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FRICTIONS, raconter le monde par l'intime

Virage à 180 degrés : changer de voie pour changer de vie ? | 35H ET SI AFFINITÉS

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25min |10/12/2025
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25min |10/12/2025
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Description

Seinkoun travaillait dans la finance. Il est devenu plombier. Pierre a quitté sa carrière d’ingénieur en Chine, recommencé ses études – pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte.

Mais avant de changer de vie, combien de remises en question ? Quel plan échafauder ? Seinkoun et Pierre nous racontent leur réinvention.


Un podcast de Maud Fellbom
___

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez 35 heures et plus, si affinité, le podcast qui explore notre rapport au travail, produit par friction.

  • Speaker #1

    Bonne écoute ! J'ai perdu des moments de vie importants parce que j'étais pas à ma place au travail.

  • Speaker #2

    Je fais que travailler pour quelque chose. Il est contre mes principes, mes valeurs. Je suis totalement perdu dans ce que je fais.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que je vais faire pour pouvoir reprendre en main cette existence et lui donner plus de couleurs, plus de reliefs, plus de goûts ?

  • Speaker #3

    Ces voix, ce sont celles de Senkun et Pierre. Leur point commun, c'est qu'ils ont tous les deux fait un changement radical dans leur carrière. Le fameux virage à 180 degrés. Vous voyez ? L'un travaillait dans la finance, il est devenu plombier. L'autre a quitté sa carrière d'ingénieur en Chine. recommencer ses études pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte. Mais avant de changer de vie, il y a eu beaucoup de questions auxquelles il a fallu répondre. Comment savoir ce qu'on veut vraiment, pas ce que la société veut de nous ? Comment s'affranchir du regard des autres ? Est-ce qu'un travail qui ne nous intéresse pas, c'est grave ? Et est-ce qu'il y a un âge limite pour se réorienter ? En France, plus d'un actif sur deux souhaite changer d'emploi, mais moins de deux sur dix le feront. si on en croit les derniers baromètres de l'emploi. Senkun et Pierre font partie de ces 2 sur 10. Virage à 180 degrés. Un podcast de Maud Felbaum pour Friction.

  • Speaker #1

    Donc, Senkun Kaba, je suis plombier, néo-plombier, un nouveau plombier depuis maintenant 2022. Suite à une reconversion professionnelle, après une mûre réflexion. Lorsque je suis jeune, il n'y a pas de projection sur ce que j'aime faire, ce que j'aimerais faire. Plus tard, j'apprends qu'il faut bien travailler à l'école. Je n'avais pas de difficultés particulières à l'école. Mais je n'étais pas le bourreau de travail qui rentrait chez lui, qui faisait ses devoirs assis du moins, etc. Je passais chaque année tranquillement, sans fournir d'efforts. J'ai toujours été plutôt habile de mes mains. À la maison, quand il y avait quelque chose qui était abîmé, j'allais regarder de quoi il s'agissait, je farfouillais. Quand j'avais des voitures téléguidées, enfin, je les démontais, je regardais le moteur, etc., les piles, machin. Ma mère, elle a toujours été très attentive à ce que chacun de ses enfants faisait. Elle a vu chez moi que j'avais cette curiosité et aussi une certaine dextérité, on va dire. Elle m'a souvent répété, mais arrête de perdre ton temps à l'école si ça ne t'intéresse pas. Elle m'a répété à plusieurs reprises, un peu agacé, je ne te le cache pas. Si ça ne t'intéresse pas, fais un métier manuel, fais de la plomberie, travaille, plutôt que d'être là. de perdre ton temps à l'école. Pour moi, c'était hors de question. Je ne me suis jamais, mais jamais projeté dans un métier technique, dans un métier manuel. Mais jamais de la vie. Je suis d'une génération où l'élève qui partait en section professionnelle, c'était le cancre. C'était l'élève qui n'avait rien à faire dans la section générale. Ce n'était pas un choix. C'était une contrainte parce qu'on n'avait pas le niveau. La question ne se posait même pas. Même enfant, je n'ai pas le souvenir d'avoir été attiré par un métier en particulier. Ça me fait sourire parce que je pense à une chanson d'un rappeur, Snoop Dogg. Il y a une chanson qui commence par le professeur qui se présente à ses élèves et qui leur demande « What would you like to do when you grow up ? » Et il y en a un qui dit « I would like to be a fireman. I would like to be a police officer. » Et quand il vient sur Snoop, il dit « I want to be a motherfucking husband. » Moi, enfant, le prof, s'il m'avait posé la question, j'aurais répondu « je sais pas » . Donc après la fac, j'ai fait une section qui s'appelle AES, Administration, Économie et Sociale. D'abord, je me suis orienté sur les ressources humaines, ensuite la gestion d'entreprise, et ensuite je suis revenu sur les ressources humaines, où j'ai obtenu une licence. J'ai un cousin, lui il était branché finance, il se voyait trader, etc. Gordon Gekko, Wall Street et tout. Lui il était vraiment pour le coup... Il était à fond dedans comme on dit quoi. Et il m'a parlé d'une société où il est rentré d'abord, après il m'a dit il y a des opportunités, il recrute, etc. J'ai envoyé mon CV et puis voilà. Ça s'est vraiment fait comme ça, sans insistance de ma part. C'était très fluide, un mouvement très souple, très agréable. Donc là, j'étais dans un établissement qui proposait des produits financiers, des SICAF, des fonds communs de placement, etc. Je ne suis pas dans la réflexion. Je suis dans une situation où je cherche à sortir du statut d'étudiant. pour m'insérer comme jeune adulte actif. J'avais besoin d'un salaire pour pouvoir m'installer, je venais de rencontrer ma future femme, voilà, il fallait. C'était le travail, c'était le moyen pour arriver à pouvoir vivre. C'était vraiment le boulot comme outil, mais le boulot n'était pas une fin en soi, c'était un moyen. La finance, c'est délicat, quoi. En début d'année, on nous donne des objectifs, et coûte que coûte, il faut les atteindre. Et à l'époque, donc là, c'est la bulle Internet qui était en train de grossir, grossir. Mais les gens investissaient, mais sans vraiment savoir comment ça allait finir, etc. Et moi, j'ai jamais été un spécialiste de la finance. Mais j'avais un... Je m'y intéressais quand même, j'avais, on va dire, une culture financière... naissante. Et je ne sais pas, j'avais un pressentiment qui me disait ça va dégringoler, ça monte trop haut pour continuer comme ça. Et je me souviens d'un moment où nos responsables nous disaient bon, on a des clients qui ont leur argent investi sur certains placements, il faut leur dire d'investir sur des valeurs du CAC 40. On nous demandait de les faire se désinvestir, liquider en fait leurs livrets pour investir sur des valeurs plus punchy. Avec mon peu de connaissances, je trouvais ça, mais je dis mais c'est super risqué, si les gens ils veulent investir sur des livrets, ils savent pourquoi, c'est juste pour gagner du fric en fait. Et je me souviens d'une dame que j'avais eue au téléphone, je rentre dans son dossier etc. et je vois qu'elle avait plusieurs centaines de milliers de... On était encore au franc, on n'était pas encore à l'euro. Donc si j'avais suivi ce que ma hiérarchie m'avait demandé, je leur ai dit « Bon madame, vous allez vendre ce que vous avez sur votre livret et voilà ce que je vous propose. » J'ai été incapable de le faire. Donc je lui ai dit « Écoutez, si vous voulez, oui, on peut prendre une petite portion de ce que vous avez et puis vous pouvez, si vous voulez, après, rien ne vous y oblige. » Et quelques semaines plus tard, il y a eu le krach. lié à la bulle qui avait éclaté. Franchement, j'étais fier de moi. Gagner de l'argent, ok, on veut tous gagner de l'argent, mais à quel prix ? Non, moi ça ne m'intéresse pas de bosser comme ça, de harceler les gens pour leur vendre des produits dont ils n'ont pas besoin. Quand je travaille, ma conscience, elle n'est pas en sommeil. Elle est bien éveillée et je ne peux pas faire n'importe quoi. Et là, il s'agit de faire n'importe quoi avec l'argent des gens. Je réalisais que... Ce métier n'est pas fait pour moi. En fait, il y avait comme un non-sens, c'est un peu fort, mais c'est un peu ça. Il n'y avait pas de goût, c'était fade. La vie professionnelle était fade. J'étais devenu aussi fade que le travail que je faisais. Et ça, je sais que ça a été difficile pour ma femme et certainement aussi pour mes enfants, parce qu'il y a eu une période, et quand je dis période, plusieurs années. J'étais transparent. J'avais goût à rien. Alors que j'avais tout pour... J'avais une femme extraordinaire, deux beaux enfants. Que demander de plus ? Mais je n'arrivais pas à identifier en fait. J'avais l'impression de passer un peu à côté de ma vie.

  • Speaker #4

    C'est vrai que le sens au travail, c'est une notion qui est assez personnelle.

  • Speaker #3

    Élodie Chevalier, chercheuse spécialisée sur les thématiques du sens au travail entre la France et le Canada.

  • Speaker #4

    Donc chaque personne va y mettre une définition un peu différente de son sens. Pour certaines personnes, en fait, la question du sens, c'est aussi quelle place le travail a dans ma vie. Il y a des personnes pour qui le travail c'est extrêmement important, ça apporte une identité professionnelle, ça apporte une classe sociale, ça apporte un réseau. Donc la place du travail elle va être importante, on va investir du temps, de l'énergie dans le travail. Il y a d'autres personnes pour lesquelles le travail, c'est vraiment une manière de gagner sa vie. Et c'est une manière d'avoir de l'argent pour vivre autre chose à côté. Donc c'est des personnes pour qui le travail, ça va être vraiment quelque chose de plus accessoire.

  • Speaker #1

    Quand on passe 8 heures de temps au travail, il faut que ça ait du sens. Après, je pense qu'il y a des gens qui arrivent à faire abstraction de ça, de cette recherche de sens. Moi, c'est impossible. Je l'ai fait. Pendant un temps, mais bon, au final, ça m'a rattrapé. Je me suis assis, j'ai réfléchi. Qu'est-ce que j'ai vraiment envie de faire ? 8 heures par jour, parce que c'est ça le boulot. On reste 7h30, 8h par jour. Autant être dans un environnement qui nous plaît. Qu'est-ce que tu as envie de faire ? Tu as les clés en main pour pouvoir prendre en main ta vie. J'ai côtoyé des personnes qui avaient eu à travailler dans le bâtiment et en échangeant, j'ai vu que c'était quand même intéressant en fait. Et puis je voyais aussi que, bon, je me suis arrêté à la licence. Certains postes ne sont pas accessibles avec une licence. Alors que quelqu'un qui est habile de ses mains, il n'a pas besoin d'avoir un bac plus 5 ou autre, c'est quelqu'un qui va être recherché. Et on n'était plus à l'époque où c'était un monde de cancre. Il y a certaines personnes qui, de leur habileté manuelle, elles en étaient très bien sorties. Certains étaient devenus leurs propres patrons, mais d'autres, ils avaient pu construire leur maison. Je me dis, ouais, mais ça, c'est intéressant, ça. Et après la réflexion, il faut quand même passer à l'action. Donc j'ai fait un CIF, congé individuel de formation, ça a été rebaptisé depuis, en installation thermique et sanitaire, en 9 mois, plombier et chauffagiste. Donc, 2018, j'ai trouvé un boulot comme technicien de maintenance dans un hôtel. Ce n'était pas de la plomberie, mais au moins j'avais changé, j'avais quitté l'univers de la banque qui ne m'a jamais réellement intéressé. En faisant quelque chose qui nous plaît, il y a comme un sentiment de liberté qui est là aussi. Et chaque jour quand je rentre du boulot, bon bien sûr il y a la fatigue, parce qu'on travaille dans le manuel, on est plus fatigué, ça c'est indéniable. Mais après une bonne nuit de sommeil, on est prêt à repartir. Alors qu'à la banque, je ne travaillais pas manuellement. Mais je pouvais avoir des périodes où j'étais extrêmement fatigué. Mais ça c'était plus en fait, je pense, une sorte de fatigue mentale. Mais je suis d'une génération où le manuel était mal vu. Je viens d'une famille où il fallait faire des études et être un intellectuel. Mais ma mère, comme elle a toujours été pragmatique, elle a vu que ce jeune c'est un con là, il ne fallait pas qu'il s'éternise. sur les bancs de la fac ou du lycée, il fallait qu'ils s'orientent. Mais bon, la société a fait de moi quelqu'un qui n'était pas sensible à cet appel. Et pourtant, il y a des mecs très, très, très intelligents, mais vraiment très intelligents dans le bâtiment. Croyez-moi, les ouvriers, ils travaillent beaucoup avec leur tête. La plomberie... le bâtiment en règle générale ou la menuiserie, on réalise quelque chose. Quand j'effectue un dépannage ou quand je fais une installation, une salle de bain ou autre, je vois ce que je fais, je vois ce que j'ai réalisé. Je peux le toucher du bout des doigts en quelque sorte. Ça a été salvateur en fait de changer de boulot, vraiment, ça a été salvateur.

  • Speaker #2

    Alors, Pierre, je suis architecte, j'ai 36 ans, je vis à Paris et je grandis avec ma mère qui s'ennuie au travail pendant tout mon collège et lycée. Il fallait absolument que je trouve un travail qui m'intéresse et où je n'ai pas l'impression de perdre mon temps et où je ne m'ennuie absolument pas. Alors au lycée, je suis tiraillé entre les arts plastiques et les sciences. Je choisis la voie scientifique pour me laisser du choix ensuite. Je pense qu'il y a l'effet de masse, c'est-à-dire que tous mes amis sont scientifiques et je continue en scientifique. Il y a quand même des petites voix qui disent que tu as plus de débouchés ensuite. Je me dis que l'art plastique, de toute façon, je peux en faire en tant que hobby. Donc j'ai mon bac en 2005. Et ensuite, je rentre en école d'ingénieur, en prépa intégrée, donc directement après le bac. Quand je commence mes écoles d'ingénieur, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. C'est quelque chose de nouveau pour moi. Je vis très bien mes premières années d'école d'ingénieur. J'ai la chance de voyager, de faire un échange en Inde, un stage en Espagne. Et en dernière année, on doit faire un stage et je choisis de partir en Chine. En fait, ça se passe assez rapidement et je ne regrette pas du tout mon choix à ce moment-là. Pour mon stage de fin d'études en Chine, je fais ça dans une petite ville du nord-est chinois. Ça se passe bien, donc je découvre une nouvelle culture. Je commence à beaucoup travailler, on me donne beaucoup de responsabilités. Et en fait, je me retrouve à travailler 80 heures, 85, 90 heures par semaine. Et je n'ai plus du tout de temps libre. Et donc, je reste deux ans dans cette entreprise. Et ensuite, je change d'entreprise pour aller à Pékin. Et là, en fait, ce sont les mêmes problèmes, mais en décuplé. C'est-à-dire que c'est une ville encore plus grande, avec plus de pollution, plus de monde, plus de problèmes de transport. Et pareil pour le travail, en fait, c'est la même chose. C'est-à-dire que je travaille énormément, vu que je travaille pour une boîte franco-chinoise, et que je suis un des seuls Français de l'entreprise, du coup j'ai beaucoup de responsabilités. Et un bus vient me chercher pour aller au travail. Une heure et demie, je me réveille à 5h45, je crois, pour être travaillé à 8h. Parfois, je ne vois pas l'immeuble d'en face. On ne voit pas, à cause d'un brouillard de pollution, un immeuble qui est à 6 mètres devant. On est toujours avec un masque, on est avec des purificateurs d'air. Normalement, l'index de pollution de l'air va de 0 à 1000. Généralement, à Paris, quand c'est pollué, on est à 60. Et là-bas, c'est au-dessus de 1000. Ils ne savaient pas calculer. Et donc il y a cette situation, il y a la situation au travail, parce que je ne sais pas comment j'ai réussi, mais je me tue au travail pour un truc qui me débecte totalement. C'est une entreprise qui travaille pour des fabricants automobiles. Pour mon entretien à l'école d'ingénieur, j'avais dit que je voulais faire des éoliennes. Elle m'a dit « Ah ouais, il y a des gens qui font des éoliennes, qui ont réussi à en faire » . J'étais très très écologie et je me retrouve à faire des... Le contraire du sens que j'ai envie de donner à mon travail, en fait je suis totalement sous l'eau, je sais que ça ne va pas durer, mais alors comment m'en sortir, je ne sais pas du tout. On a une sorte de tunnel où les projets s'enchaînent et je n'arrive pas à avoir le bout, je suis totalement perdu dans ce que je fais. Et il y a un moment, j'arrive à avoir quelques semaines un peu plus calmes. Et là je me dis non mais là faut vraiment que je change de voie, je suis pas du tout heureux dans ce que je fais, dans ma vie, il fallait vraiment un changement radical. Je me demande ce que j'aime faire de mon temps libre et en fait l'évidence ça a été l'architecture, dès qu'il y avait une exposition, dès qu'il y avait, quand j'allais en librairie, à la bibliothèque, c'était ce qui m'intéressait. Et donc je commence à candidater pour des écoles en France. Et au même moment, en fait, ma mère tombe malade. Et là, vraiment, c'est la goutte d'eau. C'est un peu le signal. Je me dis, là, c'est trop, c'est trop. Je ne suis pas du tout bien dans mon boulot. Je vais rentrer, je vais aider ma mère à se soigner. Et après, je verrai ce que je fais.

  • Speaker #4

    Dans la plupart des cas, c'est souvent l'environnement de travail qui fait que les personnes commencent à perdre. la notion de sens au travail. Et souvent, il y a un élément déclencheur qui arrive. Mais l'élément déclencheur, ça peut être quelque chose de totalement externe. Moi, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui, soit parce qu'elles ont connu une maladie ou la maladie d'un proche ou le décès d'un proche, ont été amenées à réfléchir sur qu'est-ce que je veux faire du reste de ma vie, qu'est-ce qui est important, qu'est-ce que je veux prioriser. Il faut que j'arrête de perdre du temps à faire quelque chose que je n'aime pas ou à être dans une situation de travail qui ne me convient pas. Et c'est la même chose pour Pierre. C'est vrai qu'il réalise son travail dans un environnement qui ne lui correspond pas du tout par rapport à ses valeurs qui sont plus écologiques. Donc même s'il aime son travail, le fait de le réaliser dans un environnement qui ne lui correspond pas, ça peut faire perdre du sens au travail.

  • Speaker #2

    Quelques semaines après, je reçois une candidature acceptée à l'école de Grenoble. Je rentre directement en deuxième année. Je me dis que ça risque d'être long, la vie fait que ce n'est pas aussi facile de reprendre ses études, de faire 5 ans à 26-27 ans que de les faire à 18. Je me dis que je vais voir. Dès les premiers jours, c'est un coup de poudre total avec les études d'architecture. Je ne me pose plus la question d'arrêter. Je crois qu'il y a toute une partie de moi qui avait été oubliée. plastique, dessin, graphisme. Une ouverture d'esprit que j'avais perdue en faisant vraiment de l'ingénierie 90 heures par semaine pendant 4 ans. C'était vraiment du plaisir. Très très heureux de faire ça. Mais le fait de ne pas gagner d'argent pendant ces 4 ans, le fait d'avoir ses amis continuer leur vie, avoir des crédits, d'avoir... Une vie qui continue et toi d'être un peu... Je suis toujours à l'école, tout le monde me dit c'est génial, t'as beaucoup de courage, je t'envis. Et c'est vrai que même si les études étaient incroyables, il y a toujours ce doute. Et de voir des gens qui ont pas recommencé leurs études et que toi t'es encore... que tu finis pas, que tu sais pas encore ce que c'est que de travailler en tant qu'architecte, tu doutes. Tu doutes de toi, tu doutes de tes choix, parce que c'est quand même un gros changement. 4 ans d'investissement, j'ai 28 ans, je suis en 3ème année d'école d'architecte, je vis chez ma mère, j'ai pas de revenus, les amis te disent que c'est incroyable, que t'as de la chance, que t'as eu du courage, mais c'est vrai que des fois tu te demandes vraiment si t'as fait le bon choix, si ça vaut le coup.

  • Speaker #4

    C'est vrai que ce n'est pas tout le monde qui va faire un changement vraiment radical de vie professionnelle. Une réorientation, ça coûte quand même en termes de progression de carrière. C'est vrai qu'on repart à zéro quand on change de métier, de secteur. Quand on fait des études, ça a un coût financier aussi, même s'il y a des prises en charge. Donc, c'est vrai que plus on a encore des années de travail à réaliser, plus, on va dire, le coût en vaut la peine. Donc, c'est pour ça qu'on voit plutôt des réorientations sur les... on va dire les premières moitiés de carrière, c'est plus fréquent.

  • Speaker #2

    Donc après, j'ai la possibilité de repartir en échange universitaire. Moi qui ai adoré toutes mes expériences de voyage, qui en plus vis chez la mer, donc c'est une bonne occasion de pouvoir repartir. Je ne pense pas que je serai pris, mais je fais quand même mon dossier pour des écoles en Argentine, et je suis pris. Donc je fais ma quatrième année en Argentine, à Buenos Aires. Ça se passe super bien, on découvre une nouvelle culture, je découvre ce qui sera ma future femme. Donc je reste un an, et ensuite je reviens presque un an pour valider mon diplôme. Et ensuite je repars en Argentine, où je commande vraiment ma carrière d'architecte, ma vie professionnelle là-bas. On peut dire que Pierre 2024 est beaucoup plus épanoui, même s'il n'est pas propriétaire, il n'a pas beaucoup d'argent, mais il est super épanoui dans ce qu'il fait. Alors que Pierre Duchy, il était totalement sous l'eau, il était dans un tunnel et il subissait sa vie.

  • Speaker #4

    Je dirais le sens, c'est plutôt se sentir à la bonne place, se sentir aligné avec ce qu'on fait et qui on est.

  • Speaker #1

    Notre bien le plus précieux, c'est notre temps. L'argent, on perd, on gagne. La santé, ça va, ça vient. Le temps, ça part seul.

  • Speaker #0

    où vous venez d'écouter un épisode de 35 heures et plus CF Unité, le podcast qui explore notre rapport au travail. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site friction.co

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Seinkoun travaillait dans la finance. Il est devenu plombier. Pierre a quitté sa carrière d’ingénieur en Chine, recommencé ses études – pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte.

Mais avant de changer de vie, combien de remises en question ? Quel plan échafauder ? Seinkoun et Pierre nous racontent leur réinvention.


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  • Speaker #0

    Vous écoutez 35 heures et plus, si affinité, le podcast qui explore notre rapport au travail, produit par friction.

  • Speaker #1

    Bonne écoute ! J'ai perdu des moments de vie importants parce que j'étais pas à ma place au travail.

  • Speaker #2

    Je fais que travailler pour quelque chose. Il est contre mes principes, mes valeurs. Je suis totalement perdu dans ce que je fais.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que je vais faire pour pouvoir reprendre en main cette existence et lui donner plus de couleurs, plus de reliefs, plus de goûts ?

  • Speaker #3

    Ces voix, ce sont celles de Senkun et Pierre. Leur point commun, c'est qu'ils ont tous les deux fait un changement radical dans leur carrière. Le fameux virage à 180 degrés. Vous voyez ? L'un travaillait dans la finance, il est devenu plombier. L'autre a quitté sa carrière d'ingénieur en Chine. recommencer ses études pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte. Mais avant de changer de vie, il y a eu beaucoup de questions auxquelles il a fallu répondre. Comment savoir ce qu'on veut vraiment, pas ce que la société veut de nous ? Comment s'affranchir du regard des autres ? Est-ce qu'un travail qui ne nous intéresse pas, c'est grave ? Et est-ce qu'il y a un âge limite pour se réorienter ? En France, plus d'un actif sur deux souhaite changer d'emploi, mais moins de deux sur dix le feront. si on en croit les derniers baromètres de l'emploi. Senkun et Pierre font partie de ces 2 sur 10. Virage à 180 degrés. Un podcast de Maud Felbaum pour Friction.

  • Speaker #1

    Donc, Senkun Kaba, je suis plombier, néo-plombier, un nouveau plombier depuis maintenant 2022. Suite à une reconversion professionnelle, après une mûre réflexion. Lorsque je suis jeune, il n'y a pas de projection sur ce que j'aime faire, ce que j'aimerais faire. Plus tard, j'apprends qu'il faut bien travailler à l'école. Je n'avais pas de difficultés particulières à l'école. Mais je n'étais pas le bourreau de travail qui rentrait chez lui, qui faisait ses devoirs assis du moins, etc. Je passais chaque année tranquillement, sans fournir d'efforts. J'ai toujours été plutôt habile de mes mains. À la maison, quand il y avait quelque chose qui était abîmé, j'allais regarder de quoi il s'agissait, je farfouillais. Quand j'avais des voitures téléguidées, enfin, je les démontais, je regardais le moteur, etc., les piles, machin. Ma mère, elle a toujours été très attentive à ce que chacun de ses enfants faisait. Elle a vu chez moi que j'avais cette curiosité et aussi une certaine dextérité, on va dire. Elle m'a souvent répété, mais arrête de perdre ton temps à l'école si ça ne t'intéresse pas. Elle m'a répété à plusieurs reprises, un peu agacé, je ne te le cache pas. Si ça ne t'intéresse pas, fais un métier manuel, fais de la plomberie, travaille, plutôt que d'être là. de perdre ton temps à l'école. Pour moi, c'était hors de question. Je ne me suis jamais, mais jamais projeté dans un métier technique, dans un métier manuel. Mais jamais de la vie. Je suis d'une génération où l'élève qui partait en section professionnelle, c'était le cancre. C'était l'élève qui n'avait rien à faire dans la section générale. Ce n'était pas un choix. C'était une contrainte parce qu'on n'avait pas le niveau. La question ne se posait même pas. Même enfant, je n'ai pas le souvenir d'avoir été attiré par un métier en particulier. Ça me fait sourire parce que je pense à une chanson d'un rappeur, Snoop Dogg. Il y a une chanson qui commence par le professeur qui se présente à ses élèves et qui leur demande « What would you like to do when you grow up ? » Et il y en a un qui dit « I would like to be a fireman. I would like to be a police officer. » Et quand il vient sur Snoop, il dit « I want to be a motherfucking husband. » Moi, enfant, le prof, s'il m'avait posé la question, j'aurais répondu « je sais pas » . Donc après la fac, j'ai fait une section qui s'appelle AES, Administration, Économie et Sociale. D'abord, je me suis orienté sur les ressources humaines, ensuite la gestion d'entreprise, et ensuite je suis revenu sur les ressources humaines, où j'ai obtenu une licence. J'ai un cousin, lui il était branché finance, il se voyait trader, etc. Gordon Gekko, Wall Street et tout. Lui il était vraiment pour le coup... Il était à fond dedans comme on dit quoi. Et il m'a parlé d'une société où il est rentré d'abord, après il m'a dit il y a des opportunités, il recrute, etc. J'ai envoyé mon CV et puis voilà. Ça s'est vraiment fait comme ça, sans insistance de ma part. C'était très fluide, un mouvement très souple, très agréable. Donc là, j'étais dans un établissement qui proposait des produits financiers, des SICAF, des fonds communs de placement, etc. Je ne suis pas dans la réflexion. Je suis dans une situation où je cherche à sortir du statut d'étudiant. pour m'insérer comme jeune adulte actif. J'avais besoin d'un salaire pour pouvoir m'installer, je venais de rencontrer ma future femme, voilà, il fallait. C'était le travail, c'était le moyen pour arriver à pouvoir vivre. C'était vraiment le boulot comme outil, mais le boulot n'était pas une fin en soi, c'était un moyen. La finance, c'est délicat, quoi. En début d'année, on nous donne des objectifs, et coûte que coûte, il faut les atteindre. Et à l'époque, donc là, c'est la bulle Internet qui était en train de grossir, grossir. Mais les gens investissaient, mais sans vraiment savoir comment ça allait finir, etc. Et moi, j'ai jamais été un spécialiste de la finance. Mais j'avais un... Je m'y intéressais quand même, j'avais, on va dire, une culture financière... naissante. Et je ne sais pas, j'avais un pressentiment qui me disait ça va dégringoler, ça monte trop haut pour continuer comme ça. Et je me souviens d'un moment où nos responsables nous disaient bon, on a des clients qui ont leur argent investi sur certains placements, il faut leur dire d'investir sur des valeurs du CAC 40. On nous demandait de les faire se désinvestir, liquider en fait leurs livrets pour investir sur des valeurs plus punchy. Avec mon peu de connaissances, je trouvais ça, mais je dis mais c'est super risqué, si les gens ils veulent investir sur des livrets, ils savent pourquoi, c'est juste pour gagner du fric en fait. Et je me souviens d'une dame que j'avais eue au téléphone, je rentre dans son dossier etc. et je vois qu'elle avait plusieurs centaines de milliers de... On était encore au franc, on n'était pas encore à l'euro. Donc si j'avais suivi ce que ma hiérarchie m'avait demandé, je leur ai dit « Bon madame, vous allez vendre ce que vous avez sur votre livret et voilà ce que je vous propose. » J'ai été incapable de le faire. Donc je lui ai dit « Écoutez, si vous voulez, oui, on peut prendre une petite portion de ce que vous avez et puis vous pouvez, si vous voulez, après, rien ne vous y oblige. » Et quelques semaines plus tard, il y a eu le krach. lié à la bulle qui avait éclaté. Franchement, j'étais fier de moi. Gagner de l'argent, ok, on veut tous gagner de l'argent, mais à quel prix ? Non, moi ça ne m'intéresse pas de bosser comme ça, de harceler les gens pour leur vendre des produits dont ils n'ont pas besoin. Quand je travaille, ma conscience, elle n'est pas en sommeil. Elle est bien éveillée et je ne peux pas faire n'importe quoi. Et là, il s'agit de faire n'importe quoi avec l'argent des gens. Je réalisais que... Ce métier n'est pas fait pour moi. En fait, il y avait comme un non-sens, c'est un peu fort, mais c'est un peu ça. Il n'y avait pas de goût, c'était fade. La vie professionnelle était fade. J'étais devenu aussi fade que le travail que je faisais. Et ça, je sais que ça a été difficile pour ma femme et certainement aussi pour mes enfants, parce qu'il y a eu une période, et quand je dis période, plusieurs années. J'étais transparent. J'avais goût à rien. Alors que j'avais tout pour... J'avais une femme extraordinaire, deux beaux enfants. Que demander de plus ? Mais je n'arrivais pas à identifier en fait. J'avais l'impression de passer un peu à côté de ma vie.

  • Speaker #4

    C'est vrai que le sens au travail, c'est une notion qui est assez personnelle.

  • Speaker #3

    Élodie Chevalier, chercheuse spécialisée sur les thématiques du sens au travail entre la France et le Canada.

  • Speaker #4

    Donc chaque personne va y mettre une définition un peu différente de son sens. Pour certaines personnes, en fait, la question du sens, c'est aussi quelle place le travail a dans ma vie. Il y a des personnes pour qui le travail c'est extrêmement important, ça apporte une identité professionnelle, ça apporte une classe sociale, ça apporte un réseau. Donc la place du travail elle va être importante, on va investir du temps, de l'énergie dans le travail. Il y a d'autres personnes pour lesquelles le travail, c'est vraiment une manière de gagner sa vie. Et c'est une manière d'avoir de l'argent pour vivre autre chose à côté. Donc c'est des personnes pour qui le travail, ça va être vraiment quelque chose de plus accessoire.

  • Speaker #1

    Quand on passe 8 heures de temps au travail, il faut que ça ait du sens. Après, je pense qu'il y a des gens qui arrivent à faire abstraction de ça, de cette recherche de sens. Moi, c'est impossible. Je l'ai fait. Pendant un temps, mais bon, au final, ça m'a rattrapé. Je me suis assis, j'ai réfléchi. Qu'est-ce que j'ai vraiment envie de faire ? 8 heures par jour, parce que c'est ça le boulot. On reste 7h30, 8h par jour. Autant être dans un environnement qui nous plaît. Qu'est-ce que tu as envie de faire ? Tu as les clés en main pour pouvoir prendre en main ta vie. J'ai côtoyé des personnes qui avaient eu à travailler dans le bâtiment et en échangeant, j'ai vu que c'était quand même intéressant en fait. Et puis je voyais aussi que, bon, je me suis arrêté à la licence. Certains postes ne sont pas accessibles avec une licence. Alors que quelqu'un qui est habile de ses mains, il n'a pas besoin d'avoir un bac plus 5 ou autre, c'est quelqu'un qui va être recherché. Et on n'était plus à l'époque où c'était un monde de cancre. Il y a certaines personnes qui, de leur habileté manuelle, elles en étaient très bien sorties. Certains étaient devenus leurs propres patrons, mais d'autres, ils avaient pu construire leur maison. Je me dis, ouais, mais ça, c'est intéressant, ça. Et après la réflexion, il faut quand même passer à l'action. Donc j'ai fait un CIF, congé individuel de formation, ça a été rebaptisé depuis, en installation thermique et sanitaire, en 9 mois, plombier et chauffagiste. Donc, 2018, j'ai trouvé un boulot comme technicien de maintenance dans un hôtel. Ce n'était pas de la plomberie, mais au moins j'avais changé, j'avais quitté l'univers de la banque qui ne m'a jamais réellement intéressé. En faisant quelque chose qui nous plaît, il y a comme un sentiment de liberté qui est là aussi. Et chaque jour quand je rentre du boulot, bon bien sûr il y a la fatigue, parce qu'on travaille dans le manuel, on est plus fatigué, ça c'est indéniable. Mais après une bonne nuit de sommeil, on est prêt à repartir. Alors qu'à la banque, je ne travaillais pas manuellement. Mais je pouvais avoir des périodes où j'étais extrêmement fatigué. Mais ça c'était plus en fait, je pense, une sorte de fatigue mentale. Mais je suis d'une génération où le manuel était mal vu. Je viens d'une famille où il fallait faire des études et être un intellectuel. Mais ma mère, comme elle a toujours été pragmatique, elle a vu que ce jeune c'est un con là, il ne fallait pas qu'il s'éternise. sur les bancs de la fac ou du lycée, il fallait qu'ils s'orientent. Mais bon, la société a fait de moi quelqu'un qui n'était pas sensible à cet appel. Et pourtant, il y a des mecs très, très, très intelligents, mais vraiment très intelligents dans le bâtiment. Croyez-moi, les ouvriers, ils travaillent beaucoup avec leur tête. La plomberie... le bâtiment en règle générale ou la menuiserie, on réalise quelque chose. Quand j'effectue un dépannage ou quand je fais une installation, une salle de bain ou autre, je vois ce que je fais, je vois ce que j'ai réalisé. Je peux le toucher du bout des doigts en quelque sorte. Ça a été salvateur en fait de changer de boulot, vraiment, ça a été salvateur.

  • Speaker #2

    Alors, Pierre, je suis architecte, j'ai 36 ans, je vis à Paris et je grandis avec ma mère qui s'ennuie au travail pendant tout mon collège et lycée. Il fallait absolument que je trouve un travail qui m'intéresse et où je n'ai pas l'impression de perdre mon temps et où je ne m'ennuie absolument pas. Alors au lycée, je suis tiraillé entre les arts plastiques et les sciences. Je choisis la voie scientifique pour me laisser du choix ensuite. Je pense qu'il y a l'effet de masse, c'est-à-dire que tous mes amis sont scientifiques et je continue en scientifique. Il y a quand même des petites voix qui disent que tu as plus de débouchés ensuite. Je me dis que l'art plastique, de toute façon, je peux en faire en tant que hobby. Donc j'ai mon bac en 2005. Et ensuite, je rentre en école d'ingénieur, en prépa intégrée, donc directement après le bac. Quand je commence mes écoles d'ingénieur, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. C'est quelque chose de nouveau pour moi. Je vis très bien mes premières années d'école d'ingénieur. J'ai la chance de voyager, de faire un échange en Inde, un stage en Espagne. Et en dernière année, on doit faire un stage et je choisis de partir en Chine. En fait, ça se passe assez rapidement et je ne regrette pas du tout mon choix à ce moment-là. Pour mon stage de fin d'études en Chine, je fais ça dans une petite ville du nord-est chinois. Ça se passe bien, donc je découvre une nouvelle culture. Je commence à beaucoup travailler, on me donne beaucoup de responsabilités. Et en fait, je me retrouve à travailler 80 heures, 85, 90 heures par semaine. Et je n'ai plus du tout de temps libre. Et donc, je reste deux ans dans cette entreprise. Et ensuite, je change d'entreprise pour aller à Pékin. Et là, en fait, ce sont les mêmes problèmes, mais en décuplé. C'est-à-dire que c'est une ville encore plus grande, avec plus de pollution, plus de monde, plus de problèmes de transport. Et pareil pour le travail, en fait, c'est la même chose. C'est-à-dire que je travaille énormément, vu que je travaille pour une boîte franco-chinoise, et que je suis un des seuls Français de l'entreprise, du coup j'ai beaucoup de responsabilités. Et un bus vient me chercher pour aller au travail. Une heure et demie, je me réveille à 5h45, je crois, pour être travaillé à 8h. Parfois, je ne vois pas l'immeuble d'en face. On ne voit pas, à cause d'un brouillard de pollution, un immeuble qui est à 6 mètres devant. On est toujours avec un masque, on est avec des purificateurs d'air. Normalement, l'index de pollution de l'air va de 0 à 1000. Généralement, à Paris, quand c'est pollué, on est à 60. Et là-bas, c'est au-dessus de 1000. Ils ne savaient pas calculer. Et donc il y a cette situation, il y a la situation au travail, parce que je ne sais pas comment j'ai réussi, mais je me tue au travail pour un truc qui me débecte totalement. C'est une entreprise qui travaille pour des fabricants automobiles. Pour mon entretien à l'école d'ingénieur, j'avais dit que je voulais faire des éoliennes. Elle m'a dit « Ah ouais, il y a des gens qui font des éoliennes, qui ont réussi à en faire » . J'étais très très écologie et je me retrouve à faire des... Le contraire du sens que j'ai envie de donner à mon travail, en fait je suis totalement sous l'eau, je sais que ça ne va pas durer, mais alors comment m'en sortir, je ne sais pas du tout. On a une sorte de tunnel où les projets s'enchaînent et je n'arrive pas à avoir le bout, je suis totalement perdu dans ce que je fais. Et il y a un moment, j'arrive à avoir quelques semaines un peu plus calmes. Et là je me dis non mais là faut vraiment que je change de voie, je suis pas du tout heureux dans ce que je fais, dans ma vie, il fallait vraiment un changement radical. Je me demande ce que j'aime faire de mon temps libre et en fait l'évidence ça a été l'architecture, dès qu'il y avait une exposition, dès qu'il y avait, quand j'allais en librairie, à la bibliothèque, c'était ce qui m'intéressait. Et donc je commence à candidater pour des écoles en France. Et au même moment, en fait, ma mère tombe malade. Et là, vraiment, c'est la goutte d'eau. C'est un peu le signal. Je me dis, là, c'est trop, c'est trop. Je ne suis pas du tout bien dans mon boulot. Je vais rentrer, je vais aider ma mère à se soigner. Et après, je verrai ce que je fais.

  • Speaker #4

    Dans la plupart des cas, c'est souvent l'environnement de travail qui fait que les personnes commencent à perdre. la notion de sens au travail. Et souvent, il y a un élément déclencheur qui arrive. Mais l'élément déclencheur, ça peut être quelque chose de totalement externe. Moi, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui, soit parce qu'elles ont connu une maladie ou la maladie d'un proche ou le décès d'un proche, ont été amenées à réfléchir sur qu'est-ce que je veux faire du reste de ma vie, qu'est-ce qui est important, qu'est-ce que je veux prioriser. Il faut que j'arrête de perdre du temps à faire quelque chose que je n'aime pas ou à être dans une situation de travail qui ne me convient pas. Et c'est la même chose pour Pierre. C'est vrai qu'il réalise son travail dans un environnement qui ne lui correspond pas du tout par rapport à ses valeurs qui sont plus écologiques. Donc même s'il aime son travail, le fait de le réaliser dans un environnement qui ne lui correspond pas, ça peut faire perdre du sens au travail.

  • Speaker #2

    Quelques semaines après, je reçois une candidature acceptée à l'école de Grenoble. Je rentre directement en deuxième année. Je me dis que ça risque d'être long, la vie fait que ce n'est pas aussi facile de reprendre ses études, de faire 5 ans à 26-27 ans que de les faire à 18. Je me dis que je vais voir. Dès les premiers jours, c'est un coup de poudre total avec les études d'architecture. Je ne me pose plus la question d'arrêter. Je crois qu'il y a toute une partie de moi qui avait été oubliée. plastique, dessin, graphisme. Une ouverture d'esprit que j'avais perdue en faisant vraiment de l'ingénierie 90 heures par semaine pendant 4 ans. C'était vraiment du plaisir. Très très heureux de faire ça. Mais le fait de ne pas gagner d'argent pendant ces 4 ans, le fait d'avoir ses amis continuer leur vie, avoir des crédits, d'avoir... Une vie qui continue et toi d'être un peu... Je suis toujours à l'école, tout le monde me dit c'est génial, t'as beaucoup de courage, je t'envis. Et c'est vrai que même si les études étaient incroyables, il y a toujours ce doute. Et de voir des gens qui ont pas recommencé leurs études et que toi t'es encore... que tu finis pas, que tu sais pas encore ce que c'est que de travailler en tant qu'architecte, tu doutes. Tu doutes de toi, tu doutes de tes choix, parce que c'est quand même un gros changement. 4 ans d'investissement, j'ai 28 ans, je suis en 3ème année d'école d'architecte, je vis chez ma mère, j'ai pas de revenus, les amis te disent que c'est incroyable, que t'as de la chance, que t'as eu du courage, mais c'est vrai que des fois tu te demandes vraiment si t'as fait le bon choix, si ça vaut le coup.

  • Speaker #4

    C'est vrai que ce n'est pas tout le monde qui va faire un changement vraiment radical de vie professionnelle. Une réorientation, ça coûte quand même en termes de progression de carrière. C'est vrai qu'on repart à zéro quand on change de métier, de secteur. Quand on fait des études, ça a un coût financier aussi, même s'il y a des prises en charge. Donc, c'est vrai que plus on a encore des années de travail à réaliser, plus, on va dire, le coût en vaut la peine. Donc, c'est pour ça qu'on voit plutôt des réorientations sur les... on va dire les premières moitiés de carrière, c'est plus fréquent.

  • Speaker #2

    Donc après, j'ai la possibilité de repartir en échange universitaire. Moi qui ai adoré toutes mes expériences de voyage, qui en plus vis chez la mer, donc c'est une bonne occasion de pouvoir repartir. Je ne pense pas que je serai pris, mais je fais quand même mon dossier pour des écoles en Argentine, et je suis pris. Donc je fais ma quatrième année en Argentine, à Buenos Aires. Ça se passe super bien, on découvre une nouvelle culture, je découvre ce qui sera ma future femme. Donc je reste un an, et ensuite je reviens presque un an pour valider mon diplôme. Et ensuite je repars en Argentine, où je commande vraiment ma carrière d'architecte, ma vie professionnelle là-bas. On peut dire que Pierre 2024 est beaucoup plus épanoui, même s'il n'est pas propriétaire, il n'a pas beaucoup d'argent, mais il est super épanoui dans ce qu'il fait. Alors que Pierre Duchy, il était totalement sous l'eau, il était dans un tunnel et il subissait sa vie.

  • Speaker #4

    Je dirais le sens, c'est plutôt se sentir à la bonne place, se sentir aligné avec ce qu'on fait et qui on est.

  • Speaker #1

    Notre bien le plus précieux, c'est notre temps. L'argent, on perd, on gagne. La santé, ça va, ça vient. Le temps, ça part seul.

  • Speaker #0

    où vous venez d'écouter un épisode de 35 heures et plus CF Unité, le podcast qui explore notre rapport au travail. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site friction.co

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Description

Seinkoun travaillait dans la finance. Il est devenu plombier. Pierre a quitté sa carrière d’ingénieur en Chine, recommencé ses études – pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte.

Mais avant de changer de vie, combien de remises en question ? Quel plan échafauder ? Seinkoun et Pierre nous racontent leur réinvention.


Un podcast de Maud Fellbom
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Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez 35 heures et plus, si affinité, le podcast qui explore notre rapport au travail, produit par friction.

  • Speaker #1

    Bonne écoute ! J'ai perdu des moments de vie importants parce que j'étais pas à ma place au travail.

  • Speaker #2

    Je fais que travailler pour quelque chose. Il est contre mes principes, mes valeurs. Je suis totalement perdu dans ce que je fais.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que je vais faire pour pouvoir reprendre en main cette existence et lui donner plus de couleurs, plus de reliefs, plus de goûts ?

  • Speaker #3

    Ces voix, ce sont celles de Senkun et Pierre. Leur point commun, c'est qu'ils ont tous les deux fait un changement radical dans leur carrière. Le fameux virage à 180 degrés. Vous voyez ? L'un travaillait dans la finance, il est devenu plombier. L'autre a quitté sa carrière d'ingénieur en Chine. recommencer ses études pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte. Mais avant de changer de vie, il y a eu beaucoup de questions auxquelles il a fallu répondre. Comment savoir ce qu'on veut vraiment, pas ce que la société veut de nous ? Comment s'affranchir du regard des autres ? Est-ce qu'un travail qui ne nous intéresse pas, c'est grave ? Et est-ce qu'il y a un âge limite pour se réorienter ? En France, plus d'un actif sur deux souhaite changer d'emploi, mais moins de deux sur dix le feront. si on en croit les derniers baromètres de l'emploi. Senkun et Pierre font partie de ces 2 sur 10. Virage à 180 degrés. Un podcast de Maud Felbaum pour Friction.

  • Speaker #1

    Donc, Senkun Kaba, je suis plombier, néo-plombier, un nouveau plombier depuis maintenant 2022. Suite à une reconversion professionnelle, après une mûre réflexion. Lorsque je suis jeune, il n'y a pas de projection sur ce que j'aime faire, ce que j'aimerais faire. Plus tard, j'apprends qu'il faut bien travailler à l'école. Je n'avais pas de difficultés particulières à l'école. Mais je n'étais pas le bourreau de travail qui rentrait chez lui, qui faisait ses devoirs assis du moins, etc. Je passais chaque année tranquillement, sans fournir d'efforts. J'ai toujours été plutôt habile de mes mains. À la maison, quand il y avait quelque chose qui était abîmé, j'allais regarder de quoi il s'agissait, je farfouillais. Quand j'avais des voitures téléguidées, enfin, je les démontais, je regardais le moteur, etc., les piles, machin. Ma mère, elle a toujours été très attentive à ce que chacun de ses enfants faisait. Elle a vu chez moi que j'avais cette curiosité et aussi une certaine dextérité, on va dire. Elle m'a souvent répété, mais arrête de perdre ton temps à l'école si ça ne t'intéresse pas. Elle m'a répété à plusieurs reprises, un peu agacé, je ne te le cache pas. Si ça ne t'intéresse pas, fais un métier manuel, fais de la plomberie, travaille, plutôt que d'être là. de perdre ton temps à l'école. Pour moi, c'était hors de question. Je ne me suis jamais, mais jamais projeté dans un métier technique, dans un métier manuel. Mais jamais de la vie. Je suis d'une génération où l'élève qui partait en section professionnelle, c'était le cancre. C'était l'élève qui n'avait rien à faire dans la section générale. Ce n'était pas un choix. C'était une contrainte parce qu'on n'avait pas le niveau. La question ne se posait même pas. Même enfant, je n'ai pas le souvenir d'avoir été attiré par un métier en particulier. Ça me fait sourire parce que je pense à une chanson d'un rappeur, Snoop Dogg. Il y a une chanson qui commence par le professeur qui se présente à ses élèves et qui leur demande « What would you like to do when you grow up ? » Et il y en a un qui dit « I would like to be a fireman. I would like to be a police officer. » Et quand il vient sur Snoop, il dit « I want to be a motherfucking husband. » Moi, enfant, le prof, s'il m'avait posé la question, j'aurais répondu « je sais pas » . Donc après la fac, j'ai fait une section qui s'appelle AES, Administration, Économie et Sociale. D'abord, je me suis orienté sur les ressources humaines, ensuite la gestion d'entreprise, et ensuite je suis revenu sur les ressources humaines, où j'ai obtenu une licence. J'ai un cousin, lui il était branché finance, il se voyait trader, etc. Gordon Gekko, Wall Street et tout. Lui il était vraiment pour le coup... Il était à fond dedans comme on dit quoi. Et il m'a parlé d'une société où il est rentré d'abord, après il m'a dit il y a des opportunités, il recrute, etc. J'ai envoyé mon CV et puis voilà. Ça s'est vraiment fait comme ça, sans insistance de ma part. C'était très fluide, un mouvement très souple, très agréable. Donc là, j'étais dans un établissement qui proposait des produits financiers, des SICAF, des fonds communs de placement, etc. Je ne suis pas dans la réflexion. Je suis dans une situation où je cherche à sortir du statut d'étudiant. pour m'insérer comme jeune adulte actif. J'avais besoin d'un salaire pour pouvoir m'installer, je venais de rencontrer ma future femme, voilà, il fallait. C'était le travail, c'était le moyen pour arriver à pouvoir vivre. C'était vraiment le boulot comme outil, mais le boulot n'était pas une fin en soi, c'était un moyen. La finance, c'est délicat, quoi. En début d'année, on nous donne des objectifs, et coûte que coûte, il faut les atteindre. Et à l'époque, donc là, c'est la bulle Internet qui était en train de grossir, grossir. Mais les gens investissaient, mais sans vraiment savoir comment ça allait finir, etc. Et moi, j'ai jamais été un spécialiste de la finance. Mais j'avais un... Je m'y intéressais quand même, j'avais, on va dire, une culture financière... naissante. Et je ne sais pas, j'avais un pressentiment qui me disait ça va dégringoler, ça monte trop haut pour continuer comme ça. Et je me souviens d'un moment où nos responsables nous disaient bon, on a des clients qui ont leur argent investi sur certains placements, il faut leur dire d'investir sur des valeurs du CAC 40. On nous demandait de les faire se désinvestir, liquider en fait leurs livrets pour investir sur des valeurs plus punchy. Avec mon peu de connaissances, je trouvais ça, mais je dis mais c'est super risqué, si les gens ils veulent investir sur des livrets, ils savent pourquoi, c'est juste pour gagner du fric en fait. Et je me souviens d'une dame que j'avais eue au téléphone, je rentre dans son dossier etc. et je vois qu'elle avait plusieurs centaines de milliers de... On était encore au franc, on n'était pas encore à l'euro. Donc si j'avais suivi ce que ma hiérarchie m'avait demandé, je leur ai dit « Bon madame, vous allez vendre ce que vous avez sur votre livret et voilà ce que je vous propose. » J'ai été incapable de le faire. Donc je lui ai dit « Écoutez, si vous voulez, oui, on peut prendre une petite portion de ce que vous avez et puis vous pouvez, si vous voulez, après, rien ne vous y oblige. » Et quelques semaines plus tard, il y a eu le krach. lié à la bulle qui avait éclaté. Franchement, j'étais fier de moi. Gagner de l'argent, ok, on veut tous gagner de l'argent, mais à quel prix ? Non, moi ça ne m'intéresse pas de bosser comme ça, de harceler les gens pour leur vendre des produits dont ils n'ont pas besoin. Quand je travaille, ma conscience, elle n'est pas en sommeil. Elle est bien éveillée et je ne peux pas faire n'importe quoi. Et là, il s'agit de faire n'importe quoi avec l'argent des gens. Je réalisais que... Ce métier n'est pas fait pour moi. En fait, il y avait comme un non-sens, c'est un peu fort, mais c'est un peu ça. Il n'y avait pas de goût, c'était fade. La vie professionnelle était fade. J'étais devenu aussi fade que le travail que je faisais. Et ça, je sais que ça a été difficile pour ma femme et certainement aussi pour mes enfants, parce qu'il y a eu une période, et quand je dis période, plusieurs années. J'étais transparent. J'avais goût à rien. Alors que j'avais tout pour... J'avais une femme extraordinaire, deux beaux enfants. Que demander de plus ? Mais je n'arrivais pas à identifier en fait. J'avais l'impression de passer un peu à côté de ma vie.

  • Speaker #4

    C'est vrai que le sens au travail, c'est une notion qui est assez personnelle.

  • Speaker #3

    Élodie Chevalier, chercheuse spécialisée sur les thématiques du sens au travail entre la France et le Canada.

  • Speaker #4

    Donc chaque personne va y mettre une définition un peu différente de son sens. Pour certaines personnes, en fait, la question du sens, c'est aussi quelle place le travail a dans ma vie. Il y a des personnes pour qui le travail c'est extrêmement important, ça apporte une identité professionnelle, ça apporte une classe sociale, ça apporte un réseau. Donc la place du travail elle va être importante, on va investir du temps, de l'énergie dans le travail. Il y a d'autres personnes pour lesquelles le travail, c'est vraiment une manière de gagner sa vie. Et c'est une manière d'avoir de l'argent pour vivre autre chose à côté. Donc c'est des personnes pour qui le travail, ça va être vraiment quelque chose de plus accessoire.

  • Speaker #1

    Quand on passe 8 heures de temps au travail, il faut que ça ait du sens. Après, je pense qu'il y a des gens qui arrivent à faire abstraction de ça, de cette recherche de sens. Moi, c'est impossible. Je l'ai fait. Pendant un temps, mais bon, au final, ça m'a rattrapé. Je me suis assis, j'ai réfléchi. Qu'est-ce que j'ai vraiment envie de faire ? 8 heures par jour, parce que c'est ça le boulot. On reste 7h30, 8h par jour. Autant être dans un environnement qui nous plaît. Qu'est-ce que tu as envie de faire ? Tu as les clés en main pour pouvoir prendre en main ta vie. J'ai côtoyé des personnes qui avaient eu à travailler dans le bâtiment et en échangeant, j'ai vu que c'était quand même intéressant en fait. Et puis je voyais aussi que, bon, je me suis arrêté à la licence. Certains postes ne sont pas accessibles avec une licence. Alors que quelqu'un qui est habile de ses mains, il n'a pas besoin d'avoir un bac plus 5 ou autre, c'est quelqu'un qui va être recherché. Et on n'était plus à l'époque où c'était un monde de cancre. Il y a certaines personnes qui, de leur habileté manuelle, elles en étaient très bien sorties. Certains étaient devenus leurs propres patrons, mais d'autres, ils avaient pu construire leur maison. Je me dis, ouais, mais ça, c'est intéressant, ça. Et après la réflexion, il faut quand même passer à l'action. Donc j'ai fait un CIF, congé individuel de formation, ça a été rebaptisé depuis, en installation thermique et sanitaire, en 9 mois, plombier et chauffagiste. Donc, 2018, j'ai trouvé un boulot comme technicien de maintenance dans un hôtel. Ce n'était pas de la plomberie, mais au moins j'avais changé, j'avais quitté l'univers de la banque qui ne m'a jamais réellement intéressé. En faisant quelque chose qui nous plaît, il y a comme un sentiment de liberté qui est là aussi. Et chaque jour quand je rentre du boulot, bon bien sûr il y a la fatigue, parce qu'on travaille dans le manuel, on est plus fatigué, ça c'est indéniable. Mais après une bonne nuit de sommeil, on est prêt à repartir. Alors qu'à la banque, je ne travaillais pas manuellement. Mais je pouvais avoir des périodes où j'étais extrêmement fatigué. Mais ça c'était plus en fait, je pense, une sorte de fatigue mentale. Mais je suis d'une génération où le manuel était mal vu. Je viens d'une famille où il fallait faire des études et être un intellectuel. Mais ma mère, comme elle a toujours été pragmatique, elle a vu que ce jeune c'est un con là, il ne fallait pas qu'il s'éternise. sur les bancs de la fac ou du lycée, il fallait qu'ils s'orientent. Mais bon, la société a fait de moi quelqu'un qui n'était pas sensible à cet appel. Et pourtant, il y a des mecs très, très, très intelligents, mais vraiment très intelligents dans le bâtiment. Croyez-moi, les ouvriers, ils travaillent beaucoup avec leur tête. La plomberie... le bâtiment en règle générale ou la menuiserie, on réalise quelque chose. Quand j'effectue un dépannage ou quand je fais une installation, une salle de bain ou autre, je vois ce que je fais, je vois ce que j'ai réalisé. Je peux le toucher du bout des doigts en quelque sorte. Ça a été salvateur en fait de changer de boulot, vraiment, ça a été salvateur.

  • Speaker #2

    Alors, Pierre, je suis architecte, j'ai 36 ans, je vis à Paris et je grandis avec ma mère qui s'ennuie au travail pendant tout mon collège et lycée. Il fallait absolument que je trouve un travail qui m'intéresse et où je n'ai pas l'impression de perdre mon temps et où je ne m'ennuie absolument pas. Alors au lycée, je suis tiraillé entre les arts plastiques et les sciences. Je choisis la voie scientifique pour me laisser du choix ensuite. Je pense qu'il y a l'effet de masse, c'est-à-dire que tous mes amis sont scientifiques et je continue en scientifique. Il y a quand même des petites voix qui disent que tu as plus de débouchés ensuite. Je me dis que l'art plastique, de toute façon, je peux en faire en tant que hobby. Donc j'ai mon bac en 2005. Et ensuite, je rentre en école d'ingénieur, en prépa intégrée, donc directement après le bac. Quand je commence mes écoles d'ingénieur, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. C'est quelque chose de nouveau pour moi. Je vis très bien mes premières années d'école d'ingénieur. J'ai la chance de voyager, de faire un échange en Inde, un stage en Espagne. Et en dernière année, on doit faire un stage et je choisis de partir en Chine. En fait, ça se passe assez rapidement et je ne regrette pas du tout mon choix à ce moment-là. Pour mon stage de fin d'études en Chine, je fais ça dans une petite ville du nord-est chinois. Ça se passe bien, donc je découvre une nouvelle culture. Je commence à beaucoup travailler, on me donne beaucoup de responsabilités. Et en fait, je me retrouve à travailler 80 heures, 85, 90 heures par semaine. Et je n'ai plus du tout de temps libre. Et donc, je reste deux ans dans cette entreprise. Et ensuite, je change d'entreprise pour aller à Pékin. Et là, en fait, ce sont les mêmes problèmes, mais en décuplé. C'est-à-dire que c'est une ville encore plus grande, avec plus de pollution, plus de monde, plus de problèmes de transport. Et pareil pour le travail, en fait, c'est la même chose. C'est-à-dire que je travaille énormément, vu que je travaille pour une boîte franco-chinoise, et que je suis un des seuls Français de l'entreprise, du coup j'ai beaucoup de responsabilités. Et un bus vient me chercher pour aller au travail. Une heure et demie, je me réveille à 5h45, je crois, pour être travaillé à 8h. Parfois, je ne vois pas l'immeuble d'en face. On ne voit pas, à cause d'un brouillard de pollution, un immeuble qui est à 6 mètres devant. On est toujours avec un masque, on est avec des purificateurs d'air. Normalement, l'index de pollution de l'air va de 0 à 1000. Généralement, à Paris, quand c'est pollué, on est à 60. Et là-bas, c'est au-dessus de 1000. Ils ne savaient pas calculer. Et donc il y a cette situation, il y a la situation au travail, parce que je ne sais pas comment j'ai réussi, mais je me tue au travail pour un truc qui me débecte totalement. C'est une entreprise qui travaille pour des fabricants automobiles. Pour mon entretien à l'école d'ingénieur, j'avais dit que je voulais faire des éoliennes. Elle m'a dit « Ah ouais, il y a des gens qui font des éoliennes, qui ont réussi à en faire » . J'étais très très écologie et je me retrouve à faire des... Le contraire du sens que j'ai envie de donner à mon travail, en fait je suis totalement sous l'eau, je sais que ça ne va pas durer, mais alors comment m'en sortir, je ne sais pas du tout. On a une sorte de tunnel où les projets s'enchaînent et je n'arrive pas à avoir le bout, je suis totalement perdu dans ce que je fais. Et il y a un moment, j'arrive à avoir quelques semaines un peu plus calmes. Et là je me dis non mais là faut vraiment que je change de voie, je suis pas du tout heureux dans ce que je fais, dans ma vie, il fallait vraiment un changement radical. Je me demande ce que j'aime faire de mon temps libre et en fait l'évidence ça a été l'architecture, dès qu'il y avait une exposition, dès qu'il y avait, quand j'allais en librairie, à la bibliothèque, c'était ce qui m'intéressait. Et donc je commence à candidater pour des écoles en France. Et au même moment, en fait, ma mère tombe malade. Et là, vraiment, c'est la goutte d'eau. C'est un peu le signal. Je me dis, là, c'est trop, c'est trop. Je ne suis pas du tout bien dans mon boulot. Je vais rentrer, je vais aider ma mère à se soigner. Et après, je verrai ce que je fais.

  • Speaker #4

    Dans la plupart des cas, c'est souvent l'environnement de travail qui fait que les personnes commencent à perdre. la notion de sens au travail. Et souvent, il y a un élément déclencheur qui arrive. Mais l'élément déclencheur, ça peut être quelque chose de totalement externe. Moi, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui, soit parce qu'elles ont connu une maladie ou la maladie d'un proche ou le décès d'un proche, ont été amenées à réfléchir sur qu'est-ce que je veux faire du reste de ma vie, qu'est-ce qui est important, qu'est-ce que je veux prioriser. Il faut que j'arrête de perdre du temps à faire quelque chose que je n'aime pas ou à être dans une situation de travail qui ne me convient pas. Et c'est la même chose pour Pierre. C'est vrai qu'il réalise son travail dans un environnement qui ne lui correspond pas du tout par rapport à ses valeurs qui sont plus écologiques. Donc même s'il aime son travail, le fait de le réaliser dans un environnement qui ne lui correspond pas, ça peut faire perdre du sens au travail.

  • Speaker #2

    Quelques semaines après, je reçois une candidature acceptée à l'école de Grenoble. Je rentre directement en deuxième année. Je me dis que ça risque d'être long, la vie fait que ce n'est pas aussi facile de reprendre ses études, de faire 5 ans à 26-27 ans que de les faire à 18. Je me dis que je vais voir. Dès les premiers jours, c'est un coup de poudre total avec les études d'architecture. Je ne me pose plus la question d'arrêter. Je crois qu'il y a toute une partie de moi qui avait été oubliée. plastique, dessin, graphisme. Une ouverture d'esprit que j'avais perdue en faisant vraiment de l'ingénierie 90 heures par semaine pendant 4 ans. C'était vraiment du plaisir. Très très heureux de faire ça. Mais le fait de ne pas gagner d'argent pendant ces 4 ans, le fait d'avoir ses amis continuer leur vie, avoir des crédits, d'avoir... Une vie qui continue et toi d'être un peu... Je suis toujours à l'école, tout le monde me dit c'est génial, t'as beaucoup de courage, je t'envis. Et c'est vrai que même si les études étaient incroyables, il y a toujours ce doute. Et de voir des gens qui ont pas recommencé leurs études et que toi t'es encore... que tu finis pas, que tu sais pas encore ce que c'est que de travailler en tant qu'architecte, tu doutes. Tu doutes de toi, tu doutes de tes choix, parce que c'est quand même un gros changement. 4 ans d'investissement, j'ai 28 ans, je suis en 3ème année d'école d'architecte, je vis chez ma mère, j'ai pas de revenus, les amis te disent que c'est incroyable, que t'as de la chance, que t'as eu du courage, mais c'est vrai que des fois tu te demandes vraiment si t'as fait le bon choix, si ça vaut le coup.

  • Speaker #4

    C'est vrai que ce n'est pas tout le monde qui va faire un changement vraiment radical de vie professionnelle. Une réorientation, ça coûte quand même en termes de progression de carrière. C'est vrai qu'on repart à zéro quand on change de métier, de secteur. Quand on fait des études, ça a un coût financier aussi, même s'il y a des prises en charge. Donc, c'est vrai que plus on a encore des années de travail à réaliser, plus, on va dire, le coût en vaut la peine. Donc, c'est pour ça qu'on voit plutôt des réorientations sur les... on va dire les premières moitiés de carrière, c'est plus fréquent.

  • Speaker #2

    Donc après, j'ai la possibilité de repartir en échange universitaire. Moi qui ai adoré toutes mes expériences de voyage, qui en plus vis chez la mer, donc c'est une bonne occasion de pouvoir repartir. Je ne pense pas que je serai pris, mais je fais quand même mon dossier pour des écoles en Argentine, et je suis pris. Donc je fais ma quatrième année en Argentine, à Buenos Aires. Ça se passe super bien, on découvre une nouvelle culture, je découvre ce qui sera ma future femme. Donc je reste un an, et ensuite je reviens presque un an pour valider mon diplôme. Et ensuite je repars en Argentine, où je commande vraiment ma carrière d'architecte, ma vie professionnelle là-bas. On peut dire que Pierre 2024 est beaucoup plus épanoui, même s'il n'est pas propriétaire, il n'a pas beaucoup d'argent, mais il est super épanoui dans ce qu'il fait. Alors que Pierre Duchy, il était totalement sous l'eau, il était dans un tunnel et il subissait sa vie.

  • Speaker #4

    Je dirais le sens, c'est plutôt se sentir à la bonne place, se sentir aligné avec ce qu'on fait et qui on est.

  • Speaker #1

    Notre bien le plus précieux, c'est notre temps. L'argent, on perd, on gagne. La santé, ça va, ça vient. Le temps, ça part seul.

  • Speaker #0

    où vous venez d'écouter un épisode de 35 heures et plus CF Unité, le podcast qui explore notre rapport au travail. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site friction.co

Description

Seinkoun travaillait dans la finance. Il est devenu plombier. Pierre a quitté sa carrière d’ingénieur en Chine, recommencé ses études – pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte.

Mais avant de changer de vie, combien de remises en question ? Quel plan échafauder ? Seinkoun et Pierre nous racontent leur réinvention.


Un podcast de Maud Fellbom
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Transcription

  • Speaker #0

    Vous écoutez 35 heures et plus, si affinité, le podcast qui explore notre rapport au travail, produit par friction.

  • Speaker #1

    Bonne écoute ! J'ai perdu des moments de vie importants parce que j'étais pas à ma place au travail.

  • Speaker #2

    Je fais que travailler pour quelque chose. Il est contre mes principes, mes valeurs. Je suis totalement perdu dans ce que je fais.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que je vais faire pour pouvoir reprendre en main cette existence et lui donner plus de couleurs, plus de reliefs, plus de goûts ?

  • Speaker #3

    Ces voix, ce sont celles de Senkun et Pierre. Leur point commun, c'est qu'ils ont tous les deux fait un changement radical dans leur carrière. Le fameux virage à 180 degrés. Vous voyez ? L'un travaillait dans la finance, il est devenu plombier. L'autre a quitté sa carrière d'ingénieur en Chine. recommencer ses études pour ensuite s'exiler en Amérique latine et être architecte. Mais avant de changer de vie, il y a eu beaucoup de questions auxquelles il a fallu répondre. Comment savoir ce qu'on veut vraiment, pas ce que la société veut de nous ? Comment s'affranchir du regard des autres ? Est-ce qu'un travail qui ne nous intéresse pas, c'est grave ? Et est-ce qu'il y a un âge limite pour se réorienter ? En France, plus d'un actif sur deux souhaite changer d'emploi, mais moins de deux sur dix le feront. si on en croit les derniers baromètres de l'emploi. Senkun et Pierre font partie de ces 2 sur 10. Virage à 180 degrés. Un podcast de Maud Felbaum pour Friction.

  • Speaker #1

    Donc, Senkun Kaba, je suis plombier, néo-plombier, un nouveau plombier depuis maintenant 2022. Suite à une reconversion professionnelle, après une mûre réflexion. Lorsque je suis jeune, il n'y a pas de projection sur ce que j'aime faire, ce que j'aimerais faire. Plus tard, j'apprends qu'il faut bien travailler à l'école. Je n'avais pas de difficultés particulières à l'école. Mais je n'étais pas le bourreau de travail qui rentrait chez lui, qui faisait ses devoirs assis du moins, etc. Je passais chaque année tranquillement, sans fournir d'efforts. J'ai toujours été plutôt habile de mes mains. À la maison, quand il y avait quelque chose qui était abîmé, j'allais regarder de quoi il s'agissait, je farfouillais. Quand j'avais des voitures téléguidées, enfin, je les démontais, je regardais le moteur, etc., les piles, machin. Ma mère, elle a toujours été très attentive à ce que chacun de ses enfants faisait. Elle a vu chez moi que j'avais cette curiosité et aussi une certaine dextérité, on va dire. Elle m'a souvent répété, mais arrête de perdre ton temps à l'école si ça ne t'intéresse pas. Elle m'a répété à plusieurs reprises, un peu agacé, je ne te le cache pas. Si ça ne t'intéresse pas, fais un métier manuel, fais de la plomberie, travaille, plutôt que d'être là. de perdre ton temps à l'école. Pour moi, c'était hors de question. Je ne me suis jamais, mais jamais projeté dans un métier technique, dans un métier manuel. Mais jamais de la vie. Je suis d'une génération où l'élève qui partait en section professionnelle, c'était le cancre. C'était l'élève qui n'avait rien à faire dans la section générale. Ce n'était pas un choix. C'était une contrainte parce qu'on n'avait pas le niveau. La question ne se posait même pas. Même enfant, je n'ai pas le souvenir d'avoir été attiré par un métier en particulier. Ça me fait sourire parce que je pense à une chanson d'un rappeur, Snoop Dogg. Il y a une chanson qui commence par le professeur qui se présente à ses élèves et qui leur demande « What would you like to do when you grow up ? » Et il y en a un qui dit « I would like to be a fireman. I would like to be a police officer. » Et quand il vient sur Snoop, il dit « I want to be a motherfucking husband. » Moi, enfant, le prof, s'il m'avait posé la question, j'aurais répondu « je sais pas » . Donc après la fac, j'ai fait une section qui s'appelle AES, Administration, Économie et Sociale. D'abord, je me suis orienté sur les ressources humaines, ensuite la gestion d'entreprise, et ensuite je suis revenu sur les ressources humaines, où j'ai obtenu une licence. J'ai un cousin, lui il était branché finance, il se voyait trader, etc. Gordon Gekko, Wall Street et tout. Lui il était vraiment pour le coup... Il était à fond dedans comme on dit quoi. Et il m'a parlé d'une société où il est rentré d'abord, après il m'a dit il y a des opportunités, il recrute, etc. J'ai envoyé mon CV et puis voilà. Ça s'est vraiment fait comme ça, sans insistance de ma part. C'était très fluide, un mouvement très souple, très agréable. Donc là, j'étais dans un établissement qui proposait des produits financiers, des SICAF, des fonds communs de placement, etc. Je ne suis pas dans la réflexion. Je suis dans une situation où je cherche à sortir du statut d'étudiant. pour m'insérer comme jeune adulte actif. J'avais besoin d'un salaire pour pouvoir m'installer, je venais de rencontrer ma future femme, voilà, il fallait. C'était le travail, c'était le moyen pour arriver à pouvoir vivre. C'était vraiment le boulot comme outil, mais le boulot n'était pas une fin en soi, c'était un moyen. La finance, c'est délicat, quoi. En début d'année, on nous donne des objectifs, et coûte que coûte, il faut les atteindre. Et à l'époque, donc là, c'est la bulle Internet qui était en train de grossir, grossir. Mais les gens investissaient, mais sans vraiment savoir comment ça allait finir, etc. Et moi, j'ai jamais été un spécialiste de la finance. Mais j'avais un... Je m'y intéressais quand même, j'avais, on va dire, une culture financière... naissante. Et je ne sais pas, j'avais un pressentiment qui me disait ça va dégringoler, ça monte trop haut pour continuer comme ça. Et je me souviens d'un moment où nos responsables nous disaient bon, on a des clients qui ont leur argent investi sur certains placements, il faut leur dire d'investir sur des valeurs du CAC 40. On nous demandait de les faire se désinvestir, liquider en fait leurs livrets pour investir sur des valeurs plus punchy. Avec mon peu de connaissances, je trouvais ça, mais je dis mais c'est super risqué, si les gens ils veulent investir sur des livrets, ils savent pourquoi, c'est juste pour gagner du fric en fait. Et je me souviens d'une dame que j'avais eue au téléphone, je rentre dans son dossier etc. et je vois qu'elle avait plusieurs centaines de milliers de... On était encore au franc, on n'était pas encore à l'euro. Donc si j'avais suivi ce que ma hiérarchie m'avait demandé, je leur ai dit « Bon madame, vous allez vendre ce que vous avez sur votre livret et voilà ce que je vous propose. » J'ai été incapable de le faire. Donc je lui ai dit « Écoutez, si vous voulez, oui, on peut prendre une petite portion de ce que vous avez et puis vous pouvez, si vous voulez, après, rien ne vous y oblige. » Et quelques semaines plus tard, il y a eu le krach. lié à la bulle qui avait éclaté. Franchement, j'étais fier de moi. Gagner de l'argent, ok, on veut tous gagner de l'argent, mais à quel prix ? Non, moi ça ne m'intéresse pas de bosser comme ça, de harceler les gens pour leur vendre des produits dont ils n'ont pas besoin. Quand je travaille, ma conscience, elle n'est pas en sommeil. Elle est bien éveillée et je ne peux pas faire n'importe quoi. Et là, il s'agit de faire n'importe quoi avec l'argent des gens. Je réalisais que... Ce métier n'est pas fait pour moi. En fait, il y avait comme un non-sens, c'est un peu fort, mais c'est un peu ça. Il n'y avait pas de goût, c'était fade. La vie professionnelle était fade. J'étais devenu aussi fade que le travail que je faisais. Et ça, je sais que ça a été difficile pour ma femme et certainement aussi pour mes enfants, parce qu'il y a eu une période, et quand je dis période, plusieurs années. J'étais transparent. J'avais goût à rien. Alors que j'avais tout pour... J'avais une femme extraordinaire, deux beaux enfants. Que demander de plus ? Mais je n'arrivais pas à identifier en fait. J'avais l'impression de passer un peu à côté de ma vie.

  • Speaker #4

    C'est vrai que le sens au travail, c'est une notion qui est assez personnelle.

  • Speaker #3

    Élodie Chevalier, chercheuse spécialisée sur les thématiques du sens au travail entre la France et le Canada.

  • Speaker #4

    Donc chaque personne va y mettre une définition un peu différente de son sens. Pour certaines personnes, en fait, la question du sens, c'est aussi quelle place le travail a dans ma vie. Il y a des personnes pour qui le travail c'est extrêmement important, ça apporte une identité professionnelle, ça apporte une classe sociale, ça apporte un réseau. Donc la place du travail elle va être importante, on va investir du temps, de l'énergie dans le travail. Il y a d'autres personnes pour lesquelles le travail, c'est vraiment une manière de gagner sa vie. Et c'est une manière d'avoir de l'argent pour vivre autre chose à côté. Donc c'est des personnes pour qui le travail, ça va être vraiment quelque chose de plus accessoire.

  • Speaker #1

    Quand on passe 8 heures de temps au travail, il faut que ça ait du sens. Après, je pense qu'il y a des gens qui arrivent à faire abstraction de ça, de cette recherche de sens. Moi, c'est impossible. Je l'ai fait. Pendant un temps, mais bon, au final, ça m'a rattrapé. Je me suis assis, j'ai réfléchi. Qu'est-ce que j'ai vraiment envie de faire ? 8 heures par jour, parce que c'est ça le boulot. On reste 7h30, 8h par jour. Autant être dans un environnement qui nous plaît. Qu'est-ce que tu as envie de faire ? Tu as les clés en main pour pouvoir prendre en main ta vie. J'ai côtoyé des personnes qui avaient eu à travailler dans le bâtiment et en échangeant, j'ai vu que c'était quand même intéressant en fait. Et puis je voyais aussi que, bon, je me suis arrêté à la licence. Certains postes ne sont pas accessibles avec une licence. Alors que quelqu'un qui est habile de ses mains, il n'a pas besoin d'avoir un bac plus 5 ou autre, c'est quelqu'un qui va être recherché. Et on n'était plus à l'époque où c'était un monde de cancre. Il y a certaines personnes qui, de leur habileté manuelle, elles en étaient très bien sorties. Certains étaient devenus leurs propres patrons, mais d'autres, ils avaient pu construire leur maison. Je me dis, ouais, mais ça, c'est intéressant, ça. Et après la réflexion, il faut quand même passer à l'action. Donc j'ai fait un CIF, congé individuel de formation, ça a été rebaptisé depuis, en installation thermique et sanitaire, en 9 mois, plombier et chauffagiste. Donc, 2018, j'ai trouvé un boulot comme technicien de maintenance dans un hôtel. Ce n'était pas de la plomberie, mais au moins j'avais changé, j'avais quitté l'univers de la banque qui ne m'a jamais réellement intéressé. En faisant quelque chose qui nous plaît, il y a comme un sentiment de liberté qui est là aussi. Et chaque jour quand je rentre du boulot, bon bien sûr il y a la fatigue, parce qu'on travaille dans le manuel, on est plus fatigué, ça c'est indéniable. Mais après une bonne nuit de sommeil, on est prêt à repartir. Alors qu'à la banque, je ne travaillais pas manuellement. Mais je pouvais avoir des périodes où j'étais extrêmement fatigué. Mais ça c'était plus en fait, je pense, une sorte de fatigue mentale. Mais je suis d'une génération où le manuel était mal vu. Je viens d'une famille où il fallait faire des études et être un intellectuel. Mais ma mère, comme elle a toujours été pragmatique, elle a vu que ce jeune c'est un con là, il ne fallait pas qu'il s'éternise. sur les bancs de la fac ou du lycée, il fallait qu'ils s'orientent. Mais bon, la société a fait de moi quelqu'un qui n'était pas sensible à cet appel. Et pourtant, il y a des mecs très, très, très intelligents, mais vraiment très intelligents dans le bâtiment. Croyez-moi, les ouvriers, ils travaillent beaucoup avec leur tête. La plomberie... le bâtiment en règle générale ou la menuiserie, on réalise quelque chose. Quand j'effectue un dépannage ou quand je fais une installation, une salle de bain ou autre, je vois ce que je fais, je vois ce que j'ai réalisé. Je peux le toucher du bout des doigts en quelque sorte. Ça a été salvateur en fait de changer de boulot, vraiment, ça a été salvateur.

  • Speaker #2

    Alors, Pierre, je suis architecte, j'ai 36 ans, je vis à Paris et je grandis avec ma mère qui s'ennuie au travail pendant tout mon collège et lycée. Il fallait absolument que je trouve un travail qui m'intéresse et où je n'ai pas l'impression de perdre mon temps et où je ne m'ennuie absolument pas. Alors au lycée, je suis tiraillé entre les arts plastiques et les sciences. Je choisis la voie scientifique pour me laisser du choix ensuite. Je pense qu'il y a l'effet de masse, c'est-à-dire que tous mes amis sont scientifiques et je continue en scientifique. Il y a quand même des petites voix qui disent que tu as plus de débouchés ensuite. Je me dis que l'art plastique, de toute façon, je peux en faire en tant que hobby. Donc j'ai mon bac en 2005. Et ensuite, je rentre en école d'ingénieur, en prépa intégrée, donc directement après le bac. Quand je commence mes écoles d'ingénieur, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. C'est quelque chose de nouveau pour moi. Je vis très bien mes premières années d'école d'ingénieur. J'ai la chance de voyager, de faire un échange en Inde, un stage en Espagne. Et en dernière année, on doit faire un stage et je choisis de partir en Chine. En fait, ça se passe assez rapidement et je ne regrette pas du tout mon choix à ce moment-là. Pour mon stage de fin d'études en Chine, je fais ça dans une petite ville du nord-est chinois. Ça se passe bien, donc je découvre une nouvelle culture. Je commence à beaucoup travailler, on me donne beaucoup de responsabilités. Et en fait, je me retrouve à travailler 80 heures, 85, 90 heures par semaine. Et je n'ai plus du tout de temps libre. Et donc, je reste deux ans dans cette entreprise. Et ensuite, je change d'entreprise pour aller à Pékin. Et là, en fait, ce sont les mêmes problèmes, mais en décuplé. C'est-à-dire que c'est une ville encore plus grande, avec plus de pollution, plus de monde, plus de problèmes de transport. Et pareil pour le travail, en fait, c'est la même chose. C'est-à-dire que je travaille énormément, vu que je travaille pour une boîte franco-chinoise, et que je suis un des seuls Français de l'entreprise, du coup j'ai beaucoup de responsabilités. Et un bus vient me chercher pour aller au travail. Une heure et demie, je me réveille à 5h45, je crois, pour être travaillé à 8h. Parfois, je ne vois pas l'immeuble d'en face. On ne voit pas, à cause d'un brouillard de pollution, un immeuble qui est à 6 mètres devant. On est toujours avec un masque, on est avec des purificateurs d'air. Normalement, l'index de pollution de l'air va de 0 à 1000. Généralement, à Paris, quand c'est pollué, on est à 60. Et là-bas, c'est au-dessus de 1000. Ils ne savaient pas calculer. Et donc il y a cette situation, il y a la situation au travail, parce que je ne sais pas comment j'ai réussi, mais je me tue au travail pour un truc qui me débecte totalement. C'est une entreprise qui travaille pour des fabricants automobiles. Pour mon entretien à l'école d'ingénieur, j'avais dit que je voulais faire des éoliennes. Elle m'a dit « Ah ouais, il y a des gens qui font des éoliennes, qui ont réussi à en faire » . J'étais très très écologie et je me retrouve à faire des... Le contraire du sens que j'ai envie de donner à mon travail, en fait je suis totalement sous l'eau, je sais que ça ne va pas durer, mais alors comment m'en sortir, je ne sais pas du tout. On a une sorte de tunnel où les projets s'enchaînent et je n'arrive pas à avoir le bout, je suis totalement perdu dans ce que je fais. Et il y a un moment, j'arrive à avoir quelques semaines un peu plus calmes. Et là je me dis non mais là faut vraiment que je change de voie, je suis pas du tout heureux dans ce que je fais, dans ma vie, il fallait vraiment un changement radical. Je me demande ce que j'aime faire de mon temps libre et en fait l'évidence ça a été l'architecture, dès qu'il y avait une exposition, dès qu'il y avait, quand j'allais en librairie, à la bibliothèque, c'était ce qui m'intéressait. Et donc je commence à candidater pour des écoles en France. Et au même moment, en fait, ma mère tombe malade. Et là, vraiment, c'est la goutte d'eau. C'est un peu le signal. Je me dis, là, c'est trop, c'est trop. Je ne suis pas du tout bien dans mon boulot. Je vais rentrer, je vais aider ma mère à se soigner. Et après, je verrai ce que je fais.

  • Speaker #4

    Dans la plupart des cas, c'est souvent l'environnement de travail qui fait que les personnes commencent à perdre. la notion de sens au travail. Et souvent, il y a un élément déclencheur qui arrive. Mais l'élément déclencheur, ça peut être quelque chose de totalement externe. Moi, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui, soit parce qu'elles ont connu une maladie ou la maladie d'un proche ou le décès d'un proche, ont été amenées à réfléchir sur qu'est-ce que je veux faire du reste de ma vie, qu'est-ce qui est important, qu'est-ce que je veux prioriser. Il faut que j'arrête de perdre du temps à faire quelque chose que je n'aime pas ou à être dans une situation de travail qui ne me convient pas. Et c'est la même chose pour Pierre. C'est vrai qu'il réalise son travail dans un environnement qui ne lui correspond pas du tout par rapport à ses valeurs qui sont plus écologiques. Donc même s'il aime son travail, le fait de le réaliser dans un environnement qui ne lui correspond pas, ça peut faire perdre du sens au travail.

  • Speaker #2

    Quelques semaines après, je reçois une candidature acceptée à l'école de Grenoble. Je rentre directement en deuxième année. Je me dis que ça risque d'être long, la vie fait que ce n'est pas aussi facile de reprendre ses études, de faire 5 ans à 26-27 ans que de les faire à 18. Je me dis que je vais voir. Dès les premiers jours, c'est un coup de poudre total avec les études d'architecture. Je ne me pose plus la question d'arrêter. Je crois qu'il y a toute une partie de moi qui avait été oubliée. plastique, dessin, graphisme. Une ouverture d'esprit que j'avais perdue en faisant vraiment de l'ingénierie 90 heures par semaine pendant 4 ans. C'était vraiment du plaisir. Très très heureux de faire ça. Mais le fait de ne pas gagner d'argent pendant ces 4 ans, le fait d'avoir ses amis continuer leur vie, avoir des crédits, d'avoir... Une vie qui continue et toi d'être un peu... Je suis toujours à l'école, tout le monde me dit c'est génial, t'as beaucoup de courage, je t'envis. Et c'est vrai que même si les études étaient incroyables, il y a toujours ce doute. Et de voir des gens qui ont pas recommencé leurs études et que toi t'es encore... que tu finis pas, que tu sais pas encore ce que c'est que de travailler en tant qu'architecte, tu doutes. Tu doutes de toi, tu doutes de tes choix, parce que c'est quand même un gros changement. 4 ans d'investissement, j'ai 28 ans, je suis en 3ème année d'école d'architecte, je vis chez ma mère, j'ai pas de revenus, les amis te disent que c'est incroyable, que t'as de la chance, que t'as eu du courage, mais c'est vrai que des fois tu te demandes vraiment si t'as fait le bon choix, si ça vaut le coup.

  • Speaker #4

    C'est vrai que ce n'est pas tout le monde qui va faire un changement vraiment radical de vie professionnelle. Une réorientation, ça coûte quand même en termes de progression de carrière. C'est vrai qu'on repart à zéro quand on change de métier, de secteur. Quand on fait des études, ça a un coût financier aussi, même s'il y a des prises en charge. Donc, c'est vrai que plus on a encore des années de travail à réaliser, plus, on va dire, le coût en vaut la peine. Donc, c'est pour ça qu'on voit plutôt des réorientations sur les... on va dire les premières moitiés de carrière, c'est plus fréquent.

  • Speaker #2

    Donc après, j'ai la possibilité de repartir en échange universitaire. Moi qui ai adoré toutes mes expériences de voyage, qui en plus vis chez la mer, donc c'est une bonne occasion de pouvoir repartir. Je ne pense pas que je serai pris, mais je fais quand même mon dossier pour des écoles en Argentine, et je suis pris. Donc je fais ma quatrième année en Argentine, à Buenos Aires. Ça se passe super bien, on découvre une nouvelle culture, je découvre ce qui sera ma future femme. Donc je reste un an, et ensuite je reviens presque un an pour valider mon diplôme. Et ensuite je repars en Argentine, où je commande vraiment ma carrière d'architecte, ma vie professionnelle là-bas. On peut dire que Pierre 2024 est beaucoup plus épanoui, même s'il n'est pas propriétaire, il n'a pas beaucoup d'argent, mais il est super épanoui dans ce qu'il fait. Alors que Pierre Duchy, il était totalement sous l'eau, il était dans un tunnel et il subissait sa vie.

  • Speaker #4

    Je dirais le sens, c'est plutôt se sentir à la bonne place, se sentir aligné avec ce qu'on fait et qui on est.

  • Speaker #1

    Notre bien le plus précieux, c'est notre temps. L'argent, on perd, on gagne. La santé, ça va, ça vient. Le temps, ça part seul.

  • Speaker #0

    où vous venez d'écouter un épisode de 35 heures et plus CF Unité, le podcast qui explore notre rapport au travail. Retrouvez toutes nos frictions sur notre site friction.co

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