Speaker #1Bonjour, je suis Lauriane Clément, je suis journaliste en charge des fractures françaises à La Croix. Et en juillet dernier, je suis allée au centre pénitentiaire de Nantes pour rencontrer des détenus qui appellent des personnes âgées. C'est un projet un peu fou, mais qui me tient beaucoup à cœur. Donc je l'ai connu par le biais de la Fabrique du Nou. C'est un fonds de dotation qui a pour but de lutter contre la polarisation de la société en mettant en contact des personnes aux horizons très divers. Par exemple, ce projet, c'est vraiment ça. L'idée, c'est de mettre en relation des détenus avec des personnes âgées isolées, en se disant que tous les deux souffrent de solitude et qu'on peut les faire se rencontrer et dialoguer. C'est une manière aussi de lutter contre la récidive et de favoriser la réinsertion. Ce projet, ils m'en ont parlé parce qu'on se connaissait, parce qu'ils savent que je suis les fractures françaises, donc on était assez proches, on se voyait de temps en temps. Ils ont lancé ce projet en 2023 et m'en ont parlé assez rapidement pour me dire, ça serait bien que tu viennes un jour voir ce projet. Bon, pour l'instant, on en est tout au début. On te tient au courant. Et en octobre 2024, ils ont formalisé ça en me disant, ça y est, on pense que tu peux venir en reportage, venir voir ce projet. Alors, moi, j'étais toute contente en octobre. Je me disais, bon, c'est bon, d'ici à la fin de l'année, j'y vais. Eh bien, non. Ça m'a mis à peu près 8 mois pour concrétiser ce projet, parce qu'évidemment, l'administration pénitentiaire, c'est beaucoup de lourdeur, ce qu'on comprend aussi au vu de la complexité du public accueilli. Ça nécessite d'avoir beaucoup d'autorisation, même quand on est journaliste. Mais donc, il m'a fallu des dizaines et des dizaines de mails, de rendez-vous, pour montrer pas de blanche, expliquer le projet. Des fois, je me retrouvais avec un nombre incalculable de destinataires de mails. Je n'avais absolument aucune idée d'à qui je parlais, mais bon. Ça fait partie du jeu, mais en tout cas, j'ai mis 8 mois et en juillet, le 15 juillet précisément, j'ai enfin pu franchir les portes de ce centre pénitentiaire basé à Nantes. Donc le 15 juillet dernier, avec Thomas Louapre, le photographe envoyé par Lacran, on s'était donné rendez-vous devant le centre pénitentiaire de Nantes. On est arrivés 15 minutes avant un peu stressés parce qu'on savait qu'on avait un timing très très serré, c'est-à-dire que la prison nous avait donné trois heures, ce qui est un délai raisonnable mais ce qui quand même ne laisse pas beaucoup de temps pour réaliser le reportage. On est rentrés enfin dans le premier sas, donc là il a fallu se présenter. On a un responsable pénitentiaire qui est venu nous chercher. On a commencé par déposer toutes nos affaires dans un casier. Donc ça, c'est assez rare en reportage pour moi. Je ne suis pas du tout habituée à ça, mais je me suis retrouvée avec seulement un carnet, un stylo. C'est tout, pas de portable, rien d'autre. Et pour Thomas, lui, il avait donné la liste entière de son matériel avant, en amont. Donc il était autorisé à prendre quelques éléments, mais c'est tout. Donc on ferme la porte du cadenas, ça y est, on est dans le vif du sujet. Donc on suit deux agents pénitentiaires, un homme et une femme qui nous escortent. Donc on passe par un nombre de couloirs et de portes incalculables. On passe par une grande cour complètement vide. Souvent on dit que l'univers carcéral c'est grisâtre, c'est un peu les couleurs qui nous sont renvoyées. Moi ce que j'ai vu plus tôt à la prison c'est des couloirs et des murs jaunes néons. Voilà, c'est mon ressenti, c'est mes souvenirs de la prison. On rentre enfin dans le bâtiment consacré à l'emploi pénitentiaire. Là, on monte quelques marches et on passe dans une passerelle entièrement grillagée qui donne sur les ateliers pénitentiaires, parce qu'il y a énormément de travaux en dehors de ce centre d'appel de la prison de Nantes. Il y a aussi des ateliers de menuiserie, de métallerie, comme dans la plupart des prisons françaises. C'est plus rare en revanche d'avoir un centre d'appel. Ils sont seulement six en France. Là, on est sur cette passerelle, on entend plein de bruits de perceuses, de marteaux, etc. Donc on est dans un univers déjà un peu différent de celui de la prison. Puis on ouvre la porte et là, ça y est, on arrive dans le centre d'appel de cette prison. Et là, c'est assez frappant parce qu'on n'a plus du tout l'impression d'être en prison. Enfin, évidemment, si on regarde... On regarde les détails, il reste des grillages sur les fenêtres, on voit des vestes bleues des prisonniers posées ça et là sur les chaises. Mais si on n'y pète pas vraiment attention à tous ces détails, on a juste l'impression d'être dans une entreprise classique, avec un enfilement de bureaux, des gens qui travaillent derrière un ordinateur avec un casque vissé aux oreilles. Et voilà, on est dans une entreprise, c'est une classique. Ce qui m'a assez frappée dès le départ, c'est qu'il y a beaucoup de posters d'oiseaux. Je leur ai demandé pourquoi vous avez mis des posters d'oiseaux, mais certains détenus m'ont dit que c'est notre symbole de liberté. On retrouve ces petits symboles-là. On retrouve aussi pas mal d'affiches de communication bienveillante, de conseils pour s'adresser aux clients. On sent tout de suite qu'on est dans cette espèce d'écoute, d'être dans des transmissions de bienveillance, de valeur. On retrouve ça dans ce centre d'appel, j'ai trouvé ça intéressant. Là, je rencontre enfin M. Daniel. C'est un pseudo, mais c'est le nom du détenu ... qui participait au moment du reportage à cette campagne, qui s'appelle « Les murs ont des oreilles » , c'est ça le nom du projet. Il y a quatre détenus qui ont participé depuis le lancement en 2023, et donc M. Daniel est l'un d'entre eux. Lui pareil, il ne correspond pas au cliché qu'on peut se faire de la prison, parce qu'il était habillé avec une veste rouge pétant. avec des motifs géométriques. Il a des dreads, il a une voix chaude, avenante. On le sent parfaitement à son aise dans ce milieu-là. Et il nous laisse écouter les conversations qu'il a avec ces personnes âgées. Donc lui, il est en conversation avec une quinzaine de personnes âgées qu'il appelle régulièrement. Donc c'est des personnes qui lui ont été adressées par des maisons de retraite de Marseille. Parce que le but, c'est d'avoir une certaine distance géographique avec ces personnes appelées pour... pas créer de relations à la sortie de prison. C'est des précautions de sécurité qui sont prises. Monsieur Daniel appelle une quinzaine de personnes résidant à Marseille, qui se sentent assez seules. Et lui, son travail, c'est vraiment de faire un lien avec elles, d'assurer leur suivi, de pouvoir remonter des informations quand il y a des situations problématiques, et puis tout simplement de leur parler, de les écouter. Donc là, il nous laisse écouter 5-6 conversations qu'il a avec ces personnes-là. Il n'y a pas de grille de questions, donc lui il appelle vraiment pour demander des nouvelles. Donc on se retrouve à écouter une conversation sur le menu du déjeuner d'une petite dame. À une autre, il donne des conseils de lecture. Une autre qui parle hélas de sa solitude, de sa difficulté à faire ses courses étant donné qu'elle est toute seule. Il y a encore aussi une autre, c'était assez étonnant comme discussion, mais elle s'est retrouvée à lui remonter le moral à lui, parce que son fils venait de rater le brevet. et donc elle lui a raconté ça et elle lui a dit, moi... Vous savez, moi au brevet, j'avais eu 4 sur 20 en rédaction, mais bon, j'ai réussi à m'en sortir, il y a d'autres chances de se rattraper, il lui remontait le moral. Et c'est ça qui montre toute la finesse de Sémien, parce que le but, ce n'est pas seulement que ce détenu aide les personnes âgées, c'est les personnes âgées aussi qui l'aident, en le sortant lui-même de sa solitude, parce qu'il m'a raconté notamment qu'il avait assez peu de visites de sa famille, qu'il se sentait très seul dans sa cellule, et ce travail pour lui, c'est une fenêtre vers l'extérieur. Et donc la responsable de ce projet au niveau technique, Vera Jolibois, c'est la responsable du centre d'appel de Nantes. Elle m'a dit des fois on ne sait pas qui aide l'autre en fait. Les deux s'entraident. C'est ça qui est fort dans ce projet. Donc elle-même, Vera Jolibois, j'ai trouvé que c'était un joli profil parce qu'elle est toujours là. Pareil, c'est une question de sécurité. Elle est toujours en train d'écouter les conversations, de les enregistrer. Et je trouve qu'elle a une présence très à la fois ferme et très bienveillante envers ses détenus. Ils savent très bien qu'ils peuvent aller la voir s'ils ont des problèmes. Et elle-même, je l'ai trouvée dans une grande empathie. Et c'est une mission pour elle de faire ce travail. Elle m'a raconté qu'elle venait elle-même du prolétariat. C'est le mot qu'elle a employé. Elle a des connaissances qui ont fini en prison. Et elle a eu envie de faire ce travail justement pour essayer de favoriser la réinsertion qui est parfois oubliée dans le projet pénitentiaire. Et donc là, on en est au cœur du sujet. D'ailleurs, Xavier Girardot, le directeur technique chargé du travail et de la formation professionnelle dans cette prison, m'a dit que son objectif, ce n'est pas de faire du social, mais de faire du sociétal. Ce projet, le but, c'est d'infini... Réunir, réussir à ce que ces personnes puissent se réintégrer dans la société parce que travailler dans un centre d'appel, finalement, on peut tout à fait avoir un emploi classique en sortant de prison. Et c'est aussi développer des compétences chez eux comme l'empathie qui permet d'éviter de repasser à l'acte dans pas mal de situations. Alors, j'ai malheureusement pas trouvé de chiffres concrets, mais en tout cas, ces responsables-là en sont persuadés. C'est une manière de lutter efficacement. Mais ce projet, il faut savoir que c'est un projet ovni. C'est la première fois qu'une prison se lance dans un Paris aussi fou que celui-là. Parce qu'il faut savoir que, évidemment, les personnes âgées, c'est un public vulnérable. Donc ça demande beaucoup de garde-fous. Puis il faut être quand même aussi un peu fou soi-même pour se dire « Eh oui, on va se faire rencontrer deux solitudes, des détenus, des personnes âgées. » Il fallait quand même y penser. J'ai été très heureuse de faire ce reportage. On était le premier média, la Croix, à venir voir ce projet. C'est aussi pour ça ce qui explique aussi la durée de préparation et les huit mois d'attente avant d'y aller. C'est qu'on était vraiment les premiers à y aller. Et je trouve que ce type de projet, ça va exactement dans le projet qu'on suit, nous, la Croix. On essaie vraiment de lutter contre la polarisation de la société, de montrer que, quiconque soit, on peut se parler, d'instaurer le dialogue entre des mondes opposés. Et ce reportage en est l'exemple même. J'en suis sortie très heureuse, vraiment très heureuse d'avoir fait ce reportage, ça m'a vraiment tenu à cœur. Mais j'en suis sortie aussi toujours avec ce caractère d'urgence où je savais que je devais absolument écrire mon article pour le lendemain parce qu'il était prévu dans le journal le surlendemain. Donc il n'y avait pas de temps à perdre et à ressasser mes bons souvenirs de prison. Il fallait y aller. Et la difficulté aussi que j'ai eue pendant ce reportage, c'est que j'ai vu tout le pan de la prison. Mais évidemment, je ne pouvais pas aller à Marseille rencontrer chacune des personnes âgées interrogées par M. Daniel. Et donc j'ai eu beaucoup de mal à les joindre en amont du reportage. Donc ils m'avaient donné quand même, avec leur accord, le centre pénitentiaire m'avait donné plusieurs contacts. Et ces petites dames, elles ne comprenaient pas pourquoi je les appelais. Elles pensaient que c'était une arnaque téléphonique. C'était vraiment parler à une journaliste de La Croix sur ça, sur ce projet. Ou des fois aussi, elles oublient qu'elles parlent à un détenu dans ce projet-là. Bon, c'était un peu loin d'elles. J'ai réussi quand même à joindre une ou deux personnes qui, après moult discussions, ont accepté de me dire ce que ça leur apportait. Et effectivement, elles étaient très positives. Et elles-mêmes, d'ailleurs, c'était émouvant parce qu'elles mettaient bien sûr l'accent sur elles, ce qu'elles apportaient à M. Daniel et à ses détenus, en disant « bah oui, ça lui fait du bien de me parler » . que... Donc je continue à le faire pour lui et tout. Alors que quand je les écoutais parler avec M. Daniel, on voyait bien que c'était donnant-donnant et qu'elle-même, elle, c'était très heureuse d'être entendue. Mais bon, voilà, donc j'ai réussi à les joindre, mais ce n'était pas un pari facile. Mais en dehors de ça, je n'ai pas eu particulièrement de problème d'écriture sur ce reportage parce que c'est tout ce que je défends comme valeur et donc ça a coulé de source de l'écrire et j'étais d'ailleurs très heureuse de l'écrire et donc je l'ai écrit assez rapidement. Et ce qui est super, c'est qu'ensuite, j'ai eu des bons retours Que j'ai absolument pas demandé, bien sûr, mais le centre pénitentiaire est revenu vers moi pour me dire que ça avait fait quand même parler, cet article, qu'il y avait eu des retours positifs et parfois même interrogatifs en haut lieu, ce qui est une bonne chose, m'ont-ils dit. De son côté, la Fabrique du Nou m'a dit que ça a déclenché plusieurs dons, alors qu'il n'y avait pas d'appel à dons dans le reportage. Comme j'avais souligné dans le reportage que tout est financé intégralement par la Fabrique du Nou sur la base de dons, il y a des personnes, lecteurs de la Croix, qui ont donné. Et eux, ils continuent à essayer d'augmenter la taille de ce projet. Ils visent 500 personnes âgées en 2026 qui pourraient être aidées par dispositif. Et le but, c'est que ce ne soit pas seulement la prison de Nantes, mais que ce soit aussi d'autres centres d'appel. Il y a par exemple un centre d'appel qui est en train de se développer à Poissy, donc potentiellement ça pourrait être là. Et aussi, ils ont reçu un soutien financier de la Fondation Caritas. Donc c'est un projet qui est en train de se déployer, pour l'instant à petite échelle, mais qui a beaucoup de... Moi, je trouve beaucoup de force et beaucoup d'avenir parce qu'il est très innovant et il permet de donner un tout nouvel aspect à ces relations en prison. Parce qu'on entend souvent parler de bénévoles qui viennent parler aux détenus en prison, ça c'est assez courant. Mais de mettre les détenus dans cette position-là, d'être aidants, c'est très innovant et j'y crois beaucoup.