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ALEXANDRA, LA RÉSISTANCE ET L'EXIL DE MES PARENTS - le destin d'une famille entre le Chili de Pinochet et le "pays des droits de l'homme" cover
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Histoires de familles

ALEXANDRA, LA RÉSISTANCE ET L'EXIL DE MES PARENTS - le destin d'une famille entre le Chili de Pinochet et le "pays des droits de l'homme"

ALEXANDRA, LA RÉSISTANCE ET L'EXIL DE MES PARENTS - le destin d'une famille entre le Chili de Pinochet et le "pays des droits de l'homme"

21min |24/10/2023|

5

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21min |24/10/2023|

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Description

L’histoire d’Alexandra, c’est l’Histoire dans l’histoire. Celle d’une petite fille née au Chili, en pleine dictature de Pinochet, dans une famille engagée dans la résistance. Alexandra n’a que quelques mois lorsque sa vie bascule pour la première fois : une tentative d’assassinat visant ses parents les oblige à fuir précipitamment. Ce premier exil, décidé dans l’urgence, les mène vers un pays perçu comme un refuge, un symbole : la France, « pays des droits de l’Homme ». Mais pour une famille clandestine qui a vécu dans la crainte et l’ombre, la paix a un prix, et la liberté s’accompagne d’un déracinement profond.


De Santiago à Grenoble, ce récit raconte le contraste saisissant entre une enfance marquée par la menace, le silence, la tension du militantisme clandestin… et l’arrivée dans une ville tranquille, ouverte, où

Le sujet ? l'incroyable destin d'une famille de résistant sous la dictature de Pinochet.


Alexandra découvre une culture nouvelle, porteuse de promesses mais aussi de déchirures. Comment trouve-t-on sa place quand on porte malgré soi l’héritage d’un combat politique que l’on n’a pas choisi, mais qui a déterminé tous les choix de nos parents ? Comment concilier l’histoire réelle, celle écrite dans la peur, la résistance et la fuite… avec sa propre histoire, celle que l’on veut construire librement ?


Alexandra grandit entre deux pays, deux visions du monde, deux fidélités. D’un côté, les souvenirs murmurés d’un Chili meurtri, les valeurs fortes d’une famille résistante, la mémoire encore vibrante de ceux qui se sont battus. De l’autre, la légèreté d’un pays d’adoption où elle s’épanouit, où elle façonne son identité, portée par la culture française qui devient peu à peu sienne. Cette tension douce-amère traverse toute son adolescence : peut-on aimer pleinement son pays d’accueil sans trahir celui de ses parents ? Le combat des générations précédentes doit-il forcément devenir le nôtre ? Et comment se libère-t-on d’une histoire familiale trop lourde pour qu’un enfant puisse la porter ?


Dans ce récit de vie solaire et positif, Alexandra partage une autre vision de l’exil. La découverte d’une liberté nouvelle, presque déstabilisante. Les premiers pas vers une identité multiple, faite de racines profondes et d’ailes larges. Et, au centre, la question fondamentale : comment poursuivre ce combat familial, que faire de cet héritage ?


Son témoignage explore avec finesse les thèmes du déracinement, de la transmission, de l’héritage familial, mais aussi de la transformation positive. Alexandra raconte non pas une tragédie, mais une renaissance. Non pas une fuite, mais une reconstruction. Non pas une rupture, mais une double appartenance, riche et lumineuse.

Si vous aimez les récits personnels et puissants de Transfert (Slate), À suivreMamie dans les ortiesPassages ou Émotions de Louie Media, vous serez profondément touché par ce voyage entre mémoire, identité, famille et destin.

Une histoire incroyable, portée par une voix qui sait faire cohabiter la douleur d’hier et la lumière d’aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort là.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans l'Histoire de famille, un podcast qui met en lumière ce qu'on s'évertue souvent à cacher, les histoires de famille. ici racontées par ceux qui les ont vécues ou qui les vivent encore. Voici une nouvelle histoire de famille, authentique et passionnante. Bonne écoute ! Bonjour Alexandra ! Bonjour ! Je te remercie beaucoup de raconter aujourd'hui ton histoire qui a un sacré clin d'œil avec l'actualité et les 50 ans du coup d'État de Pinochet. On y reviendra un petit peu plus tard. Pour redonner le contexte sur notre rencontre, elle est liée au théâtre, et là aussi on y reviendra un tout petit peu plus tard. Quand je t'ai proposé de raconter ton histoire au travers d'un... premier épisode, le timing n'était pas forcément le bon. Et d'ailleurs, j'aimerais bien savoir qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis et pourquoi tu as accepté de partager ton histoire aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Cette année, comme tu l'as dit, c'est les 50 ans de la mort de Salvador Allende. C'est une date importante pour nous, les Chiliens. Au départ, c'est vrai que j'avais du mal à aborder cette histoire, l'histoire de mes parents, qui fait aussi partie de ma vie. À ce moment-là, vraiment, je ne me sentais pas d'en parler, je ne me sentais pas de me dévoiler là-dessus. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis, voilà, je suis là pour t'en parler, pour te raconter un petit peu ce qui s'est passé, pour revenir dessus parce que j'ai envie de libérer ma parole et j'ai besoin de regarder cette histoire en face.

  • Speaker #1

    Ton histoire est celle de ta famille, elle est intimement liée à l'histoire de ton pays d'origine, ton pays de naissance, et du coup, il est important de revenir sur le contexte historique. Donc, on est au Chili, en 1970, Salvador Allende est président. C'est le premier président socialiste qui accède au pouvoir de manière non violente et légale. C'est l'époque de nationalisation, d'une réforme agraire. Donc on est sur un idéal socialiste qui se met en place. Beaucoup d'espoir pour la population. Et survient le 11 septembre un coup d'État qui est fait par Pinochet, soutenu par les États-Unis. Pinochet qui prendra donc le pouvoir pendant plus de 17 ans. Son règne sera notamment connu pour une forte violence, des milliers de morts, de personnes torturées, mais aussi des exils, comme ce sera le cas pour ta famille. Ça, c'était pour le contexte historique. Quelle place a l'histoire de ton pays de naissance dans ton histoire de famille ?

  • Speaker #0

    Le Chili, ça a une place fondamentale. Je suis née là-bas, mes parents ont grandi là-bas, ils se sont construits en du moins les premières années de leur vie. J'ai toute ma famille, mes grands-parents, mes oncles, mes cousins qui habitent encore au Chili. Voilà, ça fait partie de ma culture, c'est mes racines.

  • Speaker #1

    Alors, si on revient à ton histoire de famille, à quelle date on est là ? À quelle date on commence ?

  • Speaker #0

    Alors, en 1976, mes parents se rencontrent. Donc, trois ans après le coup d'État. Ils sont très jeunes. Ma mère, en 1976, elle a 18 ans. Mon père, lui, a 22 ans. Et commence une histoire d'amour. Il faut savoir que mon père n'a pas donné tout de suite sa véritable identité à ma mère, parce qu'à ce moment-là, il avait des faux papiers et il portait un faux nom. Il faisait partie du mouvement de gauche révolutionnaire, le MIR, et c'est un parti qui a été interdit sous Pinochet, donc en 1973. C'est un parti d'extrême-gauche qui a été fondé par Miguel Henriquez, un proche de Salvador Allende. Et donc mon père fait partie de ce mouvement-là.

  • Speaker #1

    Donc c'est pour protéger son identité et même sa vie, en fait, qu'il vit sous un faux nom.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que mon père, en 1973, au moment du coup d'État, lui, entre en résistance. Et le parti interdit devient un parti clandestin. Donc mon père commence une vie dans la clandestinité.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux annoncer comment il rencontre ta maman ?

  • Speaker #0

    Oui. Il se rencontre à un arrêt de bus, le jour d'une fête à Santiago. C'était au printemps. Ma mère attend le bus et mon père est là. Et ils commencent à discuter ensemble et mon père lui propose de la raccompagner chez elle.

  • Speaker #1

    D'accord, trop belle histoire. Donc là, leur histoire continue. Comment ta maman, elle, vit cette période ? Est-ce qu'elle s'engage ? Et si oui, comment ?

  • Speaker #0

    Quand a eu lieu le coup d'État, ma mère l'a très mal vécu. Comme beaucoup de Chiliens, ils l'ont vécu comme une injustice. Et donc, ma mère soutient officieusement la résistance. On n'en parle pas dans ma famille du côté maternel. Ils ne sont pas forcément politisés, mais ma mère, elle, a des convictions.

  • Speaker #1

    C'est comme ça qu'elle soutient ton papa, en fait. En fait, elle le soutient sans s'engager autant que lui, au point d'être monde imparti.

  • Speaker #0

    En fait, au départ, elle ne sait pas que mon père est résistant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Elle n'est pas au courant. C'est par la suite que mon père, lui, annonce qu'il fait partie de la résistance. Et à ce moment-là, ma mère, elle, elle l'appuie à

  • Speaker #1

    100%. Et leur famille, dans tout ça, est-ce qu'ils sont au courant de leurs actions ? Est-ce qu'ils sont au courant des risques qu'ils prennent ?

  • Speaker #0

    Au départ, non, bien sûr. Ils cachent un petit peu leur activité. Par la suite, ils sont un petit peu obligés d'avouer les activités de mon père parce que mon grand-père n'a pas envie de laisser partir sa fille avec mon père sans qu'elle soit mariée.

  • Speaker #1

    Donc là, l'honneur l'emporte sur presque l'idéologie, le risque. Donc là, je comprends que la prochaine étape, c'est le mariage.

  • Speaker #0

    Voilà. Il est important pour mon grand-père que mes parents soient mariés. C'est comme ça qu'ils décident ensemble d'organiser une fausse fête de mariage. où ils invitent tous les voisins pour pouvoir montrer qu'ils sont mariés.

  • Speaker #1

    Donc en fait, ils feignent la cérémonie en mettant l'accent sur la fête qui devrait la succéder.

  • Speaker #0

    En fait, mes parents ne peuvent pas se marier officiellement parce que mon père est recherché par la police. Donc ils ne peuvent pas se rendre à la mairie. Ils ne peuvent pas organiser une cérémonie officielle. Le seul moyen qu'ils ont pour partir et vivre ensemble, c'est d'organiser une fausse fête de mariage pour montrer aux voisins qui se sont Unis, officiellement.

  • Speaker #1

    S'il ne peut pas être sous son vrai nom, s'il ne peut pas entrer dans un bâtiment public sous peine d'être dénoncé, qui est présent à ce mariage, du coup ?

  • Speaker #0

    On invite la famille, du côté de ma mère, on invite les voisins, et mon père demande à deux amis à lui, qui font partie du MIR, de se faire passer pour ses frères et témoins de mariage.

  • Speaker #1

    Donc jusqu'au bout, on est dans la clandestinité et dans l'apparence.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Après ce mariage, donc maintenant que l'honneur est sauf, en quoi consiste leur vie ?

  • Speaker #0

    Une fois qu'ils s'installent ensemble, mon père, lui, continue ses activités, soutenu par ma mère. Née ma sœur en 1978. Et mon père, qui ne peut pas se rendre à l'hôpital parce que l'hôpital est cerné par les militaires, ma mère accouche toute seule. Et un jour, en fait, alors qu'elle est encore à l'hôpital, mon père s'y rend et se met sous sa fenêtre. Et ma mère lui présente ma sœur par la fenêtre. C'est la première fois qu'il voit sa fille. Moi, je nais en 1982. À cette époque, il y avait une solution pour que les résistants puissent continuer la lutte. C'était d'envoyer les enfants à Cuba. C'est une communauté à Cuba organisée par des exilés chiliens et qui accueille des enfants de résistants. Et donc, à ce moment-là, mes parents se posent la question de nous envoyer avec ma sœur. Et au final, ils ne le font pas et je leur en remercie. Ils nous gardent avec eux malgré le danger. Nous, on reste près d'eux.

  • Speaker #1

    Maintenant qu'ils sont parents, qu'est-ce qui change dans leur quotidien ? Est-ce qu'ils poursuivent leurs actions et leurs engagements ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents, ils sont toujours aussi engagés. Ils ont toujours cette soif de liberté. Mon père, lui, continue ses activités au sein du MIR et il a de plus en plus de responsabilités. Il faut savoir aussi, je pense que c'est important de le dire, qu'il y a à ce moment-là, tous les jours, Il y a des gens qui disparaissent dans les prisons, des gens qui sont torturés, des gens qu'on fait disparaître en les jetant depuis des hélicoptères dans l'océan Pacifique.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a une montée de la tension et du danger avec la montée en grade de ton père dans le parti ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, les taux se resserrent de plus en plus. On doit déménager régulièrement. Un jour, mes parents cherchent une maison. et trouve une maison dans un quartier. Le critère pour pouvoir s'installer dans la maison, c'est qu'il y ait un jardin derrière pour pouvoir partir et s'enfuir si la police arrive. Et donc, avec ma sœur, mes parents nous ont fait faire des tests pour voir s'ils pouvaient nous passer par-dessus la barrière et pouvoir atterrir chez les voisins en cas d'arrivée de la police.

  • Speaker #1

    Alors, tu m'as parlé du destin des deux témoins du mariage de tes parents. Je crois que c'est un peu un tournant dans leur histoire au Chili. à tes parents en tout cas. Oui.

  • Speaker #0

    En 1983, Alejandro Salgado, qui est l'un des témoins de mariage de mon père, du faux mariage, est assassiné devant chez lui par la police. C'est un cas qui est connu sous le nom de Janequeo. Alejandro, il avait de grosses responsabilités au sein du MIR. Il était recherché et un jour, il a été pris en filature par la police et arrivé devant chez lui. Alors qu'il n'était pas du tout armé, ils ont tiré sur lui et ils ont tiré sur la façade. Et c'est comme ça aussi qu'une personne qui se trouvait à l'intérieur de sa maison est morte. Ensuite, ils ont fait une mise en scène en plaçant à l'intérieur de chez lui des armes, des cartouches, tout un arsenal pour pouvoir le montrer aux informations et pour pouvoir retourner l'opinion publique.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que cet événement va changer ? Pour tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors à partir de là, en fait, le MIR décide que mon père doit partir en Argentine parce que c'est trop dangereux de rester au Chili. Il y a de plus en plus de dénonciations, il y a de plus en plus d'arrestations. Si quelqu'un du parti tombe, ça veut dire qu'il est susceptible d'entraîner avec lui toute une partie du mouvement. Donc on doit partir.

  • Speaker #1

    Alors qui part et pourquoi l'Argentine ?

  • Speaker #0

    Mon père part en premier parce qu'en Argentine, on a des points de chute. On a des gens qui peuvent nous accueillir. Ma mère, ma sœur et moi, on le rejoint plus tard, une fois qu'on a fait nos papiers.

  • Speaker #1

    À quoi ressemble votre vie en Argentine ? Est-ce que c'est toujours dans la clandestinité ?

  • Speaker #0

    Alors, on reste un an en Argentine. On essaie de se faire discret, on ne sort pas beaucoup. Mais mes parents, ils y fréquentent un lieu qu'on appelle une peña. Donc une peña, c'est une guinguette. Et ils y vont régulièrement. Là, ils rencontrent des amis. Des artistes, ils chantent, ça joue de la guitare. Nous, on y va avec ma sœur, on est présent avec eux. Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort. Là, il passe deux semaines ensuite à l'hôpital. Voilà, ça a été un événement assez violent et ça les a décidé à partir. plus loin et à accepter l'aide des Nations Unies. Les Nations Unies nous proposent à ce moment-là de nous accueillir dans trois pays. On a la possibilité d'aller soit en Australie, soit en Suède ou en France.

  • Speaker #1

    Comment tu expliques qu'il y a eu cette tentative de meurtre ? Est-ce qu'on vous a dénoncé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    Dans les années 70 et 80, les dictateurs des différents pays en Amérique latine mettent en place ce qu'on appelle le plan Condor. Donc le plan Condor, ça consiste à dénoncer tous les résistants qui quittent leur pays pour un autre. Et c'est comme ça qu'ils retrouvent la trace des résistants.

  • Speaker #1

    Donc là, vous choisissez la France. Pourquoi ce pays ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est le pays des droits de l'homme.

  • Speaker #1

    À quelle date vous arrivez en France et comment se passe votre arrivée, vos premiers pas dans ce pays ?

  • Speaker #0

    On arrive en France en 1985 et on s'installe à Grenoble. On est accueillis par des associations et des militants des droits de l'homme et on est très très bien accueillis.

  • Speaker #1

    Donc là on est sous Mitterrand, la France à gauche se rapproche un petit peu de l'idéal socialiste que tes parents souhaitaient revoir après le coup d'État. Comment se passe votre vie à ce moment-là en France ?

  • Speaker #0

    Ma mère trouve un travail en tant qu'agent de service hospitalier dans une clinique et mon père est électricien à EDF. Ma mère passe son permis de conduire et puis elle décide de reprendre ses études et elle devient aide-soignante, toujours dans la même clinique. Moi et ma sœur, on va à l'école, moi à la maternelle et puis naît mon frère aussi, mon petit frère. Et la vie reprend un peu son cours tout en espérant retourner le plus vite possible au Chili.

  • Speaker #1

    Tes parents, à ce moment-là, ils n'ont toujours pas renoncé à revenir dans leur pays ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents, une fois qu'on arrive en France, eux, ils pensent qu'on va repartir aussitôt, en fait. Et ma mère range systématiquement les affaires dans la valise pour être prêts au départ. Mais les choses, elles ne se passent pas comme ça. Et puis à un moment, les affaires, il faut les sortir de la valise.

  • Speaker #1

    Comment la décision de rester, elle est prise ? Est-ce que c'est un renoncement au Chili ?

  • Speaker #0

    C'est tout simplement la vie qui reprend son cours, en fait. Il faut admettre qu'en France, la vie est beaucoup plus douce.

  • Speaker #1

    Donc maintenant que vous êtes décidée et enracinée un petit peu plus en France, comment se passe le quotidien ? Comment en fait vous, vous le vivez ? Est-ce que c'est un déracinement ? Est-ce que la lutte a totalement cessé ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est un déracinement total. C'est même beaucoup de souffrance pour la famille, mes parents plus particulièrement. Avec mon frère, ma soeur, on les voit dans ce désarroi. Ils sont loin de leur famille, loin de leur terre. Et on parle souvent du Chili à la maison.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il continue de trouver ou est-ce qu'il trouve une forme d'engagement pour le Chili en restant en France maintenant que les premières années d'adaptation sont passées ?

  • Speaker #0

    Mon père a toujours été passionné de photos et d'images en général et lui, il fait une formation au centre audiovisuel de la ville de Grenoble et il devient réalisateur. Il réalise plusieurs documentaires, dont un qui s'appelle Prisonnier Ross et qui parle des prisonniers au Chili.

  • Speaker #1

    Et ta maman ?

  • Speaker #0

    Quand on vivait encore au Chili, ma mère a gagné une guitare à la tombola. C'était une tombola qui avait été organisée par le quartier pour soutenir une famille qui avait perdu ses enfants suite à un assaut de la police. Et cette guitare, elle l'a suivie jusqu'en France. Et aujourd'hui, elle continue à jouer. Elle joue dans des bibliothèques pour des enfants. Elle leur chante des comptines en espagnol.

  • Speaker #1

    En fait, ils ont fait de l'art la façon de continuer à s'engager et à résister.

  • Speaker #0

    Voilà. L'appareil photo ou la caméra de mon père est devenue son arme. Ils sont toujours aussi impliqués, toujours aussi militants.

  • Speaker #1

    Et alors, je crois que l'art va aussi avoir une part importante dans ta vie, puisque si maintenant je lève le voile sur le pourquoi du comment on est là aujourd'hui, c'est que tu es ma prof de théâtre. et donc tu as fait aussi d'un art le centre de ta vie.

  • Speaker #0

    Voilà, j'ai commencé le théâtre à l'âge de 8 ans. Mes parents m'ont inscrite dans une troupe de mon quartier et avec cette troupe, je suis partie en tournée au Maroc, en Allemagne. J'ai eu la chance de jouer sur des grandes scènes de la région grenobloise.

  • Speaker #1

    Comment les valeurs que tes parents t'ont transmises se sont reflétées dans cet art et à quel point tu as été influencée dans ces décisions et dans ce parcours ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si à l'époque, moi, à 8 ans, je vois les choses comme ça, mais en tout cas, le théâtre, pour moi, c'est une bouffée d'oxygène. Plus tard, quand j'intègre un atelier ado, je rencontre Patrick Seyer, qui m'a initiée à des auteurs comme Bertolt Brecht, Samuel Beckett, Ionesco, Giono, beaucoup d'auteurs marqués par la guerre. Et chez moi, ça fait sens.

  • Speaker #1

    Et du coup, quelle décision tu prends pour concrétiser ce coup de cœur ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je sais très tôt que je veux devenir comédienne et je me renseigne un petit peu sur toutes les écoles qui existent en France. Je m'intéresse aux cours Florent. En 2002, je décide de m'installer à Paris et de suivre les cours Florent. Voilà, alors là, c'est un autre monde qui s'ouvre à moi, c'est Paris. C'est des rencontres, un nouveau mode de vie.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette vie parisienne sur ta passion pour le théâtre engagé ?

  • Speaker #0

    Alors moi, à 20 ans, bien sûr, je suis attirée aussi par tout cet univers, le showbiz. Comme tous les élèves du cours Florent, je commence à passer des castings, je fais de la figuration, voilà. Mais il y a une espèce de dissonance qui se crée chez moi entre le théâtre que j'ai connu à Grenoble, ce théâtre engagé, et ce monde de strass et paillettes et de show business que je découvre à Paris. Et en 2005, grâce à Carmen Castillo, qui est la compagne de Miguel Enriquez, le fondateur du MIR qui est mort en 1974, assassiné par la police, grâce à elle, qui est exilée en France, j'intègre la troupe du Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine, dirigée par Oscar Castro, lui-même exilé politique chilien.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette rencontre et ce passage par cette école, ce théâtre, dans ta vie ?

  • Speaker #0

    Le travail d'Oscar Castro me donne envie, moi aussi, de monter mes propres créations. Et je commence à écrire mes spectacles, et je fais du one-man show, je participe à des scènes ouvertes, là je rencontre tous les jeunes humoristes de l'époque qui n'ont pas encore percé à ce moment-là, comme Ken Kojandi, Christine Berrou, Kev Adams. Puis un jour, je participe à une émission qui s'appelle « Vous avez du talent » , et je suis sélectionnée pour faire l'Olympia, la première partie d'Hélène, d'Hélène et les garçons. Deux soirs de suite. C'est une expérience incroyable. Et je continue, je continue mes scènes ouvertes, je continue l'écriture de mes sketchs. Je rencontre Didier Porte, Thierry Rocher. Et c'est en 2016 que je crée la Master Company.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que la Master Company ? Moi, je sais très bien, mais est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ? Et aussi nous dire comment la Master Company te ressemble et en quoi elle reflète aussi tes convictions ?

  • Speaker #0

    Alors, la Master Company, c'est mes cours de théâtre et d'impro pour adultes et enfants. Au départ, j'ai commencé avec trois élèves et là, j'en suis à 120 cette année. Voilà, donc je continue à développer. J'écris, je mets en scène et il m'arrive parfois de jouer aussi dans mes spectacles. Et voilà, je produis des spectacles. Je fais mon métier, je fais du théâtre.

  • Speaker #1

    En quoi la Master Company, elle a une petite signature chilienne différente des autres compagnies ?

  • Speaker #0

    À la Master Compagnie, moi j'essaie de créer des ponts entre les gens, j'essaie de créer du lien avec bienveillance, et je pense que c'est hyper important aujourd'hui dans l'époque dans laquelle on vit.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui t'es épanouie ? Est-ce qu'aujourd'hui t'es en accord et apaisée avec ton héritage familial ? Qui tu es toi, l'artiste ? Est-ce que t'as envie d'être et de transmettre ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, je fais ma passion, ma passion est mon métier. J'ai l'impression d'être alignée avec mes valeurs. J'ai trouvé ma place. Et donc, je me sens bien. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je me sens capable de parler de toute cette histoire et de me confier à toi.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui, Alexandra, tu es plus chilienne que française, plus française que chilienne ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est super compliqué comme question. Je me sens moins. Je suis franco-chilienne, chileno-française. Moitié française, moitié chilienne, 100% chilienne, 100% française. Voilà, je suis bien, je suis Alexandra et j'aime la France comme j'aime le Chili. Tous ces deux pays m'enrichissent et font ce que je suis aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un mot de la fin qui décrirait et qui décrirait bien aussi cette histoire ?

  • Speaker #0

    Le slogan de la Master Company, c'est « Mettez de l'art dans votre vie » . Moi, grâce à mes parents, j'ai baigné dans l'art. ça m'a apporté de la stabilité, ça m'a épanouie. C'est mon conseil, en fait. C'est ce que j'ai envie de dire à tout le monde. C'est pour trouver sa place. Soyez en accord avec vos valeurs.

  • Speaker #1

    Mais surtout, faites de l'art. Merci beaucoup, Alexandra. Je vous remercie d'avoir écouté ce podcast d'Histoire de famille. Si vous aussi, vous souhaitez participer ou si vous souhaitez en savoir plus sur le podcast et les prochains épisodes, rendez-vous sur Instagram en tapant histoire-de-famille.podcast. et si vous avez aimé ce podcast n'hésitez pas à le partager c'est la meilleure façon de m'aider et de m'encourager à bientôt

Description

L’histoire d’Alexandra, c’est l’Histoire dans l’histoire. Celle d’une petite fille née au Chili, en pleine dictature de Pinochet, dans une famille engagée dans la résistance. Alexandra n’a que quelques mois lorsque sa vie bascule pour la première fois : une tentative d’assassinat visant ses parents les oblige à fuir précipitamment. Ce premier exil, décidé dans l’urgence, les mène vers un pays perçu comme un refuge, un symbole : la France, « pays des droits de l’Homme ». Mais pour une famille clandestine qui a vécu dans la crainte et l’ombre, la paix a un prix, et la liberté s’accompagne d’un déracinement profond.


De Santiago à Grenoble, ce récit raconte le contraste saisissant entre une enfance marquée par la menace, le silence, la tension du militantisme clandestin… et l’arrivée dans une ville tranquille, ouverte, où

Le sujet ? l'incroyable destin d'une famille de résistant sous la dictature de Pinochet.


Alexandra découvre une culture nouvelle, porteuse de promesses mais aussi de déchirures. Comment trouve-t-on sa place quand on porte malgré soi l’héritage d’un combat politique que l’on n’a pas choisi, mais qui a déterminé tous les choix de nos parents ? Comment concilier l’histoire réelle, celle écrite dans la peur, la résistance et la fuite… avec sa propre histoire, celle que l’on veut construire librement ?


Alexandra grandit entre deux pays, deux visions du monde, deux fidélités. D’un côté, les souvenirs murmurés d’un Chili meurtri, les valeurs fortes d’une famille résistante, la mémoire encore vibrante de ceux qui se sont battus. De l’autre, la légèreté d’un pays d’adoption où elle s’épanouit, où elle façonne son identité, portée par la culture française qui devient peu à peu sienne. Cette tension douce-amère traverse toute son adolescence : peut-on aimer pleinement son pays d’accueil sans trahir celui de ses parents ? Le combat des générations précédentes doit-il forcément devenir le nôtre ? Et comment se libère-t-on d’une histoire familiale trop lourde pour qu’un enfant puisse la porter ?


Dans ce récit de vie solaire et positif, Alexandra partage une autre vision de l’exil. La découverte d’une liberté nouvelle, presque déstabilisante. Les premiers pas vers une identité multiple, faite de racines profondes et d’ailes larges. Et, au centre, la question fondamentale : comment poursuivre ce combat familial, que faire de cet héritage ?


Son témoignage explore avec finesse les thèmes du déracinement, de la transmission, de l’héritage familial, mais aussi de la transformation positive. Alexandra raconte non pas une tragédie, mais une renaissance. Non pas une fuite, mais une reconstruction. Non pas une rupture, mais une double appartenance, riche et lumineuse.

Si vous aimez les récits personnels et puissants de Transfert (Slate), À suivreMamie dans les ortiesPassages ou Émotions de Louie Media, vous serez profondément touché par ce voyage entre mémoire, identité, famille et destin.

Une histoire incroyable, portée par une voix qui sait faire cohabiter la douleur d’hier et la lumière d’aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort là.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans l'Histoire de famille, un podcast qui met en lumière ce qu'on s'évertue souvent à cacher, les histoires de famille. ici racontées par ceux qui les ont vécues ou qui les vivent encore. Voici une nouvelle histoire de famille, authentique et passionnante. Bonne écoute ! Bonjour Alexandra ! Bonjour ! Je te remercie beaucoup de raconter aujourd'hui ton histoire qui a un sacré clin d'œil avec l'actualité et les 50 ans du coup d'État de Pinochet. On y reviendra un petit peu plus tard. Pour redonner le contexte sur notre rencontre, elle est liée au théâtre, et là aussi on y reviendra un tout petit peu plus tard. Quand je t'ai proposé de raconter ton histoire au travers d'un... premier épisode, le timing n'était pas forcément le bon. Et d'ailleurs, j'aimerais bien savoir qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis et pourquoi tu as accepté de partager ton histoire aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Cette année, comme tu l'as dit, c'est les 50 ans de la mort de Salvador Allende. C'est une date importante pour nous, les Chiliens. Au départ, c'est vrai que j'avais du mal à aborder cette histoire, l'histoire de mes parents, qui fait aussi partie de ma vie. À ce moment-là, vraiment, je ne me sentais pas d'en parler, je ne me sentais pas de me dévoiler là-dessus. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis, voilà, je suis là pour t'en parler, pour te raconter un petit peu ce qui s'est passé, pour revenir dessus parce que j'ai envie de libérer ma parole et j'ai besoin de regarder cette histoire en face.

  • Speaker #1

    Ton histoire est celle de ta famille, elle est intimement liée à l'histoire de ton pays d'origine, ton pays de naissance, et du coup, il est important de revenir sur le contexte historique. Donc, on est au Chili, en 1970, Salvador Allende est président. C'est le premier président socialiste qui accède au pouvoir de manière non violente et légale. C'est l'époque de nationalisation, d'une réforme agraire. Donc on est sur un idéal socialiste qui se met en place. Beaucoup d'espoir pour la population. Et survient le 11 septembre un coup d'État qui est fait par Pinochet, soutenu par les États-Unis. Pinochet qui prendra donc le pouvoir pendant plus de 17 ans. Son règne sera notamment connu pour une forte violence, des milliers de morts, de personnes torturées, mais aussi des exils, comme ce sera le cas pour ta famille. Ça, c'était pour le contexte historique. Quelle place a l'histoire de ton pays de naissance dans ton histoire de famille ?

  • Speaker #0

    Le Chili, ça a une place fondamentale. Je suis née là-bas, mes parents ont grandi là-bas, ils se sont construits en du moins les premières années de leur vie. J'ai toute ma famille, mes grands-parents, mes oncles, mes cousins qui habitent encore au Chili. Voilà, ça fait partie de ma culture, c'est mes racines.

  • Speaker #1

    Alors, si on revient à ton histoire de famille, à quelle date on est là ? À quelle date on commence ?

  • Speaker #0

    Alors, en 1976, mes parents se rencontrent. Donc, trois ans après le coup d'État. Ils sont très jeunes. Ma mère, en 1976, elle a 18 ans. Mon père, lui, a 22 ans. Et commence une histoire d'amour. Il faut savoir que mon père n'a pas donné tout de suite sa véritable identité à ma mère, parce qu'à ce moment-là, il avait des faux papiers et il portait un faux nom. Il faisait partie du mouvement de gauche révolutionnaire, le MIR, et c'est un parti qui a été interdit sous Pinochet, donc en 1973. C'est un parti d'extrême-gauche qui a été fondé par Miguel Henriquez, un proche de Salvador Allende. Et donc mon père fait partie de ce mouvement-là.

  • Speaker #1

    Donc c'est pour protéger son identité et même sa vie, en fait, qu'il vit sous un faux nom.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que mon père, en 1973, au moment du coup d'État, lui, entre en résistance. Et le parti interdit devient un parti clandestin. Donc mon père commence une vie dans la clandestinité.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux annoncer comment il rencontre ta maman ?

  • Speaker #0

    Oui. Il se rencontre à un arrêt de bus, le jour d'une fête à Santiago. C'était au printemps. Ma mère attend le bus et mon père est là. Et ils commencent à discuter ensemble et mon père lui propose de la raccompagner chez elle.

  • Speaker #1

    D'accord, trop belle histoire. Donc là, leur histoire continue. Comment ta maman, elle, vit cette période ? Est-ce qu'elle s'engage ? Et si oui, comment ?

  • Speaker #0

    Quand a eu lieu le coup d'État, ma mère l'a très mal vécu. Comme beaucoup de Chiliens, ils l'ont vécu comme une injustice. Et donc, ma mère soutient officieusement la résistance. On n'en parle pas dans ma famille du côté maternel. Ils ne sont pas forcément politisés, mais ma mère, elle, a des convictions.

  • Speaker #1

    C'est comme ça qu'elle soutient ton papa, en fait. En fait, elle le soutient sans s'engager autant que lui, au point d'être monde imparti.

  • Speaker #0

    En fait, au départ, elle ne sait pas que mon père est résistant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Elle n'est pas au courant. C'est par la suite que mon père, lui, annonce qu'il fait partie de la résistance. Et à ce moment-là, ma mère, elle, elle l'appuie à

  • Speaker #1

    100%. Et leur famille, dans tout ça, est-ce qu'ils sont au courant de leurs actions ? Est-ce qu'ils sont au courant des risques qu'ils prennent ?

  • Speaker #0

    Au départ, non, bien sûr. Ils cachent un petit peu leur activité. Par la suite, ils sont un petit peu obligés d'avouer les activités de mon père parce que mon grand-père n'a pas envie de laisser partir sa fille avec mon père sans qu'elle soit mariée.

  • Speaker #1

    Donc là, l'honneur l'emporte sur presque l'idéologie, le risque. Donc là, je comprends que la prochaine étape, c'est le mariage.

  • Speaker #0

    Voilà. Il est important pour mon grand-père que mes parents soient mariés. C'est comme ça qu'ils décident ensemble d'organiser une fausse fête de mariage. où ils invitent tous les voisins pour pouvoir montrer qu'ils sont mariés.

  • Speaker #1

    Donc en fait, ils feignent la cérémonie en mettant l'accent sur la fête qui devrait la succéder.

  • Speaker #0

    En fait, mes parents ne peuvent pas se marier officiellement parce que mon père est recherché par la police. Donc ils ne peuvent pas se rendre à la mairie. Ils ne peuvent pas organiser une cérémonie officielle. Le seul moyen qu'ils ont pour partir et vivre ensemble, c'est d'organiser une fausse fête de mariage pour montrer aux voisins qui se sont Unis, officiellement.

  • Speaker #1

    S'il ne peut pas être sous son vrai nom, s'il ne peut pas entrer dans un bâtiment public sous peine d'être dénoncé, qui est présent à ce mariage, du coup ?

  • Speaker #0

    On invite la famille, du côté de ma mère, on invite les voisins, et mon père demande à deux amis à lui, qui font partie du MIR, de se faire passer pour ses frères et témoins de mariage.

  • Speaker #1

    Donc jusqu'au bout, on est dans la clandestinité et dans l'apparence.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Après ce mariage, donc maintenant que l'honneur est sauf, en quoi consiste leur vie ?

  • Speaker #0

    Une fois qu'ils s'installent ensemble, mon père, lui, continue ses activités, soutenu par ma mère. Née ma sœur en 1978. Et mon père, qui ne peut pas se rendre à l'hôpital parce que l'hôpital est cerné par les militaires, ma mère accouche toute seule. Et un jour, en fait, alors qu'elle est encore à l'hôpital, mon père s'y rend et se met sous sa fenêtre. Et ma mère lui présente ma sœur par la fenêtre. C'est la première fois qu'il voit sa fille. Moi, je nais en 1982. À cette époque, il y avait une solution pour que les résistants puissent continuer la lutte. C'était d'envoyer les enfants à Cuba. C'est une communauté à Cuba organisée par des exilés chiliens et qui accueille des enfants de résistants. Et donc, à ce moment-là, mes parents se posent la question de nous envoyer avec ma sœur. Et au final, ils ne le font pas et je leur en remercie. Ils nous gardent avec eux malgré le danger. Nous, on reste près d'eux.

  • Speaker #1

    Maintenant qu'ils sont parents, qu'est-ce qui change dans leur quotidien ? Est-ce qu'ils poursuivent leurs actions et leurs engagements ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents, ils sont toujours aussi engagés. Ils ont toujours cette soif de liberté. Mon père, lui, continue ses activités au sein du MIR et il a de plus en plus de responsabilités. Il faut savoir aussi, je pense que c'est important de le dire, qu'il y a à ce moment-là, tous les jours, Il y a des gens qui disparaissent dans les prisons, des gens qui sont torturés, des gens qu'on fait disparaître en les jetant depuis des hélicoptères dans l'océan Pacifique.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a une montée de la tension et du danger avec la montée en grade de ton père dans le parti ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, les taux se resserrent de plus en plus. On doit déménager régulièrement. Un jour, mes parents cherchent une maison. et trouve une maison dans un quartier. Le critère pour pouvoir s'installer dans la maison, c'est qu'il y ait un jardin derrière pour pouvoir partir et s'enfuir si la police arrive. Et donc, avec ma sœur, mes parents nous ont fait faire des tests pour voir s'ils pouvaient nous passer par-dessus la barrière et pouvoir atterrir chez les voisins en cas d'arrivée de la police.

  • Speaker #1

    Alors, tu m'as parlé du destin des deux témoins du mariage de tes parents. Je crois que c'est un peu un tournant dans leur histoire au Chili. à tes parents en tout cas. Oui.

  • Speaker #0

    En 1983, Alejandro Salgado, qui est l'un des témoins de mariage de mon père, du faux mariage, est assassiné devant chez lui par la police. C'est un cas qui est connu sous le nom de Janequeo. Alejandro, il avait de grosses responsabilités au sein du MIR. Il était recherché et un jour, il a été pris en filature par la police et arrivé devant chez lui. Alors qu'il n'était pas du tout armé, ils ont tiré sur lui et ils ont tiré sur la façade. Et c'est comme ça aussi qu'une personne qui se trouvait à l'intérieur de sa maison est morte. Ensuite, ils ont fait une mise en scène en plaçant à l'intérieur de chez lui des armes, des cartouches, tout un arsenal pour pouvoir le montrer aux informations et pour pouvoir retourner l'opinion publique.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que cet événement va changer ? Pour tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors à partir de là, en fait, le MIR décide que mon père doit partir en Argentine parce que c'est trop dangereux de rester au Chili. Il y a de plus en plus de dénonciations, il y a de plus en plus d'arrestations. Si quelqu'un du parti tombe, ça veut dire qu'il est susceptible d'entraîner avec lui toute une partie du mouvement. Donc on doit partir.

  • Speaker #1

    Alors qui part et pourquoi l'Argentine ?

  • Speaker #0

    Mon père part en premier parce qu'en Argentine, on a des points de chute. On a des gens qui peuvent nous accueillir. Ma mère, ma sœur et moi, on le rejoint plus tard, une fois qu'on a fait nos papiers.

  • Speaker #1

    À quoi ressemble votre vie en Argentine ? Est-ce que c'est toujours dans la clandestinité ?

  • Speaker #0

    Alors, on reste un an en Argentine. On essaie de se faire discret, on ne sort pas beaucoup. Mais mes parents, ils y fréquentent un lieu qu'on appelle une peña. Donc une peña, c'est une guinguette. Et ils y vont régulièrement. Là, ils rencontrent des amis. Des artistes, ils chantent, ça joue de la guitare. Nous, on y va avec ma sœur, on est présent avec eux. Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort. Là, il passe deux semaines ensuite à l'hôpital. Voilà, ça a été un événement assez violent et ça les a décidé à partir. plus loin et à accepter l'aide des Nations Unies. Les Nations Unies nous proposent à ce moment-là de nous accueillir dans trois pays. On a la possibilité d'aller soit en Australie, soit en Suède ou en France.

  • Speaker #1

    Comment tu expliques qu'il y a eu cette tentative de meurtre ? Est-ce qu'on vous a dénoncé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    Dans les années 70 et 80, les dictateurs des différents pays en Amérique latine mettent en place ce qu'on appelle le plan Condor. Donc le plan Condor, ça consiste à dénoncer tous les résistants qui quittent leur pays pour un autre. Et c'est comme ça qu'ils retrouvent la trace des résistants.

  • Speaker #1

    Donc là, vous choisissez la France. Pourquoi ce pays ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est le pays des droits de l'homme.

  • Speaker #1

    À quelle date vous arrivez en France et comment se passe votre arrivée, vos premiers pas dans ce pays ?

  • Speaker #0

    On arrive en France en 1985 et on s'installe à Grenoble. On est accueillis par des associations et des militants des droits de l'homme et on est très très bien accueillis.

  • Speaker #1

    Donc là on est sous Mitterrand, la France à gauche se rapproche un petit peu de l'idéal socialiste que tes parents souhaitaient revoir après le coup d'État. Comment se passe votre vie à ce moment-là en France ?

  • Speaker #0

    Ma mère trouve un travail en tant qu'agent de service hospitalier dans une clinique et mon père est électricien à EDF. Ma mère passe son permis de conduire et puis elle décide de reprendre ses études et elle devient aide-soignante, toujours dans la même clinique. Moi et ma sœur, on va à l'école, moi à la maternelle et puis naît mon frère aussi, mon petit frère. Et la vie reprend un peu son cours tout en espérant retourner le plus vite possible au Chili.

  • Speaker #1

    Tes parents, à ce moment-là, ils n'ont toujours pas renoncé à revenir dans leur pays ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents, une fois qu'on arrive en France, eux, ils pensent qu'on va repartir aussitôt, en fait. Et ma mère range systématiquement les affaires dans la valise pour être prêts au départ. Mais les choses, elles ne se passent pas comme ça. Et puis à un moment, les affaires, il faut les sortir de la valise.

  • Speaker #1

    Comment la décision de rester, elle est prise ? Est-ce que c'est un renoncement au Chili ?

  • Speaker #0

    C'est tout simplement la vie qui reprend son cours, en fait. Il faut admettre qu'en France, la vie est beaucoup plus douce.

  • Speaker #1

    Donc maintenant que vous êtes décidée et enracinée un petit peu plus en France, comment se passe le quotidien ? Comment en fait vous, vous le vivez ? Est-ce que c'est un déracinement ? Est-ce que la lutte a totalement cessé ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est un déracinement total. C'est même beaucoup de souffrance pour la famille, mes parents plus particulièrement. Avec mon frère, ma soeur, on les voit dans ce désarroi. Ils sont loin de leur famille, loin de leur terre. Et on parle souvent du Chili à la maison.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il continue de trouver ou est-ce qu'il trouve une forme d'engagement pour le Chili en restant en France maintenant que les premières années d'adaptation sont passées ?

  • Speaker #0

    Mon père a toujours été passionné de photos et d'images en général et lui, il fait une formation au centre audiovisuel de la ville de Grenoble et il devient réalisateur. Il réalise plusieurs documentaires, dont un qui s'appelle Prisonnier Ross et qui parle des prisonniers au Chili.

  • Speaker #1

    Et ta maman ?

  • Speaker #0

    Quand on vivait encore au Chili, ma mère a gagné une guitare à la tombola. C'était une tombola qui avait été organisée par le quartier pour soutenir une famille qui avait perdu ses enfants suite à un assaut de la police. Et cette guitare, elle l'a suivie jusqu'en France. Et aujourd'hui, elle continue à jouer. Elle joue dans des bibliothèques pour des enfants. Elle leur chante des comptines en espagnol.

  • Speaker #1

    En fait, ils ont fait de l'art la façon de continuer à s'engager et à résister.

  • Speaker #0

    Voilà. L'appareil photo ou la caméra de mon père est devenue son arme. Ils sont toujours aussi impliqués, toujours aussi militants.

  • Speaker #1

    Et alors, je crois que l'art va aussi avoir une part importante dans ta vie, puisque si maintenant je lève le voile sur le pourquoi du comment on est là aujourd'hui, c'est que tu es ma prof de théâtre. et donc tu as fait aussi d'un art le centre de ta vie.

  • Speaker #0

    Voilà, j'ai commencé le théâtre à l'âge de 8 ans. Mes parents m'ont inscrite dans une troupe de mon quartier et avec cette troupe, je suis partie en tournée au Maroc, en Allemagne. J'ai eu la chance de jouer sur des grandes scènes de la région grenobloise.

  • Speaker #1

    Comment les valeurs que tes parents t'ont transmises se sont reflétées dans cet art et à quel point tu as été influencée dans ces décisions et dans ce parcours ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si à l'époque, moi, à 8 ans, je vois les choses comme ça, mais en tout cas, le théâtre, pour moi, c'est une bouffée d'oxygène. Plus tard, quand j'intègre un atelier ado, je rencontre Patrick Seyer, qui m'a initiée à des auteurs comme Bertolt Brecht, Samuel Beckett, Ionesco, Giono, beaucoup d'auteurs marqués par la guerre. Et chez moi, ça fait sens.

  • Speaker #1

    Et du coup, quelle décision tu prends pour concrétiser ce coup de cœur ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je sais très tôt que je veux devenir comédienne et je me renseigne un petit peu sur toutes les écoles qui existent en France. Je m'intéresse aux cours Florent. En 2002, je décide de m'installer à Paris et de suivre les cours Florent. Voilà, alors là, c'est un autre monde qui s'ouvre à moi, c'est Paris. C'est des rencontres, un nouveau mode de vie.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette vie parisienne sur ta passion pour le théâtre engagé ?

  • Speaker #0

    Alors moi, à 20 ans, bien sûr, je suis attirée aussi par tout cet univers, le showbiz. Comme tous les élèves du cours Florent, je commence à passer des castings, je fais de la figuration, voilà. Mais il y a une espèce de dissonance qui se crée chez moi entre le théâtre que j'ai connu à Grenoble, ce théâtre engagé, et ce monde de strass et paillettes et de show business que je découvre à Paris. Et en 2005, grâce à Carmen Castillo, qui est la compagne de Miguel Enriquez, le fondateur du MIR qui est mort en 1974, assassiné par la police, grâce à elle, qui est exilée en France, j'intègre la troupe du Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine, dirigée par Oscar Castro, lui-même exilé politique chilien.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette rencontre et ce passage par cette école, ce théâtre, dans ta vie ?

  • Speaker #0

    Le travail d'Oscar Castro me donne envie, moi aussi, de monter mes propres créations. Et je commence à écrire mes spectacles, et je fais du one-man show, je participe à des scènes ouvertes, là je rencontre tous les jeunes humoristes de l'époque qui n'ont pas encore percé à ce moment-là, comme Ken Kojandi, Christine Berrou, Kev Adams. Puis un jour, je participe à une émission qui s'appelle « Vous avez du talent » , et je suis sélectionnée pour faire l'Olympia, la première partie d'Hélène, d'Hélène et les garçons. Deux soirs de suite. C'est une expérience incroyable. Et je continue, je continue mes scènes ouvertes, je continue l'écriture de mes sketchs. Je rencontre Didier Porte, Thierry Rocher. Et c'est en 2016 que je crée la Master Company.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que la Master Company ? Moi, je sais très bien, mais est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ? Et aussi nous dire comment la Master Company te ressemble et en quoi elle reflète aussi tes convictions ?

  • Speaker #0

    Alors, la Master Company, c'est mes cours de théâtre et d'impro pour adultes et enfants. Au départ, j'ai commencé avec trois élèves et là, j'en suis à 120 cette année. Voilà, donc je continue à développer. J'écris, je mets en scène et il m'arrive parfois de jouer aussi dans mes spectacles. Et voilà, je produis des spectacles. Je fais mon métier, je fais du théâtre.

  • Speaker #1

    En quoi la Master Company, elle a une petite signature chilienne différente des autres compagnies ?

  • Speaker #0

    À la Master Compagnie, moi j'essaie de créer des ponts entre les gens, j'essaie de créer du lien avec bienveillance, et je pense que c'est hyper important aujourd'hui dans l'époque dans laquelle on vit.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui t'es épanouie ? Est-ce qu'aujourd'hui t'es en accord et apaisée avec ton héritage familial ? Qui tu es toi, l'artiste ? Est-ce que t'as envie d'être et de transmettre ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, je fais ma passion, ma passion est mon métier. J'ai l'impression d'être alignée avec mes valeurs. J'ai trouvé ma place. Et donc, je me sens bien. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je me sens capable de parler de toute cette histoire et de me confier à toi.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui, Alexandra, tu es plus chilienne que française, plus française que chilienne ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est super compliqué comme question. Je me sens moins. Je suis franco-chilienne, chileno-française. Moitié française, moitié chilienne, 100% chilienne, 100% française. Voilà, je suis bien, je suis Alexandra et j'aime la France comme j'aime le Chili. Tous ces deux pays m'enrichissent et font ce que je suis aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un mot de la fin qui décrirait et qui décrirait bien aussi cette histoire ?

  • Speaker #0

    Le slogan de la Master Company, c'est « Mettez de l'art dans votre vie » . Moi, grâce à mes parents, j'ai baigné dans l'art. ça m'a apporté de la stabilité, ça m'a épanouie. C'est mon conseil, en fait. C'est ce que j'ai envie de dire à tout le monde. C'est pour trouver sa place. Soyez en accord avec vos valeurs.

  • Speaker #1

    Mais surtout, faites de l'art. Merci beaucoup, Alexandra. Je vous remercie d'avoir écouté ce podcast d'Histoire de famille. Si vous aussi, vous souhaitez participer ou si vous souhaitez en savoir plus sur le podcast et les prochains épisodes, rendez-vous sur Instagram en tapant histoire-de-famille.podcast. et si vous avez aimé ce podcast n'hésitez pas à le partager c'est la meilleure façon de m'aider et de m'encourager à bientôt

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Description

L’histoire d’Alexandra, c’est l’Histoire dans l’histoire. Celle d’une petite fille née au Chili, en pleine dictature de Pinochet, dans une famille engagée dans la résistance. Alexandra n’a que quelques mois lorsque sa vie bascule pour la première fois : une tentative d’assassinat visant ses parents les oblige à fuir précipitamment. Ce premier exil, décidé dans l’urgence, les mène vers un pays perçu comme un refuge, un symbole : la France, « pays des droits de l’Homme ». Mais pour une famille clandestine qui a vécu dans la crainte et l’ombre, la paix a un prix, et la liberté s’accompagne d’un déracinement profond.


De Santiago à Grenoble, ce récit raconte le contraste saisissant entre une enfance marquée par la menace, le silence, la tension du militantisme clandestin… et l’arrivée dans une ville tranquille, ouverte, où

Le sujet ? l'incroyable destin d'une famille de résistant sous la dictature de Pinochet.


Alexandra découvre une culture nouvelle, porteuse de promesses mais aussi de déchirures. Comment trouve-t-on sa place quand on porte malgré soi l’héritage d’un combat politique que l’on n’a pas choisi, mais qui a déterminé tous les choix de nos parents ? Comment concilier l’histoire réelle, celle écrite dans la peur, la résistance et la fuite… avec sa propre histoire, celle que l’on veut construire librement ?


Alexandra grandit entre deux pays, deux visions du monde, deux fidélités. D’un côté, les souvenirs murmurés d’un Chili meurtri, les valeurs fortes d’une famille résistante, la mémoire encore vibrante de ceux qui se sont battus. De l’autre, la légèreté d’un pays d’adoption où elle s’épanouit, où elle façonne son identité, portée par la culture française qui devient peu à peu sienne. Cette tension douce-amère traverse toute son adolescence : peut-on aimer pleinement son pays d’accueil sans trahir celui de ses parents ? Le combat des générations précédentes doit-il forcément devenir le nôtre ? Et comment se libère-t-on d’une histoire familiale trop lourde pour qu’un enfant puisse la porter ?


Dans ce récit de vie solaire et positif, Alexandra partage une autre vision de l’exil. La découverte d’une liberté nouvelle, presque déstabilisante. Les premiers pas vers une identité multiple, faite de racines profondes et d’ailes larges. Et, au centre, la question fondamentale : comment poursuivre ce combat familial, que faire de cet héritage ?


Son témoignage explore avec finesse les thèmes du déracinement, de la transmission, de l’héritage familial, mais aussi de la transformation positive. Alexandra raconte non pas une tragédie, mais une renaissance. Non pas une fuite, mais une reconstruction. Non pas une rupture, mais une double appartenance, riche et lumineuse.

Si vous aimez les récits personnels et puissants de Transfert (Slate), À suivreMamie dans les ortiesPassages ou Émotions de Louie Media, vous serez profondément touché par ce voyage entre mémoire, identité, famille et destin.

Une histoire incroyable, portée par une voix qui sait faire cohabiter la douleur d’hier et la lumière d’aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort là.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans l'Histoire de famille, un podcast qui met en lumière ce qu'on s'évertue souvent à cacher, les histoires de famille. ici racontées par ceux qui les ont vécues ou qui les vivent encore. Voici une nouvelle histoire de famille, authentique et passionnante. Bonne écoute ! Bonjour Alexandra ! Bonjour ! Je te remercie beaucoup de raconter aujourd'hui ton histoire qui a un sacré clin d'œil avec l'actualité et les 50 ans du coup d'État de Pinochet. On y reviendra un petit peu plus tard. Pour redonner le contexte sur notre rencontre, elle est liée au théâtre, et là aussi on y reviendra un tout petit peu plus tard. Quand je t'ai proposé de raconter ton histoire au travers d'un... premier épisode, le timing n'était pas forcément le bon. Et d'ailleurs, j'aimerais bien savoir qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis et pourquoi tu as accepté de partager ton histoire aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Cette année, comme tu l'as dit, c'est les 50 ans de la mort de Salvador Allende. C'est une date importante pour nous, les Chiliens. Au départ, c'est vrai que j'avais du mal à aborder cette histoire, l'histoire de mes parents, qui fait aussi partie de ma vie. À ce moment-là, vraiment, je ne me sentais pas d'en parler, je ne me sentais pas de me dévoiler là-dessus. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis, voilà, je suis là pour t'en parler, pour te raconter un petit peu ce qui s'est passé, pour revenir dessus parce que j'ai envie de libérer ma parole et j'ai besoin de regarder cette histoire en face.

  • Speaker #1

    Ton histoire est celle de ta famille, elle est intimement liée à l'histoire de ton pays d'origine, ton pays de naissance, et du coup, il est important de revenir sur le contexte historique. Donc, on est au Chili, en 1970, Salvador Allende est président. C'est le premier président socialiste qui accède au pouvoir de manière non violente et légale. C'est l'époque de nationalisation, d'une réforme agraire. Donc on est sur un idéal socialiste qui se met en place. Beaucoup d'espoir pour la population. Et survient le 11 septembre un coup d'État qui est fait par Pinochet, soutenu par les États-Unis. Pinochet qui prendra donc le pouvoir pendant plus de 17 ans. Son règne sera notamment connu pour une forte violence, des milliers de morts, de personnes torturées, mais aussi des exils, comme ce sera le cas pour ta famille. Ça, c'était pour le contexte historique. Quelle place a l'histoire de ton pays de naissance dans ton histoire de famille ?

  • Speaker #0

    Le Chili, ça a une place fondamentale. Je suis née là-bas, mes parents ont grandi là-bas, ils se sont construits en du moins les premières années de leur vie. J'ai toute ma famille, mes grands-parents, mes oncles, mes cousins qui habitent encore au Chili. Voilà, ça fait partie de ma culture, c'est mes racines.

  • Speaker #1

    Alors, si on revient à ton histoire de famille, à quelle date on est là ? À quelle date on commence ?

  • Speaker #0

    Alors, en 1976, mes parents se rencontrent. Donc, trois ans après le coup d'État. Ils sont très jeunes. Ma mère, en 1976, elle a 18 ans. Mon père, lui, a 22 ans. Et commence une histoire d'amour. Il faut savoir que mon père n'a pas donné tout de suite sa véritable identité à ma mère, parce qu'à ce moment-là, il avait des faux papiers et il portait un faux nom. Il faisait partie du mouvement de gauche révolutionnaire, le MIR, et c'est un parti qui a été interdit sous Pinochet, donc en 1973. C'est un parti d'extrême-gauche qui a été fondé par Miguel Henriquez, un proche de Salvador Allende. Et donc mon père fait partie de ce mouvement-là.

  • Speaker #1

    Donc c'est pour protéger son identité et même sa vie, en fait, qu'il vit sous un faux nom.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que mon père, en 1973, au moment du coup d'État, lui, entre en résistance. Et le parti interdit devient un parti clandestin. Donc mon père commence une vie dans la clandestinité.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux annoncer comment il rencontre ta maman ?

  • Speaker #0

    Oui. Il se rencontre à un arrêt de bus, le jour d'une fête à Santiago. C'était au printemps. Ma mère attend le bus et mon père est là. Et ils commencent à discuter ensemble et mon père lui propose de la raccompagner chez elle.

  • Speaker #1

    D'accord, trop belle histoire. Donc là, leur histoire continue. Comment ta maman, elle, vit cette période ? Est-ce qu'elle s'engage ? Et si oui, comment ?

  • Speaker #0

    Quand a eu lieu le coup d'État, ma mère l'a très mal vécu. Comme beaucoup de Chiliens, ils l'ont vécu comme une injustice. Et donc, ma mère soutient officieusement la résistance. On n'en parle pas dans ma famille du côté maternel. Ils ne sont pas forcément politisés, mais ma mère, elle, a des convictions.

  • Speaker #1

    C'est comme ça qu'elle soutient ton papa, en fait. En fait, elle le soutient sans s'engager autant que lui, au point d'être monde imparti.

  • Speaker #0

    En fait, au départ, elle ne sait pas que mon père est résistant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Elle n'est pas au courant. C'est par la suite que mon père, lui, annonce qu'il fait partie de la résistance. Et à ce moment-là, ma mère, elle, elle l'appuie à

  • Speaker #1

    100%. Et leur famille, dans tout ça, est-ce qu'ils sont au courant de leurs actions ? Est-ce qu'ils sont au courant des risques qu'ils prennent ?

  • Speaker #0

    Au départ, non, bien sûr. Ils cachent un petit peu leur activité. Par la suite, ils sont un petit peu obligés d'avouer les activités de mon père parce que mon grand-père n'a pas envie de laisser partir sa fille avec mon père sans qu'elle soit mariée.

  • Speaker #1

    Donc là, l'honneur l'emporte sur presque l'idéologie, le risque. Donc là, je comprends que la prochaine étape, c'est le mariage.

  • Speaker #0

    Voilà. Il est important pour mon grand-père que mes parents soient mariés. C'est comme ça qu'ils décident ensemble d'organiser une fausse fête de mariage. où ils invitent tous les voisins pour pouvoir montrer qu'ils sont mariés.

  • Speaker #1

    Donc en fait, ils feignent la cérémonie en mettant l'accent sur la fête qui devrait la succéder.

  • Speaker #0

    En fait, mes parents ne peuvent pas se marier officiellement parce que mon père est recherché par la police. Donc ils ne peuvent pas se rendre à la mairie. Ils ne peuvent pas organiser une cérémonie officielle. Le seul moyen qu'ils ont pour partir et vivre ensemble, c'est d'organiser une fausse fête de mariage pour montrer aux voisins qui se sont Unis, officiellement.

  • Speaker #1

    S'il ne peut pas être sous son vrai nom, s'il ne peut pas entrer dans un bâtiment public sous peine d'être dénoncé, qui est présent à ce mariage, du coup ?

  • Speaker #0

    On invite la famille, du côté de ma mère, on invite les voisins, et mon père demande à deux amis à lui, qui font partie du MIR, de se faire passer pour ses frères et témoins de mariage.

  • Speaker #1

    Donc jusqu'au bout, on est dans la clandestinité et dans l'apparence.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Après ce mariage, donc maintenant que l'honneur est sauf, en quoi consiste leur vie ?

  • Speaker #0

    Une fois qu'ils s'installent ensemble, mon père, lui, continue ses activités, soutenu par ma mère. Née ma sœur en 1978. Et mon père, qui ne peut pas se rendre à l'hôpital parce que l'hôpital est cerné par les militaires, ma mère accouche toute seule. Et un jour, en fait, alors qu'elle est encore à l'hôpital, mon père s'y rend et se met sous sa fenêtre. Et ma mère lui présente ma sœur par la fenêtre. C'est la première fois qu'il voit sa fille. Moi, je nais en 1982. À cette époque, il y avait une solution pour que les résistants puissent continuer la lutte. C'était d'envoyer les enfants à Cuba. C'est une communauté à Cuba organisée par des exilés chiliens et qui accueille des enfants de résistants. Et donc, à ce moment-là, mes parents se posent la question de nous envoyer avec ma sœur. Et au final, ils ne le font pas et je leur en remercie. Ils nous gardent avec eux malgré le danger. Nous, on reste près d'eux.

  • Speaker #1

    Maintenant qu'ils sont parents, qu'est-ce qui change dans leur quotidien ? Est-ce qu'ils poursuivent leurs actions et leurs engagements ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents, ils sont toujours aussi engagés. Ils ont toujours cette soif de liberté. Mon père, lui, continue ses activités au sein du MIR et il a de plus en plus de responsabilités. Il faut savoir aussi, je pense que c'est important de le dire, qu'il y a à ce moment-là, tous les jours, Il y a des gens qui disparaissent dans les prisons, des gens qui sont torturés, des gens qu'on fait disparaître en les jetant depuis des hélicoptères dans l'océan Pacifique.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a une montée de la tension et du danger avec la montée en grade de ton père dans le parti ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, les taux se resserrent de plus en plus. On doit déménager régulièrement. Un jour, mes parents cherchent une maison. et trouve une maison dans un quartier. Le critère pour pouvoir s'installer dans la maison, c'est qu'il y ait un jardin derrière pour pouvoir partir et s'enfuir si la police arrive. Et donc, avec ma sœur, mes parents nous ont fait faire des tests pour voir s'ils pouvaient nous passer par-dessus la barrière et pouvoir atterrir chez les voisins en cas d'arrivée de la police.

  • Speaker #1

    Alors, tu m'as parlé du destin des deux témoins du mariage de tes parents. Je crois que c'est un peu un tournant dans leur histoire au Chili. à tes parents en tout cas. Oui.

  • Speaker #0

    En 1983, Alejandro Salgado, qui est l'un des témoins de mariage de mon père, du faux mariage, est assassiné devant chez lui par la police. C'est un cas qui est connu sous le nom de Janequeo. Alejandro, il avait de grosses responsabilités au sein du MIR. Il était recherché et un jour, il a été pris en filature par la police et arrivé devant chez lui. Alors qu'il n'était pas du tout armé, ils ont tiré sur lui et ils ont tiré sur la façade. Et c'est comme ça aussi qu'une personne qui se trouvait à l'intérieur de sa maison est morte. Ensuite, ils ont fait une mise en scène en plaçant à l'intérieur de chez lui des armes, des cartouches, tout un arsenal pour pouvoir le montrer aux informations et pour pouvoir retourner l'opinion publique.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que cet événement va changer ? Pour tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors à partir de là, en fait, le MIR décide que mon père doit partir en Argentine parce que c'est trop dangereux de rester au Chili. Il y a de plus en plus de dénonciations, il y a de plus en plus d'arrestations. Si quelqu'un du parti tombe, ça veut dire qu'il est susceptible d'entraîner avec lui toute une partie du mouvement. Donc on doit partir.

  • Speaker #1

    Alors qui part et pourquoi l'Argentine ?

  • Speaker #0

    Mon père part en premier parce qu'en Argentine, on a des points de chute. On a des gens qui peuvent nous accueillir. Ma mère, ma sœur et moi, on le rejoint plus tard, une fois qu'on a fait nos papiers.

  • Speaker #1

    À quoi ressemble votre vie en Argentine ? Est-ce que c'est toujours dans la clandestinité ?

  • Speaker #0

    Alors, on reste un an en Argentine. On essaie de se faire discret, on ne sort pas beaucoup. Mais mes parents, ils y fréquentent un lieu qu'on appelle une peña. Donc une peña, c'est une guinguette. Et ils y vont régulièrement. Là, ils rencontrent des amis. Des artistes, ils chantent, ça joue de la guitare. Nous, on y va avec ma sœur, on est présent avec eux. Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort. Là, il passe deux semaines ensuite à l'hôpital. Voilà, ça a été un événement assez violent et ça les a décidé à partir. plus loin et à accepter l'aide des Nations Unies. Les Nations Unies nous proposent à ce moment-là de nous accueillir dans trois pays. On a la possibilité d'aller soit en Australie, soit en Suède ou en France.

  • Speaker #1

    Comment tu expliques qu'il y a eu cette tentative de meurtre ? Est-ce qu'on vous a dénoncé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    Dans les années 70 et 80, les dictateurs des différents pays en Amérique latine mettent en place ce qu'on appelle le plan Condor. Donc le plan Condor, ça consiste à dénoncer tous les résistants qui quittent leur pays pour un autre. Et c'est comme ça qu'ils retrouvent la trace des résistants.

  • Speaker #1

    Donc là, vous choisissez la France. Pourquoi ce pays ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est le pays des droits de l'homme.

  • Speaker #1

    À quelle date vous arrivez en France et comment se passe votre arrivée, vos premiers pas dans ce pays ?

  • Speaker #0

    On arrive en France en 1985 et on s'installe à Grenoble. On est accueillis par des associations et des militants des droits de l'homme et on est très très bien accueillis.

  • Speaker #1

    Donc là on est sous Mitterrand, la France à gauche se rapproche un petit peu de l'idéal socialiste que tes parents souhaitaient revoir après le coup d'État. Comment se passe votre vie à ce moment-là en France ?

  • Speaker #0

    Ma mère trouve un travail en tant qu'agent de service hospitalier dans une clinique et mon père est électricien à EDF. Ma mère passe son permis de conduire et puis elle décide de reprendre ses études et elle devient aide-soignante, toujours dans la même clinique. Moi et ma sœur, on va à l'école, moi à la maternelle et puis naît mon frère aussi, mon petit frère. Et la vie reprend un peu son cours tout en espérant retourner le plus vite possible au Chili.

  • Speaker #1

    Tes parents, à ce moment-là, ils n'ont toujours pas renoncé à revenir dans leur pays ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents, une fois qu'on arrive en France, eux, ils pensent qu'on va repartir aussitôt, en fait. Et ma mère range systématiquement les affaires dans la valise pour être prêts au départ. Mais les choses, elles ne se passent pas comme ça. Et puis à un moment, les affaires, il faut les sortir de la valise.

  • Speaker #1

    Comment la décision de rester, elle est prise ? Est-ce que c'est un renoncement au Chili ?

  • Speaker #0

    C'est tout simplement la vie qui reprend son cours, en fait. Il faut admettre qu'en France, la vie est beaucoup plus douce.

  • Speaker #1

    Donc maintenant que vous êtes décidée et enracinée un petit peu plus en France, comment se passe le quotidien ? Comment en fait vous, vous le vivez ? Est-ce que c'est un déracinement ? Est-ce que la lutte a totalement cessé ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est un déracinement total. C'est même beaucoup de souffrance pour la famille, mes parents plus particulièrement. Avec mon frère, ma soeur, on les voit dans ce désarroi. Ils sont loin de leur famille, loin de leur terre. Et on parle souvent du Chili à la maison.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il continue de trouver ou est-ce qu'il trouve une forme d'engagement pour le Chili en restant en France maintenant que les premières années d'adaptation sont passées ?

  • Speaker #0

    Mon père a toujours été passionné de photos et d'images en général et lui, il fait une formation au centre audiovisuel de la ville de Grenoble et il devient réalisateur. Il réalise plusieurs documentaires, dont un qui s'appelle Prisonnier Ross et qui parle des prisonniers au Chili.

  • Speaker #1

    Et ta maman ?

  • Speaker #0

    Quand on vivait encore au Chili, ma mère a gagné une guitare à la tombola. C'était une tombola qui avait été organisée par le quartier pour soutenir une famille qui avait perdu ses enfants suite à un assaut de la police. Et cette guitare, elle l'a suivie jusqu'en France. Et aujourd'hui, elle continue à jouer. Elle joue dans des bibliothèques pour des enfants. Elle leur chante des comptines en espagnol.

  • Speaker #1

    En fait, ils ont fait de l'art la façon de continuer à s'engager et à résister.

  • Speaker #0

    Voilà. L'appareil photo ou la caméra de mon père est devenue son arme. Ils sont toujours aussi impliqués, toujours aussi militants.

  • Speaker #1

    Et alors, je crois que l'art va aussi avoir une part importante dans ta vie, puisque si maintenant je lève le voile sur le pourquoi du comment on est là aujourd'hui, c'est que tu es ma prof de théâtre. et donc tu as fait aussi d'un art le centre de ta vie.

  • Speaker #0

    Voilà, j'ai commencé le théâtre à l'âge de 8 ans. Mes parents m'ont inscrite dans une troupe de mon quartier et avec cette troupe, je suis partie en tournée au Maroc, en Allemagne. J'ai eu la chance de jouer sur des grandes scènes de la région grenobloise.

  • Speaker #1

    Comment les valeurs que tes parents t'ont transmises se sont reflétées dans cet art et à quel point tu as été influencée dans ces décisions et dans ce parcours ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si à l'époque, moi, à 8 ans, je vois les choses comme ça, mais en tout cas, le théâtre, pour moi, c'est une bouffée d'oxygène. Plus tard, quand j'intègre un atelier ado, je rencontre Patrick Seyer, qui m'a initiée à des auteurs comme Bertolt Brecht, Samuel Beckett, Ionesco, Giono, beaucoup d'auteurs marqués par la guerre. Et chez moi, ça fait sens.

  • Speaker #1

    Et du coup, quelle décision tu prends pour concrétiser ce coup de cœur ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je sais très tôt que je veux devenir comédienne et je me renseigne un petit peu sur toutes les écoles qui existent en France. Je m'intéresse aux cours Florent. En 2002, je décide de m'installer à Paris et de suivre les cours Florent. Voilà, alors là, c'est un autre monde qui s'ouvre à moi, c'est Paris. C'est des rencontres, un nouveau mode de vie.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette vie parisienne sur ta passion pour le théâtre engagé ?

  • Speaker #0

    Alors moi, à 20 ans, bien sûr, je suis attirée aussi par tout cet univers, le showbiz. Comme tous les élèves du cours Florent, je commence à passer des castings, je fais de la figuration, voilà. Mais il y a une espèce de dissonance qui se crée chez moi entre le théâtre que j'ai connu à Grenoble, ce théâtre engagé, et ce monde de strass et paillettes et de show business que je découvre à Paris. Et en 2005, grâce à Carmen Castillo, qui est la compagne de Miguel Enriquez, le fondateur du MIR qui est mort en 1974, assassiné par la police, grâce à elle, qui est exilée en France, j'intègre la troupe du Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine, dirigée par Oscar Castro, lui-même exilé politique chilien.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette rencontre et ce passage par cette école, ce théâtre, dans ta vie ?

  • Speaker #0

    Le travail d'Oscar Castro me donne envie, moi aussi, de monter mes propres créations. Et je commence à écrire mes spectacles, et je fais du one-man show, je participe à des scènes ouvertes, là je rencontre tous les jeunes humoristes de l'époque qui n'ont pas encore percé à ce moment-là, comme Ken Kojandi, Christine Berrou, Kev Adams. Puis un jour, je participe à une émission qui s'appelle « Vous avez du talent » , et je suis sélectionnée pour faire l'Olympia, la première partie d'Hélène, d'Hélène et les garçons. Deux soirs de suite. C'est une expérience incroyable. Et je continue, je continue mes scènes ouvertes, je continue l'écriture de mes sketchs. Je rencontre Didier Porte, Thierry Rocher. Et c'est en 2016 que je crée la Master Company.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que la Master Company ? Moi, je sais très bien, mais est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ? Et aussi nous dire comment la Master Company te ressemble et en quoi elle reflète aussi tes convictions ?

  • Speaker #0

    Alors, la Master Company, c'est mes cours de théâtre et d'impro pour adultes et enfants. Au départ, j'ai commencé avec trois élèves et là, j'en suis à 120 cette année. Voilà, donc je continue à développer. J'écris, je mets en scène et il m'arrive parfois de jouer aussi dans mes spectacles. Et voilà, je produis des spectacles. Je fais mon métier, je fais du théâtre.

  • Speaker #1

    En quoi la Master Company, elle a une petite signature chilienne différente des autres compagnies ?

  • Speaker #0

    À la Master Compagnie, moi j'essaie de créer des ponts entre les gens, j'essaie de créer du lien avec bienveillance, et je pense que c'est hyper important aujourd'hui dans l'époque dans laquelle on vit.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui t'es épanouie ? Est-ce qu'aujourd'hui t'es en accord et apaisée avec ton héritage familial ? Qui tu es toi, l'artiste ? Est-ce que t'as envie d'être et de transmettre ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, je fais ma passion, ma passion est mon métier. J'ai l'impression d'être alignée avec mes valeurs. J'ai trouvé ma place. Et donc, je me sens bien. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je me sens capable de parler de toute cette histoire et de me confier à toi.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui, Alexandra, tu es plus chilienne que française, plus française que chilienne ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est super compliqué comme question. Je me sens moins. Je suis franco-chilienne, chileno-française. Moitié française, moitié chilienne, 100% chilienne, 100% française. Voilà, je suis bien, je suis Alexandra et j'aime la France comme j'aime le Chili. Tous ces deux pays m'enrichissent et font ce que je suis aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un mot de la fin qui décrirait et qui décrirait bien aussi cette histoire ?

  • Speaker #0

    Le slogan de la Master Company, c'est « Mettez de l'art dans votre vie » . Moi, grâce à mes parents, j'ai baigné dans l'art. ça m'a apporté de la stabilité, ça m'a épanouie. C'est mon conseil, en fait. C'est ce que j'ai envie de dire à tout le monde. C'est pour trouver sa place. Soyez en accord avec vos valeurs.

  • Speaker #1

    Mais surtout, faites de l'art. Merci beaucoup, Alexandra. Je vous remercie d'avoir écouté ce podcast d'Histoire de famille. Si vous aussi, vous souhaitez participer ou si vous souhaitez en savoir plus sur le podcast et les prochains épisodes, rendez-vous sur Instagram en tapant histoire-de-famille.podcast. et si vous avez aimé ce podcast n'hésitez pas à le partager c'est la meilleure façon de m'aider et de m'encourager à bientôt

Description

L’histoire d’Alexandra, c’est l’Histoire dans l’histoire. Celle d’une petite fille née au Chili, en pleine dictature de Pinochet, dans une famille engagée dans la résistance. Alexandra n’a que quelques mois lorsque sa vie bascule pour la première fois : une tentative d’assassinat visant ses parents les oblige à fuir précipitamment. Ce premier exil, décidé dans l’urgence, les mène vers un pays perçu comme un refuge, un symbole : la France, « pays des droits de l’Homme ». Mais pour une famille clandestine qui a vécu dans la crainte et l’ombre, la paix a un prix, et la liberté s’accompagne d’un déracinement profond.


De Santiago à Grenoble, ce récit raconte le contraste saisissant entre une enfance marquée par la menace, le silence, la tension du militantisme clandestin… et l’arrivée dans une ville tranquille, ouverte, où

Le sujet ? l'incroyable destin d'une famille de résistant sous la dictature de Pinochet.


Alexandra découvre une culture nouvelle, porteuse de promesses mais aussi de déchirures. Comment trouve-t-on sa place quand on porte malgré soi l’héritage d’un combat politique que l’on n’a pas choisi, mais qui a déterminé tous les choix de nos parents ? Comment concilier l’histoire réelle, celle écrite dans la peur, la résistance et la fuite… avec sa propre histoire, celle que l’on veut construire librement ?


Alexandra grandit entre deux pays, deux visions du monde, deux fidélités. D’un côté, les souvenirs murmurés d’un Chili meurtri, les valeurs fortes d’une famille résistante, la mémoire encore vibrante de ceux qui se sont battus. De l’autre, la légèreté d’un pays d’adoption où elle s’épanouit, où elle façonne son identité, portée par la culture française qui devient peu à peu sienne. Cette tension douce-amère traverse toute son adolescence : peut-on aimer pleinement son pays d’accueil sans trahir celui de ses parents ? Le combat des générations précédentes doit-il forcément devenir le nôtre ? Et comment se libère-t-on d’une histoire familiale trop lourde pour qu’un enfant puisse la porter ?


Dans ce récit de vie solaire et positif, Alexandra partage une autre vision de l’exil. La découverte d’une liberté nouvelle, presque déstabilisante. Les premiers pas vers une identité multiple, faite de racines profondes et d’ailes larges. Et, au centre, la question fondamentale : comment poursuivre ce combat familial, que faire de cet héritage ?


Son témoignage explore avec finesse les thèmes du déracinement, de la transmission, de l’héritage familial, mais aussi de la transformation positive. Alexandra raconte non pas une tragédie, mais une renaissance. Non pas une fuite, mais une reconstruction. Non pas une rupture, mais une double appartenance, riche et lumineuse.

Si vous aimez les récits personnels et puissants de Transfert (Slate), À suivreMamie dans les ortiesPassages ou Émotions de Louie Media, vous serez profondément touché par ce voyage entre mémoire, identité, famille et destin.

Une histoire incroyable, portée par une voix qui sait faire cohabiter la douleur d’hier et la lumière d’aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort là.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans l'Histoire de famille, un podcast qui met en lumière ce qu'on s'évertue souvent à cacher, les histoires de famille. ici racontées par ceux qui les ont vécues ou qui les vivent encore. Voici une nouvelle histoire de famille, authentique et passionnante. Bonne écoute ! Bonjour Alexandra ! Bonjour ! Je te remercie beaucoup de raconter aujourd'hui ton histoire qui a un sacré clin d'œil avec l'actualité et les 50 ans du coup d'État de Pinochet. On y reviendra un petit peu plus tard. Pour redonner le contexte sur notre rencontre, elle est liée au théâtre, et là aussi on y reviendra un tout petit peu plus tard. Quand je t'ai proposé de raconter ton histoire au travers d'un... premier épisode, le timing n'était pas forcément le bon. Et d'ailleurs, j'aimerais bien savoir qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis et pourquoi tu as accepté de partager ton histoire aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Cette année, comme tu l'as dit, c'est les 50 ans de la mort de Salvador Allende. C'est une date importante pour nous, les Chiliens. Au départ, c'est vrai que j'avais du mal à aborder cette histoire, l'histoire de mes parents, qui fait aussi partie de ma vie. À ce moment-là, vraiment, je ne me sentais pas d'en parler, je ne me sentais pas de me dévoiler là-dessus. Aujourd'hui, j'ai changé d'avis, voilà, je suis là pour t'en parler, pour te raconter un petit peu ce qui s'est passé, pour revenir dessus parce que j'ai envie de libérer ma parole et j'ai besoin de regarder cette histoire en face.

  • Speaker #1

    Ton histoire est celle de ta famille, elle est intimement liée à l'histoire de ton pays d'origine, ton pays de naissance, et du coup, il est important de revenir sur le contexte historique. Donc, on est au Chili, en 1970, Salvador Allende est président. C'est le premier président socialiste qui accède au pouvoir de manière non violente et légale. C'est l'époque de nationalisation, d'une réforme agraire. Donc on est sur un idéal socialiste qui se met en place. Beaucoup d'espoir pour la population. Et survient le 11 septembre un coup d'État qui est fait par Pinochet, soutenu par les États-Unis. Pinochet qui prendra donc le pouvoir pendant plus de 17 ans. Son règne sera notamment connu pour une forte violence, des milliers de morts, de personnes torturées, mais aussi des exils, comme ce sera le cas pour ta famille. Ça, c'était pour le contexte historique. Quelle place a l'histoire de ton pays de naissance dans ton histoire de famille ?

  • Speaker #0

    Le Chili, ça a une place fondamentale. Je suis née là-bas, mes parents ont grandi là-bas, ils se sont construits en du moins les premières années de leur vie. J'ai toute ma famille, mes grands-parents, mes oncles, mes cousins qui habitent encore au Chili. Voilà, ça fait partie de ma culture, c'est mes racines.

  • Speaker #1

    Alors, si on revient à ton histoire de famille, à quelle date on est là ? À quelle date on commence ?

  • Speaker #0

    Alors, en 1976, mes parents se rencontrent. Donc, trois ans après le coup d'État. Ils sont très jeunes. Ma mère, en 1976, elle a 18 ans. Mon père, lui, a 22 ans. Et commence une histoire d'amour. Il faut savoir que mon père n'a pas donné tout de suite sa véritable identité à ma mère, parce qu'à ce moment-là, il avait des faux papiers et il portait un faux nom. Il faisait partie du mouvement de gauche révolutionnaire, le MIR, et c'est un parti qui a été interdit sous Pinochet, donc en 1973. C'est un parti d'extrême-gauche qui a été fondé par Miguel Henriquez, un proche de Salvador Allende. Et donc mon père fait partie de ce mouvement-là.

  • Speaker #1

    Donc c'est pour protéger son identité et même sa vie, en fait, qu'il vit sous un faux nom.

  • Speaker #0

    Voilà. Parce que mon père, en 1973, au moment du coup d'État, lui, entre en résistance. Et le parti interdit devient un parti clandestin. Donc mon père commence une vie dans la clandestinité.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu veux annoncer comment il rencontre ta maman ?

  • Speaker #0

    Oui. Il se rencontre à un arrêt de bus, le jour d'une fête à Santiago. C'était au printemps. Ma mère attend le bus et mon père est là. Et ils commencent à discuter ensemble et mon père lui propose de la raccompagner chez elle.

  • Speaker #1

    D'accord, trop belle histoire. Donc là, leur histoire continue. Comment ta maman, elle, vit cette période ? Est-ce qu'elle s'engage ? Et si oui, comment ?

  • Speaker #0

    Quand a eu lieu le coup d'État, ma mère l'a très mal vécu. Comme beaucoup de Chiliens, ils l'ont vécu comme une injustice. Et donc, ma mère soutient officieusement la résistance. On n'en parle pas dans ma famille du côté maternel. Ils ne sont pas forcément politisés, mais ma mère, elle, a des convictions.

  • Speaker #1

    C'est comme ça qu'elle soutient ton papa, en fait. En fait, elle le soutient sans s'engager autant que lui, au point d'être monde imparti.

  • Speaker #0

    En fait, au départ, elle ne sait pas que mon père est résistant.

  • Speaker #1

    D'accord.

  • Speaker #0

    Elle n'est pas au courant. C'est par la suite que mon père, lui, annonce qu'il fait partie de la résistance. Et à ce moment-là, ma mère, elle, elle l'appuie à

  • Speaker #1

    100%. Et leur famille, dans tout ça, est-ce qu'ils sont au courant de leurs actions ? Est-ce qu'ils sont au courant des risques qu'ils prennent ?

  • Speaker #0

    Au départ, non, bien sûr. Ils cachent un petit peu leur activité. Par la suite, ils sont un petit peu obligés d'avouer les activités de mon père parce que mon grand-père n'a pas envie de laisser partir sa fille avec mon père sans qu'elle soit mariée.

  • Speaker #1

    Donc là, l'honneur l'emporte sur presque l'idéologie, le risque. Donc là, je comprends que la prochaine étape, c'est le mariage.

  • Speaker #0

    Voilà. Il est important pour mon grand-père que mes parents soient mariés. C'est comme ça qu'ils décident ensemble d'organiser une fausse fête de mariage. où ils invitent tous les voisins pour pouvoir montrer qu'ils sont mariés.

  • Speaker #1

    Donc en fait, ils feignent la cérémonie en mettant l'accent sur la fête qui devrait la succéder.

  • Speaker #0

    En fait, mes parents ne peuvent pas se marier officiellement parce que mon père est recherché par la police. Donc ils ne peuvent pas se rendre à la mairie. Ils ne peuvent pas organiser une cérémonie officielle. Le seul moyen qu'ils ont pour partir et vivre ensemble, c'est d'organiser une fausse fête de mariage pour montrer aux voisins qui se sont Unis, officiellement.

  • Speaker #1

    S'il ne peut pas être sous son vrai nom, s'il ne peut pas entrer dans un bâtiment public sous peine d'être dénoncé, qui est présent à ce mariage, du coup ?

  • Speaker #0

    On invite la famille, du côté de ma mère, on invite les voisins, et mon père demande à deux amis à lui, qui font partie du MIR, de se faire passer pour ses frères et témoins de mariage.

  • Speaker #1

    Donc jusqu'au bout, on est dans la clandestinité et dans l'apparence.

  • Speaker #0

    Voilà.

  • Speaker #1

    Après ce mariage, donc maintenant que l'honneur est sauf, en quoi consiste leur vie ?

  • Speaker #0

    Une fois qu'ils s'installent ensemble, mon père, lui, continue ses activités, soutenu par ma mère. Née ma sœur en 1978. Et mon père, qui ne peut pas se rendre à l'hôpital parce que l'hôpital est cerné par les militaires, ma mère accouche toute seule. Et un jour, en fait, alors qu'elle est encore à l'hôpital, mon père s'y rend et se met sous sa fenêtre. Et ma mère lui présente ma sœur par la fenêtre. C'est la première fois qu'il voit sa fille. Moi, je nais en 1982. À cette époque, il y avait une solution pour que les résistants puissent continuer la lutte. C'était d'envoyer les enfants à Cuba. C'est une communauté à Cuba organisée par des exilés chiliens et qui accueille des enfants de résistants. Et donc, à ce moment-là, mes parents se posent la question de nous envoyer avec ma sœur. Et au final, ils ne le font pas et je leur en remercie. Ils nous gardent avec eux malgré le danger. Nous, on reste près d'eux.

  • Speaker #1

    Maintenant qu'ils sont parents, qu'est-ce qui change dans leur quotidien ? Est-ce qu'ils poursuivent leurs actions et leurs engagements ?

  • Speaker #0

    Alors mes parents, ils sont toujours aussi engagés. Ils ont toujours cette soif de liberté. Mon père, lui, continue ses activités au sein du MIR et il a de plus en plus de responsabilités. Il faut savoir aussi, je pense que c'est important de le dire, qu'il y a à ce moment-là, tous les jours, Il y a des gens qui disparaissent dans les prisons, des gens qui sont torturés, des gens qu'on fait disparaître en les jetant depuis des hélicoptères dans l'océan Pacifique.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il y a une montée de la tension et du danger avec la montée en grade de ton père dans le parti ?

  • Speaker #0

    Oui, oui, les taux se resserrent de plus en plus. On doit déménager régulièrement. Un jour, mes parents cherchent une maison. et trouve une maison dans un quartier. Le critère pour pouvoir s'installer dans la maison, c'est qu'il y ait un jardin derrière pour pouvoir partir et s'enfuir si la police arrive. Et donc, avec ma sœur, mes parents nous ont fait faire des tests pour voir s'ils pouvaient nous passer par-dessus la barrière et pouvoir atterrir chez les voisins en cas d'arrivée de la police.

  • Speaker #1

    Alors, tu m'as parlé du destin des deux témoins du mariage de tes parents. Je crois que c'est un peu un tournant dans leur histoire au Chili. à tes parents en tout cas. Oui.

  • Speaker #0

    En 1983, Alejandro Salgado, qui est l'un des témoins de mariage de mon père, du faux mariage, est assassiné devant chez lui par la police. C'est un cas qui est connu sous le nom de Janequeo. Alejandro, il avait de grosses responsabilités au sein du MIR. Il était recherché et un jour, il a été pris en filature par la police et arrivé devant chez lui. Alors qu'il n'était pas du tout armé, ils ont tiré sur lui et ils ont tiré sur la façade. Et c'est comme ça aussi qu'une personne qui se trouvait à l'intérieur de sa maison est morte. Ensuite, ils ont fait une mise en scène en plaçant à l'intérieur de chez lui des armes, des cartouches, tout un arsenal pour pouvoir le montrer aux informations et pour pouvoir retourner l'opinion publique.

  • Speaker #1

    Qu'est-ce que cet événement va changer ? Pour tes parents ?

  • Speaker #0

    Alors à partir de là, en fait, le MIR décide que mon père doit partir en Argentine parce que c'est trop dangereux de rester au Chili. Il y a de plus en plus de dénonciations, il y a de plus en plus d'arrestations. Si quelqu'un du parti tombe, ça veut dire qu'il est susceptible d'entraîner avec lui toute une partie du mouvement. Donc on doit partir.

  • Speaker #1

    Alors qui part et pourquoi l'Argentine ?

  • Speaker #0

    Mon père part en premier parce qu'en Argentine, on a des points de chute. On a des gens qui peuvent nous accueillir. Ma mère, ma sœur et moi, on le rejoint plus tard, une fois qu'on a fait nos papiers.

  • Speaker #1

    À quoi ressemble votre vie en Argentine ? Est-ce que c'est toujours dans la clandestinité ?

  • Speaker #0

    Alors, on reste un an en Argentine. On essaie de se faire discret, on ne sort pas beaucoup. Mais mes parents, ils y fréquentent un lieu qu'on appelle une peña. Donc une peña, c'est une guinguette. Et ils y vont régulièrement. Là, ils rencontrent des amis. Des artistes, ils chantent, ça joue de la guitare. Nous, on y va avec ma sœur, on est présent avec eux. Et un soir, en sortant de cette guinguette, il y a une voiture qui est stationnée. Et une fois qu'on est sorti de la guinguette, cette voiture nous fonce dessus. Donc mon père est renversé, il est laissé pour mort. Là, il passe deux semaines ensuite à l'hôpital. Voilà, ça a été un événement assez violent et ça les a décidé à partir. plus loin et à accepter l'aide des Nations Unies. Les Nations Unies nous proposent à ce moment-là de nous accueillir dans trois pays. On a la possibilité d'aller soit en Australie, soit en Suède ou en France.

  • Speaker #1

    Comment tu expliques qu'il y a eu cette tentative de meurtre ? Est-ce qu'on vous a dénoncé ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

  • Speaker #0

    Dans les années 70 et 80, les dictateurs des différents pays en Amérique latine mettent en place ce qu'on appelle le plan Condor. Donc le plan Condor, ça consiste à dénoncer tous les résistants qui quittent leur pays pour un autre. Et c'est comme ça qu'ils retrouvent la trace des résistants.

  • Speaker #1

    Donc là, vous choisissez la France. Pourquoi ce pays ?

  • Speaker #0

    Parce que c'est le pays des droits de l'homme.

  • Speaker #1

    À quelle date vous arrivez en France et comment se passe votre arrivée, vos premiers pas dans ce pays ?

  • Speaker #0

    On arrive en France en 1985 et on s'installe à Grenoble. On est accueillis par des associations et des militants des droits de l'homme et on est très très bien accueillis.

  • Speaker #1

    Donc là on est sous Mitterrand, la France à gauche se rapproche un petit peu de l'idéal socialiste que tes parents souhaitaient revoir après le coup d'État. Comment se passe votre vie à ce moment-là en France ?

  • Speaker #0

    Ma mère trouve un travail en tant qu'agent de service hospitalier dans une clinique et mon père est électricien à EDF. Ma mère passe son permis de conduire et puis elle décide de reprendre ses études et elle devient aide-soignante, toujours dans la même clinique. Moi et ma sœur, on va à l'école, moi à la maternelle et puis naît mon frère aussi, mon petit frère. Et la vie reprend un peu son cours tout en espérant retourner le plus vite possible au Chili.

  • Speaker #1

    Tes parents, à ce moment-là, ils n'ont toujours pas renoncé à revenir dans leur pays ?

  • Speaker #0

    Oui, mes parents, une fois qu'on arrive en France, eux, ils pensent qu'on va repartir aussitôt, en fait. Et ma mère range systématiquement les affaires dans la valise pour être prêts au départ. Mais les choses, elles ne se passent pas comme ça. Et puis à un moment, les affaires, il faut les sortir de la valise.

  • Speaker #1

    Comment la décision de rester, elle est prise ? Est-ce que c'est un renoncement au Chili ?

  • Speaker #0

    C'est tout simplement la vie qui reprend son cours, en fait. Il faut admettre qu'en France, la vie est beaucoup plus douce.

  • Speaker #1

    Donc maintenant que vous êtes décidée et enracinée un petit peu plus en France, comment se passe le quotidien ? Comment en fait vous, vous le vivez ? Est-ce que c'est un déracinement ? Est-ce que la lutte a totalement cessé ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est un déracinement total. C'est même beaucoup de souffrance pour la famille, mes parents plus particulièrement. Avec mon frère, ma soeur, on les voit dans ce désarroi. Ils sont loin de leur famille, loin de leur terre. Et on parle souvent du Chili à la maison.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'il continue de trouver ou est-ce qu'il trouve une forme d'engagement pour le Chili en restant en France maintenant que les premières années d'adaptation sont passées ?

  • Speaker #0

    Mon père a toujours été passionné de photos et d'images en général et lui, il fait une formation au centre audiovisuel de la ville de Grenoble et il devient réalisateur. Il réalise plusieurs documentaires, dont un qui s'appelle Prisonnier Ross et qui parle des prisonniers au Chili.

  • Speaker #1

    Et ta maman ?

  • Speaker #0

    Quand on vivait encore au Chili, ma mère a gagné une guitare à la tombola. C'était une tombola qui avait été organisée par le quartier pour soutenir une famille qui avait perdu ses enfants suite à un assaut de la police. Et cette guitare, elle l'a suivie jusqu'en France. Et aujourd'hui, elle continue à jouer. Elle joue dans des bibliothèques pour des enfants. Elle leur chante des comptines en espagnol.

  • Speaker #1

    En fait, ils ont fait de l'art la façon de continuer à s'engager et à résister.

  • Speaker #0

    Voilà. L'appareil photo ou la caméra de mon père est devenue son arme. Ils sont toujours aussi impliqués, toujours aussi militants.

  • Speaker #1

    Et alors, je crois que l'art va aussi avoir une part importante dans ta vie, puisque si maintenant je lève le voile sur le pourquoi du comment on est là aujourd'hui, c'est que tu es ma prof de théâtre. et donc tu as fait aussi d'un art le centre de ta vie.

  • Speaker #0

    Voilà, j'ai commencé le théâtre à l'âge de 8 ans. Mes parents m'ont inscrite dans une troupe de mon quartier et avec cette troupe, je suis partie en tournée au Maroc, en Allemagne. J'ai eu la chance de jouer sur des grandes scènes de la région grenobloise.

  • Speaker #1

    Comment les valeurs que tes parents t'ont transmises se sont reflétées dans cet art et à quel point tu as été influencée dans ces décisions et dans ce parcours ?

  • Speaker #0

    Je ne sais pas si à l'époque, moi, à 8 ans, je vois les choses comme ça, mais en tout cas, le théâtre, pour moi, c'est une bouffée d'oxygène. Plus tard, quand j'intègre un atelier ado, je rencontre Patrick Seyer, qui m'a initiée à des auteurs comme Bertolt Brecht, Samuel Beckett, Ionesco, Giono, beaucoup d'auteurs marqués par la guerre. Et chez moi, ça fait sens.

  • Speaker #1

    Et du coup, quelle décision tu prends pour concrétiser ce coup de cœur ?

  • Speaker #0

    Alors moi, je sais très tôt que je veux devenir comédienne et je me renseigne un petit peu sur toutes les écoles qui existent en France. Je m'intéresse aux cours Florent. En 2002, je décide de m'installer à Paris et de suivre les cours Florent. Voilà, alors là, c'est un autre monde qui s'ouvre à moi, c'est Paris. C'est des rencontres, un nouveau mode de vie.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette vie parisienne sur ta passion pour le théâtre engagé ?

  • Speaker #0

    Alors moi, à 20 ans, bien sûr, je suis attirée aussi par tout cet univers, le showbiz. Comme tous les élèves du cours Florent, je commence à passer des castings, je fais de la figuration, voilà. Mais il y a une espèce de dissonance qui se crée chez moi entre le théâtre que j'ai connu à Grenoble, ce théâtre engagé, et ce monde de strass et paillettes et de show business que je découvre à Paris. Et en 2005, grâce à Carmen Castillo, qui est la compagne de Miguel Enriquez, le fondateur du MIR qui est mort en 1974, assassiné par la police, grâce à elle, qui est exilée en France, j'intègre la troupe du Théâtre Aleph à Ivry-sur-Seine, dirigée par Oscar Castro, lui-même exilé politique chilien.

  • Speaker #1

    Quel impact a cette rencontre et ce passage par cette école, ce théâtre, dans ta vie ?

  • Speaker #0

    Le travail d'Oscar Castro me donne envie, moi aussi, de monter mes propres créations. Et je commence à écrire mes spectacles, et je fais du one-man show, je participe à des scènes ouvertes, là je rencontre tous les jeunes humoristes de l'époque qui n'ont pas encore percé à ce moment-là, comme Ken Kojandi, Christine Berrou, Kev Adams. Puis un jour, je participe à une émission qui s'appelle « Vous avez du talent » , et je suis sélectionnée pour faire l'Olympia, la première partie d'Hélène, d'Hélène et les garçons. Deux soirs de suite. C'est une expérience incroyable. Et je continue, je continue mes scènes ouvertes, je continue l'écriture de mes sketchs. Je rencontre Didier Porte, Thierry Rocher. Et c'est en 2016 que je crée la Master Company.

  • Speaker #1

    Alors, qu'est-ce que la Master Company ? Moi, je sais très bien, mais est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus ? Et aussi nous dire comment la Master Company te ressemble et en quoi elle reflète aussi tes convictions ?

  • Speaker #0

    Alors, la Master Company, c'est mes cours de théâtre et d'impro pour adultes et enfants. Au départ, j'ai commencé avec trois élèves et là, j'en suis à 120 cette année. Voilà, donc je continue à développer. J'écris, je mets en scène et il m'arrive parfois de jouer aussi dans mes spectacles. Et voilà, je produis des spectacles. Je fais mon métier, je fais du théâtre.

  • Speaker #1

    En quoi la Master Company, elle a une petite signature chilienne différente des autres compagnies ?

  • Speaker #0

    À la Master Compagnie, moi j'essaie de créer des ponts entre les gens, j'essaie de créer du lien avec bienveillance, et je pense que c'est hyper important aujourd'hui dans l'époque dans laquelle on vit.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui t'es épanouie ? Est-ce qu'aujourd'hui t'es en accord et apaisée avec ton héritage familial ? Qui tu es toi, l'artiste ? Est-ce que t'as envie d'être et de transmettre ?

  • Speaker #0

    Aujourd'hui, je fais ma passion, ma passion est mon métier. J'ai l'impression d'être alignée avec mes valeurs. J'ai trouvé ma place. Et donc, je me sens bien. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je me sens capable de parler de toute cette histoire et de me confier à toi.

  • Speaker #1

    Est-ce qu'aujourd'hui, Alexandra, tu es plus chilienne que française, plus française que chilienne ?

  • Speaker #0

    Ça, c'est super compliqué comme question. Je me sens moins. Je suis franco-chilienne, chileno-française. Moitié française, moitié chilienne, 100% chilienne, 100% française. Voilà, je suis bien, je suis Alexandra et j'aime la France comme j'aime le Chili. Tous ces deux pays m'enrichissent et font ce que je suis aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as un mot de la fin qui décrirait et qui décrirait bien aussi cette histoire ?

  • Speaker #0

    Le slogan de la Master Company, c'est « Mettez de l'art dans votre vie » . Moi, grâce à mes parents, j'ai baigné dans l'art. ça m'a apporté de la stabilité, ça m'a épanouie. C'est mon conseil, en fait. C'est ce que j'ai envie de dire à tout le monde. C'est pour trouver sa place. Soyez en accord avec vos valeurs.

  • Speaker #1

    Mais surtout, faites de l'art. Merci beaucoup, Alexandra. Je vous remercie d'avoir écouté ce podcast d'Histoire de famille. Si vous aussi, vous souhaitez participer ou si vous souhaitez en savoir plus sur le podcast et les prochains épisodes, rendez-vous sur Instagram en tapant histoire-de-famille.podcast. et si vous avez aimé ce podcast n'hésitez pas à le partager c'est la meilleure façon de m'aider et de m'encourager à bientôt

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