Speaker #0La vie faite parfois. Il y a des parties importantes de notre histoire qui nous échappent. Et j'ai un giste et cette personne qui va compléter le puzzle. Tout commence à Angers, chez un notaire qui m'appelle pour me confier un nouveau dossier. Abdel vient de décéder, il a 91 ans. Et là, le notaire découvre qu'il n'a pas laissé de testament. Mon rôle est de retrouver les héritiers d'Abdel, héritiers qui ont vocation à recevoir son patrimoine. Il avait juste un compte bancaire avec 30 000 euros dessus. Le notaire m'explique que Abdel est un harki. qui a combattu aux côtés de l'armée française pendant la guerre d'Algérie. A la fin de la guerre, avec la victoire des indépendantistes, il est contraint de s'exiler pour aller en France, abandonnant derrière lui, les siens, une famille qu'il ne reverra jamais. Le notaire me remet l'acte de naissance d'Abdel, où je vois qu'Abdel a été marié en Algérie, mais on ne connaît aucun héritier. Alors un généalogiste, pour travailler, va utiliser les sources objectives, l'état civil essentiellement, mais... Il accorde aussi beaucoup d'importance au témoignage. J'échange avec les amis d'Abdel, qui me donnent à la fin de notre entrevue quelques photos. Il me donne également un peigne qu'il avait oublié au bistrot, un peigne qui était précieux et qu'il avait toujours sur lui. Et ils me disent qu'il faudra le donner à ses héritiers parce que c'est quelque chose qui était cher à Abdel. Après, rapidement, je me rends compte que les recherches géologiques ne vont pas se passer en France, elles vont se dérouler à l'étranger. Et là, de l'autre côté de la Méditerranée, on a le géré. J'ai déjà travaillé sur le secteur avec un collègue qui est sur place. et que je vais appeler, qui va m'orienter sur les premières recherches. Très rapidement, il me dit qu'il a retrouvé trace de l'épouse d'Abdel, une épouse qui est décédée en 1983. Il m'annonce aussi que cette femme n'a jamais refait sa vie. Elle est restée célibataire, mais elle a eu deux enfants avec Abdel. Une fille, Fatima, qui avait 4 ans lorsqu'il est parti, et un petit garçon, Amar. qui n'était pas encore né lorsqu'il est parti. Sa femme était enceinte de 5 mois. Je découvre, à l'occasion de la recherche, qu'il n'a jamais connu son fils. Il ne sait peut-être même pas qu'il a eu un fils. L'histoire est triste déjà. Mon rôle va être de retrouver ces deux enfants qui ont respectivement 60 ans et 64 ans. Où sont Fatima et Amara ? Mon correspondant fait le travail et il les retrouve à 200 km au sud d'Alger. On n'a pas d'adresse exacte, mais une commune. Il y a quand même une émotion pour moi, c'est toujours, il y a toujours une appréhension d'aller annoncer une telle nouvelle. On va à la mosquée du village, la mosquée de la commune, et on attend la sortie de la prière. On commence à parler avec les uns, les autres, on retrouve un cousin éloigné qui va nous donner d'autres renseignements, on dit sur une autre personne, qui va finir par nous donner l'adresse de Fatima. Je sais où Fatima habite, elle habite à 15 km dans la colline à côté du village. Nous voilà partis sur des chemins. On n'est pas sur la route, on est à la campagne. J'arrive dans la maison, une maison simple. Fatima est assise au milieu de la pièce. Deux de ses enfants sont là. Son mari vient s'asseoir à ses côtés. Et je commence à lui expliquer la raison de mon intervention. Et tout de suite, elle se pétrifie. Je vois qu'elle est figée. Je sens qu'il y a une énorme émotion quand je lui évoque son papa. Et elle va m'expliquer que toute sa vie... notamment lorsque sa maman était en vie avec son frère. Ils ont cherché à retrouver leur père. C'est un moment extrêmement émouvant. Je suis un peu happé par les sentiments de cette personne. Elle me raconte aussi sa vie de fille de Harki. Et notamment, elle me raconte sur la cour de récréation les insultes qu'elle essuyait de ses camarades. Sa vie a été compliquée parce que son papa n'était pas un papa comme les autres. Son papa avait trahi son pays et qu'il avait dû partir en France. Sa peur, c'est que sa famille soit malmenée par son retour en Algérie. Et qu'il l'a toujours fait par amour de sa famille. Et à un moment, je lui donne les photos que ses amis m'ont données au bistrot. Je lui donne le peigne, et là, elle s'effondre en pleurs. Moi, j'ai la gorge serrée, je suis dans l'émotion, c'est difficile. Je ressors de ce dossier un peu bouleversé, parce que je réalise que dans mon métier de généalogiste, on vient transmettre un patrimoine, mais on ne fait pas que ça. On va transmettre une histoire aussi. On va recoller aussi parfois les bouts d'une histoire, d'une trajectoire familiale qui a été compliquée. Et là, en l'espèce, c'est une trajectoire qui a été compliquée. explosé par cette grande histoire qui s'est invitée dans la petite histoire. Cette guerre d'Algérie qui a tout changé de cette famille, qui a séparé un père de ses enfants. Et c'est une histoire triste. Donc on la vit avec de l'émotion, cette histoire.