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KOPS - Keep Our Planet Safe

Les langages du VIVANT

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58min |29/03/2025|

49

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Les langages du VIVANT

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58min |29/03/2025|

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Description

Dans cet épisode de la playlist kops.philo, je suis accompagnée par Athane Adrahane, docteure en philosophie, écrivaine, artiste pour comprendre comment créer une soutenable harmonie dans notre monde.

On parle de son dernier livre : "Des lucioles et des ruines" ed Le Pommier - une lecture qui va changer votre perception de la société et du dualisme nature-culture.


J'espère que cet épisode vous plaira !


N'hésitez pas à laisser des étoiles et des avis sous cet épisode, à nous soutenir sur les réseaux sociaux mais surtout à avoir un impact positif sur Terre aujourd'hui.


Ce podcast est une production Streambox.


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Production StreamBox


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Streambox présente COPS. COPS est un podcast né d'un besoin urgent de trouver du sens dans l'existence, dans un monde parfois insaisissable. Son but principal est de reconnecter l'humain à la toile du vivant, à laquelle il appartient, grâce à la philosophie, l'art, l'écologie et des histoires. Je m'appelle Nina et je vous souhaite la bienvenue dans ce podcast. Aujourd'hui c'est le premier épisode de la playlist cops.art. J'avoue que j'hésite encore à le mettre dans la playlist cops.philo parce que vous le verrez les deux seront complètement imbriqués, l'art et la philosophie. La première fois que j'ai rencontré notre invité du jour c'était il y a à peu près un an sur les bancs du Nif et je connaissais que le côté très ou un peu trop académique. Elle est arrivée timide, discrète, habillée de noir, les yeux vifs. Elle s'est assise, mais pas devant le pupitre. Et elle a commencé une lecture. Elle venait nous parler d'écho poétique, en bref, du lien entre l'art littéraire, la poésie et la nature. C'était comme si en un coup, elle venait de remplir nos âmes de douceur. À l'heure où je vous parle, elle est auteure de trois livres, artiste pluridisciplinaire qui marche entre la photographie, la musique, l'écriture. Elle est aussi docteure en philosophie de l'Université libre de Bruxelles. Et elle pense. Elle pense à des récits et les partages pour pouvoir, je cite, « faire monde » et créer une soutenable harmonie. J'ai donc la chance de vous présenter Atan Adrahan. Bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Nina.

  • Speaker #0

    Je suis très très heureuse que tu sois là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Je suis aussi très heureuse d'être accueillie par ton univers, par ta voix. Merci.

  • Speaker #0

    Et tu sais que sur Terre, il y a des êtres qui sont insuffleurs du beau et tu en fais partie. Première petite question, comment est-ce que tu te sens ? Pas comment est-ce que tu vas, comment tu te sens.

  • Speaker #1

    Comment je me sens ? Je me sens heureuse d'être avec toi. J'ai appris la mort d'un cinéaste qui a été très important dans mon parcours artistique, David Lynch. Et donc je suis un peu bouleversée. Parce que son art a sauvé ma vie. Il y a des arts qui peuvent sauver des vies, parce qu'ils permettent de mettre un langage sur des écologies affectives très complexes. Et un langage qui n'est pas forcément verbal, qui est un langage sonore, un langage visuel, un langage affectif. Et donc, je me sens dans une faille. Parce que le départ d'un être, d'un artiste, ouvre une faille. Et donc, on rentre dans le vif du sujet, peut-être. C'est très intriguant. On ne connaît pas personnellement un artiste, mais on est en contact avec une œuvre. Une œuvre qui a des résonances affectives fortes, surtout quand on l'a fréquentée. C'était l'un des sujets de mon premier mémoire à l'Université libre de Bruxelles, les liens entre philosophie, cinéma et vie, et comment l'art peut impacter nos vies et comment nos vies peuvent se mêler à l'art.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, on va y venir, de comment l'art... Permet d'éveiller les consciences, permet de nous transformer. On va y venir. Alors, tu vois, pour commencer, j'ai tenté de donner quelques éléments pour que celles et ceux qui nous écoutent apprennent à te connaître. Mais finalement, personne n'est aussi légitime que soi-même pour parler de soi. Alors, qui es-tu ?

  • Speaker #1

    Alors, qui suis-je ? C'est une grande question. Est-ce que je suis ce que je fais ? D'où je viens ? Le sujet est multiple, pas figé dans une identité, donc un être en relation. Donc je vais essayer de répondre. Il y a évidemment les versants par lesquels on se présente habituellement. Je suis philosophe, artiste, je fais de la photographie, de la musique, je chante. Mais je suis aussi un être en relation. Je peux dire que je suis montagne, une petite montagne, et une grande montagne, une montagne de Provence, essentielle, le Mont Ventoux. Les arbres font partie de qui je suis. Mais je peux aussi me modifier au contact d'un papillon. d'une musique. Donc, il y a beaucoup de jeux dans ce jeu.

  • Speaker #0

    J'adore cette façon de t'exprimer au monde, cette maîtrise des mots, et on va y venir aussi, on a tellement de sujets à aborder. Mais en parlant de cette maîtrise des mots, on s'était vus dans une magnifique petite librairie à Hucle, promo de ton livre « Des Lucioles et des Ruines » dont il sera question aujourd'hui. Et c'est là que je t'avais proposé de venir sur le podcast. Tu m'avais dit quelque chose du genre « Oui, j'accepte avec plaisir, mais je ne suis pas très à l'aise avec les mots parlés. » Et puis, comme une espèce de groupie super fan, je t'ai demandé d'écrire une petite dédicace sur la page de mon livre, la page blanche. Et en quelques secondes à peine, tu as écrit ça. Est-ce que tu pourrais lire les deux petites phrases ici pour Nina ?

  • Speaker #1

    Cette cavalcade à travers les ruines, guidée par les lucioles qui nous donnent à sentir que nous ne sommes pas seuls au monde, pour un monde respirable, polyphoniquement. Belle lecture, Athane.

  • Speaker #0

    Alors, ça donc tu l'as écrit en quelques secondes. C'est quand même une tournure de mots qui est magnifique, exceptionnelle. Mais d'où te vient cette maîtrise des mots ? Quelle est ton histoire avec eux ? Est-ce que tu as cette fibre, par exemple, de la littérature, du vocabulaire, depuis l'enfance ?

  • Speaker #1

    Merci pour cette question. Je disais que je n'étais pas à l'aise avec le langage parlé. C'est compliqué pour moi de parler, effectivement. Ça l'était dans mon enfance, de parler avec les mots. Alors, maîtrise, si c'est... une domestication ou une appropriation ou une domination, il y a quelques mots qui font sens pour moi. Et les mots sont chargés d'une histoire, d'une odeur. Donc je dois les rencontrer. Je dois m'y frotter, mais ça demande du temps. Alors j'écris vraiment très très lentement, par couche. Et entre deux mots, il peut y avoir un marais, un marais que je vais devoir rencontrer, ou plutôt qui, peut-être, lui, va me rencontrer. Et alors ce mot prendra sens parce que dans ce mot, il y aura des libellules, il y aura des humains qui se rencontrent par un lieu. Ils se rencontrent grâce à un lieu. Et donc, ce mot va commencer à prendre une couleur, une densité, une force. Et alors, il va peut-être venir au sein de l'écriture et au sein d'une conversation. Mais rien d'évident. Le mot, par exemple, le mot amitié, c'est compliqué de maîtriser ce mot. Parce que moi, j'ai une amie fleur. Et elle peut me faire bouger dans ma compréhension de ce qu'est l'amitié. Est-ce que l'amitié, c'est quelque chose d'inconditionnel ? Est-ce que c'est pas plutôt des rencontres qui s'entretiennent ? Est-ce que ce n'est pas un feu qui s'entretient ? Est-ce que ce feu va brûler toujours ?

  • Speaker #0

    C'est en gros une multitude d'interprétations possibles du mot qui sont juste difficiles à intégrer.

  • Speaker #1

    C'est ça. Mais en fait, dans l'enfance, j'avais un langage de sensation et donc je ne parlais pas beaucoup.

  • Speaker #0

    Donc depuis l'enfance, c'était assez compliqué pour toi de t'exprimer ?

  • Speaker #1

    Il y a une multiplicité de langages. Il y a le langage des arbres, il y a le langage du vent, il y a le langage des nuages. Toutes ces manières de s'exprimer, toutes ces expressions de la terre. Et donc, le langage me paraissait aussi très, très réducteur de la polyphonie du vivant. Et donc, c'est pour ça aussi que j'essaye de m'exprimer par... Par l'art visuel, par la musique, par la philosophie. Alors, c'est sûr qu'à l'adolescence, il y a eu la rencontre de la poésie. Et là, les mots me sont devenus vitaux pour comprendre, comprendre certaines difficultés à vivre. Mais aussi parce que la poésie, elle ne fiche pas, elle ne désanime pas. Elle permet justement de redonner... Oui. vie, par exemple au Moarbre, mais c'est un travail. Alors, je rejoins le mot maîtrise, c'est qu'il y a... Voilà, c'est comme un artisan, c'est un travail d'artisan. On revient à chaque fois sur son texte et le fait que deux mots se côtoient, ça va donner un nouveau paysage. Donc, grâce au travail des mots, on va pouvoir détecter des paysages qui sont en nous, qui sont à l'extérieur de nous et... qui ne pourraient pas être mis en visibilité s'il n'y avait pas le travail de l'écriture. Et il y a aussi le travail de la philosophie, et ça, c'est le travail du concept. Et forcément, c'est aussi un travail qui est fait de par les lectures, de par aussi un certain type de création qui en passe par les mots qui nous mettent à l'aventure d'autres... d'autres chemins dans la réflexion.

  • Speaker #0

    Et on va parler, tu as utilisé le mot polyphonie, on va en parler, mais en fait, quand j'ai lu ton livre, j'avais un petit peu l'impression, parce que moi je vais utiliser le mot maîtrise des mots, que tu maîtrisais tellement bien le mot que ta lecture, c'était comme si j'arrivais à lire les langages de la nature grâce à un humain. Et ce qui est quand même assez rare. Merci pour ça, parce que j'ai vraiment adoré cette lecture et ça m'a transportée vers une compréhension meilleure de ce qui m'entoure. Bien que je sois déjà conscientisée par rapport à l'écologie, etc. Mais ça m'a fait vraiment beaucoup de bien de lire de cette manière-là.

  • Speaker #1

    Oui, il y a aussi le fait d'être habité par l'énergie des mots. Et donc, il y a une véritable transe aussi dans l'écriture. Moi, je peux rester... pendant quatre heures devant une page blanche et attendre que je sois écrit par certaines énergies. Donc l'idée c'est vraiment de laisser l'espace ouvert, d'être à l'écoute de certains mouvements et donc que ces mouvements puissent arriver jusqu'à la page. Et donc laisser après la possibilité que... Laisser assez d'ouverture que pour justement ce que tu es en train de raconter, que le lecteur puisse lui-même faire son trajet. Et je crois que ça, c'est très important. Et c'est pour ça que la polyphonie, c'est ça aussi. C'est comment toi, tu vas pouvoir glisser ta voix dans le livre. Et là, il y a une attention particulière à ça, de laisser le texte avec assez de respiration pour que le lecteur puisse adjoindre sa voix. Donc c'est un texte qui n'est pas du tout figé, qui n'est pas du tout parfait, parce qu'il est nécessaire qu'il puisse être encore fécondé, enrichi par les récits de tous ceux qui... qui vont pouvoir se mêler à cette danse.

  • Speaker #0

    Alors du coup, tu as la fibre artistique, la fibre littéraire, mais également la fibre écologique. Une manière d'être au monde, une conscience brute de ce qui t'entoure. Et dans le livre, « Des Lucioles et des Ruines » , je rappelle le titre, tu parles de ta conscience des polyphonies du vivant depuis l'enfance. Le mot polyphonie, on l'a déjà évoqué quelques fois, et dans le livre, tu l'utilises un bon nombre de fois également. Qu'est-ce que tu veux dire exactement par polyphonie ?

  • Speaker #1

    Encore une fois, c'est un mot que j'ai rencontré de par le fait que j'ai chanté dans une chorale. Et ce qui est magnifique dans cette expérience, c'est le fait que d'un côté, il faut... prendre la responsabilité de sa voix. mais qu'on est en soutien aussi des autres voix. Donc il est nécessaire d'apprendre à écouter les autres voix. Et cette écoute nous permet d'intégrer au sein de notre voix une multiplicité. Et puis c'est comme une tectonique. Il y a des rencontres, il y a des frottements. Et les dissonances créent des mondes et créent des mélodies d'une richesse incroyable. Les dissonances, les consonances, c'est la danse de la terre. Et donc, moi, ça résonne avec le bonheur que j'éprouvais enfant de voir qu'il n'y avait pas qu'un seul dire du monde, c'est-à-dire le dire humain, mais qu'il y avait une multiplicité, on revient à l'histoire du langage, une multiplicité de langues. qui ne fonctionnent pas forcément avec les mots verbaux. Et donc, être à l'écoute de ces expressions me remplissait de joie. Et puis, petit à petit, avec l'éducation, on nous enseigne à ne pratiquer plus qu'un seul langage. Et donc, il y a vraiment un amincissement de la conscience, donc une espèce de monophonie qui prend la direction de nos journées. Et ça se cultive, cette attention à la diversité des voix, à la diversité des écrits, parce qu'on n'est pas les seuls à écrire. Et donc, cette écoute de la multiplicité des... des musiques est un art et après il y a cette dimension de prise aussi de parole comme dans une polyphonie où le jeu lui-même est habité par ses multiples voix et où il s'agit pour moi en tout cas de rendre la responsabilité du fait qu'on n'est pas tout seul. Et c'est ça, cette partition polyphonique, c'est qu'on n'est pas tout seul sur Terre et qu'on est en relation avec une multiplicité de forces, de points de vie et que la respiration n'est possible que s'il y a un équilibre Entre toutes ces forces.

  • Speaker #0

    En fait, moi, ce que j'ai compris dans ce mot polyphonie et cette conscience des polyphonies pour pouvoir faire monde, c'est en fait qu'il est essentiel d'intégrer dans nos chaires une sorte de multi-perspectivisme, donc de plein de langages différents, que ce soit le langage de la terre, le langage corporel des animaux, le langage de l'écoute. C'est... Être à l'écoute de toutes ces histoires, de toutes ces voix, qu'elles soient verbales ou non verbales, pour pouvoir créer une société qui est, j'adore cette expression, en soutenable harmonie. Voilà comment j'ai compris ce mot polyphonie. Alors, comment on fait ? Pour atteindre, alors là tu m'as atteint avec ton livre évidemment, mais comment on fait pour atteindre les autres êtres humains qui ne sont peut-être pas à ce point conscientisés à l'environnement et à l'écologie, etc. Pour qu'eux aussi, et cette conscience écologique, cet éveil de fibre un petit peu environnementale, quel outil utiliser ? Enfin, lequel tu utilises toi ?

  • Speaker #1

    Oui, quel outil j'utilise déjà moi pour que ma conscience soit... élargie parce que dans mon parcours il y a eu des moments de véritable rétrécissement ce qui fait ce qui a fait ce que je suis ce qui m'a constituée dans l'enfance est venu me rechercher par toutes sortes de versants donc d'abord il y a effectivement cette écoute quand on ne sait plus respirer mais qu'est-ce qui va nous faire respirer ça Quand on atteint un certain niveau d'asphyxie, qu'est-ce qui va nous permettre de retrouver souffle dans les ruines ? Donc il y a effectivement... une nécessité vitale. Et alors, je dirais, moi, j'ai deux outils qui m'ont aidée. C'est effectivement ce multi-perspectivisme, c'est-à-dire d'être attentive à ce qui compose un monde et la diversité des humains et des non-humains et ces interdémandances. Donc, avoir comme boussole ce... les interdépendances, quels sont les enfants qui travaillent pour que je puisse vivre de cette manière, est-ce qu'il y a des histoires de forêts calcinées pour faire place nette à des cultures de canne à sucre. De nouveau, on retrouve cette polyphonie. Donc, être attentif à qui compose un monde. Et je crois que quand on est au fait de certains récits, ça travaille le corps. Et on devient... Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce monde-là ? Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce récit-là du café ? Ou bien, est-ce qu'il n'y a pas... d'autres récits à vitaliser, des récits de justice sociale, des récits d'être bien considérés, bien traités. Voilà, donc ça c'est...

  • Speaker #0

    L'intégration du multiperspectivisme.

  • Speaker #1

    L'intégration du multiperspectivisme. Et alors, déjà aussi, voir que l'écologie, là je parle de Félix Gattari, c'est un... Elle est triple, elle est environnementale comme on l'entend usuellement, mais elle est aussi sociale et il y a aussi une écologie de la psyché. Donc en fait il y en a bien plus que trois. Donc les ravages écologiques ils sont triples et donc considérer que... Travailler sur l'écologie, c'est travailler déjà sur ces trois versants. Donc ces trois versants travaillent ensemble. Et donc, de nouveau, c'est une danse, la danse écosophique, puisque c'est comme ça que Guattari, il ne parle pas de danse, mais il parle d'écosophie. Donc c'est la concatenation de ces trois écologies-là. Et donc, de nouveau, être attentif, on s'engage pour le climat, donc on doit être sur ce terrain-là. Et ce terrain-là est exclusif de cet autre terrain, etc. Mais il y a des « et, et, et » . Il y a une montagne, et ça, c'est un autre outil. Voilà, de nouveau, ce multi-perspectivisme, c'est penser comme une montagne. Ça vient d'Aldo Léopold, qui est écologue et forestier. Et donc, quels sont les points de vie, les points de vue qui peuplent la montagne ? Et comment ces points de vue, ces points de vie interagissent les uns avec les autres ? de nouveau.

  • Speaker #0

    Mais donc, concrètement, toi, c'est par cette Ausha, c'est par cette approche plus de la conscience de ce qui t'entoure, que tu as réussi à créer un outil qui permette aux autres d'être conscientisés. Et j'entends par là l'outil de la lecture, de l'art, de la philosophie. Pour toi, est-ce que ce ne sera pas finalement les deux plus beaux outils qu'on puisse avoir pour conscientiser les gens ?

  • Speaker #1

    Oui, alors après, je voudrais juste préciser, il y a aussi les bouleversements, les grands bouleversements qu'on n'a pas prévus. Et qui, moi, ce qui m'a, on pourra lire peut-être un petit extrait tout à l'heure, mais ce qui m'a, j'ai été bouleversée, j'ai été renversée par certaines relations. Certaines relations. avec des non-humains de type montagne, donc des milieux. Et j'ai eu cette expérience que beaucoup de personnes, en fait, ont si on va les chercher sur ces terrains-là, c'est-à-dire de tout d'un coup se sentir terrestre. Et je crois que ce senti, en fait, ce senti-là, je suis de ce monde. Je suis cette... de terre. En fait, j'en suis, je suis de cette aventure. Et ça, c'est peut-être difficile à mettre de nouveau en mots verbaux, mais il y a cette conscience de nos parentelles. que nos parentelles ne sont pas forcément qu'humaines. On vient de l'océan, on vient de la forêt. Et donc là, à partir du moment où il y a ce senti tripal, ce senti cellulaire, je crois qu'il y a quelque chose qui se met en place. Oui,

  • Speaker #0

    mais comment on fait pour que les gens aussi ressentent cette appartenance à la terre dans leurs tripes ? Qu'est-ce qu'on pourrait utiliser ? Qu'est-ce que toi tu utilises pour faire en sorte que... que les gens aient un peu ce bouleversement aussi ?

  • Speaker #1

    Je passe mon temps à essayer de rappeler dans les conversations ces présences ailées, ces présences écaillées, ces autres dires. C'est une manière de faire par la photographie, mais c'est tellement petit, pas leur présence. Ce que moi, je peux faire pour que... Mais je crois que c'est petit à petit se ressouvenir. Parce que l'amnésie est très forte, mais on est encouragé à ça. Ce que je veux dire, c'est qu'on est encouragé à ne pas nous souvenir. Et on nous supprime aussi les lieux de contact avec cette mémoire. On bétonne à tout va, on nous annonce des grands projets écocidaires, et petit à petit, on étouffe toutes ces voies. Donc, favoriser les contacts avec les êtres feuillus, les êtres à écailles, c'est ultra important, et on a besoin de ces espaces-là. Tout le monde en a besoin.

  • Speaker #0

    Mais tu disais là que tu, d'une certaine manière, tu essayais de semer des graines. Et moi, il y a une graine dont tu m'avais parlé, c'était que tu donnes des ateliers philo à des enfants. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Plutôt que de donner, on fabrique quelque chose ensemble. Donc les ateliers philo, c'est des recherches collectives, comme on peut en voir à l'université. Mais là, on fabrique un savoir. de nouveau polyphonique. Et chacun apporte sa petite pépite de pensée. Donc de nouveau, on est dans des « et, et, et » , plutôt que, c'est ce que je comprends, et qui m'anime, c'est que ce ne sont pas forcément des débats pour, contre, etc. C'est que c'est des « et, et, et » , et c'est très puissant, ça. Alors, par exemple, si on part à... À la recherche au trésor dans un parc près des arbres, etc. Enfin, on s'interroge sur c'est quoi un trésor. Un trésor, ça peut être le chant d'un oiseau. Un trésor, ça peut être une feuille. Et donc, le trésor, ça peut être la parole d'un enfant. Mais ça peut aussi être une écoute.

  • Speaker #0

    Ok, donc je change ma phrase. Tu ne donnes pas des ateliers philo, tu co-crées des ateliers philo avec des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, c'est une co-création, mais je suis en chemin par rapport aux mots.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi pour donner à toutes celles et ceux qui nous écoutent une idée des graines que tu sèmes. En plus d'écrire des livres, de faire de la poésie, de l'art, tu donnes aussi des ateliers. Ouais. Et d'ailleurs, l'enfant qui est en moi a très envie de venir une fois dans tes ateliers. Donc si jamais tu m'acceptes, je viendrai vraiment avec plaisir.

  • Speaker #1

    Avec joie.

  • Speaker #0

    Et alors, tu dis aussi qu'en parlant des polyphonies, de langage, des enfants, etc., que la force du langage, des mots, de l'art... permet de rompre le clivage humain-nature ? Concrètement, je sais que c'est une question qui va être très difficile à répondre, mais comment l'art permet de reconnecter l'humain à ce qui l'entoure ? Qu'est-ce qui se passe dans celles et ceux qui sont sensibles à l'art pour créer un déclic, ou pour créer un bouleversement, pour apprivoiser une forme de conscience écologique ?

  • Speaker #1

    L'art... On peut dialoguer avec des versants de nous qui fonctionnent selon un autre régime que le régime des chiffres, le régime des bilans, des camemberts. Et si ces chiffres sont nécessaires pour rendre compte de certaines atteintes à l'environnement, ils n'atteignent pas d'autres parties. et d'autres émotions face au ravage socio-écologique, au changement climatique. On éprouve toutes sortes de... d'émotions, d'affects. Et ces affects sont parfois tellement énormes et tellement difficiles à...

  • Speaker #0

    à aborder, qu'on a tendance à... C'est une stratégie à les enfuir. Et donc, comment dialoguer avec ces affects, ces émotions, les affects de colère, les affects de honte, les affects de tristesse, des tristesses abyssales. Et donc, l'art nous prend, on en parlait en début de cette émission, nous prend par la main, nous prend par les tripes. pour dialoguer avec ces versants atteints, ces versants en colère. Et il permet de travailler avec ces énergies. La colère est nécessaire pour les combats économiques. La colère peut aussi nous consumer de l'intérieur. Donc, on a besoin de cette colère. la transformer. Et comment on peut se connecter, toi et moi, à travers cette colère, cette rage même, ou à travers d'immenses tristesses, devant les pertes irréparables. Qu'est-ce qui sort de nos larmes ? Il y a toute une écologie des larmes. Dans une larme, il y a énormément d'informations. Et donc... Les émotions sont une manière de nous rapporter aussi à ce qui nous entoure et de faire monde ensemble. Donc, ce n'est pas une affaire privée. Alors, c'est comment on passe de l'intime au collectif. Et donc, l'art, c'est aussi... On parlait des ateliers philo pour enfants. Travailler, par exemple, à partir d'albums jeunesse, c'est aussi avoir un intercesseur, l'album jeunesse, pour nous lier ensemble. Un livre, une musique permet aussi d'avoir un intercesseur, des alliés. Et Pascal est dans certains de ces motions. C'est pas facile. Avoir au quotidien la conscience des dévastations écologiques, c'est vraiment pas facile. Enfin, je veux dire, tu sais de quoi je parle. Et donc, on a besoin d'alliés, on a besoin d'intercesseurs. Et c'est pour ça que les arts sont des entités très particulières. Ils ont un régime d'existence très, très particulier. qui permet de dialoguer, de refluxifier une certaine écologie de la psyché.

  • Speaker #1

    C'est quoi pour toi exactement l'art ? À nouveau en question très vaste. Mais je pense que c'est intéressant aussi.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. C'est que l'art a cette capacité à nous déplacer. c'est-à-dire à fissurer certains agencements trop rigides. Et de nouveau, on est dans le perspectivisme. C'est-à-dire, si tu regardais le monde depuis cet angle-là, qu'est-ce qui bouge dans ta perception ? Alors, moi, je fais de la photographie. Et je suis... On dit dans la photo animalière qu'on fait des affûts. Mais en fait, on est affûtés. Notre regard est transformé par leur montre avec une libellule. Tout d'un coup, on aurait une pensée qui fonctionne en zigzag et pas de manière rectiling. Pour moi, c'est ça l'art. C'est-à-dire, c'est des rencontres. Et c'est aussi une manière... C'est une ouverture à d'autres mouvements. Comment on va être mis en mouvement ? Une œuvre d'art nous déplace, mais faire de l'art, c'est accepter d'être déplacée aussi. C'est-à-dire d'être dans un état d'ouverture pour que certaines choses qui sont figées, puissent entrevoir d'autres possibles, d'autres chemins. Donc ça a habité quelque part un certain trouble.

  • Speaker #1

    Tu sais que c'est très drôle ce que tu dis, parce que là, pour mon mémoire à l'UNIF, je fais une recherche sur comment l'art peut être un outil de soin de soi et un outil de soin de la Terre. Donc je fais vraiment cette connexion entre les bienfaits de l'art sur l'artiste, mais aussi... pour la Terre et donc pour conscientiser les autres. En fait, c'est exactement ce que tu dis. C'est que l'art permet à l'artiste de se déplacer pour évoluer. pour grandir dans une forme d'intellect, mais permet aussi de toucher et de rendre sensible l'autre. Donc je me suis vraiment très bien retrouvée dans tes mots.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça, c'est remettre en mouvement une capacité à sentir et à donner du... réinsuffler du sens là où les sens sont complètement... Figer, ouais.

  • Speaker #1

    Ouais, anesthésier.

  • Speaker #0

    Anesthésier,

  • Speaker #1

    ouais. Et ouais, en fait, moi je pense que, d'après les recherches aussi que j'ai déjà faites, pour ce mémoire justement, c'est que l'art, c'est tout ce qui prend aux émotions, en public. C'est tout ce qui permet de redevenir sensible pour faire monde. Et à nouveau, créer une soutenable harmonie. Je vais leur sortir tout le temps cette expression, je l'adore, je l'ai trouvée dans ton livre.

  • Speaker #0

    Et c'est aussi... ... On parlait de dialoguer avec des parties plus difficiles, mais c'est aussi l'art nous permet d'aller voir au-delà du visible. Et donc, j'en parle beaucoup dans le livre, dans ces lieux plus souterrains. Et donc, ce n'est pas le fait que des artistes. C'est pour ça que les écoféministes interviennent dans le livre. Il y a des arts qui sont des arts d'agencement avec autrui, et des arts du soin aussi, des créations de relations.

  • Speaker #1

    On parlait de colère tout à l'heure. Comment on fait pour utiliser cette colère face à toute cette connerie humaine qu'on est en train de faire à nos sociétés et à la Terre ? Aujourd'hui, on est face à des problèmes qui forment un système complexe. On appelle ça aussi un nexus. Et dans ce bouquin, qui est articulé par quatre récits principaux, alors on a Le Petit Prince, Robinson, Vendredi, on a aussi un récit de Jean Gionnaud. Tu déconstruis les fondements majeurs de notre époque absolument démentes. Le capitalisme, le néocolonialisme, le consumérisme, les injustices climatiques, les changements climatiques, la perte de la biodiversité. Je ne vais pas tous les citer, mais voilà, c'est un énorme nexus. Et avec tes mots, tu arrives malgré tout, malgré ces sujets qui sont effrayants, tétanisants parfois, à apporter une vague d'optimisme et des graines de possible en parlant de sujets a priori pas très réjouissants. Et donc, je voulais insister sur merci. Parce que vraiment, cette vague d'optimisme fait énormément du bien et je sais que c'est très important pour toi. de savoir que tu donnes du possible à la société. Alors, les injustices, le néocolonialisme, le capitalisme, l'esclavagisme moderne, etc. Bref, on a plein de catastrophes. Est-ce que tu aurais une raison à nous donner pour ne pas être défaitiste ? Autrement dit, pourquoi on devrait continuer à se battre ? Pourquoi continuer à éco-poétiser ? Pourquoi continuer à créer des nouvelles formes de savoir, des nouveaux récits, pour ce nouveau monde qu'on en vit ?

  • Speaker #0

    Il y a encore plein de combats à gagner. On est encore vivants. Donc, tous ces vivants s'activent en nous. Bien sûr, il y a des disparitions, des pertes terribles, et c'est inéluctable. Mais il y a des... On peut encore s'agencer autrement que selon la partition qui semble se profiler comme étant la seule partition. Et je crois qu'on est vraiment nombreux à la vouloir. Simplement, on se sent isolé. Et de nouveau, c'est ça le poison du capitalisme, c'est de penser qu'on est tout seul.

  • Speaker #1

    Et en fait, ça me paraît tellement évident, mais une raison de continuer à protéger, à défendre ce vivant, c'est qu'on est en vie et que si on veut le rester, il faut.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. C'est cette phrase de Starhawk qui dit « je veux que la vie continue » . Moi, c'est une question que j'avais posée aussi à Starhawk. Parce que j'étais très, très déprimée. Et comment ne pas baisser les bras ? Je ne sais plus très bien les termes exacts, parce que c'était en anglais, mais en gros, il n'y a pas à baisser les bras. Il n'y a rien d'autre à faire que de continuer à vouloir que la vie continue.

  • Speaker #1

    En fait, c'est d'une logique implacable. On pourrait trouver mille et une raisons de continuer à se défendre, à ne pas être défaitiste, mais en fait, le fait est que... on est en vie et que c'est ça le plus important.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi important d'accepter ces sentiments de défaite, en tout cas ces émotions complexes de ne pas les enfuir et de chanter avec aussi parce que parce qu'elles sont là, qu'elles font partie de cette biodiversité émotionnelle. C'est pour ça qu'on a aussi besoin, pour moi j'ai besoin des arts de la tristesse aussi, pour ne pas se nier cette dimension-là et me dire, il faut que je sois toujours en action.

  • Speaker #1

    Et moi d'ailleurs, ton livre m'a donné plein de courage, plein d'espoir. Et d'ailleurs, pour revenir à ton livre, est-ce que tu pourrais nous parler d'un moment marquant de l'écriture ?

  • Speaker #0

    C'est encore une belle question. C'est un livre qui est issu d'une thèse en philosophie à l'ULB. Il y avait déjà dans ma thèse cette architecture chorale avec quatre récits. J'ai terminé ma thèse en 2018 et les choses ont beaucoup bougé entre temps. Et moi, j'ai bougé. Il était nécessaire de... Alors qu'il s'agissait de reprendre ses récits, d'injecter un peu tout le chemin que j'avais fait depuis 2018. Et donc, je crois que l'événement marquant, ça a été cette idée de faire une suite à chaque récit. Et donc aussi la possibilité de dire pourquoi j'avais été vers ces récits. Donc, il y a quatre récits, mais il y a une multiplicité de récits. Donc, c'est... Ces quatre récits faits de plein de livres. Et donc, chaque récit, chaque récit intercesseur, Vendredi où la vie sauvage, Où les limbes du Pacifique, L'homme qui plantait des arbres, Christian F. très endrogué, prostitué, Le petit prince, se sont vus augmenter d'un nouveau chapitre qui n'avait jamais été écrit par les auteurs. Et donc, ça, c'était des grands moments, en fait, pour moi, pour Vendredi ou les limbes du Pacifique. C'était de suivre le vent. Et là, je ne m'y attendais pas du tout dans l'écriture, que j'allais suivre le vent, la perspective de Vendredi, que je serais amenée à l'île Maurice, à dialoguer avec ces points de vue du Sud. qui sont très importants et dont on a besoin pour cheminer dans notre Occident et donc comment l'île Maurice tout d'un coup vient à Bruxelles je suis un peu obscure mais il faut lire le livre et donc voilà, vendredi nous amène à prendre en considération un vent qu'on n'enferme pas et qui circulent. Parce que voilà, c'est ça qui est intéressant dans un livre, c'est qu'on peut prendre le temps de déplier, de rentrer dans le pli des vagues, etc., dans les cales, dans les... Et donc, c'est un art d'être à l'écoute du vent et des vents. Et donc, pendant l'écriture de ce chapitre, je me suis mise à l'écoute du vent et j'ai reconnecté une des lignes de mon écho-biographie. C'est un très beau terme qui nous vient de Jean-Philippe Pierron. Et donc, je me suis retrouvée à l'île Maurice, un des lieux qui a donné une couleur, qui a donné une densité aux mots injustice. Et donc là, j'ai suivi justement des musiques mauriciennes, le ségué. Et puis, par la bande, je suis arrivée à Bruxelles. J'ai suivi le vent. Et puis, voilà, le sud est venu, en fait, au sein du nord. a imposé dans le livre quelques lignes, mais trop peu, sur la nécessité d'une écologie décoloniale. Des dévastations écologiques sont aussi liées à l'histoire des dévastations, des manières de faire monde des pays du Sud. Ce sont des luttes qui sont liées. C'est le système de domination qui est en jeu, le système de domination des êtres humains comme des êtres non-humains. Et donc, il y a plusieurs manières d'habiter la Terre. Et des manières... qui pourraient être plus respirables, c'est de considérer la diversité des manières de s'agencer avec des lieux et pas imposer une partition qui vienne de l'Occident et une leçon de vie aux autres. Aux autres yeux, c'est nouveau. Pourquoi il y a une... une importance primordiale à faire de l'écologie avec ceux qui sont concernés par les ravages occasionnés par l'Occident. Voilà, ce n'est pas séparé d'un côté la lutte environnementale de la lutte sociale. C'est d'un côté ce qui est en train de se passer. Et donc, on n'y arrivera pas si on ne remet pas en question le système capitaliste et le système de colonisation. Et toujours, je veux dire, en cours.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait. Alors, tout ça, on en parle dans ton livre aux éditions. Le premier, il est sorti l'année passée. À quel mois, plus précisément ?

  • Speaker #0

    Fin juin.

  • Speaker #1

    Fin juin 2024. Donc, c'est plusieurs récits. pour, je cite, « raviver notre dialogue intime au monde » . Pour ceux que ça intéresse, et pour aller plus loin, et aussi pour faire un plus monde intelligente, il y a plein d'autres références que ces quatre grands récits, qui sont juste magnifiques. Alors, tu as parlé de Vinciane Després, Rachel Carson, Donna Araouet, Félix Yatari, Gilles Deleuze, Philippe Descola, Henri-David Thoreau, Naomi Klein, etc. Comme j'ai eu la chance... de te rencontrer et de discuter avec toi. Avant cet épisode, j'ai eu un petit parcours, un petit aperçu, pardon, de ton parcours. Et tu disais, au début de l'enregistrement, que tu étais docteur en philosophie. Est-ce que, peut-être en quelques mots, tu peux nous expliquer en quoi consistait ton travail ? Quelle était la question de ta thèse, pour mettre en lien avec ce livre ?

  • Speaker #0

    Alors, la question de ma thèse, d'abord, c'était une urgence. J'avais quitté le monde académique et, de nouveau, je... je cherchais à acheminer dans toutes ces questions environnementales mais je voulais le faire par d'une certaine manière c'est à dire une manière qui ne soit pas qui ne reconduisent pas ce que je dénonçais c'est à dire de parler sur en fait et de mettre en avant une culture de la mise à distance, comme le dit Starhawk. C'est-à-dire qu'ils soient déconnectés des sujets qui étaient à vif chez moi. Donc, on pourrait voir ça comme une recherche-création. Et donc, comment aborder, tu en as parlé, la diversité de ces... de ces problématiques autrement que par les chiffres, que par des grandes théories, par le biais des émotions, par les affects, ce qui n'est pas facile parce que ça demande d'être déstabilisé. On le voit ici, c'est se refuser à employer des définitions toutes faites. Qu'est-ce que veut dire le mot colonial pour moi ? Qu'est-ce que veut dire le mot écologie ? Donc, comment ne pas donner des définitions, mais être mis en difficulté par ces mots, vraiment se laisser déstabiliser par ces mots. Il a fallu réinventer... Voilà, une manière de faire, créer des boussoles. Et donc, c'est un travail qui ne se fait pas seul.

  • Speaker #1

    Et tout ça t'a conduit à écrire ce bouquin, tout ton chemin ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin, de nouveau, ce livre était en germe dès le travail de la thèse, parce que fond et forme devaient s'avancer ensemble. C'est ça. C'est-à-dire qu'il fallait aussi une écriture qui soit... affine au sujet exploré. Donc une écriture qui puisse par instant être animale, une écriture qui puisse par instant fonctionner en rhizome, avec des « et, et, et » . Donc une écriture poétique, une écriture... Donc tout ça était déjà, je dirais, dans la thèse.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as aimé ta thèse, en un mot ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai adoré le chemin de la thèse, oui. J'ai mis toutes mes tripes.

  • Speaker #1

    Et ça se ressent dans le livre aussi, que tu aimes les tripes.

  • Speaker #0

    C'est une aventure de vie. Je veux dire, c'est déjà changé ma vie sur de nombreux plans.

  • Speaker #1

    Ok.

  • Speaker #0

    Mais... J'ai eu la chance d'être extrêmement bien accompagnée. Parce que c'est un exercice très, très difficile. Justement parce qu'il y a aussi ce langage académique qui parfois va à l'encontre des mouvements sauvages, des mouvements de rivières, des mouvements de tempêtes. Et donc... Là, pour le coup, il y a une certaine maîtrise, une domestication, en fait, de ces dires des bêtes. Et c'est très, très compliqué. C'est vraiment très douloureux. Et il y a aussi le fait que ce qui a été douloureux, c'est justement de prendre acte de toutes ces dévastations écologiques et donc d'être confronté aux chiffrets, d'être confronté à... aux camemberts, etc. Et donc, de sentir cette défaite et d'être aussi coupée de toutes sortes d'autres actions, parce que c'est très exigeant au niveau du temps, une thèse. Et donc, de ne plus... Parce que dans l'action, dans les luttes de terrain, il y a la vie qui reprend. Et donc, dans la thèse, parfois la vie, elle ne reprend pas. Donc, la défaite... s'emparent aussi de la pensée. Donc c'est vraiment un exercice qui est à la fois extrêmement difficile, mais je suis vraiment très heureuse d'avoir pris ce chemin-là.

  • Speaker #1

    Difficile mais transformateur.

  • Speaker #0

    Voilà, ouais.

  • Speaker #1

    À Tannes, on ne décide pas toujours des fins. Mais aujourd'hui... Je te laisse écrire la dernière note de cet épisode. Quel message, dernier message, aurais-tu envie de transmettre aujourd'hui dans ce micro ?

  • Speaker #0

    Et lire un petit extrait ?

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    À la tombée des rêves, sous les pluies des astres, nous sommes dénués grandissantes à pratiquer une danse un peu étrange. Son mouvement consiste à osciller entre enchantement et désenchantement, illusions nécessaires et désillusions lucides, Repli solitaire au plus sombre de nos tanières et déploiement solaire dans une ouverture au solidaire. Tantôt le cœur chagrin, devant les écosystèmes défunts. Tantôt le cœur en joie, retrouvé flamme dans le ténu. Tantôt le regard qui n'y voit rien, tantôt les yeux fabuleusement vivants, embrasés par la beauté des rivières et le sourire des fleurs aux pétales de papillons. Vu de loin, cette danse s'apparente à un mouvement sans queue ni tête. Pas de premier ni de dernier de cordée. Ses dents sont des expérimentations latérales, en spirale, faites de greffes ouvertes. On y décèle les tentatives de s'équiper autrement. Un grave saut savoir des animaux, des végétaux, des sols. Nous nous munissons de la lanterne naturaliste et le flair une fois retrouvé, nous repérons selon l'éclairage animiste. Nous tentons de composer avec le disparu. Nous essayons des rituels pour honorer les invisibles. Nous fabriquons des guérisons collectives, des échos poétiques du soin. Ici, ma main, dans ta main, se met à voir que ton corps, c'est toute une géomémoire, des vallées, des collines, des avènes, des torrents. Nous changeons les verrous qui emmurent nos murmurations, des verrous, des horizons possibles, des poèmes existentiels faits de verres ouverts aux diverses calgraphies de la Terre. Nous nous essayons à cheminer depuis nos vulnérabilités, nos fragilités, nos mondes perdus. Nous collons oreilles contre terre, museaux contre arbre, nous nous allions au castor, aux logiques de champignons. À proximité du mycélium, nous apprenons à penser par le milieu, en plusieurs endroits à la fois. Ici, avec les enfants bruxellois, là-bas, avec les enfants de Kinshasa. Nous renseignons auprès des vers de terre, sur l'art de transformer la matière morte en monde vivant. Nous lisons Donna Araouet, Isabelle Stengers, Félix Gattari, Starock, Gilles Deleuze, David Abraham, Vinciane Desprez, Baptiste Morisot, Philippe Descola, Anastasia Martin, Véronique Bergen, Camille Louis, et encore, encore, encore, encore, bien d'autres, que je n'ai pas cités ici. Nous nous rendons dans des écoles expérimentales et apprenons de la sagesse d'adolescentes pourtant violemment blessées par notre monde adulte. Nous réapprenons à touiller dans le chaudron des mythes et légendes où les identités humaines, animales, végétales et minérales savent s'allier en faveur de la jeunesse de monde. Et là où tout nous enjoint de nous méfier de l'humain, dans cette main tendue, dans ses échanges fraternels et sororaux, Toute l'humanité se tient levée. Bref, dans le monde qui s'écroule, nous tenons debout, les yeux bien ouverts, tenant tête à ceux qui font de la terre un enfer, tentant de faire souffle commun avec nos défauts, nos faux pas, nos paradoxes. Alors à la levée des rêves. Nous composons mille autres mondes. Et à l'instar du bouquet final du Petit Prince, de nouvelles étoiles se mettent à peupler la Terre. Étoiles faites de relations fortes, d'histoires ressources, de visions vitales, de récits lucioles.

  • Speaker #1

    C'était des lucioles et des ruines, quatre récits pour un éveil écologique, de Hatha Nadran, aux éditions Le Pommier, disponibles en librairie. Je tiens quand même à préciser qu'il y a quatre récits. autour duquel s'articule cet écrit, je n'en ai lu qu'un seul des quatre. Et j'ai quand même tout compris. Donc il n'est pas nécessaire d'avoir lu les quatre pour comprendre ce merveilleux livre. Voilà. Merci beaucoup, Adan.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Nina.

  • Speaker #1

    Voilà. J'espère que cet épisode vous aura plu, autant qu'il m'a plu. Je remercie Streambox qui nous produit et je vous invite, si cet échange vous a inspiré ou a éveillé quelque chose de positif en vous, à laisser des étoiles en dessous de ce podcast et à donner votre avis également. Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et n'hésitez pas à partager notre contenu, mais surtout et surtout s'il vous plaît, ayez un impact positif autour de vous aujourd'hui. Je vous dis à bientôt dans un nouvel épisode.

Chapters

  • Comment agir autour de soi ?

    18:49

  • Qu'est ce que l'art ?

    31:43

  • Son parcours

    47:54

Description

Dans cet épisode de la playlist kops.philo, je suis accompagnée par Athane Adrahane, docteure en philosophie, écrivaine, artiste pour comprendre comment créer une soutenable harmonie dans notre monde.

On parle de son dernier livre : "Des lucioles et des ruines" ed Le Pommier - une lecture qui va changer votre perception de la société et du dualisme nature-culture.


J'espère que cet épisode vous plaira !


N'hésitez pas à laisser des étoiles et des avis sous cet épisode, à nous soutenir sur les réseaux sociaux mais surtout à avoir un impact positif sur Terre aujourd'hui.


Ce podcast est une production Streambox.


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Transcription

  • Speaker #0

    Streambox présente COPS. COPS est un podcast né d'un besoin urgent de trouver du sens dans l'existence, dans un monde parfois insaisissable. Son but principal est de reconnecter l'humain à la toile du vivant, à laquelle il appartient, grâce à la philosophie, l'art, l'écologie et des histoires. Je m'appelle Nina et je vous souhaite la bienvenue dans ce podcast. Aujourd'hui c'est le premier épisode de la playlist cops.art. J'avoue que j'hésite encore à le mettre dans la playlist cops.philo parce que vous le verrez les deux seront complètement imbriqués, l'art et la philosophie. La première fois que j'ai rencontré notre invité du jour c'était il y a à peu près un an sur les bancs du Nif et je connaissais que le côté très ou un peu trop académique. Elle est arrivée timide, discrète, habillée de noir, les yeux vifs. Elle s'est assise, mais pas devant le pupitre. Et elle a commencé une lecture. Elle venait nous parler d'écho poétique, en bref, du lien entre l'art littéraire, la poésie et la nature. C'était comme si en un coup, elle venait de remplir nos âmes de douceur. À l'heure où je vous parle, elle est auteure de trois livres, artiste pluridisciplinaire qui marche entre la photographie, la musique, l'écriture. Elle est aussi docteure en philosophie de l'Université libre de Bruxelles. Et elle pense. Elle pense à des récits et les partages pour pouvoir, je cite, « faire monde » et créer une soutenable harmonie. J'ai donc la chance de vous présenter Atan Adrahan. Bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Nina.

  • Speaker #0

    Je suis très très heureuse que tu sois là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Je suis aussi très heureuse d'être accueillie par ton univers, par ta voix. Merci.

  • Speaker #0

    Et tu sais que sur Terre, il y a des êtres qui sont insuffleurs du beau et tu en fais partie. Première petite question, comment est-ce que tu te sens ? Pas comment est-ce que tu vas, comment tu te sens.

  • Speaker #1

    Comment je me sens ? Je me sens heureuse d'être avec toi. J'ai appris la mort d'un cinéaste qui a été très important dans mon parcours artistique, David Lynch. Et donc je suis un peu bouleversée. Parce que son art a sauvé ma vie. Il y a des arts qui peuvent sauver des vies, parce qu'ils permettent de mettre un langage sur des écologies affectives très complexes. Et un langage qui n'est pas forcément verbal, qui est un langage sonore, un langage visuel, un langage affectif. Et donc, je me sens dans une faille. Parce que le départ d'un être, d'un artiste, ouvre une faille. Et donc, on rentre dans le vif du sujet, peut-être. C'est très intriguant. On ne connaît pas personnellement un artiste, mais on est en contact avec une œuvre. Une œuvre qui a des résonances affectives fortes, surtout quand on l'a fréquentée. C'était l'un des sujets de mon premier mémoire à l'Université libre de Bruxelles, les liens entre philosophie, cinéma et vie, et comment l'art peut impacter nos vies et comment nos vies peuvent se mêler à l'art.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, on va y venir, de comment l'art... Permet d'éveiller les consciences, permet de nous transformer. On va y venir. Alors, tu vois, pour commencer, j'ai tenté de donner quelques éléments pour que celles et ceux qui nous écoutent apprennent à te connaître. Mais finalement, personne n'est aussi légitime que soi-même pour parler de soi. Alors, qui es-tu ?

  • Speaker #1

    Alors, qui suis-je ? C'est une grande question. Est-ce que je suis ce que je fais ? D'où je viens ? Le sujet est multiple, pas figé dans une identité, donc un être en relation. Donc je vais essayer de répondre. Il y a évidemment les versants par lesquels on se présente habituellement. Je suis philosophe, artiste, je fais de la photographie, de la musique, je chante. Mais je suis aussi un être en relation. Je peux dire que je suis montagne, une petite montagne, et une grande montagne, une montagne de Provence, essentielle, le Mont Ventoux. Les arbres font partie de qui je suis. Mais je peux aussi me modifier au contact d'un papillon. d'une musique. Donc, il y a beaucoup de jeux dans ce jeu.

  • Speaker #0

    J'adore cette façon de t'exprimer au monde, cette maîtrise des mots, et on va y venir aussi, on a tellement de sujets à aborder. Mais en parlant de cette maîtrise des mots, on s'était vus dans une magnifique petite librairie à Hucle, promo de ton livre « Des Lucioles et des Ruines » dont il sera question aujourd'hui. Et c'est là que je t'avais proposé de venir sur le podcast. Tu m'avais dit quelque chose du genre « Oui, j'accepte avec plaisir, mais je ne suis pas très à l'aise avec les mots parlés. » Et puis, comme une espèce de groupie super fan, je t'ai demandé d'écrire une petite dédicace sur la page de mon livre, la page blanche. Et en quelques secondes à peine, tu as écrit ça. Est-ce que tu pourrais lire les deux petites phrases ici pour Nina ?

  • Speaker #1

    Cette cavalcade à travers les ruines, guidée par les lucioles qui nous donnent à sentir que nous ne sommes pas seuls au monde, pour un monde respirable, polyphoniquement. Belle lecture, Athane.

  • Speaker #0

    Alors, ça donc tu l'as écrit en quelques secondes. C'est quand même une tournure de mots qui est magnifique, exceptionnelle. Mais d'où te vient cette maîtrise des mots ? Quelle est ton histoire avec eux ? Est-ce que tu as cette fibre, par exemple, de la littérature, du vocabulaire, depuis l'enfance ?

  • Speaker #1

    Merci pour cette question. Je disais que je n'étais pas à l'aise avec le langage parlé. C'est compliqué pour moi de parler, effectivement. Ça l'était dans mon enfance, de parler avec les mots. Alors, maîtrise, si c'est... une domestication ou une appropriation ou une domination, il y a quelques mots qui font sens pour moi. Et les mots sont chargés d'une histoire, d'une odeur. Donc je dois les rencontrer. Je dois m'y frotter, mais ça demande du temps. Alors j'écris vraiment très très lentement, par couche. Et entre deux mots, il peut y avoir un marais, un marais que je vais devoir rencontrer, ou plutôt qui, peut-être, lui, va me rencontrer. Et alors ce mot prendra sens parce que dans ce mot, il y aura des libellules, il y aura des humains qui se rencontrent par un lieu. Ils se rencontrent grâce à un lieu. Et donc, ce mot va commencer à prendre une couleur, une densité, une force. Et alors, il va peut-être venir au sein de l'écriture et au sein d'une conversation. Mais rien d'évident. Le mot, par exemple, le mot amitié, c'est compliqué de maîtriser ce mot. Parce que moi, j'ai une amie fleur. Et elle peut me faire bouger dans ma compréhension de ce qu'est l'amitié. Est-ce que l'amitié, c'est quelque chose d'inconditionnel ? Est-ce que c'est pas plutôt des rencontres qui s'entretiennent ? Est-ce que ce n'est pas un feu qui s'entretient ? Est-ce que ce feu va brûler toujours ?

  • Speaker #0

    C'est en gros une multitude d'interprétations possibles du mot qui sont juste difficiles à intégrer.

  • Speaker #1

    C'est ça. Mais en fait, dans l'enfance, j'avais un langage de sensation et donc je ne parlais pas beaucoup.

  • Speaker #0

    Donc depuis l'enfance, c'était assez compliqué pour toi de t'exprimer ?

  • Speaker #1

    Il y a une multiplicité de langages. Il y a le langage des arbres, il y a le langage du vent, il y a le langage des nuages. Toutes ces manières de s'exprimer, toutes ces expressions de la terre. Et donc, le langage me paraissait aussi très, très réducteur de la polyphonie du vivant. Et donc, c'est pour ça aussi que j'essaye de m'exprimer par... Par l'art visuel, par la musique, par la philosophie. Alors, c'est sûr qu'à l'adolescence, il y a eu la rencontre de la poésie. Et là, les mots me sont devenus vitaux pour comprendre, comprendre certaines difficultés à vivre. Mais aussi parce que la poésie, elle ne fiche pas, elle ne désanime pas. Elle permet justement de redonner... Oui. vie, par exemple au Moarbre, mais c'est un travail. Alors, je rejoins le mot maîtrise, c'est qu'il y a... Voilà, c'est comme un artisan, c'est un travail d'artisan. On revient à chaque fois sur son texte et le fait que deux mots se côtoient, ça va donner un nouveau paysage. Donc, grâce au travail des mots, on va pouvoir détecter des paysages qui sont en nous, qui sont à l'extérieur de nous et... qui ne pourraient pas être mis en visibilité s'il n'y avait pas le travail de l'écriture. Et il y a aussi le travail de la philosophie, et ça, c'est le travail du concept. Et forcément, c'est aussi un travail qui est fait de par les lectures, de par aussi un certain type de création qui en passe par les mots qui nous mettent à l'aventure d'autres... d'autres chemins dans la réflexion.

  • Speaker #0

    Et on va parler, tu as utilisé le mot polyphonie, on va en parler, mais en fait, quand j'ai lu ton livre, j'avais un petit peu l'impression, parce que moi je vais utiliser le mot maîtrise des mots, que tu maîtrisais tellement bien le mot que ta lecture, c'était comme si j'arrivais à lire les langages de la nature grâce à un humain. Et ce qui est quand même assez rare. Merci pour ça, parce que j'ai vraiment adoré cette lecture et ça m'a transportée vers une compréhension meilleure de ce qui m'entoure. Bien que je sois déjà conscientisée par rapport à l'écologie, etc. Mais ça m'a fait vraiment beaucoup de bien de lire de cette manière-là.

  • Speaker #1

    Oui, il y a aussi le fait d'être habité par l'énergie des mots. Et donc, il y a une véritable transe aussi dans l'écriture. Moi, je peux rester... pendant quatre heures devant une page blanche et attendre que je sois écrit par certaines énergies. Donc l'idée c'est vraiment de laisser l'espace ouvert, d'être à l'écoute de certains mouvements et donc que ces mouvements puissent arriver jusqu'à la page. Et donc laisser après la possibilité que... Laisser assez d'ouverture que pour justement ce que tu es en train de raconter, que le lecteur puisse lui-même faire son trajet. Et je crois que ça, c'est très important. Et c'est pour ça que la polyphonie, c'est ça aussi. C'est comment toi, tu vas pouvoir glisser ta voix dans le livre. Et là, il y a une attention particulière à ça, de laisser le texte avec assez de respiration pour que le lecteur puisse adjoindre sa voix. Donc c'est un texte qui n'est pas du tout figé, qui n'est pas du tout parfait, parce qu'il est nécessaire qu'il puisse être encore fécondé, enrichi par les récits de tous ceux qui... qui vont pouvoir se mêler à cette danse.

  • Speaker #0

    Alors du coup, tu as la fibre artistique, la fibre littéraire, mais également la fibre écologique. Une manière d'être au monde, une conscience brute de ce qui t'entoure. Et dans le livre, « Des Lucioles et des Ruines » , je rappelle le titre, tu parles de ta conscience des polyphonies du vivant depuis l'enfance. Le mot polyphonie, on l'a déjà évoqué quelques fois, et dans le livre, tu l'utilises un bon nombre de fois également. Qu'est-ce que tu veux dire exactement par polyphonie ?

  • Speaker #1

    Encore une fois, c'est un mot que j'ai rencontré de par le fait que j'ai chanté dans une chorale. Et ce qui est magnifique dans cette expérience, c'est le fait que d'un côté, il faut... prendre la responsabilité de sa voix. mais qu'on est en soutien aussi des autres voix. Donc il est nécessaire d'apprendre à écouter les autres voix. Et cette écoute nous permet d'intégrer au sein de notre voix une multiplicité. Et puis c'est comme une tectonique. Il y a des rencontres, il y a des frottements. Et les dissonances créent des mondes et créent des mélodies d'une richesse incroyable. Les dissonances, les consonances, c'est la danse de la terre. Et donc, moi, ça résonne avec le bonheur que j'éprouvais enfant de voir qu'il n'y avait pas qu'un seul dire du monde, c'est-à-dire le dire humain, mais qu'il y avait une multiplicité, on revient à l'histoire du langage, une multiplicité de langues. qui ne fonctionnent pas forcément avec les mots verbaux. Et donc, être à l'écoute de ces expressions me remplissait de joie. Et puis, petit à petit, avec l'éducation, on nous enseigne à ne pratiquer plus qu'un seul langage. Et donc, il y a vraiment un amincissement de la conscience, donc une espèce de monophonie qui prend la direction de nos journées. Et ça se cultive, cette attention à la diversité des voix, à la diversité des écrits, parce qu'on n'est pas les seuls à écrire. Et donc, cette écoute de la multiplicité des... des musiques est un art et après il y a cette dimension de prise aussi de parole comme dans une polyphonie où le jeu lui-même est habité par ses multiples voix et où il s'agit pour moi en tout cas de rendre la responsabilité du fait qu'on n'est pas tout seul. Et c'est ça, cette partition polyphonique, c'est qu'on n'est pas tout seul sur Terre et qu'on est en relation avec une multiplicité de forces, de points de vie et que la respiration n'est possible que s'il y a un équilibre Entre toutes ces forces.

  • Speaker #0

    En fait, moi, ce que j'ai compris dans ce mot polyphonie et cette conscience des polyphonies pour pouvoir faire monde, c'est en fait qu'il est essentiel d'intégrer dans nos chaires une sorte de multi-perspectivisme, donc de plein de langages différents, que ce soit le langage de la terre, le langage corporel des animaux, le langage de l'écoute. C'est... Être à l'écoute de toutes ces histoires, de toutes ces voix, qu'elles soient verbales ou non verbales, pour pouvoir créer une société qui est, j'adore cette expression, en soutenable harmonie. Voilà comment j'ai compris ce mot polyphonie. Alors, comment on fait ? Pour atteindre, alors là tu m'as atteint avec ton livre évidemment, mais comment on fait pour atteindre les autres êtres humains qui ne sont peut-être pas à ce point conscientisés à l'environnement et à l'écologie, etc. Pour qu'eux aussi, et cette conscience écologique, cet éveil de fibre un petit peu environnementale, quel outil utiliser ? Enfin, lequel tu utilises toi ?

  • Speaker #1

    Oui, quel outil j'utilise déjà moi pour que ma conscience soit... élargie parce que dans mon parcours il y a eu des moments de véritable rétrécissement ce qui fait ce qui a fait ce que je suis ce qui m'a constituée dans l'enfance est venu me rechercher par toutes sortes de versants donc d'abord il y a effectivement cette écoute quand on ne sait plus respirer mais qu'est-ce qui va nous faire respirer ça Quand on atteint un certain niveau d'asphyxie, qu'est-ce qui va nous permettre de retrouver souffle dans les ruines ? Donc il y a effectivement... une nécessité vitale. Et alors, je dirais, moi, j'ai deux outils qui m'ont aidée. C'est effectivement ce multi-perspectivisme, c'est-à-dire d'être attentive à ce qui compose un monde et la diversité des humains et des non-humains et ces interdémandances. Donc, avoir comme boussole ce... les interdépendances, quels sont les enfants qui travaillent pour que je puisse vivre de cette manière, est-ce qu'il y a des histoires de forêts calcinées pour faire place nette à des cultures de canne à sucre. De nouveau, on retrouve cette polyphonie. Donc, être attentif à qui compose un monde. Et je crois que quand on est au fait de certains récits, ça travaille le corps. Et on devient... Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce monde-là ? Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce récit-là du café ? Ou bien, est-ce qu'il n'y a pas... d'autres récits à vitaliser, des récits de justice sociale, des récits d'être bien considérés, bien traités. Voilà, donc ça c'est...

  • Speaker #0

    L'intégration du multiperspectivisme.

  • Speaker #1

    L'intégration du multiperspectivisme. Et alors, déjà aussi, voir que l'écologie, là je parle de Félix Gattari, c'est un... Elle est triple, elle est environnementale comme on l'entend usuellement, mais elle est aussi sociale et il y a aussi une écologie de la psyché. Donc en fait il y en a bien plus que trois. Donc les ravages écologiques ils sont triples et donc considérer que... Travailler sur l'écologie, c'est travailler déjà sur ces trois versants. Donc ces trois versants travaillent ensemble. Et donc, de nouveau, c'est une danse, la danse écosophique, puisque c'est comme ça que Guattari, il ne parle pas de danse, mais il parle d'écosophie. Donc c'est la concatenation de ces trois écologies-là. Et donc, de nouveau, être attentif, on s'engage pour le climat, donc on doit être sur ce terrain-là. Et ce terrain-là est exclusif de cet autre terrain, etc. Mais il y a des « et, et, et » . Il y a une montagne, et ça, c'est un autre outil. Voilà, de nouveau, ce multi-perspectivisme, c'est penser comme une montagne. Ça vient d'Aldo Léopold, qui est écologue et forestier. Et donc, quels sont les points de vie, les points de vue qui peuplent la montagne ? Et comment ces points de vue, ces points de vie interagissent les uns avec les autres ? de nouveau.

  • Speaker #0

    Mais donc, concrètement, toi, c'est par cette Ausha, c'est par cette approche plus de la conscience de ce qui t'entoure, que tu as réussi à créer un outil qui permette aux autres d'être conscientisés. Et j'entends par là l'outil de la lecture, de l'art, de la philosophie. Pour toi, est-ce que ce ne sera pas finalement les deux plus beaux outils qu'on puisse avoir pour conscientiser les gens ?

  • Speaker #1

    Oui, alors après, je voudrais juste préciser, il y a aussi les bouleversements, les grands bouleversements qu'on n'a pas prévus. Et qui, moi, ce qui m'a, on pourra lire peut-être un petit extrait tout à l'heure, mais ce qui m'a, j'ai été bouleversée, j'ai été renversée par certaines relations. Certaines relations. avec des non-humains de type montagne, donc des milieux. Et j'ai eu cette expérience que beaucoup de personnes, en fait, ont si on va les chercher sur ces terrains-là, c'est-à-dire de tout d'un coup se sentir terrestre. Et je crois que ce senti, en fait, ce senti-là, je suis de ce monde. Je suis cette... de terre. En fait, j'en suis, je suis de cette aventure. Et ça, c'est peut-être difficile à mettre de nouveau en mots verbaux, mais il y a cette conscience de nos parentelles. que nos parentelles ne sont pas forcément qu'humaines. On vient de l'océan, on vient de la forêt. Et donc là, à partir du moment où il y a ce senti tripal, ce senti cellulaire, je crois qu'il y a quelque chose qui se met en place. Oui,

  • Speaker #0

    mais comment on fait pour que les gens aussi ressentent cette appartenance à la terre dans leurs tripes ? Qu'est-ce qu'on pourrait utiliser ? Qu'est-ce que toi tu utilises pour faire en sorte que... que les gens aient un peu ce bouleversement aussi ?

  • Speaker #1

    Je passe mon temps à essayer de rappeler dans les conversations ces présences ailées, ces présences écaillées, ces autres dires. C'est une manière de faire par la photographie, mais c'est tellement petit, pas leur présence. Ce que moi, je peux faire pour que... Mais je crois que c'est petit à petit se ressouvenir. Parce que l'amnésie est très forte, mais on est encouragé à ça. Ce que je veux dire, c'est qu'on est encouragé à ne pas nous souvenir. Et on nous supprime aussi les lieux de contact avec cette mémoire. On bétonne à tout va, on nous annonce des grands projets écocidaires, et petit à petit, on étouffe toutes ces voies. Donc, favoriser les contacts avec les êtres feuillus, les êtres à écailles, c'est ultra important, et on a besoin de ces espaces-là. Tout le monde en a besoin.

  • Speaker #0

    Mais tu disais là que tu, d'une certaine manière, tu essayais de semer des graines. Et moi, il y a une graine dont tu m'avais parlé, c'était que tu donnes des ateliers philo à des enfants. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Plutôt que de donner, on fabrique quelque chose ensemble. Donc les ateliers philo, c'est des recherches collectives, comme on peut en voir à l'université. Mais là, on fabrique un savoir. de nouveau polyphonique. Et chacun apporte sa petite pépite de pensée. Donc de nouveau, on est dans des « et, et, et » , plutôt que, c'est ce que je comprends, et qui m'anime, c'est que ce ne sont pas forcément des débats pour, contre, etc. C'est que c'est des « et, et, et » , et c'est très puissant, ça. Alors, par exemple, si on part à... À la recherche au trésor dans un parc près des arbres, etc. Enfin, on s'interroge sur c'est quoi un trésor. Un trésor, ça peut être le chant d'un oiseau. Un trésor, ça peut être une feuille. Et donc, le trésor, ça peut être la parole d'un enfant. Mais ça peut aussi être une écoute.

  • Speaker #0

    Ok, donc je change ma phrase. Tu ne donnes pas des ateliers philo, tu co-crées des ateliers philo avec des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, c'est une co-création, mais je suis en chemin par rapport aux mots.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi pour donner à toutes celles et ceux qui nous écoutent une idée des graines que tu sèmes. En plus d'écrire des livres, de faire de la poésie, de l'art, tu donnes aussi des ateliers. Ouais. Et d'ailleurs, l'enfant qui est en moi a très envie de venir une fois dans tes ateliers. Donc si jamais tu m'acceptes, je viendrai vraiment avec plaisir.

  • Speaker #1

    Avec joie.

  • Speaker #0

    Et alors, tu dis aussi qu'en parlant des polyphonies, de langage, des enfants, etc., que la force du langage, des mots, de l'art... permet de rompre le clivage humain-nature ? Concrètement, je sais que c'est une question qui va être très difficile à répondre, mais comment l'art permet de reconnecter l'humain à ce qui l'entoure ? Qu'est-ce qui se passe dans celles et ceux qui sont sensibles à l'art pour créer un déclic, ou pour créer un bouleversement, pour apprivoiser une forme de conscience écologique ?

  • Speaker #1

    L'art... On peut dialoguer avec des versants de nous qui fonctionnent selon un autre régime que le régime des chiffres, le régime des bilans, des camemberts. Et si ces chiffres sont nécessaires pour rendre compte de certaines atteintes à l'environnement, ils n'atteignent pas d'autres parties. et d'autres émotions face au ravage socio-écologique, au changement climatique. On éprouve toutes sortes de... d'émotions, d'affects. Et ces affects sont parfois tellement énormes et tellement difficiles à...

  • Speaker #0

    à aborder, qu'on a tendance à... C'est une stratégie à les enfuir. Et donc, comment dialoguer avec ces affects, ces émotions, les affects de colère, les affects de honte, les affects de tristesse, des tristesses abyssales. Et donc, l'art nous prend, on en parlait en début de cette émission, nous prend par la main, nous prend par les tripes. pour dialoguer avec ces versants atteints, ces versants en colère. Et il permet de travailler avec ces énergies. La colère est nécessaire pour les combats économiques. La colère peut aussi nous consumer de l'intérieur. Donc, on a besoin de cette colère. la transformer. Et comment on peut se connecter, toi et moi, à travers cette colère, cette rage même, ou à travers d'immenses tristesses, devant les pertes irréparables. Qu'est-ce qui sort de nos larmes ? Il y a toute une écologie des larmes. Dans une larme, il y a énormément d'informations. Et donc... Les émotions sont une manière de nous rapporter aussi à ce qui nous entoure et de faire monde ensemble. Donc, ce n'est pas une affaire privée. Alors, c'est comment on passe de l'intime au collectif. Et donc, l'art, c'est aussi... On parlait des ateliers philo pour enfants. Travailler, par exemple, à partir d'albums jeunesse, c'est aussi avoir un intercesseur, l'album jeunesse, pour nous lier ensemble. Un livre, une musique permet aussi d'avoir un intercesseur, des alliés. Et Pascal est dans certains de ces motions. C'est pas facile. Avoir au quotidien la conscience des dévastations écologiques, c'est vraiment pas facile. Enfin, je veux dire, tu sais de quoi je parle. Et donc, on a besoin d'alliés, on a besoin d'intercesseurs. Et c'est pour ça que les arts sont des entités très particulières. Ils ont un régime d'existence très, très particulier. qui permet de dialoguer, de refluxifier une certaine écologie de la psyché.

  • Speaker #1

    C'est quoi pour toi exactement l'art ? À nouveau en question très vaste. Mais je pense que c'est intéressant aussi.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. C'est que l'art a cette capacité à nous déplacer. c'est-à-dire à fissurer certains agencements trop rigides. Et de nouveau, on est dans le perspectivisme. C'est-à-dire, si tu regardais le monde depuis cet angle-là, qu'est-ce qui bouge dans ta perception ? Alors, moi, je fais de la photographie. Et je suis... On dit dans la photo animalière qu'on fait des affûts. Mais en fait, on est affûtés. Notre regard est transformé par leur montre avec une libellule. Tout d'un coup, on aurait une pensée qui fonctionne en zigzag et pas de manière rectiling. Pour moi, c'est ça l'art. C'est-à-dire, c'est des rencontres. Et c'est aussi une manière... C'est une ouverture à d'autres mouvements. Comment on va être mis en mouvement ? Une œuvre d'art nous déplace, mais faire de l'art, c'est accepter d'être déplacée aussi. C'est-à-dire d'être dans un état d'ouverture pour que certaines choses qui sont figées, puissent entrevoir d'autres possibles, d'autres chemins. Donc ça a habité quelque part un certain trouble.

  • Speaker #1

    Tu sais que c'est très drôle ce que tu dis, parce que là, pour mon mémoire à l'UNIF, je fais une recherche sur comment l'art peut être un outil de soin de soi et un outil de soin de la Terre. Donc je fais vraiment cette connexion entre les bienfaits de l'art sur l'artiste, mais aussi... pour la Terre et donc pour conscientiser les autres. En fait, c'est exactement ce que tu dis. C'est que l'art permet à l'artiste de se déplacer pour évoluer. pour grandir dans une forme d'intellect, mais permet aussi de toucher et de rendre sensible l'autre. Donc je me suis vraiment très bien retrouvée dans tes mots.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça, c'est remettre en mouvement une capacité à sentir et à donner du... réinsuffler du sens là où les sens sont complètement... Figer, ouais.

  • Speaker #1

    Ouais, anesthésier.

  • Speaker #0

    Anesthésier,

  • Speaker #1

    ouais. Et ouais, en fait, moi je pense que, d'après les recherches aussi que j'ai déjà faites, pour ce mémoire justement, c'est que l'art, c'est tout ce qui prend aux émotions, en public. C'est tout ce qui permet de redevenir sensible pour faire monde. Et à nouveau, créer une soutenable harmonie. Je vais leur sortir tout le temps cette expression, je l'adore, je l'ai trouvée dans ton livre.

  • Speaker #0

    Et c'est aussi... ... On parlait de dialoguer avec des parties plus difficiles, mais c'est aussi l'art nous permet d'aller voir au-delà du visible. Et donc, j'en parle beaucoup dans le livre, dans ces lieux plus souterrains. Et donc, ce n'est pas le fait que des artistes. C'est pour ça que les écoféministes interviennent dans le livre. Il y a des arts qui sont des arts d'agencement avec autrui, et des arts du soin aussi, des créations de relations.

  • Speaker #1

    On parlait de colère tout à l'heure. Comment on fait pour utiliser cette colère face à toute cette connerie humaine qu'on est en train de faire à nos sociétés et à la Terre ? Aujourd'hui, on est face à des problèmes qui forment un système complexe. On appelle ça aussi un nexus. Et dans ce bouquin, qui est articulé par quatre récits principaux, alors on a Le Petit Prince, Robinson, Vendredi, on a aussi un récit de Jean Gionnaud. Tu déconstruis les fondements majeurs de notre époque absolument démentes. Le capitalisme, le néocolonialisme, le consumérisme, les injustices climatiques, les changements climatiques, la perte de la biodiversité. Je ne vais pas tous les citer, mais voilà, c'est un énorme nexus. Et avec tes mots, tu arrives malgré tout, malgré ces sujets qui sont effrayants, tétanisants parfois, à apporter une vague d'optimisme et des graines de possible en parlant de sujets a priori pas très réjouissants. Et donc, je voulais insister sur merci. Parce que vraiment, cette vague d'optimisme fait énormément du bien et je sais que c'est très important pour toi. de savoir que tu donnes du possible à la société. Alors, les injustices, le néocolonialisme, le capitalisme, l'esclavagisme moderne, etc. Bref, on a plein de catastrophes. Est-ce que tu aurais une raison à nous donner pour ne pas être défaitiste ? Autrement dit, pourquoi on devrait continuer à se battre ? Pourquoi continuer à éco-poétiser ? Pourquoi continuer à créer des nouvelles formes de savoir, des nouveaux récits, pour ce nouveau monde qu'on en vit ?

  • Speaker #0

    Il y a encore plein de combats à gagner. On est encore vivants. Donc, tous ces vivants s'activent en nous. Bien sûr, il y a des disparitions, des pertes terribles, et c'est inéluctable. Mais il y a des... On peut encore s'agencer autrement que selon la partition qui semble se profiler comme étant la seule partition. Et je crois qu'on est vraiment nombreux à la vouloir. Simplement, on se sent isolé. Et de nouveau, c'est ça le poison du capitalisme, c'est de penser qu'on est tout seul.

  • Speaker #1

    Et en fait, ça me paraît tellement évident, mais une raison de continuer à protéger, à défendre ce vivant, c'est qu'on est en vie et que si on veut le rester, il faut.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. C'est cette phrase de Starhawk qui dit « je veux que la vie continue » . Moi, c'est une question que j'avais posée aussi à Starhawk. Parce que j'étais très, très déprimée. Et comment ne pas baisser les bras ? Je ne sais plus très bien les termes exacts, parce que c'était en anglais, mais en gros, il n'y a pas à baisser les bras. Il n'y a rien d'autre à faire que de continuer à vouloir que la vie continue.

  • Speaker #1

    En fait, c'est d'une logique implacable. On pourrait trouver mille et une raisons de continuer à se défendre, à ne pas être défaitiste, mais en fait, le fait est que... on est en vie et que c'est ça le plus important.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi important d'accepter ces sentiments de défaite, en tout cas ces émotions complexes de ne pas les enfuir et de chanter avec aussi parce que parce qu'elles sont là, qu'elles font partie de cette biodiversité émotionnelle. C'est pour ça qu'on a aussi besoin, pour moi j'ai besoin des arts de la tristesse aussi, pour ne pas se nier cette dimension-là et me dire, il faut que je sois toujours en action.

  • Speaker #1

    Et moi d'ailleurs, ton livre m'a donné plein de courage, plein d'espoir. Et d'ailleurs, pour revenir à ton livre, est-ce que tu pourrais nous parler d'un moment marquant de l'écriture ?

  • Speaker #0

    C'est encore une belle question. C'est un livre qui est issu d'une thèse en philosophie à l'ULB. Il y avait déjà dans ma thèse cette architecture chorale avec quatre récits. J'ai terminé ma thèse en 2018 et les choses ont beaucoup bougé entre temps. Et moi, j'ai bougé. Il était nécessaire de... Alors qu'il s'agissait de reprendre ses récits, d'injecter un peu tout le chemin que j'avais fait depuis 2018. Et donc, je crois que l'événement marquant, ça a été cette idée de faire une suite à chaque récit. Et donc aussi la possibilité de dire pourquoi j'avais été vers ces récits. Donc, il y a quatre récits, mais il y a une multiplicité de récits. Donc, c'est... Ces quatre récits faits de plein de livres. Et donc, chaque récit, chaque récit intercesseur, Vendredi où la vie sauvage, Où les limbes du Pacifique, L'homme qui plantait des arbres, Christian F. très endrogué, prostitué, Le petit prince, se sont vus augmenter d'un nouveau chapitre qui n'avait jamais été écrit par les auteurs. Et donc, ça, c'était des grands moments, en fait, pour moi, pour Vendredi ou les limbes du Pacifique. C'était de suivre le vent. Et là, je ne m'y attendais pas du tout dans l'écriture, que j'allais suivre le vent, la perspective de Vendredi, que je serais amenée à l'île Maurice, à dialoguer avec ces points de vue du Sud. qui sont très importants et dont on a besoin pour cheminer dans notre Occident et donc comment l'île Maurice tout d'un coup vient à Bruxelles je suis un peu obscure mais il faut lire le livre et donc voilà, vendredi nous amène à prendre en considération un vent qu'on n'enferme pas et qui circulent. Parce que voilà, c'est ça qui est intéressant dans un livre, c'est qu'on peut prendre le temps de déplier, de rentrer dans le pli des vagues, etc., dans les cales, dans les... Et donc, c'est un art d'être à l'écoute du vent et des vents. Et donc, pendant l'écriture de ce chapitre, je me suis mise à l'écoute du vent et j'ai reconnecté une des lignes de mon écho-biographie. C'est un très beau terme qui nous vient de Jean-Philippe Pierron. Et donc, je me suis retrouvée à l'île Maurice, un des lieux qui a donné une couleur, qui a donné une densité aux mots injustice. Et donc là, j'ai suivi justement des musiques mauriciennes, le ségué. Et puis, par la bande, je suis arrivée à Bruxelles. J'ai suivi le vent. Et puis, voilà, le sud est venu, en fait, au sein du nord. a imposé dans le livre quelques lignes, mais trop peu, sur la nécessité d'une écologie décoloniale. Des dévastations écologiques sont aussi liées à l'histoire des dévastations, des manières de faire monde des pays du Sud. Ce sont des luttes qui sont liées. C'est le système de domination qui est en jeu, le système de domination des êtres humains comme des êtres non-humains. Et donc, il y a plusieurs manières d'habiter la Terre. Et des manières... qui pourraient être plus respirables, c'est de considérer la diversité des manières de s'agencer avec des lieux et pas imposer une partition qui vienne de l'Occident et une leçon de vie aux autres. Aux autres yeux, c'est nouveau. Pourquoi il y a une... une importance primordiale à faire de l'écologie avec ceux qui sont concernés par les ravages occasionnés par l'Occident. Voilà, ce n'est pas séparé d'un côté la lutte environnementale de la lutte sociale. C'est d'un côté ce qui est en train de se passer. Et donc, on n'y arrivera pas si on ne remet pas en question le système capitaliste et le système de colonisation. Et toujours, je veux dire, en cours.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait. Alors, tout ça, on en parle dans ton livre aux éditions. Le premier, il est sorti l'année passée. À quel mois, plus précisément ?

  • Speaker #0

    Fin juin.

  • Speaker #1

    Fin juin 2024. Donc, c'est plusieurs récits. pour, je cite, « raviver notre dialogue intime au monde » . Pour ceux que ça intéresse, et pour aller plus loin, et aussi pour faire un plus monde intelligente, il y a plein d'autres références que ces quatre grands récits, qui sont juste magnifiques. Alors, tu as parlé de Vinciane Després, Rachel Carson, Donna Araouet, Félix Yatari, Gilles Deleuze, Philippe Descola, Henri-David Thoreau, Naomi Klein, etc. Comme j'ai eu la chance... de te rencontrer et de discuter avec toi. Avant cet épisode, j'ai eu un petit parcours, un petit aperçu, pardon, de ton parcours. Et tu disais, au début de l'enregistrement, que tu étais docteur en philosophie. Est-ce que, peut-être en quelques mots, tu peux nous expliquer en quoi consistait ton travail ? Quelle était la question de ta thèse, pour mettre en lien avec ce livre ?

  • Speaker #0

    Alors, la question de ma thèse, d'abord, c'était une urgence. J'avais quitté le monde académique et, de nouveau, je... je cherchais à acheminer dans toutes ces questions environnementales mais je voulais le faire par d'une certaine manière c'est à dire une manière qui ne soit pas qui ne reconduisent pas ce que je dénonçais c'est à dire de parler sur en fait et de mettre en avant une culture de la mise à distance, comme le dit Starhawk. C'est-à-dire qu'ils soient déconnectés des sujets qui étaient à vif chez moi. Donc, on pourrait voir ça comme une recherche-création. Et donc, comment aborder, tu en as parlé, la diversité de ces... de ces problématiques autrement que par les chiffres, que par des grandes théories, par le biais des émotions, par les affects, ce qui n'est pas facile parce que ça demande d'être déstabilisé. On le voit ici, c'est se refuser à employer des définitions toutes faites. Qu'est-ce que veut dire le mot colonial pour moi ? Qu'est-ce que veut dire le mot écologie ? Donc, comment ne pas donner des définitions, mais être mis en difficulté par ces mots, vraiment se laisser déstabiliser par ces mots. Il a fallu réinventer... Voilà, une manière de faire, créer des boussoles. Et donc, c'est un travail qui ne se fait pas seul.

  • Speaker #1

    Et tout ça t'a conduit à écrire ce bouquin, tout ton chemin ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin, de nouveau, ce livre était en germe dès le travail de la thèse, parce que fond et forme devaient s'avancer ensemble. C'est ça. C'est-à-dire qu'il fallait aussi une écriture qui soit... affine au sujet exploré. Donc une écriture qui puisse par instant être animale, une écriture qui puisse par instant fonctionner en rhizome, avec des « et, et, et » . Donc une écriture poétique, une écriture... Donc tout ça était déjà, je dirais, dans la thèse.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as aimé ta thèse, en un mot ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai adoré le chemin de la thèse, oui. J'ai mis toutes mes tripes.

  • Speaker #1

    Et ça se ressent dans le livre aussi, que tu aimes les tripes.

  • Speaker #0

    C'est une aventure de vie. Je veux dire, c'est déjà changé ma vie sur de nombreux plans.

  • Speaker #1

    Ok.

  • Speaker #0

    Mais... J'ai eu la chance d'être extrêmement bien accompagnée. Parce que c'est un exercice très, très difficile. Justement parce qu'il y a aussi ce langage académique qui parfois va à l'encontre des mouvements sauvages, des mouvements de rivières, des mouvements de tempêtes. Et donc... Là, pour le coup, il y a une certaine maîtrise, une domestication, en fait, de ces dires des bêtes. Et c'est très, très compliqué. C'est vraiment très douloureux. Et il y a aussi le fait que ce qui a été douloureux, c'est justement de prendre acte de toutes ces dévastations écologiques et donc d'être confronté aux chiffrets, d'être confronté à... aux camemberts, etc. Et donc, de sentir cette défaite et d'être aussi coupée de toutes sortes d'autres actions, parce que c'est très exigeant au niveau du temps, une thèse. Et donc, de ne plus... Parce que dans l'action, dans les luttes de terrain, il y a la vie qui reprend. Et donc, dans la thèse, parfois la vie, elle ne reprend pas. Donc, la défaite... s'emparent aussi de la pensée. Donc c'est vraiment un exercice qui est à la fois extrêmement difficile, mais je suis vraiment très heureuse d'avoir pris ce chemin-là.

  • Speaker #1

    Difficile mais transformateur.

  • Speaker #0

    Voilà, ouais.

  • Speaker #1

    À Tannes, on ne décide pas toujours des fins. Mais aujourd'hui... Je te laisse écrire la dernière note de cet épisode. Quel message, dernier message, aurais-tu envie de transmettre aujourd'hui dans ce micro ?

  • Speaker #0

    Et lire un petit extrait ?

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    À la tombée des rêves, sous les pluies des astres, nous sommes dénués grandissantes à pratiquer une danse un peu étrange. Son mouvement consiste à osciller entre enchantement et désenchantement, illusions nécessaires et désillusions lucides, Repli solitaire au plus sombre de nos tanières et déploiement solaire dans une ouverture au solidaire. Tantôt le cœur chagrin, devant les écosystèmes défunts. Tantôt le cœur en joie, retrouvé flamme dans le ténu. Tantôt le regard qui n'y voit rien, tantôt les yeux fabuleusement vivants, embrasés par la beauté des rivières et le sourire des fleurs aux pétales de papillons. Vu de loin, cette danse s'apparente à un mouvement sans queue ni tête. Pas de premier ni de dernier de cordée. Ses dents sont des expérimentations latérales, en spirale, faites de greffes ouvertes. On y décèle les tentatives de s'équiper autrement. Un grave saut savoir des animaux, des végétaux, des sols. Nous nous munissons de la lanterne naturaliste et le flair une fois retrouvé, nous repérons selon l'éclairage animiste. Nous tentons de composer avec le disparu. Nous essayons des rituels pour honorer les invisibles. Nous fabriquons des guérisons collectives, des échos poétiques du soin. Ici, ma main, dans ta main, se met à voir que ton corps, c'est toute une géomémoire, des vallées, des collines, des avènes, des torrents. Nous changeons les verrous qui emmurent nos murmurations, des verrous, des horizons possibles, des poèmes existentiels faits de verres ouverts aux diverses calgraphies de la Terre. Nous nous essayons à cheminer depuis nos vulnérabilités, nos fragilités, nos mondes perdus. Nous collons oreilles contre terre, museaux contre arbre, nous nous allions au castor, aux logiques de champignons. À proximité du mycélium, nous apprenons à penser par le milieu, en plusieurs endroits à la fois. Ici, avec les enfants bruxellois, là-bas, avec les enfants de Kinshasa. Nous renseignons auprès des vers de terre, sur l'art de transformer la matière morte en monde vivant. Nous lisons Donna Araouet, Isabelle Stengers, Félix Gattari, Starock, Gilles Deleuze, David Abraham, Vinciane Desprez, Baptiste Morisot, Philippe Descola, Anastasia Martin, Véronique Bergen, Camille Louis, et encore, encore, encore, encore, bien d'autres, que je n'ai pas cités ici. Nous nous rendons dans des écoles expérimentales et apprenons de la sagesse d'adolescentes pourtant violemment blessées par notre monde adulte. Nous réapprenons à touiller dans le chaudron des mythes et légendes où les identités humaines, animales, végétales et minérales savent s'allier en faveur de la jeunesse de monde. Et là où tout nous enjoint de nous méfier de l'humain, dans cette main tendue, dans ses échanges fraternels et sororaux, Toute l'humanité se tient levée. Bref, dans le monde qui s'écroule, nous tenons debout, les yeux bien ouverts, tenant tête à ceux qui font de la terre un enfer, tentant de faire souffle commun avec nos défauts, nos faux pas, nos paradoxes. Alors à la levée des rêves. Nous composons mille autres mondes. Et à l'instar du bouquet final du Petit Prince, de nouvelles étoiles se mettent à peupler la Terre. Étoiles faites de relations fortes, d'histoires ressources, de visions vitales, de récits lucioles.

  • Speaker #1

    C'était des lucioles et des ruines, quatre récits pour un éveil écologique, de Hatha Nadran, aux éditions Le Pommier, disponibles en librairie. Je tiens quand même à préciser qu'il y a quatre récits. autour duquel s'articule cet écrit, je n'en ai lu qu'un seul des quatre. Et j'ai quand même tout compris. Donc il n'est pas nécessaire d'avoir lu les quatre pour comprendre ce merveilleux livre. Voilà. Merci beaucoup, Adan.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Nina.

  • Speaker #1

    Voilà. J'espère que cet épisode vous aura plu, autant qu'il m'a plu. Je remercie Streambox qui nous produit et je vous invite, si cet échange vous a inspiré ou a éveillé quelque chose de positif en vous, à laisser des étoiles en dessous de ce podcast et à donner votre avis également. Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et n'hésitez pas à partager notre contenu, mais surtout et surtout s'il vous plaît, ayez un impact positif autour de vous aujourd'hui. Je vous dis à bientôt dans un nouvel épisode.

Chapters

  • Comment agir autour de soi ?

    18:49

  • Qu'est ce que l'art ?

    31:43

  • Son parcours

    47:54

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Description

Dans cet épisode de la playlist kops.philo, je suis accompagnée par Athane Adrahane, docteure en philosophie, écrivaine, artiste pour comprendre comment créer une soutenable harmonie dans notre monde.

On parle de son dernier livre : "Des lucioles et des ruines" ed Le Pommier - une lecture qui va changer votre perception de la société et du dualisme nature-culture.


J'espère que cet épisode vous plaira !


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Transcription

  • Speaker #0

    Streambox présente COPS. COPS est un podcast né d'un besoin urgent de trouver du sens dans l'existence, dans un monde parfois insaisissable. Son but principal est de reconnecter l'humain à la toile du vivant, à laquelle il appartient, grâce à la philosophie, l'art, l'écologie et des histoires. Je m'appelle Nina et je vous souhaite la bienvenue dans ce podcast. Aujourd'hui c'est le premier épisode de la playlist cops.art. J'avoue que j'hésite encore à le mettre dans la playlist cops.philo parce que vous le verrez les deux seront complètement imbriqués, l'art et la philosophie. La première fois que j'ai rencontré notre invité du jour c'était il y a à peu près un an sur les bancs du Nif et je connaissais que le côté très ou un peu trop académique. Elle est arrivée timide, discrète, habillée de noir, les yeux vifs. Elle s'est assise, mais pas devant le pupitre. Et elle a commencé une lecture. Elle venait nous parler d'écho poétique, en bref, du lien entre l'art littéraire, la poésie et la nature. C'était comme si en un coup, elle venait de remplir nos âmes de douceur. À l'heure où je vous parle, elle est auteure de trois livres, artiste pluridisciplinaire qui marche entre la photographie, la musique, l'écriture. Elle est aussi docteure en philosophie de l'Université libre de Bruxelles. Et elle pense. Elle pense à des récits et les partages pour pouvoir, je cite, « faire monde » et créer une soutenable harmonie. J'ai donc la chance de vous présenter Atan Adrahan. Bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Nina.

  • Speaker #0

    Je suis très très heureuse que tu sois là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Je suis aussi très heureuse d'être accueillie par ton univers, par ta voix. Merci.

  • Speaker #0

    Et tu sais que sur Terre, il y a des êtres qui sont insuffleurs du beau et tu en fais partie. Première petite question, comment est-ce que tu te sens ? Pas comment est-ce que tu vas, comment tu te sens.

  • Speaker #1

    Comment je me sens ? Je me sens heureuse d'être avec toi. J'ai appris la mort d'un cinéaste qui a été très important dans mon parcours artistique, David Lynch. Et donc je suis un peu bouleversée. Parce que son art a sauvé ma vie. Il y a des arts qui peuvent sauver des vies, parce qu'ils permettent de mettre un langage sur des écologies affectives très complexes. Et un langage qui n'est pas forcément verbal, qui est un langage sonore, un langage visuel, un langage affectif. Et donc, je me sens dans une faille. Parce que le départ d'un être, d'un artiste, ouvre une faille. Et donc, on rentre dans le vif du sujet, peut-être. C'est très intriguant. On ne connaît pas personnellement un artiste, mais on est en contact avec une œuvre. Une œuvre qui a des résonances affectives fortes, surtout quand on l'a fréquentée. C'était l'un des sujets de mon premier mémoire à l'Université libre de Bruxelles, les liens entre philosophie, cinéma et vie, et comment l'art peut impacter nos vies et comment nos vies peuvent se mêler à l'art.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, on va y venir, de comment l'art... Permet d'éveiller les consciences, permet de nous transformer. On va y venir. Alors, tu vois, pour commencer, j'ai tenté de donner quelques éléments pour que celles et ceux qui nous écoutent apprennent à te connaître. Mais finalement, personne n'est aussi légitime que soi-même pour parler de soi. Alors, qui es-tu ?

  • Speaker #1

    Alors, qui suis-je ? C'est une grande question. Est-ce que je suis ce que je fais ? D'où je viens ? Le sujet est multiple, pas figé dans une identité, donc un être en relation. Donc je vais essayer de répondre. Il y a évidemment les versants par lesquels on se présente habituellement. Je suis philosophe, artiste, je fais de la photographie, de la musique, je chante. Mais je suis aussi un être en relation. Je peux dire que je suis montagne, une petite montagne, et une grande montagne, une montagne de Provence, essentielle, le Mont Ventoux. Les arbres font partie de qui je suis. Mais je peux aussi me modifier au contact d'un papillon. d'une musique. Donc, il y a beaucoup de jeux dans ce jeu.

  • Speaker #0

    J'adore cette façon de t'exprimer au monde, cette maîtrise des mots, et on va y venir aussi, on a tellement de sujets à aborder. Mais en parlant de cette maîtrise des mots, on s'était vus dans une magnifique petite librairie à Hucle, promo de ton livre « Des Lucioles et des Ruines » dont il sera question aujourd'hui. Et c'est là que je t'avais proposé de venir sur le podcast. Tu m'avais dit quelque chose du genre « Oui, j'accepte avec plaisir, mais je ne suis pas très à l'aise avec les mots parlés. » Et puis, comme une espèce de groupie super fan, je t'ai demandé d'écrire une petite dédicace sur la page de mon livre, la page blanche. Et en quelques secondes à peine, tu as écrit ça. Est-ce que tu pourrais lire les deux petites phrases ici pour Nina ?

  • Speaker #1

    Cette cavalcade à travers les ruines, guidée par les lucioles qui nous donnent à sentir que nous ne sommes pas seuls au monde, pour un monde respirable, polyphoniquement. Belle lecture, Athane.

  • Speaker #0

    Alors, ça donc tu l'as écrit en quelques secondes. C'est quand même une tournure de mots qui est magnifique, exceptionnelle. Mais d'où te vient cette maîtrise des mots ? Quelle est ton histoire avec eux ? Est-ce que tu as cette fibre, par exemple, de la littérature, du vocabulaire, depuis l'enfance ?

  • Speaker #1

    Merci pour cette question. Je disais que je n'étais pas à l'aise avec le langage parlé. C'est compliqué pour moi de parler, effectivement. Ça l'était dans mon enfance, de parler avec les mots. Alors, maîtrise, si c'est... une domestication ou une appropriation ou une domination, il y a quelques mots qui font sens pour moi. Et les mots sont chargés d'une histoire, d'une odeur. Donc je dois les rencontrer. Je dois m'y frotter, mais ça demande du temps. Alors j'écris vraiment très très lentement, par couche. Et entre deux mots, il peut y avoir un marais, un marais que je vais devoir rencontrer, ou plutôt qui, peut-être, lui, va me rencontrer. Et alors ce mot prendra sens parce que dans ce mot, il y aura des libellules, il y aura des humains qui se rencontrent par un lieu. Ils se rencontrent grâce à un lieu. Et donc, ce mot va commencer à prendre une couleur, une densité, une force. Et alors, il va peut-être venir au sein de l'écriture et au sein d'une conversation. Mais rien d'évident. Le mot, par exemple, le mot amitié, c'est compliqué de maîtriser ce mot. Parce que moi, j'ai une amie fleur. Et elle peut me faire bouger dans ma compréhension de ce qu'est l'amitié. Est-ce que l'amitié, c'est quelque chose d'inconditionnel ? Est-ce que c'est pas plutôt des rencontres qui s'entretiennent ? Est-ce que ce n'est pas un feu qui s'entretient ? Est-ce que ce feu va brûler toujours ?

  • Speaker #0

    C'est en gros une multitude d'interprétations possibles du mot qui sont juste difficiles à intégrer.

  • Speaker #1

    C'est ça. Mais en fait, dans l'enfance, j'avais un langage de sensation et donc je ne parlais pas beaucoup.

  • Speaker #0

    Donc depuis l'enfance, c'était assez compliqué pour toi de t'exprimer ?

  • Speaker #1

    Il y a une multiplicité de langages. Il y a le langage des arbres, il y a le langage du vent, il y a le langage des nuages. Toutes ces manières de s'exprimer, toutes ces expressions de la terre. Et donc, le langage me paraissait aussi très, très réducteur de la polyphonie du vivant. Et donc, c'est pour ça aussi que j'essaye de m'exprimer par... Par l'art visuel, par la musique, par la philosophie. Alors, c'est sûr qu'à l'adolescence, il y a eu la rencontre de la poésie. Et là, les mots me sont devenus vitaux pour comprendre, comprendre certaines difficultés à vivre. Mais aussi parce que la poésie, elle ne fiche pas, elle ne désanime pas. Elle permet justement de redonner... Oui. vie, par exemple au Moarbre, mais c'est un travail. Alors, je rejoins le mot maîtrise, c'est qu'il y a... Voilà, c'est comme un artisan, c'est un travail d'artisan. On revient à chaque fois sur son texte et le fait que deux mots se côtoient, ça va donner un nouveau paysage. Donc, grâce au travail des mots, on va pouvoir détecter des paysages qui sont en nous, qui sont à l'extérieur de nous et... qui ne pourraient pas être mis en visibilité s'il n'y avait pas le travail de l'écriture. Et il y a aussi le travail de la philosophie, et ça, c'est le travail du concept. Et forcément, c'est aussi un travail qui est fait de par les lectures, de par aussi un certain type de création qui en passe par les mots qui nous mettent à l'aventure d'autres... d'autres chemins dans la réflexion.

  • Speaker #0

    Et on va parler, tu as utilisé le mot polyphonie, on va en parler, mais en fait, quand j'ai lu ton livre, j'avais un petit peu l'impression, parce que moi je vais utiliser le mot maîtrise des mots, que tu maîtrisais tellement bien le mot que ta lecture, c'était comme si j'arrivais à lire les langages de la nature grâce à un humain. Et ce qui est quand même assez rare. Merci pour ça, parce que j'ai vraiment adoré cette lecture et ça m'a transportée vers une compréhension meilleure de ce qui m'entoure. Bien que je sois déjà conscientisée par rapport à l'écologie, etc. Mais ça m'a fait vraiment beaucoup de bien de lire de cette manière-là.

  • Speaker #1

    Oui, il y a aussi le fait d'être habité par l'énergie des mots. Et donc, il y a une véritable transe aussi dans l'écriture. Moi, je peux rester... pendant quatre heures devant une page blanche et attendre que je sois écrit par certaines énergies. Donc l'idée c'est vraiment de laisser l'espace ouvert, d'être à l'écoute de certains mouvements et donc que ces mouvements puissent arriver jusqu'à la page. Et donc laisser après la possibilité que... Laisser assez d'ouverture que pour justement ce que tu es en train de raconter, que le lecteur puisse lui-même faire son trajet. Et je crois que ça, c'est très important. Et c'est pour ça que la polyphonie, c'est ça aussi. C'est comment toi, tu vas pouvoir glisser ta voix dans le livre. Et là, il y a une attention particulière à ça, de laisser le texte avec assez de respiration pour que le lecteur puisse adjoindre sa voix. Donc c'est un texte qui n'est pas du tout figé, qui n'est pas du tout parfait, parce qu'il est nécessaire qu'il puisse être encore fécondé, enrichi par les récits de tous ceux qui... qui vont pouvoir se mêler à cette danse.

  • Speaker #0

    Alors du coup, tu as la fibre artistique, la fibre littéraire, mais également la fibre écologique. Une manière d'être au monde, une conscience brute de ce qui t'entoure. Et dans le livre, « Des Lucioles et des Ruines » , je rappelle le titre, tu parles de ta conscience des polyphonies du vivant depuis l'enfance. Le mot polyphonie, on l'a déjà évoqué quelques fois, et dans le livre, tu l'utilises un bon nombre de fois également. Qu'est-ce que tu veux dire exactement par polyphonie ?

  • Speaker #1

    Encore une fois, c'est un mot que j'ai rencontré de par le fait que j'ai chanté dans une chorale. Et ce qui est magnifique dans cette expérience, c'est le fait que d'un côté, il faut... prendre la responsabilité de sa voix. mais qu'on est en soutien aussi des autres voix. Donc il est nécessaire d'apprendre à écouter les autres voix. Et cette écoute nous permet d'intégrer au sein de notre voix une multiplicité. Et puis c'est comme une tectonique. Il y a des rencontres, il y a des frottements. Et les dissonances créent des mondes et créent des mélodies d'une richesse incroyable. Les dissonances, les consonances, c'est la danse de la terre. Et donc, moi, ça résonne avec le bonheur que j'éprouvais enfant de voir qu'il n'y avait pas qu'un seul dire du monde, c'est-à-dire le dire humain, mais qu'il y avait une multiplicité, on revient à l'histoire du langage, une multiplicité de langues. qui ne fonctionnent pas forcément avec les mots verbaux. Et donc, être à l'écoute de ces expressions me remplissait de joie. Et puis, petit à petit, avec l'éducation, on nous enseigne à ne pratiquer plus qu'un seul langage. Et donc, il y a vraiment un amincissement de la conscience, donc une espèce de monophonie qui prend la direction de nos journées. Et ça se cultive, cette attention à la diversité des voix, à la diversité des écrits, parce qu'on n'est pas les seuls à écrire. Et donc, cette écoute de la multiplicité des... des musiques est un art et après il y a cette dimension de prise aussi de parole comme dans une polyphonie où le jeu lui-même est habité par ses multiples voix et où il s'agit pour moi en tout cas de rendre la responsabilité du fait qu'on n'est pas tout seul. Et c'est ça, cette partition polyphonique, c'est qu'on n'est pas tout seul sur Terre et qu'on est en relation avec une multiplicité de forces, de points de vie et que la respiration n'est possible que s'il y a un équilibre Entre toutes ces forces.

  • Speaker #0

    En fait, moi, ce que j'ai compris dans ce mot polyphonie et cette conscience des polyphonies pour pouvoir faire monde, c'est en fait qu'il est essentiel d'intégrer dans nos chaires une sorte de multi-perspectivisme, donc de plein de langages différents, que ce soit le langage de la terre, le langage corporel des animaux, le langage de l'écoute. C'est... Être à l'écoute de toutes ces histoires, de toutes ces voix, qu'elles soient verbales ou non verbales, pour pouvoir créer une société qui est, j'adore cette expression, en soutenable harmonie. Voilà comment j'ai compris ce mot polyphonie. Alors, comment on fait ? Pour atteindre, alors là tu m'as atteint avec ton livre évidemment, mais comment on fait pour atteindre les autres êtres humains qui ne sont peut-être pas à ce point conscientisés à l'environnement et à l'écologie, etc. Pour qu'eux aussi, et cette conscience écologique, cet éveil de fibre un petit peu environnementale, quel outil utiliser ? Enfin, lequel tu utilises toi ?

  • Speaker #1

    Oui, quel outil j'utilise déjà moi pour que ma conscience soit... élargie parce que dans mon parcours il y a eu des moments de véritable rétrécissement ce qui fait ce qui a fait ce que je suis ce qui m'a constituée dans l'enfance est venu me rechercher par toutes sortes de versants donc d'abord il y a effectivement cette écoute quand on ne sait plus respirer mais qu'est-ce qui va nous faire respirer ça Quand on atteint un certain niveau d'asphyxie, qu'est-ce qui va nous permettre de retrouver souffle dans les ruines ? Donc il y a effectivement... une nécessité vitale. Et alors, je dirais, moi, j'ai deux outils qui m'ont aidée. C'est effectivement ce multi-perspectivisme, c'est-à-dire d'être attentive à ce qui compose un monde et la diversité des humains et des non-humains et ces interdémandances. Donc, avoir comme boussole ce... les interdépendances, quels sont les enfants qui travaillent pour que je puisse vivre de cette manière, est-ce qu'il y a des histoires de forêts calcinées pour faire place nette à des cultures de canne à sucre. De nouveau, on retrouve cette polyphonie. Donc, être attentif à qui compose un monde. Et je crois que quand on est au fait de certains récits, ça travaille le corps. Et on devient... Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce monde-là ? Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce récit-là du café ? Ou bien, est-ce qu'il n'y a pas... d'autres récits à vitaliser, des récits de justice sociale, des récits d'être bien considérés, bien traités. Voilà, donc ça c'est...

  • Speaker #0

    L'intégration du multiperspectivisme.

  • Speaker #1

    L'intégration du multiperspectivisme. Et alors, déjà aussi, voir que l'écologie, là je parle de Félix Gattari, c'est un... Elle est triple, elle est environnementale comme on l'entend usuellement, mais elle est aussi sociale et il y a aussi une écologie de la psyché. Donc en fait il y en a bien plus que trois. Donc les ravages écologiques ils sont triples et donc considérer que... Travailler sur l'écologie, c'est travailler déjà sur ces trois versants. Donc ces trois versants travaillent ensemble. Et donc, de nouveau, c'est une danse, la danse écosophique, puisque c'est comme ça que Guattari, il ne parle pas de danse, mais il parle d'écosophie. Donc c'est la concatenation de ces trois écologies-là. Et donc, de nouveau, être attentif, on s'engage pour le climat, donc on doit être sur ce terrain-là. Et ce terrain-là est exclusif de cet autre terrain, etc. Mais il y a des « et, et, et » . Il y a une montagne, et ça, c'est un autre outil. Voilà, de nouveau, ce multi-perspectivisme, c'est penser comme une montagne. Ça vient d'Aldo Léopold, qui est écologue et forestier. Et donc, quels sont les points de vie, les points de vue qui peuplent la montagne ? Et comment ces points de vue, ces points de vie interagissent les uns avec les autres ? de nouveau.

  • Speaker #0

    Mais donc, concrètement, toi, c'est par cette Ausha, c'est par cette approche plus de la conscience de ce qui t'entoure, que tu as réussi à créer un outil qui permette aux autres d'être conscientisés. Et j'entends par là l'outil de la lecture, de l'art, de la philosophie. Pour toi, est-ce que ce ne sera pas finalement les deux plus beaux outils qu'on puisse avoir pour conscientiser les gens ?

  • Speaker #1

    Oui, alors après, je voudrais juste préciser, il y a aussi les bouleversements, les grands bouleversements qu'on n'a pas prévus. Et qui, moi, ce qui m'a, on pourra lire peut-être un petit extrait tout à l'heure, mais ce qui m'a, j'ai été bouleversée, j'ai été renversée par certaines relations. Certaines relations. avec des non-humains de type montagne, donc des milieux. Et j'ai eu cette expérience que beaucoup de personnes, en fait, ont si on va les chercher sur ces terrains-là, c'est-à-dire de tout d'un coup se sentir terrestre. Et je crois que ce senti, en fait, ce senti-là, je suis de ce monde. Je suis cette... de terre. En fait, j'en suis, je suis de cette aventure. Et ça, c'est peut-être difficile à mettre de nouveau en mots verbaux, mais il y a cette conscience de nos parentelles. que nos parentelles ne sont pas forcément qu'humaines. On vient de l'océan, on vient de la forêt. Et donc là, à partir du moment où il y a ce senti tripal, ce senti cellulaire, je crois qu'il y a quelque chose qui se met en place. Oui,

  • Speaker #0

    mais comment on fait pour que les gens aussi ressentent cette appartenance à la terre dans leurs tripes ? Qu'est-ce qu'on pourrait utiliser ? Qu'est-ce que toi tu utilises pour faire en sorte que... que les gens aient un peu ce bouleversement aussi ?

  • Speaker #1

    Je passe mon temps à essayer de rappeler dans les conversations ces présences ailées, ces présences écaillées, ces autres dires. C'est une manière de faire par la photographie, mais c'est tellement petit, pas leur présence. Ce que moi, je peux faire pour que... Mais je crois que c'est petit à petit se ressouvenir. Parce que l'amnésie est très forte, mais on est encouragé à ça. Ce que je veux dire, c'est qu'on est encouragé à ne pas nous souvenir. Et on nous supprime aussi les lieux de contact avec cette mémoire. On bétonne à tout va, on nous annonce des grands projets écocidaires, et petit à petit, on étouffe toutes ces voies. Donc, favoriser les contacts avec les êtres feuillus, les êtres à écailles, c'est ultra important, et on a besoin de ces espaces-là. Tout le monde en a besoin.

  • Speaker #0

    Mais tu disais là que tu, d'une certaine manière, tu essayais de semer des graines. Et moi, il y a une graine dont tu m'avais parlé, c'était que tu donnes des ateliers philo à des enfants. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Plutôt que de donner, on fabrique quelque chose ensemble. Donc les ateliers philo, c'est des recherches collectives, comme on peut en voir à l'université. Mais là, on fabrique un savoir. de nouveau polyphonique. Et chacun apporte sa petite pépite de pensée. Donc de nouveau, on est dans des « et, et, et » , plutôt que, c'est ce que je comprends, et qui m'anime, c'est que ce ne sont pas forcément des débats pour, contre, etc. C'est que c'est des « et, et, et » , et c'est très puissant, ça. Alors, par exemple, si on part à... À la recherche au trésor dans un parc près des arbres, etc. Enfin, on s'interroge sur c'est quoi un trésor. Un trésor, ça peut être le chant d'un oiseau. Un trésor, ça peut être une feuille. Et donc, le trésor, ça peut être la parole d'un enfant. Mais ça peut aussi être une écoute.

  • Speaker #0

    Ok, donc je change ma phrase. Tu ne donnes pas des ateliers philo, tu co-crées des ateliers philo avec des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, c'est une co-création, mais je suis en chemin par rapport aux mots.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi pour donner à toutes celles et ceux qui nous écoutent une idée des graines que tu sèmes. En plus d'écrire des livres, de faire de la poésie, de l'art, tu donnes aussi des ateliers. Ouais. Et d'ailleurs, l'enfant qui est en moi a très envie de venir une fois dans tes ateliers. Donc si jamais tu m'acceptes, je viendrai vraiment avec plaisir.

  • Speaker #1

    Avec joie.

  • Speaker #0

    Et alors, tu dis aussi qu'en parlant des polyphonies, de langage, des enfants, etc., que la force du langage, des mots, de l'art... permet de rompre le clivage humain-nature ? Concrètement, je sais que c'est une question qui va être très difficile à répondre, mais comment l'art permet de reconnecter l'humain à ce qui l'entoure ? Qu'est-ce qui se passe dans celles et ceux qui sont sensibles à l'art pour créer un déclic, ou pour créer un bouleversement, pour apprivoiser une forme de conscience écologique ?

  • Speaker #1

    L'art... On peut dialoguer avec des versants de nous qui fonctionnent selon un autre régime que le régime des chiffres, le régime des bilans, des camemberts. Et si ces chiffres sont nécessaires pour rendre compte de certaines atteintes à l'environnement, ils n'atteignent pas d'autres parties. et d'autres émotions face au ravage socio-écologique, au changement climatique. On éprouve toutes sortes de... d'émotions, d'affects. Et ces affects sont parfois tellement énormes et tellement difficiles à...

  • Speaker #0

    à aborder, qu'on a tendance à... C'est une stratégie à les enfuir. Et donc, comment dialoguer avec ces affects, ces émotions, les affects de colère, les affects de honte, les affects de tristesse, des tristesses abyssales. Et donc, l'art nous prend, on en parlait en début de cette émission, nous prend par la main, nous prend par les tripes. pour dialoguer avec ces versants atteints, ces versants en colère. Et il permet de travailler avec ces énergies. La colère est nécessaire pour les combats économiques. La colère peut aussi nous consumer de l'intérieur. Donc, on a besoin de cette colère. la transformer. Et comment on peut se connecter, toi et moi, à travers cette colère, cette rage même, ou à travers d'immenses tristesses, devant les pertes irréparables. Qu'est-ce qui sort de nos larmes ? Il y a toute une écologie des larmes. Dans une larme, il y a énormément d'informations. Et donc... Les émotions sont une manière de nous rapporter aussi à ce qui nous entoure et de faire monde ensemble. Donc, ce n'est pas une affaire privée. Alors, c'est comment on passe de l'intime au collectif. Et donc, l'art, c'est aussi... On parlait des ateliers philo pour enfants. Travailler, par exemple, à partir d'albums jeunesse, c'est aussi avoir un intercesseur, l'album jeunesse, pour nous lier ensemble. Un livre, une musique permet aussi d'avoir un intercesseur, des alliés. Et Pascal est dans certains de ces motions. C'est pas facile. Avoir au quotidien la conscience des dévastations écologiques, c'est vraiment pas facile. Enfin, je veux dire, tu sais de quoi je parle. Et donc, on a besoin d'alliés, on a besoin d'intercesseurs. Et c'est pour ça que les arts sont des entités très particulières. Ils ont un régime d'existence très, très particulier. qui permet de dialoguer, de refluxifier une certaine écologie de la psyché.

  • Speaker #1

    C'est quoi pour toi exactement l'art ? À nouveau en question très vaste. Mais je pense que c'est intéressant aussi.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. C'est que l'art a cette capacité à nous déplacer. c'est-à-dire à fissurer certains agencements trop rigides. Et de nouveau, on est dans le perspectivisme. C'est-à-dire, si tu regardais le monde depuis cet angle-là, qu'est-ce qui bouge dans ta perception ? Alors, moi, je fais de la photographie. Et je suis... On dit dans la photo animalière qu'on fait des affûts. Mais en fait, on est affûtés. Notre regard est transformé par leur montre avec une libellule. Tout d'un coup, on aurait une pensée qui fonctionne en zigzag et pas de manière rectiling. Pour moi, c'est ça l'art. C'est-à-dire, c'est des rencontres. Et c'est aussi une manière... C'est une ouverture à d'autres mouvements. Comment on va être mis en mouvement ? Une œuvre d'art nous déplace, mais faire de l'art, c'est accepter d'être déplacée aussi. C'est-à-dire d'être dans un état d'ouverture pour que certaines choses qui sont figées, puissent entrevoir d'autres possibles, d'autres chemins. Donc ça a habité quelque part un certain trouble.

  • Speaker #1

    Tu sais que c'est très drôle ce que tu dis, parce que là, pour mon mémoire à l'UNIF, je fais une recherche sur comment l'art peut être un outil de soin de soi et un outil de soin de la Terre. Donc je fais vraiment cette connexion entre les bienfaits de l'art sur l'artiste, mais aussi... pour la Terre et donc pour conscientiser les autres. En fait, c'est exactement ce que tu dis. C'est que l'art permet à l'artiste de se déplacer pour évoluer. pour grandir dans une forme d'intellect, mais permet aussi de toucher et de rendre sensible l'autre. Donc je me suis vraiment très bien retrouvée dans tes mots.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça, c'est remettre en mouvement une capacité à sentir et à donner du... réinsuffler du sens là où les sens sont complètement... Figer, ouais.

  • Speaker #1

    Ouais, anesthésier.

  • Speaker #0

    Anesthésier,

  • Speaker #1

    ouais. Et ouais, en fait, moi je pense que, d'après les recherches aussi que j'ai déjà faites, pour ce mémoire justement, c'est que l'art, c'est tout ce qui prend aux émotions, en public. C'est tout ce qui permet de redevenir sensible pour faire monde. Et à nouveau, créer une soutenable harmonie. Je vais leur sortir tout le temps cette expression, je l'adore, je l'ai trouvée dans ton livre.

  • Speaker #0

    Et c'est aussi... ... On parlait de dialoguer avec des parties plus difficiles, mais c'est aussi l'art nous permet d'aller voir au-delà du visible. Et donc, j'en parle beaucoup dans le livre, dans ces lieux plus souterrains. Et donc, ce n'est pas le fait que des artistes. C'est pour ça que les écoféministes interviennent dans le livre. Il y a des arts qui sont des arts d'agencement avec autrui, et des arts du soin aussi, des créations de relations.

  • Speaker #1

    On parlait de colère tout à l'heure. Comment on fait pour utiliser cette colère face à toute cette connerie humaine qu'on est en train de faire à nos sociétés et à la Terre ? Aujourd'hui, on est face à des problèmes qui forment un système complexe. On appelle ça aussi un nexus. Et dans ce bouquin, qui est articulé par quatre récits principaux, alors on a Le Petit Prince, Robinson, Vendredi, on a aussi un récit de Jean Gionnaud. Tu déconstruis les fondements majeurs de notre époque absolument démentes. Le capitalisme, le néocolonialisme, le consumérisme, les injustices climatiques, les changements climatiques, la perte de la biodiversité. Je ne vais pas tous les citer, mais voilà, c'est un énorme nexus. Et avec tes mots, tu arrives malgré tout, malgré ces sujets qui sont effrayants, tétanisants parfois, à apporter une vague d'optimisme et des graines de possible en parlant de sujets a priori pas très réjouissants. Et donc, je voulais insister sur merci. Parce que vraiment, cette vague d'optimisme fait énormément du bien et je sais que c'est très important pour toi. de savoir que tu donnes du possible à la société. Alors, les injustices, le néocolonialisme, le capitalisme, l'esclavagisme moderne, etc. Bref, on a plein de catastrophes. Est-ce que tu aurais une raison à nous donner pour ne pas être défaitiste ? Autrement dit, pourquoi on devrait continuer à se battre ? Pourquoi continuer à éco-poétiser ? Pourquoi continuer à créer des nouvelles formes de savoir, des nouveaux récits, pour ce nouveau monde qu'on en vit ?

  • Speaker #0

    Il y a encore plein de combats à gagner. On est encore vivants. Donc, tous ces vivants s'activent en nous. Bien sûr, il y a des disparitions, des pertes terribles, et c'est inéluctable. Mais il y a des... On peut encore s'agencer autrement que selon la partition qui semble se profiler comme étant la seule partition. Et je crois qu'on est vraiment nombreux à la vouloir. Simplement, on se sent isolé. Et de nouveau, c'est ça le poison du capitalisme, c'est de penser qu'on est tout seul.

  • Speaker #1

    Et en fait, ça me paraît tellement évident, mais une raison de continuer à protéger, à défendre ce vivant, c'est qu'on est en vie et que si on veut le rester, il faut.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. C'est cette phrase de Starhawk qui dit « je veux que la vie continue » . Moi, c'est une question que j'avais posée aussi à Starhawk. Parce que j'étais très, très déprimée. Et comment ne pas baisser les bras ? Je ne sais plus très bien les termes exacts, parce que c'était en anglais, mais en gros, il n'y a pas à baisser les bras. Il n'y a rien d'autre à faire que de continuer à vouloir que la vie continue.

  • Speaker #1

    En fait, c'est d'une logique implacable. On pourrait trouver mille et une raisons de continuer à se défendre, à ne pas être défaitiste, mais en fait, le fait est que... on est en vie et que c'est ça le plus important.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi important d'accepter ces sentiments de défaite, en tout cas ces émotions complexes de ne pas les enfuir et de chanter avec aussi parce que parce qu'elles sont là, qu'elles font partie de cette biodiversité émotionnelle. C'est pour ça qu'on a aussi besoin, pour moi j'ai besoin des arts de la tristesse aussi, pour ne pas se nier cette dimension-là et me dire, il faut que je sois toujours en action.

  • Speaker #1

    Et moi d'ailleurs, ton livre m'a donné plein de courage, plein d'espoir. Et d'ailleurs, pour revenir à ton livre, est-ce que tu pourrais nous parler d'un moment marquant de l'écriture ?

  • Speaker #0

    C'est encore une belle question. C'est un livre qui est issu d'une thèse en philosophie à l'ULB. Il y avait déjà dans ma thèse cette architecture chorale avec quatre récits. J'ai terminé ma thèse en 2018 et les choses ont beaucoup bougé entre temps. Et moi, j'ai bougé. Il était nécessaire de... Alors qu'il s'agissait de reprendre ses récits, d'injecter un peu tout le chemin que j'avais fait depuis 2018. Et donc, je crois que l'événement marquant, ça a été cette idée de faire une suite à chaque récit. Et donc aussi la possibilité de dire pourquoi j'avais été vers ces récits. Donc, il y a quatre récits, mais il y a une multiplicité de récits. Donc, c'est... Ces quatre récits faits de plein de livres. Et donc, chaque récit, chaque récit intercesseur, Vendredi où la vie sauvage, Où les limbes du Pacifique, L'homme qui plantait des arbres, Christian F. très endrogué, prostitué, Le petit prince, se sont vus augmenter d'un nouveau chapitre qui n'avait jamais été écrit par les auteurs. Et donc, ça, c'était des grands moments, en fait, pour moi, pour Vendredi ou les limbes du Pacifique. C'était de suivre le vent. Et là, je ne m'y attendais pas du tout dans l'écriture, que j'allais suivre le vent, la perspective de Vendredi, que je serais amenée à l'île Maurice, à dialoguer avec ces points de vue du Sud. qui sont très importants et dont on a besoin pour cheminer dans notre Occident et donc comment l'île Maurice tout d'un coup vient à Bruxelles je suis un peu obscure mais il faut lire le livre et donc voilà, vendredi nous amène à prendre en considération un vent qu'on n'enferme pas et qui circulent. Parce que voilà, c'est ça qui est intéressant dans un livre, c'est qu'on peut prendre le temps de déplier, de rentrer dans le pli des vagues, etc., dans les cales, dans les... Et donc, c'est un art d'être à l'écoute du vent et des vents. Et donc, pendant l'écriture de ce chapitre, je me suis mise à l'écoute du vent et j'ai reconnecté une des lignes de mon écho-biographie. C'est un très beau terme qui nous vient de Jean-Philippe Pierron. Et donc, je me suis retrouvée à l'île Maurice, un des lieux qui a donné une couleur, qui a donné une densité aux mots injustice. Et donc là, j'ai suivi justement des musiques mauriciennes, le ségué. Et puis, par la bande, je suis arrivée à Bruxelles. J'ai suivi le vent. Et puis, voilà, le sud est venu, en fait, au sein du nord. a imposé dans le livre quelques lignes, mais trop peu, sur la nécessité d'une écologie décoloniale. Des dévastations écologiques sont aussi liées à l'histoire des dévastations, des manières de faire monde des pays du Sud. Ce sont des luttes qui sont liées. C'est le système de domination qui est en jeu, le système de domination des êtres humains comme des êtres non-humains. Et donc, il y a plusieurs manières d'habiter la Terre. Et des manières... qui pourraient être plus respirables, c'est de considérer la diversité des manières de s'agencer avec des lieux et pas imposer une partition qui vienne de l'Occident et une leçon de vie aux autres. Aux autres yeux, c'est nouveau. Pourquoi il y a une... une importance primordiale à faire de l'écologie avec ceux qui sont concernés par les ravages occasionnés par l'Occident. Voilà, ce n'est pas séparé d'un côté la lutte environnementale de la lutte sociale. C'est d'un côté ce qui est en train de se passer. Et donc, on n'y arrivera pas si on ne remet pas en question le système capitaliste et le système de colonisation. Et toujours, je veux dire, en cours.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait. Alors, tout ça, on en parle dans ton livre aux éditions. Le premier, il est sorti l'année passée. À quel mois, plus précisément ?

  • Speaker #0

    Fin juin.

  • Speaker #1

    Fin juin 2024. Donc, c'est plusieurs récits. pour, je cite, « raviver notre dialogue intime au monde » . Pour ceux que ça intéresse, et pour aller plus loin, et aussi pour faire un plus monde intelligente, il y a plein d'autres références que ces quatre grands récits, qui sont juste magnifiques. Alors, tu as parlé de Vinciane Després, Rachel Carson, Donna Araouet, Félix Yatari, Gilles Deleuze, Philippe Descola, Henri-David Thoreau, Naomi Klein, etc. Comme j'ai eu la chance... de te rencontrer et de discuter avec toi. Avant cet épisode, j'ai eu un petit parcours, un petit aperçu, pardon, de ton parcours. Et tu disais, au début de l'enregistrement, que tu étais docteur en philosophie. Est-ce que, peut-être en quelques mots, tu peux nous expliquer en quoi consistait ton travail ? Quelle était la question de ta thèse, pour mettre en lien avec ce livre ?

  • Speaker #0

    Alors, la question de ma thèse, d'abord, c'était une urgence. J'avais quitté le monde académique et, de nouveau, je... je cherchais à acheminer dans toutes ces questions environnementales mais je voulais le faire par d'une certaine manière c'est à dire une manière qui ne soit pas qui ne reconduisent pas ce que je dénonçais c'est à dire de parler sur en fait et de mettre en avant une culture de la mise à distance, comme le dit Starhawk. C'est-à-dire qu'ils soient déconnectés des sujets qui étaient à vif chez moi. Donc, on pourrait voir ça comme une recherche-création. Et donc, comment aborder, tu en as parlé, la diversité de ces... de ces problématiques autrement que par les chiffres, que par des grandes théories, par le biais des émotions, par les affects, ce qui n'est pas facile parce que ça demande d'être déstabilisé. On le voit ici, c'est se refuser à employer des définitions toutes faites. Qu'est-ce que veut dire le mot colonial pour moi ? Qu'est-ce que veut dire le mot écologie ? Donc, comment ne pas donner des définitions, mais être mis en difficulté par ces mots, vraiment se laisser déstabiliser par ces mots. Il a fallu réinventer... Voilà, une manière de faire, créer des boussoles. Et donc, c'est un travail qui ne se fait pas seul.

  • Speaker #1

    Et tout ça t'a conduit à écrire ce bouquin, tout ton chemin ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin, de nouveau, ce livre était en germe dès le travail de la thèse, parce que fond et forme devaient s'avancer ensemble. C'est ça. C'est-à-dire qu'il fallait aussi une écriture qui soit... affine au sujet exploré. Donc une écriture qui puisse par instant être animale, une écriture qui puisse par instant fonctionner en rhizome, avec des « et, et, et » . Donc une écriture poétique, une écriture... Donc tout ça était déjà, je dirais, dans la thèse.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as aimé ta thèse, en un mot ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai adoré le chemin de la thèse, oui. J'ai mis toutes mes tripes.

  • Speaker #1

    Et ça se ressent dans le livre aussi, que tu aimes les tripes.

  • Speaker #0

    C'est une aventure de vie. Je veux dire, c'est déjà changé ma vie sur de nombreux plans.

  • Speaker #1

    Ok.

  • Speaker #0

    Mais... J'ai eu la chance d'être extrêmement bien accompagnée. Parce que c'est un exercice très, très difficile. Justement parce qu'il y a aussi ce langage académique qui parfois va à l'encontre des mouvements sauvages, des mouvements de rivières, des mouvements de tempêtes. Et donc... Là, pour le coup, il y a une certaine maîtrise, une domestication, en fait, de ces dires des bêtes. Et c'est très, très compliqué. C'est vraiment très douloureux. Et il y a aussi le fait que ce qui a été douloureux, c'est justement de prendre acte de toutes ces dévastations écologiques et donc d'être confronté aux chiffrets, d'être confronté à... aux camemberts, etc. Et donc, de sentir cette défaite et d'être aussi coupée de toutes sortes d'autres actions, parce que c'est très exigeant au niveau du temps, une thèse. Et donc, de ne plus... Parce que dans l'action, dans les luttes de terrain, il y a la vie qui reprend. Et donc, dans la thèse, parfois la vie, elle ne reprend pas. Donc, la défaite... s'emparent aussi de la pensée. Donc c'est vraiment un exercice qui est à la fois extrêmement difficile, mais je suis vraiment très heureuse d'avoir pris ce chemin-là.

  • Speaker #1

    Difficile mais transformateur.

  • Speaker #0

    Voilà, ouais.

  • Speaker #1

    À Tannes, on ne décide pas toujours des fins. Mais aujourd'hui... Je te laisse écrire la dernière note de cet épisode. Quel message, dernier message, aurais-tu envie de transmettre aujourd'hui dans ce micro ?

  • Speaker #0

    Et lire un petit extrait ?

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    À la tombée des rêves, sous les pluies des astres, nous sommes dénués grandissantes à pratiquer une danse un peu étrange. Son mouvement consiste à osciller entre enchantement et désenchantement, illusions nécessaires et désillusions lucides, Repli solitaire au plus sombre de nos tanières et déploiement solaire dans une ouverture au solidaire. Tantôt le cœur chagrin, devant les écosystèmes défunts. Tantôt le cœur en joie, retrouvé flamme dans le ténu. Tantôt le regard qui n'y voit rien, tantôt les yeux fabuleusement vivants, embrasés par la beauté des rivières et le sourire des fleurs aux pétales de papillons. Vu de loin, cette danse s'apparente à un mouvement sans queue ni tête. Pas de premier ni de dernier de cordée. Ses dents sont des expérimentations latérales, en spirale, faites de greffes ouvertes. On y décèle les tentatives de s'équiper autrement. Un grave saut savoir des animaux, des végétaux, des sols. Nous nous munissons de la lanterne naturaliste et le flair une fois retrouvé, nous repérons selon l'éclairage animiste. Nous tentons de composer avec le disparu. Nous essayons des rituels pour honorer les invisibles. Nous fabriquons des guérisons collectives, des échos poétiques du soin. Ici, ma main, dans ta main, se met à voir que ton corps, c'est toute une géomémoire, des vallées, des collines, des avènes, des torrents. Nous changeons les verrous qui emmurent nos murmurations, des verrous, des horizons possibles, des poèmes existentiels faits de verres ouverts aux diverses calgraphies de la Terre. Nous nous essayons à cheminer depuis nos vulnérabilités, nos fragilités, nos mondes perdus. Nous collons oreilles contre terre, museaux contre arbre, nous nous allions au castor, aux logiques de champignons. À proximité du mycélium, nous apprenons à penser par le milieu, en plusieurs endroits à la fois. Ici, avec les enfants bruxellois, là-bas, avec les enfants de Kinshasa. Nous renseignons auprès des vers de terre, sur l'art de transformer la matière morte en monde vivant. Nous lisons Donna Araouet, Isabelle Stengers, Félix Gattari, Starock, Gilles Deleuze, David Abraham, Vinciane Desprez, Baptiste Morisot, Philippe Descola, Anastasia Martin, Véronique Bergen, Camille Louis, et encore, encore, encore, encore, bien d'autres, que je n'ai pas cités ici. Nous nous rendons dans des écoles expérimentales et apprenons de la sagesse d'adolescentes pourtant violemment blessées par notre monde adulte. Nous réapprenons à touiller dans le chaudron des mythes et légendes où les identités humaines, animales, végétales et minérales savent s'allier en faveur de la jeunesse de monde. Et là où tout nous enjoint de nous méfier de l'humain, dans cette main tendue, dans ses échanges fraternels et sororaux, Toute l'humanité se tient levée. Bref, dans le monde qui s'écroule, nous tenons debout, les yeux bien ouverts, tenant tête à ceux qui font de la terre un enfer, tentant de faire souffle commun avec nos défauts, nos faux pas, nos paradoxes. Alors à la levée des rêves. Nous composons mille autres mondes. Et à l'instar du bouquet final du Petit Prince, de nouvelles étoiles se mettent à peupler la Terre. Étoiles faites de relations fortes, d'histoires ressources, de visions vitales, de récits lucioles.

  • Speaker #1

    C'était des lucioles et des ruines, quatre récits pour un éveil écologique, de Hatha Nadran, aux éditions Le Pommier, disponibles en librairie. Je tiens quand même à préciser qu'il y a quatre récits. autour duquel s'articule cet écrit, je n'en ai lu qu'un seul des quatre. Et j'ai quand même tout compris. Donc il n'est pas nécessaire d'avoir lu les quatre pour comprendre ce merveilleux livre. Voilà. Merci beaucoup, Adan.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Nina.

  • Speaker #1

    Voilà. J'espère que cet épisode vous aura plu, autant qu'il m'a plu. Je remercie Streambox qui nous produit et je vous invite, si cet échange vous a inspiré ou a éveillé quelque chose de positif en vous, à laisser des étoiles en dessous de ce podcast et à donner votre avis également. Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et n'hésitez pas à partager notre contenu, mais surtout et surtout s'il vous plaît, ayez un impact positif autour de vous aujourd'hui. Je vous dis à bientôt dans un nouvel épisode.

Chapters

  • Comment agir autour de soi ?

    18:49

  • Qu'est ce que l'art ?

    31:43

  • Son parcours

    47:54

Description

Dans cet épisode de la playlist kops.philo, je suis accompagnée par Athane Adrahane, docteure en philosophie, écrivaine, artiste pour comprendre comment créer une soutenable harmonie dans notre monde.

On parle de son dernier livre : "Des lucioles et des ruines" ed Le Pommier - une lecture qui va changer votre perception de la société et du dualisme nature-culture.


J'espère que cet épisode vous plaira !


N'hésitez pas à laisser des étoiles et des avis sous cet épisode, à nous soutenir sur les réseaux sociaux mais surtout à avoir un impact positif sur Terre aujourd'hui.


Ce podcast est une production Streambox.


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Transcription

  • Speaker #0

    Streambox présente COPS. COPS est un podcast né d'un besoin urgent de trouver du sens dans l'existence, dans un monde parfois insaisissable. Son but principal est de reconnecter l'humain à la toile du vivant, à laquelle il appartient, grâce à la philosophie, l'art, l'écologie et des histoires. Je m'appelle Nina et je vous souhaite la bienvenue dans ce podcast. Aujourd'hui c'est le premier épisode de la playlist cops.art. J'avoue que j'hésite encore à le mettre dans la playlist cops.philo parce que vous le verrez les deux seront complètement imbriqués, l'art et la philosophie. La première fois que j'ai rencontré notre invité du jour c'était il y a à peu près un an sur les bancs du Nif et je connaissais que le côté très ou un peu trop académique. Elle est arrivée timide, discrète, habillée de noir, les yeux vifs. Elle s'est assise, mais pas devant le pupitre. Et elle a commencé une lecture. Elle venait nous parler d'écho poétique, en bref, du lien entre l'art littéraire, la poésie et la nature. C'était comme si en un coup, elle venait de remplir nos âmes de douceur. À l'heure où je vous parle, elle est auteure de trois livres, artiste pluridisciplinaire qui marche entre la photographie, la musique, l'écriture. Elle est aussi docteure en philosophie de l'Université libre de Bruxelles. Et elle pense. Elle pense à des récits et les partages pour pouvoir, je cite, « faire monde » et créer une soutenable harmonie. J'ai donc la chance de vous présenter Atan Adrahan. Bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Nina.

  • Speaker #0

    Je suis très très heureuse que tu sois là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Je suis aussi très heureuse d'être accueillie par ton univers, par ta voix. Merci.

  • Speaker #0

    Et tu sais que sur Terre, il y a des êtres qui sont insuffleurs du beau et tu en fais partie. Première petite question, comment est-ce que tu te sens ? Pas comment est-ce que tu vas, comment tu te sens.

  • Speaker #1

    Comment je me sens ? Je me sens heureuse d'être avec toi. J'ai appris la mort d'un cinéaste qui a été très important dans mon parcours artistique, David Lynch. Et donc je suis un peu bouleversée. Parce que son art a sauvé ma vie. Il y a des arts qui peuvent sauver des vies, parce qu'ils permettent de mettre un langage sur des écologies affectives très complexes. Et un langage qui n'est pas forcément verbal, qui est un langage sonore, un langage visuel, un langage affectif. Et donc, je me sens dans une faille. Parce que le départ d'un être, d'un artiste, ouvre une faille. Et donc, on rentre dans le vif du sujet, peut-être. C'est très intriguant. On ne connaît pas personnellement un artiste, mais on est en contact avec une œuvre. Une œuvre qui a des résonances affectives fortes, surtout quand on l'a fréquentée. C'était l'un des sujets de mon premier mémoire à l'Université libre de Bruxelles, les liens entre philosophie, cinéma et vie, et comment l'art peut impacter nos vies et comment nos vies peuvent se mêler à l'art.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, on va y venir, de comment l'art... Permet d'éveiller les consciences, permet de nous transformer. On va y venir. Alors, tu vois, pour commencer, j'ai tenté de donner quelques éléments pour que celles et ceux qui nous écoutent apprennent à te connaître. Mais finalement, personne n'est aussi légitime que soi-même pour parler de soi. Alors, qui es-tu ?

  • Speaker #1

    Alors, qui suis-je ? C'est une grande question. Est-ce que je suis ce que je fais ? D'où je viens ? Le sujet est multiple, pas figé dans une identité, donc un être en relation. Donc je vais essayer de répondre. Il y a évidemment les versants par lesquels on se présente habituellement. Je suis philosophe, artiste, je fais de la photographie, de la musique, je chante. Mais je suis aussi un être en relation. Je peux dire que je suis montagne, une petite montagne, et une grande montagne, une montagne de Provence, essentielle, le Mont Ventoux. Les arbres font partie de qui je suis. Mais je peux aussi me modifier au contact d'un papillon. d'une musique. Donc, il y a beaucoup de jeux dans ce jeu.

  • Speaker #0

    J'adore cette façon de t'exprimer au monde, cette maîtrise des mots, et on va y venir aussi, on a tellement de sujets à aborder. Mais en parlant de cette maîtrise des mots, on s'était vus dans une magnifique petite librairie à Hucle, promo de ton livre « Des Lucioles et des Ruines » dont il sera question aujourd'hui. Et c'est là que je t'avais proposé de venir sur le podcast. Tu m'avais dit quelque chose du genre « Oui, j'accepte avec plaisir, mais je ne suis pas très à l'aise avec les mots parlés. » Et puis, comme une espèce de groupie super fan, je t'ai demandé d'écrire une petite dédicace sur la page de mon livre, la page blanche. Et en quelques secondes à peine, tu as écrit ça. Est-ce que tu pourrais lire les deux petites phrases ici pour Nina ?

  • Speaker #1

    Cette cavalcade à travers les ruines, guidée par les lucioles qui nous donnent à sentir que nous ne sommes pas seuls au monde, pour un monde respirable, polyphoniquement. Belle lecture, Athane.

  • Speaker #0

    Alors, ça donc tu l'as écrit en quelques secondes. C'est quand même une tournure de mots qui est magnifique, exceptionnelle. Mais d'où te vient cette maîtrise des mots ? Quelle est ton histoire avec eux ? Est-ce que tu as cette fibre, par exemple, de la littérature, du vocabulaire, depuis l'enfance ?

  • Speaker #1

    Merci pour cette question. Je disais que je n'étais pas à l'aise avec le langage parlé. C'est compliqué pour moi de parler, effectivement. Ça l'était dans mon enfance, de parler avec les mots. Alors, maîtrise, si c'est... une domestication ou une appropriation ou une domination, il y a quelques mots qui font sens pour moi. Et les mots sont chargés d'une histoire, d'une odeur. Donc je dois les rencontrer. Je dois m'y frotter, mais ça demande du temps. Alors j'écris vraiment très très lentement, par couche. Et entre deux mots, il peut y avoir un marais, un marais que je vais devoir rencontrer, ou plutôt qui, peut-être, lui, va me rencontrer. Et alors ce mot prendra sens parce que dans ce mot, il y aura des libellules, il y aura des humains qui se rencontrent par un lieu. Ils se rencontrent grâce à un lieu. Et donc, ce mot va commencer à prendre une couleur, une densité, une force. Et alors, il va peut-être venir au sein de l'écriture et au sein d'une conversation. Mais rien d'évident. Le mot, par exemple, le mot amitié, c'est compliqué de maîtriser ce mot. Parce que moi, j'ai une amie fleur. Et elle peut me faire bouger dans ma compréhension de ce qu'est l'amitié. Est-ce que l'amitié, c'est quelque chose d'inconditionnel ? Est-ce que c'est pas plutôt des rencontres qui s'entretiennent ? Est-ce que ce n'est pas un feu qui s'entretient ? Est-ce que ce feu va brûler toujours ?

  • Speaker #0

    C'est en gros une multitude d'interprétations possibles du mot qui sont juste difficiles à intégrer.

  • Speaker #1

    C'est ça. Mais en fait, dans l'enfance, j'avais un langage de sensation et donc je ne parlais pas beaucoup.

  • Speaker #0

    Donc depuis l'enfance, c'était assez compliqué pour toi de t'exprimer ?

  • Speaker #1

    Il y a une multiplicité de langages. Il y a le langage des arbres, il y a le langage du vent, il y a le langage des nuages. Toutes ces manières de s'exprimer, toutes ces expressions de la terre. Et donc, le langage me paraissait aussi très, très réducteur de la polyphonie du vivant. Et donc, c'est pour ça aussi que j'essaye de m'exprimer par... Par l'art visuel, par la musique, par la philosophie. Alors, c'est sûr qu'à l'adolescence, il y a eu la rencontre de la poésie. Et là, les mots me sont devenus vitaux pour comprendre, comprendre certaines difficultés à vivre. Mais aussi parce que la poésie, elle ne fiche pas, elle ne désanime pas. Elle permet justement de redonner... Oui. vie, par exemple au Moarbre, mais c'est un travail. Alors, je rejoins le mot maîtrise, c'est qu'il y a... Voilà, c'est comme un artisan, c'est un travail d'artisan. On revient à chaque fois sur son texte et le fait que deux mots se côtoient, ça va donner un nouveau paysage. Donc, grâce au travail des mots, on va pouvoir détecter des paysages qui sont en nous, qui sont à l'extérieur de nous et... qui ne pourraient pas être mis en visibilité s'il n'y avait pas le travail de l'écriture. Et il y a aussi le travail de la philosophie, et ça, c'est le travail du concept. Et forcément, c'est aussi un travail qui est fait de par les lectures, de par aussi un certain type de création qui en passe par les mots qui nous mettent à l'aventure d'autres... d'autres chemins dans la réflexion.

  • Speaker #0

    Et on va parler, tu as utilisé le mot polyphonie, on va en parler, mais en fait, quand j'ai lu ton livre, j'avais un petit peu l'impression, parce que moi je vais utiliser le mot maîtrise des mots, que tu maîtrisais tellement bien le mot que ta lecture, c'était comme si j'arrivais à lire les langages de la nature grâce à un humain. Et ce qui est quand même assez rare. Merci pour ça, parce que j'ai vraiment adoré cette lecture et ça m'a transportée vers une compréhension meilleure de ce qui m'entoure. Bien que je sois déjà conscientisée par rapport à l'écologie, etc. Mais ça m'a fait vraiment beaucoup de bien de lire de cette manière-là.

  • Speaker #1

    Oui, il y a aussi le fait d'être habité par l'énergie des mots. Et donc, il y a une véritable transe aussi dans l'écriture. Moi, je peux rester... pendant quatre heures devant une page blanche et attendre que je sois écrit par certaines énergies. Donc l'idée c'est vraiment de laisser l'espace ouvert, d'être à l'écoute de certains mouvements et donc que ces mouvements puissent arriver jusqu'à la page. Et donc laisser après la possibilité que... Laisser assez d'ouverture que pour justement ce que tu es en train de raconter, que le lecteur puisse lui-même faire son trajet. Et je crois que ça, c'est très important. Et c'est pour ça que la polyphonie, c'est ça aussi. C'est comment toi, tu vas pouvoir glisser ta voix dans le livre. Et là, il y a une attention particulière à ça, de laisser le texte avec assez de respiration pour que le lecteur puisse adjoindre sa voix. Donc c'est un texte qui n'est pas du tout figé, qui n'est pas du tout parfait, parce qu'il est nécessaire qu'il puisse être encore fécondé, enrichi par les récits de tous ceux qui... qui vont pouvoir se mêler à cette danse.

  • Speaker #0

    Alors du coup, tu as la fibre artistique, la fibre littéraire, mais également la fibre écologique. Une manière d'être au monde, une conscience brute de ce qui t'entoure. Et dans le livre, « Des Lucioles et des Ruines » , je rappelle le titre, tu parles de ta conscience des polyphonies du vivant depuis l'enfance. Le mot polyphonie, on l'a déjà évoqué quelques fois, et dans le livre, tu l'utilises un bon nombre de fois également. Qu'est-ce que tu veux dire exactement par polyphonie ?

  • Speaker #1

    Encore une fois, c'est un mot que j'ai rencontré de par le fait que j'ai chanté dans une chorale. Et ce qui est magnifique dans cette expérience, c'est le fait que d'un côté, il faut... prendre la responsabilité de sa voix. mais qu'on est en soutien aussi des autres voix. Donc il est nécessaire d'apprendre à écouter les autres voix. Et cette écoute nous permet d'intégrer au sein de notre voix une multiplicité. Et puis c'est comme une tectonique. Il y a des rencontres, il y a des frottements. Et les dissonances créent des mondes et créent des mélodies d'une richesse incroyable. Les dissonances, les consonances, c'est la danse de la terre. Et donc, moi, ça résonne avec le bonheur que j'éprouvais enfant de voir qu'il n'y avait pas qu'un seul dire du monde, c'est-à-dire le dire humain, mais qu'il y avait une multiplicité, on revient à l'histoire du langage, une multiplicité de langues. qui ne fonctionnent pas forcément avec les mots verbaux. Et donc, être à l'écoute de ces expressions me remplissait de joie. Et puis, petit à petit, avec l'éducation, on nous enseigne à ne pratiquer plus qu'un seul langage. Et donc, il y a vraiment un amincissement de la conscience, donc une espèce de monophonie qui prend la direction de nos journées. Et ça se cultive, cette attention à la diversité des voix, à la diversité des écrits, parce qu'on n'est pas les seuls à écrire. Et donc, cette écoute de la multiplicité des... des musiques est un art et après il y a cette dimension de prise aussi de parole comme dans une polyphonie où le jeu lui-même est habité par ses multiples voix et où il s'agit pour moi en tout cas de rendre la responsabilité du fait qu'on n'est pas tout seul. Et c'est ça, cette partition polyphonique, c'est qu'on n'est pas tout seul sur Terre et qu'on est en relation avec une multiplicité de forces, de points de vie et que la respiration n'est possible que s'il y a un équilibre Entre toutes ces forces.

  • Speaker #0

    En fait, moi, ce que j'ai compris dans ce mot polyphonie et cette conscience des polyphonies pour pouvoir faire monde, c'est en fait qu'il est essentiel d'intégrer dans nos chaires une sorte de multi-perspectivisme, donc de plein de langages différents, que ce soit le langage de la terre, le langage corporel des animaux, le langage de l'écoute. C'est... Être à l'écoute de toutes ces histoires, de toutes ces voix, qu'elles soient verbales ou non verbales, pour pouvoir créer une société qui est, j'adore cette expression, en soutenable harmonie. Voilà comment j'ai compris ce mot polyphonie. Alors, comment on fait ? Pour atteindre, alors là tu m'as atteint avec ton livre évidemment, mais comment on fait pour atteindre les autres êtres humains qui ne sont peut-être pas à ce point conscientisés à l'environnement et à l'écologie, etc. Pour qu'eux aussi, et cette conscience écologique, cet éveil de fibre un petit peu environnementale, quel outil utiliser ? Enfin, lequel tu utilises toi ?

  • Speaker #1

    Oui, quel outil j'utilise déjà moi pour que ma conscience soit... élargie parce que dans mon parcours il y a eu des moments de véritable rétrécissement ce qui fait ce qui a fait ce que je suis ce qui m'a constituée dans l'enfance est venu me rechercher par toutes sortes de versants donc d'abord il y a effectivement cette écoute quand on ne sait plus respirer mais qu'est-ce qui va nous faire respirer ça Quand on atteint un certain niveau d'asphyxie, qu'est-ce qui va nous permettre de retrouver souffle dans les ruines ? Donc il y a effectivement... une nécessité vitale. Et alors, je dirais, moi, j'ai deux outils qui m'ont aidée. C'est effectivement ce multi-perspectivisme, c'est-à-dire d'être attentive à ce qui compose un monde et la diversité des humains et des non-humains et ces interdémandances. Donc, avoir comme boussole ce... les interdépendances, quels sont les enfants qui travaillent pour que je puisse vivre de cette manière, est-ce qu'il y a des histoires de forêts calcinées pour faire place nette à des cultures de canne à sucre. De nouveau, on retrouve cette polyphonie. Donc, être attentif à qui compose un monde. Et je crois que quand on est au fait de certains récits, ça travaille le corps. Et on devient... Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce monde-là ? Est-ce qu'on a envie d'ensemencer ce récit-là du café ? Ou bien, est-ce qu'il n'y a pas... d'autres récits à vitaliser, des récits de justice sociale, des récits d'être bien considérés, bien traités. Voilà, donc ça c'est...

  • Speaker #0

    L'intégration du multiperspectivisme.

  • Speaker #1

    L'intégration du multiperspectivisme. Et alors, déjà aussi, voir que l'écologie, là je parle de Félix Gattari, c'est un... Elle est triple, elle est environnementale comme on l'entend usuellement, mais elle est aussi sociale et il y a aussi une écologie de la psyché. Donc en fait il y en a bien plus que trois. Donc les ravages écologiques ils sont triples et donc considérer que... Travailler sur l'écologie, c'est travailler déjà sur ces trois versants. Donc ces trois versants travaillent ensemble. Et donc, de nouveau, c'est une danse, la danse écosophique, puisque c'est comme ça que Guattari, il ne parle pas de danse, mais il parle d'écosophie. Donc c'est la concatenation de ces trois écologies-là. Et donc, de nouveau, être attentif, on s'engage pour le climat, donc on doit être sur ce terrain-là. Et ce terrain-là est exclusif de cet autre terrain, etc. Mais il y a des « et, et, et » . Il y a une montagne, et ça, c'est un autre outil. Voilà, de nouveau, ce multi-perspectivisme, c'est penser comme une montagne. Ça vient d'Aldo Léopold, qui est écologue et forestier. Et donc, quels sont les points de vie, les points de vue qui peuplent la montagne ? Et comment ces points de vue, ces points de vie interagissent les uns avec les autres ? de nouveau.

  • Speaker #0

    Mais donc, concrètement, toi, c'est par cette Ausha, c'est par cette approche plus de la conscience de ce qui t'entoure, que tu as réussi à créer un outil qui permette aux autres d'être conscientisés. Et j'entends par là l'outil de la lecture, de l'art, de la philosophie. Pour toi, est-ce que ce ne sera pas finalement les deux plus beaux outils qu'on puisse avoir pour conscientiser les gens ?

  • Speaker #1

    Oui, alors après, je voudrais juste préciser, il y a aussi les bouleversements, les grands bouleversements qu'on n'a pas prévus. Et qui, moi, ce qui m'a, on pourra lire peut-être un petit extrait tout à l'heure, mais ce qui m'a, j'ai été bouleversée, j'ai été renversée par certaines relations. Certaines relations. avec des non-humains de type montagne, donc des milieux. Et j'ai eu cette expérience que beaucoup de personnes, en fait, ont si on va les chercher sur ces terrains-là, c'est-à-dire de tout d'un coup se sentir terrestre. Et je crois que ce senti, en fait, ce senti-là, je suis de ce monde. Je suis cette... de terre. En fait, j'en suis, je suis de cette aventure. Et ça, c'est peut-être difficile à mettre de nouveau en mots verbaux, mais il y a cette conscience de nos parentelles. que nos parentelles ne sont pas forcément qu'humaines. On vient de l'océan, on vient de la forêt. Et donc là, à partir du moment où il y a ce senti tripal, ce senti cellulaire, je crois qu'il y a quelque chose qui se met en place. Oui,

  • Speaker #0

    mais comment on fait pour que les gens aussi ressentent cette appartenance à la terre dans leurs tripes ? Qu'est-ce qu'on pourrait utiliser ? Qu'est-ce que toi tu utilises pour faire en sorte que... que les gens aient un peu ce bouleversement aussi ?

  • Speaker #1

    Je passe mon temps à essayer de rappeler dans les conversations ces présences ailées, ces présences écaillées, ces autres dires. C'est une manière de faire par la photographie, mais c'est tellement petit, pas leur présence. Ce que moi, je peux faire pour que... Mais je crois que c'est petit à petit se ressouvenir. Parce que l'amnésie est très forte, mais on est encouragé à ça. Ce que je veux dire, c'est qu'on est encouragé à ne pas nous souvenir. Et on nous supprime aussi les lieux de contact avec cette mémoire. On bétonne à tout va, on nous annonce des grands projets écocidaires, et petit à petit, on étouffe toutes ces voies. Donc, favoriser les contacts avec les êtres feuillus, les êtres à écailles, c'est ultra important, et on a besoin de ces espaces-là. Tout le monde en a besoin.

  • Speaker #0

    Mais tu disais là que tu, d'une certaine manière, tu essayais de semer des graines. Et moi, il y a une graine dont tu m'avais parlé, c'était que tu donnes des ateliers philo à des enfants. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Plutôt que de donner, on fabrique quelque chose ensemble. Donc les ateliers philo, c'est des recherches collectives, comme on peut en voir à l'université. Mais là, on fabrique un savoir. de nouveau polyphonique. Et chacun apporte sa petite pépite de pensée. Donc de nouveau, on est dans des « et, et, et » , plutôt que, c'est ce que je comprends, et qui m'anime, c'est que ce ne sont pas forcément des débats pour, contre, etc. C'est que c'est des « et, et, et » , et c'est très puissant, ça. Alors, par exemple, si on part à... À la recherche au trésor dans un parc près des arbres, etc. Enfin, on s'interroge sur c'est quoi un trésor. Un trésor, ça peut être le chant d'un oiseau. Un trésor, ça peut être une feuille. Et donc, le trésor, ça peut être la parole d'un enfant. Mais ça peut aussi être une écoute.

  • Speaker #0

    Ok, donc je change ma phrase. Tu ne donnes pas des ateliers philo, tu co-crées des ateliers philo avec des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, c'est une co-création, mais je suis en chemin par rapport aux mots.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi pour donner à toutes celles et ceux qui nous écoutent une idée des graines que tu sèmes. En plus d'écrire des livres, de faire de la poésie, de l'art, tu donnes aussi des ateliers. Ouais. Et d'ailleurs, l'enfant qui est en moi a très envie de venir une fois dans tes ateliers. Donc si jamais tu m'acceptes, je viendrai vraiment avec plaisir.

  • Speaker #1

    Avec joie.

  • Speaker #0

    Et alors, tu dis aussi qu'en parlant des polyphonies, de langage, des enfants, etc., que la force du langage, des mots, de l'art... permet de rompre le clivage humain-nature ? Concrètement, je sais que c'est une question qui va être très difficile à répondre, mais comment l'art permet de reconnecter l'humain à ce qui l'entoure ? Qu'est-ce qui se passe dans celles et ceux qui sont sensibles à l'art pour créer un déclic, ou pour créer un bouleversement, pour apprivoiser une forme de conscience écologique ?

  • Speaker #1

    L'art... On peut dialoguer avec des versants de nous qui fonctionnent selon un autre régime que le régime des chiffres, le régime des bilans, des camemberts. Et si ces chiffres sont nécessaires pour rendre compte de certaines atteintes à l'environnement, ils n'atteignent pas d'autres parties. et d'autres émotions face au ravage socio-écologique, au changement climatique. On éprouve toutes sortes de... d'émotions, d'affects. Et ces affects sont parfois tellement énormes et tellement difficiles à...

  • Speaker #0

    à aborder, qu'on a tendance à... C'est une stratégie à les enfuir. Et donc, comment dialoguer avec ces affects, ces émotions, les affects de colère, les affects de honte, les affects de tristesse, des tristesses abyssales. Et donc, l'art nous prend, on en parlait en début de cette émission, nous prend par la main, nous prend par les tripes. pour dialoguer avec ces versants atteints, ces versants en colère. Et il permet de travailler avec ces énergies. La colère est nécessaire pour les combats économiques. La colère peut aussi nous consumer de l'intérieur. Donc, on a besoin de cette colère. la transformer. Et comment on peut se connecter, toi et moi, à travers cette colère, cette rage même, ou à travers d'immenses tristesses, devant les pertes irréparables. Qu'est-ce qui sort de nos larmes ? Il y a toute une écologie des larmes. Dans une larme, il y a énormément d'informations. Et donc... Les émotions sont une manière de nous rapporter aussi à ce qui nous entoure et de faire monde ensemble. Donc, ce n'est pas une affaire privée. Alors, c'est comment on passe de l'intime au collectif. Et donc, l'art, c'est aussi... On parlait des ateliers philo pour enfants. Travailler, par exemple, à partir d'albums jeunesse, c'est aussi avoir un intercesseur, l'album jeunesse, pour nous lier ensemble. Un livre, une musique permet aussi d'avoir un intercesseur, des alliés. Et Pascal est dans certains de ces motions. C'est pas facile. Avoir au quotidien la conscience des dévastations écologiques, c'est vraiment pas facile. Enfin, je veux dire, tu sais de quoi je parle. Et donc, on a besoin d'alliés, on a besoin d'intercesseurs. Et c'est pour ça que les arts sont des entités très particulières. Ils ont un régime d'existence très, très particulier. qui permet de dialoguer, de refluxifier une certaine écologie de la psyché.

  • Speaker #1

    C'est quoi pour toi exactement l'art ? À nouveau en question très vaste. Mais je pense que c'est intéressant aussi.

  • Speaker #0

    C'est ça que je voulais dire. C'est que l'art a cette capacité à nous déplacer. c'est-à-dire à fissurer certains agencements trop rigides. Et de nouveau, on est dans le perspectivisme. C'est-à-dire, si tu regardais le monde depuis cet angle-là, qu'est-ce qui bouge dans ta perception ? Alors, moi, je fais de la photographie. Et je suis... On dit dans la photo animalière qu'on fait des affûts. Mais en fait, on est affûtés. Notre regard est transformé par leur montre avec une libellule. Tout d'un coup, on aurait une pensée qui fonctionne en zigzag et pas de manière rectiling. Pour moi, c'est ça l'art. C'est-à-dire, c'est des rencontres. Et c'est aussi une manière... C'est une ouverture à d'autres mouvements. Comment on va être mis en mouvement ? Une œuvre d'art nous déplace, mais faire de l'art, c'est accepter d'être déplacée aussi. C'est-à-dire d'être dans un état d'ouverture pour que certaines choses qui sont figées, puissent entrevoir d'autres possibles, d'autres chemins. Donc ça a habité quelque part un certain trouble.

  • Speaker #1

    Tu sais que c'est très drôle ce que tu dis, parce que là, pour mon mémoire à l'UNIF, je fais une recherche sur comment l'art peut être un outil de soin de soi et un outil de soin de la Terre. Donc je fais vraiment cette connexion entre les bienfaits de l'art sur l'artiste, mais aussi... pour la Terre et donc pour conscientiser les autres. En fait, c'est exactement ce que tu dis. C'est que l'art permet à l'artiste de se déplacer pour évoluer. pour grandir dans une forme d'intellect, mais permet aussi de toucher et de rendre sensible l'autre. Donc je me suis vraiment très bien retrouvée dans tes mots.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça, c'est remettre en mouvement une capacité à sentir et à donner du... réinsuffler du sens là où les sens sont complètement... Figer, ouais.

  • Speaker #1

    Ouais, anesthésier.

  • Speaker #0

    Anesthésier,

  • Speaker #1

    ouais. Et ouais, en fait, moi je pense que, d'après les recherches aussi que j'ai déjà faites, pour ce mémoire justement, c'est que l'art, c'est tout ce qui prend aux émotions, en public. C'est tout ce qui permet de redevenir sensible pour faire monde. Et à nouveau, créer une soutenable harmonie. Je vais leur sortir tout le temps cette expression, je l'adore, je l'ai trouvée dans ton livre.

  • Speaker #0

    Et c'est aussi... ... On parlait de dialoguer avec des parties plus difficiles, mais c'est aussi l'art nous permet d'aller voir au-delà du visible. Et donc, j'en parle beaucoup dans le livre, dans ces lieux plus souterrains. Et donc, ce n'est pas le fait que des artistes. C'est pour ça que les écoféministes interviennent dans le livre. Il y a des arts qui sont des arts d'agencement avec autrui, et des arts du soin aussi, des créations de relations.

  • Speaker #1

    On parlait de colère tout à l'heure. Comment on fait pour utiliser cette colère face à toute cette connerie humaine qu'on est en train de faire à nos sociétés et à la Terre ? Aujourd'hui, on est face à des problèmes qui forment un système complexe. On appelle ça aussi un nexus. Et dans ce bouquin, qui est articulé par quatre récits principaux, alors on a Le Petit Prince, Robinson, Vendredi, on a aussi un récit de Jean Gionnaud. Tu déconstruis les fondements majeurs de notre époque absolument démentes. Le capitalisme, le néocolonialisme, le consumérisme, les injustices climatiques, les changements climatiques, la perte de la biodiversité. Je ne vais pas tous les citer, mais voilà, c'est un énorme nexus. Et avec tes mots, tu arrives malgré tout, malgré ces sujets qui sont effrayants, tétanisants parfois, à apporter une vague d'optimisme et des graines de possible en parlant de sujets a priori pas très réjouissants. Et donc, je voulais insister sur merci. Parce que vraiment, cette vague d'optimisme fait énormément du bien et je sais que c'est très important pour toi. de savoir que tu donnes du possible à la société. Alors, les injustices, le néocolonialisme, le capitalisme, l'esclavagisme moderne, etc. Bref, on a plein de catastrophes. Est-ce que tu aurais une raison à nous donner pour ne pas être défaitiste ? Autrement dit, pourquoi on devrait continuer à se battre ? Pourquoi continuer à éco-poétiser ? Pourquoi continuer à créer des nouvelles formes de savoir, des nouveaux récits, pour ce nouveau monde qu'on en vit ?

  • Speaker #0

    Il y a encore plein de combats à gagner. On est encore vivants. Donc, tous ces vivants s'activent en nous. Bien sûr, il y a des disparitions, des pertes terribles, et c'est inéluctable. Mais il y a des... On peut encore s'agencer autrement que selon la partition qui semble se profiler comme étant la seule partition. Et je crois qu'on est vraiment nombreux à la vouloir. Simplement, on se sent isolé. Et de nouveau, c'est ça le poison du capitalisme, c'est de penser qu'on est tout seul.

  • Speaker #1

    Et en fait, ça me paraît tellement évident, mais une raison de continuer à protéger, à défendre ce vivant, c'est qu'on est en vie et que si on veut le rester, il faut.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ça. C'est cette phrase de Starhawk qui dit « je veux que la vie continue » . Moi, c'est une question que j'avais posée aussi à Starhawk. Parce que j'étais très, très déprimée. Et comment ne pas baisser les bras ? Je ne sais plus très bien les termes exacts, parce que c'était en anglais, mais en gros, il n'y a pas à baisser les bras. Il n'y a rien d'autre à faire que de continuer à vouloir que la vie continue.

  • Speaker #1

    En fait, c'est d'une logique implacable. On pourrait trouver mille et une raisons de continuer à se défendre, à ne pas être défaitiste, mais en fait, le fait est que... on est en vie et que c'est ça le plus important.

  • Speaker #0

    Mais c'est aussi important d'accepter ces sentiments de défaite, en tout cas ces émotions complexes de ne pas les enfuir et de chanter avec aussi parce que parce qu'elles sont là, qu'elles font partie de cette biodiversité émotionnelle. C'est pour ça qu'on a aussi besoin, pour moi j'ai besoin des arts de la tristesse aussi, pour ne pas se nier cette dimension-là et me dire, il faut que je sois toujours en action.

  • Speaker #1

    Et moi d'ailleurs, ton livre m'a donné plein de courage, plein d'espoir. Et d'ailleurs, pour revenir à ton livre, est-ce que tu pourrais nous parler d'un moment marquant de l'écriture ?

  • Speaker #0

    C'est encore une belle question. C'est un livre qui est issu d'une thèse en philosophie à l'ULB. Il y avait déjà dans ma thèse cette architecture chorale avec quatre récits. J'ai terminé ma thèse en 2018 et les choses ont beaucoup bougé entre temps. Et moi, j'ai bougé. Il était nécessaire de... Alors qu'il s'agissait de reprendre ses récits, d'injecter un peu tout le chemin que j'avais fait depuis 2018. Et donc, je crois que l'événement marquant, ça a été cette idée de faire une suite à chaque récit. Et donc aussi la possibilité de dire pourquoi j'avais été vers ces récits. Donc, il y a quatre récits, mais il y a une multiplicité de récits. Donc, c'est... Ces quatre récits faits de plein de livres. Et donc, chaque récit, chaque récit intercesseur, Vendredi où la vie sauvage, Où les limbes du Pacifique, L'homme qui plantait des arbres, Christian F. très endrogué, prostitué, Le petit prince, se sont vus augmenter d'un nouveau chapitre qui n'avait jamais été écrit par les auteurs. Et donc, ça, c'était des grands moments, en fait, pour moi, pour Vendredi ou les limbes du Pacifique. C'était de suivre le vent. Et là, je ne m'y attendais pas du tout dans l'écriture, que j'allais suivre le vent, la perspective de Vendredi, que je serais amenée à l'île Maurice, à dialoguer avec ces points de vue du Sud. qui sont très importants et dont on a besoin pour cheminer dans notre Occident et donc comment l'île Maurice tout d'un coup vient à Bruxelles je suis un peu obscure mais il faut lire le livre et donc voilà, vendredi nous amène à prendre en considération un vent qu'on n'enferme pas et qui circulent. Parce que voilà, c'est ça qui est intéressant dans un livre, c'est qu'on peut prendre le temps de déplier, de rentrer dans le pli des vagues, etc., dans les cales, dans les... Et donc, c'est un art d'être à l'écoute du vent et des vents. Et donc, pendant l'écriture de ce chapitre, je me suis mise à l'écoute du vent et j'ai reconnecté une des lignes de mon écho-biographie. C'est un très beau terme qui nous vient de Jean-Philippe Pierron. Et donc, je me suis retrouvée à l'île Maurice, un des lieux qui a donné une couleur, qui a donné une densité aux mots injustice. Et donc là, j'ai suivi justement des musiques mauriciennes, le ségué. Et puis, par la bande, je suis arrivée à Bruxelles. J'ai suivi le vent. Et puis, voilà, le sud est venu, en fait, au sein du nord. a imposé dans le livre quelques lignes, mais trop peu, sur la nécessité d'une écologie décoloniale. Des dévastations écologiques sont aussi liées à l'histoire des dévastations, des manières de faire monde des pays du Sud. Ce sont des luttes qui sont liées. C'est le système de domination qui est en jeu, le système de domination des êtres humains comme des êtres non-humains. Et donc, il y a plusieurs manières d'habiter la Terre. Et des manières... qui pourraient être plus respirables, c'est de considérer la diversité des manières de s'agencer avec des lieux et pas imposer une partition qui vienne de l'Occident et une leçon de vie aux autres. Aux autres yeux, c'est nouveau. Pourquoi il y a une... une importance primordiale à faire de l'écologie avec ceux qui sont concernés par les ravages occasionnés par l'Occident. Voilà, ce n'est pas séparé d'un côté la lutte environnementale de la lutte sociale. C'est d'un côté ce qui est en train de se passer. Et donc, on n'y arrivera pas si on ne remet pas en question le système capitaliste et le système de colonisation. Et toujours, je veux dire, en cours.

  • Speaker #1

    Oui, tout à fait. Alors, tout ça, on en parle dans ton livre aux éditions. Le premier, il est sorti l'année passée. À quel mois, plus précisément ?

  • Speaker #0

    Fin juin.

  • Speaker #1

    Fin juin 2024. Donc, c'est plusieurs récits. pour, je cite, « raviver notre dialogue intime au monde » . Pour ceux que ça intéresse, et pour aller plus loin, et aussi pour faire un plus monde intelligente, il y a plein d'autres références que ces quatre grands récits, qui sont juste magnifiques. Alors, tu as parlé de Vinciane Després, Rachel Carson, Donna Araouet, Félix Yatari, Gilles Deleuze, Philippe Descola, Henri-David Thoreau, Naomi Klein, etc. Comme j'ai eu la chance... de te rencontrer et de discuter avec toi. Avant cet épisode, j'ai eu un petit parcours, un petit aperçu, pardon, de ton parcours. Et tu disais, au début de l'enregistrement, que tu étais docteur en philosophie. Est-ce que, peut-être en quelques mots, tu peux nous expliquer en quoi consistait ton travail ? Quelle était la question de ta thèse, pour mettre en lien avec ce livre ?

  • Speaker #0

    Alors, la question de ma thèse, d'abord, c'était une urgence. J'avais quitté le monde académique et, de nouveau, je... je cherchais à acheminer dans toutes ces questions environnementales mais je voulais le faire par d'une certaine manière c'est à dire une manière qui ne soit pas qui ne reconduisent pas ce que je dénonçais c'est à dire de parler sur en fait et de mettre en avant une culture de la mise à distance, comme le dit Starhawk. C'est-à-dire qu'ils soient déconnectés des sujets qui étaient à vif chez moi. Donc, on pourrait voir ça comme une recherche-création. Et donc, comment aborder, tu en as parlé, la diversité de ces... de ces problématiques autrement que par les chiffres, que par des grandes théories, par le biais des émotions, par les affects, ce qui n'est pas facile parce que ça demande d'être déstabilisé. On le voit ici, c'est se refuser à employer des définitions toutes faites. Qu'est-ce que veut dire le mot colonial pour moi ? Qu'est-ce que veut dire le mot écologie ? Donc, comment ne pas donner des définitions, mais être mis en difficulté par ces mots, vraiment se laisser déstabiliser par ces mots. Il a fallu réinventer... Voilà, une manière de faire, créer des boussoles. Et donc, c'est un travail qui ne se fait pas seul.

  • Speaker #1

    Et tout ça t'a conduit à écrire ce bouquin, tout ton chemin ?

  • Speaker #0

    Oui, enfin, de nouveau, ce livre était en germe dès le travail de la thèse, parce que fond et forme devaient s'avancer ensemble. C'est ça. C'est-à-dire qu'il fallait aussi une écriture qui soit... affine au sujet exploré. Donc une écriture qui puisse par instant être animale, une écriture qui puisse par instant fonctionner en rhizome, avec des « et, et, et » . Donc une écriture poétique, une écriture... Donc tout ça était déjà, je dirais, dans la thèse.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu as aimé ta thèse, en un mot ?

  • Speaker #0

    Oui, j'ai adoré le chemin de la thèse, oui. J'ai mis toutes mes tripes.

  • Speaker #1

    Et ça se ressent dans le livre aussi, que tu aimes les tripes.

  • Speaker #0

    C'est une aventure de vie. Je veux dire, c'est déjà changé ma vie sur de nombreux plans.

  • Speaker #1

    Ok.

  • Speaker #0

    Mais... J'ai eu la chance d'être extrêmement bien accompagnée. Parce que c'est un exercice très, très difficile. Justement parce qu'il y a aussi ce langage académique qui parfois va à l'encontre des mouvements sauvages, des mouvements de rivières, des mouvements de tempêtes. Et donc... Là, pour le coup, il y a une certaine maîtrise, une domestication, en fait, de ces dires des bêtes. Et c'est très, très compliqué. C'est vraiment très douloureux. Et il y a aussi le fait que ce qui a été douloureux, c'est justement de prendre acte de toutes ces dévastations écologiques et donc d'être confronté aux chiffrets, d'être confronté à... aux camemberts, etc. Et donc, de sentir cette défaite et d'être aussi coupée de toutes sortes d'autres actions, parce que c'est très exigeant au niveau du temps, une thèse. Et donc, de ne plus... Parce que dans l'action, dans les luttes de terrain, il y a la vie qui reprend. Et donc, dans la thèse, parfois la vie, elle ne reprend pas. Donc, la défaite... s'emparent aussi de la pensée. Donc c'est vraiment un exercice qui est à la fois extrêmement difficile, mais je suis vraiment très heureuse d'avoir pris ce chemin-là.

  • Speaker #1

    Difficile mais transformateur.

  • Speaker #0

    Voilà, ouais.

  • Speaker #1

    À Tannes, on ne décide pas toujours des fins. Mais aujourd'hui... Je te laisse écrire la dernière note de cet épisode. Quel message, dernier message, aurais-tu envie de transmettre aujourd'hui dans ce micro ?

  • Speaker #0

    Et lire un petit extrait ?

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #0

    À la tombée des rêves, sous les pluies des astres, nous sommes dénués grandissantes à pratiquer une danse un peu étrange. Son mouvement consiste à osciller entre enchantement et désenchantement, illusions nécessaires et désillusions lucides, Repli solitaire au plus sombre de nos tanières et déploiement solaire dans une ouverture au solidaire. Tantôt le cœur chagrin, devant les écosystèmes défunts. Tantôt le cœur en joie, retrouvé flamme dans le ténu. Tantôt le regard qui n'y voit rien, tantôt les yeux fabuleusement vivants, embrasés par la beauté des rivières et le sourire des fleurs aux pétales de papillons. Vu de loin, cette danse s'apparente à un mouvement sans queue ni tête. Pas de premier ni de dernier de cordée. Ses dents sont des expérimentations latérales, en spirale, faites de greffes ouvertes. On y décèle les tentatives de s'équiper autrement. Un grave saut savoir des animaux, des végétaux, des sols. Nous nous munissons de la lanterne naturaliste et le flair une fois retrouvé, nous repérons selon l'éclairage animiste. Nous tentons de composer avec le disparu. Nous essayons des rituels pour honorer les invisibles. Nous fabriquons des guérisons collectives, des échos poétiques du soin. Ici, ma main, dans ta main, se met à voir que ton corps, c'est toute une géomémoire, des vallées, des collines, des avènes, des torrents. Nous changeons les verrous qui emmurent nos murmurations, des verrous, des horizons possibles, des poèmes existentiels faits de verres ouverts aux diverses calgraphies de la Terre. Nous nous essayons à cheminer depuis nos vulnérabilités, nos fragilités, nos mondes perdus. Nous collons oreilles contre terre, museaux contre arbre, nous nous allions au castor, aux logiques de champignons. À proximité du mycélium, nous apprenons à penser par le milieu, en plusieurs endroits à la fois. Ici, avec les enfants bruxellois, là-bas, avec les enfants de Kinshasa. Nous renseignons auprès des vers de terre, sur l'art de transformer la matière morte en monde vivant. Nous lisons Donna Araouet, Isabelle Stengers, Félix Gattari, Starock, Gilles Deleuze, David Abraham, Vinciane Desprez, Baptiste Morisot, Philippe Descola, Anastasia Martin, Véronique Bergen, Camille Louis, et encore, encore, encore, encore, bien d'autres, que je n'ai pas cités ici. Nous nous rendons dans des écoles expérimentales et apprenons de la sagesse d'adolescentes pourtant violemment blessées par notre monde adulte. Nous réapprenons à touiller dans le chaudron des mythes et légendes où les identités humaines, animales, végétales et minérales savent s'allier en faveur de la jeunesse de monde. Et là où tout nous enjoint de nous méfier de l'humain, dans cette main tendue, dans ses échanges fraternels et sororaux, Toute l'humanité se tient levée. Bref, dans le monde qui s'écroule, nous tenons debout, les yeux bien ouverts, tenant tête à ceux qui font de la terre un enfer, tentant de faire souffle commun avec nos défauts, nos faux pas, nos paradoxes. Alors à la levée des rêves. Nous composons mille autres mondes. Et à l'instar du bouquet final du Petit Prince, de nouvelles étoiles se mettent à peupler la Terre. Étoiles faites de relations fortes, d'histoires ressources, de visions vitales, de récits lucioles.

  • Speaker #1

    C'était des lucioles et des ruines, quatre récits pour un éveil écologique, de Hatha Nadran, aux éditions Le Pommier, disponibles en librairie. Je tiens quand même à préciser qu'il y a quatre récits. autour duquel s'articule cet écrit, je n'en ai lu qu'un seul des quatre. Et j'ai quand même tout compris. Donc il n'est pas nécessaire d'avoir lu les quatre pour comprendre ce merveilleux livre. Voilà. Merci beaucoup, Adan.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, Nina.

  • Speaker #1

    Voilà. J'espère que cet épisode vous aura plu, autant qu'il m'a plu. Je remercie Streambox qui nous produit et je vous invite, si cet échange vous a inspiré ou a éveillé quelque chose de positif en vous, à laisser des étoiles en dessous de ce podcast et à donner votre avis également. Retrouvez-nous sur les réseaux sociaux et n'hésitez pas à partager notre contenu, mais surtout et surtout s'il vous plaît, ayez un impact positif autour de vous aujourd'hui. Je vous dis à bientôt dans un nouvel épisode.

Chapters

  • Comment agir autour de soi ?

    18:49

  • Qu'est ce que l'art ?

    31:43

  • Son parcours

    47:54

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