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L'art de l'attention

En conversation avec Mathilde Laurent, créatrice de parfums : sentir nous rend meilleurs

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1h11 |24/04/2024
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Description

En conversation avec Mathilde Laurent, la créatrice des parfums de la Maison Cartier : sentir nous rend meilleurs.


Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la Maison Cartier.
Et elle est bien plus que cela.
Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, aux côtés de Jean-Paul Guerlain, où elle signe ses premiers succès (Pamplelune, Guet-Apens…), elle créée les parfums de Cartier depuis 2005, où elle a imaginé des jus tels que La Panthère ou L’Envol, et une collection de Haute Parfumerie, intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13.
Car Mathilde Laurent est toujours là où on ne l’attend pas...

 

La femme engagée

🌞Mathilde est un soleil, un astre tout feu tout flamme qui s'embrase quand elle partage sa passion et ses convictions.

Ce qui marque immédiatement, quand on rencontre Mathilde, au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière, c’est son énergie solaire, son regard franc et déterminé, sa langue particulière.

 

Car Mathilde Laurent est une femme d’intuition, de convictions, et elle a une mission ; son dernier ouvrage, Sentir le Sens, est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d’art qui bouge les lignes de la parfumerie.
C'est ce que nous allons découvrir ensemble aujourd’hui…

 

Dans cet épisode... 

Chaque épisode de ce podcast que je partage avec vous, chers auditeurs, devient mon préféré.
Bien entendu, il en va ainsi pour celui-ci.
Chacun permet de creuser le sujet, nuancer la perception, creuser le propos, étudier plus en profondeur, compléter les regards, mieux comprendre l'art de l'attention.

Chacun est cher à mon coeur et m'enrichit infiniment.

  

Au cours de cette conversation avec Mathilde Laurent, nous avons évoqué mille aspects passionnants de l'olfaction :

  • l'attention à l'autre,

  • l'hypersensorialité,

  • inventer un nouveau langage et se réapproprier les mots,

  • pourquoi bien sentir ne suffit pas,

  • la révolution de la beauté,

  • le gâteau cent fois bon (mais pas si bon !),

  • comment la parfumerie ouvre à la tolérance,

  • et bien d'autres encore... 


☕️Pourquoi ne pas se préparer un thé (ou une infusion de tilleul ?) et nous rejoindre pour cette conversation passionnante sur l'olfaction ?

 

Découvrons ensemble comment Mathilde Laurent conjugue l'art de l'attention au présent.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la maison Cartier et elle est bien plus que cela. Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, où elle signe ses premiers succès, Pamplelune, Gatapan, elle est la créatrice de parfums de Cartier depuis 2005, où elle a créé des jus tels que La Panthère, que je porte souvent, ou L'Envol, et une collection de hautes parfumeries intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13. car Mathilde, elle est toujours là où on ne l'attend pas ce qui marque immédiatement quand on rencontre Mathilde au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière c'est son énergie solaire son regard franc et déterminé sa langue particulière Car Mathilde a une mission, c'est une femme d'intuition, de conviction, et elle a une mission. Son dernier ouvrage, Sentir le sens est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d'art qui bouge les lignes de la parfumerie. Nous allons le découvrir ensemble aujourd'hui. Partons à la rencontre de Mathilde pour découvrir comment elle conjugue au présent l'art de l'attention. L'art de l'attention Conversation avec Fanny Auger

  • Speaker #1

    Je crois qu'au contraire, avec ce cerveau hypersensible, hyperesthétique, hypersensoriel, que j'ai dit subir depuis l'enfance, dans le bon et dans le mauvais sens du terme, eh bien, je crois qu'avec ce cerveau, être attentif à l'autre est... autant un talent chez moi qu'être attentif à quelque chose, mais difficile. Je crois que la balance est partie complètement dans le sens de l'altérité et il ne reste plus rien pour l'attention, la concentration. C'est vraiment l'attention à l'autre, je crois, qui est... ultra développé chez moi.

  • Speaker #0

    Alors on va repartir de plus loin de quelque chose de vraiment essentiel c'est votre rapport au sens quand je suis entrée dans votre bureau tout à l'heure on passe l'ascenseur et tout de suite on voit sentir et d'ailleurs c'est le titre éponyme de votre livre sentir le sens je crois que vous avez longtemps voulu être photographe donc la vue a une importance vous êtes dingue de musique en arrivant c'était des notes de piano qui inondaient le bureau de lumière et de son étonnement Vous êtes d'une famille artiste. Quelle place vous donnez au sens, justement, l'essentiel chez vous ?

  • Speaker #1

    Mais oui, en fait, c'est comme si je n'avais jamais pu imaginer avant de vraiment travailler sur ce que c'est que d'être sensible. Et avant de prendre conscience qu'on pouvait ne pas l'être. J'ai longtemps cru que tout le monde vivait comme moi par l'hypersensorialité. Donc très rapidement à l'adolescence quand j'ai... Quand j'ai imaginé devenir photographe ou architecte ou parfumeur, en fait, j'ai compris, on m'a dit souvent que je vivais par les odeurs. Et donc j'ai découvert ça et je me suis dit, c'est étrange quand même qu'on te dise à toi que tu vis par l'odeur. Oui. Donc ça veut dire que d'autres ne vivent pas par l'odeur. Alors ça, ça me paraissait très étonnant. Et je me demandais justement par quoi on pouvait bien vivre sa vie si ce n'est par l'essence. Et effectivement, mon livre, j'ai eu envie de l'appeler Sentir le sens parce que ça m'est apparu un jour dans le processus d'écriture que pour moi, la vie ne fait sens que par l'essence. C'est quelque chose que j'ai réalisé au fur et à mesure des années de travail dans la parfumerie. Je dirais que quand j'ai commencé la parfumerie assez jeune, donc à 20 ans, je n'avais pas réalisé à quel point je vivais par les sens, à quel point mes sens donnaient. son sens à ma vie et à quel point, justement, j'allais devoir suivre mes sens pour faire sens dans ma vie. Donc, c'est quelque chose qui est essentiel. Une fois de plus, désolée pour tous ces... Mais finalement, c'est... Cette jolie allitération au sens. C'est effectivement... Ça fait sens, une fois de plus. Donc, voilà, j'ai petit à petit réalisé à quel point, finalement, le sens venait des sens. Et puis, j'ai dû réaliser aussi que parfois, on peut vivre autrement que par ses sens, c'est-à-dire par l'intellect. Par le raisonnement uniquement, on vit dans des sociétés où certains travaillent justement à s'éloigner d'une forme de sensorialité pour... se réfugier, je dirais, dans l'intellect.

  • Speaker #0

    Et qui ne sont plus là dans leur corps et dans leur sens, qui n'investissent plus leur sens.

  • Speaker #1

    Voilà. Et pour moi, de la même manière que peut-être vivre de manière uniquement sensorielle, sans aucune raison, n'est pas souhaitable, mais l'extrême inverse, vivre dans la raison ou dans l'intellect uniquement, n'est pas souhaitable non plus. Et pourtant, je pense que nos sociétés nous portent plus vers cet extrême rationnel, intellectuel, que vers un extrême sensoriel et sensuel.

  • Speaker #0

    Cette question du sens, le sens, elle est profonde, elle est fondamentale. Pourtant, ça paraît simple dans ces sociétés de s'en couper. Je voudrais aller encore plus loin sur sentir. Qu'est-ce que sentir ? Parce que votre livre, il démarre avec le premier chapitre qui s'intitule numéro 12.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi le parfum va garder l'humain humain ? Et vous dites très bien, vivre c'est respirer, respirer c'est sentir, dont vivre c'est sentir.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, moi j'ai l'impression d'être une machine à sentir et plus on sent, plus on sent. C'est-à-dire, plus on cherche à sentir, plus on prend conscience de tout ce qui est à sentir. Et pas seulement sentir avec le nez, mais sentir avec tous les sens, avec le toucher, et aussi sentir avec des sens dont on n'a pas encore conscience ou dont on ne connaît pas le nom, parce qu'on a tous découvert un sixième sens, comme on a découvert un cinquième goût qui est l'umami, on a découvert un sens... dont on nous a dit que c'était un sens et qu'on en avait un sixième, qui est la proprioception. Avant qu'on nous parle de la proprioception, on ignorait tous que ce sens existait. Donc je trouve, et je dis souvent, que je ne sais pas pourquoi on a décidé qu'on avait cinq sens et pourquoi ce nombre est perçu pratiquement... si on n'y réfléchit pas, comme un nombre fini. C'est comme si on avait cinq sens, pas un de plus, pas un de moins, et qu'ils seraient tous équivalents, et qu'ils auraient tous les mêmes comportements, et qu'il n'y en aurait aucun qui dominerait les autres, et en même temps, il y en aurait qui seraient plus forts, plus rationnels, plus quantifiables, plus universels. Donc... C'est drôle en fait cette manière de classifier l'essence qui est ultra rigide. soi-disant égalitaire et en même temps totalement, justement, empreinte de pouvoir ou de suprématie à certains endroits. Donc, cette idée de sentir, en fait, elle veut dire tout de suite sentir au sens le plus immense possible du terme. Sentir avec un grand S, en fait. qu'on ait cinq sens ou peut-être dix ou cent, et si on ne comptait pas ces sens, et si on se disait que juste on est un formidable agencement naturel de neurones, de capteurs, Une formidable machine à percevoir et à ressentir tout ce qu'on perçoit. Donc, effectivement, quand on arrive dans mon bureau, j'ai souhaité que ce mot sentir soit en néon, en lettres géantes, parce que pour moi, c'est l'essence de la vie.

  • Speaker #0

    Et l'odorat, c'est le sens de l'alerte aussi, c'est ce qui nous rend humains et ce qui nous permet aussi de rester en vie bien souvent, pendant très longtemps.

  • Speaker #1

    Exactement. Alors, pourquoi je dis que l'odorat va garder l'humain humain ? C'est parce qu'à mon sens, en fait, justement, l'odorat est le sens qui réunit tous les autres. C'est-à-dire que quand on regarde un document, on n'a pas toujours, quand on retrouve ce document... l'odeur de la personne qui nous accompagnait quand on a vu ce document la première fois ou quand on a écouté cette émission de radio et qu'on la réécoute, on sait peut-être où est-ce qu'on était, mais on n'a pas forcément l'odeur du savon avec lequel on s'était lavé les mains juste avant d'écouter l'émission de radio. Or, l'inverse est vrai. En fait, quand on sent une odeur, on sait exactement où on l'a sentie, avec qui on était, où est-ce qu'on était, qu'est-ce qui se passait. Et on a aussi, qui revient immédiatement avec l'odeur, c'est le principe de la Madeleine de Proust, on a aussi l'état d'âme dans lequel on était, on a aussi les émotions. qu'on ressentait à ce moment-là. Et c'est Bachelard qui a dit que toute odeur aimée, dans le présent comme dans le passé, est le centre d'une intimité. Et donc, l'olfaction est le sens qui réunit tous les autres. Parce que ça a été vérifié scientifiquement, enfin ça a été découvert justement scientifiquement, que le chemin que prend la perception olfactive passe d'abord par les centres des instincts, des peurs, donc l'amidale, puis à peu près en même temps le centre de la mémoire, l'hippocampe, et ensuite va chercher tous les autres sens, de la vision, de l'audition et aussi justement toutes les émotions. Donc quand je dis que l'olfaction va garder l'humain humain, c'est parce que justement l'olfaction... éveille aussi les autres sens, crée des sensations qui réunissent d'abord différents centres dans le cerveau et aussi différents centres nerveux ou les différents cerveaux qu'on a dans le corps puisque l'olfaction s'adresse aux instincts, aux mémoires et donc mobilise les neurones qu'on a. dans le ventre, qu'on a dans le cœur. Donc, on a véritablement une activation du corps entier. Et donc, c'est là où, justement, l'olfaction, on peut dire que le sens de l'olfaction est plus holistique que les autres. Et que ce sens de l'olfaction, en fait, c'est comme s'il réveillait le corps qui porte. la raison et l'intellect qu'on a tous et qu'on utilise tous, mais l'olfaction nous amène en fait à les englober. dans des sensations et à ressentir et travailler et percevoir d'une manière beaucoup plus entière, avec le corps entier. Donc, dans une époque où on nous parle beaucoup d'intelligence artificielle et où effectivement l'éducation, les comportements sociétaux nous mènent à ne devenir que des êtres pensants. Eh bien, c'est l'olfaction qui nous aide à rester des êtres sentants, des êtres vivants. Parce que vivre, c'est respirer. Respirer, c'est sentir. On ne peut pas respirer sans sentir. Donc, respirer, c'est sentir. Et donc, vivre, c'est sentir. D'ailleurs, on dit je me sens vivant On ne dit pas je me vois vivant ou je m'entends vivant On dit je me sens vivant Donc c'est bien l'olfaction qui garde l'humain humain et pas un ordinateur. C'est l'olfaction qui garde l'humain humain et l'humain vivant.

  • Speaker #0

    C'est pas un animal non plus, parce que vous le dites très bien dans votre livre. Vous dites, ce qui nous permet de rester des animaux doués d'émotions et d'instincts que nous sommes, c'est bien l'odorat, justement.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, on redevient, plutôt que de devenir une pensée digne d'un ordinateur, on redevient une pensée douée de sensations. et de sensations au sens très large du terme, y compris donc la sensation de l'autre. Et l'autre, on le sent, bien sûr, on le voit, on l'entend, mais c'est aussi en le sentant qu'on perçoit sa présence. Parce que finalement, voir et entendre ne veulent pas dire présence. Alors que sentir... veut dire présence.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, on dit de quelqu'un, je ne peux pas le sentir, par exemple.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou justement, on dit aussi, je le sens bien. Donc, ça veut bien dire, en fait, que même dans des rapports de travail, même dans des rapports qui ne pourraient n'être qu'intellectuels ou raisonnés, À un moment ou à un autre, on va sentir la relation, on va sentir la personne avec qui on est en train de réfléchir. Et ça, ça va être du domaine de l'information aussi, mais d'une information qui n'est pas rationnelle. mais c'est une information qui est importante et sur laquelle on peut travailler. Une information n'est pas justement là où la raison est importante et où on n'est pas des animaux. Parce que justement cette perception de je ne peux pas le sentir si on était un animal, on partirait en courant ou on donnerait un coup de patte et on se battrait. Là, en fait, parce qu'on est justement des êtres humains doués de raison et de sensation, c'est là qu'on va pouvoir travailler sur cette sensation. Et justement, comme vous disiez tout à l'heure, le sens de l'olfaction est un sens d'alerte. Est-ce qu'on va écouter cette alerte ? Est-ce qu'on va pouvoir justement poser les questions ou mettre en place des protections, comme dans le cas d'un incendie ou d'une bête sauvage ? Est-ce qu'on va avoir besoin de se protéger ? Ou est-ce qu'au contraire, une fois qu'on aura posé les questions, adressé les problématiques ou le questionnement qu'on perçoit vis-à-vis de l'autre, on va pouvoir être rassuré et avancer justement ? dans cette relation intellectuelle et dans ce travail qu'on a peut-être à faire ensemble, rassurés parce qu'on a géré ces informations sensorielles. Et on ira peut-être plus loin, du coup.

  • Speaker #0

    Mathilde, j'en arrive à votre métier, parce que vous êtes parfumeur, au masculin, mais créatrice de parfums de la Maison de Quartier. On entend aussi souvent nez, mais j'ai compris que c'était assez réducteur parce qu'on ne dit pas main pour un pianiste. Donc, j'aimerais savoir qu'est-ce qui fait le cerveau ? Parce que j'ai l'impression que c'est ça la différence. Vous le dites dans votre livre, je ne suis pas un super nez. C'est le cerveau derrière qui processe, qui range, qui s'est catégorisé. À quel moment vous avez su que vous étiez un parfumeur, une créatrice de parfums, peut-être en collectionnant vos petites fioles étant ado ? Et comment ça se traduit dans votre cerveau ? Comment c'est fait dans votre cerveau ? Un cerveau de parfumeur, c'est quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, vous dites parfumeur au masculin, moi j'aime bien dire parfumeur avec un E. En fait, quand on dit parfumeur, finalement c'est autant féminin que... que masculin, et j'aime bien ça. Et alors, effectivement, vous avez parfaitement raison, on ne dit pas main pour un pianiste, parce que ça serait justement oublier toute l'émotion et toute la réflexion qu'il y a derrière la main. Et dans le travail du parfumeur, c'est exactement la même chose. En fait, bien sentir, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est Edmond Rudnitska, bien avant moi, dans les années 50, dans tous les livres qu'il a écrits sur la parfumerie, bien sentir ne suffit absolument pas. Et très souvent, des parents viennent me voir en disant Oh là là, mon enfant, vraiment, sent tout. C'est vraiment, c'est un vrai parfumeur parce qu'il sent tout. Et en fait, moi je dis toujours, attention, bien sentir ne suffit pas. Si la parfumerie est un art, c'est parce que justement, c'est une œuvre de l'esprit. Et c'est véritablement une pensée intellectuelle qui va présider à la création d'un accord qu'on va appeler un parfum. Donc exactement comme pour un musicien, comme pour un architecte, comme pour un réalisateur en fait, la création va commencer uniquement dans la tête, avec des idées, avec des associations et avec un propos surtout, avec une volonté de dire quelque chose. Et ça paraît plus abstrait dans le cas de la parfumerie. qui est un propos sociétal, esthétique, artistique, derrière un parfum, et pourtant c'est le cas. Donc c'est vraiment dans le cerveau que tout se passe, et c'est seulement une fois que tout est pensé, et que tout est, je dirais, perçu. Même si c'est virtuel dans le cerveau, moi je sens un parfum fini bien avant de commencer à... et le réaliser pour le mettre dans un flacon.

  • Speaker #0

    C'est comme ça qu'on crée un parfum. Alors, votre imagination projette. Vous avez un parfum en tête ou dans le nez et après, vous allez faire des centaines peut-être d'essais pour le retrouver.

  • Speaker #1

    Exactement, c'est ça. Retrouver

  • Speaker #0

    Exactement. Se produit l'imagination.

  • Speaker #1

    Exactement. C'est comme si on imaginait une image et qu'on la voyait. Donc moi, j'imagine un parfum et je le sens. Et je le vois aussi d'une certaine manière.

  • Speaker #0

    Un parfum qui n'existe pas encore.

  • Speaker #1

    Voilà, un parfum qui n'existe pas encore. Et ensuite, je vais devant l'orgue que je vous ai montré dans mon laboratoire, où parfois, je n'ai pas besoin d'être devant l'orgue. Et simplement, j'écris le nom des ingrédients qui... Pour moi, une fois mélangés les uns avec les autres, vont donner cette odeur qui est dans ma tête et que je cherche à... Réaliser. Voilà, exactement.

  • Speaker #0

    Donc dans votre cerveau, depuis que vous êtes toute petite, j'ose imaginer qu'il y a des idées, des boîtes, un cerveau compartimenté avec tout ce que vous sentez et que vous classez sans cesse.

  • Speaker #1

    Tout à fait. C'est ça le cerveau d'un parfumeur ? Alors, heureusement, je n'ai pas besoin de classer au sens un peu, je dirais, mathématique ou organisationnel. parce qu'effectivement, un cerveau de parfumeur, quand ça sent une odeur, justement... par le mécanisme de la Madeleine de Proust, quand je sens quelque chose, ça s'imprime tellement fortement, tellement exactement. C'est comme un... comme un tampon ou comme quelque chose de très fort qui tout d'un coup s'imprime dans la matière. Et donc, voilà, c'est classé. Ça se classe tout seul, je dirais. Parce que voilà, tout est répertorié et tout est classé dans ce cerveau qui fonctionne. Et justement, c'est pour ça que je parle de subir son cerveau de parfumeur, parce que je n'ai pas décidé de classer les odeurs. Je n'ai pas réfléchi à une méthode de classement des odeurs. Je ne me suis pas dit, tiens, je vais faire des boîtes. Dessus, je mettrai une étiquette avec une photo du moment où j'ai senti. Et puis dans la boîte, il y aura aussi mes émotions. J'ai juste... Petit à petit, observé, et puis par la pratique, en entrant dans l'école de parfumerie, en entrant chez Guerlain, j'ai conscientisé toutes ces choses qui étaient des fonctionnements complètement involontaires. Très honnêtement, je trouve que c'est intéressant quand même de poser ça, de dire que... C'est ce que je veux dire quand je dis que j'ai subi mon cerveau de parfumeur. C'est que tout ça s'est fait de manière inconsciente dès... Mes premières années, donc des toutes petites, dès l'âge, j'ai des souvenirs olfactifs que je ne sais pas très bien noter en termes d'âge. Et je pense même, depuis que j'ai créé la panthère et que j'ai réalisé qu'en fait ma mère avait porté femme de rochasse, sans doute avant que je naisse. Je ne l'ai jamais connu portant un parfum. Donc, ce parfum Femmes de Rochasse m'a marquée au-delà de tout, puisque c'est pour moi un des parfums, une de mes icônes de parfumerie. Et jusqu'à ce que je crée La Panthère et à ce que je réponde à des interviews sur le parfum de ma mère, c'était une interview sur le parfum des mères de parfumeurs, par Sarah Bouas et Claire Doyy. Claire Doyy et Sarah Bouas qui ont fait au même moment, pour des journaux différents, cette interview. sur le parfum des mers. Voilà. Et donc, j'ai réalisé, à la faveur de ces deux interviews, coup sur coup, donc j'ai eu deux fois l'occasion de réfléchir à ce thème. Et je me suis rendue compte que ma mère portait Femme de Rochasse, qui m'avait influencée dans le travail sur la panthère, de manière donc sans doute in utero, je ne sais pas. En tout cas, ce parfum m'a marquée, alors que ma mère ne l'a jamais portée de mon vivant. Donc voilà, en tout cas, un cerveau de parfumeur, c'est un cerveau qui enregistre, qui, je dirais, fait feu de toute odeur. C'est très beau.

  • Speaker #0

    Au-delà de ça, moi je sens ce mouvement chez vous, cet élan. Quand vous dites je crée un parfum qui n'existe pas encore et ça va être une quête pour y arriver. D'ailleurs certains de vos parfums s'appellent l'envol par exemple. Donc on sent ce mouvement, cette recherche. Comment vous voyez aujourd'hui votre mission ? Parce qu'au-delà d'un métier, c'est vraiment une mission. Votre livre, ce n'est pas un livre, c'est un manifeste. C'est écrit sur la couverture. Un manifeste pour une sensibilité olfactive. Comment vous voyez cette mission ? Parce qu'il y aurait tellement de choses à dire.

  • Speaker #1

    Alors, cette mission, pareil, que j'ai conscientisée en voyant que j'étais tellement mue par cette envie de... partager l'olfaction avec tout le monde et puis d'amener chaque personne que je rencontrais à vraiment profiter, à visiter, à découvrir l'olfaction. Pour moi, c'est quelque chose de tellement important dans une vie, de sentir et de découvrir le monde qu'est... Le monde olfactif et de découvrir le monde sous l'angle olfactif, pour moi, ça change tellement une vie.

  • Speaker #0

    Et tout récemment, c'est le chef d'orchestre, Esa-Péka Salonen, qui m'a dit ça à la faveur de notre projet sur Prométhée. Esa-Péka Salonen m'a dit, je ne verrai plus les choses de la même manière depuis que j'ai découvert l'olfaction, le pouvoir de l'olfaction. Et pourtant, lui, son monde, c'est la musique. Donc apporter l'olfaction dans une vie, en fait, c'est déterminant. Et donc ma mission, je crois, sans grands mots, parce que je me sens minuscule dans ce monde, mais je sais que l'olfaction a un très grand pouvoir en revanche. Donc moi, je suis toute petite, mais l'olfaction est tellement immense. dans ce qu'elle apporte et dans la manière dont on peut vivre une vie, que je pense qu'il faut la partager avec le monde entier et qu'il suffit d'ouvrir des petites brèches pour que l'eau s'engouffre dedans et que finalement ça essaime dans le monde entier. Donc ce concert... sur lequel j'ai apporté l'odeur, fait partie de cette mission. Les osnis, les objets sentants non identifiés que je développe grâce à la Maison Cartier, qui me donnent cette liberté de faire ces installations totalement atypiques, nouvelles, Peut-être étrange a priori, ces osnies servent aussi à partager le pouvoir de l'olfaction, faire découvrir ce que c'est que sentir une esthétique. en 5S, je dis souvent que je travaille en 5S, c'est-à-dire, bien sûr, les trois dimensions, bien sûr, je les prends en compte, donc je dis que je travaille en 5S ou en 9D. Donc 5S évidemment c'est les 5 sens parce que moi c'est ça qui m'intéresse et ensuite j'ajoute les 3 dimensions parce que bien sûr mes installations sont des espaces dans lesquels on peut circuler et dans lesquels on va recevoir de l'olfaction. Donc les 3 dimensions sont très importantes et puis le temps donc 5S, 5 sens ou 9D c'est-à-dire 5 sens plus 3 dimensions plus le temps. Et donc ces installations, elles sont vraiment faites pour essayer de faire sentir une esthétique, une création avec toutes les dimensions possibles en accord autour de ce propos esthétique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'émeut énormément chez vous, c'est cette volonté de partager la beauté, de porter cette mission de partager la beauté. Il y a une phrase qui m'a interpellée dans votre livre. C'est quand vous dites ma mission de parfumeur, je crois, est d'essayer de porter le parfum là où il peut être utile aux hommes. C'est incroyable.

  • Speaker #0

    Oui, c'est incroyable. Et ça me... Quand vous dites cette phrase, ça me... J'ai la chair de poule et ça m'émeut parce que je crois qu'on a vécu nos sociétés, l'humanité. Je suis désolée d'employer des grands mots. Vraiment, une fois de plus, je me sens assez petite pour dire ça. Mais chez moi, c'est viscéral, c'est quelque chose que je ressens très profondément, donc je le dis du mieux que je peux, sans prétention. Mais j'ai l'impression qu'à force de ne pas travailler sur le sentir... C'est José Saramago qui a dit, c'est le prix Nobel de la paix qui a dit La révolution qui manque est celle de la bonté Et cette phrase m'a beaucoup marquée. Et je crois que c'est aussi une forme de révolution qui manque que celle du sentir. Parce que je me demande si la bonté... ne vient pas aussi du sentir. Donc, c'est une manière peut-être d'essayer de faire cette révolution de la bonté que quand je dis que justement l'olfaction, que j'essaye de porter la beauté de l'olfaction. À l'humanité, en fait, c'est une manière d'essayer de faire cette révolution de la bonté, de nous aider à nous accepter, de nous aider à reconnaître l'autre et de sentir ce qu'on doit sentir, parce qu'on est dans des moments d'humanité. Ou le sentir, on a l'impression que le sentir s'anesthésie peu à peu, que la violence finalement finit par être de plus en plus acceptée ou acceptable et que cette révolution de la bonté et du sentir, elle est urgente.

  • Speaker #1

    Il y a cette très belle phrase qui dit, c'est page 57, j'avance un peu plus loin dans la mission qui me meut au quotidien, ouvrir à tous la beauté de l'olfaction par tous les moyens. On sent vraiment cette mission qui vous anime dans tout ce que vous faites, d'ailleurs dans tout ce que vous créez. Vous avez cette liberté de créer des osnis, de créer cette expérience lors d'un concert avec la Maison Cartier. Et pour revenir à cette Maison Cartier, tout à l'heure vous parliez du temps, du rapport au temps, parce qu'on est chez Cartier qui fait de très belles montres. Et d'ailleurs votre collection de haute parfumerie, vous l'avez appelée les heures et il n'y en a pas 12, parce que vous n'êtes jamais là où on vous attend. à 13. Et vos noms de chapitres, d'ailleurs, j'étais un peu perdue parce que le chapitre 1, il s'appelle 12, je crois. Et ensuite, on continue sur le 3, etc. Donc, c'est quoi ce rapport au temps dans votre vie, Mathilde ?

  • Speaker #0

    Alors, merci. J'adore cette question en fait, parce que c'est vrai que l'olfaction et justement, c'est aussi ce que nous apprend la Madeleine de Proust. En fait, l'olfaction, le fait de sentir qu'elle est ressentir, vivre sa vie par le sentir, mène à comprendre totalement la relativité du temps et à vivre des moments de retour en arrière, des moments de Madeleine de Proust. Ça veut dire qu'en sentant quelque chose, on se retrouve projeté. Ça m'est arrivé la semaine dernière. sur une terrasse d'un café à Paris, boulevard Richard Lenoir, on serre derrière mon dos un plat de frites à un jeune couple adorable. Et je me retrouve en maillot de bain sur une plage à cinq ans avec un saladier de frites en Normandie. Et vraiment... Et c'est ça qui est magnifique, c'est que je sais comment je me sens, je sais qui je suis à ce moment-là, je me vois, je suis dans le corps de cette petite personne. Donc, en fait, le rapport au temps... Il est bouleversé chez un parfumeur. La relativité du temps devient un pilier de la vie d'un parfumeur. Le parfum est aussi lié au temps parce qu'il a une évolution tête-cœur-fond que le parfumeur doit maîtriser. On doit en permanence maîtriser le temps d'une certaine manière. pas forcément maîtriser le temps lui-même, mais maîtriser l'évolution temporelle du parfum. Donc essayer de déjouer le temps et garder la beauté malgré le temps. Et ensuite, on passe sa vie. Et c'est pour ça que j'ai voulu appeler cette collection les heures de parfum. Parce qu'on sait très bien qu'un parfum peut marquer... A vie, on peut marquer éternellement une seconde de vie, de la même manière qu'un parfum peut accompagner l'éternité d'une vie. Suivant qu'on vit un coup de foudre accompagné d'un parfum, ou suivant qu'on... qui vit aux côtés avec une maman qui toute sa vie porte tel ou tel parfum, ou que soi-même, on adopte un parfum à l'âge de 15 ans et que pour toute sa vie, ce parfum va devenir comme une... comme un double de soi, comme une âme sœur. En fait, les heures de parfum, ce sont les heures de la vie. Ce ne sont pas les heures d'un cadran de montre, ce sont les heures de la vie. Et c'est pour ça que, dès le départ, la 13e heure est sortie pratiquement en premier. Pour dire... qu'il y aura des heures qui dureront une éternité, d'autres qui dureront même pas une seconde, et puis des heures auxquelles on ne s'attendait pas, et puis des heures convenues, bien sûr, heureusement, mais aussi des heures inattendues et peut-être supplémentaires. Voilà, donc c'est pour ça que j'ai voulu qu'il y en ait 13 et qu'elles s'appellent les heures.

  • Speaker #1

    Et alors, c'est votre collection de haute parfumerie pour la maison Cartier qui fait de la haute joaillerie également. Et d'ailleurs, vous parlez, ça n'était jamais venu à l'esprit de ce rapprochement entre le parfum et les pierres et l'art de la joaillerie. Mais pour revenir aux heures, c'est quoi une collection de haute parfumerie ? Parce que moi, je dois avouer que j'ai eu la chance que vous m'offriez il y a longtemps maintenant l'heure mystérieuse que je porte régulièrement, qui me réchauffe parce que ça sent le feu. Et on m'a déjà arrêtée à plusieurs reprises dans le métro pour me demander. Ce que je portais. Et il y a ce vieux débat sur la parfumerie naturelle, etc. Moi, ce que j'adore, c'est que vous abolissez complètement tous les codes. C'est quoi une collection de haute parfumerie ?

  • Speaker #0

    Justement, une collection de haute parfumerie, c'est une collection qui n'existe que pour la beauté olfactive. L'unique raison d'être de cette collection, c'est de montrer le beau où qu'il se trouve. C'est le motto de la maison Cartier, le leitmotiv. Et cette collection est là pour montrer le beau olfactif où qu'il se trouve. Dans les naturels, dans les molécules, dans l'histoire, dans le futur, dans la simplicité, dans l'excès, dans les éléments eux-mêmes, dans l'humain, dans la mémoire. J'ai travaillé aussi avec des notes de Malabar, de Jeanne, de Vanille. C'est aussi une collection qui fait écho à la pop culture. Le beau, on peut le trouver partout et Cartier est là pour le montrer. y compris en parfumerie. Donc c'est vraiment la raison d'être. Et pour moi, justement, seule une collection de haute parfumerie, pour moi, haute parfumerie, c'est synonyme de liberté et d'inspiration parfumistique. Donc on est là vraiment pour montrer le beau parfumistique.

  • Speaker #1

    On a parlé du rapport au temps, on n'a pas encore parlé du rapport au silence, mais moi je voudrais vous brancher sur le rapport au mot, parce que ce qui m'avait frappée dès notre première rencontre, il y a presque huit ans déjà, c'était votre réinvention du vocabulaire. Vous parlez de choc olfactif. Alors pour en citer quelques-uns, tout à l'heure on parlait de femmes de rechasse, il y avait Mitsuko aussi que je porte aujourd'hui, qui est un très ancien parfum de la Maison Guerlain, que vous avez eu, vous dites, à l'âge de 5-6 ans peut-être, sur la maman d'une amie. Vous parlez de choc olfactif, et j'aimerais bien savoir ce que c'est un choc olfactif, mais vous parlez aussi de votre sublime inconscience, vous réinventez le mot parfumistique, je ne sais pas s'il existe vraiment, de bug intellectuel avec l'heure perdue de votre... Ultra sensibilité. Alors ça passe par là aussi, cette liberté de réinventer le langage. On parlait beaucoup de Proust parce que, évidemment, quand on parle de cet épisode de la Madeleine qui évoque tous les souvenirs chez sa tante Léonie avant la messe et qui trempe dans son infusion de tilleul. Mais comment vous réinventez ces mots et quelle importance ils ont dans votre vie, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Alors... Les mots pour moi, ce sont des outils de communication. C'est vraiment une lapalisade et je m'en excuse. Ce qui se passe, c'est qu'en parfumerie, on n'a pas réellement de vocabulaire technique. spécifiques, quelques mots qui sont spécifiques de la parfumerie, mais ils sont toujours finalement quand même à double sens, quadruple sens. On les utilise en parfumerie pour un sens qu'on fait nôtre, alors qu'ils en ont déjà beaucoup dans la langue française. Donc on rajoute souvent un sens, parce qu'on a besoin finalement en parfumerie d'aller, de créer un vocabulaire. Donc... Tous les parfumeurs, et moi j'ai appris ça très tôt à l'ISIPCA, cette impossibilité pyrandélienne de parler d'une odeur puisqu'il n'y a pas de langage scientifiquement technique pour l'olfaction. L'olfaction ayant été tellement invisibilisée. Parmi les autres sens, on sait que beaucoup de philosophes ont considéré que l'olfaction était trop instinctive et gardait l'homme trop animal et pouvait compromettre l'élévation intellectuelle de l'homme. Donc l'olfaction a vraiment été invisibilisée. pensant que justement la vision et l'audition permettraient une plus grande et une élévation peut-être plus aboutie de l'âme humaine. Aujourd'hui on se rend compte que c'est tout l'inverse et que jamais on aurait dû hiérarchiser justement ces sens, jamais on aurait dû les compter. De ce fait, l'olfaction n'a pas peaufiné, inventé, créé un vocabulaire adéquat et unique. Et c'est ce que j'ai adoré aussi dans mon parcours, pour bien expliquer l'olfaction, ce qui a toujours été très important pour moi, avant que j'aie même conscience de cette mission que je poursuivais inconsciemment. Pour partager et pour faire venir à l'olfaction l'interlocuteur que j'avais face à moi, expliquer était crucial. Alors... J'ai commencé à chercher les mots avec ultra précision et à choisir mes mots et à inventer les mots que je ne trouvais pas. Donc, c'est comme ça. qu'est venu ce mot parfumistique, à force de dire que les choses devaient prendre leur sens dans le parfum, au cœur du parfum, que les choses devaient, que les projets, les phrases, une présentation, la création d'un nouveau produit, comme une huile pour le corps. Et toutes les idées, pour moi, devaient toujours prendre sens au cœur du parfum, de l'histoire du parfum, de l'histoire de l'olfaction, de la science de l'olfaction. Et donc, à force de dire ça en un quart d'heure avec X phrases, paraphrases, j'ai fini par dire parfumistique. Et puis, ça a tellement bien marché que c'est devenu... Ça fait partie du vocabulaire des équipes Parfums chez Cartier. Et donc, c'est devenu un mot du quotidien qu'on dit très régulièrement. Et je commence même à voir ce mot sur Instagram. Et ça prouve bien que ce mot... Fais sens ! pour beaucoup de gens qui travaillent dans le parfum et avec l'olfaction. Donc ça, c'est vraiment l'aspect crucial de l'échange pour convaincre, mais pas convaincre dans le sens de voter pour moi, c'est vraiment convaincre dans le sens d'essayer. de vivre par le sentir. essaye de sentir, essaye de t'ouvrir à l'olfaction, essaye de profiter, essaye de découvrir le monde. Je dis parfois que si on se dit qu'on a cinq sens, et ces cinq sens sont équivalents, alors l'olfaction serait donc 20% au moins. de notre cerveau, de notre corps, de notre vie. Alors là, je trouve complètement incroyable d'imaginer qu'il y a 20% d'un monde entier, enfin 20% de notre monde, qu'on laisse inconnu, inexploré. Et donc, en fait, si on se dit ça, on peut imaginer qu'en fait, on ne vit notre vie qu'à 80%. Et donc, ce monde qui représente 20% du monde, c'est quand même une opportunité incroyable de se dire qu'on a un monde avec un grand M entier à découvrir. Et donc ça, je trouve que c'est fantastique de pouvoir... savoir ça, parce que ce monde ne m'appartient pas, mais ce que je sais, c'est qu'en ouvrir les portes, c'est un immense cadeau qu'on peut faire, justement, même à des gens qui ont déjà un monde très riche, par la musique, par la lecture, par l'intellect en général, ouvrir le monde de l'olfaction peut compléter aussi ces mondes-là d'une manière incroyable. Et c'était d'ailleurs... L'intuition de Scriabine qui a dit que, justement, en ajoutant le parfum à la musique, on pouvait complètement renouveler la perception et s'approcher encore plus de l'extase esthétique et de la transcendance.

  • Speaker #1

    J'aurais tellement d'autres questions, mais je vois l'heure qui s'échappe comme ça doucement. J'en ai deux principales, Mathilde. La première, c'est revenir un peu à l'apprentissage de l'altérité. Parce que je dois le souligner, votre livre, et j'adore ce genre de livre, où j'ai appris mille choses, mais il m'a rendu une meilleure personne. Pourquoi ? Parce que vous parlez d'accepter l'altérité à travers le parfum. Vous parlez des odeurs, bonnes ou mauvaises, sans porter de jugement. Et j'adore cette vision que vous avez et ça m'a rappelé. Et moi, ce livre, vraiment, il m'a rendu une meilleure personne en me rappelant des choses. Voilà, donc cette absence de jugement. Et puis après, on parlera du rapport au monde aussi, parce qu'un parfum, c'est un monde et c'est l'art de l'attention. C'est l'art de l'attention au monde, se mettre au diapason du monde. Mais pour l'altérité, ce refus de juger, est-ce que vous voulez nous en parler ?

  • Speaker #0

    Avec joie, oui, parce que justement... L'isolement, la non-découverte commencent par le jugement. Et l'olfaction, le parcours d'un parfumeur, commence par le non-jugement des odeurs. Puisque la parfumerie... Dans l'Antiquité, on devait faire feu de tout bois. On n'avait pas les moyens actuels de distillation, d'extraction, de synthèse de molécules. Les produits odorants qui ont été utilisés et qui ont été à l'origine de la parfumerie étaient des fleurs, des aromates, mais aussi des matières fécales. Et donc, tout ce qui avait une odeur... pouvait être utilisée, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Et suivant les époques, c'est pas forcément une question d'hygiène, en fait. C'est une question de culture, c'est une question justement de ce qui est associé à telle ou telle odeur. Des odeurs qu'on juge, nous, aujourd'hui, sales ou fécales, pouvaient être des odeurs extrêmement recherchées. On pouvait payer des sommes incroyables pour certaines matières odorantes parce qu'elles avaient une symbolique ou un pouvoir magique. On parle du musque, souvent considéré comme une des plus belles matières de la parfumerie. Le musc, c'est quand même une odeur, et moi j'ai eu la chance de très bien le sentir et le pratiquer chez Guerlain, donc une odeur de sang séché, une odeur légèrement fécale. Donc c'est une odeur qui est mise au plus haut, alors que c'est une odeur qui n'est ni florale, ni plaisante. Quand on entre en parfumerie et surtout quand on passe chez Guerlain, où en fait un des secrets de la parfumerie de Guerlain, parce que tout le monde parle de la guerlinade comme étant une recette, mais il n'y a pas de recette de guerlinade. Et en tout cas, dans la guerlinade, il y a une dimension animale et fécale qui est indéniable. Donc, en fait, quand on entre en parfumerie... et qu'on a la chance de passer par cette maison séculaire qui est Guerlain, on comprend que la beauté ne se fait pas... Je parle souvent du gâteau sans foie bon, qui était un petit livre que j'avais, et que ma sœur et moi, on adorait ce livre. Le gâteau sans foie bon, c'est l'histoire d'un chat et d'un chien qui veulent faire plaisir à un autre animal, je ne sais plus lequel. Pour son anniversaire, ils veulent lui faire le meilleur des gâteaux. Alors, ils vont faire un gâteau avec que des choses qui sont excellentes. Donc, ils choisissent tout ce qu'ils aiment. Et donc, ils mettent du sucre, de la farine. Mais comme le chat adore les cornichons, ils mettent des cornichons. Et comme le chien adore le chocolat, il met du chocolat. Et comme le chien adore le saucisson, il met du saucisson. Et donc, c'est un gâteau 100 fois bon. Il est 100 fois bon, ce gâteau. Mais au bout du compte, il n'est pas bon. À la fin, quand le... Donc, la parfumerie, c'est pas le gâteau 100 fois bon. En fait, et la beauté, parfois, pour faire émerger de la beauté, eh bien, il faut être capable d'utiliser des choses qui sont considérées dans la société comme... peut-être moins belle que d'autres. En fait, il n'y a pas de beauté qui n'est que de choses qui seraient dites belles. Et de la même manière que dans un tableau, on a besoin d'ombre, on a besoin parfois de peindre la mort. Voilà, donc, en fait, la parfumerie... se comporte comme tous les autres arts. Et donc, pour créer de la beauté, il faut de tout. Et il faut donc suspendre son jugement. Parce que le musque, justement, avec cette odeur de sang séché, c'est peut-être ce qui va apporter un supplément d'âme à la création qu'on est en train de chercher. Vraiment la parfumerie amène à ne pas juger et à chercher la beauté et l'utilité de toute odeur. A finalement travailler avec le juste ingrédient, même s'il n'est pas considéré comme beau à l'époque et dans la société et dans la culture. dans laquelle on travaille. Donc ça, c'est absolument passionnant. En plus, on le voit que dans l'histoire de la parfumerie, certains ingrédients ont été considérés comme magnifiques à certaines époques et puis d'autres, pas du tout. Et ça s'est inversé avec le temps. Donc la parfumerie ouvre à la tolérance, réellement. Et l'odeur de l'autre, en fait, ne renseigne pas forcément sur sa valeur. L'odeur de l'autre ne renseigne que sur un moment, un moment M. Et c'est tout, en fait. Moi, ça m'arrive de sentir l'ail. Voilà, je ne sais pas. Donc, ça veut bien dire que l'odeur, justement, est éphémère. Et justement, si on l'utilise comme marqueur social, alors on prend un chemin très scabreux, en tout cas très escarpé.

  • Speaker #1

    Ce que vous dites très bien, ce que vous exprimez vraiment très très bien, c'est ok de ne pas se parfumer aussi. Il y a des gens qui ne se parfument pas. Ou alors en fin de journée, si on a tous une hygiène normale, on peut sentir un petit peu. Ça va nous aider à surmonter le métro notamment. C'est normal de sentir un peu et d'accepter cette altérité, d'accepter ces odeurs.

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, un corps humain vit et transpire. la peau vieillit on perd de la peau tous les jours on fabrique du sébum Toutes ces odeurs-là, finalement, c'est peut-être parce que depuis plusieurs décennies, on cherche à réellement les éradiquer. C'est vraiment le terme. Les déodorants, les shampoings, tout est surparfumé et tout est revendiqué comme hyper efficace, justement, pour éviter de sentir. Moi, je pense que... qu'il y a quelque chose d'un peu symptomatique. Il y a une peur derrière ça, justement, qui est sociale. Il y a la peur de ne pas être acceptée, la peur d'être rejetée. Et je pense qu'en fait, on a mieux à faire. à tolérer les choses, en fait, et à ne pas juger qui que ce soit qui revient d'un jogging ou qui a couru toute la journée dans les transports, qui a dû faire des allers-retours... Qui a travaillé, qui a sué... Qui a travaillé, voilà. Et donc, je pense que, bien sûr, je ne suis pas en train de dire qu'il faut... ne plus se laver, parce que tout de suite, les gens disent, ah, mais alors, on ne se lave plus. Non, mais il y a un milieu entre essayer d'éradiquer toute odeur considérée comme non plaisante. L'odeur de l'essence aussi, moi, je trouve symptomatique qu'on essaye de faire disparaître l'odeur de l'essence des parkings. Parce que finalement, l'essence existe, on l'utilise et elle est polluante. Et donc, il vaut mieux la sentir comme une alerte que de la couvrir et de se dire que finalement, et de ne plus avoir conscience de la pollution que ça crée. Donc... Donc ce que je dis, c'est qu'il faut tolérer, avoir conscience quand l'odeur est un danger ou quand elle ne l'est pas et quand justement elle est tout simplement humaine.

  • Speaker #1

    et accepter l'altérité j'aurai encore tellement de choses et vous avez tellement de choses à partager c'est tellement riche mais j'aimerais finir sur votre mission de créer un parfum, d'encapsuler l'air du temps et en même temps de défricher des sentiers, d'en explorer encore cette quête de liberté et je crois qu'il y a un triptyque dans la création d'un parfum Quand vous créez un parfum, entre l'histoire de la parfumerie, je crois, au moment-là, l'histoire de la maison dont vous vous enrichissez, et puis le moment du temps où on se trouve. Vous voulez parler de ce... Les Allemands, ils parlent de Zeitgeist. J'adore ce mot. Ça veut dire l'esprit du temps. Comment on encapsule ? Parce que l'art de l'attention, c'est ça aussi. C'est l'attention au monde dans lequel on vit. Comment est-ce qu'on encapsule ça dans un flacon de parfum, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Eh bien, j'aime beaucoup cette question. Je crois qu'en fait, on l'encapsule justement en étant attentif, en prêtant attention à ce monde justement dans lequel on vit et dans lequel tous, parce que si on a bien tous un point commun, c'est qu'on vit en 2024 dans ce monde tel qu'il est. Et qu'on a tous des besoins qui sont créés. par les moments qu'on vit dans ce monde-là. Donc, pour moi, prêter attention à ça et se poser la question de... ce que le parfum peut faire dans ce monde-là. Justement, c'est pour ça que partager l'olfaction, ça fait partie de cette attention au monde et de se dire que, justement, l'olfaction peut apporter ce qui manque actuellement au monde, une fois de plus, sans prétention. Mais dans chaque parfum... En fait, je vais faire cet exercice de me dire qu'est-ce que... je peux montrer, qu'est-ce que je peux dire dans ce parfum qui pourrait porter plus d'olfaction, qui pourrait porter plus de sensorialité, qui pourrait, par exemple, être un dialogue avec la condition de la femme, qu'est-ce qui pourrait être justement un dialogue entre les femmes et les hommes, qu'est-ce qui pourrait justement... être un propos par rapport justement à la sexualisation ou non de la parfumerie. Donc voilà, c'est en fait être à l'écoute du monde dans lequel nous sommes tous en commun. Et qu'est-ce que l'olfaction peut apporter comme, peut-être, nouvelle liberté, ou à quel combat elle peut s'associer, à quelle valeur elle peut nous rapprocher ? Qu'est-ce qu'on veut proposer aussi comme posture vis-à-vis de la nature, vis-à-vis... de l'écologie. Donc voilà, c'est tous ces grands thèmes que nous avons tous à vivre et qui nous questionnent tous et dans lesquels on se retrouve tous ensemble, auxquels la parfumerie peut porter, en tout cas, contribution.

  • Speaker #1

    Ça me rappelle ces mots de Henri Dunant, et je sais que cette phrase vous est très chère, qui dit que seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde, y parviennent.

  • Speaker #0

    Tout à fait. J'ai longtemps cru qu'elle était d'Albert Einstein. Donc, merci pour peut-être qu'il l'a reprise.

  • Speaker #1

    C'est le créateur de la Croix-Rouge, je crois.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une phrase magnifique parce qu'elle m'a soutenue. Et c'était un de mes présidents, c'est Thibaut Ponroy, à qui je rends hommage, qui m'a appris cette phrase. Merci. et elle m'a vraiment aidée, parce qu'effectivement, elle montre que, bien sûr, les grands projets sont toujours un peu fous, mais il n'y a pas de changement sans folie. Mais après, il y a folie et folie, bien sûr, mais le mot folie n'est pas péjoratif dans ma bouche. C'est un mot qui a beaucoup de sens et je pense qu'une forme de folie est toujours indispensable à un bon équilibre intérieur.

  • Speaker #1

    Cette folie qui me rappelle votre sublime inconscience,

  • Speaker #0

    Mathilde. Exactement, c'est une forme de folie, cette sublime inconscience. Et finalement, une folie consciente, en fait, c'est une sublime inconscience. J'ai envie de dire, c'est peut-être un synonyme, c'est-à-dire à quel moment je fais les choses avec conscience, à quel moment je sais que c'est un peu fou, mais j'en ai conscience, mais j'y vais quand même. Avec... panache, avec sublime inconscience.

  • Speaker #1

    Je crois qu'on va s'arrêter là, parce que c'est le plus long podcast que j'ai enregistré, mais c'est un tel plaisir. Je pourrais continuer à converser avec vous pendant des heures et des heures.

  • Speaker #0

    Je suis très touchée, Fanny, vraiment. Merci beaucoup, parce que, effectivement, moi aussi, j'ai adoré répondre à vos questions qui sont, comment dirais-je, sur mesure, en fait. Merci vraiment. pour l'intérêt que vous portez à mon travail qui m'émeut carrément.

  • Speaker #1

    Merci. Alors, chers auditeurs, c'est un grand moment d'émotion avec lequel je conclue cela. C'est dommage, vous n'étiez pas avec nous pour la cérémonie du thé tout à l'heure. J'en ai pas parlé au début, mais on a bu un thé délicieux avec Mathilde, n'est pas maître de thé, mais presque. J'ai découvert et appris beaucoup, beaucoup de choses. On est au cœur de Paris, dans le bureau de Mathilde, sur les toits d'un bel immeuble de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Vous avez peut-être entendu derrière nous aussi le bruit du monde, la rumeur du monde. le bruit de la ville. Ça donne une petite couleur locale en plus sur ce podcast, en tout cas qui est habité. Et Mathilde, un merci infini d'avoir partagé avec nous ce moment et puis cette mission qui sent, qui vous meut, qui vous pousse vers l'avant comme un élan et qui fait bouger les lignes, justement, comme un envol. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est moi, Fanny, qui vous remercie. C'est moi qui suis en... vraiment qu'il y ait beaucoup de gratitude pour ce qu'on s'est dit ce matin et surtout ce que vous avez fait émerger donc vraiment mille merci sincèrement j'espère

  • Speaker #1

    que vous avez pris autant de plaisir à écouter cet épisode que j'en ai eu à l'enregistrer comme toutes les bonnes choses, il se partage alors n'hésitez pas à l'envoyer à vos proches Enfin, si vous voulez vraiment me faire plaisir, vous pouvez mettre 5 étoiles dans l'appli et un petit commentaire ou m'envoyer un e-mail. J'essaie toujours de répondre. A bientôt au prochain épisode de l'Art de l'attention.

Description

En conversation avec Mathilde Laurent, la créatrice des parfums de la Maison Cartier : sentir nous rend meilleurs.


Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la Maison Cartier.
Et elle est bien plus que cela.
Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, aux côtés de Jean-Paul Guerlain, où elle signe ses premiers succès (Pamplelune, Guet-Apens…), elle créée les parfums de Cartier depuis 2005, où elle a imaginé des jus tels que La Panthère ou L’Envol, et une collection de Haute Parfumerie, intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13.
Car Mathilde Laurent est toujours là où on ne l’attend pas...

 

La femme engagée

🌞Mathilde est un soleil, un astre tout feu tout flamme qui s'embrase quand elle partage sa passion et ses convictions.

Ce qui marque immédiatement, quand on rencontre Mathilde, au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière, c’est son énergie solaire, son regard franc et déterminé, sa langue particulière.

 

Car Mathilde Laurent est une femme d’intuition, de convictions, et elle a une mission ; son dernier ouvrage, Sentir le Sens, est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d’art qui bouge les lignes de la parfumerie.
C'est ce que nous allons découvrir ensemble aujourd’hui…

 

Dans cet épisode... 

Chaque épisode de ce podcast que je partage avec vous, chers auditeurs, devient mon préféré.
Bien entendu, il en va ainsi pour celui-ci.
Chacun permet de creuser le sujet, nuancer la perception, creuser le propos, étudier plus en profondeur, compléter les regards, mieux comprendre l'art de l'attention.

Chacun est cher à mon coeur et m'enrichit infiniment.

  

Au cours de cette conversation avec Mathilde Laurent, nous avons évoqué mille aspects passionnants de l'olfaction :

  • l'attention à l'autre,

  • l'hypersensorialité,

  • inventer un nouveau langage et se réapproprier les mots,

  • pourquoi bien sentir ne suffit pas,

  • la révolution de la beauté,

  • le gâteau cent fois bon (mais pas si bon !),

  • comment la parfumerie ouvre à la tolérance,

  • et bien d'autres encore... 


☕️Pourquoi ne pas se préparer un thé (ou une infusion de tilleul ?) et nous rejoindre pour cette conversation passionnante sur l'olfaction ?

 

Découvrons ensemble comment Mathilde Laurent conjugue l'art de l'attention au présent.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la maison Cartier et elle est bien plus que cela. Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, où elle signe ses premiers succès, Pamplelune, Gatapan, elle est la créatrice de parfums de Cartier depuis 2005, où elle a créé des jus tels que La Panthère, que je porte souvent, ou L'Envol, et une collection de hautes parfumeries intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13. car Mathilde, elle est toujours là où on ne l'attend pas ce qui marque immédiatement quand on rencontre Mathilde au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière c'est son énergie solaire son regard franc et déterminé sa langue particulière Car Mathilde a une mission, c'est une femme d'intuition, de conviction, et elle a une mission. Son dernier ouvrage, Sentir le sens est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d'art qui bouge les lignes de la parfumerie. Nous allons le découvrir ensemble aujourd'hui. Partons à la rencontre de Mathilde pour découvrir comment elle conjugue au présent l'art de l'attention. L'art de l'attention Conversation avec Fanny Auger

  • Speaker #1

    Je crois qu'au contraire, avec ce cerveau hypersensible, hyperesthétique, hypersensoriel, que j'ai dit subir depuis l'enfance, dans le bon et dans le mauvais sens du terme, eh bien, je crois qu'avec ce cerveau, être attentif à l'autre est... autant un talent chez moi qu'être attentif à quelque chose, mais difficile. Je crois que la balance est partie complètement dans le sens de l'altérité et il ne reste plus rien pour l'attention, la concentration. C'est vraiment l'attention à l'autre, je crois, qui est... ultra développé chez moi.

  • Speaker #0

    Alors on va repartir de plus loin de quelque chose de vraiment essentiel c'est votre rapport au sens quand je suis entrée dans votre bureau tout à l'heure on passe l'ascenseur et tout de suite on voit sentir et d'ailleurs c'est le titre éponyme de votre livre sentir le sens je crois que vous avez longtemps voulu être photographe donc la vue a une importance vous êtes dingue de musique en arrivant c'était des notes de piano qui inondaient le bureau de lumière et de son étonnement Vous êtes d'une famille artiste. Quelle place vous donnez au sens, justement, l'essentiel chez vous ?

  • Speaker #1

    Mais oui, en fait, c'est comme si je n'avais jamais pu imaginer avant de vraiment travailler sur ce que c'est que d'être sensible. Et avant de prendre conscience qu'on pouvait ne pas l'être. J'ai longtemps cru que tout le monde vivait comme moi par l'hypersensorialité. Donc très rapidement à l'adolescence quand j'ai... Quand j'ai imaginé devenir photographe ou architecte ou parfumeur, en fait, j'ai compris, on m'a dit souvent que je vivais par les odeurs. Et donc j'ai découvert ça et je me suis dit, c'est étrange quand même qu'on te dise à toi que tu vis par l'odeur. Oui. Donc ça veut dire que d'autres ne vivent pas par l'odeur. Alors ça, ça me paraissait très étonnant. Et je me demandais justement par quoi on pouvait bien vivre sa vie si ce n'est par l'essence. Et effectivement, mon livre, j'ai eu envie de l'appeler Sentir le sens parce que ça m'est apparu un jour dans le processus d'écriture que pour moi, la vie ne fait sens que par l'essence. C'est quelque chose que j'ai réalisé au fur et à mesure des années de travail dans la parfumerie. Je dirais que quand j'ai commencé la parfumerie assez jeune, donc à 20 ans, je n'avais pas réalisé à quel point je vivais par les sens, à quel point mes sens donnaient. son sens à ma vie et à quel point, justement, j'allais devoir suivre mes sens pour faire sens dans ma vie. Donc, c'est quelque chose qui est essentiel. Une fois de plus, désolée pour tous ces... Mais finalement, c'est... Cette jolie allitération au sens. C'est effectivement... Ça fait sens, une fois de plus. Donc, voilà, j'ai petit à petit réalisé à quel point, finalement, le sens venait des sens. Et puis, j'ai dû réaliser aussi que parfois, on peut vivre autrement que par ses sens, c'est-à-dire par l'intellect. Par le raisonnement uniquement, on vit dans des sociétés où certains travaillent justement à s'éloigner d'une forme de sensorialité pour... se réfugier, je dirais, dans l'intellect.

  • Speaker #0

    Et qui ne sont plus là dans leur corps et dans leur sens, qui n'investissent plus leur sens.

  • Speaker #1

    Voilà. Et pour moi, de la même manière que peut-être vivre de manière uniquement sensorielle, sans aucune raison, n'est pas souhaitable, mais l'extrême inverse, vivre dans la raison ou dans l'intellect uniquement, n'est pas souhaitable non plus. Et pourtant, je pense que nos sociétés nous portent plus vers cet extrême rationnel, intellectuel, que vers un extrême sensoriel et sensuel.

  • Speaker #0

    Cette question du sens, le sens, elle est profonde, elle est fondamentale. Pourtant, ça paraît simple dans ces sociétés de s'en couper. Je voudrais aller encore plus loin sur sentir. Qu'est-ce que sentir ? Parce que votre livre, il démarre avec le premier chapitre qui s'intitule numéro 12.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi le parfum va garder l'humain humain ? Et vous dites très bien, vivre c'est respirer, respirer c'est sentir, dont vivre c'est sentir.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, moi j'ai l'impression d'être une machine à sentir et plus on sent, plus on sent. C'est-à-dire, plus on cherche à sentir, plus on prend conscience de tout ce qui est à sentir. Et pas seulement sentir avec le nez, mais sentir avec tous les sens, avec le toucher, et aussi sentir avec des sens dont on n'a pas encore conscience ou dont on ne connaît pas le nom, parce qu'on a tous découvert un sixième sens, comme on a découvert un cinquième goût qui est l'umami, on a découvert un sens... dont on nous a dit que c'était un sens et qu'on en avait un sixième, qui est la proprioception. Avant qu'on nous parle de la proprioception, on ignorait tous que ce sens existait. Donc je trouve, et je dis souvent, que je ne sais pas pourquoi on a décidé qu'on avait cinq sens et pourquoi ce nombre est perçu pratiquement... si on n'y réfléchit pas, comme un nombre fini. C'est comme si on avait cinq sens, pas un de plus, pas un de moins, et qu'ils seraient tous équivalents, et qu'ils auraient tous les mêmes comportements, et qu'il n'y en aurait aucun qui dominerait les autres, et en même temps, il y en aurait qui seraient plus forts, plus rationnels, plus quantifiables, plus universels. Donc... C'est drôle en fait cette manière de classifier l'essence qui est ultra rigide. soi-disant égalitaire et en même temps totalement, justement, empreinte de pouvoir ou de suprématie à certains endroits. Donc, cette idée de sentir, en fait, elle veut dire tout de suite sentir au sens le plus immense possible du terme. Sentir avec un grand S, en fait. qu'on ait cinq sens ou peut-être dix ou cent, et si on ne comptait pas ces sens, et si on se disait que juste on est un formidable agencement naturel de neurones, de capteurs, Une formidable machine à percevoir et à ressentir tout ce qu'on perçoit. Donc, effectivement, quand on arrive dans mon bureau, j'ai souhaité que ce mot sentir soit en néon, en lettres géantes, parce que pour moi, c'est l'essence de la vie.

  • Speaker #0

    Et l'odorat, c'est le sens de l'alerte aussi, c'est ce qui nous rend humains et ce qui nous permet aussi de rester en vie bien souvent, pendant très longtemps.

  • Speaker #1

    Exactement. Alors, pourquoi je dis que l'odorat va garder l'humain humain ? C'est parce qu'à mon sens, en fait, justement, l'odorat est le sens qui réunit tous les autres. C'est-à-dire que quand on regarde un document, on n'a pas toujours, quand on retrouve ce document... l'odeur de la personne qui nous accompagnait quand on a vu ce document la première fois ou quand on a écouté cette émission de radio et qu'on la réécoute, on sait peut-être où est-ce qu'on était, mais on n'a pas forcément l'odeur du savon avec lequel on s'était lavé les mains juste avant d'écouter l'émission de radio. Or, l'inverse est vrai. En fait, quand on sent une odeur, on sait exactement où on l'a sentie, avec qui on était, où est-ce qu'on était, qu'est-ce qui se passait. Et on a aussi, qui revient immédiatement avec l'odeur, c'est le principe de la Madeleine de Proust, on a aussi l'état d'âme dans lequel on était, on a aussi les émotions. qu'on ressentait à ce moment-là. Et c'est Bachelard qui a dit que toute odeur aimée, dans le présent comme dans le passé, est le centre d'une intimité. Et donc, l'olfaction est le sens qui réunit tous les autres. Parce que ça a été vérifié scientifiquement, enfin ça a été découvert justement scientifiquement, que le chemin que prend la perception olfactive passe d'abord par les centres des instincts, des peurs, donc l'amidale, puis à peu près en même temps le centre de la mémoire, l'hippocampe, et ensuite va chercher tous les autres sens, de la vision, de l'audition et aussi justement toutes les émotions. Donc quand je dis que l'olfaction va garder l'humain humain, c'est parce que justement l'olfaction... éveille aussi les autres sens, crée des sensations qui réunissent d'abord différents centres dans le cerveau et aussi différents centres nerveux ou les différents cerveaux qu'on a dans le corps puisque l'olfaction s'adresse aux instincts, aux mémoires et donc mobilise les neurones qu'on a. dans le ventre, qu'on a dans le cœur. Donc, on a véritablement une activation du corps entier. Et donc, c'est là où, justement, l'olfaction, on peut dire que le sens de l'olfaction est plus holistique que les autres. Et que ce sens de l'olfaction, en fait, c'est comme s'il réveillait le corps qui porte. la raison et l'intellect qu'on a tous et qu'on utilise tous, mais l'olfaction nous amène en fait à les englober. dans des sensations et à ressentir et travailler et percevoir d'une manière beaucoup plus entière, avec le corps entier. Donc, dans une époque où on nous parle beaucoup d'intelligence artificielle et où effectivement l'éducation, les comportements sociétaux nous mènent à ne devenir que des êtres pensants. Eh bien, c'est l'olfaction qui nous aide à rester des êtres sentants, des êtres vivants. Parce que vivre, c'est respirer. Respirer, c'est sentir. On ne peut pas respirer sans sentir. Donc, respirer, c'est sentir. Et donc, vivre, c'est sentir. D'ailleurs, on dit je me sens vivant On ne dit pas je me vois vivant ou je m'entends vivant On dit je me sens vivant Donc c'est bien l'olfaction qui garde l'humain humain et pas un ordinateur. C'est l'olfaction qui garde l'humain humain et l'humain vivant.

  • Speaker #0

    C'est pas un animal non plus, parce que vous le dites très bien dans votre livre. Vous dites, ce qui nous permet de rester des animaux doués d'émotions et d'instincts que nous sommes, c'est bien l'odorat, justement.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, on redevient, plutôt que de devenir une pensée digne d'un ordinateur, on redevient une pensée douée de sensations. et de sensations au sens très large du terme, y compris donc la sensation de l'autre. Et l'autre, on le sent, bien sûr, on le voit, on l'entend, mais c'est aussi en le sentant qu'on perçoit sa présence. Parce que finalement, voir et entendre ne veulent pas dire présence. Alors que sentir... veut dire présence.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, on dit de quelqu'un, je ne peux pas le sentir, par exemple.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou justement, on dit aussi, je le sens bien. Donc, ça veut bien dire, en fait, que même dans des rapports de travail, même dans des rapports qui ne pourraient n'être qu'intellectuels ou raisonnés, À un moment ou à un autre, on va sentir la relation, on va sentir la personne avec qui on est en train de réfléchir. Et ça, ça va être du domaine de l'information aussi, mais d'une information qui n'est pas rationnelle. mais c'est une information qui est importante et sur laquelle on peut travailler. Une information n'est pas justement là où la raison est importante et où on n'est pas des animaux. Parce que justement cette perception de je ne peux pas le sentir si on était un animal, on partirait en courant ou on donnerait un coup de patte et on se battrait. Là, en fait, parce qu'on est justement des êtres humains doués de raison et de sensation, c'est là qu'on va pouvoir travailler sur cette sensation. Et justement, comme vous disiez tout à l'heure, le sens de l'olfaction est un sens d'alerte. Est-ce qu'on va écouter cette alerte ? Est-ce qu'on va pouvoir justement poser les questions ou mettre en place des protections, comme dans le cas d'un incendie ou d'une bête sauvage ? Est-ce qu'on va avoir besoin de se protéger ? Ou est-ce qu'au contraire, une fois qu'on aura posé les questions, adressé les problématiques ou le questionnement qu'on perçoit vis-à-vis de l'autre, on va pouvoir être rassuré et avancer justement ? dans cette relation intellectuelle et dans ce travail qu'on a peut-être à faire ensemble, rassurés parce qu'on a géré ces informations sensorielles. Et on ira peut-être plus loin, du coup.

  • Speaker #0

    Mathilde, j'en arrive à votre métier, parce que vous êtes parfumeur, au masculin, mais créatrice de parfums de la Maison de Quartier. On entend aussi souvent nez, mais j'ai compris que c'était assez réducteur parce qu'on ne dit pas main pour un pianiste. Donc, j'aimerais savoir qu'est-ce qui fait le cerveau ? Parce que j'ai l'impression que c'est ça la différence. Vous le dites dans votre livre, je ne suis pas un super nez. C'est le cerveau derrière qui processe, qui range, qui s'est catégorisé. À quel moment vous avez su que vous étiez un parfumeur, une créatrice de parfums, peut-être en collectionnant vos petites fioles étant ado ? Et comment ça se traduit dans votre cerveau ? Comment c'est fait dans votre cerveau ? Un cerveau de parfumeur, c'est quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, vous dites parfumeur au masculin, moi j'aime bien dire parfumeur avec un E. En fait, quand on dit parfumeur, finalement c'est autant féminin que... que masculin, et j'aime bien ça. Et alors, effectivement, vous avez parfaitement raison, on ne dit pas main pour un pianiste, parce que ça serait justement oublier toute l'émotion et toute la réflexion qu'il y a derrière la main. Et dans le travail du parfumeur, c'est exactement la même chose. En fait, bien sentir, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est Edmond Rudnitska, bien avant moi, dans les années 50, dans tous les livres qu'il a écrits sur la parfumerie, bien sentir ne suffit absolument pas. Et très souvent, des parents viennent me voir en disant Oh là là, mon enfant, vraiment, sent tout. C'est vraiment, c'est un vrai parfumeur parce qu'il sent tout. Et en fait, moi je dis toujours, attention, bien sentir ne suffit pas. Si la parfumerie est un art, c'est parce que justement, c'est une œuvre de l'esprit. Et c'est véritablement une pensée intellectuelle qui va présider à la création d'un accord qu'on va appeler un parfum. Donc exactement comme pour un musicien, comme pour un architecte, comme pour un réalisateur en fait, la création va commencer uniquement dans la tête, avec des idées, avec des associations et avec un propos surtout, avec une volonté de dire quelque chose. Et ça paraît plus abstrait dans le cas de la parfumerie. qui est un propos sociétal, esthétique, artistique, derrière un parfum, et pourtant c'est le cas. Donc c'est vraiment dans le cerveau que tout se passe, et c'est seulement une fois que tout est pensé, et que tout est, je dirais, perçu. Même si c'est virtuel dans le cerveau, moi je sens un parfum fini bien avant de commencer à... et le réaliser pour le mettre dans un flacon.

  • Speaker #0

    C'est comme ça qu'on crée un parfum. Alors, votre imagination projette. Vous avez un parfum en tête ou dans le nez et après, vous allez faire des centaines peut-être d'essais pour le retrouver.

  • Speaker #1

    Exactement, c'est ça. Retrouver

  • Speaker #0

    Exactement. Se produit l'imagination.

  • Speaker #1

    Exactement. C'est comme si on imaginait une image et qu'on la voyait. Donc moi, j'imagine un parfum et je le sens. Et je le vois aussi d'une certaine manière.

  • Speaker #0

    Un parfum qui n'existe pas encore.

  • Speaker #1

    Voilà, un parfum qui n'existe pas encore. Et ensuite, je vais devant l'orgue que je vous ai montré dans mon laboratoire, où parfois, je n'ai pas besoin d'être devant l'orgue. Et simplement, j'écris le nom des ingrédients qui... Pour moi, une fois mélangés les uns avec les autres, vont donner cette odeur qui est dans ma tête et que je cherche à... Réaliser. Voilà, exactement.

  • Speaker #0

    Donc dans votre cerveau, depuis que vous êtes toute petite, j'ose imaginer qu'il y a des idées, des boîtes, un cerveau compartimenté avec tout ce que vous sentez et que vous classez sans cesse.

  • Speaker #1

    Tout à fait. C'est ça le cerveau d'un parfumeur ? Alors, heureusement, je n'ai pas besoin de classer au sens un peu, je dirais, mathématique ou organisationnel. parce qu'effectivement, un cerveau de parfumeur, quand ça sent une odeur, justement... par le mécanisme de la Madeleine de Proust, quand je sens quelque chose, ça s'imprime tellement fortement, tellement exactement. C'est comme un... comme un tampon ou comme quelque chose de très fort qui tout d'un coup s'imprime dans la matière. Et donc, voilà, c'est classé. Ça se classe tout seul, je dirais. Parce que voilà, tout est répertorié et tout est classé dans ce cerveau qui fonctionne. Et justement, c'est pour ça que je parle de subir son cerveau de parfumeur, parce que je n'ai pas décidé de classer les odeurs. Je n'ai pas réfléchi à une méthode de classement des odeurs. Je ne me suis pas dit, tiens, je vais faire des boîtes. Dessus, je mettrai une étiquette avec une photo du moment où j'ai senti. Et puis dans la boîte, il y aura aussi mes émotions. J'ai juste... Petit à petit, observé, et puis par la pratique, en entrant dans l'école de parfumerie, en entrant chez Guerlain, j'ai conscientisé toutes ces choses qui étaient des fonctionnements complètement involontaires. Très honnêtement, je trouve que c'est intéressant quand même de poser ça, de dire que... C'est ce que je veux dire quand je dis que j'ai subi mon cerveau de parfumeur. C'est que tout ça s'est fait de manière inconsciente dès... Mes premières années, donc des toutes petites, dès l'âge, j'ai des souvenirs olfactifs que je ne sais pas très bien noter en termes d'âge. Et je pense même, depuis que j'ai créé la panthère et que j'ai réalisé qu'en fait ma mère avait porté femme de rochasse, sans doute avant que je naisse. Je ne l'ai jamais connu portant un parfum. Donc, ce parfum Femmes de Rochasse m'a marquée au-delà de tout, puisque c'est pour moi un des parfums, une de mes icônes de parfumerie. Et jusqu'à ce que je crée La Panthère et à ce que je réponde à des interviews sur le parfum de ma mère, c'était une interview sur le parfum des mères de parfumeurs, par Sarah Bouas et Claire Doyy. Claire Doyy et Sarah Bouas qui ont fait au même moment, pour des journaux différents, cette interview. sur le parfum des mers. Voilà. Et donc, j'ai réalisé, à la faveur de ces deux interviews, coup sur coup, donc j'ai eu deux fois l'occasion de réfléchir à ce thème. Et je me suis rendue compte que ma mère portait Femme de Rochasse, qui m'avait influencée dans le travail sur la panthère, de manière donc sans doute in utero, je ne sais pas. En tout cas, ce parfum m'a marquée, alors que ma mère ne l'a jamais portée de mon vivant. Donc voilà, en tout cas, un cerveau de parfumeur, c'est un cerveau qui enregistre, qui, je dirais, fait feu de toute odeur. C'est très beau.

  • Speaker #0

    Au-delà de ça, moi je sens ce mouvement chez vous, cet élan. Quand vous dites je crée un parfum qui n'existe pas encore et ça va être une quête pour y arriver. D'ailleurs certains de vos parfums s'appellent l'envol par exemple. Donc on sent ce mouvement, cette recherche. Comment vous voyez aujourd'hui votre mission ? Parce qu'au-delà d'un métier, c'est vraiment une mission. Votre livre, ce n'est pas un livre, c'est un manifeste. C'est écrit sur la couverture. Un manifeste pour une sensibilité olfactive. Comment vous voyez cette mission ? Parce qu'il y aurait tellement de choses à dire.

  • Speaker #1

    Alors, cette mission, pareil, que j'ai conscientisée en voyant que j'étais tellement mue par cette envie de... partager l'olfaction avec tout le monde et puis d'amener chaque personne que je rencontrais à vraiment profiter, à visiter, à découvrir l'olfaction. Pour moi, c'est quelque chose de tellement important dans une vie, de sentir et de découvrir le monde qu'est... Le monde olfactif et de découvrir le monde sous l'angle olfactif, pour moi, ça change tellement une vie.

  • Speaker #0

    Et tout récemment, c'est le chef d'orchestre, Esa-Péka Salonen, qui m'a dit ça à la faveur de notre projet sur Prométhée. Esa-Péka Salonen m'a dit, je ne verrai plus les choses de la même manière depuis que j'ai découvert l'olfaction, le pouvoir de l'olfaction. Et pourtant, lui, son monde, c'est la musique. Donc apporter l'olfaction dans une vie, en fait, c'est déterminant. Et donc ma mission, je crois, sans grands mots, parce que je me sens minuscule dans ce monde, mais je sais que l'olfaction a un très grand pouvoir en revanche. Donc moi, je suis toute petite, mais l'olfaction est tellement immense. dans ce qu'elle apporte et dans la manière dont on peut vivre une vie, que je pense qu'il faut la partager avec le monde entier et qu'il suffit d'ouvrir des petites brèches pour que l'eau s'engouffre dedans et que finalement ça essaime dans le monde entier. Donc ce concert... sur lequel j'ai apporté l'odeur, fait partie de cette mission. Les osnis, les objets sentants non identifiés que je développe grâce à la Maison Cartier, qui me donnent cette liberté de faire ces installations totalement atypiques, nouvelles, Peut-être étrange a priori, ces osnies servent aussi à partager le pouvoir de l'olfaction, faire découvrir ce que c'est que sentir une esthétique. en 5S, je dis souvent que je travaille en 5S, c'est-à-dire, bien sûr, les trois dimensions, bien sûr, je les prends en compte, donc je dis que je travaille en 5S ou en 9D. Donc 5S évidemment c'est les 5 sens parce que moi c'est ça qui m'intéresse et ensuite j'ajoute les 3 dimensions parce que bien sûr mes installations sont des espaces dans lesquels on peut circuler et dans lesquels on va recevoir de l'olfaction. Donc les 3 dimensions sont très importantes et puis le temps donc 5S, 5 sens ou 9D c'est-à-dire 5 sens plus 3 dimensions plus le temps. Et donc ces installations, elles sont vraiment faites pour essayer de faire sentir une esthétique, une création avec toutes les dimensions possibles en accord autour de ce propos esthétique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'émeut énormément chez vous, c'est cette volonté de partager la beauté, de porter cette mission de partager la beauté. Il y a une phrase qui m'a interpellée dans votre livre. C'est quand vous dites ma mission de parfumeur, je crois, est d'essayer de porter le parfum là où il peut être utile aux hommes. C'est incroyable.

  • Speaker #0

    Oui, c'est incroyable. Et ça me... Quand vous dites cette phrase, ça me... J'ai la chair de poule et ça m'émeut parce que je crois qu'on a vécu nos sociétés, l'humanité. Je suis désolée d'employer des grands mots. Vraiment, une fois de plus, je me sens assez petite pour dire ça. Mais chez moi, c'est viscéral, c'est quelque chose que je ressens très profondément, donc je le dis du mieux que je peux, sans prétention. Mais j'ai l'impression qu'à force de ne pas travailler sur le sentir... C'est José Saramago qui a dit, c'est le prix Nobel de la paix qui a dit La révolution qui manque est celle de la bonté Et cette phrase m'a beaucoup marquée. Et je crois que c'est aussi une forme de révolution qui manque que celle du sentir. Parce que je me demande si la bonté... ne vient pas aussi du sentir. Donc, c'est une manière peut-être d'essayer de faire cette révolution de la bonté que quand je dis que justement l'olfaction, que j'essaye de porter la beauté de l'olfaction. À l'humanité, en fait, c'est une manière d'essayer de faire cette révolution de la bonté, de nous aider à nous accepter, de nous aider à reconnaître l'autre et de sentir ce qu'on doit sentir, parce qu'on est dans des moments d'humanité. Ou le sentir, on a l'impression que le sentir s'anesthésie peu à peu, que la violence finalement finit par être de plus en plus acceptée ou acceptable et que cette révolution de la bonté et du sentir, elle est urgente.

  • Speaker #1

    Il y a cette très belle phrase qui dit, c'est page 57, j'avance un peu plus loin dans la mission qui me meut au quotidien, ouvrir à tous la beauté de l'olfaction par tous les moyens. On sent vraiment cette mission qui vous anime dans tout ce que vous faites, d'ailleurs dans tout ce que vous créez. Vous avez cette liberté de créer des osnis, de créer cette expérience lors d'un concert avec la Maison Cartier. Et pour revenir à cette Maison Cartier, tout à l'heure vous parliez du temps, du rapport au temps, parce qu'on est chez Cartier qui fait de très belles montres. Et d'ailleurs votre collection de haute parfumerie, vous l'avez appelée les heures et il n'y en a pas 12, parce que vous n'êtes jamais là où on vous attend. à 13. Et vos noms de chapitres, d'ailleurs, j'étais un peu perdue parce que le chapitre 1, il s'appelle 12, je crois. Et ensuite, on continue sur le 3, etc. Donc, c'est quoi ce rapport au temps dans votre vie, Mathilde ?

  • Speaker #0

    Alors, merci. J'adore cette question en fait, parce que c'est vrai que l'olfaction et justement, c'est aussi ce que nous apprend la Madeleine de Proust. En fait, l'olfaction, le fait de sentir qu'elle est ressentir, vivre sa vie par le sentir, mène à comprendre totalement la relativité du temps et à vivre des moments de retour en arrière, des moments de Madeleine de Proust. Ça veut dire qu'en sentant quelque chose, on se retrouve projeté. Ça m'est arrivé la semaine dernière. sur une terrasse d'un café à Paris, boulevard Richard Lenoir, on serre derrière mon dos un plat de frites à un jeune couple adorable. Et je me retrouve en maillot de bain sur une plage à cinq ans avec un saladier de frites en Normandie. Et vraiment... Et c'est ça qui est magnifique, c'est que je sais comment je me sens, je sais qui je suis à ce moment-là, je me vois, je suis dans le corps de cette petite personne. Donc, en fait, le rapport au temps... Il est bouleversé chez un parfumeur. La relativité du temps devient un pilier de la vie d'un parfumeur. Le parfum est aussi lié au temps parce qu'il a une évolution tête-cœur-fond que le parfumeur doit maîtriser. On doit en permanence maîtriser le temps d'une certaine manière. pas forcément maîtriser le temps lui-même, mais maîtriser l'évolution temporelle du parfum. Donc essayer de déjouer le temps et garder la beauté malgré le temps. Et ensuite, on passe sa vie. Et c'est pour ça que j'ai voulu appeler cette collection les heures de parfum. Parce qu'on sait très bien qu'un parfum peut marquer... A vie, on peut marquer éternellement une seconde de vie, de la même manière qu'un parfum peut accompagner l'éternité d'une vie. Suivant qu'on vit un coup de foudre accompagné d'un parfum, ou suivant qu'on... qui vit aux côtés avec une maman qui toute sa vie porte tel ou tel parfum, ou que soi-même, on adopte un parfum à l'âge de 15 ans et que pour toute sa vie, ce parfum va devenir comme une... comme un double de soi, comme une âme sœur. En fait, les heures de parfum, ce sont les heures de la vie. Ce ne sont pas les heures d'un cadran de montre, ce sont les heures de la vie. Et c'est pour ça que, dès le départ, la 13e heure est sortie pratiquement en premier. Pour dire... qu'il y aura des heures qui dureront une éternité, d'autres qui dureront même pas une seconde, et puis des heures auxquelles on ne s'attendait pas, et puis des heures convenues, bien sûr, heureusement, mais aussi des heures inattendues et peut-être supplémentaires. Voilà, donc c'est pour ça que j'ai voulu qu'il y en ait 13 et qu'elles s'appellent les heures.

  • Speaker #1

    Et alors, c'est votre collection de haute parfumerie pour la maison Cartier qui fait de la haute joaillerie également. Et d'ailleurs, vous parlez, ça n'était jamais venu à l'esprit de ce rapprochement entre le parfum et les pierres et l'art de la joaillerie. Mais pour revenir aux heures, c'est quoi une collection de haute parfumerie ? Parce que moi, je dois avouer que j'ai eu la chance que vous m'offriez il y a longtemps maintenant l'heure mystérieuse que je porte régulièrement, qui me réchauffe parce que ça sent le feu. Et on m'a déjà arrêtée à plusieurs reprises dans le métro pour me demander. Ce que je portais. Et il y a ce vieux débat sur la parfumerie naturelle, etc. Moi, ce que j'adore, c'est que vous abolissez complètement tous les codes. C'est quoi une collection de haute parfumerie ?

  • Speaker #0

    Justement, une collection de haute parfumerie, c'est une collection qui n'existe que pour la beauté olfactive. L'unique raison d'être de cette collection, c'est de montrer le beau où qu'il se trouve. C'est le motto de la maison Cartier, le leitmotiv. Et cette collection est là pour montrer le beau olfactif où qu'il se trouve. Dans les naturels, dans les molécules, dans l'histoire, dans le futur, dans la simplicité, dans l'excès, dans les éléments eux-mêmes, dans l'humain, dans la mémoire. J'ai travaillé aussi avec des notes de Malabar, de Jeanne, de Vanille. C'est aussi une collection qui fait écho à la pop culture. Le beau, on peut le trouver partout et Cartier est là pour le montrer. y compris en parfumerie. Donc c'est vraiment la raison d'être. Et pour moi, justement, seule une collection de haute parfumerie, pour moi, haute parfumerie, c'est synonyme de liberté et d'inspiration parfumistique. Donc on est là vraiment pour montrer le beau parfumistique.

  • Speaker #1

    On a parlé du rapport au temps, on n'a pas encore parlé du rapport au silence, mais moi je voudrais vous brancher sur le rapport au mot, parce que ce qui m'avait frappée dès notre première rencontre, il y a presque huit ans déjà, c'était votre réinvention du vocabulaire. Vous parlez de choc olfactif. Alors pour en citer quelques-uns, tout à l'heure on parlait de femmes de rechasse, il y avait Mitsuko aussi que je porte aujourd'hui, qui est un très ancien parfum de la Maison Guerlain, que vous avez eu, vous dites, à l'âge de 5-6 ans peut-être, sur la maman d'une amie. Vous parlez de choc olfactif, et j'aimerais bien savoir ce que c'est un choc olfactif, mais vous parlez aussi de votre sublime inconscience, vous réinventez le mot parfumistique, je ne sais pas s'il existe vraiment, de bug intellectuel avec l'heure perdue de votre... Ultra sensibilité. Alors ça passe par là aussi, cette liberté de réinventer le langage. On parlait beaucoup de Proust parce que, évidemment, quand on parle de cet épisode de la Madeleine qui évoque tous les souvenirs chez sa tante Léonie avant la messe et qui trempe dans son infusion de tilleul. Mais comment vous réinventez ces mots et quelle importance ils ont dans votre vie, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Alors... Les mots pour moi, ce sont des outils de communication. C'est vraiment une lapalisade et je m'en excuse. Ce qui se passe, c'est qu'en parfumerie, on n'a pas réellement de vocabulaire technique. spécifiques, quelques mots qui sont spécifiques de la parfumerie, mais ils sont toujours finalement quand même à double sens, quadruple sens. On les utilise en parfumerie pour un sens qu'on fait nôtre, alors qu'ils en ont déjà beaucoup dans la langue française. Donc on rajoute souvent un sens, parce qu'on a besoin finalement en parfumerie d'aller, de créer un vocabulaire. Donc... Tous les parfumeurs, et moi j'ai appris ça très tôt à l'ISIPCA, cette impossibilité pyrandélienne de parler d'une odeur puisqu'il n'y a pas de langage scientifiquement technique pour l'olfaction. L'olfaction ayant été tellement invisibilisée. Parmi les autres sens, on sait que beaucoup de philosophes ont considéré que l'olfaction était trop instinctive et gardait l'homme trop animal et pouvait compromettre l'élévation intellectuelle de l'homme. Donc l'olfaction a vraiment été invisibilisée. pensant que justement la vision et l'audition permettraient une plus grande et une élévation peut-être plus aboutie de l'âme humaine. Aujourd'hui on se rend compte que c'est tout l'inverse et que jamais on aurait dû hiérarchiser justement ces sens, jamais on aurait dû les compter. De ce fait, l'olfaction n'a pas peaufiné, inventé, créé un vocabulaire adéquat et unique. Et c'est ce que j'ai adoré aussi dans mon parcours, pour bien expliquer l'olfaction, ce qui a toujours été très important pour moi, avant que j'aie même conscience de cette mission que je poursuivais inconsciemment. Pour partager et pour faire venir à l'olfaction l'interlocuteur que j'avais face à moi, expliquer était crucial. Alors... J'ai commencé à chercher les mots avec ultra précision et à choisir mes mots et à inventer les mots que je ne trouvais pas. Donc, c'est comme ça. qu'est venu ce mot parfumistique, à force de dire que les choses devaient prendre leur sens dans le parfum, au cœur du parfum, que les choses devaient, que les projets, les phrases, une présentation, la création d'un nouveau produit, comme une huile pour le corps. Et toutes les idées, pour moi, devaient toujours prendre sens au cœur du parfum, de l'histoire du parfum, de l'histoire de l'olfaction, de la science de l'olfaction. Et donc, à force de dire ça en un quart d'heure avec X phrases, paraphrases, j'ai fini par dire parfumistique. Et puis, ça a tellement bien marché que c'est devenu... Ça fait partie du vocabulaire des équipes Parfums chez Cartier. Et donc, c'est devenu un mot du quotidien qu'on dit très régulièrement. Et je commence même à voir ce mot sur Instagram. Et ça prouve bien que ce mot... Fais sens ! pour beaucoup de gens qui travaillent dans le parfum et avec l'olfaction. Donc ça, c'est vraiment l'aspect crucial de l'échange pour convaincre, mais pas convaincre dans le sens de voter pour moi, c'est vraiment convaincre dans le sens d'essayer. de vivre par le sentir. essaye de sentir, essaye de t'ouvrir à l'olfaction, essaye de profiter, essaye de découvrir le monde. Je dis parfois que si on se dit qu'on a cinq sens, et ces cinq sens sont équivalents, alors l'olfaction serait donc 20% au moins. de notre cerveau, de notre corps, de notre vie. Alors là, je trouve complètement incroyable d'imaginer qu'il y a 20% d'un monde entier, enfin 20% de notre monde, qu'on laisse inconnu, inexploré. Et donc, en fait, si on se dit ça, on peut imaginer qu'en fait, on ne vit notre vie qu'à 80%. Et donc, ce monde qui représente 20% du monde, c'est quand même une opportunité incroyable de se dire qu'on a un monde avec un grand M entier à découvrir. Et donc ça, je trouve que c'est fantastique de pouvoir... savoir ça, parce que ce monde ne m'appartient pas, mais ce que je sais, c'est qu'en ouvrir les portes, c'est un immense cadeau qu'on peut faire, justement, même à des gens qui ont déjà un monde très riche, par la musique, par la lecture, par l'intellect en général, ouvrir le monde de l'olfaction peut compléter aussi ces mondes-là d'une manière incroyable. Et c'était d'ailleurs... L'intuition de Scriabine qui a dit que, justement, en ajoutant le parfum à la musique, on pouvait complètement renouveler la perception et s'approcher encore plus de l'extase esthétique et de la transcendance.

  • Speaker #1

    J'aurais tellement d'autres questions, mais je vois l'heure qui s'échappe comme ça doucement. J'en ai deux principales, Mathilde. La première, c'est revenir un peu à l'apprentissage de l'altérité. Parce que je dois le souligner, votre livre, et j'adore ce genre de livre, où j'ai appris mille choses, mais il m'a rendu une meilleure personne. Pourquoi ? Parce que vous parlez d'accepter l'altérité à travers le parfum. Vous parlez des odeurs, bonnes ou mauvaises, sans porter de jugement. Et j'adore cette vision que vous avez et ça m'a rappelé. Et moi, ce livre, vraiment, il m'a rendu une meilleure personne en me rappelant des choses. Voilà, donc cette absence de jugement. Et puis après, on parlera du rapport au monde aussi, parce qu'un parfum, c'est un monde et c'est l'art de l'attention. C'est l'art de l'attention au monde, se mettre au diapason du monde. Mais pour l'altérité, ce refus de juger, est-ce que vous voulez nous en parler ?

  • Speaker #0

    Avec joie, oui, parce que justement... L'isolement, la non-découverte commencent par le jugement. Et l'olfaction, le parcours d'un parfumeur, commence par le non-jugement des odeurs. Puisque la parfumerie... Dans l'Antiquité, on devait faire feu de tout bois. On n'avait pas les moyens actuels de distillation, d'extraction, de synthèse de molécules. Les produits odorants qui ont été utilisés et qui ont été à l'origine de la parfumerie étaient des fleurs, des aromates, mais aussi des matières fécales. Et donc, tout ce qui avait une odeur... pouvait être utilisée, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Et suivant les époques, c'est pas forcément une question d'hygiène, en fait. C'est une question de culture, c'est une question justement de ce qui est associé à telle ou telle odeur. Des odeurs qu'on juge, nous, aujourd'hui, sales ou fécales, pouvaient être des odeurs extrêmement recherchées. On pouvait payer des sommes incroyables pour certaines matières odorantes parce qu'elles avaient une symbolique ou un pouvoir magique. On parle du musque, souvent considéré comme une des plus belles matières de la parfumerie. Le musc, c'est quand même une odeur, et moi j'ai eu la chance de très bien le sentir et le pratiquer chez Guerlain, donc une odeur de sang séché, une odeur légèrement fécale. Donc c'est une odeur qui est mise au plus haut, alors que c'est une odeur qui n'est ni florale, ni plaisante. Quand on entre en parfumerie et surtout quand on passe chez Guerlain, où en fait un des secrets de la parfumerie de Guerlain, parce que tout le monde parle de la guerlinade comme étant une recette, mais il n'y a pas de recette de guerlinade. Et en tout cas, dans la guerlinade, il y a une dimension animale et fécale qui est indéniable. Donc, en fait, quand on entre en parfumerie... et qu'on a la chance de passer par cette maison séculaire qui est Guerlain, on comprend que la beauté ne se fait pas... Je parle souvent du gâteau sans foie bon, qui était un petit livre que j'avais, et que ma sœur et moi, on adorait ce livre. Le gâteau sans foie bon, c'est l'histoire d'un chat et d'un chien qui veulent faire plaisir à un autre animal, je ne sais plus lequel. Pour son anniversaire, ils veulent lui faire le meilleur des gâteaux. Alors, ils vont faire un gâteau avec que des choses qui sont excellentes. Donc, ils choisissent tout ce qu'ils aiment. Et donc, ils mettent du sucre, de la farine. Mais comme le chat adore les cornichons, ils mettent des cornichons. Et comme le chien adore le chocolat, il met du chocolat. Et comme le chien adore le saucisson, il met du saucisson. Et donc, c'est un gâteau 100 fois bon. Il est 100 fois bon, ce gâteau. Mais au bout du compte, il n'est pas bon. À la fin, quand le... Donc, la parfumerie, c'est pas le gâteau 100 fois bon. En fait, et la beauté, parfois, pour faire émerger de la beauté, eh bien, il faut être capable d'utiliser des choses qui sont considérées dans la société comme... peut-être moins belle que d'autres. En fait, il n'y a pas de beauté qui n'est que de choses qui seraient dites belles. Et de la même manière que dans un tableau, on a besoin d'ombre, on a besoin parfois de peindre la mort. Voilà, donc, en fait, la parfumerie... se comporte comme tous les autres arts. Et donc, pour créer de la beauté, il faut de tout. Et il faut donc suspendre son jugement. Parce que le musque, justement, avec cette odeur de sang séché, c'est peut-être ce qui va apporter un supplément d'âme à la création qu'on est en train de chercher. Vraiment la parfumerie amène à ne pas juger et à chercher la beauté et l'utilité de toute odeur. A finalement travailler avec le juste ingrédient, même s'il n'est pas considéré comme beau à l'époque et dans la société et dans la culture. dans laquelle on travaille. Donc ça, c'est absolument passionnant. En plus, on le voit que dans l'histoire de la parfumerie, certains ingrédients ont été considérés comme magnifiques à certaines époques et puis d'autres, pas du tout. Et ça s'est inversé avec le temps. Donc la parfumerie ouvre à la tolérance, réellement. Et l'odeur de l'autre, en fait, ne renseigne pas forcément sur sa valeur. L'odeur de l'autre ne renseigne que sur un moment, un moment M. Et c'est tout, en fait. Moi, ça m'arrive de sentir l'ail. Voilà, je ne sais pas. Donc, ça veut bien dire que l'odeur, justement, est éphémère. Et justement, si on l'utilise comme marqueur social, alors on prend un chemin très scabreux, en tout cas très escarpé.

  • Speaker #1

    Ce que vous dites très bien, ce que vous exprimez vraiment très très bien, c'est ok de ne pas se parfumer aussi. Il y a des gens qui ne se parfument pas. Ou alors en fin de journée, si on a tous une hygiène normale, on peut sentir un petit peu. Ça va nous aider à surmonter le métro notamment. C'est normal de sentir un peu et d'accepter cette altérité, d'accepter ces odeurs.

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, un corps humain vit et transpire. la peau vieillit on perd de la peau tous les jours on fabrique du sébum Toutes ces odeurs-là, finalement, c'est peut-être parce que depuis plusieurs décennies, on cherche à réellement les éradiquer. C'est vraiment le terme. Les déodorants, les shampoings, tout est surparfumé et tout est revendiqué comme hyper efficace, justement, pour éviter de sentir. Moi, je pense que... qu'il y a quelque chose d'un peu symptomatique. Il y a une peur derrière ça, justement, qui est sociale. Il y a la peur de ne pas être acceptée, la peur d'être rejetée. Et je pense qu'en fait, on a mieux à faire. à tolérer les choses, en fait, et à ne pas juger qui que ce soit qui revient d'un jogging ou qui a couru toute la journée dans les transports, qui a dû faire des allers-retours... Qui a travaillé, qui a sué... Qui a travaillé, voilà. Et donc, je pense que, bien sûr, je ne suis pas en train de dire qu'il faut... ne plus se laver, parce que tout de suite, les gens disent, ah, mais alors, on ne se lave plus. Non, mais il y a un milieu entre essayer d'éradiquer toute odeur considérée comme non plaisante. L'odeur de l'essence aussi, moi, je trouve symptomatique qu'on essaye de faire disparaître l'odeur de l'essence des parkings. Parce que finalement, l'essence existe, on l'utilise et elle est polluante. Et donc, il vaut mieux la sentir comme une alerte que de la couvrir et de se dire que finalement, et de ne plus avoir conscience de la pollution que ça crée. Donc... Donc ce que je dis, c'est qu'il faut tolérer, avoir conscience quand l'odeur est un danger ou quand elle ne l'est pas et quand justement elle est tout simplement humaine.

  • Speaker #1

    et accepter l'altérité j'aurai encore tellement de choses et vous avez tellement de choses à partager c'est tellement riche mais j'aimerais finir sur votre mission de créer un parfum, d'encapsuler l'air du temps et en même temps de défricher des sentiers, d'en explorer encore cette quête de liberté et je crois qu'il y a un triptyque dans la création d'un parfum Quand vous créez un parfum, entre l'histoire de la parfumerie, je crois, au moment-là, l'histoire de la maison dont vous vous enrichissez, et puis le moment du temps où on se trouve. Vous voulez parler de ce... Les Allemands, ils parlent de Zeitgeist. J'adore ce mot. Ça veut dire l'esprit du temps. Comment on encapsule ? Parce que l'art de l'attention, c'est ça aussi. C'est l'attention au monde dans lequel on vit. Comment est-ce qu'on encapsule ça dans un flacon de parfum, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Eh bien, j'aime beaucoup cette question. Je crois qu'en fait, on l'encapsule justement en étant attentif, en prêtant attention à ce monde justement dans lequel on vit et dans lequel tous, parce que si on a bien tous un point commun, c'est qu'on vit en 2024 dans ce monde tel qu'il est. Et qu'on a tous des besoins qui sont créés. par les moments qu'on vit dans ce monde-là. Donc, pour moi, prêter attention à ça et se poser la question de... ce que le parfum peut faire dans ce monde-là. Justement, c'est pour ça que partager l'olfaction, ça fait partie de cette attention au monde et de se dire que, justement, l'olfaction peut apporter ce qui manque actuellement au monde, une fois de plus, sans prétention. Mais dans chaque parfum... En fait, je vais faire cet exercice de me dire qu'est-ce que... je peux montrer, qu'est-ce que je peux dire dans ce parfum qui pourrait porter plus d'olfaction, qui pourrait porter plus de sensorialité, qui pourrait, par exemple, être un dialogue avec la condition de la femme, qu'est-ce qui pourrait être justement un dialogue entre les femmes et les hommes, qu'est-ce qui pourrait justement... être un propos par rapport justement à la sexualisation ou non de la parfumerie. Donc voilà, c'est en fait être à l'écoute du monde dans lequel nous sommes tous en commun. Et qu'est-ce que l'olfaction peut apporter comme, peut-être, nouvelle liberté, ou à quel combat elle peut s'associer, à quelle valeur elle peut nous rapprocher ? Qu'est-ce qu'on veut proposer aussi comme posture vis-à-vis de la nature, vis-à-vis... de l'écologie. Donc voilà, c'est tous ces grands thèmes que nous avons tous à vivre et qui nous questionnent tous et dans lesquels on se retrouve tous ensemble, auxquels la parfumerie peut porter, en tout cas, contribution.

  • Speaker #1

    Ça me rappelle ces mots de Henri Dunant, et je sais que cette phrase vous est très chère, qui dit que seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde, y parviennent.

  • Speaker #0

    Tout à fait. J'ai longtemps cru qu'elle était d'Albert Einstein. Donc, merci pour peut-être qu'il l'a reprise.

  • Speaker #1

    C'est le créateur de la Croix-Rouge, je crois.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une phrase magnifique parce qu'elle m'a soutenue. Et c'était un de mes présidents, c'est Thibaut Ponroy, à qui je rends hommage, qui m'a appris cette phrase. Merci. et elle m'a vraiment aidée, parce qu'effectivement, elle montre que, bien sûr, les grands projets sont toujours un peu fous, mais il n'y a pas de changement sans folie. Mais après, il y a folie et folie, bien sûr, mais le mot folie n'est pas péjoratif dans ma bouche. C'est un mot qui a beaucoup de sens et je pense qu'une forme de folie est toujours indispensable à un bon équilibre intérieur.

  • Speaker #1

    Cette folie qui me rappelle votre sublime inconscience,

  • Speaker #0

    Mathilde. Exactement, c'est une forme de folie, cette sublime inconscience. Et finalement, une folie consciente, en fait, c'est une sublime inconscience. J'ai envie de dire, c'est peut-être un synonyme, c'est-à-dire à quel moment je fais les choses avec conscience, à quel moment je sais que c'est un peu fou, mais j'en ai conscience, mais j'y vais quand même. Avec... panache, avec sublime inconscience.

  • Speaker #1

    Je crois qu'on va s'arrêter là, parce que c'est le plus long podcast que j'ai enregistré, mais c'est un tel plaisir. Je pourrais continuer à converser avec vous pendant des heures et des heures.

  • Speaker #0

    Je suis très touchée, Fanny, vraiment. Merci beaucoup, parce que, effectivement, moi aussi, j'ai adoré répondre à vos questions qui sont, comment dirais-je, sur mesure, en fait. Merci vraiment. pour l'intérêt que vous portez à mon travail qui m'émeut carrément.

  • Speaker #1

    Merci. Alors, chers auditeurs, c'est un grand moment d'émotion avec lequel je conclue cela. C'est dommage, vous n'étiez pas avec nous pour la cérémonie du thé tout à l'heure. J'en ai pas parlé au début, mais on a bu un thé délicieux avec Mathilde, n'est pas maître de thé, mais presque. J'ai découvert et appris beaucoup, beaucoup de choses. On est au cœur de Paris, dans le bureau de Mathilde, sur les toits d'un bel immeuble de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Vous avez peut-être entendu derrière nous aussi le bruit du monde, la rumeur du monde. le bruit de la ville. Ça donne une petite couleur locale en plus sur ce podcast, en tout cas qui est habité. Et Mathilde, un merci infini d'avoir partagé avec nous ce moment et puis cette mission qui sent, qui vous meut, qui vous pousse vers l'avant comme un élan et qui fait bouger les lignes, justement, comme un envol. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est moi, Fanny, qui vous remercie. C'est moi qui suis en... vraiment qu'il y ait beaucoup de gratitude pour ce qu'on s'est dit ce matin et surtout ce que vous avez fait émerger donc vraiment mille merci sincèrement j'espère

  • Speaker #1

    que vous avez pris autant de plaisir à écouter cet épisode que j'en ai eu à l'enregistrer comme toutes les bonnes choses, il se partage alors n'hésitez pas à l'envoyer à vos proches Enfin, si vous voulez vraiment me faire plaisir, vous pouvez mettre 5 étoiles dans l'appli et un petit commentaire ou m'envoyer un e-mail. J'essaie toujours de répondre. A bientôt au prochain épisode de l'Art de l'attention.

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Description

En conversation avec Mathilde Laurent, la créatrice des parfums de la Maison Cartier : sentir nous rend meilleurs.


Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la Maison Cartier.
Et elle est bien plus que cela.
Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, aux côtés de Jean-Paul Guerlain, où elle signe ses premiers succès (Pamplelune, Guet-Apens…), elle créée les parfums de Cartier depuis 2005, où elle a imaginé des jus tels que La Panthère ou L’Envol, et une collection de Haute Parfumerie, intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13.
Car Mathilde Laurent est toujours là où on ne l’attend pas...

 

La femme engagée

🌞Mathilde est un soleil, un astre tout feu tout flamme qui s'embrase quand elle partage sa passion et ses convictions.

Ce qui marque immédiatement, quand on rencontre Mathilde, au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière, c’est son énergie solaire, son regard franc et déterminé, sa langue particulière.

 

Car Mathilde Laurent est une femme d’intuition, de convictions, et elle a une mission ; son dernier ouvrage, Sentir le Sens, est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d’art qui bouge les lignes de la parfumerie.
C'est ce que nous allons découvrir ensemble aujourd’hui…

 

Dans cet épisode... 

Chaque épisode de ce podcast que je partage avec vous, chers auditeurs, devient mon préféré.
Bien entendu, il en va ainsi pour celui-ci.
Chacun permet de creuser le sujet, nuancer la perception, creuser le propos, étudier plus en profondeur, compléter les regards, mieux comprendre l'art de l'attention.

Chacun est cher à mon coeur et m'enrichit infiniment.

  

Au cours de cette conversation avec Mathilde Laurent, nous avons évoqué mille aspects passionnants de l'olfaction :

  • l'attention à l'autre,

  • l'hypersensorialité,

  • inventer un nouveau langage et se réapproprier les mots,

  • pourquoi bien sentir ne suffit pas,

  • la révolution de la beauté,

  • le gâteau cent fois bon (mais pas si bon !),

  • comment la parfumerie ouvre à la tolérance,

  • et bien d'autres encore... 


☕️Pourquoi ne pas se préparer un thé (ou une infusion de tilleul ?) et nous rejoindre pour cette conversation passionnante sur l'olfaction ?

 

Découvrons ensemble comment Mathilde Laurent conjugue l'art de l'attention au présent.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la maison Cartier et elle est bien plus que cela. Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, où elle signe ses premiers succès, Pamplelune, Gatapan, elle est la créatrice de parfums de Cartier depuis 2005, où elle a créé des jus tels que La Panthère, que je porte souvent, ou L'Envol, et une collection de hautes parfumeries intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13. car Mathilde, elle est toujours là où on ne l'attend pas ce qui marque immédiatement quand on rencontre Mathilde au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière c'est son énergie solaire son regard franc et déterminé sa langue particulière Car Mathilde a une mission, c'est une femme d'intuition, de conviction, et elle a une mission. Son dernier ouvrage, Sentir le sens est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d'art qui bouge les lignes de la parfumerie. Nous allons le découvrir ensemble aujourd'hui. Partons à la rencontre de Mathilde pour découvrir comment elle conjugue au présent l'art de l'attention. L'art de l'attention Conversation avec Fanny Auger

  • Speaker #1

    Je crois qu'au contraire, avec ce cerveau hypersensible, hyperesthétique, hypersensoriel, que j'ai dit subir depuis l'enfance, dans le bon et dans le mauvais sens du terme, eh bien, je crois qu'avec ce cerveau, être attentif à l'autre est... autant un talent chez moi qu'être attentif à quelque chose, mais difficile. Je crois que la balance est partie complètement dans le sens de l'altérité et il ne reste plus rien pour l'attention, la concentration. C'est vraiment l'attention à l'autre, je crois, qui est... ultra développé chez moi.

  • Speaker #0

    Alors on va repartir de plus loin de quelque chose de vraiment essentiel c'est votre rapport au sens quand je suis entrée dans votre bureau tout à l'heure on passe l'ascenseur et tout de suite on voit sentir et d'ailleurs c'est le titre éponyme de votre livre sentir le sens je crois que vous avez longtemps voulu être photographe donc la vue a une importance vous êtes dingue de musique en arrivant c'était des notes de piano qui inondaient le bureau de lumière et de son étonnement Vous êtes d'une famille artiste. Quelle place vous donnez au sens, justement, l'essentiel chez vous ?

  • Speaker #1

    Mais oui, en fait, c'est comme si je n'avais jamais pu imaginer avant de vraiment travailler sur ce que c'est que d'être sensible. Et avant de prendre conscience qu'on pouvait ne pas l'être. J'ai longtemps cru que tout le monde vivait comme moi par l'hypersensorialité. Donc très rapidement à l'adolescence quand j'ai... Quand j'ai imaginé devenir photographe ou architecte ou parfumeur, en fait, j'ai compris, on m'a dit souvent que je vivais par les odeurs. Et donc j'ai découvert ça et je me suis dit, c'est étrange quand même qu'on te dise à toi que tu vis par l'odeur. Oui. Donc ça veut dire que d'autres ne vivent pas par l'odeur. Alors ça, ça me paraissait très étonnant. Et je me demandais justement par quoi on pouvait bien vivre sa vie si ce n'est par l'essence. Et effectivement, mon livre, j'ai eu envie de l'appeler Sentir le sens parce que ça m'est apparu un jour dans le processus d'écriture que pour moi, la vie ne fait sens que par l'essence. C'est quelque chose que j'ai réalisé au fur et à mesure des années de travail dans la parfumerie. Je dirais que quand j'ai commencé la parfumerie assez jeune, donc à 20 ans, je n'avais pas réalisé à quel point je vivais par les sens, à quel point mes sens donnaient. son sens à ma vie et à quel point, justement, j'allais devoir suivre mes sens pour faire sens dans ma vie. Donc, c'est quelque chose qui est essentiel. Une fois de plus, désolée pour tous ces... Mais finalement, c'est... Cette jolie allitération au sens. C'est effectivement... Ça fait sens, une fois de plus. Donc, voilà, j'ai petit à petit réalisé à quel point, finalement, le sens venait des sens. Et puis, j'ai dû réaliser aussi que parfois, on peut vivre autrement que par ses sens, c'est-à-dire par l'intellect. Par le raisonnement uniquement, on vit dans des sociétés où certains travaillent justement à s'éloigner d'une forme de sensorialité pour... se réfugier, je dirais, dans l'intellect.

  • Speaker #0

    Et qui ne sont plus là dans leur corps et dans leur sens, qui n'investissent plus leur sens.

  • Speaker #1

    Voilà. Et pour moi, de la même manière que peut-être vivre de manière uniquement sensorielle, sans aucune raison, n'est pas souhaitable, mais l'extrême inverse, vivre dans la raison ou dans l'intellect uniquement, n'est pas souhaitable non plus. Et pourtant, je pense que nos sociétés nous portent plus vers cet extrême rationnel, intellectuel, que vers un extrême sensoriel et sensuel.

  • Speaker #0

    Cette question du sens, le sens, elle est profonde, elle est fondamentale. Pourtant, ça paraît simple dans ces sociétés de s'en couper. Je voudrais aller encore plus loin sur sentir. Qu'est-ce que sentir ? Parce que votre livre, il démarre avec le premier chapitre qui s'intitule numéro 12.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi le parfum va garder l'humain humain ? Et vous dites très bien, vivre c'est respirer, respirer c'est sentir, dont vivre c'est sentir.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, moi j'ai l'impression d'être une machine à sentir et plus on sent, plus on sent. C'est-à-dire, plus on cherche à sentir, plus on prend conscience de tout ce qui est à sentir. Et pas seulement sentir avec le nez, mais sentir avec tous les sens, avec le toucher, et aussi sentir avec des sens dont on n'a pas encore conscience ou dont on ne connaît pas le nom, parce qu'on a tous découvert un sixième sens, comme on a découvert un cinquième goût qui est l'umami, on a découvert un sens... dont on nous a dit que c'était un sens et qu'on en avait un sixième, qui est la proprioception. Avant qu'on nous parle de la proprioception, on ignorait tous que ce sens existait. Donc je trouve, et je dis souvent, que je ne sais pas pourquoi on a décidé qu'on avait cinq sens et pourquoi ce nombre est perçu pratiquement... si on n'y réfléchit pas, comme un nombre fini. C'est comme si on avait cinq sens, pas un de plus, pas un de moins, et qu'ils seraient tous équivalents, et qu'ils auraient tous les mêmes comportements, et qu'il n'y en aurait aucun qui dominerait les autres, et en même temps, il y en aurait qui seraient plus forts, plus rationnels, plus quantifiables, plus universels. Donc... C'est drôle en fait cette manière de classifier l'essence qui est ultra rigide. soi-disant égalitaire et en même temps totalement, justement, empreinte de pouvoir ou de suprématie à certains endroits. Donc, cette idée de sentir, en fait, elle veut dire tout de suite sentir au sens le plus immense possible du terme. Sentir avec un grand S, en fait. qu'on ait cinq sens ou peut-être dix ou cent, et si on ne comptait pas ces sens, et si on se disait que juste on est un formidable agencement naturel de neurones, de capteurs, Une formidable machine à percevoir et à ressentir tout ce qu'on perçoit. Donc, effectivement, quand on arrive dans mon bureau, j'ai souhaité que ce mot sentir soit en néon, en lettres géantes, parce que pour moi, c'est l'essence de la vie.

  • Speaker #0

    Et l'odorat, c'est le sens de l'alerte aussi, c'est ce qui nous rend humains et ce qui nous permet aussi de rester en vie bien souvent, pendant très longtemps.

  • Speaker #1

    Exactement. Alors, pourquoi je dis que l'odorat va garder l'humain humain ? C'est parce qu'à mon sens, en fait, justement, l'odorat est le sens qui réunit tous les autres. C'est-à-dire que quand on regarde un document, on n'a pas toujours, quand on retrouve ce document... l'odeur de la personne qui nous accompagnait quand on a vu ce document la première fois ou quand on a écouté cette émission de radio et qu'on la réécoute, on sait peut-être où est-ce qu'on était, mais on n'a pas forcément l'odeur du savon avec lequel on s'était lavé les mains juste avant d'écouter l'émission de radio. Or, l'inverse est vrai. En fait, quand on sent une odeur, on sait exactement où on l'a sentie, avec qui on était, où est-ce qu'on était, qu'est-ce qui se passait. Et on a aussi, qui revient immédiatement avec l'odeur, c'est le principe de la Madeleine de Proust, on a aussi l'état d'âme dans lequel on était, on a aussi les émotions. qu'on ressentait à ce moment-là. Et c'est Bachelard qui a dit que toute odeur aimée, dans le présent comme dans le passé, est le centre d'une intimité. Et donc, l'olfaction est le sens qui réunit tous les autres. Parce que ça a été vérifié scientifiquement, enfin ça a été découvert justement scientifiquement, que le chemin que prend la perception olfactive passe d'abord par les centres des instincts, des peurs, donc l'amidale, puis à peu près en même temps le centre de la mémoire, l'hippocampe, et ensuite va chercher tous les autres sens, de la vision, de l'audition et aussi justement toutes les émotions. Donc quand je dis que l'olfaction va garder l'humain humain, c'est parce que justement l'olfaction... éveille aussi les autres sens, crée des sensations qui réunissent d'abord différents centres dans le cerveau et aussi différents centres nerveux ou les différents cerveaux qu'on a dans le corps puisque l'olfaction s'adresse aux instincts, aux mémoires et donc mobilise les neurones qu'on a. dans le ventre, qu'on a dans le cœur. Donc, on a véritablement une activation du corps entier. Et donc, c'est là où, justement, l'olfaction, on peut dire que le sens de l'olfaction est plus holistique que les autres. Et que ce sens de l'olfaction, en fait, c'est comme s'il réveillait le corps qui porte. la raison et l'intellect qu'on a tous et qu'on utilise tous, mais l'olfaction nous amène en fait à les englober. dans des sensations et à ressentir et travailler et percevoir d'une manière beaucoup plus entière, avec le corps entier. Donc, dans une époque où on nous parle beaucoup d'intelligence artificielle et où effectivement l'éducation, les comportements sociétaux nous mènent à ne devenir que des êtres pensants. Eh bien, c'est l'olfaction qui nous aide à rester des êtres sentants, des êtres vivants. Parce que vivre, c'est respirer. Respirer, c'est sentir. On ne peut pas respirer sans sentir. Donc, respirer, c'est sentir. Et donc, vivre, c'est sentir. D'ailleurs, on dit je me sens vivant On ne dit pas je me vois vivant ou je m'entends vivant On dit je me sens vivant Donc c'est bien l'olfaction qui garde l'humain humain et pas un ordinateur. C'est l'olfaction qui garde l'humain humain et l'humain vivant.

  • Speaker #0

    C'est pas un animal non plus, parce que vous le dites très bien dans votre livre. Vous dites, ce qui nous permet de rester des animaux doués d'émotions et d'instincts que nous sommes, c'est bien l'odorat, justement.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, on redevient, plutôt que de devenir une pensée digne d'un ordinateur, on redevient une pensée douée de sensations. et de sensations au sens très large du terme, y compris donc la sensation de l'autre. Et l'autre, on le sent, bien sûr, on le voit, on l'entend, mais c'est aussi en le sentant qu'on perçoit sa présence. Parce que finalement, voir et entendre ne veulent pas dire présence. Alors que sentir... veut dire présence.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, on dit de quelqu'un, je ne peux pas le sentir, par exemple.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou justement, on dit aussi, je le sens bien. Donc, ça veut bien dire, en fait, que même dans des rapports de travail, même dans des rapports qui ne pourraient n'être qu'intellectuels ou raisonnés, À un moment ou à un autre, on va sentir la relation, on va sentir la personne avec qui on est en train de réfléchir. Et ça, ça va être du domaine de l'information aussi, mais d'une information qui n'est pas rationnelle. mais c'est une information qui est importante et sur laquelle on peut travailler. Une information n'est pas justement là où la raison est importante et où on n'est pas des animaux. Parce que justement cette perception de je ne peux pas le sentir si on était un animal, on partirait en courant ou on donnerait un coup de patte et on se battrait. Là, en fait, parce qu'on est justement des êtres humains doués de raison et de sensation, c'est là qu'on va pouvoir travailler sur cette sensation. Et justement, comme vous disiez tout à l'heure, le sens de l'olfaction est un sens d'alerte. Est-ce qu'on va écouter cette alerte ? Est-ce qu'on va pouvoir justement poser les questions ou mettre en place des protections, comme dans le cas d'un incendie ou d'une bête sauvage ? Est-ce qu'on va avoir besoin de se protéger ? Ou est-ce qu'au contraire, une fois qu'on aura posé les questions, adressé les problématiques ou le questionnement qu'on perçoit vis-à-vis de l'autre, on va pouvoir être rassuré et avancer justement ? dans cette relation intellectuelle et dans ce travail qu'on a peut-être à faire ensemble, rassurés parce qu'on a géré ces informations sensorielles. Et on ira peut-être plus loin, du coup.

  • Speaker #0

    Mathilde, j'en arrive à votre métier, parce que vous êtes parfumeur, au masculin, mais créatrice de parfums de la Maison de Quartier. On entend aussi souvent nez, mais j'ai compris que c'était assez réducteur parce qu'on ne dit pas main pour un pianiste. Donc, j'aimerais savoir qu'est-ce qui fait le cerveau ? Parce que j'ai l'impression que c'est ça la différence. Vous le dites dans votre livre, je ne suis pas un super nez. C'est le cerveau derrière qui processe, qui range, qui s'est catégorisé. À quel moment vous avez su que vous étiez un parfumeur, une créatrice de parfums, peut-être en collectionnant vos petites fioles étant ado ? Et comment ça se traduit dans votre cerveau ? Comment c'est fait dans votre cerveau ? Un cerveau de parfumeur, c'est quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, vous dites parfumeur au masculin, moi j'aime bien dire parfumeur avec un E. En fait, quand on dit parfumeur, finalement c'est autant féminin que... que masculin, et j'aime bien ça. Et alors, effectivement, vous avez parfaitement raison, on ne dit pas main pour un pianiste, parce que ça serait justement oublier toute l'émotion et toute la réflexion qu'il y a derrière la main. Et dans le travail du parfumeur, c'est exactement la même chose. En fait, bien sentir, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est Edmond Rudnitska, bien avant moi, dans les années 50, dans tous les livres qu'il a écrits sur la parfumerie, bien sentir ne suffit absolument pas. Et très souvent, des parents viennent me voir en disant Oh là là, mon enfant, vraiment, sent tout. C'est vraiment, c'est un vrai parfumeur parce qu'il sent tout. Et en fait, moi je dis toujours, attention, bien sentir ne suffit pas. Si la parfumerie est un art, c'est parce que justement, c'est une œuvre de l'esprit. Et c'est véritablement une pensée intellectuelle qui va présider à la création d'un accord qu'on va appeler un parfum. Donc exactement comme pour un musicien, comme pour un architecte, comme pour un réalisateur en fait, la création va commencer uniquement dans la tête, avec des idées, avec des associations et avec un propos surtout, avec une volonté de dire quelque chose. Et ça paraît plus abstrait dans le cas de la parfumerie. qui est un propos sociétal, esthétique, artistique, derrière un parfum, et pourtant c'est le cas. Donc c'est vraiment dans le cerveau que tout se passe, et c'est seulement une fois que tout est pensé, et que tout est, je dirais, perçu. Même si c'est virtuel dans le cerveau, moi je sens un parfum fini bien avant de commencer à... et le réaliser pour le mettre dans un flacon.

  • Speaker #0

    C'est comme ça qu'on crée un parfum. Alors, votre imagination projette. Vous avez un parfum en tête ou dans le nez et après, vous allez faire des centaines peut-être d'essais pour le retrouver.

  • Speaker #1

    Exactement, c'est ça. Retrouver

  • Speaker #0

    Exactement. Se produit l'imagination.

  • Speaker #1

    Exactement. C'est comme si on imaginait une image et qu'on la voyait. Donc moi, j'imagine un parfum et je le sens. Et je le vois aussi d'une certaine manière.

  • Speaker #0

    Un parfum qui n'existe pas encore.

  • Speaker #1

    Voilà, un parfum qui n'existe pas encore. Et ensuite, je vais devant l'orgue que je vous ai montré dans mon laboratoire, où parfois, je n'ai pas besoin d'être devant l'orgue. Et simplement, j'écris le nom des ingrédients qui... Pour moi, une fois mélangés les uns avec les autres, vont donner cette odeur qui est dans ma tête et que je cherche à... Réaliser. Voilà, exactement.

  • Speaker #0

    Donc dans votre cerveau, depuis que vous êtes toute petite, j'ose imaginer qu'il y a des idées, des boîtes, un cerveau compartimenté avec tout ce que vous sentez et que vous classez sans cesse.

  • Speaker #1

    Tout à fait. C'est ça le cerveau d'un parfumeur ? Alors, heureusement, je n'ai pas besoin de classer au sens un peu, je dirais, mathématique ou organisationnel. parce qu'effectivement, un cerveau de parfumeur, quand ça sent une odeur, justement... par le mécanisme de la Madeleine de Proust, quand je sens quelque chose, ça s'imprime tellement fortement, tellement exactement. C'est comme un... comme un tampon ou comme quelque chose de très fort qui tout d'un coup s'imprime dans la matière. Et donc, voilà, c'est classé. Ça se classe tout seul, je dirais. Parce que voilà, tout est répertorié et tout est classé dans ce cerveau qui fonctionne. Et justement, c'est pour ça que je parle de subir son cerveau de parfumeur, parce que je n'ai pas décidé de classer les odeurs. Je n'ai pas réfléchi à une méthode de classement des odeurs. Je ne me suis pas dit, tiens, je vais faire des boîtes. Dessus, je mettrai une étiquette avec une photo du moment où j'ai senti. Et puis dans la boîte, il y aura aussi mes émotions. J'ai juste... Petit à petit, observé, et puis par la pratique, en entrant dans l'école de parfumerie, en entrant chez Guerlain, j'ai conscientisé toutes ces choses qui étaient des fonctionnements complètement involontaires. Très honnêtement, je trouve que c'est intéressant quand même de poser ça, de dire que... C'est ce que je veux dire quand je dis que j'ai subi mon cerveau de parfumeur. C'est que tout ça s'est fait de manière inconsciente dès... Mes premières années, donc des toutes petites, dès l'âge, j'ai des souvenirs olfactifs que je ne sais pas très bien noter en termes d'âge. Et je pense même, depuis que j'ai créé la panthère et que j'ai réalisé qu'en fait ma mère avait porté femme de rochasse, sans doute avant que je naisse. Je ne l'ai jamais connu portant un parfum. Donc, ce parfum Femmes de Rochasse m'a marquée au-delà de tout, puisque c'est pour moi un des parfums, une de mes icônes de parfumerie. Et jusqu'à ce que je crée La Panthère et à ce que je réponde à des interviews sur le parfum de ma mère, c'était une interview sur le parfum des mères de parfumeurs, par Sarah Bouas et Claire Doyy. Claire Doyy et Sarah Bouas qui ont fait au même moment, pour des journaux différents, cette interview. sur le parfum des mers. Voilà. Et donc, j'ai réalisé, à la faveur de ces deux interviews, coup sur coup, donc j'ai eu deux fois l'occasion de réfléchir à ce thème. Et je me suis rendue compte que ma mère portait Femme de Rochasse, qui m'avait influencée dans le travail sur la panthère, de manière donc sans doute in utero, je ne sais pas. En tout cas, ce parfum m'a marquée, alors que ma mère ne l'a jamais portée de mon vivant. Donc voilà, en tout cas, un cerveau de parfumeur, c'est un cerveau qui enregistre, qui, je dirais, fait feu de toute odeur. C'est très beau.

  • Speaker #0

    Au-delà de ça, moi je sens ce mouvement chez vous, cet élan. Quand vous dites je crée un parfum qui n'existe pas encore et ça va être une quête pour y arriver. D'ailleurs certains de vos parfums s'appellent l'envol par exemple. Donc on sent ce mouvement, cette recherche. Comment vous voyez aujourd'hui votre mission ? Parce qu'au-delà d'un métier, c'est vraiment une mission. Votre livre, ce n'est pas un livre, c'est un manifeste. C'est écrit sur la couverture. Un manifeste pour une sensibilité olfactive. Comment vous voyez cette mission ? Parce qu'il y aurait tellement de choses à dire.

  • Speaker #1

    Alors, cette mission, pareil, que j'ai conscientisée en voyant que j'étais tellement mue par cette envie de... partager l'olfaction avec tout le monde et puis d'amener chaque personne que je rencontrais à vraiment profiter, à visiter, à découvrir l'olfaction. Pour moi, c'est quelque chose de tellement important dans une vie, de sentir et de découvrir le monde qu'est... Le monde olfactif et de découvrir le monde sous l'angle olfactif, pour moi, ça change tellement une vie.

  • Speaker #0

    Et tout récemment, c'est le chef d'orchestre, Esa-Péka Salonen, qui m'a dit ça à la faveur de notre projet sur Prométhée. Esa-Péka Salonen m'a dit, je ne verrai plus les choses de la même manière depuis que j'ai découvert l'olfaction, le pouvoir de l'olfaction. Et pourtant, lui, son monde, c'est la musique. Donc apporter l'olfaction dans une vie, en fait, c'est déterminant. Et donc ma mission, je crois, sans grands mots, parce que je me sens minuscule dans ce monde, mais je sais que l'olfaction a un très grand pouvoir en revanche. Donc moi, je suis toute petite, mais l'olfaction est tellement immense. dans ce qu'elle apporte et dans la manière dont on peut vivre une vie, que je pense qu'il faut la partager avec le monde entier et qu'il suffit d'ouvrir des petites brèches pour que l'eau s'engouffre dedans et que finalement ça essaime dans le monde entier. Donc ce concert... sur lequel j'ai apporté l'odeur, fait partie de cette mission. Les osnis, les objets sentants non identifiés que je développe grâce à la Maison Cartier, qui me donnent cette liberté de faire ces installations totalement atypiques, nouvelles, Peut-être étrange a priori, ces osnies servent aussi à partager le pouvoir de l'olfaction, faire découvrir ce que c'est que sentir une esthétique. en 5S, je dis souvent que je travaille en 5S, c'est-à-dire, bien sûr, les trois dimensions, bien sûr, je les prends en compte, donc je dis que je travaille en 5S ou en 9D. Donc 5S évidemment c'est les 5 sens parce que moi c'est ça qui m'intéresse et ensuite j'ajoute les 3 dimensions parce que bien sûr mes installations sont des espaces dans lesquels on peut circuler et dans lesquels on va recevoir de l'olfaction. Donc les 3 dimensions sont très importantes et puis le temps donc 5S, 5 sens ou 9D c'est-à-dire 5 sens plus 3 dimensions plus le temps. Et donc ces installations, elles sont vraiment faites pour essayer de faire sentir une esthétique, une création avec toutes les dimensions possibles en accord autour de ce propos esthétique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'émeut énormément chez vous, c'est cette volonté de partager la beauté, de porter cette mission de partager la beauté. Il y a une phrase qui m'a interpellée dans votre livre. C'est quand vous dites ma mission de parfumeur, je crois, est d'essayer de porter le parfum là où il peut être utile aux hommes. C'est incroyable.

  • Speaker #0

    Oui, c'est incroyable. Et ça me... Quand vous dites cette phrase, ça me... J'ai la chair de poule et ça m'émeut parce que je crois qu'on a vécu nos sociétés, l'humanité. Je suis désolée d'employer des grands mots. Vraiment, une fois de plus, je me sens assez petite pour dire ça. Mais chez moi, c'est viscéral, c'est quelque chose que je ressens très profondément, donc je le dis du mieux que je peux, sans prétention. Mais j'ai l'impression qu'à force de ne pas travailler sur le sentir... C'est José Saramago qui a dit, c'est le prix Nobel de la paix qui a dit La révolution qui manque est celle de la bonté Et cette phrase m'a beaucoup marquée. Et je crois que c'est aussi une forme de révolution qui manque que celle du sentir. Parce que je me demande si la bonté... ne vient pas aussi du sentir. Donc, c'est une manière peut-être d'essayer de faire cette révolution de la bonté que quand je dis que justement l'olfaction, que j'essaye de porter la beauté de l'olfaction. À l'humanité, en fait, c'est une manière d'essayer de faire cette révolution de la bonté, de nous aider à nous accepter, de nous aider à reconnaître l'autre et de sentir ce qu'on doit sentir, parce qu'on est dans des moments d'humanité. Ou le sentir, on a l'impression que le sentir s'anesthésie peu à peu, que la violence finalement finit par être de plus en plus acceptée ou acceptable et que cette révolution de la bonté et du sentir, elle est urgente.

  • Speaker #1

    Il y a cette très belle phrase qui dit, c'est page 57, j'avance un peu plus loin dans la mission qui me meut au quotidien, ouvrir à tous la beauté de l'olfaction par tous les moyens. On sent vraiment cette mission qui vous anime dans tout ce que vous faites, d'ailleurs dans tout ce que vous créez. Vous avez cette liberté de créer des osnis, de créer cette expérience lors d'un concert avec la Maison Cartier. Et pour revenir à cette Maison Cartier, tout à l'heure vous parliez du temps, du rapport au temps, parce qu'on est chez Cartier qui fait de très belles montres. Et d'ailleurs votre collection de haute parfumerie, vous l'avez appelée les heures et il n'y en a pas 12, parce que vous n'êtes jamais là où on vous attend. à 13. Et vos noms de chapitres, d'ailleurs, j'étais un peu perdue parce que le chapitre 1, il s'appelle 12, je crois. Et ensuite, on continue sur le 3, etc. Donc, c'est quoi ce rapport au temps dans votre vie, Mathilde ?

  • Speaker #0

    Alors, merci. J'adore cette question en fait, parce que c'est vrai que l'olfaction et justement, c'est aussi ce que nous apprend la Madeleine de Proust. En fait, l'olfaction, le fait de sentir qu'elle est ressentir, vivre sa vie par le sentir, mène à comprendre totalement la relativité du temps et à vivre des moments de retour en arrière, des moments de Madeleine de Proust. Ça veut dire qu'en sentant quelque chose, on se retrouve projeté. Ça m'est arrivé la semaine dernière. sur une terrasse d'un café à Paris, boulevard Richard Lenoir, on serre derrière mon dos un plat de frites à un jeune couple adorable. Et je me retrouve en maillot de bain sur une plage à cinq ans avec un saladier de frites en Normandie. Et vraiment... Et c'est ça qui est magnifique, c'est que je sais comment je me sens, je sais qui je suis à ce moment-là, je me vois, je suis dans le corps de cette petite personne. Donc, en fait, le rapport au temps... Il est bouleversé chez un parfumeur. La relativité du temps devient un pilier de la vie d'un parfumeur. Le parfum est aussi lié au temps parce qu'il a une évolution tête-cœur-fond que le parfumeur doit maîtriser. On doit en permanence maîtriser le temps d'une certaine manière. pas forcément maîtriser le temps lui-même, mais maîtriser l'évolution temporelle du parfum. Donc essayer de déjouer le temps et garder la beauté malgré le temps. Et ensuite, on passe sa vie. Et c'est pour ça que j'ai voulu appeler cette collection les heures de parfum. Parce qu'on sait très bien qu'un parfum peut marquer... A vie, on peut marquer éternellement une seconde de vie, de la même manière qu'un parfum peut accompagner l'éternité d'une vie. Suivant qu'on vit un coup de foudre accompagné d'un parfum, ou suivant qu'on... qui vit aux côtés avec une maman qui toute sa vie porte tel ou tel parfum, ou que soi-même, on adopte un parfum à l'âge de 15 ans et que pour toute sa vie, ce parfum va devenir comme une... comme un double de soi, comme une âme sœur. En fait, les heures de parfum, ce sont les heures de la vie. Ce ne sont pas les heures d'un cadran de montre, ce sont les heures de la vie. Et c'est pour ça que, dès le départ, la 13e heure est sortie pratiquement en premier. Pour dire... qu'il y aura des heures qui dureront une éternité, d'autres qui dureront même pas une seconde, et puis des heures auxquelles on ne s'attendait pas, et puis des heures convenues, bien sûr, heureusement, mais aussi des heures inattendues et peut-être supplémentaires. Voilà, donc c'est pour ça que j'ai voulu qu'il y en ait 13 et qu'elles s'appellent les heures.

  • Speaker #1

    Et alors, c'est votre collection de haute parfumerie pour la maison Cartier qui fait de la haute joaillerie également. Et d'ailleurs, vous parlez, ça n'était jamais venu à l'esprit de ce rapprochement entre le parfum et les pierres et l'art de la joaillerie. Mais pour revenir aux heures, c'est quoi une collection de haute parfumerie ? Parce que moi, je dois avouer que j'ai eu la chance que vous m'offriez il y a longtemps maintenant l'heure mystérieuse que je porte régulièrement, qui me réchauffe parce que ça sent le feu. Et on m'a déjà arrêtée à plusieurs reprises dans le métro pour me demander. Ce que je portais. Et il y a ce vieux débat sur la parfumerie naturelle, etc. Moi, ce que j'adore, c'est que vous abolissez complètement tous les codes. C'est quoi une collection de haute parfumerie ?

  • Speaker #0

    Justement, une collection de haute parfumerie, c'est une collection qui n'existe que pour la beauté olfactive. L'unique raison d'être de cette collection, c'est de montrer le beau où qu'il se trouve. C'est le motto de la maison Cartier, le leitmotiv. Et cette collection est là pour montrer le beau olfactif où qu'il se trouve. Dans les naturels, dans les molécules, dans l'histoire, dans le futur, dans la simplicité, dans l'excès, dans les éléments eux-mêmes, dans l'humain, dans la mémoire. J'ai travaillé aussi avec des notes de Malabar, de Jeanne, de Vanille. C'est aussi une collection qui fait écho à la pop culture. Le beau, on peut le trouver partout et Cartier est là pour le montrer. y compris en parfumerie. Donc c'est vraiment la raison d'être. Et pour moi, justement, seule une collection de haute parfumerie, pour moi, haute parfumerie, c'est synonyme de liberté et d'inspiration parfumistique. Donc on est là vraiment pour montrer le beau parfumistique.

  • Speaker #1

    On a parlé du rapport au temps, on n'a pas encore parlé du rapport au silence, mais moi je voudrais vous brancher sur le rapport au mot, parce que ce qui m'avait frappée dès notre première rencontre, il y a presque huit ans déjà, c'était votre réinvention du vocabulaire. Vous parlez de choc olfactif. Alors pour en citer quelques-uns, tout à l'heure on parlait de femmes de rechasse, il y avait Mitsuko aussi que je porte aujourd'hui, qui est un très ancien parfum de la Maison Guerlain, que vous avez eu, vous dites, à l'âge de 5-6 ans peut-être, sur la maman d'une amie. Vous parlez de choc olfactif, et j'aimerais bien savoir ce que c'est un choc olfactif, mais vous parlez aussi de votre sublime inconscience, vous réinventez le mot parfumistique, je ne sais pas s'il existe vraiment, de bug intellectuel avec l'heure perdue de votre... Ultra sensibilité. Alors ça passe par là aussi, cette liberté de réinventer le langage. On parlait beaucoup de Proust parce que, évidemment, quand on parle de cet épisode de la Madeleine qui évoque tous les souvenirs chez sa tante Léonie avant la messe et qui trempe dans son infusion de tilleul. Mais comment vous réinventez ces mots et quelle importance ils ont dans votre vie, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Alors... Les mots pour moi, ce sont des outils de communication. C'est vraiment une lapalisade et je m'en excuse. Ce qui se passe, c'est qu'en parfumerie, on n'a pas réellement de vocabulaire technique. spécifiques, quelques mots qui sont spécifiques de la parfumerie, mais ils sont toujours finalement quand même à double sens, quadruple sens. On les utilise en parfumerie pour un sens qu'on fait nôtre, alors qu'ils en ont déjà beaucoup dans la langue française. Donc on rajoute souvent un sens, parce qu'on a besoin finalement en parfumerie d'aller, de créer un vocabulaire. Donc... Tous les parfumeurs, et moi j'ai appris ça très tôt à l'ISIPCA, cette impossibilité pyrandélienne de parler d'une odeur puisqu'il n'y a pas de langage scientifiquement technique pour l'olfaction. L'olfaction ayant été tellement invisibilisée. Parmi les autres sens, on sait que beaucoup de philosophes ont considéré que l'olfaction était trop instinctive et gardait l'homme trop animal et pouvait compromettre l'élévation intellectuelle de l'homme. Donc l'olfaction a vraiment été invisibilisée. pensant que justement la vision et l'audition permettraient une plus grande et une élévation peut-être plus aboutie de l'âme humaine. Aujourd'hui on se rend compte que c'est tout l'inverse et que jamais on aurait dû hiérarchiser justement ces sens, jamais on aurait dû les compter. De ce fait, l'olfaction n'a pas peaufiné, inventé, créé un vocabulaire adéquat et unique. Et c'est ce que j'ai adoré aussi dans mon parcours, pour bien expliquer l'olfaction, ce qui a toujours été très important pour moi, avant que j'aie même conscience de cette mission que je poursuivais inconsciemment. Pour partager et pour faire venir à l'olfaction l'interlocuteur que j'avais face à moi, expliquer était crucial. Alors... J'ai commencé à chercher les mots avec ultra précision et à choisir mes mots et à inventer les mots que je ne trouvais pas. Donc, c'est comme ça. qu'est venu ce mot parfumistique, à force de dire que les choses devaient prendre leur sens dans le parfum, au cœur du parfum, que les choses devaient, que les projets, les phrases, une présentation, la création d'un nouveau produit, comme une huile pour le corps. Et toutes les idées, pour moi, devaient toujours prendre sens au cœur du parfum, de l'histoire du parfum, de l'histoire de l'olfaction, de la science de l'olfaction. Et donc, à force de dire ça en un quart d'heure avec X phrases, paraphrases, j'ai fini par dire parfumistique. Et puis, ça a tellement bien marché que c'est devenu... Ça fait partie du vocabulaire des équipes Parfums chez Cartier. Et donc, c'est devenu un mot du quotidien qu'on dit très régulièrement. Et je commence même à voir ce mot sur Instagram. Et ça prouve bien que ce mot... Fais sens ! pour beaucoup de gens qui travaillent dans le parfum et avec l'olfaction. Donc ça, c'est vraiment l'aspect crucial de l'échange pour convaincre, mais pas convaincre dans le sens de voter pour moi, c'est vraiment convaincre dans le sens d'essayer. de vivre par le sentir. essaye de sentir, essaye de t'ouvrir à l'olfaction, essaye de profiter, essaye de découvrir le monde. Je dis parfois que si on se dit qu'on a cinq sens, et ces cinq sens sont équivalents, alors l'olfaction serait donc 20% au moins. de notre cerveau, de notre corps, de notre vie. Alors là, je trouve complètement incroyable d'imaginer qu'il y a 20% d'un monde entier, enfin 20% de notre monde, qu'on laisse inconnu, inexploré. Et donc, en fait, si on se dit ça, on peut imaginer qu'en fait, on ne vit notre vie qu'à 80%. Et donc, ce monde qui représente 20% du monde, c'est quand même une opportunité incroyable de se dire qu'on a un monde avec un grand M entier à découvrir. Et donc ça, je trouve que c'est fantastique de pouvoir... savoir ça, parce que ce monde ne m'appartient pas, mais ce que je sais, c'est qu'en ouvrir les portes, c'est un immense cadeau qu'on peut faire, justement, même à des gens qui ont déjà un monde très riche, par la musique, par la lecture, par l'intellect en général, ouvrir le monde de l'olfaction peut compléter aussi ces mondes-là d'une manière incroyable. Et c'était d'ailleurs... L'intuition de Scriabine qui a dit que, justement, en ajoutant le parfum à la musique, on pouvait complètement renouveler la perception et s'approcher encore plus de l'extase esthétique et de la transcendance.

  • Speaker #1

    J'aurais tellement d'autres questions, mais je vois l'heure qui s'échappe comme ça doucement. J'en ai deux principales, Mathilde. La première, c'est revenir un peu à l'apprentissage de l'altérité. Parce que je dois le souligner, votre livre, et j'adore ce genre de livre, où j'ai appris mille choses, mais il m'a rendu une meilleure personne. Pourquoi ? Parce que vous parlez d'accepter l'altérité à travers le parfum. Vous parlez des odeurs, bonnes ou mauvaises, sans porter de jugement. Et j'adore cette vision que vous avez et ça m'a rappelé. Et moi, ce livre, vraiment, il m'a rendu une meilleure personne en me rappelant des choses. Voilà, donc cette absence de jugement. Et puis après, on parlera du rapport au monde aussi, parce qu'un parfum, c'est un monde et c'est l'art de l'attention. C'est l'art de l'attention au monde, se mettre au diapason du monde. Mais pour l'altérité, ce refus de juger, est-ce que vous voulez nous en parler ?

  • Speaker #0

    Avec joie, oui, parce que justement... L'isolement, la non-découverte commencent par le jugement. Et l'olfaction, le parcours d'un parfumeur, commence par le non-jugement des odeurs. Puisque la parfumerie... Dans l'Antiquité, on devait faire feu de tout bois. On n'avait pas les moyens actuels de distillation, d'extraction, de synthèse de molécules. Les produits odorants qui ont été utilisés et qui ont été à l'origine de la parfumerie étaient des fleurs, des aromates, mais aussi des matières fécales. Et donc, tout ce qui avait une odeur... pouvait être utilisée, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Et suivant les époques, c'est pas forcément une question d'hygiène, en fait. C'est une question de culture, c'est une question justement de ce qui est associé à telle ou telle odeur. Des odeurs qu'on juge, nous, aujourd'hui, sales ou fécales, pouvaient être des odeurs extrêmement recherchées. On pouvait payer des sommes incroyables pour certaines matières odorantes parce qu'elles avaient une symbolique ou un pouvoir magique. On parle du musque, souvent considéré comme une des plus belles matières de la parfumerie. Le musc, c'est quand même une odeur, et moi j'ai eu la chance de très bien le sentir et le pratiquer chez Guerlain, donc une odeur de sang séché, une odeur légèrement fécale. Donc c'est une odeur qui est mise au plus haut, alors que c'est une odeur qui n'est ni florale, ni plaisante. Quand on entre en parfumerie et surtout quand on passe chez Guerlain, où en fait un des secrets de la parfumerie de Guerlain, parce que tout le monde parle de la guerlinade comme étant une recette, mais il n'y a pas de recette de guerlinade. Et en tout cas, dans la guerlinade, il y a une dimension animale et fécale qui est indéniable. Donc, en fait, quand on entre en parfumerie... et qu'on a la chance de passer par cette maison séculaire qui est Guerlain, on comprend que la beauté ne se fait pas... Je parle souvent du gâteau sans foie bon, qui était un petit livre que j'avais, et que ma sœur et moi, on adorait ce livre. Le gâteau sans foie bon, c'est l'histoire d'un chat et d'un chien qui veulent faire plaisir à un autre animal, je ne sais plus lequel. Pour son anniversaire, ils veulent lui faire le meilleur des gâteaux. Alors, ils vont faire un gâteau avec que des choses qui sont excellentes. Donc, ils choisissent tout ce qu'ils aiment. Et donc, ils mettent du sucre, de la farine. Mais comme le chat adore les cornichons, ils mettent des cornichons. Et comme le chien adore le chocolat, il met du chocolat. Et comme le chien adore le saucisson, il met du saucisson. Et donc, c'est un gâteau 100 fois bon. Il est 100 fois bon, ce gâteau. Mais au bout du compte, il n'est pas bon. À la fin, quand le... Donc, la parfumerie, c'est pas le gâteau 100 fois bon. En fait, et la beauté, parfois, pour faire émerger de la beauté, eh bien, il faut être capable d'utiliser des choses qui sont considérées dans la société comme... peut-être moins belle que d'autres. En fait, il n'y a pas de beauté qui n'est que de choses qui seraient dites belles. Et de la même manière que dans un tableau, on a besoin d'ombre, on a besoin parfois de peindre la mort. Voilà, donc, en fait, la parfumerie... se comporte comme tous les autres arts. Et donc, pour créer de la beauté, il faut de tout. Et il faut donc suspendre son jugement. Parce que le musque, justement, avec cette odeur de sang séché, c'est peut-être ce qui va apporter un supplément d'âme à la création qu'on est en train de chercher. Vraiment la parfumerie amène à ne pas juger et à chercher la beauté et l'utilité de toute odeur. A finalement travailler avec le juste ingrédient, même s'il n'est pas considéré comme beau à l'époque et dans la société et dans la culture. dans laquelle on travaille. Donc ça, c'est absolument passionnant. En plus, on le voit que dans l'histoire de la parfumerie, certains ingrédients ont été considérés comme magnifiques à certaines époques et puis d'autres, pas du tout. Et ça s'est inversé avec le temps. Donc la parfumerie ouvre à la tolérance, réellement. Et l'odeur de l'autre, en fait, ne renseigne pas forcément sur sa valeur. L'odeur de l'autre ne renseigne que sur un moment, un moment M. Et c'est tout, en fait. Moi, ça m'arrive de sentir l'ail. Voilà, je ne sais pas. Donc, ça veut bien dire que l'odeur, justement, est éphémère. Et justement, si on l'utilise comme marqueur social, alors on prend un chemin très scabreux, en tout cas très escarpé.

  • Speaker #1

    Ce que vous dites très bien, ce que vous exprimez vraiment très très bien, c'est ok de ne pas se parfumer aussi. Il y a des gens qui ne se parfument pas. Ou alors en fin de journée, si on a tous une hygiène normale, on peut sentir un petit peu. Ça va nous aider à surmonter le métro notamment. C'est normal de sentir un peu et d'accepter cette altérité, d'accepter ces odeurs.

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, un corps humain vit et transpire. la peau vieillit on perd de la peau tous les jours on fabrique du sébum Toutes ces odeurs-là, finalement, c'est peut-être parce que depuis plusieurs décennies, on cherche à réellement les éradiquer. C'est vraiment le terme. Les déodorants, les shampoings, tout est surparfumé et tout est revendiqué comme hyper efficace, justement, pour éviter de sentir. Moi, je pense que... qu'il y a quelque chose d'un peu symptomatique. Il y a une peur derrière ça, justement, qui est sociale. Il y a la peur de ne pas être acceptée, la peur d'être rejetée. Et je pense qu'en fait, on a mieux à faire. à tolérer les choses, en fait, et à ne pas juger qui que ce soit qui revient d'un jogging ou qui a couru toute la journée dans les transports, qui a dû faire des allers-retours... Qui a travaillé, qui a sué... Qui a travaillé, voilà. Et donc, je pense que, bien sûr, je ne suis pas en train de dire qu'il faut... ne plus se laver, parce que tout de suite, les gens disent, ah, mais alors, on ne se lave plus. Non, mais il y a un milieu entre essayer d'éradiquer toute odeur considérée comme non plaisante. L'odeur de l'essence aussi, moi, je trouve symptomatique qu'on essaye de faire disparaître l'odeur de l'essence des parkings. Parce que finalement, l'essence existe, on l'utilise et elle est polluante. Et donc, il vaut mieux la sentir comme une alerte que de la couvrir et de se dire que finalement, et de ne plus avoir conscience de la pollution que ça crée. Donc... Donc ce que je dis, c'est qu'il faut tolérer, avoir conscience quand l'odeur est un danger ou quand elle ne l'est pas et quand justement elle est tout simplement humaine.

  • Speaker #1

    et accepter l'altérité j'aurai encore tellement de choses et vous avez tellement de choses à partager c'est tellement riche mais j'aimerais finir sur votre mission de créer un parfum, d'encapsuler l'air du temps et en même temps de défricher des sentiers, d'en explorer encore cette quête de liberté et je crois qu'il y a un triptyque dans la création d'un parfum Quand vous créez un parfum, entre l'histoire de la parfumerie, je crois, au moment-là, l'histoire de la maison dont vous vous enrichissez, et puis le moment du temps où on se trouve. Vous voulez parler de ce... Les Allemands, ils parlent de Zeitgeist. J'adore ce mot. Ça veut dire l'esprit du temps. Comment on encapsule ? Parce que l'art de l'attention, c'est ça aussi. C'est l'attention au monde dans lequel on vit. Comment est-ce qu'on encapsule ça dans un flacon de parfum, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Eh bien, j'aime beaucoup cette question. Je crois qu'en fait, on l'encapsule justement en étant attentif, en prêtant attention à ce monde justement dans lequel on vit et dans lequel tous, parce que si on a bien tous un point commun, c'est qu'on vit en 2024 dans ce monde tel qu'il est. Et qu'on a tous des besoins qui sont créés. par les moments qu'on vit dans ce monde-là. Donc, pour moi, prêter attention à ça et se poser la question de... ce que le parfum peut faire dans ce monde-là. Justement, c'est pour ça que partager l'olfaction, ça fait partie de cette attention au monde et de se dire que, justement, l'olfaction peut apporter ce qui manque actuellement au monde, une fois de plus, sans prétention. Mais dans chaque parfum... En fait, je vais faire cet exercice de me dire qu'est-ce que... je peux montrer, qu'est-ce que je peux dire dans ce parfum qui pourrait porter plus d'olfaction, qui pourrait porter plus de sensorialité, qui pourrait, par exemple, être un dialogue avec la condition de la femme, qu'est-ce qui pourrait être justement un dialogue entre les femmes et les hommes, qu'est-ce qui pourrait justement... être un propos par rapport justement à la sexualisation ou non de la parfumerie. Donc voilà, c'est en fait être à l'écoute du monde dans lequel nous sommes tous en commun. Et qu'est-ce que l'olfaction peut apporter comme, peut-être, nouvelle liberté, ou à quel combat elle peut s'associer, à quelle valeur elle peut nous rapprocher ? Qu'est-ce qu'on veut proposer aussi comme posture vis-à-vis de la nature, vis-à-vis... de l'écologie. Donc voilà, c'est tous ces grands thèmes que nous avons tous à vivre et qui nous questionnent tous et dans lesquels on se retrouve tous ensemble, auxquels la parfumerie peut porter, en tout cas, contribution.

  • Speaker #1

    Ça me rappelle ces mots de Henri Dunant, et je sais que cette phrase vous est très chère, qui dit que seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde, y parviennent.

  • Speaker #0

    Tout à fait. J'ai longtemps cru qu'elle était d'Albert Einstein. Donc, merci pour peut-être qu'il l'a reprise.

  • Speaker #1

    C'est le créateur de la Croix-Rouge, je crois.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une phrase magnifique parce qu'elle m'a soutenue. Et c'était un de mes présidents, c'est Thibaut Ponroy, à qui je rends hommage, qui m'a appris cette phrase. Merci. et elle m'a vraiment aidée, parce qu'effectivement, elle montre que, bien sûr, les grands projets sont toujours un peu fous, mais il n'y a pas de changement sans folie. Mais après, il y a folie et folie, bien sûr, mais le mot folie n'est pas péjoratif dans ma bouche. C'est un mot qui a beaucoup de sens et je pense qu'une forme de folie est toujours indispensable à un bon équilibre intérieur.

  • Speaker #1

    Cette folie qui me rappelle votre sublime inconscience,

  • Speaker #0

    Mathilde. Exactement, c'est une forme de folie, cette sublime inconscience. Et finalement, une folie consciente, en fait, c'est une sublime inconscience. J'ai envie de dire, c'est peut-être un synonyme, c'est-à-dire à quel moment je fais les choses avec conscience, à quel moment je sais que c'est un peu fou, mais j'en ai conscience, mais j'y vais quand même. Avec... panache, avec sublime inconscience.

  • Speaker #1

    Je crois qu'on va s'arrêter là, parce que c'est le plus long podcast que j'ai enregistré, mais c'est un tel plaisir. Je pourrais continuer à converser avec vous pendant des heures et des heures.

  • Speaker #0

    Je suis très touchée, Fanny, vraiment. Merci beaucoup, parce que, effectivement, moi aussi, j'ai adoré répondre à vos questions qui sont, comment dirais-je, sur mesure, en fait. Merci vraiment. pour l'intérêt que vous portez à mon travail qui m'émeut carrément.

  • Speaker #1

    Merci. Alors, chers auditeurs, c'est un grand moment d'émotion avec lequel je conclue cela. C'est dommage, vous n'étiez pas avec nous pour la cérémonie du thé tout à l'heure. J'en ai pas parlé au début, mais on a bu un thé délicieux avec Mathilde, n'est pas maître de thé, mais presque. J'ai découvert et appris beaucoup, beaucoup de choses. On est au cœur de Paris, dans le bureau de Mathilde, sur les toits d'un bel immeuble de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Vous avez peut-être entendu derrière nous aussi le bruit du monde, la rumeur du monde. le bruit de la ville. Ça donne une petite couleur locale en plus sur ce podcast, en tout cas qui est habité. Et Mathilde, un merci infini d'avoir partagé avec nous ce moment et puis cette mission qui sent, qui vous meut, qui vous pousse vers l'avant comme un élan et qui fait bouger les lignes, justement, comme un envol. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est moi, Fanny, qui vous remercie. C'est moi qui suis en... vraiment qu'il y ait beaucoup de gratitude pour ce qu'on s'est dit ce matin et surtout ce que vous avez fait émerger donc vraiment mille merci sincèrement j'espère

  • Speaker #1

    que vous avez pris autant de plaisir à écouter cet épisode que j'en ai eu à l'enregistrer comme toutes les bonnes choses, il se partage alors n'hésitez pas à l'envoyer à vos proches Enfin, si vous voulez vraiment me faire plaisir, vous pouvez mettre 5 étoiles dans l'appli et un petit commentaire ou m'envoyer un e-mail. J'essaie toujours de répondre. A bientôt au prochain épisode de l'Art de l'attention.

Description

En conversation avec Mathilde Laurent, la créatrice des parfums de la Maison Cartier : sentir nous rend meilleurs.


Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la Maison Cartier.
Et elle est bien plus que cela.
Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, aux côtés de Jean-Paul Guerlain, où elle signe ses premiers succès (Pamplelune, Guet-Apens…), elle créée les parfums de Cartier depuis 2005, où elle a imaginé des jus tels que La Panthère ou L’Envol, et une collection de Haute Parfumerie, intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13.
Car Mathilde Laurent est toujours là où on ne l’attend pas...

 

La femme engagée

🌞Mathilde est un soleil, un astre tout feu tout flamme qui s'embrase quand elle partage sa passion et ses convictions.

Ce qui marque immédiatement, quand on rencontre Mathilde, au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière, c’est son énergie solaire, son regard franc et déterminé, sa langue particulière.

 

Car Mathilde Laurent est une femme d’intuition, de convictions, et elle a une mission ; son dernier ouvrage, Sentir le Sens, est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d’art qui bouge les lignes de la parfumerie.
C'est ce que nous allons découvrir ensemble aujourd’hui…

 

Dans cet épisode... 

Chaque épisode de ce podcast que je partage avec vous, chers auditeurs, devient mon préféré.
Bien entendu, il en va ainsi pour celui-ci.
Chacun permet de creuser le sujet, nuancer la perception, creuser le propos, étudier plus en profondeur, compléter les regards, mieux comprendre l'art de l'attention.

Chacun est cher à mon coeur et m'enrichit infiniment.

  

Au cours de cette conversation avec Mathilde Laurent, nous avons évoqué mille aspects passionnants de l'olfaction :

  • l'attention à l'autre,

  • l'hypersensorialité,

  • inventer un nouveau langage et se réapproprier les mots,

  • pourquoi bien sentir ne suffit pas,

  • la révolution de la beauté,

  • le gâteau cent fois bon (mais pas si bon !),

  • comment la parfumerie ouvre à la tolérance,

  • et bien d'autres encore... 


☕️Pourquoi ne pas se préparer un thé (ou une infusion de tilleul ?) et nous rejoindre pour cette conversation passionnante sur l'olfaction ?

 

Découvrons ensemble comment Mathilde Laurent conjugue l'art de l'attention au présent.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Mathilde Laurent est la créatrice de parfums de la maison Cartier et elle est bien plus que cela. Après ses débuts chez Guerlain pendant 11 ans, où elle signe ses premiers succès, Pamplelune, Gatapan, elle est la créatrice de parfums de Cartier depuis 2005, où elle a créé des jus tels que La Panthère, que je porte souvent, ou L'Envol, et une collection de hautes parfumeries intitulée Les Heures, qui sont au nombre de 13. car Mathilde, elle est toujours là où on ne l'attend pas ce qui marque immédiatement quand on rencontre Mathilde au-delà de son allure distinguée de punk chic parisienne et sa chevelure lumière c'est son énergie solaire son regard franc et déterminé sa langue particulière Car Mathilde a une mission, c'est une femme d'intuition, de conviction, et elle a une mission. Son dernier ouvrage, Sentir le sens est un manifeste, et chacune de ses créations est une œuvre d'art qui bouge les lignes de la parfumerie. Nous allons le découvrir ensemble aujourd'hui. Partons à la rencontre de Mathilde pour découvrir comment elle conjugue au présent l'art de l'attention. L'art de l'attention Conversation avec Fanny Auger

  • Speaker #1

    Je crois qu'au contraire, avec ce cerveau hypersensible, hyperesthétique, hypersensoriel, que j'ai dit subir depuis l'enfance, dans le bon et dans le mauvais sens du terme, eh bien, je crois qu'avec ce cerveau, être attentif à l'autre est... autant un talent chez moi qu'être attentif à quelque chose, mais difficile. Je crois que la balance est partie complètement dans le sens de l'altérité et il ne reste plus rien pour l'attention, la concentration. C'est vraiment l'attention à l'autre, je crois, qui est... ultra développé chez moi.

  • Speaker #0

    Alors on va repartir de plus loin de quelque chose de vraiment essentiel c'est votre rapport au sens quand je suis entrée dans votre bureau tout à l'heure on passe l'ascenseur et tout de suite on voit sentir et d'ailleurs c'est le titre éponyme de votre livre sentir le sens je crois que vous avez longtemps voulu être photographe donc la vue a une importance vous êtes dingue de musique en arrivant c'était des notes de piano qui inondaient le bureau de lumière et de son étonnement Vous êtes d'une famille artiste. Quelle place vous donnez au sens, justement, l'essentiel chez vous ?

  • Speaker #1

    Mais oui, en fait, c'est comme si je n'avais jamais pu imaginer avant de vraiment travailler sur ce que c'est que d'être sensible. Et avant de prendre conscience qu'on pouvait ne pas l'être. J'ai longtemps cru que tout le monde vivait comme moi par l'hypersensorialité. Donc très rapidement à l'adolescence quand j'ai... Quand j'ai imaginé devenir photographe ou architecte ou parfumeur, en fait, j'ai compris, on m'a dit souvent que je vivais par les odeurs. Et donc j'ai découvert ça et je me suis dit, c'est étrange quand même qu'on te dise à toi que tu vis par l'odeur. Oui. Donc ça veut dire que d'autres ne vivent pas par l'odeur. Alors ça, ça me paraissait très étonnant. Et je me demandais justement par quoi on pouvait bien vivre sa vie si ce n'est par l'essence. Et effectivement, mon livre, j'ai eu envie de l'appeler Sentir le sens parce que ça m'est apparu un jour dans le processus d'écriture que pour moi, la vie ne fait sens que par l'essence. C'est quelque chose que j'ai réalisé au fur et à mesure des années de travail dans la parfumerie. Je dirais que quand j'ai commencé la parfumerie assez jeune, donc à 20 ans, je n'avais pas réalisé à quel point je vivais par les sens, à quel point mes sens donnaient. son sens à ma vie et à quel point, justement, j'allais devoir suivre mes sens pour faire sens dans ma vie. Donc, c'est quelque chose qui est essentiel. Une fois de plus, désolée pour tous ces... Mais finalement, c'est... Cette jolie allitération au sens. C'est effectivement... Ça fait sens, une fois de plus. Donc, voilà, j'ai petit à petit réalisé à quel point, finalement, le sens venait des sens. Et puis, j'ai dû réaliser aussi que parfois, on peut vivre autrement que par ses sens, c'est-à-dire par l'intellect. Par le raisonnement uniquement, on vit dans des sociétés où certains travaillent justement à s'éloigner d'une forme de sensorialité pour... se réfugier, je dirais, dans l'intellect.

  • Speaker #0

    Et qui ne sont plus là dans leur corps et dans leur sens, qui n'investissent plus leur sens.

  • Speaker #1

    Voilà. Et pour moi, de la même manière que peut-être vivre de manière uniquement sensorielle, sans aucune raison, n'est pas souhaitable, mais l'extrême inverse, vivre dans la raison ou dans l'intellect uniquement, n'est pas souhaitable non plus. Et pourtant, je pense que nos sociétés nous portent plus vers cet extrême rationnel, intellectuel, que vers un extrême sensoriel et sensuel.

  • Speaker #0

    Cette question du sens, le sens, elle est profonde, elle est fondamentale. Pourtant, ça paraît simple dans ces sociétés de s'en couper. Je voudrais aller encore plus loin sur sentir. Qu'est-ce que sentir ? Parce que votre livre, il démarre avec le premier chapitre qui s'intitule numéro 12.

  • Speaker #1

    Oui.

  • Speaker #0

    Mais pourquoi le parfum va garder l'humain humain ? Et vous dites très bien, vivre c'est respirer, respirer c'est sentir, dont vivre c'est sentir.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, moi j'ai l'impression d'être une machine à sentir et plus on sent, plus on sent. C'est-à-dire, plus on cherche à sentir, plus on prend conscience de tout ce qui est à sentir. Et pas seulement sentir avec le nez, mais sentir avec tous les sens, avec le toucher, et aussi sentir avec des sens dont on n'a pas encore conscience ou dont on ne connaît pas le nom, parce qu'on a tous découvert un sixième sens, comme on a découvert un cinquième goût qui est l'umami, on a découvert un sens... dont on nous a dit que c'était un sens et qu'on en avait un sixième, qui est la proprioception. Avant qu'on nous parle de la proprioception, on ignorait tous que ce sens existait. Donc je trouve, et je dis souvent, que je ne sais pas pourquoi on a décidé qu'on avait cinq sens et pourquoi ce nombre est perçu pratiquement... si on n'y réfléchit pas, comme un nombre fini. C'est comme si on avait cinq sens, pas un de plus, pas un de moins, et qu'ils seraient tous équivalents, et qu'ils auraient tous les mêmes comportements, et qu'il n'y en aurait aucun qui dominerait les autres, et en même temps, il y en aurait qui seraient plus forts, plus rationnels, plus quantifiables, plus universels. Donc... C'est drôle en fait cette manière de classifier l'essence qui est ultra rigide. soi-disant égalitaire et en même temps totalement, justement, empreinte de pouvoir ou de suprématie à certains endroits. Donc, cette idée de sentir, en fait, elle veut dire tout de suite sentir au sens le plus immense possible du terme. Sentir avec un grand S, en fait. qu'on ait cinq sens ou peut-être dix ou cent, et si on ne comptait pas ces sens, et si on se disait que juste on est un formidable agencement naturel de neurones, de capteurs, Une formidable machine à percevoir et à ressentir tout ce qu'on perçoit. Donc, effectivement, quand on arrive dans mon bureau, j'ai souhaité que ce mot sentir soit en néon, en lettres géantes, parce que pour moi, c'est l'essence de la vie.

  • Speaker #0

    Et l'odorat, c'est le sens de l'alerte aussi, c'est ce qui nous rend humains et ce qui nous permet aussi de rester en vie bien souvent, pendant très longtemps.

  • Speaker #1

    Exactement. Alors, pourquoi je dis que l'odorat va garder l'humain humain ? C'est parce qu'à mon sens, en fait, justement, l'odorat est le sens qui réunit tous les autres. C'est-à-dire que quand on regarde un document, on n'a pas toujours, quand on retrouve ce document... l'odeur de la personne qui nous accompagnait quand on a vu ce document la première fois ou quand on a écouté cette émission de radio et qu'on la réécoute, on sait peut-être où est-ce qu'on était, mais on n'a pas forcément l'odeur du savon avec lequel on s'était lavé les mains juste avant d'écouter l'émission de radio. Or, l'inverse est vrai. En fait, quand on sent une odeur, on sait exactement où on l'a sentie, avec qui on était, où est-ce qu'on était, qu'est-ce qui se passait. Et on a aussi, qui revient immédiatement avec l'odeur, c'est le principe de la Madeleine de Proust, on a aussi l'état d'âme dans lequel on était, on a aussi les émotions. qu'on ressentait à ce moment-là. Et c'est Bachelard qui a dit que toute odeur aimée, dans le présent comme dans le passé, est le centre d'une intimité. Et donc, l'olfaction est le sens qui réunit tous les autres. Parce que ça a été vérifié scientifiquement, enfin ça a été découvert justement scientifiquement, que le chemin que prend la perception olfactive passe d'abord par les centres des instincts, des peurs, donc l'amidale, puis à peu près en même temps le centre de la mémoire, l'hippocampe, et ensuite va chercher tous les autres sens, de la vision, de l'audition et aussi justement toutes les émotions. Donc quand je dis que l'olfaction va garder l'humain humain, c'est parce que justement l'olfaction... éveille aussi les autres sens, crée des sensations qui réunissent d'abord différents centres dans le cerveau et aussi différents centres nerveux ou les différents cerveaux qu'on a dans le corps puisque l'olfaction s'adresse aux instincts, aux mémoires et donc mobilise les neurones qu'on a. dans le ventre, qu'on a dans le cœur. Donc, on a véritablement une activation du corps entier. Et donc, c'est là où, justement, l'olfaction, on peut dire que le sens de l'olfaction est plus holistique que les autres. Et que ce sens de l'olfaction, en fait, c'est comme s'il réveillait le corps qui porte. la raison et l'intellect qu'on a tous et qu'on utilise tous, mais l'olfaction nous amène en fait à les englober. dans des sensations et à ressentir et travailler et percevoir d'une manière beaucoup plus entière, avec le corps entier. Donc, dans une époque où on nous parle beaucoup d'intelligence artificielle et où effectivement l'éducation, les comportements sociétaux nous mènent à ne devenir que des êtres pensants. Eh bien, c'est l'olfaction qui nous aide à rester des êtres sentants, des êtres vivants. Parce que vivre, c'est respirer. Respirer, c'est sentir. On ne peut pas respirer sans sentir. Donc, respirer, c'est sentir. Et donc, vivre, c'est sentir. D'ailleurs, on dit je me sens vivant On ne dit pas je me vois vivant ou je m'entends vivant On dit je me sens vivant Donc c'est bien l'olfaction qui garde l'humain humain et pas un ordinateur. C'est l'olfaction qui garde l'humain humain et l'humain vivant.

  • Speaker #0

    C'est pas un animal non plus, parce que vous le dites très bien dans votre livre. Vous dites, ce qui nous permet de rester des animaux doués d'émotions et d'instincts que nous sommes, c'est bien l'odorat, justement.

  • Speaker #1

    Exactement. En fait, on redevient, plutôt que de devenir une pensée digne d'un ordinateur, on redevient une pensée douée de sensations. et de sensations au sens très large du terme, y compris donc la sensation de l'autre. Et l'autre, on le sent, bien sûr, on le voit, on l'entend, mais c'est aussi en le sentant qu'on perçoit sa présence. Parce que finalement, voir et entendre ne veulent pas dire présence. Alors que sentir... veut dire présence.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, on dit de quelqu'un, je ne peux pas le sentir, par exemple.

  • Speaker #1

    Exactement. Ou justement, on dit aussi, je le sens bien. Donc, ça veut bien dire, en fait, que même dans des rapports de travail, même dans des rapports qui ne pourraient n'être qu'intellectuels ou raisonnés, À un moment ou à un autre, on va sentir la relation, on va sentir la personne avec qui on est en train de réfléchir. Et ça, ça va être du domaine de l'information aussi, mais d'une information qui n'est pas rationnelle. mais c'est une information qui est importante et sur laquelle on peut travailler. Une information n'est pas justement là où la raison est importante et où on n'est pas des animaux. Parce que justement cette perception de je ne peux pas le sentir si on était un animal, on partirait en courant ou on donnerait un coup de patte et on se battrait. Là, en fait, parce qu'on est justement des êtres humains doués de raison et de sensation, c'est là qu'on va pouvoir travailler sur cette sensation. Et justement, comme vous disiez tout à l'heure, le sens de l'olfaction est un sens d'alerte. Est-ce qu'on va écouter cette alerte ? Est-ce qu'on va pouvoir justement poser les questions ou mettre en place des protections, comme dans le cas d'un incendie ou d'une bête sauvage ? Est-ce qu'on va avoir besoin de se protéger ? Ou est-ce qu'au contraire, une fois qu'on aura posé les questions, adressé les problématiques ou le questionnement qu'on perçoit vis-à-vis de l'autre, on va pouvoir être rassuré et avancer justement ? dans cette relation intellectuelle et dans ce travail qu'on a peut-être à faire ensemble, rassurés parce qu'on a géré ces informations sensorielles. Et on ira peut-être plus loin, du coup.

  • Speaker #0

    Mathilde, j'en arrive à votre métier, parce que vous êtes parfumeur, au masculin, mais créatrice de parfums de la Maison de Quartier. On entend aussi souvent nez, mais j'ai compris que c'était assez réducteur parce qu'on ne dit pas main pour un pianiste. Donc, j'aimerais savoir qu'est-ce qui fait le cerveau ? Parce que j'ai l'impression que c'est ça la différence. Vous le dites dans votre livre, je ne suis pas un super nez. C'est le cerveau derrière qui processe, qui range, qui s'est catégorisé. À quel moment vous avez su que vous étiez un parfumeur, une créatrice de parfums, peut-être en collectionnant vos petites fioles étant ado ? Et comment ça se traduit dans votre cerveau ? Comment c'est fait dans votre cerveau ? Un cerveau de parfumeur, c'est quoi ?

  • Speaker #1

    Alors, vous dites parfumeur au masculin, moi j'aime bien dire parfumeur avec un E. En fait, quand on dit parfumeur, finalement c'est autant féminin que... que masculin, et j'aime bien ça. Et alors, effectivement, vous avez parfaitement raison, on ne dit pas main pour un pianiste, parce que ça serait justement oublier toute l'émotion et toute la réflexion qu'il y a derrière la main. Et dans le travail du parfumeur, c'est exactement la même chose. En fait, bien sentir, ce n'est pas moi qui l'ai dit, c'est Edmond Rudnitska, bien avant moi, dans les années 50, dans tous les livres qu'il a écrits sur la parfumerie, bien sentir ne suffit absolument pas. Et très souvent, des parents viennent me voir en disant Oh là là, mon enfant, vraiment, sent tout. C'est vraiment, c'est un vrai parfumeur parce qu'il sent tout. Et en fait, moi je dis toujours, attention, bien sentir ne suffit pas. Si la parfumerie est un art, c'est parce que justement, c'est une œuvre de l'esprit. Et c'est véritablement une pensée intellectuelle qui va présider à la création d'un accord qu'on va appeler un parfum. Donc exactement comme pour un musicien, comme pour un architecte, comme pour un réalisateur en fait, la création va commencer uniquement dans la tête, avec des idées, avec des associations et avec un propos surtout, avec une volonté de dire quelque chose. Et ça paraît plus abstrait dans le cas de la parfumerie. qui est un propos sociétal, esthétique, artistique, derrière un parfum, et pourtant c'est le cas. Donc c'est vraiment dans le cerveau que tout se passe, et c'est seulement une fois que tout est pensé, et que tout est, je dirais, perçu. Même si c'est virtuel dans le cerveau, moi je sens un parfum fini bien avant de commencer à... et le réaliser pour le mettre dans un flacon.

  • Speaker #0

    C'est comme ça qu'on crée un parfum. Alors, votre imagination projette. Vous avez un parfum en tête ou dans le nez et après, vous allez faire des centaines peut-être d'essais pour le retrouver.

  • Speaker #1

    Exactement, c'est ça. Retrouver

  • Speaker #0

    Exactement. Se produit l'imagination.

  • Speaker #1

    Exactement. C'est comme si on imaginait une image et qu'on la voyait. Donc moi, j'imagine un parfum et je le sens. Et je le vois aussi d'une certaine manière.

  • Speaker #0

    Un parfum qui n'existe pas encore.

  • Speaker #1

    Voilà, un parfum qui n'existe pas encore. Et ensuite, je vais devant l'orgue que je vous ai montré dans mon laboratoire, où parfois, je n'ai pas besoin d'être devant l'orgue. Et simplement, j'écris le nom des ingrédients qui... Pour moi, une fois mélangés les uns avec les autres, vont donner cette odeur qui est dans ma tête et que je cherche à... Réaliser. Voilà, exactement.

  • Speaker #0

    Donc dans votre cerveau, depuis que vous êtes toute petite, j'ose imaginer qu'il y a des idées, des boîtes, un cerveau compartimenté avec tout ce que vous sentez et que vous classez sans cesse.

  • Speaker #1

    Tout à fait. C'est ça le cerveau d'un parfumeur ? Alors, heureusement, je n'ai pas besoin de classer au sens un peu, je dirais, mathématique ou organisationnel. parce qu'effectivement, un cerveau de parfumeur, quand ça sent une odeur, justement... par le mécanisme de la Madeleine de Proust, quand je sens quelque chose, ça s'imprime tellement fortement, tellement exactement. C'est comme un... comme un tampon ou comme quelque chose de très fort qui tout d'un coup s'imprime dans la matière. Et donc, voilà, c'est classé. Ça se classe tout seul, je dirais. Parce que voilà, tout est répertorié et tout est classé dans ce cerveau qui fonctionne. Et justement, c'est pour ça que je parle de subir son cerveau de parfumeur, parce que je n'ai pas décidé de classer les odeurs. Je n'ai pas réfléchi à une méthode de classement des odeurs. Je ne me suis pas dit, tiens, je vais faire des boîtes. Dessus, je mettrai une étiquette avec une photo du moment où j'ai senti. Et puis dans la boîte, il y aura aussi mes émotions. J'ai juste... Petit à petit, observé, et puis par la pratique, en entrant dans l'école de parfumerie, en entrant chez Guerlain, j'ai conscientisé toutes ces choses qui étaient des fonctionnements complètement involontaires. Très honnêtement, je trouve que c'est intéressant quand même de poser ça, de dire que... C'est ce que je veux dire quand je dis que j'ai subi mon cerveau de parfumeur. C'est que tout ça s'est fait de manière inconsciente dès... Mes premières années, donc des toutes petites, dès l'âge, j'ai des souvenirs olfactifs que je ne sais pas très bien noter en termes d'âge. Et je pense même, depuis que j'ai créé la panthère et que j'ai réalisé qu'en fait ma mère avait porté femme de rochasse, sans doute avant que je naisse. Je ne l'ai jamais connu portant un parfum. Donc, ce parfum Femmes de Rochasse m'a marquée au-delà de tout, puisque c'est pour moi un des parfums, une de mes icônes de parfumerie. Et jusqu'à ce que je crée La Panthère et à ce que je réponde à des interviews sur le parfum de ma mère, c'était une interview sur le parfum des mères de parfumeurs, par Sarah Bouas et Claire Doyy. Claire Doyy et Sarah Bouas qui ont fait au même moment, pour des journaux différents, cette interview. sur le parfum des mers. Voilà. Et donc, j'ai réalisé, à la faveur de ces deux interviews, coup sur coup, donc j'ai eu deux fois l'occasion de réfléchir à ce thème. Et je me suis rendue compte que ma mère portait Femme de Rochasse, qui m'avait influencée dans le travail sur la panthère, de manière donc sans doute in utero, je ne sais pas. En tout cas, ce parfum m'a marquée, alors que ma mère ne l'a jamais portée de mon vivant. Donc voilà, en tout cas, un cerveau de parfumeur, c'est un cerveau qui enregistre, qui, je dirais, fait feu de toute odeur. C'est très beau.

  • Speaker #0

    Au-delà de ça, moi je sens ce mouvement chez vous, cet élan. Quand vous dites je crée un parfum qui n'existe pas encore et ça va être une quête pour y arriver. D'ailleurs certains de vos parfums s'appellent l'envol par exemple. Donc on sent ce mouvement, cette recherche. Comment vous voyez aujourd'hui votre mission ? Parce qu'au-delà d'un métier, c'est vraiment une mission. Votre livre, ce n'est pas un livre, c'est un manifeste. C'est écrit sur la couverture. Un manifeste pour une sensibilité olfactive. Comment vous voyez cette mission ? Parce qu'il y aurait tellement de choses à dire.

  • Speaker #1

    Alors, cette mission, pareil, que j'ai conscientisée en voyant que j'étais tellement mue par cette envie de... partager l'olfaction avec tout le monde et puis d'amener chaque personne que je rencontrais à vraiment profiter, à visiter, à découvrir l'olfaction. Pour moi, c'est quelque chose de tellement important dans une vie, de sentir et de découvrir le monde qu'est... Le monde olfactif et de découvrir le monde sous l'angle olfactif, pour moi, ça change tellement une vie.

  • Speaker #0

    Et tout récemment, c'est le chef d'orchestre, Esa-Péka Salonen, qui m'a dit ça à la faveur de notre projet sur Prométhée. Esa-Péka Salonen m'a dit, je ne verrai plus les choses de la même manière depuis que j'ai découvert l'olfaction, le pouvoir de l'olfaction. Et pourtant, lui, son monde, c'est la musique. Donc apporter l'olfaction dans une vie, en fait, c'est déterminant. Et donc ma mission, je crois, sans grands mots, parce que je me sens minuscule dans ce monde, mais je sais que l'olfaction a un très grand pouvoir en revanche. Donc moi, je suis toute petite, mais l'olfaction est tellement immense. dans ce qu'elle apporte et dans la manière dont on peut vivre une vie, que je pense qu'il faut la partager avec le monde entier et qu'il suffit d'ouvrir des petites brèches pour que l'eau s'engouffre dedans et que finalement ça essaime dans le monde entier. Donc ce concert... sur lequel j'ai apporté l'odeur, fait partie de cette mission. Les osnis, les objets sentants non identifiés que je développe grâce à la Maison Cartier, qui me donnent cette liberté de faire ces installations totalement atypiques, nouvelles, Peut-être étrange a priori, ces osnies servent aussi à partager le pouvoir de l'olfaction, faire découvrir ce que c'est que sentir une esthétique. en 5S, je dis souvent que je travaille en 5S, c'est-à-dire, bien sûr, les trois dimensions, bien sûr, je les prends en compte, donc je dis que je travaille en 5S ou en 9D. Donc 5S évidemment c'est les 5 sens parce que moi c'est ça qui m'intéresse et ensuite j'ajoute les 3 dimensions parce que bien sûr mes installations sont des espaces dans lesquels on peut circuler et dans lesquels on va recevoir de l'olfaction. Donc les 3 dimensions sont très importantes et puis le temps donc 5S, 5 sens ou 9D c'est-à-dire 5 sens plus 3 dimensions plus le temps. Et donc ces installations, elles sont vraiment faites pour essayer de faire sentir une esthétique, une création avec toutes les dimensions possibles en accord autour de ce propos esthétique.

  • Speaker #1

    Ce qui m'émeut énormément chez vous, c'est cette volonté de partager la beauté, de porter cette mission de partager la beauté. Il y a une phrase qui m'a interpellée dans votre livre. C'est quand vous dites ma mission de parfumeur, je crois, est d'essayer de porter le parfum là où il peut être utile aux hommes. C'est incroyable.

  • Speaker #0

    Oui, c'est incroyable. Et ça me... Quand vous dites cette phrase, ça me... J'ai la chair de poule et ça m'émeut parce que je crois qu'on a vécu nos sociétés, l'humanité. Je suis désolée d'employer des grands mots. Vraiment, une fois de plus, je me sens assez petite pour dire ça. Mais chez moi, c'est viscéral, c'est quelque chose que je ressens très profondément, donc je le dis du mieux que je peux, sans prétention. Mais j'ai l'impression qu'à force de ne pas travailler sur le sentir... C'est José Saramago qui a dit, c'est le prix Nobel de la paix qui a dit La révolution qui manque est celle de la bonté Et cette phrase m'a beaucoup marquée. Et je crois que c'est aussi une forme de révolution qui manque que celle du sentir. Parce que je me demande si la bonté... ne vient pas aussi du sentir. Donc, c'est une manière peut-être d'essayer de faire cette révolution de la bonté que quand je dis que justement l'olfaction, que j'essaye de porter la beauté de l'olfaction. À l'humanité, en fait, c'est une manière d'essayer de faire cette révolution de la bonté, de nous aider à nous accepter, de nous aider à reconnaître l'autre et de sentir ce qu'on doit sentir, parce qu'on est dans des moments d'humanité. Ou le sentir, on a l'impression que le sentir s'anesthésie peu à peu, que la violence finalement finit par être de plus en plus acceptée ou acceptable et que cette révolution de la bonté et du sentir, elle est urgente.

  • Speaker #1

    Il y a cette très belle phrase qui dit, c'est page 57, j'avance un peu plus loin dans la mission qui me meut au quotidien, ouvrir à tous la beauté de l'olfaction par tous les moyens. On sent vraiment cette mission qui vous anime dans tout ce que vous faites, d'ailleurs dans tout ce que vous créez. Vous avez cette liberté de créer des osnis, de créer cette expérience lors d'un concert avec la Maison Cartier. Et pour revenir à cette Maison Cartier, tout à l'heure vous parliez du temps, du rapport au temps, parce qu'on est chez Cartier qui fait de très belles montres. Et d'ailleurs votre collection de haute parfumerie, vous l'avez appelée les heures et il n'y en a pas 12, parce que vous n'êtes jamais là où on vous attend. à 13. Et vos noms de chapitres, d'ailleurs, j'étais un peu perdue parce que le chapitre 1, il s'appelle 12, je crois. Et ensuite, on continue sur le 3, etc. Donc, c'est quoi ce rapport au temps dans votre vie, Mathilde ?

  • Speaker #0

    Alors, merci. J'adore cette question en fait, parce que c'est vrai que l'olfaction et justement, c'est aussi ce que nous apprend la Madeleine de Proust. En fait, l'olfaction, le fait de sentir qu'elle est ressentir, vivre sa vie par le sentir, mène à comprendre totalement la relativité du temps et à vivre des moments de retour en arrière, des moments de Madeleine de Proust. Ça veut dire qu'en sentant quelque chose, on se retrouve projeté. Ça m'est arrivé la semaine dernière. sur une terrasse d'un café à Paris, boulevard Richard Lenoir, on serre derrière mon dos un plat de frites à un jeune couple adorable. Et je me retrouve en maillot de bain sur une plage à cinq ans avec un saladier de frites en Normandie. Et vraiment... Et c'est ça qui est magnifique, c'est que je sais comment je me sens, je sais qui je suis à ce moment-là, je me vois, je suis dans le corps de cette petite personne. Donc, en fait, le rapport au temps... Il est bouleversé chez un parfumeur. La relativité du temps devient un pilier de la vie d'un parfumeur. Le parfum est aussi lié au temps parce qu'il a une évolution tête-cœur-fond que le parfumeur doit maîtriser. On doit en permanence maîtriser le temps d'une certaine manière. pas forcément maîtriser le temps lui-même, mais maîtriser l'évolution temporelle du parfum. Donc essayer de déjouer le temps et garder la beauté malgré le temps. Et ensuite, on passe sa vie. Et c'est pour ça que j'ai voulu appeler cette collection les heures de parfum. Parce qu'on sait très bien qu'un parfum peut marquer... A vie, on peut marquer éternellement une seconde de vie, de la même manière qu'un parfum peut accompagner l'éternité d'une vie. Suivant qu'on vit un coup de foudre accompagné d'un parfum, ou suivant qu'on... qui vit aux côtés avec une maman qui toute sa vie porte tel ou tel parfum, ou que soi-même, on adopte un parfum à l'âge de 15 ans et que pour toute sa vie, ce parfum va devenir comme une... comme un double de soi, comme une âme sœur. En fait, les heures de parfum, ce sont les heures de la vie. Ce ne sont pas les heures d'un cadran de montre, ce sont les heures de la vie. Et c'est pour ça que, dès le départ, la 13e heure est sortie pratiquement en premier. Pour dire... qu'il y aura des heures qui dureront une éternité, d'autres qui dureront même pas une seconde, et puis des heures auxquelles on ne s'attendait pas, et puis des heures convenues, bien sûr, heureusement, mais aussi des heures inattendues et peut-être supplémentaires. Voilà, donc c'est pour ça que j'ai voulu qu'il y en ait 13 et qu'elles s'appellent les heures.

  • Speaker #1

    Et alors, c'est votre collection de haute parfumerie pour la maison Cartier qui fait de la haute joaillerie également. Et d'ailleurs, vous parlez, ça n'était jamais venu à l'esprit de ce rapprochement entre le parfum et les pierres et l'art de la joaillerie. Mais pour revenir aux heures, c'est quoi une collection de haute parfumerie ? Parce que moi, je dois avouer que j'ai eu la chance que vous m'offriez il y a longtemps maintenant l'heure mystérieuse que je porte régulièrement, qui me réchauffe parce que ça sent le feu. Et on m'a déjà arrêtée à plusieurs reprises dans le métro pour me demander. Ce que je portais. Et il y a ce vieux débat sur la parfumerie naturelle, etc. Moi, ce que j'adore, c'est que vous abolissez complètement tous les codes. C'est quoi une collection de haute parfumerie ?

  • Speaker #0

    Justement, une collection de haute parfumerie, c'est une collection qui n'existe que pour la beauté olfactive. L'unique raison d'être de cette collection, c'est de montrer le beau où qu'il se trouve. C'est le motto de la maison Cartier, le leitmotiv. Et cette collection est là pour montrer le beau olfactif où qu'il se trouve. Dans les naturels, dans les molécules, dans l'histoire, dans le futur, dans la simplicité, dans l'excès, dans les éléments eux-mêmes, dans l'humain, dans la mémoire. J'ai travaillé aussi avec des notes de Malabar, de Jeanne, de Vanille. C'est aussi une collection qui fait écho à la pop culture. Le beau, on peut le trouver partout et Cartier est là pour le montrer. y compris en parfumerie. Donc c'est vraiment la raison d'être. Et pour moi, justement, seule une collection de haute parfumerie, pour moi, haute parfumerie, c'est synonyme de liberté et d'inspiration parfumistique. Donc on est là vraiment pour montrer le beau parfumistique.

  • Speaker #1

    On a parlé du rapport au temps, on n'a pas encore parlé du rapport au silence, mais moi je voudrais vous brancher sur le rapport au mot, parce que ce qui m'avait frappée dès notre première rencontre, il y a presque huit ans déjà, c'était votre réinvention du vocabulaire. Vous parlez de choc olfactif. Alors pour en citer quelques-uns, tout à l'heure on parlait de femmes de rechasse, il y avait Mitsuko aussi que je porte aujourd'hui, qui est un très ancien parfum de la Maison Guerlain, que vous avez eu, vous dites, à l'âge de 5-6 ans peut-être, sur la maman d'une amie. Vous parlez de choc olfactif, et j'aimerais bien savoir ce que c'est un choc olfactif, mais vous parlez aussi de votre sublime inconscience, vous réinventez le mot parfumistique, je ne sais pas s'il existe vraiment, de bug intellectuel avec l'heure perdue de votre... Ultra sensibilité. Alors ça passe par là aussi, cette liberté de réinventer le langage. On parlait beaucoup de Proust parce que, évidemment, quand on parle de cet épisode de la Madeleine qui évoque tous les souvenirs chez sa tante Léonie avant la messe et qui trempe dans son infusion de tilleul. Mais comment vous réinventez ces mots et quelle importance ils ont dans votre vie, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Alors... Les mots pour moi, ce sont des outils de communication. C'est vraiment une lapalisade et je m'en excuse. Ce qui se passe, c'est qu'en parfumerie, on n'a pas réellement de vocabulaire technique. spécifiques, quelques mots qui sont spécifiques de la parfumerie, mais ils sont toujours finalement quand même à double sens, quadruple sens. On les utilise en parfumerie pour un sens qu'on fait nôtre, alors qu'ils en ont déjà beaucoup dans la langue française. Donc on rajoute souvent un sens, parce qu'on a besoin finalement en parfumerie d'aller, de créer un vocabulaire. Donc... Tous les parfumeurs, et moi j'ai appris ça très tôt à l'ISIPCA, cette impossibilité pyrandélienne de parler d'une odeur puisqu'il n'y a pas de langage scientifiquement technique pour l'olfaction. L'olfaction ayant été tellement invisibilisée. Parmi les autres sens, on sait que beaucoup de philosophes ont considéré que l'olfaction était trop instinctive et gardait l'homme trop animal et pouvait compromettre l'élévation intellectuelle de l'homme. Donc l'olfaction a vraiment été invisibilisée. pensant que justement la vision et l'audition permettraient une plus grande et une élévation peut-être plus aboutie de l'âme humaine. Aujourd'hui on se rend compte que c'est tout l'inverse et que jamais on aurait dû hiérarchiser justement ces sens, jamais on aurait dû les compter. De ce fait, l'olfaction n'a pas peaufiné, inventé, créé un vocabulaire adéquat et unique. Et c'est ce que j'ai adoré aussi dans mon parcours, pour bien expliquer l'olfaction, ce qui a toujours été très important pour moi, avant que j'aie même conscience de cette mission que je poursuivais inconsciemment. Pour partager et pour faire venir à l'olfaction l'interlocuteur que j'avais face à moi, expliquer était crucial. Alors... J'ai commencé à chercher les mots avec ultra précision et à choisir mes mots et à inventer les mots que je ne trouvais pas. Donc, c'est comme ça. qu'est venu ce mot parfumistique, à force de dire que les choses devaient prendre leur sens dans le parfum, au cœur du parfum, que les choses devaient, que les projets, les phrases, une présentation, la création d'un nouveau produit, comme une huile pour le corps. Et toutes les idées, pour moi, devaient toujours prendre sens au cœur du parfum, de l'histoire du parfum, de l'histoire de l'olfaction, de la science de l'olfaction. Et donc, à force de dire ça en un quart d'heure avec X phrases, paraphrases, j'ai fini par dire parfumistique. Et puis, ça a tellement bien marché que c'est devenu... Ça fait partie du vocabulaire des équipes Parfums chez Cartier. Et donc, c'est devenu un mot du quotidien qu'on dit très régulièrement. Et je commence même à voir ce mot sur Instagram. Et ça prouve bien que ce mot... Fais sens ! pour beaucoup de gens qui travaillent dans le parfum et avec l'olfaction. Donc ça, c'est vraiment l'aspect crucial de l'échange pour convaincre, mais pas convaincre dans le sens de voter pour moi, c'est vraiment convaincre dans le sens d'essayer. de vivre par le sentir. essaye de sentir, essaye de t'ouvrir à l'olfaction, essaye de profiter, essaye de découvrir le monde. Je dis parfois que si on se dit qu'on a cinq sens, et ces cinq sens sont équivalents, alors l'olfaction serait donc 20% au moins. de notre cerveau, de notre corps, de notre vie. Alors là, je trouve complètement incroyable d'imaginer qu'il y a 20% d'un monde entier, enfin 20% de notre monde, qu'on laisse inconnu, inexploré. Et donc, en fait, si on se dit ça, on peut imaginer qu'en fait, on ne vit notre vie qu'à 80%. Et donc, ce monde qui représente 20% du monde, c'est quand même une opportunité incroyable de se dire qu'on a un monde avec un grand M entier à découvrir. Et donc ça, je trouve que c'est fantastique de pouvoir... savoir ça, parce que ce monde ne m'appartient pas, mais ce que je sais, c'est qu'en ouvrir les portes, c'est un immense cadeau qu'on peut faire, justement, même à des gens qui ont déjà un monde très riche, par la musique, par la lecture, par l'intellect en général, ouvrir le monde de l'olfaction peut compléter aussi ces mondes-là d'une manière incroyable. Et c'était d'ailleurs... L'intuition de Scriabine qui a dit que, justement, en ajoutant le parfum à la musique, on pouvait complètement renouveler la perception et s'approcher encore plus de l'extase esthétique et de la transcendance.

  • Speaker #1

    J'aurais tellement d'autres questions, mais je vois l'heure qui s'échappe comme ça doucement. J'en ai deux principales, Mathilde. La première, c'est revenir un peu à l'apprentissage de l'altérité. Parce que je dois le souligner, votre livre, et j'adore ce genre de livre, où j'ai appris mille choses, mais il m'a rendu une meilleure personne. Pourquoi ? Parce que vous parlez d'accepter l'altérité à travers le parfum. Vous parlez des odeurs, bonnes ou mauvaises, sans porter de jugement. Et j'adore cette vision que vous avez et ça m'a rappelé. Et moi, ce livre, vraiment, il m'a rendu une meilleure personne en me rappelant des choses. Voilà, donc cette absence de jugement. Et puis après, on parlera du rapport au monde aussi, parce qu'un parfum, c'est un monde et c'est l'art de l'attention. C'est l'art de l'attention au monde, se mettre au diapason du monde. Mais pour l'altérité, ce refus de juger, est-ce que vous voulez nous en parler ?

  • Speaker #0

    Avec joie, oui, parce que justement... L'isolement, la non-découverte commencent par le jugement. Et l'olfaction, le parcours d'un parfumeur, commence par le non-jugement des odeurs. Puisque la parfumerie... Dans l'Antiquité, on devait faire feu de tout bois. On n'avait pas les moyens actuels de distillation, d'extraction, de synthèse de molécules. Les produits odorants qui ont été utilisés et qui ont été à l'origine de la parfumerie étaient des fleurs, des aromates, mais aussi des matières fécales. Et donc, tout ce qui avait une odeur... pouvait être utilisée, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Et suivant les époques, c'est pas forcément une question d'hygiène, en fait. C'est une question de culture, c'est une question justement de ce qui est associé à telle ou telle odeur. Des odeurs qu'on juge, nous, aujourd'hui, sales ou fécales, pouvaient être des odeurs extrêmement recherchées. On pouvait payer des sommes incroyables pour certaines matières odorantes parce qu'elles avaient une symbolique ou un pouvoir magique. On parle du musque, souvent considéré comme une des plus belles matières de la parfumerie. Le musc, c'est quand même une odeur, et moi j'ai eu la chance de très bien le sentir et le pratiquer chez Guerlain, donc une odeur de sang séché, une odeur légèrement fécale. Donc c'est une odeur qui est mise au plus haut, alors que c'est une odeur qui n'est ni florale, ni plaisante. Quand on entre en parfumerie et surtout quand on passe chez Guerlain, où en fait un des secrets de la parfumerie de Guerlain, parce que tout le monde parle de la guerlinade comme étant une recette, mais il n'y a pas de recette de guerlinade. Et en tout cas, dans la guerlinade, il y a une dimension animale et fécale qui est indéniable. Donc, en fait, quand on entre en parfumerie... et qu'on a la chance de passer par cette maison séculaire qui est Guerlain, on comprend que la beauté ne se fait pas... Je parle souvent du gâteau sans foie bon, qui était un petit livre que j'avais, et que ma sœur et moi, on adorait ce livre. Le gâteau sans foie bon, c'est l'histoire d'un chat et d'un chien qui veulent faire plaisir à un autre animal, je ne sais plus lequel. Pour son anniversaire, ils veulent lui faire le meilleur des gâteaux. Alors, ils vont faire un gâteau avec que des choses qui sont excellentes. Donc, ils choisissent tout ce qu'ils aiment. Et donc, ils mettent du sucre, de la farine. Mais comme le chat adore les cornichons, ils mettent des cornichons. Et comme le chien adore le chocolat, il met du chocolat. Et comme le chien adore le saucisson, il met du saucisson. Et donc, c'est un gâteau 100 fois bon. Il est 100 fois bon, ce gâteau. Mais au bout du compte, il n'est pas bon. À la fin, quand le... Donc, la parfumerie, c'est pas le gâteau 100 fois bon. En fait, et la beauté, parfois, pour faire émerger de la beauté, eh bien, il faut être capable d'utiliser des choses qui sont considérées dans la société comme... peut-être moins belle que d'autres. En fait, il n'y a pas de beauté qui n'est que de choses qui seraient dites belles. Et de la même manière que dans un tableau, on a besoin d'ombre, on a besoin parfois de peindre la mort. Voilà, donc, en fait, la parfumerie... se comporte comme tous les autres arts. Et donc, pour créer de la beauté, il faut de tout. Et il faut donc suspendre son jugement. Parce que le musque, justement, avec cette odeur de sang séché, c'est peut-être ce qui va apporter un supplément d'âme à la création qu'on est en train de chercher. Vraiment la parfumerie amène à ne pas juger et à chercher la beauté et l'utilité de toute odeur. A finalement travailler avec le juste ingrédient, même s'il n'est pas considéré comme beau à l'époque et dans la société et dans la culture. dans laquelle on travaille. Donc ça, c'est absolument passionnant. En plus, on le voit que dans l'histoire de la parfumerie, certains ingrédients ont été considérés comme magnifiques à certaines époques et puis d'autres, pas du tout. Et ça s'est inversé avec le temps. Donc la parfumerie ouvre à la tolérance, réellement. Et l'odeur de l'autre, en fait, ne renseigne pas forcément sur sa valeur. L'odeur de l'autre ne renseigne que sur un moment, un moment M. Et c'est tout, en fait. Moi, ça m'arrive de sentir l'ail. Voilà, je ne sais pas. Donc, ça veut bien dire que l'odeur, justement, est éphémère. Et justement, si on l'utilise comme marqueur social, alors on prend un chemin très scabreux, en tout cas très escarpé.

  • Speaker #1

    Ce que vous dites très bien, ce que vous exprimez vraiment très très bien, c'est ok de ne pas se parfumer aussi. Il y a des gens qui ne se parfument pas. Ou alors en fin de journée, si on a tous une hygiène normale, on peut sentir un petit peu. Ça va nous aider à surmonter le métro notamment. C'est normal de sentir un peu et d'accepter cette altérité, d'accepter ces odeurs.

  • Speaker #0

    Exactement. En fait, un corps humain vit et transpire. la peau vieillit on perd de la peau tous les jours on fabrique du sébum Toutes ces odeurs-là, finalement, c'est peut-être parce que depuis plusieurs décennies, on cherche à réellement les éradiquer. C'est vraiment le terme. Les déodorants, les shampoings, tout est surparfumé et tout est revendiqué comme hyper efficace, justement, pour éviter de sentir. Moi, je pense que... qu'il y a quelque chose d'un peu symptomatique. Il y a une peur derrière ça, justement, qui est sociale. Il y a la peur de ne pas être acceptée, la peur d'être rejetée. Et je pense qu'en fait, on a mieux à faire. à tolérer les choses, en fait, et à ne pas juger qui que ce soit qui revient d'un jogging ou qui a couru toute la journée dans les transports, qui a dû faire des allers-retours... Qui a travaillé, qui a sué... Qui a travaillé, voilà. Et donc, je pense que, bien sûr, je ne suis pas en train de dire qu'il faut... ne plus se laver, parce que tout de suite, les gens disent, ah, mais alors, on ne se lave plus. Non, mais il y a un milieu entre essayer d'éradiquer toute odeur considérée comme non plaisante. L'odeur de l'essence aussi, moi, je trouve symptomatique qu'on essaye de faire disparaître l'odeur de l'essence des parkings. Parce que finalement, l'essence existe, on l'utilise et elle est polluante. Et donc, il vaut mieux la sentir comme une alerte que de la couvrir et de se dire que finalement, et de ne plus avoir conscience de la pollution que ça crée. Donc... Donc ce que je dis, c'est qu'il faut tolérer, avoir conscience quand l'odeur est un danger ou quand elle ne l'est pas et quand justement elle est tout simplement humaine.

  • Speaker #1

    et accepter l'altérité j'aurai encore tellement de choses et vous avez tellement de choses à partager c'est tellement riche mais j'aimerais finir sur votre mission de créer un parfum, d'encapsuler l'air du temps et en même temps de défricher des sentiers, d'en explorer encore cette quête de liberté et je crois qu'il y a un triptyque dans la création d'un parfum Quand vous créez un parfum, entre l'histoire de la parfumerie, je crois, au moment-là, l'histoire de la maison dont vous vous enrichissez, et puis le moment du temps où on se trouve. Vous voulez parler de ce... Les Allemands, ils parlent de Zeitgeist. J'adore ce mot. Ça veut dire l'esprit du temps. Comment on encapsule ? Parce que l'art de l'attention, c'est ça aussi. C'est l'attention au monde dans lequel on vit. Comment est-ce qu'on encapsule ça dans un flacon de parfum, Mathilde Laurent ?

  • Speaker #0

    Eh bien, j'aime beaucoup cette question. Je crois qu'en fait, on l'encapsule justement en étant attentif, en prêtant attention à ce monde justement dans lequel on vit et dans lequel tous, parce que si on a bien tous un point commun, c'est qu'on vit en 2024 dans ce monde tel qu'il est. Et qu'on a tous des besoins qui sont créés. par les moments qu'on vit dans ce monde-là. Donc, pour moi, prêter attention à ça et se poser la question de... ce que le parfum peut faire dans ce monde-là. Justement, c'est pour ça que partager l'olfaction, ça fait partie de cette attention au monde et de se dire que, justement, l'olfaction peut apporter ce qui manque actuellement au monde, une fois de plus, sans prétention. Mais dans chaque parfum... En fait, je vais faire cet exercice de me dire qu'est-ce que... je peux montrer, qu'est-ce que je peux dire dans ce parfum qui pourrait porter plus d'olfaction, qui pourrait porter plus de sensorialité, qui pourrait, par exemple, être un dialogue avec la condition de la femme, qu'est-ce qui pourrait être justement un dialogue entre les femmes et les hommes, qu'est-ce qui pourrait justement... être un propos par rapport justement à la sexualisation ou non de la parfumerie. Donc voilà, c'est en fait être à l'écoute du monde dans lequel nous sommes tous en commun. Et qu'est-ce que l'olfaction peut apporter comme, peut-être, nouvelle liberté, ou à quel combat elle peut s'associer, à quelle valeur elle peut nous rapprocher ? Qu'est-ce qu'on veut proposer aussi comme posture vis-à-vis de la nature, vis-à-vis... de l'écologie. Donc voilà, c'est tous ces grands thèmes que nous avons tous à vivre et qui nous questionnent tous et dans lesquels on se retrouve tous ensemble, auxquels la parfumerie peut porter, en tout cas, contribution.

  • Speaker #1

    Ça me rappelle ces mots de Henri Dunant, et je sais que cette phrase vous est très chère, qui dit que seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent changer le monde, y parviennent.

  • Speaker #0

    Tout à fait. J'ai longtemps cru qu'elle était d'Albert Einstein. Donc, merci pour peut-être qu'il l'a reprise.

  • Speaker #1

    C'est le créateur de la Croix-Rouge, je crois.

  • Speaker #0

    C'est vraiment une phrase magnifique parce qu'elle m'a soutenue. Et c'était un de mes présidents, c'est Thibaut Ponroy, à qui je rends hommage, qui m'a appris cette phrase. Merci. et elle m'a vraiment aidée, parce qu'effectivement, elle montre que, bien sûr, les grands projets sont toujours un peu fous, mais il n'y a pas de changement sans folie. Mais après, il y a folie et folie, bien sûr, mais le mot folie n'est pas péjoratif dans ma bouche. C'est un mot qui a beaucoup de sens et je pense qu'une forme de folie est toujours indispensable à un bon équilibre intérieur.

  • Speaker #1

    Cette folie qui me rappelle votre sublime inconscience,

  • Speaker #0

    Mathilde. Exactement, c'est une forme de folie, cette sublime inconscience. Et finalement, une folie consciente, en fait, c'est une sublime inconscience. J'ai envie de dire, c'est peut-être un synonyme, c'est-à-dire à quel moment je fais les choses avec conscience, à quel moment je sais que c'est un peu fou, mais j'en ai conscience, mais j'y vais quand même. Avec... panache, avec sublime inconscience.

  • Speaker #1

    Je crois qu'on va s'arrêter là, parce que c'est le plus long podcast que j'ai enregistré, mais c'est un tel plaisir. Je pourrais continuer à converser avec vous pendant des heures et des heures.

  • Speaker #0

    Je suis très touchée, Fanny, vraiment. Merci beaucoup, parce que, effectivement, moi aussi, j'ai adoré répondre à vos questions qui sont, comment dirais-je, sur mesure, en fait. Merci vraiment. pour l'intérêt que vous portez à mon travail qui m'émeut carrément.

  • Speaker #1

    Merci. Alors, chers auditeurs, c'est un grand moment d'émotion avec lequel je conclue cela. C'est dommage, vous n'étiez pas avec nous pour la cérémonie du thé tout à l'heure. J'en ai pas parlé au début, mais on a bu un thé délicieux avec Mathilde, n'est pas maître de thé, mais presque. J'ai découvert et appris beaucoup, beaucoup de choses. On est au cœur de Paris, dans le bureau de Mathilde, sur les toits d'un bel immeuble de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Vous avez peut-être entendu derrière nous aussi le bruit du monde, la rumeur du monde. le bruit de la ville. Ça donne une petite couleur locale en plus sur ce podcast, en tout cas qui est habité. Et Mathilde, un merci infini d'avoir partagé avec nous ce moment et puis cette mission qui sent, qui vous meut, qui vous pousse vers l'avant comme un élan et qui fait bouger les lignes, justement, comme un envol. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    C'est moi, Fanny, qui vous remercie. C'est moi qui suis en... vraiment qu'il y ait beaucoup de gratitude pour ce qu'on s'est dit ce matin et surtout ce que vous avez fait émerger donc vraiment mille merci sincèrement j'espère

  • Speaker #1

    que vous avez pris autant de plaisir à écouter cet épisode que j'en ai eu à l'enregistrer comme toutes les bonnes choses, il se partage alors n'hésitez pas à l'envoyer à vos proches Enfin, si vous voulez vraiment me faire plaisir, vous pouvez mettre 5 étoiles dans l'appli et un petit commentaire ou m'envoyer un e-mail. J'essaie toujours de répondre. A bientôt au prochain épisode de l'Art de l'attention.

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