57 - le métier de teinturier cover
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Histoires d'Artisans

57 - le métier de teinturier

57 - le métier de teinturier

33min |03/10/2024
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Histoires d'Artisans

57 - le métier de teinturier

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33min |03/10/2024
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Description

Dans cet épisode nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l’univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. A travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l’industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l’observation nécessaires à chaque étape du processus de teinture. 


Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d’Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO en 2009. 

Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ces savoir-faire français renommés.


Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation, le design et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et beau et où le bien fait et les matériaux sont au centre des discussions.


Liens de l’épisode : 

Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

Site internet

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Nadia Petkovic

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Histoires d’Artisans

Site

Instagram

Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans le podcast d'Histoire d'artisan. Je suis Lisa Millet, présidente de l'association Eponyme. Histoire d'artisan valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Aujourd'hui, nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l'univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. À travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l'industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l'observation nécessaire à chaque étape du processus de teinture. Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d'Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2009. Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ce savoir-faire français renommé. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Bonjour Nadia et merci de m'accueillir dans ton atelier. Nadia, tu es teinturière et dans ce premier épisode du podcast, tu vas nous raconter ce qu'est le métier de teinturier. Donc, si j'ai bien compris, toi tu travailles avec des pigments de synthèse. Oui. Est-ce que tu peux nous parler un peu de l'apparition de ces pigments ?

  • Speaker #0

    Alors, les pigments synthèse, ils apparaissent fin du 19e siècle avec la révolution industrielle, c'est-à-dire qu'avant, la totalité des couleurs qui étaient produites... par l'humanité étaient faites à partir de pigments naturels. Donc, révolution industrielle oblige, on arrive à des nouveaux progrès techniques et technologiques, dont les pigments de synthèse. Et ça, c'est une vraie révolution pour l'industrie, de manière générale, de la couleur, que ce soit de la peinture, de la teinture, mais en tout cas, pour ce qui est du domaine textile, c'est une énorme révolution parce que les pratiques changent. C'est-à-dire que, un, on a quand même un nombre de possibilités de fabriquer des nuances. plus grand, on obtient un champ plus large de teintes. J'ose pas dire plus facilement parce qu'en vrai, c'est pas plus facile. C'est juste deux approches différentes que nous, l'humanité, on est arrivés à créer. C'est pas forcément plus facile de travailler en synthèse qu'en naturel. C'est juste deux approches différentes. C'est comme tricoter un pull à la main ou le tricoter avec une machine. Bien sûr que c'est plus facile avec une machine, mais on a d'autres problématiques en fait. On cherche pas la même chose. Alors après, dire que la teinture naturelle s'est faite à la main. En tout cas, il y a une notion de échelle industrielle qui arrive et à laquelle les pigments de synthèse répondent. Il y a aussi la possibilité d'avoir un pigment stable. Si on change, si on a un nouveau lot de pigments de synthèse, par exemple de jaune, il va être stable. Moi, je vais voir légèrement la différence, mais c'est vraiment très, très, très léger. Alors qu'entre deux lots d'une plante ou d'un minéral, la différence sera beaucoup plus importante. Donc du coup, il y a plus de confort. Je pense que ça coûte moins cher aussi à fabriquer et à produire. Et on peut du coup développer des process qui peuvent garantir une solidité. Par exemple, mes pigments actuels, parce qu'entre le début de l'arrivée des pigments fin 19e et aujourd'hui, évidemment, il y a une évolution énorme. Mais en tout cas, mes pigments sont classés selon des normes européennes. Alors je vais schématiser, synthétiser. peut-être simplifié, mais c'est des coefficients de, entre guillemets, délavage. Parce qu'aucun colorant ne tiendra dans le temps, le grand temps, sauf s'il est conservé dans des conditions extrêmes, comme par exemple les portraits du Fayoum, ou ils ont été dans le désert enfouis, il y avait la chaleur, pas d'humidité, etc. Mais c'est tellement rare. Donc du coup, ils ont des coefficients de délavage et c'est classé selon des normes européennes. Donc ça aussi, ça permet une garantie au niveau de savoir la solidité du pigment.

  • Speaker #2

    Ce que j'avais compris aussi, c'est qu'avec un pigment dit naturel, tu ne peux pas colorer tout type de fibre.

  • Speaker #0

    Alors moi, je ne suis pas teinturière naturelle. Maintenant, j'ai fait une formation d'indigo, je suis quelqu'un de curieux, je ne suis pas dans l'opposition et donc j'ai certaines connaissances. Et du coup, je ne veux pas dire de bêtises, je vais partir juste de ce que je connais. Mais c'est quoi la question ? Répète.

  • Speaker #2

    C'est qu'en fait, par exemple, le polyester, pour moi, tu ne pouvais pas le teinter avec la teinture naturelle.

  • Speaker #0

    C'est possible, en vrai. Je ne me suis jamais posé cette question-là, mais ça me paraît logique. Ça me paraît logique que les fibres fabriquées par l'industrie pétrochimique ne puissent pas être teintes avec des pigments naturels. Ça me paraît d'une logique implacable. Maintenant, j'en sais rien. Franchement, je ne me suis jamais posé la question. Elle est intéressante. Et du coup, vous aurez peut-être demandé ça à une teinturière ou un teinturier naturel qui te répondra.

  • Speaker #2

    J'avais fait un stage d'initiation, enfin vraiment une initiation à la teinture végétale. Et en fait, on avait le choix entre du coton, de la laine et de la soie. Parce qu'elle nous disait, chez vous, si vous voulez le reproduire, vous ne pourrez pas le faire sur n'importe quelle fibre.

  • Speaker #0

    D'accord, ok. Parce qu'en fait, tu as les fibres naturelles, tu as les fibres artificielles et les fibres synthétiques. Donc, est-ce que les artificielles qui sont faites à partir... d'éléments naturels, mais selon des process industriels. Est-ce que celle-là, elle marche en vrai ? Je ne sais pas, c'est une bonne question.

  • Speaker #2

    Du coup, s'il y a des gens qui ont la réponse et qui nous écoutent, je veux bien. Bon,

  • Speaker #0

    après, je ne sais pas, c'est une question. En tout cas, avec les pigments synthétiques, on peut teindre tout type de fibres. Après, il y a différentes catégories de pigments.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu peux nous parler justement de ces différentes catégories de pigments ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a des pigments pour le polyester que moi, je n'utilise pas. Et aussi des machines, des cuves qu'on utilise. pour teindre le polyester, ce qu'il faut monter à 130 degrés. Donc ça, moi, je ne les ai pas. Il n'y a que l'industrie, en fait, qui teint du polyester. Et moi, je fais de la teinture artisanale, donc je n'ai aucune demande de faire du polyester. Pour l'acétate aussi, c'est une catégorie différente du colorant. Je ne les connais pas toutes. Celles que j'utilise, j'utilise les colorants acides pour les fibres animales et des colorants réactifs pour les fibres végétales. Donc, il existe les colorants directs et les colorants réactifs, qui sont deux catégories... colorants différents. Moi, j'utilise des colorants réactifs pour toutes les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Est-ce que, pour vraiment repartir de la base, tu peux nous lister les fibres animales et les fibres végétales ?

  • Speaker #0

    Alors, les fibres animales sont toutes les fibres qui sont issues d'animaux. Alors, principalement de poils, donc nos cheveux, par exemple. Nos cheveux sont une fibre animale. Le crâne de cheval, la laine du mouton. En fait, dès que la fibre provient d'un animal, les trois quarts du temps, c'est un poil. Donc elle est catégorisée d'un fibre animal parce qu'elle a la même structure moléculaire. Elle est faite d'écailles, sauf la soie.

  • Speaker #2

    J'allais dire la soie,

  • Speaker #0

    c'est considéré comme une fibre animale. Mais qui se teint vraiment de manière différente. Et oui, parce que ce n'est pas un poil. C'est dur. Et en plus, il y a des molécules dans la soie qui sont hydrophobes. Ah, donc voilà,

  • Speaker #2

    ça n'aide pas.

  • Speaker #0

    C'est comme en teinture naturelle quand tu veux teindre. avec de l'indigo alors que l'indigotine, la molécule, n'est pas soluble dans l'eau.

  • Speaker #2

    Mais c'est vrai que tu dois tout le temps touiller ta cuve d'indigo.

  • Speaker #0

    Non, il faut trouver un moyen de la rendre soluble dans l'eau. C'est tout l'enjeu de l'indigo. C'est toute la difficulté. On peut transposer cette difficulté-là à la soie qui a du mal à mouiller, qui a du mal à prendre la couleur, la tenir. C'est une fibre qui est plus difficile à tendre que les autres.

  • Speaker #2

    Donc, on a animal avec soie de côté et ensuite...

  • Speaker #0

    Qui sont des poils. Poils de yaks, poils de chameaux, poils de cheval.

  • Speaker #2

    Angora.

  • Speaker #0

    Lapin. Chèvre. Moër.

  • Speaker #2

    Lama. Non, alpaga. Si,

  • Speaker #0

    lama, alpaga, vigogne, yak. Bref, chameaux. Voilà, tous les animaux qui ont des poils et une toison, en fait. Et tu as les fibres végétales qui sont issues du monde végétal, type coton, type... lin, chanvre, orties.

  • Speaker #2

    Ah oui, il y a des fibres d'orties ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a de la fibre d'orties, oui.

  • Speaker #2

    Je ne savais pas.

  • Speaker #0

    Donc voilà, tu as les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Donc on a parlé des différents types de pigments, des différentes fibres. Et donc toi, tu me disais que tu travailles avec tout type de fil ou de fibre.

  • Speaker #0

    Sophacétate.

  • Speaker #2

    Sophacétate. Et polyester. Parce que ça demande des pigments et des températures différentes. Et donc concrètement, un processus de production d'une fibre teintée. quel est-il ?

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur des fibres animales, oui, parce que, en tout cas, pour ce qui est de mon cas, je ne sais pas combien ça représente en pourcentage, je ne vais pas calculer, mais comme ça, globalement, je dirais que c'est 80-90% de ce que je produis comme teintes, elles sont sur une fibre animale, et globalement sur de la laine, donc de la laine de mouton. Même si en ce moment c'est la mode du mohair, mais je n'en fais pas tant que ça.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu saurais, je fais une aparté dans ma question, est-ce que tu saurais expliquer... pourquoi ça fait partie de 80% de tes prods ?

  • Speaker #0

    Pourquoi ? J'imagine que dans l'histoire des fibres, après, je ne sais pas, c'est peut-être parce qu'on est en Occident, j'étais en train de penser à l'Égypte, où c'était plus des fibres végétales parce qu'il y avait une production. En fait, tout dépend de l'endroit où tu vis, où tu habites, et puis ta clientèle, qu'est-ce qu'elle produit comme type de fibre. En fonction du climat, en fonction de l'endroit, ça dépend beaucoup. Mais je ne sais pas, je n'ai pas d'études sur la globalité des fibres qui sont produites. dans le monde entier. Mais la laine, c'est quand même une fibre qui a des particularités, des propriétés. Elle garde la chaleur, elle protège de l'humidité, elle est facile quand même à travailler, facile à teindre, facile à filer. Et en même temps, ça permet... Il y a aussi l'élevage derrière de moutons qui va avec le tout début de l'humanité au néolithique. Donc c'est un des fondements. de l'humanité que d'élever des animaux et de produire des éléments qui vont avec. Après, on peut dire aussi que de la même chose du monde végétal. Je ne pourrais pas te dire pourquoi.

  • Speaker #2

    Mais pour toi, c'est parce que les gens globalement te demandent de la laine ?

  • Speaker #0

    La demande est la laine. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je pense que c'est vraiment un matériau qui est très souple, très facile à travailler, très agréable, qui s'entretient très bien, qui a une bonne tenue. Mais bon, on peut dire la même chose du lin. Après, je ne sais pas, une question de mode. Les modes, ça bouge. Aujourd'hui, je... Le lin, le mohair reviennent vraiment en force.

  • Speaker #2

    Oui, c'est sûr que le lin, on en parle de plus en plus. D'ailleurs, la France est le premier producteur de lin.

  • Speaker #0

    Oui, parce que c'est toute l'approche écologique qui est en train de faire bouger nos productions. Parce que regarder comment chaque fibre est produite et penser à son impact sur l'environnement. Tout d'un coup, des fibres comme le lin, qui n'ont pas besoin d'irrigation, qui ont juste besoin de l'eau, qui tombent de la pluie pour le fabriquer, aujourd'hui, c'est des fibres qui vont monter en valeur et on va redonner de l'intérêt parce qu'en fait, on regarde, nous les humains, ce qu'on recherche. Ce n'est plus seulement un produit, mais son histoire, comment il est fabriqué et au regard de son impact écologique. Donc ça bouge, ça bouge. Le lin vient en profit du coton, même si j'imagine que le coton... C'est une fibre qui est énormément utilisée pour l'industrie du vêtement. Mais je pense que le lin est en train de grignoter tout doucement des parts de marché.

  • Speaker #2

    Donc j'en reviens à ma question de base, qui était, si on prend par exemple justement la production avec de la fibre animale, quel est dans les grandes lignes ton processus, comment on en vient à une pelote de laine teintée ?

  • Speaker #0

    Donc je pars de la laine, la plupart du temps couleur naturelle. On l'appelle écrue. Chaque laine a son écrue, sa teinte. Il y a des laines plus ou moins jaunes, plus ou moins grises, plus ou moins... Là, si tu regardes ici, ce ne sont que des laines naturelles.

  • Speaker #2

    Et sachant qu'il y en a des marrons.

  • Speaker #0

    La noire du velay, elle est marron très foncé, il y en a des grises, des plus écrues, plus beiges que d'autres. Donc, on va partir de l'écrue de la laine. Alors, la plupart du temps, on travaille avec des écrues qui sont assez claires en teinture. Et donc, on va plonger la fibre pour ouvrir ses écailles tout doucement. Parce qu'en fait la laine a des écailles et quand tu feutres la laine, tu lui fais faire un choc thermique. Et du coup les écailles s'ouvrent et elles ne se referment plus. C'est pour ça que la laine feutrée s'est éboriffée. Tu as ces petits écailles qui sont ouverts et qui ne sont plus fermés. En teinture, l'idée c'est d'ouvrir ces écailles et de faire pénétrer le colorant à l'intérieur au cœur de la fibre et de les laisser se refermer tout doucement. Donc en fait on va faire très attention au rythme d'ouverture de ces écailles. Donc on va y aller très très lentement pour ne pas casser la faculté naturelle qu'a la laine d'ouvrir son écaille et de le fermer. Donc on va faire une montée en température très très progressive. On va partir à peu près 30 degrés, on va plonger donc la laine écrue naturelle dans un bain d'eau chaude avec un sel de 30 degrés. Et on va augmenter tout doucement sa température. 30-40 degrés. Ensuite, on va le laisser environ un quart d'heure, 20 minutes pour que les écailles commencent à s'ouvrir tout doucement et que la fibre se prépare. Ensuite, on va faire le process industriel qui est en fait défini avec ce type de pigments synthétiques. On utilise normalement une recette. Donc on pèse pour chacun des coloris l'ensemble des colorants et on les met à un instant T du process. Normalement, cet instant T, il est là. Les écailles s'ouvrent, on commence à faire, soit on met la totalité du colorant, qui est le pigment dilué dans de l'eau chaude et concentrée. On fabrique un colorant à partir des pigments et on le met en une ou deux ou trois fois, tout dépend si le coloris est clair ou foncé. Et on fait chauffer tout doucement la laine. Donc du coup, le pigment commence à pénétrer tout doucement dans la laine jusqu'à environ 60 degrés. À 60 degrés. On acidifie, c'est-à-dire qu'on rajoute de l'acide acétique, du vinaigre, pour ouvrir encore davantage les écailles. Et ensuite, on fait monter jusqu'à 100 degrés. Et on laisse refroidir tout doucement jusqu'à ce que le bain s'épure. C'est-à-dire que la quasi-totalité du colorant qu'on a mis à l'intérieur du bain est migré dedans la fibre. Ça, c'est le process industriel. Moi, comme je travaille sans recette, je ne sais pas combien de colorant je vais mettre et quelle dose. Donc en fait je vais faire des adjonctions de colorants multiples. Je vais le faire petit à petit. Sauf que si je mets le colorant à il ne va pas se poser sur la fibre de manière unie. Donc par exemple je ne peux pas faire d'adjonction trop de colorant à partir de Certains colorants sont plus malléables que d'autres. Ou s'il y a trop d'acide, je ne peux plus non plus rajouter de colorant. Donc en fait, ça c'est le process de base, mais en fait je ne l'applique jamais. Parce que comme je n'ai pas de recette, je navigue un peu dans ces eaux-là pour arriver. En fait, je vais jouer sur le temps. C'est-à-dire, je vais mettre plus de temps. Par exemple, une teinte faite avec des pigments synthétiques et une recette, elle se fait en 3-4 heures. Moi, si je travaille bien, je vais mettre une journée. Du coup, par exemple, le fait de ne pas tout le temps monter à 100 degrés, je vais le compenser par le temps que je vais passer. Et je vais chauffer, puis refroidir, puis laisser réchauffer, puis refroidir. Voilà, en fait, disons que je vais composer. à partir de ce process-là et à partir des limites de ce que la matière peut supporter et des limites d'activité du colorant, en fait.

  • Speaker #2

    C'est une question que je n'ai jamais posée, mais je me demandais pour toi, quelle est la qualité principale d'un teinturier ?

  • Speaker #0

    Alors, ça dépend si ce teinturier est industriel et il fait des recettes ou si c'est un teinturier comme moi qui travaille à l'œil.

  • Speaker #2

    Oui, artisanal.

  • Speaker #0

    Tu peux être artisanal et avoir des recettes. Moi, je travaille à l'œil. Observer, savoir observer.

  • Speaker #2

    Bah oui, parce que j'allais dire, en plus, la réflexion que je me faisais, c'est que là, tu sortais des fils de la cuve. Un fil mouillé, c'est du tout la même teinture qu'un fil sec.

  • Speaker #0

    Non, ce n'est pas la même couleur.

  • Speaker #2

    Oui, donc en fait, je me dis, mais en fait, il faut l'œil de dire, alors là, il est mouillé. Quand il va sécher, il sera à peu près comme j'ai envie. Enfin, ça doit être hyper complexe.

  • Speaker #0

    Alors, ce n'est pas forcément comme j'ai envie, mais comme je travaille sur commande, je réponds à des commandes. Donc, comme le client le souhaite. Et oui, effectivement, une fibre mouillée et une fibre sèche reflètent la teinte. d'une manière complètement différente. Donc, soit je connais la fibre sur laquelle je travaille, auquel cas j'anticipe. À force de travailler, je sais à peu près comment ça va devenir. Mais dès que je m'approche vraiment de la teinte, je prends un écheveau, je le prélève, je l'essore et je le sèche et je vérifie.

  • Speaker #2

    Ah, tu peux, ouais.

  • Speaker #0

    Ah, c'est ce que je fais, oui.

  • Speaker #2

    Tu n'attends pas que ce soit complètement sec pour voir si tu as échoué ou réussi.

  • Speaker #0

    Je le sèche au ventilateur parce qu'au sèche-cheveux, la chaleur, ça modifie la teinte. Donc, je le sèche au ventilateur. Alors, il n'est pas... complètement, complètement, complètement, la fibre n'est pas complètement sèche parce que du coup je sèche, une fois que j'ai terminé la teinte la fibre sèche à l'air libre, donc en fonction du temps qu'il fait, ça prend plus ou moins longtemps, mais du coup la fibre est vraiment respectée, la couleur aussi, parce que c'est comme nous, tu laisses tes cheveux sécher à l'air libre naturel et tu les sèches avec des sèches cheveux, le résultat est complètement différent en fait. Donc du coup, ce petit mouvement de la teinte qu'elle va prendre entre la fibre séchée et mouillée, il est différent cet intervalle en fonction des fibres. Sur la laine, il n'est pas très énorme. Sur la soie ou sur le coton, c'est énorme. Tu trempes une fibre de coton, une fibre de soie mouillée, tu es tellement foncée. Donc quand c'est des fibres que je connais, j'arrive à peu près à anticiper, mais parfois je travaille sur des fibres que je ne connais pas puisque soit je fournis la fibre et la teinte, soit le client m'envoie sa fibre et je la teins. Donc par exemple... Il y a un plumassier qui m'envoie ses plumes. Moi, je ne sais pas comment elle régisse ses plumes. Ou bien, il y a une circassienne qui travaille son agré, c'est la corde. Donc, en gros, c'est un boudin de coton sur lequel elle monte et elle fait des figures. Elle voulait un tie-and-dye pour son spectacle. Moi, je n'avais jamais teint de boudin de coton. Donc, je ne sais pas forcément comment ça va réagir. Donc, la qualité première, c'est observer. Une fois, j'avais fait une émission de radio qui était organisée par... une association je crois, qui s'appelle Chimie et Terroir, qui justement fait confronter des artisans qui travaillent des processus chimiques et des chimistes. Et j'avais super peur parce que je me suis dit, mais moi je ne connais rien du tout en fait. Comme je travaille de manière empirique, je n'ai aucune connaissance sur les... Contrairement à un teinturier industriel qui lui a fait des études, lui il sait quelles réactions se font entre tel type d'atomes ou de molécules. Moi je les connais de manière empirique mais je suis incapable de les nommer. Donc du coup j'étais vraiment hyper mal à l'aise de me retrouver avec des chimistes. Je me suis dit, elle a honte, moi je ne connais rien du tout. Et en fait ils m'ont dit mais non mais non, c'est des chimistes punk. J'ai dit ok d'accord, je vais venir. Et ils savaient comment me parler. Du coup j'y suis allée et ça a été génial comme échange parce qu'en fait ils m'ont dit que la manière dont je travaillais c'était une technique extrêmement scientifique de recherche. Ils m'ont dit qu'en fait, ça s'apparentait à la recherche scientifique. C'est-à-dire qu'on est sans arrêt dans l'observation des processus chimiques et des réactions chimiques qui sont en train de se produire. On est sans arrêt en train de les regarder et on voit le résultat, on jauge en fonction de ce qu'on fait. C'est-à-dire que comme je fais une adjonction de colorant, je fais à chaque fois une hypothèse qui peut être fausse. Je peux me tromper. Quoi que ce soit, fausse mon jugement. Presque, je vais te dire que la matière principale avec laquelle je travaille, c'est mon jugé, c'est ma propre capacité d'assumer mes erreurs. C'est peut-être ce qu'il y a de plus dur à faire. Et en fait, finalement, c'est une approche scientifique empirique de recherche. Je pense que ce qui est le plus important, c'est savoir observer ce qui est en train de se passer. Et le mémoriser, parce qu'on n'écrit rien.

  • Speaker #2

    J'ai tellement de questions sur cette anecdote.

  • Speaker #0

    J'ai plein de pensées à te répondre, parce que j'y pense toute la journée à ce que je fais.

  • Speaker #2

    En fait, en gros, la mission de l'association Histoire d'artisans, c'est de valoriser l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche. Pourquoi ? Parce qu'en fait, je dirais que ça fait des centaines d'années qu'on ne parle de l'artisan qu'à travers sa main, et on ne parle pas du tout de son cerveau. Or, le cerveau d'un artisan, il est fait d'une expertise en physique et en chimie. Il sait exactement ce que son matériau va faire, les réactions chimiques et physiques de son matériau, avec de la chaleur, avec du froid,

  • Speaker #0

    avec de l'eau. Ce que tu es en train de me dire, c'est exactement la définition de mon métier de teinturière coloriste à l'œil par rapport à un teinturier ou une teinturière coloriste industrielle. Lui, son but, c'est chercher quel est le bon dosage, quelle est la bonne recette. Et donc lui, il ne sait pas forcément comment le jaune réagit par rapport au rouge et par rapport au bleu, parce qu'on travaille avec les trois couleurs primaires simplement, jaune, rouge, bleu. Donc du coup, il y a plusieurs jaunes, plusieurs rouges, plusieurs bleus, mais la décomposition, c'est combien de jaunes, combien de rouges, combien de bleus. Et en fait, lui, il ne sait pas forcément, lui ou elle, ils ne savent pas forcément que le rouge, il va monter dans un second temps et que c'est d'abord le jaune qui monte. Et que... Le bleu, peut-être que lui, c'est lui qui monte en premier et le rouge, c'est avec l'acide, par exemple. C'est-à-dire que ça, ce sont des micros. Et les industriels, ils ne le savent pas non plus. Ce sont des micro-mouvements qu'en fait, toute la journée, j'observe et que je note et le savoir-faire et qu'on m'a transmis. Mais finalement, ce qu'on m'a transmis, effectivement, c'est un savoir-faire d'observation, mais c'est aussi la capacité de continuer à observer des nouvelles approches et des nouveaux matériaux et des nouveaux process. C'est-à-dire que la différence entre un teinturier industriel et moi, même si en industriel, bien sûr qu'on peut être challengé, mais on ne sera pas challengé de la même manière. C'est-à-dire qu'en fait, je travaille toute la journée avec quelque chose que je ne maîtrise pas. Et les gens me disent Vous maîtrisez votre savoir-faire Moi, je ne maîtrise rien du tout, en fait. Mais non, je ne maîtrise rien du tout. Et plus tu essayes de maîtriser et plus tu échappes. En fait, moi, j'observe ces fonctionnements, j'observe ces réactions. et je les utilise parfois à mes dépens. Et d'ailleurs, c'est comme ça que je me suis mise à créer des teintures irrégulières. C'est à partir d'erreurs. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est vachement intéressant. On est tout le temps en train de chercher un unisson de la couleur. Il y a beaucoup de vocabulaire qui ressemble à la musique. On fait des gammes colorées. On a un unisson de la couleur. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est quelque chose qui peut être le fait que la couleur soit vivante, qu'elle ne soit pas sur... tout le long de l'écheveau, sur tout le long du fil ou de la fibre de la même teinte. Ça peut créer des choses différentes. Mais à la base, c'est à partir d'erreurs.

  • Speaker #2

    C'est de l'impro, c'est du jazz.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, oui, c'est oui. Et pédagogiquement, quand on transpose le travail de teinturier au travail du musicien, et bien là, tout d'un coup, c'est plus facile pour les gens de comprendre. C'est-à-dire que soit on a une partition, on a une recette, soit on n'en a pas et on le fait au feeling, enfin au feeling, non. On s'appuie sur d'autres, je ne m'appuie pas sur mon feeling, mais si, je suis obligée de m'appuyer sur ce canal-là, mais le feeling, ça ne suffit pas. Il faut aussi mémoriser, il faut être attentif et il faut savoir observer. Vraiment, c'est une forme de contemplation active. C'est l'état le plus difficile à maintenir dans une journée.

  • Speaker #2

    Ah ouais, ça doit être hyper énergivore.

  • Speaker #0

    C'est pas ça, c'est qu'en fait, c'est une forme de centrage, cette attention, tu vois. T'es attentif, actif. mais pas trop. Parce que si tu veux trop, tu vas faire une erreur de dosage, tu vas vouloir aller trop vite. Si tu veux aller vite, si tu as une deadline et que tu dis ça doit être prêt, tu vas le foirer. Parce qu'en fait, ce sont que des hypothèses que tu émis. Chaque chose, est-ce que je mets l'acide maintenant ? Est-ce que je chauffe ? Est-ce que je rajoute du colorant ? Est-ce que je mets plus de jaune ? Et en fait, toutes ces questions-là, elles sont pertinentes quand tu as vraiment une forme de centrage et que tu ressens ce qui est en train de se passer. Tu ressens l'eau, tu ressens la matière, comment elle prend le colorant, est-ce qu'elle souffre, est-ce qu'elle ne souffre pas, comment elle fonctionne. Et c'est cette attention-là qui fait que ce n'est pas le même état que par exemple quand toi et moi on parle. Donc quand quelqu'un vient pour me parler, je me mets dans un autre état. Je suis obligée de sortir dans mon état de concentration. Mais parfois, quand il m'arrive des choses, par exemple personnelles, un peu difficiles, parfois j'ai du mal à me mettre dans cet état de concentration parce que je vais penser à... Ma fille qui fait des conneries ou n'importe quoi qui me stresse ou une engueulade que j'ai eue ou un problème que je vais avoir dans ma vie ou de santé ou autre chose. Et du coup, voilà, c'est plus maintenir cet état-là toute une journée entière qui est difficile et en même temps, c'est ce qui me plaît dans mon travail parce qu'il me protège. J'aime être dans cet état-là. C'est difficile de l'avoir, difficile de le trouver, mais quand je l'ai, ça fait un bien fou.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion d'échanger avec des souffleurs de verre. Je vois beaucoup de similitudes parce que pour avoir quand même rencontré un certain nombre de métiers, les souffleurs de verre qui travaillent aussi avec des pigments chimiques, en fait le verre c'est un matériau, quand il est liquide, il va avoir une mémoire du geste. Donc quand une fois, je ne sais pas si tu as déjà vu des souffleurs de verre, mais des souffleurs de verre, ils cueillent du verre liquide et ils vont passer leur temps à... refroidir le verre, réchauffer le verre, refroidir le verre, réchauffer le verre.

  • Speaker #0

    Jusqu'à avoir leur forme.

  • Speaker #2

    Jusqu'à avoir leur forme. Et en fait, si t'es stressé, si t'es pas doux avec le verre, le verre, il va réagir d'une certaine façon. Il va potentiellement se casser plus facilement parce que tu lui auras transmis son stress. Et du coup, il y a beaucoup de souffleurs de verre qui commencent, qui ont besoin de musique ou qui ont besoin d'une séance de méditation avant de commencer, d'étirement. En fait, il faut se mettre dans un état mental où tu dois te relaxer pour... avoir cette capacité à parler au vert. Et je ressens des similitudes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est assez proche. C'est assez proche. Et en même temps, c'est très drôle ce que tu me dis parce que je pense que ce qui a ouvert ma vocation, qui m'a donné l'envie d'être artisan, c'est une visite à l'école primaire en CM1. Tu as vu, je m'en souviens, j'ai 47 ans quand même. Je me souviens de cette visite. On avait vu dans la même journée un boulanger et un souffleur de verre. Et je me souviens de la magie que j'ai ressentie. et je me suis fait une espèce de force des éléments, le feu, le verre, le liquide, le solide, le froid, le chaud, la fumée. J'ai trouvé ça d'une... Enfin, je sais que quand j'étais petite, je ne peux pas dire comment je l'ai trouvé parce que je pense que je ne conceptualisais pas trop, mais ça m'a émue. Je pense que ça m'a bouleversée même. Et du coup, c'est marrant que tu me dis ça parce que je pense que c'est un homme, c'est un souffleur de verre qui m'a ouvert les portes dans ma tête. d'artisanat. Je pense que je l'ai enfouie ensuite. Il y a quelque chose qui s'est passé dans ce que j'ai ressenti là et que j'ai... peut-être j'ai eu envie d'être à sa place. J'avais envie de vivre ce que je voyais en tant que spectatrice, j'avais envie de le vivre en tant qu'actrice ou créatrice, je sais pas quel mot utiliser, celui qui fait, feuseuse.

  • Speaker #2

    Bah du coup j'ai hâte d'être à l'épisode 2 pour que tu racontes tout ça en détail. J'avais juste une dernière question sur la matière et le matériau. C'était justement, on faisait ce parallèle entre pigment naturel et pigment... Donc on dit pigment synthèse.

  • Speaker #0

    Pigment de synthèse.

  • Speaker #2

    Pigment de synthèse. Donc ce parallèle entre pigment naturel et pigment de synthèse. Moi, de prime abord, tu me parles de pigment de synthèse. J'imagine quelque chose d'hyper dangereux pour la santé. Je vois les usines en Chine, avec les mecs qui ont des malformations, des maladies, des machins, des trucs. Est-ce que tu utilises les mêmes que... Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est dangereux ? Ou est-ce que c'est parce qu'en fait, ils ne sont pas du tout protégés ? Ils en côtoient des centaines de kilos par jour. Ce terme de pigment de synthèse, il fait un peu peur, je trouve.

  • Speaker #0

    Bien sûr que le pigment de synthèse qu'on utilise aujourd'hui, dans ce que je te disais tout au début, ce n'est pas le même que celui qu'on utilisait tout au début de la révolution industrielle. Il s'est écologisé, entre guillemets, avec le temps, à ma connaissance. Je ne connais pas de teinturier qui soit mort d'une maladie professionnelle en utilisant la synthèse, bien qu'on n'utilise pas de gants. Bien sûr que le pigment en lui-même, il a une empreinte écologique très négative. D'où l'importance de travailler à épuration de bain. Et pour qu'il y ait le moins de rejet de colorant possible, parce que c'est le colorant. Disons que nous, en teinture synthétique, c'est le pigment qui est nocif pour l'environnement. Et puis... pas le bain, pas ce qu'on met dans le bain. On met sel et vinaigre. Alors qu'en teinture naturelle, c'est plus l'inverse. C'est plus le mordansage, ce qu'on met pour faire le lien, en gros, entre le pigment naturel et la fibre qui, lui, a été peu écologique. Et pareil, en teinture naturelle, les pratiques sont en train de changer parce que, tout d'un coup, c'est comme pour les matières, en fait. Il y a des manières et des process de travailler qui ont été oubliées, qui sont en train d'être mis au goût du jour. Et j'imagine que, à terme, D'ailleurs, il y a Jean-Philippe Trappe de la Cité de la Tapisserie. qui m'a envoyé hier un message pour me parler d'une start-up toulousaine qui est en train de développer des pigments biosourcés, des pigments synthétiques biosourcés. Et là, ils sont en train de sortir leur premier colorant indigo. Là, ils viennent d'avoir 4 millions d'aides pour leur recherche. Et je pense que les pigments que j'utilise aujourd'hui, qui sont fabriqués par l'industrie pétrochimique, vont être, je pense, supplantés par de nouveaux pigments. Mais comme on est en retard, enfin, je veux dire, l'humanité, elle est un peu en retard sur elle-même. En tout cas, sur cette question-là de produire des choses en pensant à leur impact et pas seulement aux produits et aux profits. Du coup, je pense que les pigments que j'utilise un jour seront supplantés par des pigments qui seront biosourcés et tant mieux. En tout cas, ceux que j'utilise aujourd'hui, bien sûr, ils ont un impact négatif. Je fais très attention à ce que j'utilise et pour répondre à ta question, ceux que j'utilise, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, il y a certains pigments, par exemple, que mon prédécesseur utilisait à des process. qui aujourd'hui sont interdits. Je ne suis pas sûre que, malheureusement, l'ensemble du monde ait des normes. On aime bien nous normer chez nous, mais faire produire selon des non-normes ou des normes dégueulasses ailleurs, et puis nous, on l'achète pour pas cher, et puis ça nous déculpabilise. C'est un peu ça. Mais bon, moi, vivant en Europe et travaillant en Europe, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, ils n'ont pas un degré de nocivité énorme. Bien sûr que si je les mange et que j'inhale un kilo de poudre... Oui, je pense que je vais avoir des dégâts neurologiques, mais ça ne m'arrive pas.

  • Speaker #2

    Ce que tu me disais en off, c'est que quand tu les manipules, tu mets un masque ?

  • Speaker #0

    Non, simplement quand je les transvase. Quand je les transvase, c'est le moment où en fait, ils volent. Voilà, c'est volatile. Donc, c'est là où je vais en avoir dans le nez, par exemple. Donc là, je mets un masque. Mais sinon, pas du tout. J'ai une cuillère qui ressemble un peu à une louche avec une cuillère à soupe. Et je prends un tout petit peu de pigment. dans la cuillère à soupe que je pose dans la louche et ensuite, je les dilue dans l'eau. Une fois qu'ils sont dilués dans l'eau, voilà. Mais je prends des cuillères à café, même pas, des demi, voire des tiers, voire des cinquièmes, voire des dixièmes. J'en utilise très, très peu, en fait. Un kilo de pigments, ça peut me faire une année, voire deux années, quoi. Ça dépend des pigments. J'utilise peu de pigments parce qu'ils sont forts en concentration. Maintenant, évidemment que s'il y a une concentration énorme, là, bien sûr, ils peuvent être dangereux.

  • Speaker #2

    Trop bien. Eh bien... Merci beaucoup Nadia, c'était très intéressant. Et puis je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Et merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci. Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur le métier avec Nadia Petkovic, teinturière, vous aura plu. Dans le prochain épisode, elle nous racontera sa rencontre avec sa teinturie et comment elle a su trouver sa voix dans cet univers. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note, un commentaire et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Vous pouvez nous retrouver sur Instagram pour découvrir le métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast.histoirel'artisan.com En attendant, je vous dis à bientôt avec une nouvelle histoire.

Description

Dans cet épisode nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l’univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. A travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l’industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l’observation nécessaires à chaque étape du processus de teinture. 


Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d’Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO en 2009. 

Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ces savoir-faire français renommés.


Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation, le design et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et beau et où le bien fait et les matériaux sont au centre des discussions.


Liens de l’épisode : 

Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

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Nadia Petkovic

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Histoires d’Artisans

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans le podcast d'Histoire d'artisan. Je suis Lisa Millet, présidente de l'association Eponyme. Histoire d'artisan valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Aujourd'hui, nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l'univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. À travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l'industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l'observation nécessaire à chaque étape du processus de teinture. Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d'Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2009. Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ce savoir-faire français renommé. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Bonjour Nadia et merci de m'accueillir dans ton atelier. Nadia, tu es teinturière et dans ce premier épisode du podcast, tu vas nous raconter ce qu'est le métier de teinturier. Donc, si j'ai bien compris, toi tu travailles avec des pigments de synthèse. Oui. Est-ce que tu peux nous parler un peu de l'apparition de ces pigments ?

  • Speaker #0

    Alors, les pigments synthèse, ils apparaissent fin du 19e siècle avec la révolution industrielle, c'est-à-dire qu'avant, la totalité des couleurs qui étaient produites... par l'humanité étaient faites à partir de pigments naturels. Donc, révolution industrielle oblige, on arrive à des nouveaux progrès techniques et technologiques, dont les pigments de synthèse. Et ça, c'est une vraie révolution pour l'industrie, de manière générale, de la couleur, que ce soit de la peinture, de la teinture, mais en tout cas, pour ce qui est du domaine textile, c'est une énorme révolution parce que les pratiques changent. C'est-à-dire que, un, on a quand même un nombre de possibilités de fabriquer des nuances. plus grand, on obtient un champ plus large de teintes. J'ose pas dire plus facilement parce qu'en vrai, c'est pas plus facile. C'est juste deux approches différentes que nous, l'humanité, on est arrivés à créer. C'est pas forcément plus facile de travailler en synthèse qu'en naturel. C'est juste deux approches différentes. C'est comme tricoter un pull à la main ou le tricoter avec une machine. Bien sûr que c'est plus facile avec une machine, mais on a d'autres problématiques en fait. On cherche pas la même chose. Alors après, dire que la teinture naturelle s'est faite à la main. En tout cas, il y a une notion de échelle industrielle qui arrive et à laquelle les pigments de synthèse répondent. Il y a aussi la possibilité d'avoir un pigment stable. Si on change, si on a un nouveau lot de pigments de synthèse, par exemple de jaune, il va être stable. Moi, je vais voir légèrement la différence, mais c'est vraiment très, très, très léger. Alors qu'entre deux lots d'une plante ou d'un minéral, la différence sera beaucoup plus importante. Donc du coup, il y a plus de confort. Je pense que ça coûte moins cher aussi à fabriquer et à produire. Et on peut du coup développer des process qui peuvent garantir une solidité. Par exemple, mes pigments actuels, parce qu'entre le début de l'arrivée des pigments fin 19e et aujourd'hui, évidemment, il y a une évolution énorme. Mais en tout cas, mes pigments sont classés selon des normes européennes. Alors je vais schématiser, synthétiser. peut-être simplifié, mais c'est des coefficients de, entre guillemets, délavage. Parce qu'aucun colorant ne tiendra dans le temps, le grand temps, sauf s'il est conservé dans des conditions extrêmes, comme par exemple les portraits du Fayoum, ou ils ont été dans le désert enfouis, il y avait la chaleur, pas d'humidité, etc. Mais c'est tellement rare. Donc du coup, ils ont des coefficients de délavage et c'est classé selon des normes européennes. Donc ça aussi, ça permet une garantie au niveau de savoir la solidité du pigment.

  • Speaker #2

    Ce que j'avais compris aussi, c'est qu'avec un pigment dit naturel, tu ne peux pas colorer tout type de fibre.

  • Speaker #0

    Alors moi, je ne suis pas teinturière naturelle. Maintenant, j'ai fait une formation d'indigo, je suis quelqu'un de curieux, je ne suis pas dans l'opposition et donc j'ai certaines connaissances. Et du coup, je ne veux pas dire de bêtises, je vais partir juste de ce que je connais. Mais c'est quoi la question ? Répète.

  • Speaker #2

    C'est qu'en fait, par exemple, le polyester, pour moi, tu ne pouvais pas le teinter avec la teinture naturelle.

  • Speaker #0

    C'est possible, en vrai. Je ne me suis jamais posé cette question-là, mais ça me paraît logique. Ça me paraît logique que les fibres fabriquées par l'industrie pétrochimique ne puissent pas être teintes avec des pigments naturels. Ça me paraît d'une logique implacable. Maintenant, j'en sais rien. Franchement, je ne me suis jamais posé la question. Elle est intéressante. Et du coup, vous aurez peut-être demandé ça à une teinturière ou un teinturier naturel qui te répondra.

  • Speaker #2

    J'avais fait un stage d'initiation, enfin vraiment une initiation à la teinture végétale. Et en fait, on avait le choix entre du coton, de la laine et de la soie. Parce qu'elle nous disait, chez vous, si vous voulez le reproduire, vous ne pourrez pas le faire sur n'importe quelle fibre.

  • Speaker #0

    D'accord, ok. Parce qu'en fait, tu as les fibres naturelles, tu as les fibres artificielles et les fibres synthétiques. Donc, est-ce que les artificielles qui sont faites à partir... d'éléments naturels, mais selon des process industriels. Est-ce que celle-là, elle marche en vrai ? Je ne sais pas, c'est une bonne question.

  • Speaker #2

    Du coup, s'il y a des gens qui ont la réponse et qui nous écoutent, je veux bien. Bon,

  • Speaker #0

    après, je ne sais pas, c'est une question. En tout cas, avec les pigments synthétiques, on peut teindre tout type de fibres. Après, il y a différentes catégories de pigments.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu peux nous parler justement de ces différentes catégories de pigments ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a des pigments pour le polyester que moi, je n'utilise pas. Et aussi des machines, des cuves qu'on utilise. pour teindre le polyester, ce qu'il faut monter à 130 degrés. Donc ça, moi, je ne les ai pas. Il n'y a que l'industrie, en fait, qui teint du polyester. Et moi, je fais de la teinture artisanale, donc je n'ai aucune demande de faire du polyester. Pour l'acétate aussi, c'est une catégorie différente du colorant. Je ne les connais pas toutes. Celles que j'utilise, j'utilise les colorants acides pour les fibres animales et des colorants réactifs pour les fibres végétales. Donc, il existe les colorants directs et les colorants réactifs, qui sont deux catégories... colorants différents. Moi, j'utilise des colorants réactifs pour toutes les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Est-ce que, pour vraiment repartir de la base, tu peux nous lister les fibres animales et les fibres végétales ?

  • Speaker #0

    Alors, les fibres animales sont toutes les fibres qui sont issues d'animaux. Alors, principalement de poils, donc nos cheveux, par exemple. Nos cheveux sont une fibre animale. Le crâne de cheval, la laine du mouton. En fait, dès que la fibre provient d'un animal, les trois quarts du temps, c'est un poil. Donc elle est catégorisée d'un fibre animal parce qu'elle a la même structure moléculaire. Elle est faite d'écailles, sauf la soie.

  • Speaker #2

    J'allais dire la soie,

  • Speaker #0

    c'est considéré comme une fibre animale. Mais qui se teint vraiment de manière différente. Et oui, parce que ce n'est pas un poil. C'est dur. Et en plus, il y a des molécules dans la soie qui sont hydrophobes. Ah, donc voilà,

  • Speaker #2

    ça n'aide pas.

  • Speaker #0

    C'est comme en teinture naturelle quand tu veux teindre. avec de l'indigo alors que l'indigotine, la molécule, n'est pas soluble dans l'eau.

  • Speaker #2

    Mais c'est vrai que tu dois tout le temps touiller ta cuve d'indigo.

  • Speaker #0

    Non, il faut trouver un moyen de la rendre soluble dans l'eau. C'est tout l'enjeu de l'indigo. C'est toute la difficulté. On peut transposer cette difficulté-là à la soie qui a du mal à mouiller, qui a du mal à prendre la couleur, la tenir. C'est une fibre qui est plus difficile à tendre que les autres.

  • Speaker #2

    Donc, on a animal avec soie de côté et ensuite...

  • Speaker #0

    Qui sont des poils. Poils de yaks, poils de chameaux, poils de cheval.

  • Speaker #2

    Angora.

  • Speaker #0

    Lapin. Chèvre. Moër.

  • Speaker #2

    Lama. Non, alpaga. Si,

  • Speaker #0

    lama, alpaga, vigogne, yak. Bref, chameaux. Voilà, tous les animaux qui ont des poils et une toison, en fait. Et tu as les fibres végétales qui sont issues du monde végétal, type coton, type... lin, chanvre, orties.

  • Speaker #2

    Ah oui, il y a des fibres d'orties ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a de la fibre d'orties, oui.

  • Speaker #2

    Je ne savais pas.

  • Speaker #0

    Donc voilà, tu as les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Donc on a parlé des différents types de pigments, des différentes fibres. Et donc toi, tu me disais que tu travailles avec tout type de fil ou de fibre.

  • Speaker #0

    Sophacétate.

  • Speaker #2

    Sophacétate. Et polyester. Parce que ça demande des pigments et des températures différentes. Et donc concrètement, un processus de production d'une fibre teintée. quel est-il ?

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur des fibres animales, oui, parce que, en tout cas, pour ce qui est de mon cas, je ne sais pas combien ça représente en pourcentage, je ne vais pas calculer, mais comme ça, globalement, je dirais que c'est 80-90% de ce que je produis comme teintes, elles sont sur une fibre animale, et globalement sur de la laine, donc de la laine de mouton. Même si en ce moment c'est la mode du mohair, mais je n'en fais pas tant que ça.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu saurais, je fais une aparté dans ma question, est-ce que tu saurais expliquer... pourquoi ça fait partie de 80% de tes prods ?

  • Speaker #0

    Pourquoi ? J'imagine que dans l'histoire des fibres, après, je ne sais pas, c'est peut-être parce qu'on est en Occident, j'étais en train de penser à l'Égypte, où c'était plus des fibres végétales parce qu'il y avait une production. En fait, tout dépend de l'endroit où tu vis, où tu habites, et puis ta clientèle, qu'est-ce qu'elle produit comme type de fibre. En fonction du climat, en fonction de l'endroit, ça dépend beaucoup. Mais je ne sais pas, je n'ai pas d'études sur la globalité des fibres qui sont produites. dans le monde entier. Mais la laine, c'est quand même une fibre qui a des particularités, des propriétés. Elle garde la chaleur, elle protège de l'humidité, elle est facile quand même à travailler, facile à teindre, facile à filer. Et en même temps, ça permet... Il y a aussi l'élevage derrière de moutons qui va avec le tout début de l'humanité au néolithique. Donc c'est un des fondements. de l'humanité que d'élever des animaux et de produire des éléments qui vont avec. Après, on peut dire aussi que de la même chose du monde végétal. Je ne pourrais pas te dire pourquoi.

  • Speaker #2

    Mais pour toi, c'est parce que les gens globalement te demandent de la laine ?

  • Speaker #0

    La demande est la laine. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je pense que c'est vraiment un matériau qui est très souple, très facile à travailler, très agréable, qui s'entretient très bien, qui a une bonne tenue. Mais bon, on peut dire la même chose du lin. Après, je ne sais pas, une question de mode. Les modes, ça bouge. Aujourd'hui, je... Le lin, le mohair reviennent vraiment en force.

  • Speaker #2

    Oui, c'est sûr que le lin, on en parle de plus en plus. D'ailleurs, la France est le premier producteur de lin.

  • Speaker #0

    Oui, parce que c'est toute l'approche écologique qui est en train de faire bouger nos productions. Parce que regarder comment chaque fibre est produite et penser à son impact sur l'environnement. Tout d'un coup, des fibres comme le lin, qui n'ont pas besoin d'irrigation, qui ont juste besoin de l'eau, qui tombent de la pluie pour le fabriquer, aujourd'hui, c'est des fibres qui vont monter en valeur et on va redonner de l'intérêt parce qu'en fait, on regarde, nous les humains, ce qu'on recherche. Ce n'est plus seulement un produit, mais son histoire, comment il est fabriqué et au regard de son impact écologique. Donc ça bouge, ça bouge. Le lin vient en profit du coton, même si j'imagine que le coton... C'est une fibre qui est énormément utilisée pour l'industrie du vêtement. Mais je pense que le lin est en train de grignoter tout doucement des parts de marché.

  • Speaker #2

    Donc j'en reviens à ma question de base, qui était, si on prend par exemple justement la production avec de la fibre animale, quel est dans les grandes lignes ton processus, comment on en vient à une pelote de laine teintée ?

  • Speaker #0

    Donc je pars de la laine, la plupart du temps couleur naturelle. On l'appelle écrue. Chaque laine a son écrue, sa teinte. Il y a des laines plus ou moins jaunes, plus ou moins grises, plus ou moins... Là, si tu regardes ici, ce ne sont que des laines naturelles.

  • Speaker #2

    Et sachant qu'il y en a des marrons.

  • Speaker #0

    La noire du velay, elle est marron très foncé, il y en a des grises, des plus écrues, plus beiges que d'autres. Donc, on va partir de l'écrue de la laine. Alors, la plupart du temps, on travaille avec des écrues qui sont assez claires en teinture. Et donc, on va plonger la fibre pour ouvrir ses écailles tout doucement. Parce qu'en fait la laine a des écailles et quand tu feutres la laine, tu lui fais faire un choc thermique. Et du coup les écailles s'ouvrent et elles ne se referment plus. C'est pour ça que la laine feutrée s'est éboriffée. Tu as ces petits écailles qui sont ouverts et qui ne sont plus fermés. En teinture, l'idée c'est d'ouvrir ces écailles et de faire pénétrer le colorant à l'intérieur au cœur de la fibre et de les laisser se refermer tout doucement. Donc en fait on va faire très attention au rythme d'ouverture de ces écailles. Donc on va y aller très très lentement pour ne pas casser la faculté naturelle qu'a la laine d'ouvrir son écaille et de le fermer. Donc on va faire une montée en température très très progressive. On va partir à peu près 30 degrés, on va plonger donc la laine écrue naturelle dans un bain d'eau chaude avec un sel de 30 degrés. Et on va augmenter tout doucement sa température. 30-40 degrés. Ensuite, on va le laisser environ un quart d'heure, 20 minutes pour que les écailles commencent à s'ouvrir tout doucement et que la fibre se prépare. Ensuite, on va faire le process industriel qui est en fait défini avec ce type de pigments synthétiques. On utilise normalement une recette. Donc on pèse pour chacun des coloris l'ensemble des colorants et on les met à un instant T du process. Normalement, cet instant T, il est là. Les écailles s'ouvrent, on commence à faire, soit on met la totalité du colorant, qui est le pigment dilué dans de l'eau chaude et concentrée. On fabrique un colorant à partir des pigments et on le met en une ou deux ou trois fois, tout dépend si le coloris est clair ou foncé. Et on fait chauffer tout doucement la laine. Donc du coup, le pigment commence à pénétrer tout doucement dans la laine jusqu'à environ 60 degrés. À 60 degrés. On acidifie, c'est-à-dire qu'on rajoute de l'acide acétique, du vinaigre, pour ouvrir encore davantage les écailles. Et ensuite, on fait monter jusqu'à 100 degrés. Et on laisse refroidir tout doucement jusqu'à ce que le bain s'épure. C'est-à-dire que la quasi-totalité du colorant qu'on a mis à l'intérieur du bain est migré dedans la fibre. Ça, c'est le process industriel. Moi, comme je travaille sans recette, je ne sais pas combien de colorant je vais mettre et quelle dose. Donc en fait je vais faire des adjonctions de colorants multiples. Je vais le faire petit à petit. Sauf que si je mets le colorant à il ne va pas se poser sur la fibre de manière unie. Donc par exemple je ne peux pas faire d'adjonction trop de colorant à partir de Certains colorants sont plus malléables que d'autres. Ou s'il y a trop d'acide, je ne peux plus non plus rajouter de colorant. Donc en fait, ça c'est le process de base, mais en fait je ne l'applique jamais. Parce que comme je n'ai pas de recette, je navigue un peu dans ces eaux-là pour arriver. En fait, je vais jouer sur le temps. C'est-à-dire, je vais mettre plus de temps. Par exemple, une teinte faite avec des pigments synthétiques et une recette, elle se fait en 3-4 heures. Moi, si je travaille bien, je vais mettre une journée. Du coup, par exemple, le fait de ne pas tout le temps monter à 100 degrés, je vais le compenser par le temps que je vais passer. Et je vais chauffer, puis refroidir, puis laisser réchauffer, puis refroidir. Voilà, en fait, disons que je vais composer. à partir de ce process-là et à partir des limites de ce que la matière peut supporter et des limites d'activité du colorant, en fait.

  • Speaker #2

    C'est une question que je n'ai jamais posée, mais je me demandais pour toi, quelle est la qualité principale d'un teinturier ?

  • Speaker #0

    Alors, ça dépend si ce teinturier est industriel et il fait des recettes ou si c'est un teinturier comme moi qui travaille à l'œil.

  • Speaker #2

    Oui, artisanal.

  • Speaker #0

    Tu peux être artisanal et avoir des recettes. Moi, je travaille à l'œil. Observer, savoir observer.

  • Speaker #2

    Bah oui, parce que j'allais dire, en plus, la réflexion que je me faisais, c'est que là, tu sortais des fils de la cuve. Un fil mouillé, c'est du tout la même teinture qu'un fil sec.

  • Speaker #0

    Non, ce n'est pas la même couleur.

  • Speaker #2

    Oui, donc en fait, je me dis, mais en fait, il faut l'œil de dire, alors là, il est mouillé. Quand il va sécher, il sera à peu près comme j'ai envie. Enfin, ça doit être hyper complexe.

  • Speaker #0

    Alors, ce n'est pas forcément comme j'ai envie, mais comme je travaille sur commande, je réponds à des commandes. Donc, comme le client le souhaite. Et oui, effectivement, une fibre mouillée et une fibre sèche reflètent la teinte. d'une manière complètement différente. Donc, soit je connais la fibre sur laquelle je travaille, auquel cas j'anticipe. À force de travailler, je sais à peu près comment ça va devenir. Mais dès que je m'approche vraiment de la teinte, je prends un écheveau, je le prélève, je l'essore et je le sèche et je vérifie.

  • Speaker #2

    Ah, tu peux, ouais.

  • Speaker #0

    Ah, c'est ce que je fais, oui.

  • Speaker #2

    Tu n'attends pas que ce soit complètement sec pour voir si tu as échoué ou réussi.

  • Speaker #0

    Je le sèche au ventilateur parce qu'au sèche-cheveux, la chaleur, ça modifie la teinte. Donc, je le sèche au ventilateur. Alors, il n'est pas... complètement, complètement, complètement, la fibre n'est pas complètement sèche parce que du coup je sèche, une fois que j'ai terminé la teinte la fibre sèche à l'air libre, donc en fonction du temps qu'il fait, ça prend plus ou moins longtemps, mais du coup la fibre est vraiment respectée, la couleur aussi, parce que c'est comme nous, tu laisses tes cheveux sécher à l'air libre naturel et tu les sèches avec des sèches cheveux, le résultat est complètement différent en fait. Donc du coup, ce petit mouvement de la teinte qu'elle va prendre entre la fibre séchée et mouillée, il est différent cet intervalle en fonction des fibres. Sur la laine, il n'est pas très énorme. Sur la soie ou sur le coton, c'est énorme. Tu trempes une fibre de coton, une fibre de soie mouillée, tu es tellement foncée. Donc quand c'est des fibres que je connais, j'arrive à peu près à anticiper, mais parfois je travaille sur des fibres que je ne connais pas puisque soit je fournis la fibre et la teinte, soit le client m'envoie sa fibre et je la teins. Donc par exemple... Il y a un plumassier qui m'envoie ses plumes. Moi, je ne sais pas comment elle régisse ses plumes. Ou bien, il y a une circassienne qui travaille son agré, c'est la corde. Donc, en gros, c'est un boudin de coton sur lequel elle monte et elle fait des figures. Elle voulait un tie-and-dye pour son spectacle. Moi, je n'avais jamais teint de boudin de coton. Donc, je ne sais pas forcément comment ça va réagir. Donc, la qualité première, c'est observer. Une fois, j'avais fait une émission de radio qui était organisée par... une association je crois, qui s'appelle Chimie et Terroir, qui justement fait confronter des artisans qui travaillent des processus chimiques et des chimistes. Et j'avais super peur parce que je me suis dit, mais moi je ne connais rien du tout en fait. Comme je travaille de manière empirique, je n'ai aucune connaissance sur les... Contrairement à un teinturier industriel qui lui a fait des études, lui il sait quelles réactions se font entre tel type d'atomes ou de molécules. Moi je les connais de manière empirique mais je suis incapable de les nommer. Donc du coup j'étais vraiment hyper mal à l'aise de me retrouver avec des chimistes. Je me suis dit, elle a honte, moi je ne connais rien du tout. Et en fait ils m'ont dit mais non mais non, c'est des chimistes punk. J'ai dit ok d'accord, je vais venir. Et ils savaient comment me parler. Du coup j'y suis allée et ça a été génial comme échange parce qu'en fait ils m'ont dit que la manière dont je travaillais c'était une technique extrêmement scientifique de recherche. Ils m'ont dit qu'en fait, ça s'apparentait à la recherche scientifique. C'est-à-dire qu'on est sans arrêt dans l'observation des processus chimiques et des réactions chimiques qui sont en train de se produire. On est sans arrêt en train de les regarder et on voit le résultat, on jauge en fonction de ce qu'on fait. C'est-à-dire que comme je fais une adjonction de colorant, je fais à chaque fois une hypothèse qui peut être fausse. Je peux me tromper. Quoi que ce soit, fausse mon jugement. Presque, je vais te dire que la matière principale avec laquelle je travaille, c'est mon jugé, c'est ma propre capacité d'assumer mes erreurs. C'est peut-être ce qu'il y a de plus dur à faire. Et en fait, finalement, c'est une approche scientifique empirique de recherche. Je pense que ce qui est le plus important, c'est savoir observer ce qui est en train de se passer. Et le mémoriser, parce qu'on n'écrit rien.

  • Speaker #2

    J'ai tellement de questions sur cette anecdote.

  • Speaker #0

    J'ai plein de pensées à te répondre, parce que j'y pense toute la journée à ce que je fais.

  • Speaker #2

    En fait, en gros, la mission de l'association Histoire d'artisans, c'est de valoriser l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche. Pourquoi ? Parce qu'en fait, je dirais que ça fait des centaines d'années qu'on ne parle de l'artisan qu'à travers sa main, et on ne parle pas du tout de son cerveau. Or, le cerveau d'un artisan, il est fait d'une expertise en physique et en chimie. Il sait exactement ce que son matériau va faire, les réactions chimiques et physiques de son matériau, avec de la chaleur, avec du froid,

  • Speaker #0

    avec de l'eau. Ce que tu es en train de me dire, c'est exactement la définition de mon métier de teinturière coloriste à l'œil par rapport à un teinturier ou une teinturière coloriste industrielle. Lui, son but, c'est chercher quel est le bon dosage, quelle est la bonne recette. Et donc lui, il ne sait pas forcément comment le jaune réagit par rapport au rouge et par rapport au bleu, parce qu'on travaille avec les trois couleurs primaires simplement, jaune, rouge, bleu. Donc du coup, il y a plusieurs jaunes, plusieurs rouges, plusieurs bleus, mais la décomposition, c'est combien de jaunes, combien de rouges, combien de bleus. Et en fait, lui, il ne sait pas forcément, lui ou elle, ils ne savent pas forcément que le rouge, il va monter dans un second temps et que c'est d'abord le jaune qui monte. Et que... Le bleu, peut-être que lui, c'est lui qui monte en premier et le rouge, c'est avec l'acide, par exemple. C'est-à-dire que ça, ce sont des micros. Et les industriels, ils ne le savent pas non plus. Ce sont des micro-mouvements qu'en fait, toute la journée, j'observe et que je note et le savoir-faire et qu'on m'a transmis. Mais finalement, ce qu'on m'a transmis, effectivement, c'est un savoir-faire d'observation, mais c'est aussi la capacité de continuer à observer des nouvelles approches et des nouveaux matériaux et des nouveaux process. C'est-à-dire que la différence entre un teinturier industriel et moi, même si en industriel, bien sûr qu'on peut être challengé, mais on ne sera pas challengé de la même manière. C'est-à-dire qu'en fait, je travaille toute la journée avec quelque chose que je ne maîtrise pas. Et les gens me disent Vous maîtrisez votre savoir-faire Moi, je ne maîtrise rien du tout, en fait. Mais non, je ne maîtrise rien du tout. Et plus tu essayes de maîtriser et plus tu échappes. En fait, moi, j'observe ces fonctionnements, j'observe ces réactions. et je les utilise parfois à mes dépens. Et d'ailleurs, c'est comme ça que je me suis mise à créer des teintures irrégulières. C'est à partir d'erreurs. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est vachement intéressant. On est tout le temps en train de chercher un unisson de la couleur. Il y a beaucoup de vocabulaire qui ressemble à la musique. On fait des gammes colorées. On a un unisson de la couleur. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est quelque chose qui peut être le fait que la couleur soit vivante, qu'elle ne soit pas sur... tout le long de l'écheveau, sur tout le long du fil ou de la fibre de la même teinte. Ça peut créer des choses différentes. Mais à la base, c'est à partir d'erreurs.

  • Speaker #2

    C'est de l'impro, c'est du jazz.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, oui, c'est oui. Et pédagogiquement, quand on transpose le travail de teinturier au travail du musicien, et bien là, tout d'un coup, c'est plus facile pour les gens de comprendre. C'est-à-dire que soit on a une partition, on a une recette, soit on n'en a pas et on le fait au feeling, enfin au feeling, non. On s'appuie sur d'autres, je ne m'appuie pas sur mon feeling, mais si, je suis obligée de m'appuyer sur ce canal-là, mais le feeling, ça ne suffit pas. Il faut aussi mémoriser, il faut être attentif et il faut savoir observer. Vraiment, c'est une forme de contemplation active. C'est l'état le plus difficile à maintenir dans une journée.

  • Speaker #2

    Ah ouais, ça doit être hyper énergivore.

  • Speaker #0

    C'est pas ça, c'est qu'en fait, c'est une forme de centrage, cette attention, tu vois. T'es attentif, actif. mais pas trop. Parce que si tu veux trop, tu vas faire une erreur de dosage, tu vas vouloir aller trop vite. Si tu veux aller vite, si tu as une deadline et que tu dis ça doit être prêt, tu vas le foirer. Parce qu'en fait, ce sont que des hypothèses que tu émis. Chaque chose, est-ce que je mets l'acide maintenant ? Est-ce que je chauffe ? Est-ce que je rajoute du colorant ? Est-ce que je mets plus de jaune ? Et en fait, toutes ces questions-là, elles sont pertinentes quand tu as vraiment une forme de centrage et que tu ressens ce qui est en train de se passer. Tu ressens l'eau, tu ressens la matière, comment elle prend le colorant, est-ce qu'elle souffre, est-ce qu'elle ne souffre pas, comment elle fonctionne. Et c'est cette attention-là qui fait que ce n'est pas le même état que par exemple quand toi et moi on parle. Donc quand quelqu'un vient pour me parler, je me mets dans un autre état. Je suis obligée de sortir dans mon état de concentration. Mais parfois, quand il m'arrive des choses, par exemple personnelles, un peu difficiles, parfois j'ai du mal à me mettre dans cet état de concentration parce que je vais penser à... Ma fille qui fait des conneries ou n'importe quoi qui me stresse ou une engueulade que j'ai eue ou un problème que je vais avoir dans ma vie ou de santé ou autre chose. Et du coup, voilà, c'est plus maintenir cet état-là toute une journée entière qui est difficile et en même temps, c'est ce qui me plaît dans mon travail parce qu'il me protège. J'aime être dans cet état-là. C'est difficile de l'avoir, difficile de le trouver, mais quand je l'ai, ça fait un bien fou.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion d'échanger avec des souffleurs de verre. Je vois beaucoup de similitudes parce que pour avoir quand même rencontré un certain nombre de métiers, les souffleurs de verre qui travaillent aussi avec des pigments chimiques, en fait le verre c'est un matériau, quand il est liquide, il va avoir une mémoire du geste. Donc quand une fois, je ne sais pas si tu as déjà vu des souffleurs de verre, mais des souffleurs de verre, ils cueillent du verre liquide et ils vont passer leur temps à... refroidir le verre, réchauffer le verre, refroidir le verre, réchauffer le verre.

  • Speaker #0

    Jusqu'à avoir leur forme.

  • Speaker #2

    Jusqu'à avoir leur forme. Et en fait, si t'es stressé, si t'es pas doux avec le verre, le verre, il va réagir d'une certaine façon. Il va potentiellement se casser plus facilement parce que tu lui auras transmis son stress. Et du coup, il y a beaucoup de souffleurs de verre qui commencent, qui ont besoin de musique ou qui ont besoin d'une séance de méditation avant de commencer, d'étirement. En fait, il faut se mettre dans un état mental où tu dois te relaxer pour... avoir cette capacité à parler au vert. Et je ressens des similitudes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est assez proche. C'est assez proche. Et en même temps, c'est très drôle ce que tu me dis parce que je pense que ce qui a ouvert ma vocation, qui m'a donné l'envie d'être artisan, c'est une visite à l'école primaire en CM1. Tu as vu, je m'en souviens, j'ai 47 ans quand même. Je me souviens de cette visite. On avait vu dans la même journée un boulanger et un souffleur de verre. Et je me souviens de la magie que j'ai ressentie. et je me suis fait une espèce de force des éléments, le feu, le verre, le liquide, le solide, le froid, le chaud, la fumée. J'ai trouvé ça d'une... Enfin, je sais que quand j'étais petite, je ne peux pas dire comment je l'ai trouvé parce que je pense que je ne conceptualisais pas trop, mais ça m'a émue. Je pense que ça m'a bouleversée même. Et du coup, c'est marrant que tu me dis ça parce que je pense que c'est un homme, c'est un souffleur de verre qui m'a ouvert les portes dans ma tête. d'artisanat. Je pense que je l'ai enfouie ensuite. Il y a quelque chose qui s'est passé dans ce que j'ai ressenti là et que j'ai... peut-être j'ai eu envie d'être à sa place. J'avais envie de vivre ce que je voyais en tant que spectatrice, j'avais envie de le vivre en tant qu'actrice ou créatrice, je sais pas quel mot utiliser, celui qui fait, feuseuse.

  • Speaker #2

    Bah du coup j'ai hâte d'être à l'épisode 2 pour que tu racontes tout ça en détail. J'avais juste une dernière question sur la matière et le matériau. C'était justement, on faisait ce parallèle entre pigment naturel et pigment... Donc on dit pigment synthèse.

  • Speaker #0

    Pigment de synthèse.

  • Speaker #2

    Pigment de synthèse. Donc ce parallèle entre pigment naturel et pigment de synthèse. Moi, de prime abord, tu me parles de pigment de synthèse. J'imagine quelque chose d'hyper dangereux pour la santé. Je vois les usines en Chine, avec les mecs qui ont des malformations, des maladies, des machins, des trucs. Est-ce que tu utilises les mêmes que... Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est dangereux ? Ou est-ce que c'est parce qu'en fait, ils ne sont pas du tout protégés ? Ils en côtoient des centaines de kilos par jour. Ce terme de pigment de synthèse, il fait un peu peur, je trouve.

  • Speaker #0

    Bien sûr que le pigment de synthèse qu'on utilise aujourd'hui, dans ce que je te disais tout au début, ce n'est pas le même que celui qu'on utilisait tout au début de la révolution industrielle. Il s'est écologisé, entre guillemets, avec le temps, à ma connaissance. Je ne connais pas de teinturier qui soit mort d'une maladie professionnelle en utilisant la synthèse, bien qu'on n'utilise pas de gants. Bien sûr que le pigment en lui-même, il a une empreinte écologique très négative. D'où l'importance de travailler à épuration de bain. Et pour qu'il y ait le moins de rejet de colorant possible, parce que c'est le colorant. Disons que nous, en teinture synthétique, c'est le pigment qui est nocif pour l'environnement. Et puis... pas le bain, pas ce qu'on met dans le bain. On met sel et vinaigre. Alors qu'en teinture naturelle, c'est plus l'inverse. C'est plus le mordansage, ce qu'on met pour faire le lien, en gros, entre le pigment naturel et la fibre qui, lui, a été peu écologique. Et pareil, en teinture naturelle, les pratiques sont en train de changer parce que, tout d'un coup, c'est comme pour les matières, en fait. Il y a des manières et des process de travailler qui ont été oubliées, qui sont en train d'être mis au goût du jour. Et j'imagine que, à terme, D'ailleurs, il y a Jean-Philippe Trappe de la Cité de la Tapisserie. qui m'a envoyé hier un message pour me parler d'une start-up toulousaine qui est en train de développer des pigments biosourcés, des pigments synthétiques biosourcés. Et là, ils sont en train de sortir leur premier colorant indigo. Là, ils viennent d'avoir 4 millions d'aides pour leur recherche. Et je pense que les pigments que j'utilise aujourd'hui, qui sont fabriqués par l'industrie pétrochimique, vont être, je pense, supplantés par de nouveaux pigments. Mais comme on est en retard, enfin, je veux dire, l'humanité, elle est un peu en retard sur elle-même. En tout cas, sur cette question-là de produire des choses en pensant à leur impact et pas seulement aux produits et aux profits. Du coup, je pense que les pigments que j'utilise un jour seront supplantés par des pigments qui seront biosourcés et tant mieux. En tout cas, ceux que j'utilise aujourd'hui, bien sûr, ils ont un impact négatif. Je fais très attention à ce que j'utilise et pour répondre à ta question, ceux que j'utilise, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, il y a certains pigments, par exemple, que mon prédécesseur utilisait à des process. qui aujourd'hui sont interdits. Je ne suis pas sûre que, malheureusement, l'ensemble du monde ait des normes. On aime bien nous normer chez nous, mais faire produire selon des non-normes ou des normes dégueulasses ailleurs, et puis nous, on l'achète pour pas cher, et puis ça nous déculpabilise. C'est un peu ça. Mais bon, moi, vivant en Europe et travaillant en Europe, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, ils n'ont pas un degré de nocivité énorme. Bien sûr que si je les mange et que j'inhale un kilo de poudre... Oui, je pense que je vais avoir des dégâts neurologiques, mais ça ne m'arrive pas.

  • Speaker #2

    Ce que tu me disais en off, c'est que quand tu les manipules, tu mets un masque ?

  • Speaker #0

    Non, simplement quand je les transvase. Quand je les transvase, c'est le moment où en fait, ils volent. Voilà, c'est volatile. Donc, c'est là où je vais en avoir dans le nez, par exemple. Donc là, je mets un masque. Mais sinon, pas du tout. J'ai une cuillère qui ressemble un peu à une louche avec une cuillère à soupe. Et je prends un tout petit peu de pigment. dans la cuillère à soupe que je pose dans la louche et ensuite, je les dilue dans l'eau. Une fois qu'ils sont dilués dans l'eau, voilà. Mais je prends des cuillères à café, même pas, des demi, voire des tiers, voire des cinquièmes, voire des dixièmes. J'en utilise très, très peu, en fait. Un kilo de pigments, ça peut me faire une année, voire deux années, quoi. Ça dépend des pigments. J'utilise peu de pigments parce qu'ils sont forts en concentration. Maintenant, évidemment que s'il y a une concentration énorme, là, bien sûr, ils peuvent être dangereux.

  • Speaker #2

    Trop bien. Eh bien... Merci beaucoup Nadia, c'était très intéressant. Et puis je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Et merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci. Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur le métier avec Nadia Petkovic, teinturière, vous aura plu. Dans le prochain épisode, elle nous racontera sa rencontre avec sa teinturie et comment elle a su trouver sa voix dans cet univers. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note, un commentaire et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Vous pouvez nous retrouver sur Instagram pour découvrir le métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast.histoirel'artisan.com En attendant, je vous dis à bientôt avec une nouvelle histoire.

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Description

Dans cet épisode nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l’univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. A travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l’industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l’observation nécessaires à chaque étape du processus de teinture. 


Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d’Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO en 2009. 

Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ces savoir-faire français renommés.


Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation, le design et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et beau et où le bien fait et les matériaux sont au centre des discussions.


Liens de l’épisode : 

Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

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Nadia Petkovic

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Histoires d’Artisans

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans le podcast d'Histoire d'artisan. Je suis Lisa Millet, présidente de l'association Eponyme. Histoire d'artisan valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Aujourd'hui, nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l'univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. À travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l'industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l'observation nécessaire à chaque étape du processus de teinture. Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d'Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2009. Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ce savoir-faire français renommé. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Bonjour Nadia et merci de m'accueillir dans ton atelier. Nadia, tu es teinturière et dans ce premier épisode du podcast, tu vas nous raconter ce qu'est le métier de teinturier. Donc, si j'ai bien compris, toi tu travailles avec des pigments de synthèse. Oui. Est-ce que tu peux nous parler un peu de l'apparition de ces pigments ?

  • Speaker #0

    Alors, les pigments synthèse, ils apparaissent fin du 19e siècle avec la révolution industrielle, c'est-à-dire qu'avant, la totalité des couleurs qui étaient produites... par l'humanité étaient faites à partir de pigments naturels. Donc, révolution industrielle oblige, on arrive à des nouveaux progrès techniques et technologiques, dont les pigments de synthèse. Et ça, c'est une vraie révolution pour l'industrie, de manière générale, de la couleur, que ce soit de la peinture, de la teinture, mais en tout cas, pour ce qui est du domaine textile, c'est une énorme révolution parce que les pratiques changent. C'est-à-dire que, un, on a quand même un nombre de possibilités de fabriquer des nuances. plus grand, on obtient un champ plus large de teintes. J'ose pas dire plus facilement parce qu'en vrai, c'est pas plus facile. C'est juste deux approches différentes que nous, l'humanité, on est arrivés à créer. C'est pas forcément plus facile de travailler en synthèse qu'en naturel. C'est juste deux approches différentes. C'est comme tricoter un pull à la main ou le tricoter avec une machine. Bien sûr que c'est plus facile avec une machine, mais on a d'autres problématiques en fait. On cherche pas la même chose. Alors après, dire que la teinture naturelle s'est faite à la main. En tout cas, il y a une notion de échelle industrielle qui arrive et à laquelle les pigments de synthèse répondent. Il y a aussi la possibilité d'avoir un pigment stable. Si on change, si on a un nouveau lot de pigments de synthèse, par exemple de jaune, il va être stable. Moi, je vais voir légèrement la différence, mais c'est vraiment très, très, très léger. Alors qu'entre deux lots d'une plante ou d'un minéral, la différence sera beaucoup plus importante. Donc du coup, il y a plus de confort. Je pense que ça coûte moins cher aussi à fabriquer et à produire. Et on peut du coup développer des process qui peuvent garantir une solidité. Par exemple, mes pigments actuels, parce qu'entre le début de l'arrivée des pigments fin 19e et aujourd'hui, évidemment, il y a une évolution énorme. Mais en tout cas, mes pigments sont classés selon des normes européennes. Alors je vais schématiser, synthétiser. peut-être simplifié, mais c'est des coefficients de, entre guillemets, délavage. Parce qu'aucun colorant ne tiendra dans le temps, le grand temps, sauf s'il est conservé dans des conditions extrêmes, comme par exemple les portraits du Fayoum, ou ils ont été dans le désert enfouis, il y avait la chaleur, pas d'humidité, etc. Mais c'est tellement rare. Donc du coup, ils ont des coefficients de délavage et c'est classé selon des normes européennes. Donc ça aussi, ça permet une garantie au niveau de savoir la solidité du pigment.

  • Speaker #2

    Ce que j'avais compris aussi, c'est qu'avec un pigment dit naturel, tu ne peux pas colorer tout type de fibre.

  • Speaker #0

    Alors moi, je ne suis pas teinturière naturelle. Maintenant, j'ai fait une formation d'indigo, je suis quelqu'un de curieux, je ne suis pas dans l'opposition et donc j'ai certaines connaissances. Et du coup, je ne veux pas dire de bêtises, je vais partir juste de ce que je connais. Mais c'est quoi la question ? Répète.

  • Speaker #2

    C'est qu'en fait, par exemple, le polyester, pour moi, tu ne pouvais pas le teinter avec la teinture naturelle.

  • Speaker #0

    C'est possible, en vrai. Je ne me suis jamais posé cette question-là, mais ça me paraît logique. Ça me paraît logique que les fibres fabriquées par l'industrie pétrochimique ne puissent pas être teintes avec des pigments naturels. Ça me paraît d'une logique implacable. Maintenant, j'en sais rien. Franchement, je ne me suis jamais posé la question. Elle est intéressante. Et du coup, vous aurez peut-être demandé ça à une teinturière ou un teinturier naturel qui te répondra.

  • Speaker #2

    J'avais fait un stage d'initiation, enfin vraiment une initiation à la teinture végétale. Et en fait, on avait le choix entre du coton, de la laine et de la soie. Parce qu'elle nous disait, chez vous, si vous voulez le reproduire, vous ne pourrez pas le faire sur n'importe quelle fibre.

  • Speaker #0

    D'accord, ok. Parce qu'en fait, tu as les fibres naturelles, tu as les fibres artificielles et les fibres synthétiques. Donc, est-ce que les artificielles qui sont faites à partir... d'éléments naturels, mais selon des process industriels. Est-ce que celle-là, elle marche en vrai ? Je ne sais pas, c'est une bonne question.

  • Speaker #2

    Du coup, s'il y a des gens qui ont la réponse et qui nous écoutent, je veux bien. Bon,

  • Speaker #0

    après, je ne sais pas, c'est une question. En tout cas, avec les pigments synthétiques, on peut teindre tout type de fibres. Après, il y a différentes catégories de pigments.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu peux nous parler justement de ces différentes catégories de pigments ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a des pigments pour le polyester que moi, je n'utilise pas. Et aussi des machines, des cuves qu'on utilise. pour teindre le polyester, ce qu'il faut monter à 130 degrés. Donc ça, moi, je ne les ai pas. Il n'y a que l'industrie, en fait, qui teint du polyester. Et moi, je fais de la teinture artisanale, donc je n'ai aucune demande de faire du polyester. Pour l'acétate aussi, c'est une catégorie différente du colorant. Je ne les connais pas toutes. Celles que j'utilise, j'utilise les colorants acides pour les fibres animales et des colorants réactifs pour les fibres végétales. Donc, il existe les colorants directs et les colorants réactifs, qui sont deux catégories... colorants différents. Moi, j'utilise des colorants réactifs pour toutes les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Est-ce que, pour vraiment repartir de la base, tu peux nous lister les fibres animales et les fibres végétales ?

  • Speaker #0

    Alors, les fibres animales sont toutes les fibres qui sont issues d'animaux. Alors, principalement de poils, donc nos cheveux, par exemple. Nos cheveux sont une fibre animale. Le crâne de cheval, la laine du mouton. En fait, dès que la fibre provient d'un animal, les trois quarts du temps, c'est un poil. Donc elle est catégorisée d'un fibre animal parce qu'elle a la même structure moléculaire. Elle est faite d'écailles, sauf la soie.

  • Speaker #2

    J'allais dire la soie,

  • Speaker #0

    c'est considéré comme une fibre animale. Mais qui se teint vraiment de manière différente. Et oui, parce que ce n'est pas un poil. C'est dur. Et en plus, il y a des molécules dans la soie qui sont hydrophobes. Ah, donc voilà,

  • Speaker #2

    ça n'aide pas.

  • Speaker #0

    C'est comme en teinture naturelle quand tu veux teindre. avec de l'indigo alors que l'indigotine, la molécule, n'est pas soluble dans l'eau.

  • Speaker #2

    Mais c'est vrai que tu dois tout le temps touiller ta cuve d'indigo.

  • Speaker #0

    Non, il faut trouver un moyen de la rendre soluble dans l'eau. C'est tout l'enjeu de l'indigo. C'est toute la difficulté. On peut transposer cette difficulté-là à la soie qui a du mal à mouiller, qui a du mal à prendre la couleur, la tenir. C'est une fibre qui est plus difficile à tendre que les autres.

  • Speaker #2

    Donc, on a animal avec soie de côté et ensuite...

  • Speaker #0

    Qui sont des poils. Poils de yaks, poils de chameaux, poils de cheval.

  • Speaker #2

    Angora.

  • Speaker #0

    Lapin. Chèvre. Moër.

  • Speaker #2

    Lama. Non, alpaga. Si,

  • Speaker #0

    lama, alpaga, vigogne, yak. Bref, chameaux. Voilà, tous les animaux qui ont des poils et une toison, en fait. Et tu as les fibres végétales qui sont issues du monde végétal, type coton, type... lin, chanvre, orties.

  • Speaker #2

    Ah oui, il y a des fibres d'orties ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a de la fibre d'orties, oui.

  • Speaker #2

    Je ne savais pas.

  • Speaker #0

    Donc voilà, tu as les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Donc on a parlé des différents types de pigments, des différentes fibres. Et donc toi, tu me disais que tu travailles avec tout type de fil ou de fibre.

  • Speaker #0

    Sophacétate.

  • Speaker #2

    Sophacétate. Et polyester. Parce que ça demande des pigments et des températures différentes. Et donc concrètement, un processus de production d'une fibre teintée. quel est-il ?

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur des fibres animales, oui, parce que, en tout cas, pour ce qui est de mon cas, je ne sais pas combien ça représente en pourcentage, je ne vais pas calculer, mais comme ça, globalement, je dirais que c'est 80-90% de ce que je produis comme teintes, elles sont sur une fibre animale, et globalement sur de la laine, donc de la laine de mouton. Même si en ce moment c'est la mode du mohair, mais je n'en fais pas tant que ça.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu saurais, je fais une aparté dans ma question, est-ce que tu saurais expliquer... pourquoi ça fait partie de 80% de tes prods ?

  • Speaker #0

    Pourquoi ? J'imagine que dans l'histoire des fibres, après, je ne sais pas, c'est peut-être parce qu'on est en Occident, j'étais en train de penser à l'Égypte, où c'était plus des fibres végétales parce qu'il y avait une production. En fait, tout dépend de l'endroit où tu vis, où tu habites, et puis ta clientèle, qu'est-ce qu'elle produit comme type de fibre. En fonction du climat, en fonction de l'endroit, ça dépend beaucoup. Mais je ne sais pas, je n'ai pas d'études sur la globalité des fibres qui sont produites. dans le monde entier. Mais la laine, c'est quand même une fibre qui a des particularités, des propriétés. Elle garde la chaleur, elle protège de l'humidité, elle est facile quand même à travailler, facile à teindre, facile à filer. Et en même temps, ça permet... Il y a aussi l'élevage derrière de moutons qui va avec le tout début de l'humanité au néolithique. Donc c'est un des fondements. de l'humanité que d'élever des animaux et de produire des éléments qui vont avec. Après, on peut dire aussi que de la même chose du monde végétal. Je ne pourrais pas te dire pourquoi.

  • Speaker #2

    Mais pour toi, c'est parce que les gens globalement te demandent de la laine ?

  • Speaker #0

    La demande est la laine. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je pense que c'est vraiment un matériau qui est très souple, très facile à travailler, très agréable, qui s'entretient très bien, qui a une bonne tenue. Mais bon, on peut dire la même chose du lin. Après, je ne sais pas, une question de mode. Les modes, ça bouge. Aujourd'hui, je... Le lin, le mohair reviennent vraiment en force.

  • Speaker #2

    Oui, c'est sûr que le lin, on en parle de plus en plus. D'ailleurs, la France est le premier producteur de lin.

  • Speaker #0

    Oui, parce que c'est toute l'approche écologique qui est en train de faire bouger nos productions. Parce que regarder comment chaque fibre est produite et penser à son impact sur l'environnement. Tout d'un coup, des fibres comme le lin, qui n'ont pas besoin d'irrigation, qui ont juste besoin de l'eau, qui tombent de la pluie pour le fabriquer, aujourd'hui, c'est des fibres qui vont monter en valeur et on va redonner de l'intérêt parce qu'en fait, on regarde, nous les humains, ce qu'on recherche. Ce n'est plus seulement un produit, mais son histoire, comment il est fabriqué et au regard de son impact écologique. Donc ça bouge, ça bouge. Le lin vient en profit du coton, même si j'imagine que le coton... C'est une fibre qui est énormément utilisée pour l'industrie du vêtement. Mais je pense que le lin est en train de grignoter tout doucement des parts de marché.

  • Speaker #2

    Donc j'en reviens à ma question de base, qui était, si on prend par exemple justement la production avec de la fibre animale, quel est dans les grandes lignes ton processus, comment on en vient à une pelote de laine teintée ?

  • Speaker #0

    Donc je pars de la laine, la plupart du temps couleur naturelle. On l'appelle écrue. Chaque laine a son écrue, sa teinte. Il y a des laines plus ou moins jaunes, plus ou moins grises, plus ou moins... Là, si tu regardes ici, ce ne sont que des laines naturelles.

  • Speaker #2

    Et sachant qu'il y en a des marrons.

  • Speaker #0

    La noire du velay, elle est marron très foncé, il y en a des grises, des plus écrues, plus beiges que d'autres. Donc, on va partir de l'écrue de la laine. Alors, la plupart du temps, on travaille avec des écrues qui sont assez claires en teinture. Et donc, on va plonger la fibre pour ouvrir ses écailles tout doucement. Parce qu'en fait la laine a des écailles et quand tu feutres la laine, tu lui fais faire un choc thermique. Et du coup les écailles s'ouvrent et elles ne se referment plus. C'est pour ça que la laine feutrée s'est éboriffée. Tu as ces petits écailles qui sont ouverts et qui ne sont plus fermés. En teinture, l'idée c'est d'ouvrir ces écailles et de faire pénétrer le colorant à l'intérieur au cœur de la fibre et de les laisser se refermer tout doucement. Donc en fait on va faire très attention au rythme d'ouverture de ces écailles. Donc on va y aller très très lentement pour ne pas casser la faculté naturelle qu'a la laine d'ouvrir son écaille et de le fermer. Donc on va faire une montée en température très très progressive. On va partir à peu près 30 degrés, on va plonger donc la laine écrue naturelle dans un bain d'eau chaude avec un sel de 30 degrés. Et on va augmenter tout doucement sa température. 30-40 degrés. Ensuite, on va le laisser environ un quart d'heure, 20 minutes pour que les écailles commencent à s'ouvrir tout doucement et que la fibre se prépare. Ensuite, on va faire le process industriel qui est en fait défini avec ce type de pigments synthétiques. On utilise normalement une recette. Donc on pèse pour chacun des coloris l'ensemble des colorants et on les met à un instant T du process. Normalement, cet instant T, il est là. Les écailles s'ouvrent, on commence à faire, soit on met la totalité du colorant, qui est le pigment dilué dans de l'eau chaude et concentrée. On fabrique un colorant à partir des pigments et on le met en une ou deux ou trois fois, tout dépend si le coloris est clair ou foncé. Et on fait chauffer tout doucement la laine. Donc du coup, le pigment commence à pénétrer tout doucement dans la laine jusqu'à environ 60 degrés. À 60 degrés. On acidifie, c'est-à-dire qu'on rajoute de l'acide acétique, du vinaigre, pour ouvrir encore davantage les écailles. Et ensuite, on fait monter jusqu'à 100 degrés. Et on laisse refroidir tout doucement jusqu'à ce que le bain s'épure. C'est-à-dire que la quasi-totalité du colorant qu'on a mis à l'intérieur du bain est migré dedans la fibre. Ça, c'est le process industriel. Moi, comme je travaille sans recette, je ne sais pas combien de colorant je vais mettre et quelle dose. Donc en fait je vais faire des adjonctions de colorants multiples. Je vais le faire petit à petit. Sauf que si je mets le colorant à il ne va pas se poser sur la fibre de manière unie. Donc par exemple je ne peux pas faire d'adjonction trop de colorant à partir de Certains colorants sont plus malléables que d'autres. Ou s'il y a trop d'acide, je ne peux plus non plus rajouter de colorant. Donc en fait, ça c'est le process de base, mais en fait je ne l'applique jamais. Parce que comme je n'ai pas de recette, je navigue un peu dans ces eaux-là pour arriver. En fait, je vais jouer sur le temps. C'est-à-dire, je vais mettre plus de temps. Par exemple, une teinte faite avec des pigments synthétiques et une recette, elle se fait en 3-4 heures. Moi, si je travaille bien, je vais mettre une journée. Du coup, par exemple, le fait de ne pas tout le temps monter à 100 degrés, je vais le compenser par le temps que je vais passer. Et je vais chauffer, puis refroidir, puis laisser réchauffer, puis refroidir. Voilà, en fait, disons que je vais composer. à partir de ce process-là et à partir des limites de ce que la matière peut supporter et des limites d'activité du colorant, en fait.

  • Speaker #2

    C'est une question que je n'ai jamais posée, mais je me demandais pour toi, quelle est la qualité principale d'un teinturier ?

  • Speaker #0

    Alors, ça dépend si ce teinturier est industriel et il fait des recettes ou si c'est un teinturier comme moi qui travaille à l'œil.

  • Speaker #2

    Oui, artisanal.

  • Speaker #0

    Tu peux être artisanal et avoir des recettes. Moi, je travaille à l'œil. Observer, savoir observer.

  • Speaker #2

    Bah oui, parce que j'allais dire, en plus, la réflexion que je me faisais, c'est que là, tu sortais des fils de la cuve. Un fil mouillé, c'est du tout la même teinture qu'un fil sec.

  • Speaker #0

    Non, ce n'est pas la même couleur.

  • Speaker #2

    Oui, donc en fait, je me dis, mais en fait, il faut l'œil de dire, alors là, il est mouillé. Quand il va sécher, il sera à peu près comme j'ai envie. Enfin, ça doit être hyper complexe.

  • Speaker #0

    Alors, ce n'est pas forcément comme j'ai envie, mais comme je travaille sur commande, je réponds à des commandes. Donc, comme le client le souhaite. Et oui, effectivement, une fibre mouillée et une fibre sèche reflètent la teinte. d'une manière complètement différente. Donc, soit je connais la fibre sur laquelle je travaille, auquel cas j'anticipe. À force de travailler, je sais à peu près comment ça va devenir. Mais dès que je m'approche vraiment de la teinte, je prends un écheveau, je le prélève, je l'essore et je le sèche et je vérifie.

  • Speaker #2

    Ah, tu peux, ouais.

  • Speaker #0

    Ah, c'est ce que je fais, oui.

  • Speaker #2

    Tu n'attends pas que ce soit complètement sec pour voir si tu as échoué ou réussi.

  • Speaker #0

    Je le sèche au ventilateur parce qu'au sèche-cheveux, la chaleur, ça modifie la teinte. Donc, je le sèche au ventilateur. Alors, il n'est pas... complètement, complètement, complètement, la fibre n'est pas complètement sèche parce que du coup je sèche, une fois que j'ai terminé la teinte la fibre sèche à l'air libre, donc en fonction du temps qu'il fait, ça prend plus ou moins longtemps, mais du coup la fibre est vraiment respectée, la couleur aussi, parce que c'est comme nous, tu laisses tes cheveux sécher à l'air libre naturel et tu les sèches avec des sèches cheveux, le résultat est complètement différent en fait. Donc du coup, ce petit mouvement de la teinte qu'elle va prendre entre la fibre séchée et mouillée, il est différent cet intervalle en fonction des fibres. Sur la laine, il n'est pas très énorme. Sur la soie ou sur le coton, c'est énorme. Tu trempes une fibre de coton, une fibre de soie mouillée, tu es tellement foncée. Donc quand c'est des fibres que je connais, j'arrive à peu près à anticiper, mais parfois je travaille sur des fibres que je ne connais pas puisque soit je fournis la fibre et la teinte, soit le client m'envoie sa fibre et je la teins. Donc par exemple... Il y a un plumassier qui m'envoie ses plumes. Moi, je ne sais pas comment elle régisse ses plumes. Ou bien, il y a une circassienne qui travaille son agré, c'est la corde. Donc, en gros, c'est un boudin de coton sur lequel elle monte et elle fait des figures. Elle voulait un tie-and-dye pour son spectacle. Moi, je n'avais jamais teint de boudin de coton. Donc, je ne sais pas forcément comment ça va réagir. Donc, la qualité première, c'est observer. Une fois, j'avais fait une émission de radio qui était organisée par... une association je crois, qui s'appelle Chimie et Terroir, qui justement fait confronter des artisans qui travaillent des processus chimiques et des chimistes. Et j'avais super peur parce que je me suis dit, mais moi je ne connais rien du tout en fait. Comme je travaille de manière empirique, je n'ai aucune connaissance sur les... Contrairement à un teinturier industriel qui lui a fait des études, lui il sait quelles réactions se font entre tel type d'atomes ou de molécules. Moi je les connais de manière empirique mais je suis incapable de les nommer. Donc du coup j'étais vraiment hyper mal à l'aise de me retrouver avec des chimistes. Je me suis dit, elle a honte, moi je ne connais rien du tout. Et en fait ils m'ont dit mais non mais non, c'est des chimistes punk. J'ai dit ok d'accord, je vais venir. Et ils savaient comment me parler. Du coup j'y suis allée et ça a été génial comme échange parce qu'en fait ils m'ont dit que la manière dont je travaillais c'était une technique extrêmement scientifique de recherche. Ils m'ont dit qu'en fait, ça s'apparentait à la recherche scientifique. C'est-à-dire qu'on est sans arrêt dans l'observation des processus chimiques et des réactions chimiques qui sont en train de se produire. On est sans arrêt en train de les regarder et on voit le résultat, on jauge en fonction de ce qu'on fait. C'est-à-dire que comme je fais une adjonction de colorant, je fais à chaque fois une hypothèse qui peut être fausse. Je peux me tromper. Quoi que ce soit, fausse mon jugement. Presque, je vais te dire que la matière principale avec laquelle je travaille, c'est mon jugé, c'est ma propre capacité d'assumer mes erreurs. C'est peut-être ce qu'il y a de plus dur à faire. Et en fait, finalement, c'est une approche scientifique empirique de recherche. Je pense que ce qui est le plus important, c'est savoir observer ce qui est en train de se passer. Et le mémoriser, parce qu'on n'écrit rien.

  • Speaker #2

    J'ai tellement de questions sur cette anecdote.

  • Speaker #0

    J'ai plein de pensées à te répondre, parce que j'y pense toute la journée à ce que je fais.

  • Speaker #2

    En fait, en gros, la mission de l'association Histoire d'artisans, c'est de valoriser l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche. Pourquoi ? Parce qu'en fait, je dirais que ça fait des centaines d'années qu'on ne parle de l'artisan qu'à travers sa main, et on ne parle pas du tout de son cerveau. Or, le cerveau d'un artisan, il est fait d'une expertise en physique et en chimie. Il sait exactement ce que son matériau va faire, les réactions chimiques et physiques de son matériau, avec de la chaleur, avec du froid,

  • Speaker #0

    avec de l'eau. Ce que tu es en train de me dire, c'est exactement la définition de mon métier de teinturière coloriste à l'œil par rapport à un teinturier ou une teinturière coloriste industrielle. Lui, son but, c'est chercher quel est le bon dosage, quelle est la bonne recette. Et donc lui, il ne sait pas forcément comment le jaune réagit par rapport au rouge et par rapport au bleu, parce qu'on travaille avec les trois couleurs primaires simplement, jaune, rouge, bleu. Donc du coup, il y a plusieurs jaunes, plusieurs rouges, plusieurs bleus, mais la décomposition, c'est combien de jaunes, combien de rouges, combien de bleus. Et en fait, lui, il ne sait pas forcément, lui ou elle, ils ne savent pas forcément que le rouge, il va monter dans un second temps et que c'est d'abord le jaune qui monte. Et que... Le bleu, peut-être que lui, c'est lui qui monte en premier et le rouge, c'est avec l'acide, par exemple. C'est-à-dire que ça, ce sont des micros. Et les industriels, ils ne le savent pas non plus. Ce sont des micro-mouvements qu'en fait, toute la journée, j'observe et que je note et le savoir-faire et qu'on m'a transmis. Mais finalement, ce qu'on m'a transmis, effectivement, c'est un savoir-faire d'observation, mais c'est aussi la capacité de continuer à observer des nouvelles approches et des nouveaux matériaux et des nouveaux process. C'est-à-dire que la différence entre un teinturier industriel et moi, même si en industriel, bien sûr qu'on peut être challengé, mais on ne sera pas challengé de la même manière. C'est-à-dire qu'en fait, je travaille toute la journée avec quelque chose que je ne maîtrise pas. Et les gens me disent Vous maîtrisez votre savoir-faire Moi, je ne maîtrise rien du tout, en fait. Mais non, je ne maîtrise rien du tout. Et plus tu essayes de maîtriser et plus tu échappes. En fait, moi, j'observe ces fonctionnements, j'observe ces réactions. et je les utilise parfois à mes dépens. Et d'ailleurs, c'est comme ça que je me suis mise à créer des teintures irrégulières. C'est à partir d'erreurs. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est vachement intéressant. On est tout le temps en train de chercher un unisson de la couleur. Il y a beaucoup de vocabulaire qui ressemble à la musique. On fait des gammes colorées. On a un unisson de la couleur. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est quelque chose qui peut être le fait que la couleur soit vivante, qu'elle ne soit pas sur... tout le long de l'écheveau, sur tout le long du fil ou de la fibre de la même teinte. Ça peut créer des choses différentes. Mais à la base, c'est à partir d'erreurs.

  • Speaker #2

    C'est de l'impro, c'est du jazz.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, oui, c'est oui. Et pédagogiquement, quand on transpose le travail de teinturier au travail du musicien, et bien là, tout d'un coup, c'est plus facile pour les gens de comprendre. C'est-à-dire que soit on a une partition, on a une recette, soit on n'en a pas et on le fait au feeling, enfin au feeling, non. On s'appuie sur d'autres, je ne m'appuie pas sur mon feeling, mais si, je suis obligée de m'appuyer sur ce canal-là, mais le feeling, ça ne suffit pas. Il faut aussi mémoriser, il faut être attentif et il faut savoir observer. Vraiment, c'est une forme de contemplation active. C'est l'état le plus difficile à maintenir dans une journée.

  • Speaker #2

    Ah ouais, ça doit être hyper énergivore.

  • Speaker #0

    C'est pas ça, c'est qu'en fait, c'est une forme de centrage, cette attention, tu vois. T'es attentif, actif. mais pas trop. Parce que si tu veux trop, tu vas faire une erreur de dosage, tu vas vouloir aller trop vite. Si tu veux aller vite, si tu as une deadline et que tu dis ça doit être prêt, tu vas le foirer. Parce qu'en fait, ce sont que des hypothèses que tu émis. Chaque chose, est-ce que je mets l'acide maintenant ? Est-ce que je chauffe ? Est-ce que je rajoute du colorant ? Est-ce que je mets plus de jaune ? Et en fait, toutes ces questions-là, elles sont pertinentes quand tu as vraiment une forme de centrage et que tu ressens ce qui est en train de se passer. Tu ressens l'eau, tu ressens la matière, comment elle prend le colorant, est-ce qu'elle souffre, est-ce qu'elle ne souffre pas, comment elle fonctionne. Et c'est cette attention-là qui fait que ce n'est pas le même état que par exemple quand toi et moi on parle. Donc quand quelqu'un vient pour me parler, je me mets dans un autre état. Je suis obligée de sortir dans mon état de concentration. Mais parfois, quand il m'arrive des choses, par exemple personnelles, un peu difficiles, parfois j'ai du mal à me mettre dans cet état de concentration parce que je vais penser à... Ma fille qui fait des conneries ou n'importe quoi qui me stresse ou une engueulade que j'ai eue ou un problème que je vais avoir dans ma vie ou de santé ou autre chose. Et du coup, voilà, c'est plus maintenir cet état-là toute une journée entière qui est difficile et en même temps, c'est ce qui me plaît dans mon travail parce qu'il me protège. J'aime être dans cet état-là. C'est difficile de l'avoir, difficile de le trouver, mais quand je l'ai, ça fait un bien fou.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion d'échanger avec des souffleurs de verre. Je vois beaucoup de similitudes parce que pour avoir quand même rencontré un certain nombre de métiers, les souffleurs de verre qui travaillent aussi avec des pigments chimiques, en fait le verre c'est un matériau, quand il est liquide, il va avoir une mémoire du geste. Donc quand une fois, je ne sais pas si tu as déjà vu des souffleurs de verre, mais des souffleurs de verre, ils cueillent du verre liquide et ils vont passer leur temps à... refroidir le verre, réchauffer le verre, refroidir le verre, réchauffer le verre.

  • Speaker #0

    Jusqu'à avoir leur forme.

  • Speaker #2

    Jusqu'à avoir leur forme. Et en fait, si t'es stressé, si t'es pas doux avec le verre, le verre, il va réagir d'une certaine façon. Il va potentiellement se casser plus facilement parce que tu lui auras transmis son stress. Et du coup, il y a beaucoup de souffleurs de verre qui commencent, qui ont besoin de musique ou qui ont besoin d'une séance de méditation avant de commencer, d'étirement. En fait, il faut se mettre dans un état mental où tu dois te relaxer pour... avoir cette capacité à parler au vert. Et je ressens des similitudes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est assez proche. C'est assez proche. Et en même temps, c'est très drôle ce que tu me dis parce que je pense que ce qui a ouvert ma vocation, qui m'a donné l'envie d'être artisan, c'est une visite à l'école primaire en CM1. Tu as vu, je m'en souviens, j'ai 47 ans quand même. Je me souviens de cette visite. On avait vu dans la même journée un boulanger et un souffleur de verre. Et je me souviens de la magie que j'ai ressentie. et je me suis fait une espèce de force des éléments, le feu, le verre, le liquide, le solide, le froid, le chaud, la fumée. J'ai trouvé ça d'une... Enfin, je sais que quand j'étais petite, je ne peux pas dire comment je l'ai trouvé parce que je pense que je ne conceptualisais pas trop, mais ça m'a émue. Je pense que ça m'a bouleversée même. Et du coup, c'est marrant que tu me dis ça parce que je pense que c'est un homme, c'est un souffleur de verre qui m'a ouvert les portes dans ma tête. d'artisanat. Je pense que je l'ai enfouie ensuite. Il y a quelque chose qui s'est passé dans ce que j'ai ressenti là et que j'ai... peut-être j'ai eu envie d'être à sa place. J'avais envie de vivre ce que je voyais en tant que spectatrice, j'avais envie de le vivre en tant qu'actrice ou créatrice, je sais pas quel mot utiliser, celui qui fait, feuseuse.

  • Speaker #2

    Bah du coup j'ai hâte d'être à l'épisode 2 pour que tu racontes tout ça en détail. J'avais juste une dernière question sur la matière et le matériau. C'était justement, on faisait ce parallèle entre pigment naturel et pigment... Donc on dit pigment synthèse.

  • Speaker #0

    Pigment de synthèse.

  • Speaker #2

    Pigment de synthèse. Donc ce parallèle entre pigment naturel et pigment de synthèse. Moi, de prime abord, tu me parles de pigment de synthèse. J'imagine quelque chose d'hyper dangereux pour la santé. Je vois les usines en Chine, avec les mecs qui ont des malformations, des maladies, des machins, des trucs. Est-ce que tu utilises les mêmes que... Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est dangereux ? Ou est-ce que c'est parce qu'en fait, ils ne sont pas du tout protégés ? Ils en côtoient des centaines de kilos par jour. Ce terme de pigment de synthèse, il fait un peu peur, je trouve.

  • Speaker #0

    Bien sûr que le pigment de synthèse qu'on utilise aujourd'hui, dans ce que je te disais tout au début, ce n'est pas le même que celui qu'on utilisait tout au début de la révolution industrielle. Il s'est écologisé, entre guillemets, avec le temps, à ma connaissance. Je ne connais pas de teinturier qui soit mort d'une maladie professionnelle en utilisant la synthèse, bien qu'on n'utilise pas de gants. Bien sûr que le pigment en lui-même, il a une empreinte écologique très négative. D'où l'importance de travailler à épuration de bain. Et pour qu'il y ait le moins de rejet de colorant possible, parce que c'est le colorant. Disons que nous, en teinture synthétique, c'est le pigment qui est nocif pour l'environnement. Et puis... pas le bain, pas ce qu'on met dans le bain. On met sel et vinaigre. Alors qu'en teinture naturelle, c'est plus l'inverse. C'est plus le mordansage, ce qu'on met pour faire le lien, en gros, entre le pigment naturel et la fibre qui, lui, a été peu écologique. Et pareil, en teinture naturelle, les pratiques sont en train de changer parce que, tout d'un coup, c'est comme pour les matières, en fait. Il y a des manières et des process de travailler qui ont été oubliées, qui sont en train d'être mis au goût du jour. Et j'imagine que, à terme, D'ailleurs, il y a Jean-Philippe Trappe de la Cité de la Tapisserie. qui m'a envoyé hier un message pour me parler d'une start-up toulousaine qui est en train de développer des pigments biosourcés, des pigments synthétiques biosourcés. Et là, ils sont en train de sortir leur premier colorant indigo. Là, ils viennent d'avoir 4 millions d'aides pour leur recherche. Et je pense que les pigments que j'utilise aujourd'hui, qui sont fabriqués par l'industrie pétrochimique, vont être, je pense, supplantés par de nouveaux pigments. Mais comme on est en retard, enfin, je veux dire, l'humanité, elle est un peu en retard sur elle-même. En tout cas, sur cette question-là de produire des choses en pensant à leur impact et pas seulement aux produits et aux profits. Du coup, je pense que les pigments que j'utilise un jour seront supplantés par des pigments qui seront biosourcés et tant mieux. En tout cas, ceux que j'utilise aujourd'hui, bien sûr, ils ont un impact négatif. Je fais très attention à ce que j'utilise et pour répondre à ta question, ceux que j'utilise, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, il y a certains pigments, par exemple, que mon prédécesseur utilisait à des process. qui aujourd'hui sont interdits. Je ne suis pas sûre que, malheureusement, l'ensemble du monde ait des normes. On aime bien nous normer chez nous, mais faire produire selon des non-normes ou des normes dégueulasses ailleurs, et puis nous, on l'achète pour pas cher, et puis ça nous déculpabilise. C'est un peu ça. Mais bon, moi, vivant en Europe et travaillant en Europe, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, ils n'ont pas un degré de nocivité énorme. Bien sûr que si je les mange et que j'inhale un kilo de poudre... Oui, je pense que je vais avoir des dégâts neurologiques, mais ça ne m'arrive pas.

  • Speaker #2

    Ce que tu me disais en off, c'est que quand tu les manipules, tu mets un masque ?

  • Speaker #0

    Non, simplement quand je les transvase. Quand je les transvase, c'est le moment où en fait, ils volent. Voilà, c'est volatile. Donc, c'est là où je vais en avoir dans le nez, par exemple. Donc là, je mets un masque. Mais sinon, pas du tout. J'ai une cuillère qui ressemble un peu à une louche avec une cuillère à soupe. Et je prends un tout petit peu de pigment. dans la cuillère à soupe que je pose dans la louche et ensuite, je les dilue dans l'eau. Une fois qu'ils sont dilués dans l'eau, voilà. Mais je prends des cuillères à café, même pas, des demi, voire des tiers, voire des cinquièmes, voire des dixièmes. J'en utilise très, très peu, en fait. Un kilo de pigments, ça peut me faire une année, voire deux années, quoi. Ça dépend des pigments. J'utilise peu de pigments parce qu'ils sont forts en concentration. Maintenant, évidemment que s'il y a une concentration énorme, là, bien sûr, ils peuvent être dangereux.

  • Speaker #2

    Trop bien. Eh bien... Merci beaucoup Nadia, c'était très intéressant. Et puis je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Et merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci. Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur le métier avec Nadia Petkovic, teinturière, vous aura plu. Dans le prochain épisode, elle nous racontera sa rencontre avec sa teinturie et comment elle a su trouver sa voix dans cet univers. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note, un commentaire et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Vous pouvez nous retrouver sur Instagram pour découvrir le métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast.histoirel'artisan.com En attendant, je vous dis à bientôt avec une nouvelle histoire.

Description

Dans cet épisode nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l’univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. A travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l’industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l’observation nécessaires à chaque étape du processus de teinture. 


Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d’Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO en 2009. 

Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ces savoir-faire français renommés.


Histoires d’Artisans est l’association qui valorise l’ingénierie des artisans d’art en mettant en avant l’innovation, le design et la recherche au sein des ateliers. Ce podcast est le reflet d’un univers merveilleux et beau et où le bien fait et les matériaux sont au centre des discussions.


Liens de l’épisode : 

Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson

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Nadia Petkovic

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Histoires d’Artisans

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Le Carnet des Innovations


Production et réalisation : Lisa Millet

Montage et musiques : Quentin Blic


Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast@histoiresdartisans.com.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans mon atelier.

  • Speaker #1

    Bienvenue dans le podcast d'Histoire d'artisan. Je suis Lisa Millet, présidente de l'association Eponyme. Histoire d'artisan valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Aujourd'hui, nous accueillons Nadia Petkovic, teinturière. Elle nous plonge dans l'univers fascinant de la teinture, entre pigments naturels et synthétiques. À travers l'histoire des pigments de synthèse, elle nous explique comment ces nouveaux procédés ont transformé l'industrie textile. Elle nous partage également la minutie et l'observation nécessaire à chaque étape du processus de teinture. Cet épisode a pu exister grâce au soutien de la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson. Consacré au rayonnement de la tapisserie, ce musée et centre de formation est né à la suite de l'inscription de la tapisserie d'Aubusson au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2009. Cet épisode est donc une façon de contribuer au rayonnement de ce savoir-faire français renommé. Belle écoute !

  • Speaker #2

    Bonjour Nadia et merci de m'accueillir dans ton atelier. Nadia, tu es teinturière et dans ce premier épisode du podcast, tu vas nous raconter ce qu'est le métier de teinturier. Donc, si j'ai bien compris, toi tu travailles avec des pigments de synthèse. Oui. Est-ce que tu peux nous parler un peu de l'apparition de ces pigments ?

  • Speaker #0

    Alors, les pigments synthèse, ils apparaissent fin du 19e siècle avec la révolution industrielle, c'est-à-dire qu'avant, la totalité des couleurs qui étaient produites... par l'humanité étaient faites à partir de pigments naturels. Donc, révolution industrielle oblige, on arrive à des nouveaux progrès techniques et technologiques, dont les pigments de synthèse. Et ça, c'est une vraie révolution pour l'industrie, de manière générale, de la couleur, que ce soit de la peinture, de la teinture, mais en tout cas, pour ce qui est du domaine textile, c'est une énorme révolution parce que les pratiques changent. C'est-à-dire que, un, on a quand même un nombre de possibilités de fabriquer des nuances. plus grand, on obtient un champ plus large de teintes. J'ose pas dire plus facilement parce qu'en vrai, c'est pas plus facile. C'est juste deux approches différentes que nous, l'humanité, on est arrivés à créer. C'est pas forcément plus facile de travailler en synthèse qu'en naturel. C'est juste deux approches différentes. C'est comme tricoter un pull à la main ou le tricoter avec une machine. Bien sûr que c'est plus facile avec une machine, mais on a d'autres problématiques en fait. On cherche pas la même chose. Alors après, dire que la teinture naturelle s'est faite à la main. En tout cas, il y a une notion de échelle industrielle qui arrive et à laquelle les pigments de synthèse répondent. Il y a aussi la possibilité d'avoir un pigment stable. Si on change, si on a un nouveau lot de pigments de synthèse, par exemple de jaune, il va être stable. Moi, je vais voir légèrement la différence, mais c'est vraiment très, très, très léger. Alors qu'entre deux lots d'une plante ou d'un minéral, la différence sera beaucoup plus importante. Donc du coup, il y a plus de confort. Je pense que ça coûte moins cher aussi à fabriquer et à produire. Et on peut du coup développer des process qui peuvent garantir une solidité. Par exemple, mes pigments actuels, parce qu'entre le début de l'arrivée des pigments fin 19e et aujourd'hui, évidemment, il y a une évolution énorme. Mais en tout cas, mes pigments sont classés selon des normes européennes. Alors je vais schématiser, synthétiser. peut-être simplifié, mais c'est des coefficients de, entre guillemets, délavage. Parce qu'aucun colorant ne tiendra dans le temps, le grand temps, sauf s'il est conservé dans des conditions extrêmes, comme par exemple les portraits du Fayoum, ou ils ont été dans le désert enfouis, il y avait la chaleur, pas d'humidité, etc. Mais c'est tellement rare. Donc du coup, ils ont des coefficients de délavage et c'est classé selon des normes européennes. Donc ça aussi, ça permet une garantie au niveau de savoir la solidité du pigment.

  • Speaker #2

    Ce que j'avais compris aussi, c'est qu'avec un pigment dit naturel, tu ne peux pas colorer tout type de fibre.

  • Speaker #0

    Alors moi, je ne suis pas teinturière naturelle. Maintenant, j'ai fait une formation d'indigo, je suis quelqu'un de curieux, je ne suis pas dans l'opposition et donc j'ai certaines connaissances. Et du coup, je ne veux pas dire de bêtises, je vais partir juste de ce que je connais. Mais c'est quoi la question ? Répète.

  • Speaker #2

    C'est qu'en fait, par exemple, le polyester, pour moi, tu ne pouvais pas le teinter avec la teinture naturelle.

  • Speaker #0

    C'est possible, en vrai. Je ne me suis jamais posé cette question-là, mais ça me paraît logique. Ça me paraît logique que les fibres fabriquées par l'industrie pétrochimique ne puissent pas être teintes avec des pigments naturels. Ça me paraît d'une logique implacable. Maintenant, j'en sais rien. Franchement, je ne me suis jamais posé la question. Elle est intéressante. Et du coup, vous aurez peut-être demandé ça à une teinturière ou un teinturier naturel qui te répondra.

  • Speaker #2

    J'avais fait un stage d'initiation, enfin vraiment une initiation à la teinture végétale. Et en fait, on avait le choix entre du coton, de la laine et de la soie. Parce qu'elle nous disait, chez vous, si vous voulez le reproduire, vous ne pourrez pas le faire sur n'importe quelle fibre.

  • Speaker #0

    D'accord, ok. Parce qu'en fait, tu as les fibres naturelles, tu as les fibres artificielles et les fibres synthétiques. Donc, est-ce que les artificielles qui sont faites à partir... d'éléments naturels, mais selon des process industriels. Est-ce que celle-là, elle marche en vrai ? Je ne sais pas, c'est une bonne question.

  • Speaker #2

    Du coup, s'il y a des gens qui ont la réponse et qui nous écoutent, je veux bien. Bon,

  • Speaker #0

    après, je ne sais pas, c'est une question. En tout cas, avec les pigments synthétiques, on peut teindre tout type de fibres. Après, il y a différentes catégories de pigments.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu peux nous parler justement de ces différentes catégories de pigments ?

  • Speaker #0

    Par exemple, il y a des pigments pour le polyester que moi, je n'utilise pas. Et aussi des machines, des cuves qu'on utilise. pour teindre le polyester, ce qu'il faut monter à 130 degrés. Donc ça, moi, je ne les ai pas. Il n'y a que l'industrie, en fait, qui teint du polyester. Et moi, je fais de la teinture artisanale, donc je n'ai aucune demande de faire du polyester. Pour l'acétate aussi, c'est une catégorie différente du colorant. Je ne les connais pas toutes. Celles que j'utilise, j'utilise les colorants acides pour les fibres animales et des colorants réactifs pour les fibres végétales. Donc, il existe les colorants directs et les colorants réactifs, qui sont deux catégories... colorants différents. Moi, j'utilise des colorants réactifs pour toutes les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Est-ce que, pour vraiment repartir de la base, tu peux nous lister les fibres animales et les fibres végétales ?

  • Speaker #0

    Alors, les fibres animales sont toutes les fibres qui sont issues d'animaux. Alors, principalement de poils, donc nos cheveux, par exemple. Nos cheveux sont une fibre animale. Le crâne de cheval, la laine du mouton. En fait, dès que la fibre provient d'un animal, les trois quarts du temps, c'est un poil. Donc elle est catégorisée d'un fibre animal parce qu'elle a la même structure moléculaire. Elle est faite d'écailles, sauf la soie.

  • Speaker #2

    J'allais dire la soie,

  • Speaker #0

    c'est considéré comme une fibre animale. Mais qui se teint vraiment de manière différente. Et oui, parce que ce n'est pas un poil. C'est dur. Et en plus, il y a des molécules dans la soie qui sont hydrophobes. Ah, donc voilà,

  • Speaker #2

    ça n'aide pas.

  • Speaker #0

    C'est comme en teinture naturelle quand tu veux teindre. avec de l'indigo alors que l'indigotine, la molécule, n'est pas soluble dans l'eau.

  • Speaker #2

    Mais c'est vrai que tu dois tout le temps touiller ta cuve d'indigo.

  • Speaker #0

    Non, il faut trouver un moyen de la rendre soluble dans l'eau. C'est tout l'enjeu de l'indigo. C'est toute la difficulté. On peut transposer cette difficulté-là à la soie qui a du mal à mouiller, qui a du mal à prendre la couleur, la tenir. C'est une fibre qui est plus difficile à tendre que les autres.

  • Speaker #2

    Donc, on a animal avec soie de côté et ensuite...

  • Speaker #0

    Qui sont des poils. Poils de yaks, poils de chameaux, poils de cheval.

  • Speaker #2

    Angora.

  • Speaker #0

    Lapin. Chèvre. Moër.

  • Speaker #2

    Lama. Non, alpaga. Si,

  • Speaker #0

    lama, alpaga, vigogne, yak. Bref, chameaux. Voilà, tous les animaux qui ont des poils et une toison, en fait. Et tu as les fibres végétales qui sont issues du monde végétal, type coton, type... lin, chanvre, orties.

  • Speaker #2

    Ah oui, il y a des fibres d'orties ? Oui,

  • Speaker #0

    il y a de la fibre d'orties, oui.

  • Speaker #2

    Je ne savais pas.

  • Speaker #0

    Donc voilà, tu as les fibres végétales.

  • Speaker #2

    Donc on a parlé des différents types de pigments, des différentes fibres. Et donc toi, tu me disais que tu travailles avec tout type de fil ou de fibre.

  • Speaker #0

    Sophacétate.

  • Speaker #2

    Sophacétate. Et polyester. Parce que ça demande des pigments et des températures différentes. Et donc concrètement, un processus de production d'une fibre teintée. quel est-il ?

  • Speaker #0

    Alors, je vais partir sur des fibres animales, oui, parce que, en tout cas, pour ce qui est de mon cas, je ne sais pas combien ça représente en pourcentage, je ne vais pas calculer, mais comme ça, globalement, je dirais que c'est 80-90% de ce que je produis comme teintes, elles sont sur une fibre animale, et globalement sur de la laine, donc de la laine de mouton. Même si en ce moment c'est la mode du mohair, mais je n'en fais pas tant que ça.

  • Speaker #2

    Est-ce que tu saurais, je fais une aparté dans ma question, est-ce que tu saurais expliquer... pourquoi ça fait partie de 80% de tes prods ?

  • Speaker #0

    Pourquoi ? J'imagine que dans l'histoire des fibres, après, je ne sais pas, c'est peut-être parce qu'on est en Occident, j'étais en train de penser à l'Égypte, où c'était plus des fibres végétales parce qu'il y avait une production. En fait, tout dépend de l'endroit où tu vis, où tu habites, et puis ta clientèle, qu'est-ce qu'elle produit comme type de fibre. En fonction du climat, en fonction de l'endroit, ça dépend beaucoup. Mais je ne sais pas, je n'ai pas d'études sur la globalité des fibres qui sont produites. dans le monde entier. Mais la laine, c'est quand même une fibre qui a des particularités, des propriétés. Elle garde la chaleur, elle protège de l'humidité, elle est facile quand même à travailler, facile à teindre, facile à filer. Et en même temps, ça permet... Il y a aussi l'élevage derrière de moutons qui va avec le tout début de l'humanité au néolithique. Donc c'est un des fondements. de l'humanité que d'élever des animaux et de produire des éléments qui vont avec. Après, on peut dire aussi que de la même chose du monde végétal. Je ne pourrais pas te dire pourquoi.

  • Speaker #2

    Mais pour toi, c'est parce que les gens globalement te demandent de la laine ?

  • Speaker #0

    La demande est la laine. Pourquoi ? Je ne sais pas. Je pense que c'est vraiment un matériau qui est très souple, très facile à travailler, très agréable, qui s'entretient très bien, qui a une bonne tenue. Mais bon, on peut dire la même chose du lin. Après, je ne sais pas, une question de mode. Les modes, ça bouge. Aujourd'hui, je... Le lin, le mohair reviennent vraiment en force.

  • Speaker #2

    Oui, c'est sûr que le lin, on en parle de plus en plus. D'ailleurs, la France est le premier producteur de lin.

  • Speaker #0

    Oui, parce que c'est toute l'approche écologique qui est en train de faire bouger nos productions. Parce que regarder comment chaque fibre est produite et penser à son impact sur l'environnement. Tout d'un coup, des fibres comme le lin, qui n'ont pas besoin d'irrigation, qui ont juste besoin de l'eau, qui tombent de la pluie pour le fabriquer, aujourd'hui, c'est des fibres qui vont monter en valeur et on va redonner de l'intérêt parce qu'en fait, on regarde, nous les humains, ce qu'on recherche. Ce n'est plus seulement un produit, mais son histoire, comment il est fabriqué et au regard de son impact écologique. Donc ça bouge, ça bouge. Le lin vient en profit du coton, même si j'imagine que le coton... C'est une fibre qui est énormément utilisée pour l'industrie du vêtement. Mais je pense que le lin est en train de grignoter tout doucement des parts de marché.

  • Speaker #2

    Donc j'en reviens à ma question de base, qui était, si on prend par exemple justement la production avec de la fibre animale, quel est dans les grandes lignes ton processus, comment on en vient à une pelote de laine teintée ?

  • Speaker #0

    Donc je pars de la laine, la plupart du temps couleur naturelle. On l'appelle écrue. Chaque laine a son écrue, sa teinte. Il y a des laines plus ou moins jaunes, plus ou moins grises, plus ou moins... Là, si tu regardes ici, ce ne sont que des laines naturelles.

  • Speaker #2

    Et sachant qu'il y en a des marrons.

  • Speaker #0

    La noire du velay, elle est marron très foncé, il y en a des grises, des plus écrues, plus beiges que d'autres. Donc, on va partir de l'écrue de la laine. Alors, la plupart du temps, on travaille avec des écrues qui sont assez claires en teinture. Et donc, on va plonger la fibre pour ouvrir ses écailles tout doucement. Parce qu'en fait la laine a des écailles et quand tu feutres la laine, tu lui fais faire un choc thermique. Et du coup les écailles s'ouvrent et elles ne se referment plus. C'est pour ça que la laine feutrée s'est éboriffée. Tu as ces petits écailles qui sont ouverts et qui ne sont plus fermés. En teinture, l'idée c'est d'ouvrir ces écailles et de faire pénétrer le colorant à l'intérieur au cœur de la fibre et de les laisser se refermer tout doucement. Donc en fait on va faire très attention au rythme d'ouverture de ces écailles. Donc on va y aller très très lentement pour ne pas casser la faculté naturelle qu'a la laine d'ouvrir son écaille et de le fermer. Donc on va faire une montée en température très très progressive. On va partir à peu près 30 degrés, on va plonger donc la laine écrue naturelle dans un bain d'eau chaude avec un sel de 30 degrés. Et on va augmenter tout doucement sa température. 30-40 degrés. Ensuite, on va le laisser environ un quart d'heure, 20 minutes pour que les écailles commencent à s'ouvrir tout doucement et que la fibre se prépare. Ensuite, on va faire le process industriel qui est en fait défini avec ce type de pigments synthétiques. On utilise normalement une recette. Donc on pèse pour chacun des coloris l'ensemble des colorants et on les met à un instant T du process. Normalement, cet instant T, il est là. Les écailles s'ouvrent, on commence à faire, soit on met la totalité du colorant, qui est le pigment dilué dans de l'eau chaude et concentrée. On fabrique un colorant à partir des pigments et on le met en une ou deux ou trois fois, tout dépend si le coloris est clair ou foncé. Et on fait chauffer tout doucement la laine. Donc du coup, le pigment commence à pénétrer tout doucement dans la laine jusqu'à environ 60 degrés. À 60 degrés. On acidifie, c'est-à-dire qu'on rajoute de l'acide acétique, du vinaigre, pour ouvrir encore davantage les écailles. Et ensuite, on fait monter jusqu'à 100 degrés. Et on laisse refroidir tout doucement jusqu'à ce que le bain s'épure. C'est-à-dire que la quasi-totalité du colorant qu'on a mis à l'intérieur du bain est migré dedans la fibre. Ça, c'est le process industriel. Moi, comme je travaille sans recette, je ne sais pas combien de colorant je vais mettre et quelle dose. Donc en fait je vais faire des adjonctions de colorants multiples. Je vais le faire petit à petit. Sauf que si je mets le colorant à il ne va pas se poser sur la fibre de manière unie. Donc par exemple je ne peux pas faire d'adjonction trop de colorant à partir de Certains colorants sont plus malléables que d'autres. Ou s'il y a trop d'acide, je ne peux plus non plus rajouter de colorant. Donc en fait, ça c'est le process de base, mais en fait je ne l'applique jamais. Parce que comme je n'ai pas de recette, je navigue un peu dans ces eaux-là pour arriver. En fait, je vais jouer sur le temps. C'est-à-dire, je vais mettre plus de temps. Par exemple, une teinte faite avec des pigments synthétiques et une recette, elle se fait en 3-4 heures. Moi, si je travaille bien, je vais mettre une journée. Du coup, par exemple, le fait de ne pas tout le temps monter à 100 degrés, je vais le compenser par le temps que je vais passer. Et je vais chauffer, puis refroidir, puis laisser réchauffer, puis refroidir. Voilà, en fait, disons que je vais composer. à partir de ce process-là et à partir des limites de ce que la matière peut supporter et des limites d'activité du colorant, en fait.

  • Speaker #2

    C'est une question que je n'ai jamais posée, mais je me demandais pour toi, quelle est la qualité principale d'un teinturier ?

  • Speaker #0

    Alors, ça dépend si ce teinturier est industriel et il fait des recettes ou si c'est un teinturier comme moi qui travaille à l'œil.

  • Speaker #2

    Oui, artisanal.

  • Speaker #0

    Tu peux être artisanal et avoir des recettes. Moi, je travaille à l'œil. Observer, savoir observer.

  • Speaker #2

    Bah oui, parce que j'allais dire, en plus, la réflexion que je me faisais, c'est que là, tu sortais des fils de la cuve. Un fil mouillé, c'est du tout la même teinture qu'un fil sec.

  • Speaker #0

    Non, ce n'est pas la même couleur.

  • Speaker #2

    Oui, donc en fait, je me dis, mais en fait, il faut l'œil de dire, alors là, il est mouillé. Quand il va sécher, il sera à peu près comme j'ai envie. Enfin, ça doit être hyper complexe.

  • Speaker #0

    Alors, ce n'est pas forcément comme j'ai envie, mais comme je travaille sur commande, je réponds à des commandes. Donc, comme le client le souhaite. Et oui, effectivement, une fibre mouillée et une fibre sèche reflètent la teinte. d'une manière complètement différente. Donc, soit je connais la fibre sur laquelle je travaille, auquel cas j'anticipe. À force de travailler, je sais à peu près comment ça va devenir. Mais dès que je m'approche vraiment de la teinte, je prends un écheveau, je le prélève, je l'essore et je le sèche et je vérifie.

  • Speaker #2

    Ah, tu peux, ouais.

  • Speaker #0

    Ah, c'est ce que je fais, oui.

  • Speaker #2

    Tu n'attends pas que ce soit complètement sec pour voir si tu as échoué ou réussi.

  • Speaker #0

    Je le sèche au ventilateur parce qu'au sèche-cheveux, la chaleur, ça modifie la teinte. Donc, je le sèche au ventilateur. Alors, il n'est pas... complètement, complètement, complètement, la fibre n'est pas complètement sèche parce que du coup je sèche, une fois que j'ai terminé la teinte la fibre sèche à l'air libre, donc en fonction du temps qu'il fait, ça prend plus ou moins longtemps, mais du coup la fibre est vraiment respectée, la couleur aussi, parce que c'est comme nous, tu laisses tes cheveux sécher à l'air libre naturel et tu les sèches avec des sèches cheveux, le résultat est complètement différent en fait. Donc du coup, ce petit mouvement de la teinte qu'elle va prendre entre la fibre séchée et mouillée, il est différent cet intervalle en fonction des fibres. Sur la laine, il n'est pas très énorme. Sur la soie ou sur le coton, c'est énorme. Tu trempes une fibre de coton, une fibre de soie mouillée, tu es tellement foncée. Donc quand c'est des fibres que je connais, j'arrive à peu près à anticiper, mais parfois je travaille sur des fibres que je ne connais pas puisque soit je fournis la fibre et la teinte, soit le client m'envoie sa fibre et je la teins. Donc par exemple... Il y a un plumassier qui m'envoie ses plumes. Moi, je ne sais pas comment elle régisse ses plumes. Ou bien, il y a une circassienne qui travaille son agré, c'est la corde. Donc, en gros, c'est un boudin de coton sur lequel elle monte et elle fait des figures. Elle voulait un tie-and-dye pour son spectacle. Moi, je n'avais jamais teint de boudin de coton. Donc, je ne sais pas forcément comment ça va réagir. Donc, la qualité première, c'est observer. Une fois, j'avais fait une émission de radio qui était organisée par... une association je crois, qui s'appelle Chimie et Terroir, qui justement fait confronter des artisans qui travaillent des processus chimiques et des chimistes. Et j'avais super peur parce que je me suis dit, mais moi je ne connais rien du tout en fait. Comme je travaille de manière empirique, je n'ai aucune connaissance sur les... Contrairement à un teinturier industriel qui lui a fait des études, lui il sait quelles réactions se font entre tel type d'atomes ou de molécules. Moi je les connais de manière empirique mais je suis incapable de les nommer. Donc du coup j'étais vraiment hyper mal à l'aise de me retrouver avec des chimistes. Je me suis dit, elle a honte, moi je ne connais rien du tout. Et en fait ils m'ont dit mais non mais non, c'est des chimistes punk. J'ai dit ok d'accord, je vais venir. Et ils savaient comment me parler. Du coup j'y suis allée et ça a été génial comme échange parce qu'en fait ils m'ont dit que la manière dont je travaillais c'était une technique extrêmement scientifique de recherche. Ils m'ont dit qu'en fait, ça s'apparentait à la recherche scientifique. C'est-à-dire qu'on est sans arrêt dans l'observation des processus chimiques et des réactions chimiques qui sont en train de se produire. On est sans arrêt en train de les regarder et on voit le résultat, on jauge en fonction de ce qu'on fait. C'est-à-dire que comme je fais une adjonction de colorant, je fais à chaque fois une hypothèse qui peut être fausse. Je peux me tromper. Quoi que ce soit, fausse mon jugement. Presque, je vais te dire que la matière principale avec laquelle je travaille, c'est mon jugé, c'est ma propre capacité d'assumer mes erreurs. C'est peut-être ce qu'il y a de plus dur à faire. Et en fait, finalement, c'est une approche scientifique empirique de recherche. Je pense que ce qui est le plus important, c'est savoir observer ce qui est en train de se passer. Et le mémoriser, parce qu'on n'écrit rien.

  • Speaker #2

    J'ai tellement de questions sur cette anecdote.

  • Speaker #0

    J'ai plein de pensées à te répondre, parce que j'y pense toute la journée à ce que je fais.

  • Speaker #2

    En fait, en gros, la mission de l'association Histoire d'artisans, c'est de valoriser l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche. Pourquoi ? Parce qu'en fait, je dirais que ça fait des centaines d'années qu'on ne parle de l'artisan qu'à travers sa main, et on ne parle pas du tout de son cerveau. Or, le cerveau d'un artisan, il est fait d'une expertise en physique et en chimie. Il sait exactement ce que son matériau va faire, les réactions chimiques et physiques de son matériau, avec de la chaleur, avec du froid,

  • Speaker #0

    avec de l'eau. Ce que tu es en train de me dire, c'est exactement la définition de mon métier de teinturière coloriste à l'œil par rapport à un teinturier ou une teinturière coloriste industrielle. Lui, son but, c'est chercher quel est le bon dosage, quelle est la bonne recette. Et donc lui, il ne sait pas forcément comment le jaune réagit par rapport au rouge et par rapport au bleu, parce qu'on travaille avec les trois couleurs primaires simplement, jaune, rouge, bleu. Donc du coup, il y a plusieurs jaunes, plusieurs rouges, plusieurs bleus, mais la décomposition, c'est combien de jaunes, combien de rouges, combien de bleus. Et en fait, lui, il ne sait pas forcément, lui ou elle, ils ne savent pas forcément que le rouge, il va monter dans un second temps et que c'est d'abord le jaune qui monte. Et que... Le bleu, peut-être que lui, c'est lui qui monte en premier et le rouge, c'est avec l'acide, par exemple. C'est-à-dire que ça, ce sont des micros. Et les industriels, ils ne le savent pas non plus. Ce sont des micro-mouvements qu'en fait, toute la journée, j'observe et que je note et le savoir-faire et qu'on m'a transmis. Mais finalement, ce qu'on m'a transmis, effectivement, c'est un savoir-faire d'observation, mais c'est aussi la capacité de continuer à observer des nouvelles approches et des nouveaux matériaux et des nouveaux process. C'est-à-dire que la différence entre un teinturier industriel et moi, même si en industriel, bien sûr qu'on peut être challengé, mais on ne sera pas challengé de la même manière. C'est-à-dire qu'en fait, je travaille toute la journée avec quelque chose que je ne maîtrise pas. Et les gens me disent Vous maîtrisez votre savoir-faire Moi, je ne maîtrise rien du tout, en fait. Mais non, je ne maîtrise rien du tout. Et plus tu essayes de maîtriser et plus tu échappes. En fait, moi, j'observe ces fonctionnements, j'observe ces réactions. et je les utilise parfois à mes dépens. Et d'ailleurs, c'est comme ça que je me suis mise à créer des teintures irrégulières. C'est à partir d'erreurs. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est vachement intéressant. On est tout le temps en train de chercher un unisson de la couleur. Il y a beaucoup de vocabulaire qui ressemble à la musique. On fait des gammes colorées. On a un unisson de la couleur. Et en fait, je me suis dit, tiens, ça, c'est quelque chose qui peut être le fait que la couleur soit vivante, qu'elle ne soit pas sur... tout le long de l'écheveau, sur tout le long du fil ou de la fibre de la même teinte. Ça peut créer des choses différentes. Mais à la base, c'est à partir d'erreurs.

  • Speaker #2

    C'est de l'impro, c'est du jazz.

  • Speaker #0

    Oui, oui, oui, oui, c'est oui. Et pédagogiquement, quand on transpose le travail de teinturier au travail du musicien, et bien là, tout d'un coup, c'est plus facile pour les gens de comprendre. C'est-à-dire que soit on a une partition, on a une recette, soit on n'en a pas et on le fait au feeling, enfin au feeling, non. On s'appuie sur d'autres, je ne m'appuie pas sur mon feeling, mais si, je suis obligée de m'appuyer sur ce canal-là, mais le feeling, ça ne suffit pas. Il faut aussi mémoriser, il faut être attentif et il faut savoir observer. Vraiment, c'est une forme de contemplation active. C'est l'état le plus difficile à maintenir dans une journée.

  • Speaker #2

    Ah ouais, ça doit être hyper énergivore.

  • Speaker #0

    C'est pas ça, c'est qu'en fait, c'est une forme de centrage, cette attention, tu vois. T'es attentif, actif. mais pas trop. Parce que si tu veux trop, tu vas faire une erreur de dosage, tu vas vouloir aller trop vite. Si tu veux aller vite, si tu as une deadline et que tu dis ça doit être prêt, tu vas le foirer. Parce qu'en fait, ce sont que des hypothèses que tu émis. Chaque chose, est-ce que je mets l'acide maintenant ? Est-ce que je chauffe ? Est-ce que je rajoute du colorant ? Est-ce que je mets plus de jaune ? Et en fait, toutes ces questions-là, elles sont pertinentes quand tu as vraiment une forme de centrage et que tu ressens ce qui est en train de se passer. Tu ressens l'eau, tu ressens la matière, comment elle prend le colorant, est-ce qu'elle souffre, est-ce qu'elle ne souffre pas, comment elle fonctionne. Et c'est cette attention-là qui fait que ce n'est pas le même état que par exemple quand toi et moi on parle. Donc quand quelqu'un vient pour me parler, je me mets dans un autre état. Je suis obligée de sortir dans mon état de concentration. Mais parfois, quand il m'arrive des choses, par exemple personnelles, un peu difficiles, parfois j'ai du mal à me mettre dans cet état de concentration parce que je vais penser à... Ma fille qui fait des conneries ou n'importe quoi qui me stresse ou une engueulade que j'ai eue ou un problème que je vais avoir dans ma vie ou de santé ou autre chose. Et du coup, voilà, c'est plus maintenir cet état-là toute une journée entière qui est difficile et en même temps, c'est ce qui me plaît dans mon travail parce qu'il me protège. J'aime être dans cet état-là. C'est difficile de l'avoir, difficile de le trouver, mais quand je l'ai, ça fait un bien fou.

  • Speaker #2

    Je ne sais pas si tu as déjà eu l'occasion d'échanger avec des souffleurs de verre. Je vois beaucoup de similitudes parce que pour avoir quand même rencontré un certain nombre de métiers, les souffleurs de verre qui travaillent aussi avec des pigments chimiques, en fait le verre c'est un matériau, quand il est liquide, il va avoir une mémoire du geste. Donc quand une fois, je ne sais pas si tu as déjà vu des souffleurs de verre, mais des souffleurs de verre, ils cueillent du verre liquide et ils vont passer leur temps à... refroidir le verre, réchauffer le verre, refroidir le verre, réchauffer le verre.

  • Speaker #0

    Jusqu'à avoir leur forme.

  • Speaker #2

    Jusqu'à avoir leur forme. Et en fait, si t'es stressé, si t'es pas doux avec le verre, le verre, il va réagir d'une certaine façon. Il va potentiellement se casser plus facilement parce que tu lui auras transmis son stress. Et du coup, il y a beaucoup de souffleurs de verre qui commencent, qui ont besoin de musique ou qui ont besoin d'une séance de méditation avant de commencer, d'étirement. En fait, il faut se mettre dans un état mental où tu dois te relaxer pour... avoir cette capacité à parler au vert. Et je ressens des similitudes.

  • Speaker #0

    Oui, c'est assez proche. C'est assez proche. Et en même temps, c'est très drôle ce que tu me dis parce que je pense que ce qui a ouvert ma vocation, qui m'a donné l'envie d'être artisan, c'est une visite à l'école primaire en CM1. Tu as vu, je m'en souviens, j'ai 47 ans quand même. Je me souviens de cette visite. On avait vu dans la même journée un boulanger et un souffleur de verre. Et je me souviens de la magie que j'ai ressentie. et je me suis fait une espèce de force des éléments, le feu, le verre, le liquide, le solide, le froid, le chaud, la fumée. J'ai trouvé ça d'une... Enfin, je sais que quand j'étais petite, je ne peux pas dire comment je l'ai trouvé parce que je pense que je ne conceptualisais pas trop, mais ça m'a émue. Je pense que ça m'a bouleversée même. Et du coup, c'est marrant que tu me dis ça parce que je pense que c'est un homme, c'est un souffleur de verre qui m'a ouvert les portes dans ma tête. d'artisanat. Je pense que je l'ai enfouie ensuite. Il y a quelque chose qui s'est passé dans ce que j'ai ressenti là et que j'ai... peut-être j'ai eu envie d'être à sa place. J'avais envie de vivre ce que je voyais en tant que spectatrice, j'avais envie de le vivre en tant qu'actrice ou créatrice, je sais pas quel mot utiliser, celui qui fait, feuseuse.

  • Speaker #2

    Bah du coup j'ai hâte d'être à l'épisode 2 pour que tu racontes tout ça en détail. J'avais juste une dernière question sur la matière et le matériau. C'était justement, on faisait ce parallèle entre pigment naturel et pigment... Donc on dit pigment synthèse.

  • Speaker #0

    Pigment de synthèse.

  • Speaker #2

    Pigment de synthèse. Donc ce parallèle entre pigment naturel et pigment de synthèse. Moi, de prime abord, tu me parles de pigment de synthèse. J'imagine quelque chose d'hyper dangereux pour la santé. Je vois les usines en Chine, avec les mecs qui ont des malformations, des maladies, des machins, des trucs. Est-ce que tu utilises les mêmes que... Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que c'est dangereux ? Ou est-ce que c'est parce qu'en fait, ils ne sont pas du tout protégés ? Ils en côtoient des centaines de kilos par jour. Ce terme de pigment de synthèse, il fait un peu peur, je trouve.

  • Speaker #0

    Bien sûr que le pigment de synthèse qu'on utilise aujourd'hui, dans ce que je te disais tout au début, ce n'est pas le même que celui qu'on utilisait tout au début de la révolution industrielle. Il s'est écologisé, entre guillemets, avec le temps, à ma connaissance. Je ne connais pas de teinturier qui soit mort d'une maladie professionnelle en utilisant la synthèse, bien qu'on n'utilise pas de gants. Bien sûr que le pigment en lui-même, il a une empreinte écologique très négative. D'où l'importance de travailler à épuration de bain. Et pour qu'il y ait le moins de rejet de colorant possible, parce que c'est le colorant. Disons que nous, en teinture synthétique, c'est le pigment qui est nocif pour l'environnement. Et puis... pas le bain, pas ce qu'on met dans le bain. On met sel et vinaigre. Alors qu'en teinture naturelle, c'est plus l'inverse. C'est plus le mordansage, ce qu'on met pour faire le lien, en gros, entre le pigment naturel et la fibre qui, lui, a été peu écologique. Et pareil, en teinture naturelle, les pratiques sont en train de changer parce que, tout d'un coup, c'est comme pour les matières, en fait. Il y a des manières et des process de travailler qui ont été oubliées, qui sont en train d'être mis au goût du jour. Et j'imagine que, à terme, D'ailleurs, il y a Jean-Philippe Trappe de la Cité de la Tapisserie. qui m'a envoyé hier un message pour me parler d'une start-up toulousaine qui est en train de développer des pigments biosourcés, des pigments synthétiques biosourcés. Et là, ils sont en train de sortir leur premier colorant indigo. Là, ils viennent d'avoir 4 millions d'aides pour leur recherche. Et je pense que les pigments que j'utilise aujourd'hui, qui sont fabriqués par l'industrie pétrochimique, vont être, je pense, supplantés par de nouveaux pigments. Mais comme on est en retard, enfin, je veux dire, l'humanité, elle est un peu en retard sur elle-même. En tout cas, sur cette question-là de produire des choses en pensant à leur impact et pas seulement aux produits et aux profits. Du coup, je pense que les pigments que j'utilise un jour seront supplantés par des pigments qui seront biosourcés et tant mieux. En tout cas, ceux que j'utilise aujourd'hui, bien sûr, ils ont un impact négatif. Je fais très attention à ce que j'utilise et pour répondre à ta question, ceux que j'utilise, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, il y a certains pigments, par exemple, que mon prédécesseur utilisait à des process. qui aujourd'hui sont interdits. Je ne suis pas sûre que, malheureusement, l'ensemble du monde ait des normes. On aime bien nous normer chez nous, mais faire produire selon des non-normes ou des normes dégueulasses ailleurs, et puis nous, on l'achète pour pas cher, et puis ça nous déculpabilise. C'est un peu ça. Mais bon, moi, vivant en Europe et travaillant en Europe, ils sont classés selon des normes européennes. Donc, ils n'ont pas un degré de nocivité énorme. Bien sûr que si je les mange et que j'inhale un kilo de poudre... Oui, je pense que je vais avoir des dégâts neurologiques, mais ça ne m'arrive pas.

  • Speaker #2

    Ce que tu me disais en off, c'est que quand tu les manipules, tu mets un masque ?

  • Speaker #0

    Non, simplement quand je les transvase. Quand je les transvase, c'est le moment où en fait, ils volent. Voilà, c'est volatile. Donc, c'est là où je vais en avoir dans le nez, par exemple. Donc là, je mets un masque. Mais sinon, pas du tout. J'ai une cuillère qui ressemble un peu à une louche avec une cuillère à soupe. Et je prends un tout petit peu de pigment. dans la cuillère à soupe que je pose dans la louche et ensuite, je les dilue dans l'eau. Une fois qu'ils sont dilués dans l'eau, voilà. Mais je prends des cuillères à café, même pas, des demi, voire des tiers, voire des cinquièmes, voire des dixièmes. J'en utilise très, très peu, en fait. Un kilo de pigments, ça peut me faire une année, voire deux années, quoi. Ça dépend des pigments. J'utilise peu de pigments parce qu'ils sont forts en concentration. Maintenant, évidemment que s'il y a une concentration énorme, là, bien sûr, ils peuvent être dangereux.

  • Speaker #2

    Trop bien. Eh bien... Merci beaucoup Nadia, c'était très intéressant. Et puis je te dis à très vite pour l'épisode 2.

  • Speaker #0

    Et merci à toi.

  • Speaker #2

    Merci. Merci beaucoup pour votre écoute.

  • Speaker #1

    J'espère que ce premier épisode sur le métier avec Nadia Petkovic, teinturière, vous aura plu. Dans le prochain épisode, elle nous racontera sa rencontre avec sa teinturie et comment elle a su trouver sa voix dans cet univers. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note, un commentaire et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Vous pouvez nous retrouver sur Instagram pour découvrir le métier en images. Nous sommes toujours heureux de recevoir vos témoignages et vos ressentis sur les épisodes de podcast. Si vous avez envie de nous transmettre un message, vous pouvez nous écrire à podcast.histoirel'artisan.com En attendant, je vous dis à bientôt avec une nouvelle histoire.

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