Speaker #0Vous écoutez Inky et Pete se livrent, le podcast lecture qui donne vie et voix au premier mot d'un livre, et vous donne envie de découvrir les suivants. Ou pas. En ce mois de novembre, Inky et Pete vous font découvrir les trois premières nouvelles de la collection de flash-fiction des éditions Lufthunger. Flash-fiction, c'est des textes d'imaginaire, des textes courts mais intenses, écrits par des plumes de talent, et livrés tous les mois directement dans votre boîte aux lettres. Le lien pour vous abonner est des mains. Le contenant et bénéficier d'une réduction se trouvent dans la description du podcast. Sans plus attendre, voici l'inquiétude de leur premier titre, Radiophonie, de Mina Jacobson. WAND-K, fréquence 104.7. Il est 8h, soleil rasant. On annonce de la neige sur les collines émeraudes. Les voyants sont restés allumés toute la nuit dans le phare des nuages. Plusieurs éruptions solaires se sont suivies. sans se ressembler. Puis le calme est revenu. Sans certitude, il semble que les épines nous soient épargnées encore un temps. Au navigateur sonique, nous souhaitons bonne chasse. La diffusion radiophonique, supposée réveiller Léandre, prouva la vieille femme dans la serre, en tenue aquathermique et bottes fourrées. Elle parlait à ses plantes tout en déambulant entre les allées, arrosée, caressée d'un doigt distrait, bourgeon et bouton tout juste éclos. Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Impossible de dormir la veille du point de conjonction. C'était pareil chaque année. Elle s'interrompit pour écouter la voix qui sortait des enceintes murales, puis offrit un sourire aux végétaux silencieux. Il est l'heure, mes jolis. Un peu de chaleur. Ça vous plairait, non ? Elle activa une commande pour ouvrir le volet du plafond. Un rayon lumineux s'infiltra dans la pièce. Sur les murs noirs, striés de métal et de verre irisé, Léandre avait installé un ensemble de miroirs. Le soleil levant illumina aussitôt les lieux et vint colorer la banquise d'une teinte luminescente. Les plantes, réparties sur des tables de hauteur variable, accueillirent la lumière du jour en s'étirant vers le haut. Leurs tiges s'allongeaient, et leurs feuilles remuaient doucement pour chasser l'engourdissement de la nuit. « Je vous laisse, je reviens plus tard. Un peu de musique en mon absence ? » Les plantes vibrèrent en réponse. Elle enclencha le magnétophone. La douce mélodie d'un chanteur de rameaux l'accompagna tandis qu'elle changeait de pièce. La banquise crissait sous ses pieds. Par moments, elle aurait pu jurer qu'au travers des épaisseurs gelées, elle pouvait entendre les vagues souterraines gronder. L'océan vivant, en mouvement, l'appelait depuis les profondeurs de la lune. C'était ça ou des acouphènes. Bande K, fréquence 106.1 Gravure, censure, usure, les temps sont durs, tournent à l'obscur. Ici tambourine à l'antenne qui vous emmène, ici tambourine qui dessine sur les ondes, qui devine le monde, qui anime ce qui gronde, sans une rime ce qui fronde et décime. Encore une nuit de lune passée, éveillée sur cette dune, encore un matin sans éteint, encore un jour. L'ancienne salle commune était vide. Le vaste salon, qui avait vu se succéder des générations d'étudiants en tout genre, n'abritait plus qu'une dernière habitante. La vieille femme avait passé sa vie entre ces murs. Elle y avait assisté, impuissante, à l'exode qui avait peu à peu vidé la lune de sa population. Alors qu'elle se faisait chauffer une tasse de thé, Léandre passa une main fatiguée sur son visage, essayant de chasser la mélancolie qui pointait. La vitre d'un hublot lui renvoya son reflet. Son front était sillonné de vallées creuses et de montagnes escarpées. Des taches constelaient ses joues, comme autant de grains de sable sur la rive d'un grand fleuve, déposés au fil des saisons. Elle voyait le passage du temps s'inscrire sur sa peau, les années s'enraciner dans ses veines, et elle attendait, immobile, ancrée dans cette vie qui lui filait entre les doigts, incapable de bouger, de partir. Parfois, même ses plantes en peau lui paraissaient capables de davantage de vitalité. Derrière le hublot, Elle pouvait voir Hélios se lever sur Kahamar, sa lumière rouge étincelante sur la glace blanche. L'horizon se découpait entre la banquise et les constructions humaines, noires sur blancs. L'architecture des villes était semblable tout autour du satellite. Les habitations restaient au niveau du sol, des édifices accolés les uns aux autres, dans un formidable réseau en toile d'araignée. Sans être laid, le paysage manquait de chaleur. Quelques siècles auparavant, Kahamar avait été la capitale de l'Union des Lunes, habitée par une population dense et cosmopolite. à l'image d'une civilisation interlunaire à son apogée. Puis leur étoile avait commencé à montrer des signes de vieillesse. La supergéante entrait en combustion accélérée. Le processus de nucléosynthèse approchait de la fin. Léandre n'était pas astrophysicienne, mais nul besoin de connaître le détail pour comprendre l'ensemble. L'étoile autour de laquelle gravitaient les dernières colonies humaines se mourait. Tigile a fracturé, la planète tellurique aux fissures formidables, inhospitalières s'il en peut. qu'à Amar, la lune froide à la banquise infinie, la centaine d'autres lunes qui tournaient à ses côtés. Toutes disparaîtraient bientôt dans un nuage de nébuleuse. La supernova était imminente, et elle n'épargnerait personne. À l'aide de son appareil astroscopique, dont les projections s'affichaient sur l'écran mural de la salle commune, Léandre pouvait observer l'univers tout entier, mais peu lui importait l'univers en vérité. À ses yeux, seul comptait le satellite voisin, dont l'atmosphère se teintait de rose pâle. La lune s'y amène. Elle approchait. D'ici quelques heures, elle serait à portée de radiodiffusion. 72 heures à peine avant de s'éloigner à nouveau. C'était le cycle de vie des lunes jumelles dont les orbites ne se croisaient que brièvement. Et comme chaque année, Léandre guettait l'approche de cette fenêtre de communication avec une anxiété croissante. Que faisait Tara en ce moment ? Attendait-elle, elle aussi, que la danse des lunes les amène l'une vers l'autre ? fréquence augmentation du volume l'aude aux soupirs poésie du vaurien fréquence passons à la neuvième symphonie en ré mineur du grand pedro anamo connu pour ses oeuvres novatrices emblématiques du rock galactique d'avant-garde composé en hommage au bande k fréquence l'heure pointe chers auditeurs l'émission de ce matin est consacrée à l'anthologie des cieux brillés un recueil de poèmes déclamés que nous diffuserons aujourd'hui en exclusivité tout au long du jour pour en parler l'un des auteurs mémoire fugitive nous fait l'honneur de sa présence l'horloge sonna dans la vaste pièce où seule se tenait la vieille femme plongée dans sa contemplation du paysage lunaire écoutant d'une oreille le bourdonnement régulier des stations radio elle se ressaisit et emporta sa tasse de thé près du bureau qu'elle avait installé sous la lueur diffuse d'un lampion électrique fréquence que pouvez-vous nous dire de ce recueil le titre est certainement évocateur C'est vrai, c'est vrai. De nos jours, il n'y a plus qu'une seule source d'inspiration, n'est-ce pas ? La fin du monde, la fin de toute chose humaine. L'écran de la mort se profile, les cieux nous brisent, le temps nous écrase. Rien de très enthousiasmant. Justement, quel autre sujet aborder que celui qui nous hante tous ? Mes poèmes sont des cris jetés au vent, des cris jetés dans le néant de l'espace pour mieux l'entendre résonner. Ce sont les mots qui font peur, les mots qui nous brûlent les lèvres. Supernova, explosion. implosion déchirement brisure cassure effondrement étoiles brisées étoiles crevées contes à rebours désastres d'élitement poussières d'étoiles nébuleuses dispersions cendres silences ces mots et tant d'autres sont devenus nos prisons tant qu'ils nous enferment ils nous délimitent je veux les écrire les chanter les crier il faut se les réapproprier revendiquer cette fin du monde qui nous appartient doit-on comprendre mémoire fugitive que vous voulez employer vos poèmes comme armes de défense contre le désespoir rien d'aussi militaire il s'agit plutôt de faire entendre nos voix pour lutter contre le vide contre l'absence de pensée l'éphémère de nos existences ne devrait pas nous condamner au silence léandre écoutait distraitement la radio produisait un bruit de pont dont le ronronnement lui était familier Depuis l'intimité de sa solitude, elle y trouvait un certain apaisement. Elle aimait l'illusion d'être au sein d'une multitude, et non pas seule, dans les quartiers désertés de sa communauté disparue. Elle cessa de prêter attention aux échanges assez vite, ses pensées l'emmenaient vers Sinamen. La lune jumelle, sur le point d'entrer dans la zone radiophonique, Sinamen, la petite amarre accrochée à sa sœur Kaamar, d'une fois plus massive, vers laquelle elle revenait chaque année. Et quelques heures ? Tous les ans, Léandre attendait. Osage Vous venez d'écouter Linky Pit de Radiophonie, nouvelle écrite par Mina Jacobson, qui arrivera dans la boîte aux lettres de tous les abonnés Flash Fiction en janvier 2026. Radiophonie, c'est donc une nouvelle. Mais même si c'est une nouvelle, donc une histoire relativement courte, je vais vous en dire deux mots. Je sais que certains et certaines préfèrent se lancer dans la lecture des nouvelles sans rien en savoir, pour avoir la surprise complète, et si c'est le cas, cas vous avez le droit et même le devoir d'arrêter votre écoute ici. Donc si vous êtes toujours là, c'est que vous voulez en savoir un peu plus. Alors, Radiophonie, c'est l'histoire de Léandre, une femme d'un certain âge que l'on a rencontrée dans l'Inquipit et qui va vraisemblablement vivre la fin de son monde. Elle est l'une des dernières habitantes de la lune Kaamar. Dernière parce que cette lune est couverte de glace, qu'il y fait donc très froid, et qu'il y a plein d'autres endroits un peu plus agréables à vivre dans ce système solaire, surtout pour vivre les derniers jours. Radiophonie, comme son nom l'indique, c'est une histoire de radio. La radio et ses différentes fréquences sont omniprésentes dans la nouvelle et dans la vie de Léandre. Cette vieille dame écoute, ou plutôt entend, la radio, qui lui sert de compagnie. La radio diffuse des émissions, des voix, qui viennent peupler les derniers instants du monde. Et de temps en temps, de manière a priori aléatoire, on entend aussi le chant d'une baleine. Chant envoûtant, s'il en est. Et tout le monde se pose la question, d'où vient ce chant ? Personne ne le sait. Ça fait partie des mystères et des beautés de cette fin du monde. Radiophonie, c'est aussi une histoire de parentalité et surtout de maternité. Parce que Léandre, elle l'utilise aussi, cette radio, pour communiquer avec sa fille, qui habite la lune jumelle de Kaamar. Alors qu'on est des enfants ou pas, ce lien entre parents et enfants, entre mère et fille, on sait tous et toutes qu'il existe et qu'il survit à la distance. Même une distance... interplanétaire. Et en l'occurrence, interlunaire. Vous savez quand on dit à ses enfants « je t'aime jusqu'à la lune et retour » , ben là, c'est littéralement ça. Et ce lien très fort va créer une tension tout au long de la nouvelle. Une tension vers la lune jumelle, une tension qui va porter le lecteur, qui va porter Léandre aussi, jusqu'au bout. Radiophonie, c'est aussi l'histoire d'une baleine. Cette baleine, elle chante, elle... hante par son chant les ondes des radios. Elle fascine les derniers humains et elle est à l'origine d'une chasse au trésor interplanétaire. Elle est un peu la preuve que l'être humain cherche, quelle que soit sa situation, le merveilleux, la beauté, l'espoir, et qu'il s'y accroche, même quand il sait que le temps lui est compté. Et aussi, qu'il en a besoin. Radiophonie, c'est aussi une plume absolument brillante. Il y a tellement d'émotions dans ces quelques pages, c'est de la magie à l'état pur. Donc, lisez Radiophonie, et pour ça, abonnez-vous à Flash Fiction. Le lien est dans la description. Merci de m'avoir écoutée jusqu'au bout. Si vous avez passé un bon moment, dites-le moi, dites-le aussi à votre plateforme d'écoute, et n'hésitez pas à partager le podcast avec d'autres amoureux et amoureuses des mots. A bientôt !