- Speaker #0
Bienvenue dans H comme handicapé, le podcast qui donne la parole aux personnes handicapées parce qu'on les entend pas assez. Dans cet épisode, vous allez entendre plusieurs témoignages de drag queens et drag kings handicapés, avec notamment le témoignage de Victoria Sucrette, diabétique vénère, mais aussi le témoignage de Sahara Azzeg, qui avait déjà témoigné dans le podcast dans l'épisode 12 sur la bisexualité, et qui revient cette fois pour nous parler de son expérience en tant que drague handicapé.e, ou encore le témoignage de Ace of Spexx. Un drag king sur le spectre de l'autisme. Je ne vous en dis pas plus et je vous laisse avec les témoignages.
- Speaker #1
Coucou,
- Speaker #2
je m'appelle Victoria Sucrette, je suis artiste-performeur drag queen et je suis bah handicapée. J'ai pas mal de trucs à mon actif. J'ai celui qui est le plus connu et le plus flagrant puisque c'est dans mon nom d'artiste, je suis diabétique de type 1. J'ai également une malformation au niveau des pieds et des hanches qui gênent pas mal pour la mobilité. J'ai également une malformation de l'oreille droite, ce qui fait que j'entends pas trop de ce côté-là, mais ça va. et je suis également avec un trouble du déficit de l'attention avec hyperactivité, principalement cérébrale, et je suis paumé quelque part sur le spectre de l'autisme. Alors, je sais qu'on est beaucoup d'artistes drags à être soient TSA, soient TDAH, donc de mon côté, je vais me concentrer à parler de mon expérience en tant que personne diabétique. Je pense qu'il est important de refaire un point très rapide sur ce qu'est le diabète de type 1, puisqu'il en existe plusieurs types différents et je vais parler de celui qui me concerne. Être diabétique de type 1, c'est un beau jour, son corps qui a complètement vrillé et qui a détruit des cellules de mon pancréas qui produisent l'insuline, qui est l'hormone qui permet d'assimiler le sucre dans le sang, dans les organes. il n'y a aucun rapport avec quelconque action que j'ai faite dans ma vie. Ce n'est pas un manque de sport, ce n'est pas un problème d'alimentation, c'est de la faute à pas de chance. C'est juste ça, entre guillemets, le diabète de type 1. Et du coup, j'ai besoin de m'injecter cette insuline que mon corps ne produit pas. Après, comment régler cette dose d'insuline ? C'est en fonction de ce que l'on mange, de quelle activité physique on va faire, de notre état de santé si on est malade, et de notre état un peu moral également. Également, je tiens à préciser que le diabète ne se soigne pas. On vit avec. On limite les conséquences de celui-ci, mais on ne guérit jamais du diabète. Ce sera comme ça jusqu'à notre mort. Alors, histoire négative liée à mon diabète dans l'univers drag. Déjà, quand des lieux me bookent, me font travailler par exemple de 19h à 2h du matin et qui ne prévoient pas de quoi manger. Ou des lieux qui invitent Vitoa Sucrette Diabétique Vénère et qui ne proposent aucune boisson sans sucre. Je trouve ça d'un pathétique et d'un absurde, mais c'est la réalité. Il y a plein de lieux de fête où, quand tu as un certain handicap, c'est complètement inadapté. les solutions sont tellement simples et en plus ces simples solutions pourraient également bénéficier à des personnes qui ne sont pas diabétiques mais qui n'ont pas forcément envie de boire des boissons avec du sucre ou juste une personne humaine que oui quand on travaille de 19h à 1h du matin on a besoin de s'alimenter. Mais j'ai principalement des choses positives racontées dans l'univers drague avec le diabète puisque j'obtiens du confort en tant que drague que je n'ai pas si j'étais dans le public. Donc on reçoit un espace de l'attention et les gens, les lieux, la plupart en général sont très soucieux de mon confort et m'apportent toujours de quoi gérer mon diabète. Et c'est même quelque chose que j'ai vraiment inclus dans ma manière d'animer mes soirées, où le show va s'adapter à mon diabète. C'est-à-dire que si j'ai besoin de vérifier ma glycémie, c'est le nombre du taux de sucre, et bien on va faire un jeu autour de ça. Si j'ai besoin de m'injecter de l'insuline, je vais le faire et devant tout le monde puisque moi c'est mon quotidien depuis des années donc je ne vais pas me cacher dans les toilettes pour le faire Et ce genre d'action a des conséquences sur les personnes diabétiques du public. Car des personnes du public m'ont dit que suite à me voir m'occuper de mon diabète en public, sans honte, sans me cacher, que ces personnes ont arrêté d'aller se piquer dans les toilettes et prendre soin de leur diabète, et ont décidé de le faire de manière confortable, c'est-à-dire en public. Donc moi, ça m'apporte vraiment beaucoup de joie, parce que ce n'est pas un retour isolé, cette histoire de j'ai arrêté de me piquer caché, je le fais en public maintenant. c'est quelque chose qui est assez récurrent auprès de mon public diabétique et je trouve ça très positif comme résultat.
- Speaker #3
Bonjour, je m'appelle Mina, j'ai 44 ans, je vis à Thionville en Moselle. Je suis drag king et je me produis sous le nom de Ace of Spexx. J'utilise les pronoms et corps féminins hors drag, masculins et neutres en drag. Je suis sur le spectre de l'autisme. J'ai été diagnostiquée tardivement à l'âge de 39 ans. J'ai découvert le drag avec la première saison de Drag Race France en 2022, alors que j'avais 42 ans. Ça a été une véritable claque artistique et le drag est très vite devenu ma nouvelle hyperfixation. Je voulais tout savoir, l'histoire du drag, de la ballroom, les icônes, les maisons, le voguing, le jargon. Je vais régulièrement à des drag shows à Metz et Nancy. Très vite, je me suis imaginée une personne masculine avec un nom, un look, une attitude. Je m'imaginais aussi des performances avec des chansons, des looks et des mises en scène. Ça m'a mis mon cerveau en overdrive. L'été dernier, j'ai participé à un atelier drag organisé par une association LGBT dont je suis membre. J'ai été maquillée par un drag artiste local et j'ai bien aimé me voir avec une moustache et une barbichette. Mais j'ai hésité à sauter le pas à cause de plusieurs raisons. L'âge, parce que je me trouvais trop vieille pour commencer. Les moyens financiers, le fait d'avoir tout à apprendre en matière de make-up, de costumes, de présence scénique. et mes neuroatypies, bien sûr. Mais entendre des témoignages d'autres artistes drag en podcast ou en échangeant avec d'autres jeunes artistes, ça m'a aidée à faire tomber ces obstacles un par un, à prendre confiance en moi et à enfin me lancer. J'ai fait ma première performance en février cette année dans un bar à Nancy. C'était un lip-sync fun sur du rock avec des petites danses inspirées des années 60 et 70. J'étais terrifiée avant de monter sur scène. Je me rappelais que mes mains tremblaient et que j'avais le souffle court. Mais une fois que j'étais sur scène et que la musique était lancée, j'étais comme dans un état second. Je ne réfléchissais pas, je savais ce que je devais faire, j'avais tout bien répété, tout se faisait automatiquement. Le public était très encourageant et ça me galvanisait. À la fin, j'étais au bout de ma vie, mais je me sentais super bien. Plusieurs jours après, j'étais encore sur mon nuage. L'association qui a organisé le show s'est montrée très bienveillante envers les personnes neuroatypiques. Les organisateurices ont tout fait pour créer un espace où chacun se sent à l'aise et accueilli. Et si on avait des besoins spécifiques, on pouvait en parler. J'en ai donc profité pour demander à passer avant l'entracte afin que je puisse m'isoler dans le vestiaire et me reposer pendant la pause sans avoir raté les autres performances. Il y avait beaucoup de gratitude, de soutien, d'encouragement et d'adélphité. entre les différents artistes et ça m'a fait chaud au cœur. Depuis cette performance, je me suis produite encore deux fois et je gâte toujours les abeilles à la candidature et les scènes ouvertes sur Instagram. S'il y a des freins et des obstacles posés par mon autisme, je vois qu'il y a beaucoup d'artistes qui improvisent une fois sur scène et qui arrivent à sortir des trucs incroyables. Moi, je ne pourrais jamais faire ça. J'ai besoin d'énormément de préparation, de savoir quels gestes, quelles pauses faire à quel moment précis dans une chanson. J'ai besoin de répéter plusieurs fois jusqu'à ce que mon corps enregistre chaque mouvement. Et comme ça, une fois sur scène, je peux me reposer sur ma mémoire musculaire. Ma deuxième performance, justement, je ne l'avais pas assez travaillée et donc sur scène, j'ai dû improviser. Et quand je dois improviser, je suis trop dans ma tête à me demander je fais quoi maintenant. Et... Tous mes gestes sont guindés, et répétitifs, je ne suis plus dans le moment, j'ai envie de fuir, et cette performance-là, je n'en suis pas contente. Ça m'angoisse aussi de ne voir la scène qu'au dernier moment et de ne pas pouvoir prendre le temps de la connaître. Je fais aussi attention aux éclairages, je ne demande jamais de fumée et de stroboscope parce que je les supporte mal, même en tant que spectatrice. Je suis très maniaque dans le choix de mes vêtements, je fais attention de ne pas choisir de vêtements qui pourraient me gêner de manière sensorielle ou dans mes mouvements et donc de me distraire. Par contre, je n'ai pas de problème sensoriel pour ce qui est du maquillage et du port d'une perruque, mais je sais que je ne pourrais pas porter de faux cils et de lentilles. Le seul truc qui m'insupporte avec la perruque, c'est le fait de la laver parce que j'ai une réaction de dégoût vraiment très profond avec les cheveux synthétiques mouillés. Un autre obstacle qui me gêne particulièrement, c'est la socialisation. La plupart du temps, après le show, je rentre tout de suite chez moi, avec mon covoiturage, mais quand je peux rester pour l'after, je voudrais parler avec les autres artistes. D'une part, je suis très vite submergée sensoriellement à cause de la musique et des bruits. D'autre part, mes batteries sociales sont à plat. Avoir un problème de traitement auditif de l'information n'aide pas non plus avec la conversation. C'est vraiment dommage parce qu'il y a une super ambiance sur le chat d'organisation. Ça me donne envie de connaître ces gens. On a peu d'opportunités de se voir en dehors du show comme on habite dans des villes différentes. J'aimerais aussi parler de l'autisme dans mes performances, parmi beaucoup d'autres sujets. J'ai déjà effleuré dans ma troisième performance, la dernière en date. J'y parlais du pouvoir être soi-même la nuit, quand on n'a plus à subir les pressions et les injonctions d'une société patriarcale et capitaliste. Il y a encore beaucoup de choses à dire sur l'autisme et les neuro-atypies, après tout. Après tout, si vous allez sur ma bio sur Instagram, vous verrez que Ace est autiste et entre autres choses qui commence par les lettres A et que le Spexx de mon nom de famille fait référence au spectre sur lesquels je me trouve, ceux de l'asexualité et de l'aromantisme et celui de l'autisme. Ben voilà, merci de m'avoir écoutée.
- Speaker #1
Hello ! Alors du coup, moi en tant qu'artiste ou en tant que drag j'ai le même nom, donc c'est Saharah Azzeg et la drague en tant que personne handicapée c'est un peu particulier puisque à la fois c'est une représentation que les personnes queer handicapées ont besoin. Je sais que ça m'arrive souvent pendant des drag shows et tout à la fin d'avoir d'autres personnes handies avec des handicaps plus ou moins visibles qui viennent me voir et qui sont très content.es de pouvoir parler avec une personne. handi visible dans un drag show. Et après, ça a aussi d'autres questions, c'est-à-dire que du coup, t'es programmé que dans des shows spéciaux sur les questions handi, etc. T'es très peu, voire pas du tout invité dans des shows où il y a des valides, en fait, au final. Donc ça réduit mine de rien les possibilités de travail. Et en plus, tu peux avoir des difficultés, je me rappelle d'un show, c'était la deuxième édition que je bossais avec eux. La première fois la scène était à une hauteur où je pouvais rentrer avec mon fauteuil, parce qu'on avait mis une rampe et tout, et la fois d'après la scène était beaucoup plus haute et je me faisais expliquer par A plus B par le technicien que c'était pas possible que l'année d'avant la scène soit plus basse. Et j'étais en mode bah écoutez, à un moment je sais si j'ai réussi à monter seul ou pas sur la scène, l'année dernière j'ai réussi, cette année non, du coup à un moment il y a quelque chose qui va pas quoi. Donc c'est un peu ce genre de truc un peu compliqué d'être drag et handi en même temps. Il y a des choses très chouettes d'aldéphiter entre artistes drag-handi, mais c'est vrai qu'il y a très peu de liens entre les scènes drag-valide et drag-handi.
- Speaker #4
Salut à toustes, je suis Moon-rise et Mister Nobody, et je suis une artiste drag plus handicapée. Le drag s'est arrivé à un moment assez particulier dans ma vie, parce que ça arrivait en même temps que mon premier diagnostic, on venait de me détecter une maladie auto-immune, toute fraîche, prête à s'installer dans mon corps, et j'ignorais encore à ce moment-là que j'étais malade depuis ma naissance. Je me suis lancée dans le drag à peu près un mois après avoir reçu cette nouvelle, que j'avais plutôt un peu mal pris. Et au début, le drag, aussi étonnant que ça puisse paraître, ça m'a pas fait du bien du tout, parce que j'étais dans un univers drag où on me répétait beaucoup les phrases du type "quand on veut, on peut" "sky is the limit". Sauf que là, déjà pour moi, ma porte était la limite physiquement. Et c'était donc très compliqué pour moi d'envisager le drag déjà dans ses possibilités, mais aussi, et ça c'était plus malsain, j'avais une relation avec beaucoup de validisme internalisé à mon travail. Et donc je me pensais indigne d'être sur scène, tout simplement. Je pensais que mon corps n'était pas digne d'être présenté. Je pensais qu'il n'était pas montrable, en fait. Et au début, j'ai pensé.e, mon drag, je me suis dit, ah, c'est super, je peux agencer cet art autour de mes possibilités. Et donc, je vais juste pouvoir, bah faire en sorte qu'on me voit le moins possible sur scène ! (rire). Et que je me remplace au maximum par des vidéos, et comme ça les gens verront le moins possible que je suis en situation de handicap, et c'est super, c'est super flexible. En fait c'était tout pourri, et ça m'a pas fait du bien, parce que du coup j'en ai tiré aucune confiance en moi, et je sortais plutôt des shows abîmés au début, même si j'ai exprimé quand même ma sensibilité dans mes performances avec les vidéos, mais tout était tellement pensé autour du fait qu'il fallait pas que les gens voient que je peine dans les chorés, il fallait pas que les gens se rendent compte, que j'étais pas valide, parce que ça, j'avais plein de peur, j'avais peur que les gens me voient autrement, j'avais peur aussi que ça me gâche des opportunités, ce qui a été le cas, puisque les gens pensent parfois à ta place, et dans le drag, il y a beaucoup ce truc de je veux te prendre soin de toi, mais je le fais mal, et ça arrive beaucoup qu'en tant qu'artiste handi, on va te dire oui, je t'ai pas proposé cette date, parce que je me suis dit que tu pourrais pas tenir la soirée, ou que... Bah, performer de telle manière, ça pourrait pas t'aller dans tel lieu, et en fait, peut-être que c'est le cas. Mais euh... Parfois aussi c'est pas le cas Et c'est pas aux valides de penser à notre place en fait. Juste demandez-nous, posez-nous la question fin', y'a pas de tabou autour de ça. On veut juste pouvoir performer dans des lieux bah, le plus adapté possible effectivement, mais etre traiter bah, comme des êtres humains. Et pas comme des...Pas être infantilisé.es. Mais on a déjà des problèmes de visibilité. Moi je pense qu'au début je me projetais pas du tout en tant qu'artiste drag parce que j'en connaissais aucun, aucune en situation de handicap en fait. Il y en a déjà très très peu en France et on est tout à fait invisibilisé.es. Et donc c'est très délicat cette invisibilisation. Elle n'est évidemment pas que due à la communauté drag en elle-même. Il y a aussi des lieux qui nous reçoivent. Il y a tout un travail collectif qu'il faudrait faire sur ces questions d'accessibilité. Et je pense aussi qu'il y a un vrai problème de validisme ambiant aussi qui est là, qui est aussi imprégné. La communauté drag n'y échappe pas malheureusement. Même si elle apporte aussi beaucoup de bons. Moi d'ailleurs c'est cette communauté qui à Rennes m'a permis de bah, faire évoluer mon drag très très positivement et ça m'a aussi beaucoup aidé dans ma relation au handicap qui est devenue beaucoup plus saine et je me suis rendu compte de toute la beauté que ça pouvait avoir dans ma vie au sens philosophique du terme de ce que ça m'apportait aussi dans mon art et ce que je pouvais...Et ce que je pouvais en faire donc ça m'a aussi apporté beaucoup de positif. Dans cette affaire d'invisibilisation, ce qui m'a quand même le plus marqué, c'est quand il y a trois jeunes à la fin d'un show qui viennent me voir et qui me disent voilà, on est handi, on aimerait faire du drag et on a l'impression qu'on ne pourra jamais en faire, qu'on n'a aucune place, qu'on ne pourra jamais performer sur telle ou telle scène et qu'on ne pourra jamais justement s'emparer de ça en fait et vivre ce qu'on a envie de vivre, que ça ne nous est pas permis et que ce n'est juste même pas possible. Pour des raisons de parce que je ne peux pas me maquiller seule ou parce que je n'arriverai pas à porter de perruque ou tout un tas d'autres raisons pratiques ou d'inquiétudes que je comprends et que j'ai pu partager un temps pour certaines. Et ça, je pense qu'en tant que communauté, ça devrait nous alarmer. Notre art, il n'est pas du tout censé représenter ça. Il n'est pas censé générer ce genre d'inquiétudes. Il est censé montrer tout le contraire. Donc à mes adelphes handi.es qui veulent faire du drag, j'ai envie de dire que... on attend que vous et qu'en fait on peut trouver des solutions pour que tout le monde puisse s'y épanouir dans cet art, c'est aussi ça qui est magique avec le drag. Et à mes adelphes valides, mes ami.es, mes collègues drag, mais aussi les membres du public et tous ceux qui partagent dans la communauté queer et drag nos luttes. Si on était vraiment autant considéré.es dans notre communauté que vous le prétendez en tant qu'handi.es, on vous verrait dans les manifs handies, ce qui n'est pas le cas. Et je pense qu'il y a aussi ça qui démontre qu'il y a un vrai problème autour de ça. On a besoin de vous aussi, des alliés, dans nos luttes. On ne doit laisser aucune lutte derrière. Voilà.
- Speaker #5
Alors moi c'est Kreature, je fais du drag à Paris depuis environ 5 ans et je qualifie un peu mon personnage drag comme un fantôme, comme une entité qui va un peu prendre possession de mon corps pendant une performance et qui va répandre une émotion, une ambiance, un personnage et c'est souvent des choses assez différentes. Sinon, je suis une drague handicapée. Je ne le revendiquais pas récemment comme tel parce que je ne voulais pas qu'on me réduise à ça, surtout au début. J'ai débuté le drag de manière assez inattendue, ce n'était pas quelque chose qui était réfléchi. Et pour autant, être handicap, donc j'ai un handicap moteur, je marche avec des béquilles et c'est un handicap que j'ai depuis la naissance. Et ça n'a jamais été un frein pour moi, enfin dans ma tête je veux dire. Du coup, commencer le drag, même si c'était inattendu, j'avais plus d'appréhension sur le fait de monter sur scène et qu'on me voit, et être mise en avant, d'être le centre de l'attention, plutôt que parce que j'avais nécessairement des béquilles. Alors ça a été un moteur plus, parce que j'ai quand même reçu des remarques au tout début, des inquiétudes ou de l'appréhension de la part de mes proches, comme Ah mais comment tu vas faire, t'as des béquilles, etc. Et ça, ça a plus été un moteur pour prouver que c'était possible et que j'allais le faire. Et par la suite, j'ai commencé à performer donc. Et c'est vrai qu'au tout début, j'avais quand même du mal à mettre en avant mon handicap, ou en tout cas à me laisser la liberté qui soit visible. Et du coup, ça a donné des choses comme je bougeais, j'étais très statique en performance, on ne voyait pas du tout mes béquilles pendant mes performances. Et j'ai même commencé au tout début à... à habiller mes béquilles pour qu'elles soient en accord avec mon look. Donc c'est quelque chose aussi que je continue parce que j'aime bien jouer avec ça et j'aime bien que... un look soit entièrement fait des pieds, de la tête jusqu'au béquille on va dire. Mais je pense qu'au tout début il y avait quand même aussi une volonté de camoufler au maximum et comme je pouvais pas du tout m'en séparer, je faisais autrement. Et par la suite, d'expérience en expérience, j'arrive de plus en plus à oser me libérer de ça et de ce regard-là que j'ai sur moi et que les autres ont sur moi aussi. Et j'arrive de plus en plus à bouger, à m'autoriser à danser ou à me mouvoir en fait, à vivre. Et ça c'est chouette, alors c'est toujours assez compliqué, j'ai quand même du mal avec le regard que je porte sur moi-même, parce que ma perception de moi vivre dans mon corps et la perception extérieure elle est quand même assez différente, et j'ai toujours un peu cette appréhension. Mais en tout cas faire du drag ça m'a quand même appris à être beaucoup plus vulnérable. C'est vrai que comme je suis née avec un handicap, j'ai beaucoup ce masque que je mets et cette barrière que je mets dehors. pour contrer un peu tous les regards, etc. Ou montrer que je suis un peu forte, on va dire, et contrer ce misérabilisme ambiant. Que je n'ai pas du tout quand je suis en drag parce que déjà, j'ai des lentilles blanches qui camouflent quand même beaucoup ma vue. Ça me coupe beaucoup avec le monde extérieur et ça me permet de me recentrer sur moi-même et d'être un peu en introspection. Et je pense que c'est aussi le moment où je suis le plus en accord avec mon corps. Et comme c'est ma plus grosse faiblesse, la vulnérabilité ressort naturellement. En tout cas même si au début je n'étais pas à l'aise à l'idée de parler de mon rapport avec mon handicap et mon drag, j'ai toujours réussi à l'inclure dans mon personnage et ça a toujours fait partie de moi. De toute façon je ne peux pas faire autrement. Mais c'est vrai que beaucoup de fois on m'a posé la question si mes béquilles par exemple étaient un accessoire dans mon drag. Alors je ne sais toujours pas nécessairement comment réagir à cette phrase parce que... A la fois oui, j'avais réussi à invisibiliser mon handicap comme je voulais, mais à la fois je trouvais ça assez fou que les gens puissent penser que j'utilisais des béquilles en accessoire de mode. Mais maintenant que j'ai un regard beaucoup plus éveillé sur ce qu'est le validisme et le fait que j'avais beaucoup de validisme intériorisé, et maintenant je suis beaucoup plus à l'aise d'en parler et de dire quand ça va pas parce qu'il y a beaucoup d'invisibilisation dans ce milieu des personnes handicapées. Car le validisme est banalisé.
- Speaker #6
Quand on est handi, la scène drag est difficile d'accès. Rapidement, des questions se posent quand on est booké et des peurs arrivent. Est-ce qu'on va être assez fiable ? Est-ce que le jour J, on sera en capacité de performer ? Est-ce qu'on pourra faire ce qui était prévu ? Est-ce qu'on pourra se plier à l'organisation de la soirée ou non ? et comme nos corps ne correspondent pas toujours à la norme et que ce qu'on est capable de proposer ce n'est pas toujours ce qui est attendu. En tout cas les attentes sont celles de corps valides. On vit très rapidement du validisme et du capacitisme notamment intériorisé et c'est quelque chose qui peut facilement nous empêcher de monter sur scène. Et tout ça, c'est renforcé par le fait que les lieux ne sont pas accessibles et les shows en eux-mêmes ne sont pas prévus pour un public handi. Donc les performeureuses, on n'en parle même pas. Mais c'est pour ça que depuis quelques temps, je rédige un guide d'accessibilisation des drag shows que j'espère pouvoir sortir cette année. Pour permettre à des personnes valides... de comprendre ses problématiques, ainsi qu'à des personnes handies de comprendre les problématiques d'autres personnes handies. Et tout ça c'est rempli de questions que je me pose parce que ça pose problème pour le public mais encore plus pour les performeureuses et c'est très important qu'il y ait plus de personnes handies sur scène qui puissent le revendiquer et se visibiliser si iels le souhaitent. Et ça me fait penser qu'il y a quelque temps j'ai participé au tournage d'un clip pour l'artiste Citron Sucré. C'était un clip avec de nombreux.euses performereuses. Et lors du tournage, je suis venue avec mes aides à la mobilité, qui sont des béquilles, sans trop savoir si je les gardais ou non pendant les moments face à la caméra. Mais très rapidement on s'est mis d'accord avec les personnes sur place que si j'en avais besoin pour me déplacer, alors il n'y avait aucune raison que je ne puisse pas les avoir, même dans les moments de danse, et j'ai pu adapter la chorégraphie à ça. Et c'était un moment très important pour moi parce que c'était probablement la première fois dans un contexte de travail qu'on avait pris... en compte de A à Z et qu'on avait aménagé tout sur place pour moi, qu'on avait pris en compte mon handicap sans pour autant m'infantiliser. Et ça, c'est quelque chose d'important. Et malheureusement, c'est quelque chose que je pourrais même qualifier de précieux parce que rare. C'est pas censé être précieux, c'est censé être normal. Mais c'était un moment très important. Et depuis ça m'a donné particulièrement envie de performer avec mes aides à la mobilité sur scène et de réfléchir à comment intégrer mes béquilles à mes chorégraphies plutôt que de les laisser dans les loges et j'espère que ça va donner lieu à des belles choses.
- Speaker #0
C'est la fin de cet épisode, merci à vous de l'avoir écouté, et merci encore aux personnes qui ont participé à cet épisode. C'est l'épisode de la saison avec le plus de témoignages, et j'espère qu'il sera beaucoup écouté et beaucoup diffusé dans la communauté drag et dans la communauté queer en général, car je pense que c'est un épisode qui est un petit guide d'accessibilité à lui tout seul, et que c'est un bon outil pour essayer de rendre les drag shows plus accessibles et plus inclusifs. Je rappelle que tous les épisodes du podcast sont disponibles sur toutes les applis de podcast habituelles, Spotify, Deezer, Apple Podcast, etc. Ainsi que sur Youtube en vidéo sous-titrée et en retranscription sur mon site hcomandipodcast.fr Si vous voulez aider à la visibilité du podcast, n'hésitez pas à mettre 5 étoiles sur Spotify et Apple Podcast. Et si vous voulez suivre l'actualité du podcast, vous pouvez me suivre sur Instagram à hcomandipodcast. Le prochain épisode qui sortira dans deux semaines sera le dernier épisode de la saison et ce sera un épisode un peu spécial puisque ce sera un épisode témoignage enregistré lors du festival PodRennes en mars dernier, à Rennes donc, et ce sera le dernier épisode de la saison avant une pause estivale bien méritée.