protégé de... Enfin, je trouve que dans les relations que j'ai dans ma vie, ce bruit de fond, en fait, quand tu coupes la source, il n'est pas si perturbant que ça. Si tu pars du principe que ces bruits de fond, ces défauts qui font chier tout le monde et que tu arrêtes de les écouter, leur discours, il a moins de prise. Pour moi, le fait de ne pas s'emmerder avec ça, c'est une forme de lâcher prise. Malheureusement, même si je ne les regarde pas, il m'arrive sur les réseaux sociaux, sur YouTube, de voir des chaînes comme BFM TV. On a l'impression que c'est vraiment leur sujet de prédilection. Et c'est même rationnellement difficile à comprendre. On se dit, mais est-ce que le problème de la France, c'est ça ? Évidemment que non. Bien sûr que se mettre, enfin lâcher prise pour vivre un peu dans sa bulle, parce que c'est trop douloureux de rentrer même ne serait-ce que dans le débat, enfin je veux dire, à un moment donné, même discuter de ces sujets-là, moi je trouve ça insupportable.

  • Speaker #0

    La religion musulmane est une religion qui a été sur le sol de France par une immigration massive.

  • Speaker #2

    Elle a tendé le visage de notre pays. Ce bruit de fond, dont parle Nabil, je le connais trop bien. C'est comme une torture à la chinoise, cette goutte d'eau qui tombe toujours au même endroit. Une petite chose répétée sans fin, qui finit par t'user, par te rendre fou. Ces petites phrases, ces regards, ces silences qui s'accumulent. Ça te suit, même quand tu fais tout pour l'ignorer. C'est un bruit qui te détourne de toi-même, qui te vole ton énergie. Je les connais bien, ces mots de l'écrivaine afro-américaine Toni Morrison. Et pourtant, j'ai toujours du mal à le couper, ce bruit de fond. La goutte froide insiste sur mon front. C'est sans doute pour ça que comme Charlie, j'ai choisi d'habiter ailleurs pendant plusieurs années et que je pars à la première occasion venue. CDG, Terminal 2F, on se connaît. Loin, là où ce bruit devient presque imperceptible. Partir, c'est trouver une respiration. Mais même à l'autre bout du monde, surtout à l'autre bout du monde, ce bruit ne disparaît jamais vraiment. Il change de forme, il s'atténue, mais il reste là. je retrouve cette goutte qui perle sur mes pages mes rêveries j'observe comment elle prend forme ailleurs en écoutant charlie parler de sérénité et nabille de lâcher prise je me demande est-ce que moi aussi j'ai appris à baisser le volume est-ce qu'en france un jour on arrivera à le faire taire ce bruit

  • Speaker #1

    Moi je trouve que globalement en réalité ça se passe bien si on fait abstraction des extrêmes qui montent des discours parce que c'est intéressant de diviser etc. En vérité ça se passe plutôt bien. Moi je pense qu'à un moment donné juste on ne sait rien de monter le truc en épingle. On est ferme sur ce qu'on veut en France et on interdit ce qu'on doit interdire, ce qu'on peut interdire parce qu'on veut protéger un modèle de laïcité. Et puis on applique et puis fin de l'histoire. Je pense que la simulation elle est... tellement en marche qu'à la limite, c'est même ça qui fait peur à des extrêmes. Moi, je suis en couple, je suis paxé avec Clotilde, qui est un arbre généalogique de souche, pour le coup, aussi loin qu'on puisse remonter. Je crois qu'elle a un arrière-grand-parent allemand. Et ma fille a 18 mois. On ne s'est pas trop posé de questions. Je crois qu'elle voyait plutôt d'un bon oeil le mélange des cultures. En revanche, moi, oui, cette question, depuis que j'ai 20 ans, peut-être depuis que je suis en âge de progrès, c'est des questions qui m'ont interrogé. Pas que pour la difficulté qu'on peut avoir d'être en France, d'être français issu de l'immigration, mais juste parce que j'ai un héritage tunisien, j'ai mon appartenance française et ma culture française à laquelle j'adhère pleinement et de manière hyper assumée depuis très longtemps, depuis mon adolescence.

  • Speaker #0

    Ma femme est japonaise, ma fille aussi. C'est un pays qui fait partie de ma vie. Lorsque je suis devenu papa, quant à comment ma fille va s'identifier, c'est quelque chose qui est venu assez tôt, au moment où elle est née. Déjà, dès le départ, d'un point de vue état civil par exemple, elle est japonaise et française aujourd'hui. C'est quelque chose dont on a discuté avec mon épouse. Je m'étais dit comment… je pourrais lui transmettre cette notion d'être français, d'identité, comment se sentir à l'aise dans le monde dans lequel on vit, quel que soit le pays, que ce soit au Japon ou en France. Parce que moi, lorsque j'étais plus jeune, quand j'étais en France, je n'étais pas forcément perçu comme étant un Français. C'est pareil, lorsque je suis en Inde, on ne me voit pas comme un Indien, on me voit comme un Indien vivant à l'étranger. et j'avais le sentiment d'être un étranger partout en fait. Ma fille, elle sera certainement dans une situation comme ça, où en plus dans un pays, au Japon, le fait d'être métisse, c'est un challenge en soi. Le mot en japonais pour parler des métisses, c'est hafe qui vient de l'anglais half donc moitié Donc ça en dit long sur la façon de penser, de dire ok, cette personne elle est moitié japonaise seulement, elle n'est pas quelqu'un de métisse.

  • Speaker #1

    Quand on a un héritage qui n'est pas français, il y a beaucoup plus de chances que cette partie de son identité s'érode et disparaisse puisqu'on vit dans le pays. Et donc la culture française elle est quand même dominante chez moi, même avant que je sois avec ma compagne. Donc, avant même d'avoir des enfants, la question s'est posée. Mais c'est vrai qu'elle se pose avec beaucoup plus d'acuité quand tu attends un enfant. Après, évidemment, pendant la grossesse, etc. Après, les vraies questions, c'est plus comment on va gérer un enfant, etc. Donc, ce n'est pas du tout ces questions-là. Je pense que ces questions-là, je les ai en tête, mais plus pour quand ma fille va grandir. Qu'est-ce que je transmets de mon héritage tunisien ? Moi, je n'ai pas vraiment de réponse. C'est vrai que j'aimerais bien transmettre l'arabe. Je trouve que c'est pratique, c'est utile. Et je pense que c'est une vraie richesse d'avoir accès à cette langue qui est bien différente, non seulement dans sa structuration, mais aussi dans son univers symbolique. Donc, moi, je trouve que c'est une richesse. Et évidemment, comme tout parent, j'ai envie de transmettre ce qui me paraît être de la valeur ajoutée. Et moi,

  • Speaker #0

    je me posais la question de dire, OK, comment je vais l'aider à... définir en fait son identité et comment elle va se sentir et c'est quelque chose auquel je suis en train de réfléchir et pour moi la base c'est effectivement que ça passe par l'apprentissage des deux langues, que ce soit le japonais ou le français c'est le point de départ donc ce qu'elle fait déjà et ensuite pour moi ce qui est important dans cette transmission c'est qu'elle comprenne son héritage en entier en plus de l'héritage d'être japonaises et françaises et aussi un héritage de Pondichéry aussi et j'aimerais lui emmener ça. Dans le monde dans lequel on vivra, je pense qu'on aura de plus en plus de diversité et savoir sa filiation, d'où on vient, et je pense que c'est important pour se comprendre et aider à se définir.

  • Speaker #1

    Sur la religion, j'aimerais bien qu'elle sache ce qu'il y a dedans. Je n'ai pas forcément envie de lui transmettre des trucs de pratique. Ce sera ses choix, elle. Moi, je ne mange pas de porc, même si je ne crois plus vraiment en Dieu, parce que j'ai une sorte de blocage. Je sais que c'est un blocage, mais en vrai, je me dis qu'il y a tellement de viande. Déjà, j'aimerais bien ne plus manger de viande. Il y a tellement de viande à manger, je ne vois pas pourquoi je me forcerais à manger du porc. Parce que c'est un... Je suis très attaché à ma liberté aussi, à ma liberté de choisir ce que je veux et ce que je veux pas, notamment dans les caractéristiques culturelles. Clotilde me dit J'aimerais bien que ma fille ne mange pas de porc. Du coup, c'est une vraie question. Elle, dans sa famille, ils en mangent beaucoup. Et à table, là, à Noël, par exemple, chez son père, il y en avait tout le temps. Alors, il sait que moi, j'en mange pas. Mais du coup, c'est une vraie question. Et Clotilde, elle aimerait transmettre aussi ces caractéristiques culturelles qui sont importantes. La gastronomie, c'est important, tu vois. On apprend en marchant, clairement. Franchement, on n'a pas eu de grandes discussions là-dessus. Mais je pense que c'est beaucoup plus lié à la personnalité de Clotilde qu'à la mienne. C'est-à-dire que Clotilde, elle est plutôt fonceuse, beaucoup moins à se poser des questions. Par contre, les questions, elle est obligée de se les poser. Une fois que tu es dans les situations réelles, pour moi, c'était aussi assez clair que je n'avais pas envie de transmettre que mon enfant baigne dans un environnement hyper religieux. Je me souviens qu'on a eu cette discussion avec Clotilde. Elle a dit que pour elle, c'est important de connaître les religions pour le... ce qu'elle représente dans l'histoire de l'humanité, en fait. Moi, j'ai été dans un collège catho, donc j'ai fait du kathachisme, j'ai appris l'islam, etc. Et je trouve que c'est une vraie richesse, même pour comprendre les gens, les cultures, l'histoire, etc. Donc, de ce point de vue, et même pour avoir des repères. Disons que moi, j'ai eu à titre personnel une quête spirituelle à une époque. Du coup, je me suis beaucoup intéressé aux religions. J'ai fait le choix, à un moment donné, que c'était l'islam ma religion. Sauf qu'à un moment donné, ma conviction, c'est que... Dans les religions, la partie dogmatique, il faut faire ci parce que c'est comme ça. Et ça, en fait, moi, c'est définitivement un non. Je n'en veux plus et je ne veux pas transmettre ça. Et donc, je suis pour les sociétés libres, démocratiques, où chacun peut faire ce qu'il veut, en fait. Et ça, avant même de rencontrer ma compagne. Ce que j'aimerais absolument transmettre à ma fille de la France et de la culture française, c'est clairement les grandes idées qu'ils font de la France. et qui font que pour moi, à un moment donné où j'étais dans des grandes questions, il n'y avait pas de doute sur si je devais choisir. Les grandes idées de droits de l'homme, Montesquieu, Montaigne, tous ces grands auteurs qui ont posé des bases fortes de ce qu'est la grandeur de la France, c'est ça que je transmettrais, la littérature et tout. Donc ces grandes idées, elles fondent ce qui fait la noblesse de la culture française. Maintenant, l'État français et l'Empire, c'est un peu plus violent que ça. Pendant qu'on rédigeait les droits de l'homme, On continuait à coloniser, on faisait la guerre à des gens qui se révoltaient, tu vois, que ce soit en Indochine, en Algérie. Moi, ce que j'ai vécu dans mon histoire en France d'origine tunisienne, je vous j'ai fait face. Et je pense qu'après, en tant que parent, moi, ma vision, c'est de donner les meilleurs outils à son enfant. Et puis après, c'est à lui de faire son chemin. Ma fille, elle est en bonne santé. Enfin, je veux dire, il y a un milliard de stigmates possibles et imaginables qui sont potentiellement gênants dans une vie. Bon bah si t'es que arabe ça va tu vois. J'attends pas qu'on me dise t'es français, t'es pas français. Enfin moi je sais que je suis français par mon histoire et parce que j'ai fait mien de la culture française. Et pareil quand je vais en Tunisie en fait j'assume pleinement le fait d'être d'héritage tunisien. Si ma fille me dit moi ça me fait chier j'ai pas assez de temps et je rejette. En fait, ce sera aussi sa construction à elle et son histoire à elle. J'essaierai de faire en sorte qu'elle sache s'adapter, en fait. On l'a appelée Sophia, Marie, son deuxième prénom. Et elle a mon nom à moi, Benmamed, et elle a le nom de sa mère, Legey. Et on s'était dit qu'elle pourrait faire les mélanges qu'elle veut. Marie Legey, ça peut être Marie Benmamed, ça peut être Sophia Benmamed. J'aurais bien aimé pouvoir jouer avec ça, tu vois. J'aurais bien aimé avoir un prénom français. pouvoir jouer tu vois.

  • Speaker #2

    Sophia Marie, Marie-Sophia, quand Nabil parle de donner à sa fille la possibilité de jouer avec ses identités, de choisir et de réagencer, ça m'évoque l'idée des Legos. Construire, démonter, réinventer sans jamais être enfermé. L'héritage devient un matériau vivant que chacun peut façonner à sa manière. Ça me fait penser aux mots du romancier Amine Malouf. elle est belle et libre la vision d'amid malouf mais aussi vertigineuse est-ce que je penserais la même chose si je devenais un jour parent Ou alors, est-ce que je serais tenté d'imposer à mon enfant un mode d'emploi du monde ? Charlie, lui, a déjà tranché. Sa fille, elle ne sera la moitié de rien. Elle sera tout, c'est certain.

  • Speaker #0

    Moi, ce qui me tient à cœur de lui transmettre, c'est, même si ça fait un peu cliché, mais de repartir sur la liberté, égalité, fraternité, et de vraiment lui transmettre le sens, en fait, cette... au fond de ce que ça veut dire quand on est français. Ces trois mots sont très puissants et relèvent aussi du sentiment. Ce que j'aimerais lui transmettre, c'est d'avoir toujours cette liberté de penser. De ne pas se laisser enfermer dans n'importe quelle boîte, parce que de toute façon, en étant métisse, ma fille ne rentrera dans aucune boîte. Ensuite, la notion d'égalité, c'est quelque chose qui est important, c'est surtout dans le contexte dans lequel je vis, le fait d'être métisse au Japon. Et c'est vrai que ça c'est quelque chose, il y a des éléments sur lesquels, par exemple, moi, ça me profondément, je suis en désaccord parfois de ce que je peux voir. Et ça c'est quelque chose aussi que j'aimerais qu'elle comprenne. Pour moi, c'est quelque chose qui vient de ma culture française et que j'aimerais vraiment lui transmettre. La fraternité, je pense que c'est quelque chose qu'on a oublié, certainement. Ça inclut l'acceptation, la différence, la diversité, le fait de faire société, le fait d'être ensemble. Quelles que soient les challenges que l'on a dans la vie, que j'ai ou que ma fille aura, de toujours garder cette notion de vouloir créer, d'avoir ce sens collectif pour contribuer à quelque chose. Donc citoyenne japonaise ou citoyenne française dans le futur pour ma fille.

  • Speaker #2

    La suite dans le prochain épisode. Vous venez d'écouter un podcast de toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site.

Description

Transmettre, c’est donner du sens à ce qui nous précède. Mais dans une France polarisée où l’identité se débat plus qu’elle ne se partage, l’héritage devient un enjeu, parfois un fardeau. À travers son propre parcours et des conversations avec de jeunes pères, fils d’immigrés ou ayant des attaches ailleurs, Walid interroge ce qui se passe entre deux générations. Ce qu’on garde. Ce qu’on refuse. Ce qu’on transforme. Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ?


EP#1/3. Comme Walid, Charly et Nabil sont fils d’immigrés et transfuges de classe. Charly, d’origine indienne et installé au Japon, raconte une identité marquée par un décalage entre l’attachement de ses parents à la France et les discriminations vécues à l’adolescence en banlieue, trouvant ailleurs une forme de réconciliation. Nabil, né à Paris d’une famille tunisienne, navigue entre un héritage culturel et les réalités d’une société française où l’assimilation reste un combat. Tous deux, désormais pères, partagent sur ce qu’ils transmettront à leurs filles.




Crédits : Ruh ad qqimey - Lounis Aït Menguellet


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités, produit par Friction. Bonne écoute. Vous vous souvenez, n'est-ce pas ? Je crois même que ceux qui n'étaient pas encore nés s'en souviennent. C'était le 12 juillet 1998, et ce jour-là, la France avait gagné bien plus qu'une Coupe du monde de football. Elle avait gagné le droit de rêver, de rêver à une nation rassemblée, à un pays réinventé, qui embrasserait du même regard... Tous ces enfants, loin des prophéties de malheur de Jean-Marie Le Pen. Black, blanc, beurre, disait-on. C'est ça l'équipe de France est championne du monde en battant le Brésil. Je crois qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible, mais on peut. Ah c'est superbe, quel pied, ah quel pied ! liesse populaire sur les champs-élysées un peuple se découvrait sous mes yeux effarés je n'avais pas encore tout à fait dix-sept ans j'habitais en banlieue dans l'essonne paris était loin en r e r et dans ma tête surtout je n'étais pas sûr d'y croire mais la fête s'était invitée jusque sous nos fenêtres Que reste-t-il de ce rêve ? Plus de 25 ans après, la France doute, se fracture. L'immigration est devenue un problème, la laïcité un bouclier, et l'identité un casse-tête. C'est toujours la prime à celui qui clashera le plus fort. L'immigration n'est pas une chance pour la France,

  • Speaker #1

    c'est même un fléau.

  • Speaker #0

    Le Pen est mort, c'est vrai, mais il laisse beaucoup d'enfants. L'immigration n'est pas une chance,

  • Speaker #2

    c'est un fardeau.

  • Speaker #0

    Il a imprimé beaucoup d'esprit. jusque dans les discours gouvernementaux j'ai vécu pas mal d'années à l'étranger dont quelques-unes en amérique latine par goût du voyage mais aussi par confort c'est plus facile de se construire quand on n'a pas à sans cesse se justifier de qui on est mais je reviens toujours ici en france Parce que chez soi, c'est d'abord là où se trouve le plus grand nombre de gens qu'on aime. Probablement aussi parce que je n'ai pas, ou pas encore, fondé cette famille qui m'obligerait à m'ancrer ailleurs.

  • Speaker #2

    Oui, bonjour, monsieur Raffedi, c'est la mairie de Brissomar. Je vous appelle concernant le décès de votre papa. On a bien reçu le certificat de décès, l'acte a bien été dressé.

  • Speaker #0

    Il y a quelques mois, j'ai perdu mon père. Nous avions une relation compliquée. Je n'ai pas eu une enfance très heureuse. Mes parents se sont séparés quand j'avais 9 ans. Il avait une vision souvent rétrograde de la masculinité. Ça ne m'a pas aidé.

  • Speaker #2

    Il faut nous rappeler ce qu'il souhaitait, mais en tous les cas, tout est bon, tout est fait. Voilà. Bonne fin de journée. Au revoir.

  • Speaker #0

    Mais avec le temps, depuis que ma vie se passe en partie ailleurs, j'ai mieux compris son histoire. Même la partie qu'il a passée sous silence. J'ai mesuré ses sacrifices, son sens du devoir, sa résilience hors normes. Un homme, ça s'empêche. Ce sont les mots qu'Albert Camus a reçus de son père quand il était dans les tranchées. Peut-être qu'au mieux aurait-il dit la même chose s'il avait su mieux écrire le français. J'ai regretté de ne pas avoir appris sa langue. Quand nous l'avons enterré en Algérie, dans le village kabyle qu'il a vu naître, j'ai ressenti la fierté. Et surtout... Le soulagement d'avoir pu accomplir ses dernières volontés. Mais ses adieux emprunts de religiosité, les hommages à ses aïeux, ça ne racontait pas tout.

  • Speaker #2

    C'est lui qui a entendu sa parole.

  • Speaker #0

    Ça ne racontait pas sa part de France. Mon père a passé 60 ans de sa vie entre Paris et sa proche banlieue. C'était un vrai Parisien qui connaissait par cœur la capitale. Il aimait autant la mélancolie de Matou Blounès que la fougue de Johnny, la simplicité de la semoule au lait caillé que le raffinement des cailles poilées. Mais il n'a jamais voulu prendre la nationalité française. Algérien jusqu'à la fin. Avec lui, une part de mon histoire s'est éteinte. une part de mon univers amputée cette absence m'a poussé à réfléchir qu'est-ce qu'on reçoit vraiment de ceux qui nous précèdent qu'est-ce qu'on choisit de transmettre et demain si avec ma compagne on décidait d'avoir des enfants est-ce que j'aurais envie de les élever en france et d'ailleurs est-ce vraiment possible ou est-ce que je ne ferais que perpétuer le déracinement Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ? Pour tenter d'y voir plus clair, j'ai fait ce que je fais d'habitude. J'en ai parlé à des amis, des proches, de jeunes papas qui ont sauté le pas, des hommes nés dans les années 80 qui comme moi naviguent entre plusieurs mondes, plusieurs héritages. Ensemble, on explore ce que ça signifie de transmettre dans une société qui vacille. Ce qu'on garde, ce qu'on refuse. et ce qu'on transforme. Nos enfants après nous, un podcast de Walid Aja Rachedi, réalisé par Laura Ausha. Épisode 1 Longtemps fils unique, sans cousin ou cousine à proximité, j'ai trouvé dans mes amis, filles comme garçons, cette fratrie qui me manquait. Parmi ses frères d'une autre mère, Charlie occupe une place particulière.

  • Speaker #2

    Je m'appelle Charlie.

  • Speaker #0

    C'est mon plus vieux pote. On s'est connus au lycée.

  • Speaker #2

    J'ai 42 ans, bientôt 43.

  • Speaker #0

    On habitait dans le même quartier en Essonne.

  • Speaker #2

    Et j'habite à Osaka au Japon. Je suis donc français de Pondichéry. C'est le sud de l'Inde.

  • Speaker #0

    Je lui dois une belle partie de ma culture musicale, rap et R&B des années 90-2000. Sa passion pour le football sud-américain et ses maillots flamboyants a sans doute nourri mon envie de vivre en Amérique latine. Les week-ends, on allait à Paris, comme on marcherait sur la lune. Un territoire si proche qu'on pouvait le toucher, mais qui restait étranger à nos yeux. Entre Evry-Courcouronne et Gare de Lyon, on passait des heures à refaire le monde. avant d'aller acheter des mangas à République ou des baskets à Clignancourt. Charlie a été la première personne à qui j'ai confié cette ambition secrète et improbable pour un banlieusard. Devenir romancier. Et il m'a toujours encouragé. Après le lycée, nos parcours ont suivi les mêmes lignes. Petit boulot d'été, fac, puis école de commerce pour décrocher un bac plus 5 rassurant. Et premier pas dans de grosses boîtes. C'est dans cette période au début de la vingtaine qu'une autre amitié fondatrice s'est nouée.

  • Speaker #1

    Nabil, j'ai 43 ans depuis hier.

  • Speaker #0

    Avec Nabil, l'histoire était différente. Lui aussi venait d'un milieu modeste, mais il avait toujours vécu à Paris.

  • Speaker #1

    Je suis né, j'ai grandi à Paris. Je suis d'origine tunisienne. Je suis souvent le plus parisien de tout le monde en vrai, même si ça ne se voit pas forcément.

  • Speaker #0

    En école de commerce, il semblait totalement à l'aise dans cet univers. Ça m'intriguait un peu. Mais c'est en alternance à la défense que notre amitié a vraiment pris racine. J'ai découvert son goût pour la philo, la littérature et la politique. Il avait aussi fait du cinéma. Ça détonnait. Mais c'était aussi ce qui le rendait intéressant. En 2005, Entre les émeutes à Clichy-sous-Bois, la situation géopolitique post-11 septembre et les débats sur la diversité en entreprise, les sujets brûlants à la pause café ne manquaient pas. Dans la vingtaine, fils d'immigrés et transfuge de classe comme moi, Charlie et Nabil m'ont offert deux variations dans ma miroir. Chacun reflétait à sa manière mes propres interrogations. Qui nous étions, ce qui nous était légué et ce que nous aspirions à devenir.

  • Speaker #2

    Je suis donc français de Pondichéry. L'histoire de la famille est liée à l'histoire de la France, en tout cas en Inde. Mes parents sont nés à Pondichéry. Eux-mêmes issus de parents qui sont français, eux-mêmes nés à Pondichéry. Et je suis donc la quatrième génération de français dans ma famille. Mes grands-pères ont tous les deux travaillé pour l'administration française. Ils étaient gendarmes et un autre était militaire. C'est toute une génération de pondichériens qui ont opté pour la nationalité française. Et ce qui explique pourquoi, au bout d'un moment, quand dans les années 70, la France avait besoin de personnes, d'oeuvres, l'opportunité est venue pour mon père et toute une génération de ses amis de bouger en France et de faire leur vie en France. C'est ce qui fait partie de mon histoire et pourquoi on est français dans ma famille.

  • Speaker #1

    Mon père est arrivé en France, il avait 17 ans, 18 ans par là. Il est arrivé en 70 ou 71, il avait 16-17 ans. Il y avait beaucoup de départs parce que je pense que suite à l'indépendance de la Tunisie, il y a eu une sorte de période de désillusion. Et ça représentait une forme d'Eldorado. Et les conditions administratives de séjour, d'obtention de papiers et tout étaient relativement simples encore. Ça commençait à se durcir, je crois, avec Pompidou. Mais voilà, mon père est arrivé, je crois, assez facilement. Il avait le copain de son père qui avait une épicerie à Bordeaux. Je crois qu'il s'est assez vite retrouvé à Bordeaux. Et puis, il est monté à Paris. Il a fait des petits jobs. Entre-temps, il a eu un enfant avec une femme française de souche, donc mon grand-frère. Et ensuite, il s'est dit, je vais au bled me marier avec une Tunisienne. Et donc, il a épousé ma mère, qui arrivait deux mois après son mariage en France. Et moi, je suis né quelques mois après. Mes parents viennent de Djerba, donc c'est une île au sud de la Tunisie. Il y a une identité forte, un peu comme en Corse. Souvent, les gens se demandent de Corse avant d'être français. Et donc, il y avait ce truc de, t'es djerbien, mais t'es aussi français. C'est-à-dire qu'on nous le disait, de toute façon, administrativement, vous êtes français. On peut être les deux.

  • Speaker #2

    Mon père est arrivé en 1974 exactement. Ça faisait vraiment partie d'un programme proposé à des Français qui étaient basés à l'étranger, principalement dans des ex-territoires ou colonies françaises, de construire une nouvelle vie en France tout en ayant un programme d'assimilation, d'exposition à la culture française. Il est arrivé avec quelques-uns de ses amis et ensuite il a été envoyé dans une famille française, dans la Nièvre, vers Nevers. Donc il a fait les vendanges, il a appris la culture française, la gastronomie à la française, comment vit une famille française, l'art de vivre on va dire. Et en fait c'était le début du commencement et ensuite il a fait un certain nombre d'étapes dans ce programme d'acclimatation, je ne sais pas si je peux dire ça. En tout cas de... connaissance de la culture française qui l'a emmené ensuite à prendre un travail dans notre entreprise ferroviaire nationale SNCF. Mon père, c'est quelqu'un de curieux, un aventurier, même si mes parents ont appris le français quand ils étaient à Pondichéry, c'était certainement la première fois pour lui d'aller à l'étranger, et puis d'y aller un peu pour de bon, parce que c'était un peu l'objectif. je pense qu'il était prudent, il était certainement méchant de ce qu'il m'avait raconté, mais il était aussi très curieux de comprendre comment les choses fonctionnent en France. Quand il me racontait ses histoires, il a toujours, comme un brin de nostalgie, il appréciait ses moments, en fait. Je pense que ça a été des moments fondateurs dans sa définition de qu'est-ce que la France et qu'est-ce que ça représente d'être français. C'est vrai qu'il a été quelque part déraciné, mais c'était volontaire, parce qu'il a été volontaire pour rejoindre ce programme. Je pense que ça a été un moment fondateur pour lui. C'est assez intéressant, parce qu'à chaque fois que j'en parle, les gens sont étonnés, ils disent Ah bon, il y avait des Français en Inde ? Oui, il y avait des Français. Malgré l'histoire qu'on nous enseigne, etc., il y a une forme d'oubli du passé de la France, et de tout cet héritage, quelquefois ça peut être un héritage qui peut être douloureux. La seule chose dont les gens se souviennent, c'est souvent les annales du baccalauréat, où ils voient le sujet présenté au lycée de Pondichéry en telle année. Ils disent Ah, Pondichéry, je connais ! C'est un petit blague un peu marrante. Mais effectivement, il y a une histoire, et moi je suis aussi fier d'être un Français de Pondichéry. Je sais d'où je viens, et je sais que j'ai une histoire qui est un peu différente, je ne sais pas, d'un Français de Paris ou d'un Français de... de Lille ou d'un Français de Marseille par exemple. Pourquoi je dis Français de Pondichéry ? C'est parce que l'assimilation, c'est quelque chose qui est fort dans un sens, mais de l'autre côté aussi, on n'oublie pas qui on est, on n'oublie pas d'où on vient. Et quand j'ai cherché à définir un peu mon identité, moi je me suis toujours accroché à quelle est mon histoire, pourquoi je suis là, pourquoi je suis français et pourquoi je dois m'en justifier en fait. On a tous des histoires différentes, mais je ne veux pas perdre en fait ce lien-là parce que c'est en moi et ça fait partie de moi et c'est même visible, parce que je ressemble à un Indien.

  • Speaker #1

    La France a quand même été un pays... depuis la révolution française, très centralisée, autour de Paris. On a aussi progressivement quasiment éradiqué les cultures bretonnes, du sud-ouest. L'histoire française, c'est aussi ça. C'est-à-dire que c'est une espèce de rouleau compresseur qui veut faire des petits français partout, en fait.

  • Speaker #0

    Dans leur voix, il y a des hésitations qui en disent long. Des mots qu'on manipule avec précaution, comme s'ils pouvaient vous exploser à la figure. Oui ! Ça demande du courage de se livrer. Parce que quand on est un garçon, la première chose qu'on nous apprend, c'est de garder nos sentiments pour nous. Surtout quand on a grandi dans un quartier populaire. Parce que dans nos familles immigrées, nos pères ont souvent raconté leurs histoires du bout des lèvres. Ils ont souvent tué ce qu'il y avait de plus douloureux. C'est ce que je me dis en imaginant le père de Charlie lui raconter les vendanges et la découverte d'un pays qu'il ne connaissait qu'en théorie. Ça me ramène à la fois où j'ai demandé au mien. Papa, c'était comment Paris dans les années 60 ? À une époque où il n'était pas facile d'être algérien ici. J'attendais des récits houleux, de la frustration, du ressentiment, peut-être d'entendre la mienne en miroir qui sait. Mais il y a eu de la lumière dans ses yeux. Il m'a dit qu'il y avait de la musique dans les rues en ces temps-là. Il a évoqué un concert de Johnny, un grand concert. J'étais surpris. Mon père parlait si peu et encore moins de ce qui l'avait rendu heureux. Plus tard, quand il m'a raconté les circonstances plus difficiles, comment la France s'est imposée à lui et chez lui, j'ai compris. Il protégeait un souvenir, une certaine idée de sa jeunesse, de ses 20 ans. Et j'ai compris qu'il me protégeait aussi. Et maintenant, moi aussi je fais pareil dans un sens. Ex-fan des 90's, nostalgique de Paris et de sa banlieue d'alors, métisse mais pas martyr, comme disait la chanson, je choisis ce que je raconte. Raconter, c'est choisir. Mais c'est encore Nabil qui en parle le mieux.

  • Speaker #1

    À Paris, entre amoureuses, je n'étais pas du tout dans une culture de ghetto ou quoi que ce soit. Mes premiers copains, il y en a un qui s'appelait Jérémy, son père était prof à la fac, c'est toujours un copain. Et sa mère était directrice de l'école maternelle où on était. Il y a un autre copain qui s'appelle Tupac. qui était moitié mexicain, moitié français, deux souches, entre guillemets, je ne sais pas comment le dire autrement. Et donc, c'était mes deux meilleurs copains chez qui j'allais dormir et tout. Et donc, il n'y avait pas du tout ce qu'on peut connaître chez des gens qui sont issus de l'immigration, c'est-à-dire des gens qui grandissent dans des quartiers qui sont un peu fermés. Donc, oui, je me suis senti français. Et je l'ai encore aujourd'hui, j'ai toujours en moi ce truc de, bah ouais, on peut être joueur de foot, joueur de basket et joueur d'échecs en même temps, même si effectivement, derrière la question de l'appartenance, il y a un truc plus profond. En plus, je parle arabe, je parle tunisien, j'y vais souvent. L'arabe, on le parlait à la maison. Ma mère m'a raconté qu'enfant à la maternelle, on ne parlait pas très bien français, on lui a fait la remarque en lui disant... Attention, il faut leur parler français, etc. J'ai bien perçu à certains moments de ma vie que l'arabe n'était pas un truc hyper valorisé. Moi, au début de l'adolescence, j'ai eu envie de m'approprier ça. Donc j'ai fait de l'arabe. Alors d'abord, mes parents m'avaient inscrit à des cours d'arabe enfant. Et ensuite, je me suis même inscrit au lycée. Je le faisais en LV3. C'était Henri IV en plus, parce que mon lycée ne faisait pas d'arabe. Et à Paris, dans les lycées intramuros, c'était Henri IV, Louis le Grand. Voilà, donc je faisais de l'arabe là-bas. Moi, j'étais dans un collège privé, on était dans le 20ème, le collège avait un peu mauvaise réputation, mes parents divorçaient à ce moment-là, et mon père s'est donné bonne conscience en me disant je vais payer une école, ce sera bien Après mon collège privé, j'étais dans un bon lycée public du 20ème, qui avait des résultats à 98-99% au bac, mais c'était ambiance culture un peu bobo. C'est-à-dire qu'il y avait cette espèce de mixité qu'on peut trouver dans le XXe. Donc moi, je fanfaronnais pas mal en classe et j'étais plutôt bien reconnu, plein de copains et tout. Puis il y avait aussi cette culture de gauche, des parents, même j'avais des copains journalistes, des journalistes connus, des gens comme ça. Il y avait cette culture un peu hybride. Nous, dans les années 80, alors bon, moi c'était à Paris, c'était différent, mais même j'ai des cousins qui ont grandi dans des cités, des cousins, enfin dans des cités de région parisienne, parmi les plus craignos. Même dans ces endroits-là, il y avait une diversité et les gens ne se considéraient pas juste comme marocains, algériens, tunisiens, sénégalais, machin. Et je pense que, en fait, le rejet des uns nourrit celui des autres et qu'à un moment donné, il y a un... Est-ce que ça vaut le coup de jouer le jeu ?

  • Speaker #2

    Lorsque j'étais adolescent, je me sentais français, même si, de par le contexte et certaines expériences que j'avais déjà eues quand j'avais 15 ou 16 ans, j'avais déjà fait face à certaines situations de rejet. Je me souviens que ça a aussi coïncidé avec une période de ma vie où j'écoutais beaucoup de la musique noire américaine, du hip-hop, surtout les années 80-90 avec des messages assez forts, avec un autre modèle de société, du communautarisme, etc. Il y avait une forme d'identification quelque part à travers cette musique-là que j'écoutais qui conditionnait un peu tout ce package. C'est certainement pour ces raisons-là, par exemple, que certainement à la Coupe du Monde 98, je n'étais pas en train de me dire je vais porter le maillot de l'équipe de France j'avais envie de porter le maillot de l'équipe de Brésil. Du coup, j'avais toujours ce sentiment torturé avec le fait d'avoir à la maison mes parents qui étaient très fiers d'être français et de l'autre côté, moi, de vivre des situations un peu discriminantes en fait.

  • Speaker #1

    Quand je suis arrivé en classe préparatoire, c'est la première fois que j'ai senti un truc de l'ordre d'un regard porté en fonction de la classe sociale ou de l'origine. Je suis allé en classe prépa à Carnot dans le 17ème, qui était une des meilleures classes prépa publiques à l'époque, en prépa HEC en tout cas. Et là, c'est tout de suite les gens qui se définissaient par rapport à l'argent, à leur classe sociale, et je me suis pris une énorme claque de ce point de vue-là. Tu pouvais moins briller parce que t'étais rigolo. Il y avait une Marocaine et une Tunisienne en classe prépa. La Tunisienne s'appelait Bourguiba comme l'ancien président. Elle venait de la famille du président. Et la Marocaine, pareil, classe sociale hyper élevée. Elle habitait dans un énorme à part dans le 16e, alors qu'elle n'avait que 17 ans. J'ai eu des questions parfois, type, mais tes deux parents sont Tunisiens ? Ah ouais, OK. Et j'ai eu une fois un mec qui m'a dit, avant toi, je n'avais jamais parlé en maghrébin. Je me souviens d'une fois, c'était marrant parce que c'était hyper frontal. Quelqu'un, un chauffeur de taxi, j'étais en costume, je prenais le train pour un déplacement pro, qui me demande ce que je fais, qui s'intéresse et qui est un peu impressionné parce que c'est un monde qu'il ne connaît pas, le conseil, la finance, etc. Et il me dit, mais c'est quand que vous allez rentrer chez vous en fait ? Vous avez réussi, vous avez des diplômes, maintenant allez dans votre pays. Pour participer à son développement, à sa croissance, je pense que c'est ce qu'il avait en tête. Et en fait, il a fallu que j'explique qu'étant né en France, ayant toute ma vie sociale, etc. ici, et oui, ça m'avait un peu travaillé, je m'étais dit Ah ouais, on en est là, en fait

  • Speaker #2

    Lorsque j'ai commencé à faire mes études supérieures, que j'étais en contact avec d'autres personnes, parfois issues de l'immigration, mais qui venaient d'autres endroits, ça m'a tout de suite donné une... une autre vision en fait de qu'est-ce que ça veut dire être français. En fait, ce n'est pas que négatif comme j'ai pu l'entendre beaucoup dans les générations de personnes qui étaient autour de moi à ce moment précis-là. Je pense que mon rapport a vraiment commencé à évoluer lorsque j'ai commencé à rentrer dans le monde du travail. Effectivement, un changement de niveau social, puis un changement... d'environnement lorsque j'ai acheté un appartement, j'ai habité dans une autre ville et un autre type d'espace etc. Le pas le plus profond quelque part c'est quand je suis allé vivre à l'étranger en fait. Ça m'a permis de réaliser que oui je suis profondément français. Alors ma façon d'être, ma façon de penser, ma façon d'interagir par mon accent lorsqu'on est à l'étranger. il n'y a plus de il est de telle couleur, c'est de telle couleur de peau etc. J'ai jamais ressenti ça en fait et ça m'a réconcilié encore plus avec le fait d'être français parce que comme je te disais j'avais ce rapport très torturé et au final aujourd'hui je suis assez plutôt fier et je raconte avec plaisir l'histoire et mon parcours par rapport à ça. Certainement que le Charlie de 98 serait surpris d'entendre le Charlie de 2024, très certainement.

  • Speaker #0

    Et le Wallid de 98, il en penserait quoi ? Peut-être qu'il le taquinerait ce Charlie, plus posé, réconcilié. Mais au fond, il serait admiratif surtout. Parce qu'il est resté fidèle à lui-même, toujours entre plusieurs mondes, toujours entier. Et qu'être en paix avec ses contradictions, c'est un truc immense. Il se dirait que finalement, ce Charlie-là, il est exactement là où il doit être. Et il se réjouirait qu'on soit encore amis, malgré la distance, malgré les années.

  • Speaker #2

    Moi, ça fait déjà quasiment dix ans que je ne vis plus en France. Quand on est dans un autre pays, on n'a plus cette charge, effectivement. On n'a plus ce sentiment d'être constamment jugé, ou ce sentiment de est-ce que je suis traité ou est-ce que je suis considéré de façon juste ? Est-ce que j'ai les mêmes chances que d'autres personnes ? En fait, cet élément-là, il disparaît. Aujourd'hui, par exemple, je suis au Japon. depuis un peu plus de 5 ans maintenant, quand je dis que je suis français, il n'y a personne qui me demande Ah oui, mais en fait, tu viens d'où ? Et ça, ça m'est arrivé souvent en France. C'est une question qui n'existe pas, par exemple, ici. On ne se sent pas jugé, en fait. Et on se sent dans un environnement où on est beaucoup plus à l'aise.

  • Speaker #1

    Clairement, je pense que mes choix de carrière ont été influencés par qui je suis. À la période de ma carrière où je suis, je vois d'autant plus... avec d'autant plus de force, le fameux plafond de verre dont j'entendais parler, c'est difficile d'adopter, de coopter des gens qui suivent la diversité. Tu peux avoir des gens hyper bien intentionnés et qui voudraient, sauf que quelqu'un de, entre guillemets, je ne sais pas, j'utilise les expressions que je peux, mais de la diversité qui va diriger un départ, ça veut dire qu'il faut que les équipes l'acceptent, il faut que les parties prenantes. l'accepte. Quand on est une femme, je pense que c'est quelque chose qu'on comprend relativement facilement. Moi, je sais que j'en parle avec ma femme. Et je lui dis, imagine, il y a des secteurs où tu mets une nana pour diriger des hommes, etc. Les comportements changent. Dans l'écosystème humain, il y a beaucoup de choses à faire accepter. Dans certains milieux, pas tous, c'est la même chose. Si tu mets un arabe, un noir, un chinois... Donc, moi, ce plafond de verre, clairement, je le vois. Et limite, je pense qu'il se durcit. Aujourd'hui, je réfléchis à partir de la France. Pas forcément pour ces raisons, c'est juste que j'ai fait quasiment 40 ans à Paris. Même si j'ai bougé et tout, je me verrais bien vivre ailleurs. Donc ouais, je comprends qu'à un moment donné, quand ta vie professionnelle n'avance plus ou pas pour des paramètres sur lesquels tu n'as pas de prise, tu vas chercher ton bonheur là où il est. Après ouais, je trouve que c'est dommage.

  • Speaker #2

    Est-ce que tous ces débats et tous ces sujets assez lourds sur lesquels j'ai l'impression qu'on fait un peu du sur place, voire parfois du retour en arrière, ça donne envie de revenir ? Pas forcément, pour être honnête. Ce que je me vois vivre avec mon épouse et ma fille en France, dans un contexte comme ça, c'est pas attirant. les débats et puis après à la réalité de la vie. Moi, j'ai ma famille en région parisienne. Ils sont très heureux. Ils ont leur père, ils ont leur façon, leur art de vivre, notre culture de famille. Et oui, ça, être plus proche de ça, je serais, je pense, ravi de l'être, notamment pour ma fille. Mon épouse, elle serait partante. Je sais que certainement que ça arrivera. Elle a un rapport à la France, évidemment, tous ces sujets de... de société, tous ces débats autour d'identité. Ce n'est pas forcément quelque chose qui est retranscrit, par exemple, dans les médias en japonais. Après, je sais qu'elle a un fort attrait pour la culture française, donc ça fait partie des questions et des discussions qu'on a de temps en temps avec mon épouse.

  • Speaker #0

    Et c'est vrai que la place de la femme, par exemple, dans la société japonaise, c'est quand même très différent. C'est formaté, les gens sont formatés pour penser d'une certaine façon ici. La diversité, même si c'est des sujets dont on parle en entreprise, par exemple, ce n'est pas forcément visible et c'est bien ancré en fait. Et c'est quelque chose qui pour elle est définitivement un attrait, puisqu'il s'agit d'imaginer une potentielle vie en France, entre une fois par an en France au maximum. Mon ressenti par rapport à l'ambiance actuelle, ou en tout cas les débats de société en France, je ne le ressens pas, disons, comme... comme un poids, mais par contre j'ai beaucoup d'intérêt pour le sujet. C'est comme si en France on n'acceptait pas en fait une partie de l'histoire de la France lorsqu'on commence à avoir ces débats sur la différence, la diversité. Il n'y a pas cette acceptation que oui, il y a des Français qui ne ressemblent pas à des Blancs. Il y a des évolutions et on le voit par exemple à travers la télé, à travers les pubs, etc. Mais il y a quand même ces sujets de débat dans la société où il y a quelque chose derrière, où il y a une forme de malaise et j'ai l'impression que la société, en tout cas entre il y a dix ans, quand je suis parti et maintenant, n'a pas forcément eu de progrès significatif. Je pensais effectivement que... que c'est un peu le sens de l'histoire, que quelque part les choses allaient devenir de plus en plus ouvertes, d'aller au-delà même de tolérance, d'un vivre ensemble qui serait évident en fait. On trouve un peu l'échiquier politique national avec une droite, une extrême droite qui est de plus en plus forte et affirmée. Je n'aurais jamais imaginé ça pour être honnête.

  • Speaker #1

    Une société, c'est une pyramide. Et effectivement, il y a de fait une lutte des places. Et du coup, dès qu'on peut trouver de quoi éjecter quelqu'un pour que la compétition soit moins rude, on le fait. Il n'y a même pas à dire que les gens sont cons parce qu'ils sont racistes. Ce n'est même pas ça. C'est qu'il y a un tel bruit de fond qu'à un moment donné, ce bruit de fond autour de l'islam, l'immigration, etc., évidemment, il est chiant, insupportable presque. Il y a une époque où, ouais, il était pesant. Et comme si... Mais en fait, j'ai résolu la question en me disant mais en fait, tout ça ne me regarde pas tant que ça, finalement. C'est-à-dire que je pense qu'il y a des personnes et des groupes qui ont intérêt à entretenir ce bruit de fond. Moi, c'est leur obsession. Mais c'est leur problème, en fait. J'ai arrêté de regarder la télé il y a plusieurs années. Je n'entends plus tant que ça. Et ouais, dans ma vie quotidienne, je suis assez protégé de... Enfin, je trouve que dans les relations que j'ai dans ma vie, ce bruit de fond, en fait, quand tu coupes la source, il n'est pas si perturbant que ça. Si tu pars du principe que ces bruits de fond, ces défauts qui font chier tout le monde et que tu arrêtes de les écouter, leur discours, il a moins de prise. Pour moi, le fait de ne pas s'emmerder avec ça, c'est une forme de lâcher prise. Malheureusement, même si je ne les regarde pas, il m'arrive sur les réseaux sociaux, sur YouTube, de voir des chaînes comme BFM TV. On a l'impression que c'est vraiment leur sujet de prédilection. Et c'est même rationnellement difficile à comprendre. On se dit, mais est-ce que le problème de la France, c'est ça ? Évidemment que non. Bien sûr que se mettre, enfin lâcher prise pour vivre un peu dans sa bulle, parce que c'est trop douloureux de rentrer même ne serait-ce que dans le débat, enfin je veux dire, à un moment donné, même discuter de ces sujets-là, moi je trouve ça insupportable.

  • Speaker #0

    La religion musulmane est une religion qui a été sur le sol de France par une immigration massive.

  • Speaker #2

    Elle a tendé le visage de notre pays. Ce bruit de fond, dont parle Nabil, je le connais trop bien. C'est comme une torture à la chinoise, cette goutte d'eau qui tombe toujours au même endroit. Une petite chose répétée sans fin, qui finit par t'user, par te rendre fou. Ces petites phrases, ces regards, ces silences qui s'accumulent. Ça te suit, même quand tu fais tout pour l'ignorer. C'est un bruit qui te détourne de toi-même, qui te vole ton énergie. Je les connais bien, ces mots de l'écrivaine afro-américaine Toni Morrison. Et pourtant, j'ai toujours du mal à le couper, ce bruit de fond. La goutte froide insiste sur mon front. C'est sans doute pour ça que comme Charlie, j'ai choisi d'habiter ailleurs pendant plusieurs années et que je pars à la première occasion venue. CDG, Terminal 2F, on se connaît. Loin, là où ce bruit devient presque imperceptible. Partir, c'est trouver une respiration. Mais même à l'autre bout du monde, surtout à l'autre bout du monde, ce bruit ne disparaît jamais vraiment. Il change de forme, il s'atténue, mais il reste là. je retrouve cette goutte qui perle sur mes pages mes rêveries j'observe comment elle prend forme ailleurs en écoutant charlie parler de sérénité et nabille de lâcher prise je me demande est-ce que moi aussi j'ai appris à baisser le volume est-ce qu'en france un jour on arrivera à le faire taire ce bruit

  • Speaker #1

    Moi je trouve que globalement en réalité ça se passe bien si on fait abstraction des extrêmes qui montent des discours parce que c'est intéressant de diviser etc. En vérité ça se passe plutôt bien. Moi je pense qu'à un moment donné juste on ne sait rien de monter le truc en épingle. On est ferme sur ce qu'on veut en France et on interdit ce qu'on doit interdire, ce qu'on peut interdire parce qu'on veut protéger un modèle de laïcité. Et puis on applique et puis fin de l'histoire. Je pense que la simulation elle est... tellement en marche qu'à la limite, c'est même ça qui fait peur à des extrêmes. Moi, je suis en couple, je suis paxé avec Clotilde, qui est un arbre généalogique de souche, pour le coup, aussi loin qu'on puisse remonter. Je crois qu'elle a un arrière-grand-parent allemand. Et ma fille a 18 mois. On ne s'est pas trop posé de questions. Je crois qu'elle voyait plutôt d'un bon oeil le mélange des cultures. En revanche, moi, oui, cette question, depuis que j'ai 20 ans, peut-être depuis que je suis en âge de progrès, c'est des questions qui m'ont interrogé. Pas que pour la difficulté qu'on peut avoir d'être en France, d'être français issu de l'immigration, mais juste parce que j'ai un héritage tunisien, j'ai mon appartenance française et ma culture française à laquelle j'adhère pleinement et de manière hyper assumée depuis très longtemps, depuis mon adolescence.

  • Speaker #0

    Ma femme est japonaise, ma fille aussi. C'est un pays qui fait partie de ma vie. Lorsque je suis devenu papa, quant à comment ma fille va s'identifier, c'est quelque chose qui est venu assez tôt, au moment où elle est née. Déjà, dès le départ, d'un point de vue état civil par exemple, elle est japonaise et française aujourd'hui. C'est quelque chose dont on a discuté avec mon épouse. Je m'étais dit comment… je pourrais lui transmettre cette notion d'être français, d'identité, comment se sentir à l'aise dans le monde dans lequel on vit, quel que soit le pays, que ce soit au Japon ou en France. Parce que moi, lorsque j'étais plus jeune, quand j'étais en France, je n'étais pas forcément perçu comme étant un Français. C'est pareil, lorsque je suis en Inde, on ne me voit pas comme un Indien, on me voit comme un Indien vivant à l'étranger. et j'avais le sentiment d'être un étranger partout en fait. Ma fille, elle sera certainement dans une situation comme ça, où en plus dans un pays, au Japon, le fait d'être métisse, c'est un challenge en soi. Le mot en japonais pour parler des métisses, c'est hafe qui vient de l'anglais half donc moitié Donc ça en dit long sur la façon de penser, de dire ok, cette personne elle est moitié japonaise seulement, elle n'est pas quelqu'un de métisse.

  • Speaker #1

    Quand on a un héritage qui n'est pas français, il y a beaucoup plus de chances que cette partie de son identité s'érode et disparaisse puisqu'on vit dans le pays. Et donc la culture française elle est quand même dominante chez moi, même avant que je sois avec ma compagne. Donc, avant même d'avoir des enfants, la question s'est posée. Mais c'est vrai qu'elle se pose avec beaucoup plus d'acuité quand tu attends un enfant. Après, évidemment, pendant la grossesse, etc. Après, les vraies questions, c'est plus comment on va gérer un enfant, etc. Donc, ce n'est pas du tout ces questions-là. Je pense que ces questions-là, je les ai en tête, mais plus pour quand ma fille va grandir. Qu'est-ce que je transmets de mon héritage tunisien ? Moi, je n'ai pas vraiment de réponse. C'est vrai que j'aimerais bien transmettre l'arabe. Je trouve que c'est pratique, c'est utile. Et je pense que c'est une vraie richesse d'avoir accès à cette langue qui est bien différente, non seulement dans sa structuration, mais aussi dans son univers symbolique. Donc, moi, je trouve que c'est une richesse. Et évidemment, comme tout parent, j'ai envie de transmettre ce qui me paraît être de la valeur ajoutée. Et moi,

  • Speaker #0

    je me posais la question de dire, OK, comment je vais l'aider à... définir en fait son identité et comment elle va se sentir et c'est quelque chose auquel je suis en train de réfléchir et pour moi la base c'est effectivement que ça passe par l'apprentissage des deux langues, que ce soit le japonais ou le français c'est le point de départ donc ce qu'elle fait déjà et ensuite pour moi ce qui est important dans cette transmission c'est qu'elle comprenne son héritage en entier en plus de l'héritage d'être japonaises et françaises et aussi un héritage de Pondichéry aussi et j'aimerais lui emmener ça. Dans le monde dans lequel on vivra, je pense qu'on aura de plus en plus de diversité et savoir sa filiation, d'où on vient, et je pense que c'est important pour se comprendre et aider à se définir.

  • Speaker #1

    Sur la religion, j'aimerais bien qu'elle sache ce qu'il y a dedans. Je n'ai pas forcément envie de lui transmettre des trucs de pratique. Ce sera ses choix, elle. Moi, je ne mange pas de porc, même si je ne crois plus vraiment en Dieu, parce que j'ai une sorte de blocage. Je sais que c'est un blocage, mais en vrai, je me dis qu'il y a tellement de viande. Déjà, j'aimerais bien ne plus manger de viande. Il y a tellement de viande à manger, je ne vois pas pourquoi je me forcerais à manger du porc. Parce que c'est un... Je suis très attaché à ma liberté aussi, à ma liberté de choisir ce que je veux et ce que je veux pas, notamment dans les caractéristiques culturelles. Clotilde me dit J'aimerais bien que ma fille ne mange pas de porc. Du coup, c'est une vraie question. Elle, dans sa famille, ils en mangent beaucoup. Et à table, là, à Noël, par exemple, chez son père, il y en avait tout le temps. Alors, il sait que moi, j'en mange pas. Mais du coup, c'est une vraie question. Et Clotilde, elle aimerait transmettre aussi ces caractéristiques culturelles qui sont importantes. La gastronomie, c'est important, tu vois. On apprend en marchant, clairement. Franchement, on n'a pas eu de grandes discussions là-dessus. Mais je pense que c'est beaucoup plus lié à la personnalité de Clotilde qu'à la mienne. C'est-à-dire que Clotilde, elle est plutôt fonceuse, beaucoup moins à se poser des questions. Par contre, les questions, elle est obligée de se les poser. Une fois que tu es dans les situations réelles, pour moi, c'était aussi assez clair que je n'avais pas envie de transmettre que mon enfant baigne dans un environnement hyper religieux. Je me souviens qu'on a eu cette discussion avec Clotilde. Elle a dit que pour elle, c'est important de connaître les religions pour le... ce qu'elle représente dans l'histoire de l'humanité, en fait. Moi, j'ai été dans un collège catho, donc j'ai fait du kathachisme, j'ai appris l'islam, etc. Et je trouve que c'est une vraie richesse, même pour comprendre les gens, les cultures, l'histoire, etc. Donc, de ce point de vue, et même pour avoir des repères. Disons que moi, j'ai eu à titre personnel une quête spirituelle à une époque. Du coup, je me suis beaucoup intéressé aux religions. J'ai fait le choix, à un moment donné, que c'était l'islam ma religion. Sauf qu'à un moment donné, ma conviction, c'est que... Dans les religions, la partie dogmatique, il faut faire ci parce que c'est comme ça. Et ça, en fait, moi, c'est définitivement un non. Je n'en veux plus et je ne veux pas transmettre ça. Et donc, je suis pour les sociétés libres, démocratiques, où chacun peut faire ce qu'il veut, en fait. Et ça, avant même de rencontrer ma compagne. Ce que j'aimerais absolument transmettre à ma fille de la France et de la culture française, c'est clairement les grandes idées qu'ils font de la France. et qui font que pour moi, à un moment donné où j'étais dans des grandes questions, il n'y avait pas de doute sur si je devais choisir. Les grandes idées de droits de l'homme, Montesquieu, Montaigne, tous ces grands auteurs qui ont posé des bases fortes de ce qu'est la grandeur de la France, c'est ça que je transmettrais, la littérature et tout. Donc ces grandes idées, elles fondent ce qui fait la noblesse de la culture française. Maintenant, l'État français et l'Empire, c'est un peu plus violent que ça. Pendant qu'on rédigeait les droits de l'homme, On continuait à coloniser, on faisait la guerre à des gens qui se révoltaient, tu vois, que ce soit en Indochine, en Algérie. Moi, ce que j'ai vécu dans mon histoire en France d'origine tunisienne, je vous j'ai fait face. Et je pense qu'après, en tant que parent, moi, ma vision, c'est de donner les meilleurs outils à son enfant. Et puis après, c'est à lui de faire son chemin. Ma fille, elle est en bonne santé. Enfin, je veux dire, il y a un milliard de stigmates possibles et imaginables qui sont potentiellement gênants dans une vie. Bon bah si t'es que arabe ça va tu vois. J'attends pas qu'on me dise t'es français, t'es pas français. Enfin moi je sais que je suis français par mon histoire et parce que j'ai fait mien de la culture française. Et pareil quand je vais en Tunisie en fait j'assume pleinement le fait d'être d'héritage tunisien. Si ma fille me dit moi ça me fait chier j'ai pas assez de temps et je rejette. En fait, ce sera aussi sa construction à elle et son histoire à elle. J'essaierai de faire en sorte qu'elle sache s'adapter, en fait. On l'a appelée Sophia, Marie, son deuxième prénom. Et elle a mon nom à moi, Benmamed, et elle a le nom de sa mère, Legey. Et on s'était dit qu'elle pourrait faire les mélanges qu'elle veut. Marie Legey, ça peut être Marie Benmamed, ça peut être Sophia Benmamed. J'aurais bien aimé pouvoir jouer avec ça, tu vois. J'aurais bien aimé avoir un prénom français. pouvoir jouer tu vois.

  • Speaker #2

    Sophia Marie, Marie-Sophia, quand Nabil parle de donner à sa fille la possibilité de jouer avec ses identités, de choisir et de réagencer, ça m'évoque l'idée des Legos. Construire, démonter, réinventer sans jamais être enfermé. L'héritage devient un matériau vivant que chacun peut façonner à sa manière. Ça me fait penser aux mots du romancier Amine Malouf. elle est belle et libre la vision d'amid malouf mais aussi vertigineuse est-ce que je penserais la même chose si je devenais un jour parent Ou alors, est-ce que je serais tenté d'imposer à mon enfant un mode d'emploi du monde ? Charlie, lui, a déjà tranché. Sa fille, elle ne sera la moitié de rien. Elle sera tout, c'est certain.

  • Speaker #0

    Moi, ce qui me tient à cœur de lui transmettre, c'est, même si ça fait un peu cliché, mais de repartir sur la liberté, égalité, fraternité, et de vraiment lui transmettre le sens, en fait, cette... au fond de ce que ça veut dire quand on est français. Ces trois mots sont très puissants et relèvent aussi du sentiment. Ce que j'aimerais lui transmettre, c'est d'avoir toujours cette liberté de penser. De ne pas se laisser enfermer dans n'importe quelle boîte, parce que de toute façon, en étant métisse, ma fille ne rentrera dans aucune boîte. Ensuite, la notion d'égalité, c'est quelque chose qui est important, c'est surtout dans le contexte dans lequel je vis, le fait d'être métisse au Japon. Et c'est vrai que ça c'est quelque chose, il y a des éléments sur lesquels, par exemple, moi, ça me profondément, je suis en désaccord parfois de ce que je peux voir. Et ça c'est quelque chose aussi que j'aimerais qu'elle comprenne. Pour moi, c'est quelque chose qui vient de ma culture française et que j'aimerais vraiment lui transmettre. La fraternité, je pense que c'est quelque chose qu'on a oublié, certainement. Ça inclut l'acceptation, la différence, la diversité, le fait de faire société, le fait d'être ensemble. Quelles que soient les challenges que l'on a dans la vie, que j'ai ou que ma fille aura, de toujours garder cette notion de vouloir créer, d'avoir ce sens collectif pour contribuer à quelque chose. Donc citoyenne japonaise ou citoyenne française dans le futur pour ma fille.

  • Speaker #2

    La suite dans le prochain épisode. Vous venez d'écouter un podcast de toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site.

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Description

Transmettre, c’est donner du sens à ce qui nous précède. Mais dans une France polarisée où l’identité se débat plus qu’elle ne se partage, l’héritage devient un enjeu, parfois un fardeau. À travers son propre parcours et des conversations avec de jeunes pères, fils d’immigrés ou ayant des attaches ailleurs, Walid interroge ce qui se passe entre deux générations. Ce qu’on garde. Ce qu’on refuse. Ce qu’on transforme. Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ?


EP#1/3. Comme Walid, Charly et Nabil sont fils d’immigrés et transfuges de classe. Charly, d’origine indienne et installé au Japon, raconte une identité marquée par un décalage entre l’attachement de ses parents à la France et les discriminations vécues à l’adolescence en banlieue, trouvant ailleurs une forme de réconciliation. Nabil, né à Paris d’une famille tunisienne, navigue entre un héritage culturel et les réalités d’une société française où l’assimilation reste un combat. Tous deux, désormais pères, partagent sur ce qu’ils transmettront à leurs filles.




Crédits : Ruh ad qqimey - Lounis Aït Menguellet


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités, produit par Friction. Bonne écoute. Vous vous souvenez, n'est-ce pas ? Je crois même que ceux qui n'étaient pas encore nés s'en souviennent. C'était le 12 juillet 1998, et ce jour-là, la France avait gagné bien plus qu'une Coupe du monde de football. Elle avait gagné le droit de rêver, de rêver à une nation rassemblée, à un pays réinventé, qui embrasserait du même regard... Tous ces enfants, loin des prophéties de malheur de Jean-Marie Le Pen. Black, blanc, beurre, disait-on. C'est ça l'équipe de France est championne du monde en battant le Brésil. Je crois qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible, mais on peut. Ah c'est superbe, quel pied, ah quel pied ! liesse populaire sur les champs-élysées un peuple se découvrait sous mes yeux effarés je n'avais pas encore tout à fait dix-sept ans j'habitais en banlieue dans l'essonne paris était loin en r e r et dans ma tête surtout je n'étais pas sûr d'y croire mais la fête s'était invitée jusque sous nos fenêtres Que reste-t-il de ce rêve ? Plus de 25 ans après, la France doute, se fracture. L'immigration est devenue un problème, la laïcité un bouclier, et l'identité un casse-tête. C'est toujours la prime à celui qui clashera le plus fort. L'immigration n'est pas une chance pour la France,

  • Speaker #1

    c'est même un fléau.

  • Speaker #0

    Le Pen est mort, c'est vrai, mais il laisse beaucoup d'enfants. L'immigration n'est pas une chance,

  • Speaker #2

    c'est un fardeau.

  • Speaker #0

    Il a imprimé beaucoup d'esprit. jusque dans les discours gouvernementaux j'ai vécu pas mal d'années à l'étranger dont quelques-unes en amérique latine par goût du voyage mais aussi par confort c'est plus facile de se construire quand on n'a pas à sans cesse se justifier de qui on est mais je reviens toujours ici en france Parce que chez soi, c'est d'abord là où se trouve le plus grand nombre de gens qu'on aime. Probablement aussi parce que je n'ai pas, ou pas encore, fondé cette famille qui m'obligerait à m'ancrer ailleurs.

  • Speaker #2

    Oui, bonjour, monsieur Raffedi, c'est la mairie de Brissomar. Je vous appelle concernant le décès de votre papa. On a bien reçu le certificat de décès, l'acte a bien été dressé.

  • Speaker #0

    Il y a quelques mois, j'ai perdu mon père. Nous avions une relation compliquée. Je n'ai pas eu une enfance très heureuse. Mes parents se sont séparés quand j'avais 9 ans. Il avait une vision souvent rétrograde de la masculinité. Ça ne m'a pas aidé.

  • Speaker #2

    Il faut nous rappeler ce qu'il souhaitait, mais en tous les cas, tout est bon, tout est fait. Voilà. Bonne fin de journée. Au revoir.

  • Speaker #0

    Mais avec le temps, depuis que ma vie se passe en partie ailleurs, j'ai mieux compris son histoire. Même la partie qu'il a passée sous silence. J'ai mesuré ses sacrifices, son sens du devoir, sa résilience hors normes. Un homme, ça s'empêche. Ce sont les mots qu'Albert Camus a reçus de son père quand il était dans les tranchées. Peut-être qu'au mieux aurait-il dit la même chose s'il avait su mieux écrire le français. J'ai regretté de ne pas avoir appris sa langue. Quand nous l'avons enterré en Algérie, dans le village kabyle qu'il a vu naître, j'ai ressenti la fierté. Et surtout... Le soulagement d'avoir pu accomplir ses dernières volontés. Mais ses adieux emprunts de religiosité, les hommages à ses aïeux, ça ne racontait pas tout.

  • Speaker #2

    C'est lui qui a entendu sa parole.

  • Speaker #0

    Ça ne racontait pas sa part de France. Mon père a passé 60 ans de sa vie entre Paris et sa proche banlieue. C'était un vrai Parisien qui connaissait par cœur la capitale. Il aimait autant la mélancolie de Matou Blounès que la fougue de Johnny, la simplicité de la semoule au lait caillé que le raffinement des cailles poilées. Mais il n'a jamais voulu prendre la nationalité française. Algérien jusqu'à la fin. Avec lui, une part de mon histoire s'est éteinte. une part de mon univers amputée cette absence m'a poussé à réfléchir qu'est-ce qu'on reçoit vraiment de ceux qui nous précèdent qu'est-ce qu'on choisit de transmettre et demain si avec ma compagne on décidait d'avoir des enfants est-ce que j'aurais envie de les élever en france et d'ailleurs est-ce vraiment possible ou est-ce que je ne ferais que perpétuer le déracinement Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ? Pour tenter d'y voir plus clair, j'ai fait ce que je fais d'habitude. J'en ai parlé à des amis, des proches, de jeunes papas qui ont sauté le pas, des hommes nés dans les années 80 qui comme moi naviguent entre plusieurs mondes, plusieurs héritages. Ensemble, on explore ce que ça signifie de transmettre dans une société qui vacille. Ce qu'on garde, ce qu'on refuse. et ce qu'on transforme. Nos enfants après nous, un podcast de Walid Aja Rachedi, réalisé par Laura Ausha. Épisode 1 Longtemps fils unique, sans cousin ou cousine à proximité, j'ai trouvé dans mes amis, filles comme garçons, cette fratrie qui me manquait. Parmi ses frères d'une autre mère, Charlie occupe une place particulière.

  • Speaker #2

    Je m'appelle Charlie.

  • Speaker #0

    C'est mon plus vieux pote. On s'est connus au lycée.

  • Speaker #2

    J'ai 42 ans, bientôt 43.

  • Speaker #0

    On habitait dans le même quartier en Essonne.

  • Speaker #2

    Et j'habite à Osaka au Japon. Je suis donc français de Pondichéry. C'est le sud de l'Inde.

  • Speaker #0

    Je lui dois une belle partie de ma culture musicale, rap et R&B des années 90-2000. Sa passion pour le football sud-américain et ses maillots flamboyants a sans doute nourri mon envie de vivre en Amérique latine. Les week-ends, on allait à Paris, comme on marcherait sur la lune. Un territoire si proche qu'on pouvait le toucher, mais qui restait étranger à nos yeux. Entre Evry-Courcouronne et Gare de Lyon, on passait des heures à refaire le monde. avant d'aller acheter des mangas à République ou des baskets à Clignancourt. Charlie a été la première personne à qui j'ai confié cette ambition secrète et improbable pour un banlieusard. Devenir romancier. Et il m'a toujours encouragé. Après le lycée, nos parcours ont suivi les mêmes lignes. Petit boulot d'été, fac, puis école de commerce pour décrocher un bac plus 5 rassurant. Et premier pas dans de grosses boîtes. C'est dans cette période au début de la vingtaine qu'une autre amitié fondatrice s'est nouée.

  • Speaker #1

    Nabil, j'ai 43 ans depuis hier.

  • Speaker #0

    Avec Nabil, l'histoire était différente. Lui aussi venait d'un milieu modeste, mais il avait toujours vécu à Paris.

  • Speaker #1

    Je suis né, j'ai grandi à Paris. Je suis d'origine tunisienne. Je suis souvent le plus parisien de tout le monde en vrai, même si ça ne se voit pas forcément.

  • Speaker #0

    En école de commerce, il semblait totalement à l'aise dans cet univers. Ça m'intriguait un peu. Mais c'est en alternance à la défense que notre amitié a vraiment pris racine. J'ai découvert son goût pour la philo, la littérature et la politique. Il avait aussi fait du cinéma. Ça détonnait. Mais c'était aussi ce qui le rendait intéressant. En 2005, Entre les émeutes à Clichy-sous-Bois, la situation géopolitique post-11 septembre et les débats sur la diversité en entreprise, les sujets brûlants à la pause café ne manquaient pas. Dans la vingtaine, fils d'immigrés et transfuge de classe comme moi, Charlie et Nabil m'ont offert deux variations dans ma miroir. Chacun reflétait à sa manière mes propres interrogations. Qui nous étions, ce qui nous était légué et ce que nous aspirions à devenir.

  • Speaker #2

    Je suis donc français de Pondichéry. L'histoire de la famille est liée à l'histoire de la France, en tout cas en Inde. Mes parents sont nés à Pondichéry. Eux-mêmes issus de parents qui sont français, eux-mêmes nés à Pondichéry. Et je suis donc la quatrième génération de français dans ma famille. Mes grands-pères ont tous les deux travaillé pour l'administration française. Ils étaient gendarmes et un autre était militaire. C'est toute une génération de pondichériens qui ont opté pour la nationalité française. Et ce qui explique pourquoi, au bout d'un moment, quand dans les années 70, la France avait besoin de personnes, d'oeuvres, l'opportunité est venue pour mon père et toute une génération de ses amis de bouger en France et de faire leur vie en France. C'est ce qui fait partie de mon histoire et pourquoi on est français dans ma famille.

  • Speaker #1

    Mon père est arrivé en France, il avait 17 ans, 18 ans par là. Il est arrivé en 70 ou 71, il avait 16-17 ans. Il y avait beaucoup de départs parce que je pense que suite à l'indépendance de la Tunisie, il y a eu une sorte de période de désillusion. Et ça représentait une forme d'Eldorado. Et les conditions administratives de séjour, d'obtention de papiers et tout étaient relativement simples encore. Ça commençait à se durcir, je crois, avec Pompidou. Mais voilà, mon père est arrivé, je crois, assez facilement. Il avait le copain de son père qui avait une épicerie à Bordeaux. Je crois qu'il s'est assez vite retrouvé à Bordeaux. Et puis, il est monté à Paris. Il a fait des petits jobs. Entre-temps, il a eu un enfant avec une femme française de souche, donc mon grand-frère. Et ensuite, il s'est dit, je vais au bled me marier avec une Tunisienne. Et donc, il a épousé ma mère, qui arrivait deux mois après son mariage en France. Et moi, je suis né quelques mois après. Mes parents viennent de Djerba, donc c'est une île au sud de la Tunisie. Il y a une identité forte, un peu comme en Corse. Souvent, les gens se demandent de Corse avant d'être français. Et donc, il y avait ce truc de, t'es djerbien, mais t'es aussi français. C'est-à-dire qu'on nous le disait, de toute façon, administrativement, vous êtes français. On peut être les deux.

  • Speaker #2

    Mon père est arrivé en 1974 exactement. Ça faisait vraiment partie d'un programme proposé à des Français qui étaient basés à l'étranger, principalement dans des ex-territoires ou colonies françaises, de construire une nouvelle vie en France tout en ayant un programme d'assimilation, d'exposition à la culture française. Il est arrivé avec quelques-uns de ses amis et ensuite il a été envoyé dans une famille française, dans la Nièvre, vers Nevers. Donc il a fait les vendanges, il a appris la culture française, la gastronomie à la française, comment vit une famille française, l'art de vivre on va dire. Et en fait c'était le début du commencement et ensuite il a fait un certain nombre d'étapes dans ce programme d'acclimatation, je ne sais pas si je peux dire ça. En tout cas de... connaissance de la culture française qui l'a emmené ensuite à prendre un travail dans notre entreprise ferroviaire nationale SNCF. Mon père, c'est quelqu'un de curieux, un aventurier, même si mes parents ont appris le français quand ils étaient à Pondichéry, c'était certainement la première fois pour lui d'aller à l'étranger, et puis d'y aller un peu pour de bon, parce que c'était un peu l'objectif. je pense qu'il était prudent, il était certainement méchant de ce qu'il m'avait raconté, mais il était aussi très curieux de comprendre comment les choses fonctionnent en France. Quand il me racontait ses histoires, il a toujours, comme un brin de nostalgie, il appréciait ses moments, en fait. Je pense que ça a été des moments fondateurs dans sa définition de qu'est-ce que la France et qu'est-ce que ça représente d'être français. C'est vrai qu'il a été quelque part déraciné, mais c'était volontaire, parce qu'il a été volontaire pour rejoindre ce programme. Je pense que ça a été un moment fondateur pour lui. C'est assez intéressant, parce qu'à chaque fois que j'en parle, les gens sont étonnés, ils disent Ah bon, il y avait des Français en Inde ? Oui, il y avait des Français. Malgré l'histoire qu'on nous enseigne, etc., il y a une forme d'oubli du passé de la France, et de tout cet héritage, quelquefois ça peut être un héritage qui peut être douloureux. La seule chose dont les gens se souviennent, c'est souvent les annales du baccalauréat, où ils voient le sujet présenté au lycée de Pondichéry en telle année. Ils disent Ah, Pondichéry, je connais ! C'est un petit blague un peu marrante. Mais effectivement, il y a une histoire, et moi je suis aussi fier d'être un Français de Pondichéry. Je sais d'où je viens, et je sais que j'ai une histoire qui est un peu différente, je ne sais pas, d'un Français de Paris ou d'un Français de... de Lille ou d'un Français de Marseille par exemple. Pourquoi je dis Français de Pondichéry ? C'est parce que l'assimilation, c'est quelque chose qui est fort dans un sens, mais de l'autre côté aussi, on n'oublie pas qui on est, on n'oublie pas d'où on vient. Et quand j'ai cherché à définir un peu mon identité, moi je me suis toujours accroché à quelle est mon histoire, pourquoi je suis là, pourquoi je suis français et pourquoi je dois m'en justifier en fait. On a tous des histoires différentes, mais je ne veux pas perdre en fait ce lien-là parce que c'est en moi et ça fait partie de moi et c'est même visible, parce que je ressemble à un Indien.

  • Speaker #1

    La France a quand même été un pays... depuis la révolution française, très centralisée, autour de Paris. On a aussi progressivement quasiment éradiqué les cultures bretonnes, du sud-ouest. L'histoire française, c'est aussi ça. C'est-à-dire que c'est une espèce de rouleau compresseur qui veut faire des petits français partout, en fait.

  • Speaker #0

    Dans leur voix, il y a des hésitations qui en disent long. Des mots qu'on manipule avec précaution, comme s'ils pouvaient vous exploser à la figure. Oui ! Ça demande du courage de se livrer. Parce que quand on est un garçon, la première chose qu'on nous apprend, c'est de garder nos sentiments pour nous. Surtout quand on a grandi dans un quartier populaire. Parce que dans nos familles immigrées, nos pères ont souvent raconté leurs histoires du bout des lèvres. Ils ont souvent tué ce qu'il y avait de plus douloureux. C'est ce que je me dis en imaginant le père de Charlie lui raconter les vendanges et la découverte d'un pays qu'il ne connaissait qu'en théorie. Ça me ramène à la fois où j'ai demandé au mien. Papa, c'était comment Paris dans les années 60 ? À une époque où il n'était pas facile d'être algérien ici. J'attendais des récits houleux, de la frustration, du ressentiment, peut-être d'entendre la mienne en miroir qui sait. Mais il y a eu de la lumière dans ses yeux. Il m'a dit qu'il y avait de la musique dans les rues en ces temps-là. Il a évoqué un concert de Johnny, un grand concert. J'étais surpris. Mon père parlait si peu et encore moins de ce qui l'avait rendu heureux. Plus tard, quand il m'a raconté les circonstances plus difficiles, comment la France s'est imposée à lui et chez lui, j'ai compris. Il protégeait un souvenir, une certaine idée de sa jeunesse, de ses 20 ans. Et j'ai compris qu'il me protégeait aussi. Et maintenant, moi aussi je fais pareil dans un sens. Ex-fan des 90's, nostalgique de Paris et de sa banlieue d'alors, métisse mais pas martyr, comme disait la chanson, je choisis ce que je raconte. Raconter, c'est choisir. Mais c'est encore Nabil qui en parle le mieux.

  • Speaker #1

    À Paris, entre amoureuses, je n'étais pas du tout dans une culture de ghetto ou quoi que ce soit. Mes premiers copains, il y en a un qui s'appelait Jérémy, son père était prof à la fac, c'est toujours un copain. Et sa mère était directrice de l'école maternelle où on était. Il y a un autre copain qui s'appelle Tupac. qui était moitié mexicain, moitié français, deux souches, entre guillemets, je ne sais pas comment le dire autrement. Et donc, c'était mes deux meilleurs copains chez qui j'allais dormir et tout. Et donc, il n'y avait pas du tout ce qu'on peut connaître chez des gens qui sont issus de l'immigration, c'est-à-dire des gens qui grandissent dans des quartiers qui sont un peu fermés. Donc, oui, je me suis senti français. Et je l'ai encore aujourd'hui, j'ai toujours en moi ce truc de, bah ouais, on peut être joueur de foot, joueur de basket et joueur d'échecs en même temps, même si effectivement, derrière la question de l'appartenance, il y a un truc plus profond. En plus, je parle arabe, je parle tunisien, j'y vais souvent. L'arabe, on le parlait à la maison. Ma mère m'a raconté qu'enfant à la maternelle, on ne parlait pas très bien français, on lui a fait la remarque en lui disant... Attention, il faut leur parler français, etc. J'ai bien perçu à certains moments de ma vie que l'arabe n'était pas un truc hyper valorisé. Moi, au début de l'adolescence, j'ai eu envie de m'approprier ça. Donc j'ai fait de l'arabe. Alors d'abord, mes parents m'avaient inscrit à des cours d'arabe enfant. Et ensuite, je me suis même inscrit au lycée. Je le faisais en LV3. C'était Henri IV en plus, parce que mon lycée ne faisait pas d'arabe. Et à Paris, dans les lycées intramuros, c'était Henri IV, Louis le Grand. Voilà, donc je faisais de l'arabe là-bas. Moi, j'étais dans un collège privé, on était dans le 20ème, le collège avait un peu mauvaise réputation, mes parents divorçaient à ce moment-là, et mon père s'est donné bonne conscience en me disant je vais payer une école, ce sera bien Après mon collège privé, j'étais dans un bon lycée public du 20ème, qui avait des résultats à 98-99% au bac, mais c'était ambiance culture un peu bobo. C'est-à-dire qu'il y avait cette espèce de mixité qu'on peut trouver dans le XXe. Donc moi, je fanfaronnais pas mal en classe et j'étais plutôt bien reconnu, plein de copains et tout. Puis il y avait aussi cette culture de gauche, des parents, même j'avais des copains journalistes, des journalistes connus, des gens comme ça. Il y avait cette culture un peu hybride. Nous, dans les années 80, alors bon, moi c'était à Paris, c'était différent, mais même j'ai des cousins qui ont grandi dans des cités, des cousins, enfin dans des cités de région parisienne, parmi les plus craignos. Même dans ces endroits-là, il y avait une diversité et les gens ne se considéraient pas juste comme marocains, algériens, tunisiens, sénégalais, machin. Et je pense que, en fait, le rejet des uns nourrit celui des autres et qu'à un moment donné, il y a un... Est-ce que ça vaut le coup de jouer le jeu ?

  • Speaker #2

    Lorsque j'étais adolescent, je me sentais français, même si, de par le contexte et certaines expériences que j'avais déjà eues quand j'avais 15 ou 16 ans, j'avais déjà fait face à certaines situations de rejet. Je me souviens que ça a aussi coïncidé avec une période de ma vie où j'écoutais beaucoup de la musique noire américaine, du hip-hop, surtout les années 80-90 avec des messages assez forts, avec un autre modèle de société, du communautarisme, etc. Il y avait une forme d'identification quelque part à travers cette musique-là que j'écoutais qui conditionnait un peu tout ce package. C'est certainement pour ces raisons-là, par exemple, que certainement à la Coupe du Monde 98, je n'étais pas en train de me dire je vais porter le maillot de l'équipe de France j'avais envie de porter le maillot de l'équipe de Brésil. Du coup, j'avais toujours ce sentiment torturé avec le fait d'avoir à la maison mes parents qui étaient très fiers d'être français et de l'autre côté, moi, de vivre des situations un peu discriminantes en fait.

  • Speaker #1

    Quand je suis arrivé en classe préparatoire, c'est la première fois que j'ai senti un truc de l'ordre d'un regard porté en fonction de la classe sociale ou de l'origine. Je suis allé en classe prépa à Carnot dans le 17ème, qui était une des meilleures classes prépa publiques à l'époque, en prépa HEC en tout cas. Et là, c'est tout de suite les gens qui se définissaient par rapport à l'argent, à leur classe sociale, et je me suis pris une énorme claque de ce point de vue-là. Tu pouvais moins briller parce que t'étais rigolo. Il y avait une Marocaine et une Tunisienne en classe prépa. La Tunisienne s'appelait Bourguiba comme l'ancien président. Elle venait de la famille du président. Et la Marocaine, pareil, classe sociale hyper élevée. Elle habitait dans un énorme à part dans le 16e, alors qu'elle n'avait que 17 ans. J'ai eu des questions parfois, type, mais tes deux parents sont Tunisiens ? Ah ouais, OK. Et j'ai eu une fois un mec qui m'a dit, avant toi, je n'avais jamais parlé en maghrébin. Je me souviens d'une fois, c'était marrant parce que c'était hyper frontal. Quelqu'un, un chauffeur de taxi, j'étais en costume, je prenais le train pour un déplacement pro, qui me demande ce que je fais, qui s'intéresse et qui est un peu impressionné parce que c'est un monde qu'il ne connaît pas, le conseil, la finance, etc. Et il me dit, mais c'est quand que vous allez rentrer chez vous en fait ? Vous avez réussi, vous avez des diplômes, maintenant allez dans votre pays. Pour participer à son développement, à sa croissance, je pense que c'est ce qu'il avait en tête. Et en fait, il a fallu que j'explique qu'étant né en France, ayant toute ma vie sociale, etc. ici, et oui, ça m'avait un peu travaillé, je m'étais dit Ah ouais, on en est là, en fait

  • Speaker #2

    Lorsque j'ai commencé à faire mes études supérieures, que j'étais en contact avec d'autres personnes, parfois issues de l'immigration, mais qui venaient d'autres endroits, ça m'a tout de suite donné une... une autre vision en fait de qu'est-ce que ça veut dire être français. En fait, ce n'est pas que négatif comme j'ai pu l'entendre beaucoup dans les générations de personnes qui étaient autour de moi à ce moment précis-là. Je pense que mon rapport a vraiment commencé à évoluer lorsque j'ai commencé à rentrer dans le monde du travail. Effectivement, un changement de niveau social, puis un changement... d'environnement lorsque j'ai acheté un appartement, j'ai habité dans une autre ville et un autre type d'espace etc. Le pas le plus profond quelque part c'est quand je suis allé vivre à l'étranger en fait. Ça m'a permis de réaliser que oui je suis profondément français. Alors ma façon d'être, ma façon de penser, ma façon d'interagir par mon accent lorsqu'on est à l'étranger. il n'y a plus de il est de telle couleur, c'est de telle couleur de peau etc. J'ai jamais ressenti ça en fait et ça m'a réconcilié encore plus avec le fait d'être français parce que comme je te disais j'avais ce rapport très torturé et au final aujourd'hui je suis assez plutôt fier et je raconte avec plaisir l'histoire et mon parcours par rapport à ça. Certainement que le Charlie de 98 serait surpris d'entendre le Charlie de 2024, très certainement.

  • Speaker #0

    Et le Wallid de 98, il en penserait quoi ? Peut-être qu'il le taquinerait ce Charlie, plus posé, réconcilié. Mais au fond, il serait admiratif surtout. Parce qu'il est resté fidèle à lui-même, toujours entre plusieurs mondes, toujours entier. Et qu'être en paix avec ses contradictions, c'est un truc immense. Il se dirait que finalement, ce Charlie-là, il est exactement là où il doit être. Et il se réjouirait qu'on soit encore amis, malgré la distance, malgré les années.

  • Speaker #2

    Moi, ça fait déjà quasiment dix ans que je ne vis plus en France. Quand on est dans un autre pays, on n'a plus cette charge, effectivement. On n'a plus ce sentiment d'être constamment jugé, ou ce sentiment de est-ce que je suis traité ou est-ce que je suis considéré de façon juste ? Est-ce que j'ai les mêmes chances que d'autres personnes ? En fait, cet élément-là, il disparaît. Aujourd'hui, par exemple, je suis au Japon. depuis un peu plus de 5 ans maintenant, quand je dis que je suis français, il n'y a personne qui me demande Ah oui, mais en fait, tu viens d'où ? Et ça, ça m'est arrivé souvent en France. C'est une question qui n'existe pas, par exemple, ici. On ne se sent pas jugé, en fait. Et on se sent dans un environnement où on est beaucoup plus à l'aise.

  • Speaker #1

    Clairement, je pense que mes choix de carrière ont été influencés par qui je suis. À la période de ma carrière où je suis, je vois d'autant plus... avec d'autant plus de force, le fameux plafond de verre dont j'entendais parler, c'est difficile d'adopter, de coopter des gens qui suivent la diversité. Tu peux avoir des gens hyper bien intentionnés et qui voudraient, sauf que quelqu'un de, entre guillemets, je ne sais pas, j'utilise les expressions que je peux, mais de la diversité qui va diriger un départ, ça veut dire qu'il faut que les équipes l'acceptent, il faut que les parties prenantes. l'accepte. Quand on est une femme, je pense que c'est quelque chose qu'on comprend relativement facilement. Moi, je sais que j'en parle avec ma femme. Et je lui dis, imagine, il y a des secteurs où tu mets une nana pour diriger des hommes, etc. Les comportements changent. Dans l'écosystème humain, il y a beaucoup de choses à faire accepter. Dans certains milieux, pas tous, c'est la même chose. Si tu mets un arabe, un noir, un chinois... Donc, moi, ce plafond de verre, clairement, je le vois. Et limite, je pense qu'il se durcit. Aujourd'hui, je réfléchis à partir de la France. Pas forcément pour ces raisons, c'est juste que j'ai fait quasiment 40 ans à Paris. Même si j'ai bougé et tout, je me verrais bien vivre ailleurs. Donc ouais, je comprends qu'à un moment donné, quand ta vie professionnelle n'avance plus ou pas pour des paramètres sur lesquels tu n'as pas de prise, tu vas chercher ton bonheur là où il est. Après ouais, je trouve que c'est dommage.

  • Speaker #2

    Est-ce que tous ces débats et tous ces sujets assez lourds sur lesquels j'ai l'impression qu'on fait un peu du sur place, voire parfois du retour en arrière, ça donne envie de revenir ? Pas forcément, pour être honnête. Ce que je me vois vivre avec mon épouse et ma fille en France, dans un contexte comme ça, c'est pas attirant. les débats et puis après à la réalité de la vie. Moi, j'ai ma famille en région parisienne. Ils sont très heureux. Ils ont leur père, ils ont leur façon, leur art de vivre, notre culture de famille. Et oui, ça, être plus proche de ça, je serais, je pense, ravi de l'être, notamment pour ma fille. Mon épouse, elle serait partante. Je sais que certainement que ça arrivera. Elle a un rapport à la France, évidemment, tous ces sujets de... de société, tous ces débats autour d'identité. Ce n'est pas forcément quelque chose qui est retranscrit, par exemple, dans les médias en japonais. Après, je sais qu'elle a un fort attrait pour la culture française, donc ça fait partie des questions et des discussions qu'on a de temps en temps avec mon épouse.

  • Speaker #0

    Et c'est vrai que la place de la femme, par exemple, dans la société japonaise, c'est quand même très différent. C'est formaté, les gens sont formatés pour penser d'une certaine façon ici. La diversité, même si c'est des sujets dont on parle en entreprise, par exemple, ce n'est pas forcément visible et c'est bien ancré en fait. Et c'est quelque chose qui pour elle est définitivement un attrait, puisqu'il s'agit d'imaginer une potentielle vie en France, entre une fois par an en France au maximum. Mon ressenti par rapport à l'ambiance actuelle, ou en tout cas les débats de société en France, je ne le ressens pas, disons, comme... comme un poids, mais par contre j'ai beaucoup d'intérêt pour le sujet. C'est comme si en France on n'acceptait pas en fait une partie de l'histoire de la France lorsqu'on commence à avoir ces débats sur la différence, la diversité. Il n'y a pas cette acceptation que oui, il y a des Français qui ne ressemblent pas à des Blancs. Il y a des évolutions et on le voit par exemple à travers la télé, à travers les pubs, etc. Mais il y a quand même ces sujets de débat dans la société où il y a quelque chose derrière, où il y a une forme de malaise et j'ai l'impression que la société, en tout cas entre il y a dix ans, quand je suis parti et maintenant, n'a pas forcément eu de progrès significatif. Je pensais effectivement que... que c'est un peu le sens de l'histoire, que quelque part les choses allaient devenir de plus en plus ouvertes, d'aller au-delà même de tolérance, d'un vivre ensemble qui serait évident en fait. On trouve un peu l'échiquier politique national avec une droite, une extrême droite qui est de plus en plus forte et affirmée. Je n'aurais jamais imaginé ça pour être honnête.

  • Speaker #1

    Une société, c'est une pyramide. Et effectivement, il y a de fait une lutte des places. Et du coup, dès qu'on peut trouver de quoi éjecter quelqu'un pour que la compétition soit moins rude, on le fait. Il n'y a même pas à dire que les gens sont cons parce qu'ils sont racistes. Ce n'est même pas ça. C'est qu'il y a un tel bruit de fond qu'à un moment donné, ce bruit de fond autour de l'islam, l'immigration, etc., évidemment, il est chiant, insupportable presque. Il y a une époque où, ouais, il était pesant. Et comme si... Mais en fait, j'ai résolu la question en me disant mais en fait, tout ça ne me regarde pas tant que ça, finalement. C'est-à-dire que je pense qu'il y a des personnes et des groupes qui ont intérêt à entretenir ce bruit de fond. Moi, c'est leur obsession. Mais c'est leur problème, en fait. J'ai arrêté de regarder la télé il y a plusieurs années. Je n'entends plus tant que ça. Et ouais, dans ma vie quotidienne, je suis assez protégé de... Enfin, je trouve que dans les relations que j'ai dans ma vie, ce bruit de fond, en fait, quand tu coupes la source, il n'est pas si perturbant que ça. Si tu pars du principe que ces bruits de fond, ces défauts qui font chier tout le monde et que tu arrêtes de les écouter, leur discours, il a moins de prise. Pour moi, le fait de ne pas s'emmerder avec ça, c'est une forme de lâcher prise. Malheureusement, même si je ne les regarde pas, il m'arrive sur les réseaux sociaux, sur YouTube, de voir des chaînes comme BFM TV. On a l'impression que c'est vraiment leur sujet de prédilection. Et c'est même rationnellement difficile à comprendre. On se dit, mais est-ce que le problème de la France, c'est ça ? Évidemment que non. Bien sûr que se mettre, enfin lâcher prise pour vivre un peu dans sa bulle, parce que c'est trop douloureux de rentrer même ne serait-ce que dans le débat, enfin je veux dire, à un moment donné, même discuter de ces sujets-là, moi je trouve ça insupportable.

  • Speaker #0

    La religion musulmane est une religion qui a été sur le sol de France par une immigration massive.

  • Speaker #2

    Elle a tendé le visage de notre pays. Ce bruit de fond, dont parle Nabil, je le connais trop bien. C'est comme une torture à la chinoise, cette goutte d'eau qui tombe toujours au même endroit. Une petite chose répétée sans fin, qui finit par t'user, par te rendre fou. Ces petites phrases, ces regards, ces silences qui s'accumulent. Ça te suit, même quand tu fais tout pour l'ignorer. C'est un bruit qui te détourne de toi-même, qui te vole ton énergie. Je les connais bien, ces mots de l'écrivaine afro-américaine Toni Morrison. Et pourtant, j'ai toujours du mal à le couper, ce bruit de fond. La goutte froide insiste sur mon front. C'est sans doute pour ça que comme Charlie, j'ai choisi d'habiter ailleurs pendant plusieurs années et que je pars à la première occasion venue. CDG, Terminal 2F, on se connaît. Loin, là où ce bruit devient presque imperceptible. Partir, c'est trouver une respiration. Mais même à l'autre bout du monde, surtout à l'autre bout du monde, ce bruit ne disparaît jamais vraiment. Il change de forme, il s'atténue, mais il reste là. je retrouve cette goutte qui perle sur mes pages mes rêveries j'observe comment elle prend forme ailleurs en écoutant charlie parler de sérénité et nabille de lâcher prise je me demande est-ce que moi aussi j'ai appris à baisser le volume est-ce qu'en france un jour on arrivera à le faire taire ce bruit

  • Speaker #1

    Moi je trouve que globalement en réalité ça se passe bien si on fait abstraction des extrêmes qui montent des discours parce que c'est intéressant de diviser etc. En vérité ça se passe plutôt bien. Moi je pense qu'à un moment donné juste on ne sait rien de monter le truc en épingle. On est ferme sur ce qu'on veut en France et on interdit ce qu'on doit interdire, ce qu'on peut interdire parce qu'on veut protéger un modèle de laïcité. Et puis on applique et puis fin de l'histoire. Je pense que la simulation elle est... tellement en marche qu'à la limite, c'est même ça qui fait peur à des extrêmes. Moi, je suis en couple, je suis paxé avec Clotilde, qui est un arbre généalogique de souche, pour le coup, aussi loin qu'on puisse remonter. Je crois qu'elle a un arrière-grand-parent allemand. Et ma fille a 18 mois. On ne s'est pas trop posé de questions. Je crois qu'elle voyait plutôt d'un bon oeil le mélange des cultures. En revanche, moi, oui, cette question, depuis que j'ai 20 ans, peut-être depuis que je suis en âge de progrès, c'est des questions qui m'ont interrogé. Pas que pour la difficulté qu'on peut avoir d'être en France, d'être français issu de l'immigration, mais juste parce que j'ai un héritage tunisien, j'ai mon appartenance française et ma culture française à laquelle j'adhère pleinement et de manière hyper assumée depuis très longtemps, depuis mon adolescence.

  • Speaker #0

    Ma femme est japonaise, ma fille aussi. C'est un pays qui fait partie de ma vie. Lorsque je suis devenu papa, quant à comment ma fille va s'identifier, c'est quelque chose qui est venu assez tôt, au moment où elle est née. Déjà, dès le départ, d'un point de vue état civil par exemple, elle est japonaise et française aujourd'hui. C'est quelque chose dont on a discuté avec mon épouse. Je m'étais dit comment… je pourrais lui transmettre cette notion d'être français, d'identité, comment se sentir à l'aise dans le monde dans lequel on vit, quel que soit le pays, que ce soit au Japon ou en France. Parce que moi, lorsque j'étais plus jeune, quand j'étais en France, je n'étais pas forcément perçu comme étant un Français. C'est pareil, lorsque je suis en Inde, on ne me voit pas comme un Indien, on me voit comme un Indien vivant à l'étranger. et j'avais le sentiment d'être un étranger partout en fait. Ma fille, elle sera certainement dans une situation comme ça, où en plus dans un pays, au Japon, le fait d'être métisse, c'est un challenge en soi. Le mot en japonais pour parler des métisses, c'est hafe qui vient de l'anglais half donc moitié Donc ça en dit long sur la façon de penser, de dire ok, cette personne elle est moitié japonaise seulement, elle n'est pas quelqu'un de métisse.

  • Speaker #1

    Quand on a un héritage qui n'est pas français, il y a beaucoup plus de chances que cette partie de son identité s'érode et disparaisse puisqu'on vit dans le pays. Et donc la culture française elle est quand même dominante chez moi, même avant que je sois avec ma compagne. Donc, avant même d'avoir des enfants, la question s'est posée. Mais c'est vrai qu'elle se pose avec beaucoup plus d'acuité quand tu attends un enfant. Après, évidemment, pendant la grossesse, etc. Après, les vraies questions, c'est plus comment on va gérer un enfant, etc. Donc, ce n'est pas du tout ces questions-là. Je pense que ces questions-là, je les ai en tête, mais plus pour quand ma fille va grandir. Qu'est-ce que je transmets de mon héritage tunisien ? Moi, je n'ai pas vraiment de réponse. C'est vrai que j'aimerais bien transmettre l'arabe. Je trouve que c'est pratique, c'est utile. Et je pense que c'est une vraie richesse d'avoir accès à cette langue qui est bien différente, non seulement dans sa structuration, mais aussi dans son univers symbolique. Donc, moi, je trouve que c'est une richesse. Et évidemment, comme tout parent, j'ai envie de transmettre ce qui me paraît être de la valeur ajoutée. Et moi,

  • Speaker #0

    je me posais la question de dire, OK, comment je vais l'aider à... définir en fait son identité et comment elle va se sentir et c'est quelque chose auquel je suis en train de réfléchir et pour moi la base c'est effectivement que ça passe par l'apprentissage des deux langues, que ce soit le japonais ou le français c'est le point de départ donc ce qu'elle fait déjà et ensuite pour moi ce qui est important dans cette transmission c'est qu'elle comprenne son héritage en entier en plus de l'héritage d'être japonaises et françaises et aussi un héritage de Pondichéry aussi et j'aimerais lui emmener ça. Dans le monde dans lequel on vivra, je pense qu'on aura de plus en plus de diversité et savoir sa filiation, d'où on vient, et je pense que c'est important pour se comprendre et aider à se définir.

  • Speaker #1

    Sur la religion, j'aimerais bien qu'elle sache ce qu'il y a dedans. Je n'ai pas forcément envie de lui transmettre des trucs de pratique. Ce sera ses choix, elle. Moi, je ne mange pas de porc, même si je ne crois plus vraiment en Dieu, parce que j'ai une sorte de blocage. Je sais que c'est un blocage, mais en vrai, je me dis qu'il y a tellement de viande. Déjà, j'aimerais bien ne plus manger de viande. Il y a tellement de viande à manger, je ne vois pas pourquoi je me forcerais à manger du porc. Parce que c'est un... Je suis très attaché à ma liberté aussi, à ma liberté de choisir ce que je veux et ce que je veux pas, notamment dans les caractéristiques culturelles. Clotilde me dit J'aimerais bien que ma fille ne mange pas de porc. Du coup, c'est une vraie question. Elle, dans sa famille, ils en mangent beaucoup. Et à table, là, à Noël, par exemple, chez son père, il y en avait tout le temps. Alors, il sait que moi, j'en mange pas. Mais du coup, c'est une vraie question. Et Clotilde, elle aimerait transmettre aussi ces caractéristiques culturelles qui sont importantes. La gastronomie, c'est important, tu vois. On apprend en marchant, clairement. Franchement, on n'a pas eu de grandes discussions là-dessus. Mais je pense que c'est beaucoup plus lié à la personnalité de Clotilde qu'à la mienne. C'est-à-dire que Clotilde, elle est plutôt fonceuse, beaucoup moins à se poser des questions. Par contre, les questions, elle est obligée de se les poser. Une fois que tu es dans les situations réelles, pour moi, c'était aussi assez clair que je n'avais pas envie de transmettre que mon enfant baigne dans un environnement hyper religieux. Je me souviens qu'on a eu cette discussion avec Clotilde. Elle a dit que pour elle, c'est important de connaître les religions pour le... ce qu'elle représente dans l'histoire de l'humanité, en fait. Moi, j'ai été dans un collège catho, donc j'ai fait du kathachisme, j'ai appris l'islam, etc. Et je trouve que c'est une vraie richesse, même pour comprendre les gens, les cultures, l'histoire, etc. Donc, de ce point de vue, et même pour avoir des repères. Disons que moi, j'ai eu à titre personnel une quête spirituelle à une époque. Du coup, je me suis beaucoup intéressé aux religions. J'ai fait le choix, à un moment donné, que c'était l'islam ma religion. Sauf qu'à un moment donné, ma conviction, c'est que... Dans les religions, la partie dogmatique, il faut faire ci parce que c'est comme ça. Et ça, en fait, moi, c'est définitivement un non. Je n'en veux plus et je ne veux pas transmettre ça. Et donc, je suis pour les sociétés libres, démocratiques, où chacun peut faire ce qu'il veut, en fait. Et ça, avant même de rencontrer ma compagne. Ce que j'aimerais absolument transmettre à ma fille de la France et de la culture française, c'est clairement les grandes idées qu'ils font de la France. et qui font que pour moi, à un moment donné où j'étais dans des grandes questions, il n'y avait pas de doute sur si je devais choisir. Les grandes idées de droits de l'homme, Montesquieu, Montaigne, tous ces grands auteurs qui ont posé des bases fortes de ce qu'est la grandeur de la France, c'est ça que je transmettrais, la littérature et tout. Donc ces grandes idées, elles fondent ce qui fait la noblesse de la culture française. Maintenant, l'État français et l'Empire, c'est un peu plus violent que ça. Pendant qu'on rédigeait les droits de l'homme, On continuait à coloniser, on faisait la guerre à des gens qui se révoltaient, tu vois, que ce soit en Indochine, en Algérie. Moi, ce que j'ai vécu dans mon histoire en France d'origine tunisienne, je vous j'ai fait face. Et je pense qu'après, en tant que parent, moi, ma vision, c'est de donner les meilleurs outils à son enfant. Et puis après, c'est à lui de faire son chemin. Ma fille, elle est en bonne santé. Enfin, je veux dire, il y a un milliard de stigmates possibles et imaginables qui sont potentiellement gênants dans une vie. Bon bah si t'es que arabe ça va tu vois. J'attends pas qu'on me dise t'es français, t'es pas français. Enfin moi je sais que je suis français par mon histoire et parce que j'ai fait mien de la culture française. Et pareil quand je vais en Tunisie en fait j'assume pleinement le fait d'être d'héritage tunisien. Si ma fille me dit moi ça me fait chier j'ai pas assez de temps et je rejette. En fait, ce sera aussi sa construction à elle et son histoire à elle. J'essaierai de faire en sorte qu'elle sache s'adapter, en fait. On l'a appelée Sophia, Marie, son deuxième prénom. Et elle a mon nom à moi, Benmamed, et elle a le nom de sa mère, Legey. Et on s'était dit qu'elle pourrait faire les mélanges qu'elle veut. Marie Legey, ça peut être Marie Benmamed, ça peut être Sophia Benmamed. J'aurais bien aimé pouvoir jouer avec ça, tu vois. J'aurais bien aimé avoir un prénom français. pouvoir jouer tu vois.

  • Speaker #2

    Sophia Marie, Marie-Sophia, quand Nabil parle de donner à sa fille la possibilité de jouer avec ses identités, de choisir et de réagencer, ça m'évoque l'idée des Legos. Construire, démonter, réinventer sans jamais être enfermé. L'héritage devient un matériau vivant que chacun peut façonner à sa manière. Ça me fait penser aux mots du romancier Amine Malouf. elle est belle et libre la vision d'amid malouf mais aussi vertigineuse est-ce que je penserais la même chose si je devenais un jour parent Ou alors, est-ce que je serais tenté d'imposer à mon enfant un mode d'emploi du monde ? Charlie, lui, a déjà tranché. Sa fille, elle ne sera la moitié de rien. Elle sera tout, c'est certain.

  • Speaker #0

    Moi, ce qui me tient à cœur de lui transmettre, c'est, même si ça fait un peu cliché, mais de repartir sur la liberté, égalité, fraternité, et de vraiment lui transmettre le sens, en fait, cette... au fond de ce que ça veut dire quand on est français. Ces trois mots sont très puissants et relèvent aussi du sentiment. Ce que j'aimerais lui transmettre, c'est d'avoir toujours cette liberté de penser. De ne pas se laisser enfermer dans n'importe quelle boîte, parce que de toute façon, en étant métisse, ma fille ne rentrera dans aucune boîte. Ensuite, la notion d'égalité, c'est quelque chose qui est important, c'est surtout dans le contexte dans lequel je vis, le fait d'être métisse au Japon. Et c'est vrai que ça c'est quelque chose, il y a des éléments sur lesquels, par exemple, moi, ça me profondément, je suis en désaccord parfois de ce que je peux voir. Et ça c'est quelque chose aussi que j'aimerais qu'elle comprenne. Pour moi, c'est quelque chose qui vient de ma culture française et que j'aimerais vraiment lui transmettre. La fraternité, je pense que c'est quelque chose qu'on a oublié, certainement. Ça inclut l'acceptation, la différence, la diversité, le fait de faire société, le fait d'être ensemble. Quelles que soient les challenges que l'on a dans la vie, que j'ai ou que ma fille aura, de toujours garder cette notion de vouloir créer, d'avoir ce sens collectif pour contribuer à quelque chose. Donc citoyenne japonaise ou citoyenne française dans le futur pour ma fille.

  • Speaker #2

    La suite dans le prochain épisode. Vous venez d'écouter un podcast de toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site.

Description

Transmettre, c’est donner du sens à ce qui nous précède. Mais dans une France polarisée où l’identité se débat plus qu’elle ne se partage, l’héritage devient un enjeu, parfois un fardeau. À travers son propre parcours et des conversations avec de jeunes pères, fils d’immigrés ou ayant des attaches ailleurs, Walid interroge ce qui se passe entre deux générations. Ce qu’on garde. Ce qu’on refuse. Ce qu’on transforme. Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ?


EP#1/3. Comme Walid, Charly et Nabil sont fils d’immigrés et transfuges de classe. Charly, d’origine indienne et installé au Japon, raconte une identité marquée par un décalage entre l’attachement de ses parents à la France et les discriminations vécues à l’adolescence en banlieue, trouvant ailleurs une forme de réconciliation. Nabil, né à Paris d’une famille tunisienne, navigue entre un héritage culturel et les réalités d’une société française où l’assimilation reste un combat. Tous deux, désormais pères, partagent sur ce qu’ils transmettront à leurs filles.




Crédits : Ruh ad qqimey - Lounis Aït Menguellet


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez Toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités, produit par Friction. Bonne écoute. Vous vous souvenez, n'est-ce pas ? Je crois même que ceux qui n'étaient pas encore nés s'en souviennent. C'était le 12 juillet 1998, et ce jour-là, la France avait gagné bien plus qu'une Coupe du monde de football. Elle avait gagné le droit de rêver, de rêver à une nation rassemblée, à un pays réinventé, qui embrasserait du même regard... Tous ces enfants, loin des prophéties de malheur de Jean-Marie Le Pen. Black, blanc, beurre, disait-on. C'est ça l'équipe de France est championne du monde en battant le Brésil. Je crois qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquille, enfin le plus tard possible, mais on peut. Ah c'est superbe, quel pied, ah quel pied ! liesse populaire sur les champs-élysées un peuple se découvrait sous mes yeux effarés je n'avais pas encore tout à fait dix-sept ans j'habitais en banlieue dans l'essonne paris était loin en r e r et dans ma tête surtout je n'étais pas sûr d'y croire mais la fête s'était invitée jusque sous nos fenêtres Que reste-t-il de ce rêve ? Plus de 25 ans après, la France doute, se fracture. L'immigration est devenue un problème, la laïcité un bouclier, et l'identité un casse-tête. C'est toujours la prime à celui qui clashera le plus fort. L'immigration n'est pas une chance pour la France,

  • Speaker #1

    c'est même un fléau.

  • Speaker #0

    Le Pen est mort, c'est vrai, mais il laisse beaucoup d'enfants. L'immigration n'est pas une chance,

  • Speaker #2

    c'est un fardeau.

  • Speaker #0

    Il a imprimé beaucoup d'esprit. jusque dans les discours gouvernementaux j'ai vécu pas mal d'années à l'étranger dont quelques-unes en amérique latine par goût du voyage mais aussi par confort c'est plus facile de se construire quand on n'a pas à sans cesse se justifier de qui on est mais je reviens toujours ici en france Parce que chez soi, c'est d'abord là où se trouve le plus grand nombre de gens qu'on aime. Probablement aussi parce que je n'ai pas, ou pas encore, fondé cette famille qui m'obligerait à m'ancrer ailleurs.

  • Speaker #2

    Oui, bonjour, monsieur Raffedi, c'est la mairie de Brissomar. Je vous appelle concernant le décès de votre papa. On a bien reçu le certificat de décès, l'acte a bien été dressé.

  • Speaker #0

    Il y a quelques mois, j'ai perdu mon père. Nous avions une relation compliquée. Je n'ai pas eu une enfance très heureuse. Mes parents se sont séparés quand j'avais 9 ans. Il avait une vision souvent rétrograde de la masculinité. Ça ne m'a pas aidé.

  • Speaker #2

    Il faut nous rappeler ce qu'il souhaitait, mais en tous les cas, tout est bon, tout est fait. Voilà. Bonne fin de journée. Au revoir.

  • Speaker #0

    Mais avec le temps, depuis que ma vie se passe en partie ailleurs, j'ai mieux compris son histoire. Même la partie qu'il a passée sous silence. J'ai mesuré ses sacrifices, son sens du devoir, sa résilience hors normes. Un homme, ça s'empêche. Ce sont les mots qu'Albert Camus a reçus de son père quand il était dans les tranchées. Peut-être qu'au mieux aurait-il dit la même chose s'il avait su mieux écrire le français. J'ai regretté de ne pas avoir appris sa langue. Quand nous l'avons enterré en Algérie, dans le village kabyle qu'il a vu naître, j'ai ressenti la fierté. Et surtout... Le soulagement d'avoir pu accomplir ses dernières volontés. Mais ses adieux emprunts de religiosité, les hommages à ses aïeux, ça ne racontait pas tout.

  • Speaker #2

    C'est lui qui a entendu sa parole.

  • Speaker #0

    Ça ne racontait pas sa part de France. Mon père a passé 60 ans de sa vie entre Paris et sa proche banlieue. C'était un vrai Parisien qui connaissait par cœur la capitale. Il aimait autant la mélancolie de Matou Blounès que la fougue de Johnny, la simplicité de la semoule au lait caillé que le raffinement des cailles poilées. Mais il n'a jamais voulu prendre la nationalité française. Algérien jusqu'à la fin. Avec lui, une part de mon histoire s'est éteinte. une part de mon univers amputée cette absence m'a poussé à réfléchir qu'est-ce qu'on reçoit vraiment de ceux qui nous précèdent qu'est-ce qu'on choisit de transmettre et demain si avec ma compagne on décidait d'avoir des enfants est-ce que j'aurais envie de les élever en france et d'ailleurs est-ce vraiment possible ou est-ce que je ne ferais que perpétuer le déracinement Comment élever des enfants dans un pays où transmettre est devenu un acte politique ? Pour tenter d'y voir plus clair, j'ai fait ce que je fais d'habitude. J'en ai parlé à des amis, des proches, de jeunes papas qui ont sauté le pas, des hommes nés dans les années 80 qui comme moi naviguent entre plusieurs mondes, plusieurs héritages. Ensemble, on explore ce que ça signifie de transmettre dans une société qui vacille. Ce qu'on garde, ce qu'on refuse. et ce qu'on transforme. Nos enfants après nous, un podcast de Walid Aja Rachedi, réalisé par Laura Ausha. Épisode 1 Longtemps fils unique, sans cousin ou cousine à proximité, j'ai trouvé dans mes amis, filles comme garçons, cette fratrie qui me manquait. Parmi ses frères d'une autre mère, Charlie occupe une place particulière.

  • Speaker #2

    Je m'appelle Charlie.

  • Speaker #0

    C'est mon plus vieux pote. On s'est connus au lycée.

  • Speaker #2

    J'ai 42 ans, bientôt 43.

  • Speaker #0

    On habitait dans le même quartier en Essonne.

  • Speaker #2

    Et j'habite à Osaka au Japon. Je suis donc français de Pondichéry. C'est le sud de l'Inde.

  • Speaker #0

    Je lui dois une belle partie de ma culture musicale, rap et R&B des années 90-2000. Sa passion pour le football sud-américain et ses maillots flamboyants a sans doute nourri mon envie de vivre en Amérique latine. Les week-ends, on allait à Paris, comme on marcherait sur la lune. Un territoire si proche qu'on pouvait le toucher, mais qui restait étranger à nos yeux. Entre Evry-Courcouronne et Gare de Lyon, on passait des heures à refaire le monde. avant d'aller acheter des mangas à République ou des baskets à Clignancourt. Charlie a été la première personne à qui j'ai confié cette ambition secrète et improbable pour un banlieusard. Devenir romancier. Et il m'a toujours encouragé. Après le lycée, nos parcours ont suivi les mêmes lignes. Petit boulot d'été, fac, puis école de commerce pour décrocher un bac plus 5 rassurant. Et premier pas dans de grosses boîtes. C'est dans cette période au début de la vingtaine qu'une autre amitié fondatrice s'est nouée.

  • Speaker #1

    Nabil, j'ai 43 ans depuis hier.

  • Speaker #0

    Avec Nabil, l'histoire était différente. Lui aussi venait d'un milieu modeste, mais il avait toujours vécu à Paris.

  • Speaker #1

    Je suis né, j'ai grandi à Paris. Je suis d'origine tunisienne. Je suis souvent le plus parisien de tout le monde en vrai, même si ça ne se voit pas forcément.

  • Speaker #0

    En école de commerce, il semblait totalement à l'aise dans cet univers. Ça m'intriguait un peu. Mais c'est en alternance à la défense que notre amitié a vraiment pris racine. J'ai découvert son goût pour la philo, la littérature et la politique. Il avait aussi fait du cinéma. Ça détonnait. Mais c'était aussi ce qui le rendait intéressant. En 2005, Entre les émeutes à Clichy-sous-Bois, la situation géopolitique post-11 septembre et les débats sur la diversité en entreprise, les sujets brûlants à la pause café ne manquaient pas. Dans la vingtaine, fils d'immigrés et transfuge de classe comme moi, Charlie et Nabil m'ont offert deux variations dans ma miroir. Chacun reflétait à sa manière mes propres interrogations. Qui nous étions, ce qui nous était légué et ce que nous aspirions à devenir.

  • Speaker #2

    Je suis donc français de Pondichéry. L'histoire de la famille est liée à l'histoire de la France, en tout cas en Inde. Mes parents sont nés à Pondichéry. Eux-mêmes issus de parents qui sont français, eux-mêmes nés à Pondichéry. Et je suis donc la quatrième génération de français dans ma famille. Mes grands-pères ont tous les deux travaillé pour l'administration française. Ils étaient gendarmes et un autre était militaire. C'est toute une génération de pondichériens qui ont opté pour la nationalité française. Et ce qui explique pourquoi, au bout d'un moment, quand dans les années 70, la France avait besoin de personnes, d'oeuvres, l'opportunité est venue pour mon père et toute une génération de ses amis de bouger en France et de faire leur vie en France. C'est ce qui fait partie de mon histoire et pourquoi on est français dans ma famille.

  • Speaker #1

    Mon père est arrivé en France, il avait 17 ans, 18 ans par là. Il est arrivé en 70 ou 71, il avait 16-17 ans. Il y avait beaucoup de départs parce que je pense que suite à l'indépendance de la Tunisie, il y a eu une sorte de période de désillusion. Et ça représentait une forme d'Eldorado. Et les conditions administratives de séjour, d'obtention de papiers et tout étaient relativement simples encore. Ça commençait à se durcir, je crois, avec Pompidou. Mais voilà, mon père est arrivé, je crois, assez facilement. Il avait le copain de son père qui avait une épicerie à Bordeaux. Je crois qu'il s'est assez vite retrouvé à Bordeaux. Et puis, il est monté à Paris. Il a fait des petits jobs. Entre-temps, il a eu un enfant avec une femme française de souche, donc mon grand-frère. Et ensuite, il s'est dit, je vais au bled me marier avec une Tunisienne. Et donc, il a épousé ma mère, qui arrivait deux mois après son mariage en France. Et moi, je suis né quelques mois après. Mes parents viennent de Djerba, donc c'est une île au sud de la Tunisie. Il y a une identité forte, un peu comme en Corse. Souvent, les gens se demandent de Corse avant d'être français. Et donc, il y avait ce truc de, t'es djerbien, mais t'es aussi français. C'est-à-dire qu'on nous le disait, de toute façon, administrativement, vous êtes français. On peut être les deux.

  • Speaker #2

    Mon père est arrivé en 1974 exactement. Ça faisait vraiment partie d'un programme proposé à des Français qui étaient basés à l'étranger, principalement dans des ex-territoires ou colonies françaises, de construire une nouvelle vie en France tout en ayant un programme d'assimilation, d'exposition à la culture française. Il est arrivé avec quelques-uns de ses amis et ensuite il a été envoyé dans une famille française, dans la Nièvre, vers Nevers. Donc il a fait les vendanges, il a appris la culture française, la gastronomie à la française, comment vit une famille française, l'art de vivre on va dire. Et en fait c'était le début du commencement et ensuite il a fait un certain nombre d'étapes dans ce programme d'acclimatation, je ne sais pas si je peux dire ça. En tout cas de... connaissance de la culture française qui l'a emmené ensuite à prendre un travail dans notre entreprise ferroviaire nationale SNCF. Mon père, c'est quelqu'un de curieux, un aventurier, même si mes parents ont appris le français quand ils étaient à Pondichéry, c'était certainement la première fois pour lui d'aller à l'étranger, et puis d'y aller un peu pour de bon, parce que c'était un peu l'objectif. je pense qu'il était prudent, il était certainement méchant de ce qu'il m'avait raconté, mais il était aussi très curieux de comprendre comment les choses fonctionnent en France. Quand il me racontait ses histoires, il a toujours, comme un brin de nostalgie, il appréciait ses moments, en fait. Je pense que ça a été des moments fondateurs dans sa définition de qu'est-ce que la France et qu'est-ce que ça représente d'être français. C'est vrai qu'il a été quelque part déraciné, mais c'était volontaire, parce qu'il a été volontaire pour rejoindre ce programme. Je pense que ça a été un moment fondateur pour lui. C'est assez intéressant, parce qu'à chaque fois que j'en parle, les gens sont étonnés, ils disent Ah bon, il y avait des Français en Inde ? Oui, il y avait des Français. Malgré l'histoire qu'on nous enseigne, etc., il y a une forme d'oubli du passé de la France, et de tout cet héritage, quelquefois ça peut être un héritage qui peut être douloureux. La seule chose dont les gens se souviennent, c'est souvent les annales du baccalauréat, où ils voient le sujet présenté au lycée de Pondichéry en telle année. Ils disent Ah, Pondichéry, je connais ! C'est un petit blague un peu marrante. Mais effectivement, il y a une histoire, et moi je suis aussi fier d'être un Français de Pondichéry. Je sais d'où je viens, et je sais que j'ai une histoire qui est un peu différente, je ne sais pas, d'un Français de Paris ou d'un Français de... de Lille ou d'un Français de Marseille par exemple. Pourquoi je dis Français de Pondichéry ? C'est parce que l'assimilation, c'est quelque chose qui est fort dans un sens, mais de l'autre côté aussi, on n'oublie pas qui on est, on n'oublie pas d'où on vient. Et quand j'ai cherché à définir un peu mon identité, moi je me suis toujours accroché à quelle est mon histoire, pourquoi je suis là, pourquoi je suis français et pourquoi je dois m'en justifier en fait. On a tous des histoires différentes, mais je ne veux pas perdre en fait ce lien-là parce que c'est en moi et ça fait partie de moi et c'est même visible, parce que je ressemble à un Indien.

  • Speaker #1

    La France a quand même été un pays... depuis la révolution française, très centralisée, autour de Paris. On a aussi progressivement quasiment éradiqué les cultures bretonnes, du sud-ouest. L'histoire française, c'est aussi ça. C'est-à-dire que c'est une espèce de rouleau compresseur qui veut faire des petits français partout, en fait.

  • Speaker #0

    Dans leur voix, il y a des hésitations qui en disent long. Des mots qu'on manipule avec précaution, comme s'ils pouvaient vous exploser à la figure. Oui ! Ça demande du courage de se livrer. Parce que quand on est un garçon, la première chose qu'on nous apprend, c'est de garder nos sentiments pour nous. Surtout quand on a grandi dans un quartier populaire. Parce que dans nos familles immigrées, nos pères ont souvent raconté leurs histoires du bout des lèvres. Ils ont souvent tué ce qu'il y avait de plus douloureux. C'est ce que je me dis en imaginant le père de Charlie lui raconter les vendanges et la découverte d'un pays qu'il ne connaissait qu'en théorie. Ça me ramène à la fois où j'ai demandé au mien. Papa, c'était comment Paris dans les années 60 ? À une époque où il n'était pas facile d'être algérien ici. J'attendais des récits houleux, de la frustration, du ressentiment, peut-être d'entendre la mienne en miroir qui sait. Mais il y a eu de la lumière dans ses yeux. Il m'a dit qu'il y avait de la musique dans les rues en ces temps-là. Il a évoqué un concert de Johnny, un grand concert. J'étais surpris. Mon père parlait si peu et encore moins de ce qui l'avait rendu heureux. Plus tard, quand il m'a raconté les circonstances plus difficiles, comment la France s'est imposée à lui et chez lui, j'ai compris. Il protégeait un souvenir, une certaine idée de sa jeunesse, de ses 20 ans. Et j'ai compris qu'il me protégeait aussi. Et maintenant, moi aussi je fais pareil dans un sens. Ex-fan des 90's, nostalgique de Paris et de sa banlieue d'alors, métisse mais pas martyr, comme disait la chanson, je choisis ce que je raconte. Raconter, c'est choisir. Mais c'est encore Nabil qui en parle le mieux.

  • Speaker #1

    À Paris, entre amoureuses, je n'étais pas du tout dans une culture de ghetto ou quoi que ce soit. Mes premiers copains, il y en a un qui s'appelait Jérémy, son père était prof à la fac, c'est toujours un copain. Et sa mère était directrice de l'école maternelle où on était. Il y a un autre copain qui s'appelle Tupac. qui était moitié mexicain, moitié français, deux souches, entre guillemets, je ne sais pas comment le dire autrement. Et donc, c'était mes deux meilleurs copains chez qui j'allais dormir et tout. Et donc, il n'y avait pas du tout ce qu'on peut connaître chez des gens qui sont issus de l'immigration, c'est-à-dire des gens qui grandissent dans des quartiers qui sont un peu fermés. Donc, oui, je me suis senti français. Et je l'ai encore aujourd'hui, j'ai toujours en moi ce truc de, bah ouais, on peut être joueur de foot, joueur de basket et joueur d'échecs en même temps, même si effectivement, derrière la question de l'appartenance, il y a un truc plus profond. En plus, je parle arabe, je parle tunisien, j'y vais souvent. L'arabe, on le parlait à la maison. Ma mère m'a raconté qu'enfant à la maternelle, on ne parlait pas très bien français, on lui a fait la remarque en lui disant... Attention, il faut leur parler français, etc. J'ai bien perçu à certains moments de ma vie que l'arabe n'était pas un truc hyper valorisé. Moi, au début de l'adolescence, j'ai eu envie de m'approprier ça. Donc j'ai fait de l'arabe. Alors d'abord, mes parents m'avaient inscrit à des cours d'arabe enfant. Et ensuite, je me suis même inscrit au lycée. Je le faisais en LV3. C'était Henri IV en plus, parce que mon lycée ne faisait pas d'arabe. Et à Paris, dans les lycées intramuros, c'était Henri IV, Louis le Grand. Voilà, donc je faisais de l'arabe là-bas. Moi, j'étais dans un collège privé, on était dans le 20ème, le collège avait un peu mauvaise réputation, mes parents divorçaient à ce moment-là, et mon père s'est donné bonne conscience en me disant je vais payer une école, ce sera bien Après mon collège privé, j'étais dans un bon lycée public du 20ème, qui avait des résultats à 98-99% au bac, mais c'était ambiance culture un peu bobo. C'est-à-dire qu'il y avait cette espèce de mixité qu'on peut trouver dans le XXe. Donc moi, je fanfaronnais pas mal en classe et j'étais plutôt bien reconnu, plein de copains et tout. Puis il y avait aussi cette culture de gauche, des parents, même j'avais des copains journalistes, des journalistes connus, des gens comme ça. Il y avait cette culture un peu hybride. Nous, dans les années 80, alors bon, moi c'était à Paris, c'était différent, mais même j'ai des cousins qui ont grandi dans des cités, des cousins, enfin dans des cités de région parisienne, parmi les plus craignos. Même dans ces endroits-là, il y avait une diversité et les gens ne se considéraient pas juste comme marocains, algériens, tunisiens, sénégalais, machin. Et je pense que, en fait, le rejet des uns nourrit celui des autres et qu'à un moment donné, il y a un... Est-ce que ça vaut le coup de jouer le jeu ?

  • Speaker #2

    Lorsque j'étais adolescent, je me sentais français, même si, de par le contexte et certaines expériences que j'avais déjà eues quand j'avais 15 ou 16 ans, j'avais déjà fait face à certaines situations de rejet. Je me souviens que ça a aussi coïncidé avec une période de ma vie où j'écoutais beaucoup de la musique noire américaine, du hip-hop, surtout les années 80-90 avec des messages assez forts, avec un autre modèle de société, du communautarisme, etc. Il y avait une forme d'identification quelque part à travers cette musique-là que j'écoutais qui conditionnait un peu tout ce package. C'est certainement pour ces raisons-là, par exemple, que certainement à la Coupe du Monde 98, je n'étais pas en train de me dire je vais porter le maillot de l'équipe de France j'avais envie de porter le maillot de l'équipe de Brésil. Du coup, j'avais toujours ce sentiment torturé avec le fait d'avoir à la maison mes parents qui étaient très fiers d'être français et de l'autre côté, moi, de vivre des situations un peu discriminantes en fait.

  • Speaker #1

    Quand je suis arrivé en classe préparatoire, c'est la première fois que j'ai senti un truc de l'ordre d'un regard porté en fonction de la classe sociale ou de l'origine. Je suis allé en classe prépa à Carnot dans le 17ème, qui était une des meilleures classes prépa publiques à l'époque, en prépa HEC en tout cas. Et là, c'est tout de suite les gens qui se définissaient par rapport à l'argent, à leur classe sociale, et je me suis pris une énorme claque de ce point de vue-là. Tu pouvais moins briller parce que t'étais rigolo. Il y avait une Marocaine et une Tunisienne en classe prépa. La Tunisienne s'appelait Bourguiba comme l'ancien président. Elle venait de la famille du président. Et la Marocaine, pareil, classe sociale hyper élevée. Elle habitait dans un énorme à part dans le 16e, alors qu'elle n'avait que 17 ans. J'ai eu des questions parfois, type, mais tes deux parents sont Tunisiens ? Ah ouais, OK. Et j'ai eu une fois un mec qui m'a dit, avant toi, je n'avais jamais parlé en maghrébin. Je me souviens d'une fois, c'était marrant parce que c'était hyper frontal. Quelqu'un, un chauffeur de taxi, j'étais en costume, je prenais le train pour un déplacement pro, qui me demande ce que je fais, qui s'intéresse et qui est un peu impressionné parce que c'est un monde qu'il ne connaît pas, le conseil, la finance, etc. Et il me dit, mais c'est quand que vous allez rentrer chez vous en fait ? Vous avez réussi, vous avez des diplômes, maintenant allez dans votre pays. Pour participer à son développement, à sa croissance, je pense que c'est ce qu'il avait en tête. Et en fait, il a fallu que j'explique qu'étant né en France, ayant toute ma vie sociale, etc. ici, et oui, ça m'avait un peu travaillé, je m'étais dit Ah ouais, on en est là, en fait

  • Speaker #2

    Lorsque j'ai commencé à faire mes études supérieures, que j'étais en contact avec d'autres personnes, parfois issues de l'immigration, mais qui venaient d'autres endroits, ça m'a tout de suite donné une... une autre vision en fait de qu'est-ce que ça veut dire être français. En fait, ce n'est pas que négatif comme j'ai pu l'entendre beaucoup dans les générations de personnes qui étaient autour de moi à ce moment précis-là. Je pense que mon rapport a vraiment commencé à évoluer lorsque j'ai commencé à rentrer dans le monde du travail. Effectivement, un changement de niveau social, puis un changement... d'environnement lorsque j'ai acheté un appartement, j'ai habité dans une autre ville et un autre type d'espace etc. Le pas le plus profond quelque part c'est quand je suis allé vivre à l'étranger en fait. Ça m'a permis de réaliser que oui je suis profondément français. Alors ma façon d'être, ma façon de penser, ma façon d'interagir par mon accent lorsqu'on est à l'étranger. il n'y a plus de il est de telle couleur, c'est de telle couleur de peau etc. J'ai jamais ressenti ça en fait et ça m'a réconcilié encore plus avec le fait d'être français parce que comme je te disais j'avais ce rapport très torturé et au final aujourd'hui je suis assez plutôt fier et je raconte avec plaisir l'histoire et mon parcours par rapport à ça. Certainement que le Charlie de 98 serait surpris d'entendre le Charlie de 2024, très certainement.

  • Speaker #0

    Et le Wallid de 98, il en penserait quoi ? Peut-être qu'il le taquinerait ce Charlie, plus posé, réconcilié. Mais au fond, il serait admiratif surtout. Parce qu'il est resté fidèle à lui-même, toujours entre plusieurs mondes, toujours entier. Et qu'être en paix avec ses contradictions, c'est un truc immense. Il se dirait que finalement, ce Charlie-là, il est exactement là où il doit être. Et il se réjouirait qu'on soit encore amis, malgré la distance, malgré les années.

  • Speaker #2

    Moi, ça fait déjà quasiment dix ans que je ne vis plus en France. Quand on est dans un autre pays, on n'a plus cette charge, effectivement. On n'a plus ce sentiment d'être constamment jugé, ou ce sentiment de est-ce que je suis traité ou est-ce que je suis considéré de façon juste ? Est-ce que j'ai les mêmes chances que d'autres personnes ? En fait, cet élément-là, il disparaît. Aujourd'hui, par exemple, je suis au Japon. depuis un peu plus de 5 ans maintenant, quand je dis que je suis français, il n'y a personne qui me demande Ah oui, mais en fait, tu viens d'où ? Et ça, ça m'est arrivé souvent en France. C'est une question qui n'existe pas, par exemple, ici. On ne se sent pas jugé, en fait. Et on se sent dans un environnement où on est beaucoup plus à l'aise.

  • Speaker #1

    Clairement, je pense que mes choix de carrière ont été influencés par qui je suis. À la période de ma carrière où je suis, je vois d'autant plus... avec d'autant plus de force, le fameux plafond de verre dont j'entendais parler, c'est difficile d'adopter, de coopter des gens qui suivent la diversité. Tu peux avoir des gens hyper bien intentionnés et qui voudraient, sauf que quelqu'un de, entre guillemets, je ne sais pas, j'utilise les expressions que je peux, mais de la diversité qui va diriger un départ, ça veut dire qu'il faut que les équipes l'acceptent, il faut que les parties prenantes. l'accepte. Quand on est une femme, je pense que c'est quelque chose qu'on comprend relativement facilement. Moi, je sais que j'en parle avec ma femme. Et je lui dis, imagine, il y a des secteurs où tu mets une nana pour diriger des hommes, etc. Les comportements changent. Dans l'écosystème humain, il y a beaucoup de choses à faire accepter. Dans certains milieux, pas tous, c'est la même chose. Si tu mets un arabe, un noir, un chinois... Donc, moi, ce plafond de verre, clairement, je le vois. Et limite, je pense qu'il se durcit. Aujourd'hui, je réfléchis à partir de la France. Pas forcément pour ces raisons, c'est juste que j'ai fait quasiment 40 ans à Paris. Même si j'ai bougé et tout, je me verrais bien vivre ailleurs. Donc ouais, je comprends qu'à un moment donné, quand ta vie professionnelle n'avance plus ou pas pour des paramètres sur lesquels tu n'as pas de prise, tu vas chercher ton bonheur là où il est. Après ouais, je trouve que c'est dommage.

  • Speaker #2

    Est-ce que tous ces débats et tous ces sujets assez lourds sur lesquels j'ai l'impression qu'on fait un peu du sur place, voire parfois du retour en arrière, ça donne envie de revenir ? Pas forcément, pour être honnête. Ce que je me vois vivre avec mon épouse et ma fille en France, dans un contexte comme ça, c'est pas attirant. les débats et puis après à la réalité de la vie. Moi, j'ai ma famille en région parisienne. Ils sont très heureux. Ils ont leur père, ils ont leur façon, leur art de vivre, notre culture de famille. Et oui, ça, être plus proche de ça, je serais, je pense, ravi de l'être, notamment pour ma fille. Mon épouse, elle serait partante. Je sais que certainement que ça arrivera. Elle a un rapport à la France, évidemment, tous ces sujets de... de société, tous ces débats autour d'identité. Ce n'est pas forcément quelque chose qui est retranscrit, par exemple, dans les médias en japonais. Après, je sais qu'elle a un fort attrait pour la culture française, donc ça fait partie des questions et des discussions qu'on a de temps en temps avec mon épouse.

  • Speaker #0

    Et c'est vrai que la place de la femme, par exemple, dans la société japonaise, c'est quand même très différent. C'est formaté, les gens sont formatés pour penser d'une certaine façon ici. La diversité, même si c'est des sujets dont on parle en entreprise, par exemple, ce n'est pas forcément visible et c'est bien ancré en fait. Et c'est quelque chose qui pour elle est définitivement un attrait, puisqu'il s'agit d'imaginer une potentielle vie en France, entre une fois par an en France au maximum. Mon ressenti par rapport à l'ambiance actuelle, ou en tout cas les débats de société en France, je ne le ressens pas, disons, comme... comme un poids, mais par contre j'ai beaucoup d'intérêt pour le sujet. C'est comme si en France on n'acceptait pas en fait une partie de l'histoire de la France lorsqu'on commence à avoir ces débats sur la différence, la diversité. Il n'y a pas cette acceptation que oui, il y a des Français qui ne ressemblent pas à des Blancs. Il y a des évolutions et on le voit par exemple à travers la télé, à travers les pubs, etc. Mais il y a quand même ces sujets de débat dans la société où il y a quelque chose derrière, où il y a une forme de malaise et j'ai l'impression que la société, en tout cas entre il y a dix ans, quand je suis parti et maintenant, n'a pas forcément eu de progrès significatif. Je pensais effectivement que... que c'est un peu le sens de l'histoire, que quelque part les choses allaient devenir de plus en plus ouvertes, d'aller au-delà même de tolérance, d'un vivre ensemble qui serait évident en fait. On trouve un peu l'échiquier politique national avec une droite, une extrême droite qui est de plus en plus forte et affirmée. Je n'aurais jamais imaginé ça pour être honnête.

  • Speaker #1

    Une société, c'est une pyramide. Et effectivement, il y a de fait une lutte des places. Et du coup, dès qu'on peut trouver de quoi éjecter quelqu'un pour que la compétition soit moins rude, on le fait. Il n'y a même pas à dire que les gens sont cons parce qu'ils sont racistes. Ce n'est même pas ça. C'est qu'il y a un tel bruit de fond qu'à un moment donné, ce bruit de fond autour de l'islam, l'immigration, etc., évidemment, il est chiant, insupportable presque. Il y a une époque où, ouais, il était pesant. Et comme si... Mais en fait, j'ai résolu la question en me disant mais en fait, tout ça ne me regarde pas tant que ça, finalement. C'est-à-dire que je pense qu'il y a des personnes et des groupes qui ont intérêt à entretenir ce bruit de fond. Moi, c'est leur obsession. Mais c'est leur problème, en fait. J'ai arrêté de regarder la télé il y a plusieurs années. Je n'entends plus tant que ça. Et ouais, dans ma vie quotidienne, je suis assez protégé de... Enfin, je trouve que dans les relations que j'ai dans ma vie, ce bruit de fond, en fait, quand tu coupes la source, il n'est pas si perturbant que ça. Si tu pars du principe que ces bruits de fond, ces défauts qui font chier tout le monde et que tu arrêtes de les écouter, leur discours, il a moins de prise. Pour moi, le fait de ne pas s'emmerder avec ça, c'est une forme de lâcher prise. Malheureusement, même si je ne les regarde pas, il m'arrive sur les réseaux sociaux, sur YouTube, de voir des chaînes comme BFM TV. On a l'impression que c'est vraiment leur sujet de prédilection. Et c'est même rationnellement difficile à comprendre. On se dit, mais est-ce que le problème de la France, c'est ça ? Évidemment que non. Bien sûr que se mettre, enfin lâcher prise pour vivre un peu dans sa bulle, parce que c'est trop douloureux de rentrer même ne serait-ce que dans le débat, enfin je veux dire, à un moment donné, même discuter de ces sujets-là, moi je trouve ça insupportable.

  • Speaker #0

    La religion musulmane est une religion qui a été sur le sol de France par une immigration massive.

  • Speaker #2

    Elle a tendé le visage de notre pays. Ce bruit de fond, dont parle Nabil, je le connais trop bien. C'est comme une torture à la chinoise, cette goutte d'eau qui tombe toujours au même endroit. Une petite chose répétée sans fin, qui finit par t'user, par te rendre fou. Ces petites phrases, ces regards, ces silences qui s'accumulent. Ça te suit, même quand tu fais tout pour l'ignorer. C'est un bruit qui te détourne de toi-même, qui te vole ton énergie. Je les connais bien, ces mots de l'écrivaine afro-américaine Toni Morrison. Et pourtant, j'ai toujours du mal à le couper, ce bruit de fond. La goutte froide insiste sur mon front. C'est sans doute pour ça que comme Charlie, j'ai choisi d'habiter ailleurs pendant plusieurs années et que je pars à la première occasion venue. CDG, Terminal 2F, on se connaît. Loin, là où ce bruit devient presque imperceptible. Partir, c'est trouver une respiration. Mais même à l'autre bout du monde, surtout à l'autre bout du monde, ce bruit ne disparaît jamais vraiment. Il change de forme, il s'atténue, mais il reste là. je retrouve cette goutte qui perle sur mes pages mes rêveries j'observe comment elle prend forme ailleurs en écoutant charlie parler de sérénité et nabille de lâcher prise je me demande est-ce que moi aussi j'ai appris à baisser le volume est-ce qu'en france un jour on arrivera à le faire taire ce bruit

  • Speaker #1

    Moi je trouve que globalement en réalité ça se passe bien si on fait abstraction des extrêmes qui montent des discours parce que c'est intéressant de diviser etc. En vérité ça se passe plutôt bien. Moi je pense qu'à un moment donné juste on ne sait rien de monter le truc en épingle. On est ferme sur ce qu'on veut en France et on interdit ce qu'on doit interdire, ce qu'on peut interdire parce qu'on veut protéger un modèle de laïcité. Et puis on applique et puis fin de l'histoire. Je pense que la simulation elle est... tellement en marche qu'à la limite, c'est même ça qui fait peur à des extrêmes. Moi, je suis en couple, je suis paxé avec Clotilde, qui est un arbre généalogique de souche, pour le coup, aussi loin qu'on puisse remonter. Je crois qu'elle a un arrière-grand-parent allemand. Et ma fille a 18 mois. On ne s'est pas trop posé de questions. Je crois qu'elle voyait plutôt d'un bon oeil le mélange des cultures. En revanche, moi, oui, cette question, depuis que j'ai 20 ans, peut-être depuis que je suis en âge de progrès, c'est des questions qui m'ont interrogé. Pas que pour la difficulté qu'on peut avoir d'être en France, d'être français issu de l'immigration, mais juste parce que j'ai un héritage tunisien, j'ai mon appartenance française et ma culture française à laquelle j'adhère pleinement et de manière hyper assumée depuis très longtemps, depuis mon adolescence.

  • Speaker #0

    Ma femme est japonaise, ma fille aussi. C'est un pays qui fait partie de ma vie. Lorsque je suis devenu papa, quant à comment ma fille va s'identifier, c'est quelque chose qui est venu assez tôt, au moment où elle est née. Déjà, dès le départ, d'un point de vue état civil par exemple, elle est japonaise et française aujourd'hui. C'est quelque chose dont on a discuté avec mon épouse. Je m'étais dit comment… je pourrais lui transmettre cette notion d'être français, d'identité, comment se sentir à l'aise dans le monde dans lequel on vit, quel que soit le pays, que ce soit au Japon ou en France. Parce que moi, lorsque j'étais plus jeune, quand j'étais en France, je n'étais pas forcément perçu comme étant un Français. C'est pareil, lorsque je suis en Inde, on ne me voit pas comme un Indien, on me voit comme un Indien vivant à l'étranger. et j'avais le sentiment d'être un étranger partout en fait. Ma fille, elle sera certainement dans une situation comme ça, où en plus dans un pays, au Japon, le fait d'être métisse, c'est un challenge en soi. Le mot en japonais pour parler des métisses, c'est hafe qui vient de l'anglais half donc moitié Donc ça en dit long sur la façon de penser, de dire ok, cette personne elle est moitié japonaise seulement, elle n'est pas quelqu'un de métisse.

  • Speaker #1

    Quand on a un héritage qui n'est pas français, il y a beaucoup plus de chances que cette partie de son identité s'érode et disparaisse puisqu'on vit dans le pays. Et donc la culture française elle est quand même dominante chez moi, même avant que je sois avec ma compagne. Donc, avant même d'avoir des enfants, la question s'est posée. Mais c'est vrai qu'elle se pose avec beaucoup plus d'acuité quand tu attends un enfant. Après, évidemment, pendant la grossesse, etc. Après, les vraies questions, c'est plus comment on va gérer un enfant, etc. Donc, ce n'est pas du tout ces questions-là. Je pense que ces questions-là, je les ai en tête, mais plus pour quand ma fille va grandir. Qu'est-ce que je transmets de mon héritage tunisien ? Moi, je n'ai pas vraiment de réponse. C'est vrai que j'aimerais bien transmettre l'arabe. Je trouve que c'est pratique, c'est utile. Et je pense que c'est une vraie richesse d'avoir accès à cette langue qui est bien différente, non seulement dans sa structuration, mais aussi dans son univers symbolique. Donc, moi, je trouve que c'est une richesse. Et évidemment, comme tout parent, j'ai envie de transmettre ce qui me paraît être de la valeur ajoutée. Et moi,

  • Speaker #0

    je me posais la question de dire, OK, comment je vais l'aider à... définir en fait son identité et comment elle va se sentir et c'est quelque chose auquel je suis en train de réfléchir et pour moi la base c'est effectivement que ça passe par l'apprentissage des deux langues, que ce soit le japonais ou le français c'est le point de départ donc ce qu'elle fait déjà et ensuite pour moi ce qui est important dans cette transmission c'est qu'elle comprenne son héritage en entier en plus de l'héritage d'être japonaises et françaises et aussi un héritage de Pondichéry aussi et j'aimerais lui emmener ça. Dans le monde dans lequel on vivra, je pense qu'on aura de plus en plus de diversité et savoir sa filiation, d'où on vient, et je pense que c'est important pour se comprendre et aider à se définir.

  • Speaker #1

    Sur la religion, j'aimerais bien qu'elle sache ce qu'il y a dedans. Je n'ai pas forcément envie de lui transmettre des trucs de pratique. Ce sera ses choix, elle. Moi, je ne mange pas de porc, même si je ne crois plus vraiment en Dieu, parce que j'ai une sorte de blocage. Je sais que c'est un blocage, mais en vrai, je me dis qu'il y a tellement de viande. Déjà, j'aimerais bien ne plus manger de viande. Il y a tellement de viande à manger, je ne vois pas pourquoi je me forcerais à manger du porc. Parce que c'est un... Je suis très attaché à ma liberté aussi, à ma liberté de choisir ce que je veux et ce que je veux pas, notamment dans les caractéristiques culturelles. Clotilde me dit J'aimerais bien que ma fille ne mange pas de porc. Du coup, c'est une vraie question. Elle, dans sa famille, ils en mangent beaucoup. Et à table, là, à Noël, par exemple, chez son père, il y en avait tout le temps. Alors, il sait que moi, j'en mange pas. Mais du coup, c'est une vraie question. Et Clotilde, elle aimerait transmettre aussi ces caractéristiques culturelles qui sont importantes. La gastronomie, c'est important, tu vois. On apprend en marchant, clairement. Franchement, on n'a pas eu de grandes discussions là-dessus. Mais je pense que c'est beaucoup plus lié à la personnalité de Clotilde qu'à la mienne. C'est-à-dire que Clotilde, elle est plutôt fonceuse, beaucoup moins à se poser des questions. Par contre, les questions, elle est obligée de se les poser. Une fois que tu es dans les situations réelles, pour moi, c'était aussi assez clair que je n'avais pas envie de transmettre que mon enfant baigne dans un environnement hyper religieux. Je me souviens qu'on a eu cette discussion avec Clotilde. Elle a dit que pour elle, c'est important de connaître les religions pour le... ce qu'elle représente dans l'histoire de l'humanité, en fait. Moi, j'ai été dans un collège catho, donc j'ai fait du kathachisme, j'ai appris l'islam, etc. Et je trouve que c'est une vraie richesse, même pour comprendre les gens, les cultures, l'histoire, etc. Donc, de ce point de vue, et même pour avoir des repères. Disons que moi, j'ai eu à titre personnel une quête spirituelle à une époque. Du coup, je me suis beaucoup intéressé aux religions. J'ai fait le choix, à un moment donné, que c'était l'islam ma religion. Sauf qu'à un moment donné, ma conviction, c'est que... Dans les religions, la partie dogmatique, il faut faire ci parce que c'est comme ça. Et ça, en fait, moi, c'est définitivement un non. Je n'en veux plus et je ne veux pas transmettre ça. Et donc, je suis pour les sociétés libres, démocratiques, où chacun peut faire ce qu'il veut, en fait. Et ça, avant même de rencontrer ma compagne. Ce que j'aimerais absolument transmettre à ma fille de la France et de la culture française, c'est clairement les grandes idées qu'ils font de la France. et qui font que pour moi, à un moment donné où j'étais dans des grandes questions, il n'y avait pas de doute sur si je devais choisir. Les grandes idées de droits de l'homme, Montesquieu, Montaigne, tous ces grands auteurs qui ont posé des bases fortes de ce qu'est la grandeur de la France, c'est ça que je transmettrais, la littérature et tout. Donc ces grandes idées, elles fondent ce qui fait la noblesse de la culture française. Maintenant, l'État français et l'Empire, c'est un peu plus violent que ça. Pendant qu'on rédigeait les droits de l'homme, On continuait à coloniser, on faisait la guerre à des gens qui se révoltaient, tu vois, que ce soit en Indochine, en Algérie. Moi, ce que j'ai vécu dans mon histoire en France d'origine tunisienne, je vous j'ai fait face. Et je pense qu'après, en tant que parent, moi, ma vision, c'est de donner les meilleurs outils à son enfant. Et puis après, c'est à lui de faire son chemin. Ma fille, elle est en bonne santé. Enfin, je veux dire, il y a un milliard de stigmates possibles et imaginables qui sont potentiellement gênants dans une vie. Bon bah si t'es que arabe ça va tu vois. J'attends pas qu'on me dise t'es français, t'es pas français. Enfin moi je sais que je suis français par mon histoire et parce que j'ai fait mien de la culture française. Et pareil quand je vais en Tunisie en fait j'assume pleinement le fait d'être d'héritage tunisien. Si ma fille me dit moi ça me fait chier j'ai pas assez de temps et je rejette. En fait, ce sera aussi sa construction à elle et son histoire à elle. J'essaierai de faire en sorte qu'elle sache s'adapter, en fait. On l'a appelée Sophia, Marie, son deuxième prénom. Et elle a mon nom à moi, Benmamed, et elle a le nom de sa mère, Legey. Et on s'était dit qu'elle pourrait faire les mélanges qu'elle veut. Marie Legey, ça peut être Marie Benmamed, ça peut être Sophia Benmamed. J'aurais bien aimé pouvoir jouer avec ça, tu vois. J'aurais bien aimé avoir un prénom français. pouvoir jouer tu vois.

  • Speaker #2

    Sophia Marie, Marie-Sophia, quand Nabil parle de donner à sa fille la possibilité de jouer avec ses identités, de choisir et de réagencer, ça m'évoque l'idée des Legos. Construire, démonter, réinventer sans jamais être enfermé. L'héritage devient un matériau vivant que chacun peut façonner à sa manière. Ça me fait penser aux mots du romancier Amine Malouf. elle est belle et libre la vision d'amid malouf mais aussi vertigineuse est-ce que je penserais la même chose si je devenais un jour parent Ou alors, est-ce que je serais tenté d'imposer à mon enfant un mode d'emploi du monde ? Charlie, lui, a déjà tranché. Sa fille, elle ne sera la moitié de rien. Elle sera tout, c'est certain.

  • Speaker #0

    Moi, ce qui me tient à cœur de lui transmettre, c'est, même si ça fait un peu cliché, mais de repartir sur la liberté, égalité, fraternité, et de vraiment lui transmettre le sens, en fait, cette... au fond de ce que ça veut dire quand on est français. Ces trois mots sont très puissants et relèvent aussi du sentiment. Ce que j'aimerais lui transmettre, c'est d'avoir toujours cette liberté de penser. De ne pas se laisser enfermer dans n'importe quelle boîte, parce que de toute façon, en étant métisse, ma fille ne rentrera dans aucune boîte. Ensuite, la notion d'égalité, c'est quelque chose qui est important, c'est surtout dans le contexte dans lequel je vis, le fait d'être métisse au Japon. Et c'est vrai que ça c'est quelque chose, il y a des éléments sur lesquels, par exemple, moi, ça me profondément, je suis en désaccord parfois de ce que je peux voir. Et ça c'est quelque chose aussi que j'aimerais qu'elle comprenne. Pour moi, c'est quelque chose qui vient de ma culture française et que j'aimerais vraiment lui transmettre. La fraternité, je pense que c'est quelque chose qu'on a oublié, certainement. Ça inclut l'acceptation, la différence, la diversité, le fait de faire société, le fait d'être ensemble. Quelles que soient les challenges que l'on a dans la vie, que j'ai ou que ma fille aura, de toujours garder cette notion de vouloir créer, d'avoir ce sens collectif pour contribuer à quelque chose. Donc citoyenne japonaise ou citoyenne française dans le futur pour ma fille.

  • Speaker #2

    La suite dans le prochain épisode. Vous venez d'écouter un podcast de toutes identités confondues, le podcast qui explore nos singularités. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site.

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