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L'envers du récit

Duel dans la Somme : un an sur le terrain, avec LFI et le RN

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21min |04/06/2024
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21min |04/06/2024
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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 28.


Marine Lamoureux est journaliste à "La Croix l’Hebdo". Pendant douze mois, de la Réforme des retraites aux élections européennes, elle a sillonné le département de la Somme aux côtés de deux députés élus sur ce territoire : François Ruffin, de La France Insoumise (LFI) et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement national (RN). Au fil de leurs déplacements et des rencontres avec les habitants, elle a observé comment ces deux hommes politiques, aux idées radicalement différentes, tentent de convaincre les classes populaires.


► Retrouvez le récit de Marine Lamoureux dans "La Croix L'Hebdo" :

https://www.la-croix.com/france/francois-ruffin-jean-philippe-tanguy-dans-la-somme-la-bataille-pour-l-electorat-populaire-20240424


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu et Bruno Bouvet. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Juin 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique, on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique au français, mais aussi du rapport que les français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général.

  • Speaker #1

    Pendant un an, elle s'est rendue dans la Somme, où elle a suivi le quotidien de deux députés, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Avec eux, elle a sillonné le département à la rencontre des habitants, et elle a observé comment ces deux élus s'y prenaient pour conquérir l'électorat populaire. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'Envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Marine Lamoureux, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo, où je suis les sujets de société et de politique. Pendant un an, j'ai suivi deux députés, deux figures montantes de la politique en France, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Et je les ai suivis là où ils sont élus, dans la Somme. En fait, je voulais comprendre, au plus près du terrain, ce que les Français attendent de leur politique, quelles sont les stratégies aussi des partis, au deux bouts de l'échiquier, à gauche et à l'extrême droite. Alors le point de départ, ce sont les législatives de 2022. C'est quand même des élections assez atypiques, d'abord parce qu'elles n'ont pas donné de majorité au président de la République. Donc on sentait bien au journal que ça allait ouvrir une ère politique particulière, avec un nouveau rôle pour les oppositions. Et puis bien sûr, c'est l'arrivée d'un nombre inédit de députés du RN à l'Assemblée, 88, ce qui est quand même une déflagration. Donc assez vite, on se dit que c'est intéressant d'explorer la figure du député et aussi l'état du pays à l'issue de ces élections. Et la meilleure façon, c'est d'aller sur le terrain, de prendre le temps et de peut-être se focaliser sur un département. Et assez vite, la somme s'est imposée pour plusieurs raisons. D'abord parce que c'est le département dont est originaire le chef de l'État, Emmanuel Macron. Et ensuite, parce qu'il y a dans ce département deux figures montantes qui sont intéressantes à suivre dans leur rapport à l'électorat populaire. Le premier, c'est François Ruffin, qui est député de la première circonscription. Et le deuxième, c'est Jean-Philippe Tanguy, qui est élu de la quatrième. Alors, François Ruffin, on le connaît. C'est un député de la France insoumise et qui a été élu pour la deuxième fois en 2022, sous l'étiquette également de l'Union des Gauches. C'est un ancien journaliste, un ancien réalisateur aussi. On se souvient de films comme Merci Patron, par exemple. Et surtout, c'est une figure des mouvements sociaux, comme Nuit Debout, c'est un trublion. Il aime provoquer, il est déjà médiatique. En face, Jean-Philippe Tanguy, lui, il est moins connu, mais c'est clairement une figure montante du Rassemblement national. Il a fait ses armes auprès du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Et puis finalement, en 2020, il rejoint le Rassemblement national et il devient un de ses députés. Il fait donc son premier mandat dans une circonscription qui est moins urbaine que celle de Ruffin, plus rurale, plus dans les confins de la Picardie. Et ce qui est intéressant, c'est que tous les deux ont de l'ambition. Ce sont deux travailleurs, deux stratèges. plutôt doués, mais bien sûr dans des registres différents et avec des enjeux différents. Pour François Ruffin, la reconquête de l'électorat, elle passe par le travail. Alors que Tanguy, lui, il a vraiment pour but de crédibiliser le Rassemblement national sur le terrain. Le RN, je le rappelle, c'est l'héritier du Front national, un parti d'extrême droite qui par le passé a eu des positions révisionnistes, antisémites. Mais ce qui est vraiment frappant dans la somme, c'est qu'on n'en est plus à la phase de dédiabolisation. L'enjeu pour Tanguy, c'est la crédibilité. Lui, ce qu'il veut, c'est montrer. que le RN peut faire le job. Quand le sujet a été validé à la rédaction, je me suis lancée, j'ai appelé les équipes, d'un côté celle de François Ruffin, de l'autre celle de Jean-Philippe Tanguy, pour leur expliquer mon projet. Ils étaient d'accord. Tout l'enjeu ensuite, c'était qu'ils me préviennent quand il y avait des déplacements intéressants en circonscription, soit auprès d'élus locaux par exemple, d'associations, pour que je puisse commencer à partir sur le terrain. Un matin, c'était au printemps 2023, je reçois un coup de fil du collaborateur de François Ruffin, Dimitri Bourrier, qui me dit François Ruffin va aller sur un piqué de grève à Amiens Nord, si vous voulez venir, c'est maintenant, dans deux heures il y est. Alors moi, à ce moment-là, je suis à Paris. Il se trouve que je suis dans une classe de CM1 pour parler du métier de journaliste. Donc dès que la petite séance est terminée, je prends mes affaires et je file vers la gare du Nord. Ce qui est bien, c'est que Amiens, c'est assez facile, c'est en grosso modo une heure de Paris. Donc quand j'arrive à Amiens, je grimpe dans la voiture du collaborateur, Dimitri, avec François Ruffin, et nous voilà partis au nord de l'agglomération, vers une usine où a lieu le piquet de grève. Il faut bien imaginer que Amiens-Nord, c'est un peu l'envers du décor de la mondialisation. C'est un lieu d'entrepôt, de plateforme logistique. Il y a tous ces métiers qui finalement permettent à la mondialisation d'avoir lieu, où sont acheminés les produits du monde entier. Bien sûr, la Picardie a été très marquée par la désindustrialisation dans les années 70, notamment du textile, mais il reste des usines, et là notamment, une usine d'acide aminé pour l'alimentation animale et la pharmacie. Quand j'arrive, on a... Un piqué de grève, des ouvriers qui sont autour de grandes tablées, ça discute, tout de suite François Ruffin est reconnu. Évidemment, on le connaît bien dans sa circonscription et on le connaît bien dans les milieux de gauche. Il est plutôt bien accueilli et en même temps, assez vite, quand la discussion se noue, on sent vraiment un énorme ras-le-bol. Et en fait, tous ces ouvriers qui sont réunis, ils aiment leur travail, mais ils ont vraiment le sentiment que les conditions ne cessent de se dégrader. C'est ce qu'ils racontent aux députés. Il lui raconte qu'ils avaient des acquis sociaux qui sont en train d'être rognés. Il lui raconte aussi quelque chose que moi je ne connaissais pas. Je connaissais les 3-8, mais je ne connaissais pas les 6-4. C'est le rythme des ouvriers où ils sont obligés de travailler deux matinées, deux après-midi, deux nuits. Ils ont du repos et rebolotent, ils recommencent. Donc leur emploi du temps est complètement erratique en fait. Ils ne travaillent pas les mêmes jours, ils travaillent deux jours, deux nuits. Donc ce sont des gens qui ont un rythme vraiment éreintant. François Ruffin est bien accueilli. J'entends autour de la tablée certains qui disent tu verras, il sera candidat de la gauche Un cercle se constitue très rapidement autour de lui, il prend des notes. Mais ce qui est intéressant, c'est un ouvrier qui écoute d'une oreille attentive mais qui n'est pas exactement dans le groupe. Je le repère et à l'issue de la discussion, je vais le voir. Il s'appelle Cyril. C'est un opérateur de ligne. Lui, il conditionne les produits sur la ligne de l'usine. Et il m'explique qu'il aime bien François Ruffin, il reconnaît que c'est chouette qu'un député vienne les voir, s'intéresse à leur combat, mais qu'il ne votera pas pour lui. Il me fait comprendre qu'il va voter Bardella, le candidat du Rassemblement national, parce qu'il trouve que la gauche, elle sert les assistés. Qu'elle n'écoute pas les ouvriers comme lui, qui se lève tôt le matin, et une de ses phrases c'est de dire que lui, une fois qu'il a fait le plein de gazole pour aller travailler, il gagne moins que le gars qui est au RSA. Et ça, on sent bien que c'est vraiment une problématique de fond dans cette population ouvrière qui manifeste ce jour-là. Il dit, finalement, le Rassemblement National, il s'intéresse à nous, il s'intéresse à ceux qui travaillent, et on n'a jamais essayé, donc moi, je préfère voter pour le RN. Assez vite, je comprends qu'il y a effectivement un duel sous les radars entre ce député de gauche, François Ruffin, et le député du Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy. Tanguy, lui aussi, d'une certaine façon, il s'adresse à une forme de ras-le-bol, de ressentiment, mais dans des contextes assez différents. Quand je vais le suivre sur le terrain, je choisis d'aller écouter une réunion publique de personnes qui sont contre les éoliennes. J'arrive alors là dans un paysage qui est complètement différent de celui d'Amiens-Nord, vraiment dans la campagne Picarde. Il faut imaginer des champs à perte de vue, un plat pays, et puis tout d'un coup, des éoliennes, des éoliennes, des éoliennes, partout qui s'érigent. C'est vraiment frappant. Alors quand j'arrive dans ce petit village du plateau Picard, la première chose qui m'interpelle, c'est le nombre de voitures. On est vraiment dans un endroit paumé et autour de la salle des fêtes de ce petit village de 1000 habitants, il y a peut-être 70 voitures qui sont garées en plein après-midi. On est un vendredi et je me dis, là, il se passe quelque chose. Quand je rentre, le député est déjà arrivé et autour de lui, il a un cercle de personnes qui sont là, à peu près 70-80, et qui viennent lui expliquer leur exaspération par rapport à ces éoliennes qu'il voit pousser au bout de leur propriété. Alors là, on n'est pas dans la même sociologie évidemment que celle que Ruffin a l'habitude de voir. Là, Jean-Philippe Tanguil est plutôt face à des artisans, des agriculteurs, des propriétaires terriens plus ou moins fortunés, qui sont donc exaspérés de voir se développer. tous ces champs d'éoliennes. Alors du coup, l'ambiance, c'est un espèce de mélange. entre l'exaspération des gens, les témoignages, le fait qu'ils ne peuvent pas dormir, que même les troupeaux, visiblement, sont affectés par la présence des éoliennes, des témoignages assez forts. Et en même temps, ce qui est très frappant dans La Réunion, c'est que Jean-Philippe Tanguy, il la joue vraiment profil-mou. Il écoute, il est discret, il est sérieux. Et quand il prend la parole, c'est vraiment pour donner des chiffres sur les éoliennes, pour montrer qu'il a travaillé ses dossiers. Et l'autre dimension qui est très frappante aussi, c'est qu'il y a cette écoute, mais il y a aussi une manière d'épouser le ressentiment des gens qui sont là. Très vite, la discussion part autour de ces écolos qui ne comprennent pas le fait qu'il y a une pensée unique, que les habitants qui sont là, ce sont eux les vrais écologistes, alors qu'ils sont souvent vécus comme des opposants à la transition écologique, alors qu'en fait, c'est eux qui connaissent les paysages. C'est eux qui les préservent et que les éoliennes sont une forme de prédation sur leur mode de vie. Et je me souviens de témoignages, notamment de la responsable de l'association qui avait organisé la réunion, qui dit mais nous, en fait, il faut bien comprendre, on n'en peut plus Ce qui est intéressant, c'est que dans ce duel sous les radars que je suis en train de voir se dessiner, le ressentiment est très présent, mais dans des populations assez différentes. D'un côté, chez les ouvriers de cette usine que j'avais vu rassembler autour de Ruffin et qui lui parlaient de leurs difficultés, on se sent tout petit vis-à-vis des puissants. Alors les puissants là, c'est les patrons de l'usine, c'est les patrons du CAC 40, c'est tous ceux qui mènent la danse. Et du côté de la réunion des éoliennes, c'est un petit peu le même sentiment, Qu'on est démuni, qu'on est impuissant face à ceux qui ont le pouvoir. Et là, ceux qui ont le pouvoir, ce sont les industriels de l'éolien, les politiques qui ne les écoutent pas à Paris. Pendant une année, je vais retourner régulièrement dans la Somme, dans le sillage de ces deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, en essayant à chaque fois de voir des aspects différents de leur travail et de cette politique qui se noue au plus près des Français. Alors bien sûr, quand on fait ça, on voit la stratégie, on voit la tactique des politiques, mais en fait on voit aussi la sincérité des politiques. Il faut quand même aimer ça, pour passer des heures et des heures sur le terrain, même si on a une ambition nationale, écouter les gens. Et ça m'a vraiment frappée des deux côtés, à la fois de l'insoumis François Ruffin et du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Par exemple, dans les permanences des députés, comme j'ai vu dans celle de Jean-Philippe Tanguy, dans la petite ville de Corbie, par exemple. Il faut quand même imaginer qu'il passe des heures sur les dossiers de Français qui arrivent avec des dossiers énormes. Notamment, je me souviens d'un monsieur venu avec son dossier de retraite, ou plutôt le dossier de retraite de sa femme, qui touchait une toute petite retraite parce qu'elle s'était arrêtée de travailler pour élever ses enfants. Et il ne comprenait pas pourquoi elle touchait aussi peu. Et il y avait des papiers dans tous les sens de différentes caisses de retraite. Et je voyais Jean-Philippe Tanguy, qui était vraiment la tête entre les mains, en train d'essayer de comprendre les chiffres, leur cohérence. Il a bien passé 45 minutes sur un seul dossier, avec un monsieur qui, même si sa situation n'a pas forcément été résolue, mais qui était reparti un peu reboosté en se disant bon ben, au moins on m'a écouté Et quand je l'ai rappelé après cette permanence, pour avoir son avis sur ce qui s'était passé, il m'a dit ben vous savez, moi, la politique, franchement, j'y croyais plus du tout Mais là, avec Jean-Philippe Tanguy... Eh bien, ça me redonne de l'espoir parce qu'il fait son travail. Et cette sincérité, cet effort, en tout cas, ce temps passé auprès des Français, je l'ai aussi vu chez François Ruffin, lui, plutôt quand il va au pied des immeubles. Par exemple, toutes les fins de printemps, il fait ce qu'il appelle son députour, le tour du député, et il passe trois jours à aller voir toutes sortes de gens qui sont très, très loin de la politique en réalité, qui ne savent même pas exactement qui il est, pour le coup. Je me souviens d'un jeune garçon qui m'a dit Mais c'est M. Raffarin qui est là ? Alors je dis Non, M. Ruffin. Il dit Ah oui, M. Ruffin, il est de quelle partie déjà ? Voilà, ce sont des populations qui sont quand même très éloignées de la politique. Et François Ruffin, il vient les écouter, il s'assoit à leur table, il y a toujours un barbecue, un petit café qui est distribué. Et pendant des heures, les gens lui racontent leur situation, leurs difficultés, les difficultés du travail. Donc je retrouve aussi, comme avec Philippe Tanguy, cette attention à la parole des Français. Pour un journaliste, c'est très intéressant de passer du temps également au pied des immeubles, auprès de ces populations qui sont très éloignées des politiques mais aussi des médias. Et notamment, je me souviens par exemple de Myriam, qui était une femme d'une cinquantaine d'années à Amiens Sud, qui était venue là parce qu'il y avait le barbecue au bas de son immeuble avec l'association Picardie Debout, qui soutient Ruffin. Alors elle, elle a huit enfants, elle fait du ménage dans les usines, elle est divorcée, elle n'a pas de voiture. Et donc en fait, elle passe plus de temps dans les bus à essayer d'aller faire des heures extrêmement fragmentées dans telle et telle usine du département qu'auprès de ses enfants. Et puis en discutant avec elle, je me tourne et puis je vois qu'il y a Teddy, son fils, enfin un de ses fils, qui lui a une vingtaine d'années, qui a envie de faire sa vie en fait, qui a envie de partir de chez lui. Et puis sa mère, elle aimerait bien aussi qu'il parte parce que huit enfants dans un appartement HLM, c'est compliqué. En fait Teddy, il a juste un contrat aidé de quelques heures, il gagne à peu près 500 euros par mois, donc il ne peut pas faire sa vie en fait. Et c'est assez émouvant de l'entendre m'expliquer ça, c'est-à-dire que le travail ne lui fait pas peur, il a envie de faire sa vie et en fait la société ne lui fait pas de place. Une fois que Ruffin a discuté avec les habitants qui sont là, souvent il prend le micro et il commence à relayer ce qu'il a entendu auprès de toutes les personnes qui sont réunies autour du barbecue et du barnum. Et il leur explique les difficultés du travail. Et en fait, il essaye de problématiser et de politiser ce qu'il a entendu auprès de Myriam, de Teddy. Et il en fait un discours politique. Ça, c'est sa manière de se servir de ce qu'il entend sur le terrain, de s'en nourrir. pour ensuite les porter au niveau de la politique nationale. La difficulté dans ce genre de reportage, c'est qu'on a une matière énorme. Au bout d'un an, on a assisté à énormément de scènes, on a été dans des contextes différents, on a vu les députés dans toutes sortes de situations, mais il faut trouver un fil rouge, il faut savoir comment est-ce qu'on va raconter toute cette histoire. Parce qu'il y a deux risques en fait. Le premier, c'est que ça tourne en rond, qu'on raconte des anecdotes assez sympathiques, des scénettes avec le politique, mais qu'on finisse par se dire, on en reste à l'anecdote. L'autre difficulté dans un sujet politique comme celui-là, c'est de garder la bonne distance. Ni trop près, ni trop loin des deux politiques que je suis. Il ne s'agit ni de les dénigrer, ni d'épouser leur combat. Il faut à chaque fois trouver cette espèce de bonne distance et de ligne de crête qui doit bien sûr se retrouver à l'écriture. Donc mon idée, ça a été de tirer le fil de la reconquête de l'électorat populaire. Parce que c'est leur enjeu à tous les deux. Ce sont deux stratèges qui ont de l'ambition, qui travaillent le terrain. Et en même temps, ils ont des problématiques et des enjeux différents. François Ruffin, lui, il est convaincu qu'on peut reconquérir l'électorat populaire par le travail, sur des terres qui ont longtemps été acquises à la gauche et qui, peu à peu, rejoignent le Rassemblement national. Il considère qu'on peut reconquérir cet électorat par l'effort, la fierté du travail, la dignité du travail. Donc, il mène sa politique de terrain de cette façon-là. Jean-Philippe Tanguy, lui, il s'adresse aussi à l'électorat populaire, mais son enjeu à lui, il est très différent. Lui, il surfe plutôt sur la vague, il est plutôt en terrain conquis, surtout dans cette circonscription de la Somme. En revanche, il doit montrer qu'il est capable et que son parti est capable de mener à bien une politique nationale. Et on le voit également dans sa manière de faire de la politique qui est très tournée autour de je travaille, je vous écoute, je suis qualifiée notamment sur des sujets qui ne sont pas les sujets auxquels on pense immédiatement pour le Rassemblement national, comme l'immigration ou la sécurité. Mais il parle aussi beaucoup d'économie, de budget, d'impôts, de politique publique, pour montrer que le Rassemblement national a toutes les cartes en main pour mener une politique nationale. Une des leçons que je tire de ce reportage, c'est que décidément, le temps long, c'est toujours payant. Le fait de passer des heures, des jours, à des moments différents, auprès de personnages comme ces deux figures montantes de la politique, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, c'est une manière à la fois de mieux comprendre le pays, de mieux comprendre comment se noue la relation politique, et également, bien sûr, de mieux saisir ces personnages. Et d'une certaine manière, on touche à l'intimité aussi de ces personnalités. Ce qui m'a frappée, c'est de voir une similitude sur ces épisodes dépressifs que l'un et l'autre peuvent connaître. Une fois dans le train, dans le TER pour Amiens, je me souviens que François Ruffin me parlait beaucoup de la France dépressive, de la façon dont il voulait transformer le ressentiment en espoir. Et puis, il a laissé échapper que ce n'était pas un hasard s'il parlait de la France dépressive, que ça faisait sûrement miroir à certaines de ses émotions. Et puis, un jour autour d'un déjeuner, Jean-Philippe Tanguy, de la même façon, il m'a fait comprendre qu'il était parfois sujet à des passages à vide et que c'est pour ça qu'il avait tendance à suragir et à s'agiter pour reprendre ses mots. L'intimité, c'est ça. C'est aussi de voir que François Ruffin met vraiment un point d'honneur à mettre de la joie en politique. Quand je suis allée écouter ses voeux dans la ville d'Abbeville, il avait fait venir une fanfare, il avait organisé une tombola. C'était vraiment joyeux avec les militants et je me suis vraiment fait la réflexion que la politique, elle avait besoin de ça aussi. Et de la même façon, quand Jean-Philippe Tanguy, on le voit dans des moments un peu de coulisses, il peut passer d'un plateau de télé sur BFM où il est le matin, il prend son TER pour Amiens, et puis il arrive dans un EHPAD, et là il y a forcément une attitude complètement différente, un espèce de mélange de proximité et d'empathie avec les gens qu'on ne voit pas quand on ne passe pas un certain temps avec lui. Donc au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique aux Français, mais aussi du rapport que les Français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général. Et puis bien sûr, ça a confirmé que ce sont deux figures nationales qui se nourrissent de ce qu'ils peuvent recueillir sur le terrain pour servir leur propre destin à partir de projets politiques évidemment radicalement différents. On peut faire le pari que ces deux figures-là, on va en entendre parler dans la perspective de 2027.

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L’envers du récit, saison 6, épisode 28.


Marine Lamoureux est journaliste à "La Croix l’Hebdo". Pendant douze mois, de la Réforme des retraites aux élections européennes, elle a sillonné le département de la Somme aux côtés de deux députés élus sur ce territoire : François Ruffin, de La France Insoumise (LFI) et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement national (RN). Au fil de leurs déplacements et des rencontres avec les habitants, elle a observé comment ces deux hommes politiques, aux idées radicalement différentes, tentent de convaincre les classes populaires.


► Retrouvez le récit de Marine Lamoureux dans "La Croix L'Hebdo" :

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Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu et Bruno Bouvet. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Juin 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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  • Speaker #0

    Au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique, on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique au français, mais aussi du rapport que les français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général.

  • Speaker #1

    Pendant un an, elle s'est rendue dans la Somme, où elle a suivi le quotidien de deux députés, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Avec eux, elle a sillonné le département à la rencontre des habitants, et elle a observé comment ces deux élus s'y prenaient pour conquérir l'électorat populaire. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'Envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Marine Lamoureux, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo, où je suis les sujets de société et de politique. Pendant un an, j'ai suivi deux députés, deux figures montantes de la politique en France, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Et je les ai suivis là où ils sont élus, dans la Somme. En fait, je voulais comprendre, au plus près du terrain, ce que les Français attendent de leur politique, quelles sont les stratégies aussi des partis, au deux bouts de l'échiquier, à gauche et à l'extrême droite. Alors le point de départ, ce sont les législatives de 2022. C'est quand même des élections assez atypiques, d'abord parce qu'elles n'ont pas donné de majorité au président de la République. Donc on sentait bien au journal que ça allait ouvrir une ère politique particulière, avec un nouveau rôle pour les oppositions. Et puis bien sûr, c'est l'arrivée d'un nombre inédit de députés du RN à l'Assemblée, 88, ce qui est quand même une déflagration. Donc assez vite, on se dit que c'est intéressant d'explorer la figure du député et aussi l'état du pays à l'issue de ces élections. Et la meilleure façon, c'est d'aller sur le terrain, de prendre le temps et de peut-être se focaliser sur un département. Et assez vite, la somme s'est imposée pour plusieurs raisons. D'abord parce que c'est le département dont est originaire le chef de l'État, Emmanuel Macron. Et ensuite, parce qu'il y a dans ce département deux figures montantes qui sont intéressantes à suivre dans leur rapport à l'électorat populaire. Le premier, c'est François Ruffin, qui est député de la première circonscription. Et le deuxième, c'est Jean-Philippe Tanguy, qui est élu de la quatrième. Alors, François Ruffin, on le connaît. C'est un député de la France insoumise et qui a été élu pour la deuxième fois en 2022, sous l'étiquette également de l'Union des Gauches. C'est un ancien journaliste, un ancien réalisateur aussi. On se souvient de films comme Merci Patron, par exemple. Et surtout, c'est une figure des mouvements sociaux, comme Nuit Debout, c'est un trublion. Il aime provoquer, il est déjà médiatique. En face, Jean-Philippe Tanguy, lui, il est moins connu, mais c'est clairement une figure montante du Rassemblement national. Il a fait ses armes auprès du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Et puis finalement, en 2020, il rejoint le Rassemblement national et il devient un de ses députés. Il fait donc son premier mandat dans une circonscription qui est moins urbaine que celle de Ruffin, plus rurale, plus dans les confins de la Picardie. Et ce qui est intéressant, c'est que tous les deux ont de l'ambition. Ce sont deux travailleurs, deux stratèges. plutôt doués, mais bien sûr dans des registres différents et avec des enjeux différents. Pour François Ruffin, la reconquête de l'électorat, elle passe par le travail. Alors que Tanguy, lui, il a vraiment pour but de crédibiliser le Rassemblement national sur le terrain. Le RN, je le rappelle, c'est l'héritier du Front national, un parti d'extrême droite qui par le passé a eu des positions révisionnistes, antisémites. Mais ce qui est vraiment frappant dans la somme, c'est qu'on n'en est plus à la phase de dédiabolisation. L'enjeu pour Tanguy, c'est la crédibilité. Lui, ce qu'il veut, c'est montrer. que le RN peut faire le job. Quand le sujet a été validé à la rédaction, je me suis lancée, j'ai appelé les équipes, d'un côté celle de François Ruffin, de l'autre celle de Jean-Philippe Tanguy, pour leur expliquer mon projet. Ils étaient d'accord. Tout l'enjeu ensuite, c'était qu'ils me préviennent quand il y avait des déplacements intéressants en circonscription, soit auprès d'élus locaux par exemple, d'associations, pour que je puisse commencer à partir sur le terrain. Un matin, c'était au printemps 2023, je reçois un coup de fil du collaborateur de François Ruffin, Dimitri Bourrier, qui me dit François Ruffin va aller sur un piqué de grève à Amiens Nord, si vous voulez venir, c'est maintenant, dans deux heures il y est. Alors moi, à ce moment-là, je suis à Paris. Il se trouve que je suis dans une classe de CM1 pour parler du métier de journaliste. Donc dès que la petite séance est terminée, je prends mes affaires et je file vers la gare du Nord. Ce qui est bien, c'est que Amiens, c'est assez facile, c'est en grosso modo une heure de Paris. Donc quand j'arrive à Amiens, je grimpe dans la voiture du collaborateur, Dimitri, avec François Ruffin, et nous voilà partis au nord de l'agglomération, vers une usine où a lieu le piquet de grève. Il faut bien imaginer que Amiens-Nord, c'est un peu l'envers du décor de la mondialisation. C'est un lieu d'entrepôt, de plateforme logistique. Il y a tous ces métiers qui finalement permettent à la mondialisation d'avoir lieu, où sont acheminés les produits du monde entier. Bien sûr, la Picardie a été très marquée par la désindustrialisation dans les années 70, notamment du textile, mais il reste des usines, et là notamment, une usine d'acide aminé pour l'alimentation animale et la pharmacie. Quand j'arrive, on a... Un piqué de grève, des ouvriers qui sont autour de grandes tablées, ça discute, tout de suite François Ruffin est reconnu. Évidemment, on le connaît bien dans sa circonscription et on le connaît bien dans les milieux de gauche. Il est plutôt bien accueilli et en même temps, assez vite, quand la discussion se noue, on sent vraiment un énorme ras-le-bol. Et en fait, tous ces ouvriers qui sont réunis, ils aiment leur travail, mais ils ont vraiment le sentiment que les conditions ne cessent de se dégrader. C'est ce qu'ils racontent aux députés. Il lui raconte qu'ils avaient des acquis sociaux qui sont en train d'être rognés. Il lui raconte aussi quelque chose que moi je ne connaissais pas. Je connaissais les 3-8, mais je ne connaissais pas les 6-4. C'est le rythme des ouvriers où ils sont obligés de travailler deux matinées, deux après-midi, deux nuits. Ils ont du repos et rebolotent, ils recommencent. Donc leur emploi du temps est complètement erratique en fait. Ils ne travaillent pas les mêmes jours, ils travaillent deux jours, deux nuits. Donc ce sont des gens qui ont un rythme vraiment éreintant. François Ruffin est bien accueilli. J'entends autour de la tablée certains qui disent tu verras, il sera candidat de la gauche Un cercle se constitue très rapidement autour de lui, il prend des notes. Mais ce qui est intéressant, c'est un ouvrier qui écoute d'une oreille attentive mais qui n'est pas exactement dans le groupe. Je le repère et à l'issue de la discussion, je vais le voir. Il s'appelle Cyril. C'est un opérateur de ligne. Lui, il conditionne les produits sur la ligne de l'usine. Et il m'explique qu'il aime bien François Ruffin, il reconnaît que c'est chouette qu'un député vienne les voir, s'intéresse à leur combat, mais qu'il ne votera pas pour lui. Il me fait comprendre qu'il va voter Bardella, le candidat du Rassemblement national, parce qu'il trouve que la gauche, elle sert les assistés. Qu'elle n'écoute pas les ouvriers comme lui, qui se lève tôt le matin, et une de ses phrases c'est de dire que lui, une fois qu'il a fait le plein de gazole pour aller travailler, il gagne moins que le gars qui est au RSA. Et ça, on sent bien que c'est vraiment une problématique de fond dans cette population ouvrière qui manifeste ce jour-là. Il dit, finalement, le Rassemblement National, il s'intéresse à nous, il s'intéresse à ceux qui travaillent, et on n'a jamais essayé, donc moi, je préfère voter pour le RN. Assez vite, je comprends qu'il y a effectivement un duel sous les radars entre ce député de gauche, François Ruffin, et le député du Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy. Tanguy, lui aussi, d'une certaine façon, il s'adresse à une forme de ras-le-bol, de ressentiment, mais dans des contextes assez différents. Quand je vais le suivre sur le terrain, je choisis d'aller écouter une réunion publique de personnes qui sont contre les éoliennes. J'arrive alors là dans un paysage qui est complètement différent de celui d'Amiens-Nord, vraiment dans la campagne Picarde. Il faut imaginer des champs à perte de vue, un plat pays, et puis tout d'un coup, des éoliennes, des éoliennes, des éoliennes, partout qui s'érigent. C'est vraiment frappant. Alors quand j'arrive dans ce petit village du plateau Picard, la première chose qui m'interpelle, c'est le nombre de voitures. On est vraiment dans un endroit paumé et autour de la salle des fêtes de ce petit village de 1000 habitants, il y a peut-être 70 voitures qui sont garées en plein après-midi. On est un vendredi et je me dis, là, il se passe quelque chose. Quand je rentre, le député est déjà arrivé et autour de lui, il a un cercle de personnes qui sont là, à peu près 70-80, et qui viennent lui expliquer leur exaspération par rapport à ces éoliennes qu'il voit pousser au bout de leur propriété. Alors là, on n'est pas dans la même sociologie évidemment que celle que Ruffin a l'habitude de voir. Là, Jean-Philippe Tanguil est plutôt face à des artisans, des agriculteurs, des propriétaires terriens plus ou moins fortunés, qui sont donc exaspérés de voir se développer. tous ces champs d'éoliennes. Alors du coup, l'ambiance, c'est un espèce de mélange. entre l'exaspération des gens, les témoignages, le fait qu'ils ne peuvent pas dormir, que même les troupeaux, visiblement, sont affectés par la présence des éoliennes, des témoignages assez forts. Et en même temps, ce qui est très frappant dans La Réunion, c'est que Jean-Philippe Tanguy, il la joue vraiment profil-mou. Il écoute, il est discret, il est sérieux. Et quand il prend la parole, c'est vraiment pour donner des chiffres sur les éoliennes, pour montrer qu'il a travaillé ses dossiers. Et l'autre dimension qui est très frappante aussi, c'est qu'il y a cette écoute, mais il y a aussi une manière d'épouser le ressentiment des gens qui sont là. Très vite, la discussion part autour de ces écolos qui ne comprennent pas le fait qu'il y a une pensée unique, que les habitants qui sont là, ce sont eux les vrais écologistes, alors qu'ils sont souvent vécus comme des opposants à la transition écologique, alors qu'en fait, c'est eux qui connaissent les paysages. C'est eux qui les préservent et que les éoliennes sont une forme de prédation sur leur mode de vie. Et je me souviens de témoignages, notamment de la responsable de l'association qui avait organisé la réunion, qui dit mais nous, en fait, il faut bien comprendre, on n'en peut plus Ce qui est intéressant, c'est que dans ce duel sous les radars que je suis en train de voir se dessiner, le ressentiment est très présent, mais dans des populations assez différentes. D'un côté, chez les ouvriers de cette usine que j'avais vu rassembler autour de Ruffin et qui lui parlaient de leurs difficultés, on se sent tout petit vis-à-vis des puissants. Alors les puissants là, c'est les patrons de l'usine, c'est les patrons du CAC 40, c'est tous ceux qui mènent la danse. Et du côté de la réunion des éoliennes, c'est un petit peu le même sentiment, Qu'on est démuni, qu'on est impuissant face à ceux qui ont le pouvoir. Et là, ceux qui ont le pouvoir, ce sont les industriels de l'éolien, les politiques qui ne les écoutent pas à Paris. Pendant une année, je vais retourner régulièrement dans la Somme, dans le sillage de ces deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, en essayant à chaque fois de voir des aspects différents de leur travail et de cette politique qui se noue au plus près des Français. Alors bien sûr, quand on fait ça, on voit la stratégie, on voit la tactique des politiques, mais en fait on voit aussi la sincérité des politiques. Il faut quand même aimer ça, pour passer des heures et des heures sur le terrain, même si on a une ambition nationale, écouter les gens. Et ça m'a vraiment frappée des deux côtés, à la fois de l'insoumis François Ruffin et du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Par exemple, dans les permanences des députés, comme j'ai vu dans celle de Jean-Philippe Tanguy, dans la petite ville de Corbie, par exemple. Il faut quand même imaginer qu'il passe des heures sur les dossiers de Français qui arrivent avec des dossiers énormes. Notamment, je me souviens d'un monsieur venu avec son dossier de retraite, ou plutôt le dossier de retraite de sa femme, qui touchait une toute petite retraite parce qu'elle s'était arrêtée de travailler pour élever ses enfants. Et il ne comprenait pas pourquoi elle touchait aussi peu. Et il y avait des papiers dans tous les sens de différentes caisses de retraite. Et je voyais Jean-Philippe Tanguy, qui était vraiment la tête entre les mains, en train d'essayer de comprendre les chiffres, leur cohérence. Il a bien passé 45 minutes sur un seul dossier, avec un monsieur qui, même si sa situation n'a pas forcément été résolue, mais qui était reparti un peu reboosté en se disant bon ben, au moins on m'a écouté Et quand je l'ai rappelé après cette permanence, pour avoir son avis sur ce qui s'était passé, il m'a dit ben vous savez, moi, la politique, franchement, j'y croyais plus du tout Mais là, avec Jean-Philippe Tanguy... Eh bien, ça me redonne de l'espoir parce qu'il fait son travail. Et cette sincérité, cet effort, en tout cas, ce temps passé auprès des Français, je l'ai aussi vu chez François Ruffin, lui, plutôt quand il va au pied des immeubles. Par exemple, toutes les fins de printemps, il fait ce qu'il appelle son députour, le tour du député, et il passe trois jours à aller voir toutes sortes de gens qui sont très, très loin de la politique en réalité, qui ne savent même pas exactement qui il est, pour le coup. Je me souviens d'un jeune garçon qui m'a dit Mais c'est M. Raffarin qui est là ? Alors je dis Non, M. Ruffin. Il dit Ah oui, M. Ruffin, il est de quelle partie déjà ? Voilà, ce sont des populations qui sont quand même très éloignées de la politique. Et François Ruffin, il vient les écouter, il s'assoit à leur table, il y a toujours un barbecue, un petit café qui est distribué. Et pendant des heures, les gens lui racontent leur situation, leurs difficultés, les difficultés du travail. Donc je retrouve aussi, comme avec Philippe Tanguy, cette attention à la parole des Français. Pour un journaliste, c'est très intéressant de passer du temps également au pied des immeubles, auprès de ces populations qui sont très éloignées des politiques mais aussi des médias. Et notamment, je me souviens par exemple de Myriam, qui était une femme d'une cinquantaine d'années à Amiens Sud, qui était venue là parce qu'il y avait le barbecue au bas de son immeuble avec l'association Picardie Debout, qui soutient Ruffin. Alors elle, elle a huit enfants, elle fait du ménage dans les usines, elle est divorcée, elle n'a pas de voiture. Et donc en fait, elle passe plus de temps dans les bus à essayer d'aller faire des heures extrêmement fragmentées dans telle et telle usine du département qu'auprès de ses enfants. Et puis en discutant avec elle, je me tourne et puis je vois qu'il y a Teddy, son fils, enfin un de ses fils, qui lui a une vingtaine d'années, qui a envie de faire sa vie en fait, qui a envie de partir de chez lui. Et puis sa mère, elle aimerait bien aussi qu'il parte parce que huit enfants dans un appartement HLM, c'est compliqué. En fait Teddy, il a juste un contrat aidé de quelques heures, il gagne à peu près 500 euros par mois, donc il ne peut pas faire sa vie en fait. Et c'est assez émouvant de l'entendre m'expliquer ça, c'est-à-dire que le travail ne lui fait pas peur, il a envie de faire sa vie et en fait la société ne lui fait pas de place. Une fois que Ruffin a discuté avec les habitants qui sont là, souvent il prend le micro et il commence à relayer ce qu'il a entendu auprès de toutes les personnes qui sont réunies autour du barbecue et du barnum. Et il leur explique les difficultés du travail. Et en fait, il essaye de problématiser et de politiser ce qu'il a entendu auprès de Myriam, de Teddy. Et il en fait un discours politique. Ça, c'est sa manière de se servir de ce qu'il entend sur le terrain, de s'en nourrir. pour ensuite les porter au niveau de la politique nationale. La difficulté dans ce genre de reportage, c'est qu'on a une matière énorme. Au bout d'un an, on a assisté à énormément de scènes, on a été dans des contextes différents, on a vu les députés dans toutes sortes de situations, mais il faut trouver un fil rouge, il faut savoir comment est-ce qu'on va raconter toute cette histoire. Parce qu'il y a deux risques en fait. Le premier, c'est que ça tourne en rond, qu'on raconte des anecdotes assez sympathiques, des scénettes avec le politique, mais qu'on finisse par se dire, on en reste à l'anecdote. L'autre difficulté dans un sujet politique comme celui-là, c'est de garder la bonne distance. Ni trop près, ni trop loin des deux politiques que je suis. Il ne s'agit ni de les dénigrer, ni d'épouser leur combat. Il faut à chaque fois trouver cette espèce de bonne distance et de ligne de crête qui doit bien sûr se retrouver à l'écriture. Donc mon idée, ça a été de tirer le fil de la reconquête de l'électorat populaire. Parce que c'est leur enjeu à tous les deux. Ce sont deux stratèges qui ont de l'ambition, qui travaillent le terrain. Et en même temps, ils ont des problématiques et des enjeux différents. François Ruffin, lui, il est convaincu qu'on peut reconquérir l'électorat populaire par le travail, sur des terres qui ont longtemps été acquises à la gauche et qui, peu à peu, rejoignent le Rassemblement national. Il considère qu'on peut reconquérir cet électorat par l'effort, la fierté du travail, la dignité du travail. Donc, il mène sa politique de terrain de cette façon-là. Jean-Philippe Tanguy, lui, il s'adresse aussi à l'électorat populaire, mais son enjeu à lui, il est très différent. Lui, il surfe plutôt sur la vague, il est plutôt en terrain conquis, surtout dans cette circonscription de la Somme. En revanche, il doit montrer qu'il est capable et que son parti est capable de mener à bien une politique nationale. Et on le voit également dans sa manière de faire de la politique qui est très tournée autour de je travaille, je vous écoute, je suis qualifiée notamment sur des sujets qui ne sont pas les sujets auxquels on pense immédiatement pour le Rassemblement national, comme l'immigration ou la sécurité. Mais il parle aussi beaucoup d'économie, de budget, d'impôts, de politique publique, pour montrer que le Rassemblement national a toutes les cartes en main pour mener une politique nationale. Une des leçons que je tire de ce reportage, c'est que décidément, le temps long, c'est toujours payant. Le fait de passer des heures, des jours, à des moments différents, auprès de personnages comme ces deux figures montantes de la politique, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, c'est une manière à la fois de mieux comprendre le pays, de mieux comprendre comment se noue la relation politique, et également, bien sûr, de mieux saisir ces personnages. Et d'une certaine manière, on touche à l'intimité aussi de ces personnalités. Ce qui m'a frappée, c'est de voir une similitude sur ces épisodes dépressifs que l'un et l'autre peuvent connaître. Une fois dans le train, dans le TER pour Amiens, je me souviens que François Ruffin me parlait beaucoup de la France dépressive, de la façon dont il voulait transformer le ressentiment en espoir. Et puis, il a laissé échapper que ce n'était pas un hasard s'il parlait de la France dépressive, que ça faisait sûrement miroir à certaines de ses émotions. Et puis, un jour autour d'un déjeuner, Jean-Philippe Tanguy, de la même façon, il m'a fait comprendre qu'il était parfois sujet à des passages à vide et que c'est pour ça qu'il avait tendance à suragir et à s'agiter pour reprendre ses mots. L'intimité, c'est ça. C'est aussi de voir que François Ruffin met vraiment un point d'honneur à mettre de la joie en politique. Quand je suis allée écouter ses voeux dans la ville d'Abbeville, il avait fait venir une fanfare, il avait organisé une tombola. C'était vraiment joyeux avec les militants et je me suis vraiment fait la réflexion que la politique, elle avait besoin de ça aussi. Et de la même façon, quand Jean-Philippe Tanguy, on le voit dans des moments un peu de coulisses, il peut passer d'un plateau de télé sur BFM où il est le matin, il prend son TER pour Amiens, et puis il arrive dans un EHPAD, et là il y a forcément une attitude complètement différente, un espèce de mélange de proximité et d'empathie avec les gens qu'on ne voit pas quand on ne passe pas un certain temps avec lui. Donc au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique aux Français, mais aussi du rapport que les Français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général. Et puis bien sûr, ça a confirmé que ce sont deux figures nationales qui se nourrissent de ce qu'ils peuvent recueillir sur le terrain pour servir leur propre destin à partir de projets politiques évidemment radicalement différents. On peut faire le pari que ces deux figures-là, on va en entendre parler dans la perspective de 2027.

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L’envers du récit, saison 6, épisode 28.


Marine Lamoureux est journaliste à "La Croix l’Hebdo". Pendant douze mois, de la Réforme des retraites aux élections européennes, elle a sillonné le département de la Somme aux côtés de deux députés élus sur ce territoire : François Ruffin, de La France Insoumise (LFI) et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement national (RN). Au fil de leurs déplacements et des rencontres avec les habitants, elle a observé comment ces deux hommes politiques, aux idées radicalement différentes, tentent de convaincre les classes populaires.


► Retrouvez le récit de Marine Lamoureux dans "La Croix L'Hebdo" :

https://www.la-croix.com/france/francois-ruffin-jean-philippe-tanguy-dans-la-somme-la-bataille-pour-l-electorat-populaire-20240424


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu et Bruno Bouvet. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Juin 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique, on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique au français, mais aussi du rapport que les français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général.

  • Speaker #1

    Pendant un an, elle s'est rendue dans la Somme, où elle a suivi le quotidien de deux députés, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Avec eux, elle a sillonné le département à la rencontre des habitants, et elle a observé comment ces deux élus s'y prenaient pour conquérir l'électorat populaire. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'Envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Marine Lamoureux, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo, où je suis les sujets de société et de politique. Pendant un an, j'ai suivi deux députés, deux figures montantes de la politique en France, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Et je les ai suivis là où ils sont élus, dans la Somme. En fait, je voulais comprendre, au plus près du terrain, ce que les Français attendent de leur politique, quelles sont les stratégies aussi des partis, au deux bouts de l'échiquier, à gauche et à l'extrême droite. Alors le point de départ, ce sont les législatives de 2022. C'est quand même des élections assez atypiques, d'abord parce qu'elles n'ont pas donné de majorité au président de la République. Donc on sentait bien au journal que ça allait ouvrir une ère politique particulière, avec un nouveau rôle pour les oppositions. Et puis bien sûr, c'est l'arrivée d'un nombre inédit de députés du RN à l'Assemblée, 88, ce qui est quand même une déflagration. Donc assez vite, on se dit que c'est intéressant d'explorer la figure du député et aussi l'état du pays à l'issue de ces élections. Et la meilleure façon, c'est d'aller sur le terrain, de prendre le temps et de peut-être se focaliser sur un département. Et assez vite, la somme s'est imposée pour plusieurs raisons. D'abord parce que c'est le département dont est originaire le chef de l'État, Emmanuel Macron. Et ensuite, parce qu'il y a dans ce département deux figures montantes qui sont intéressantes à suivre dans leur rapport à l'électorat populaire. Le premier, c'est François Ruffin, qui est député de la première circonscription. Et le deuxième, c'est Jean-Philippe Tanguy, qui est élu de la quatrième. Alors, François Ruffin, on le connaît. C'est un député de la France insoumise et qui a été élu pour la deuxième fois en 2022, sous l'étiquette également de l'Union des Gauches. C'est un ancien journaliste, un ancien réalisateur aussi. On se souvient de films comme Merci Patron, par exemple. Et surtout, c'est une figure des mouvements sociaux, comme Nuit Debout, c'est un trublion. Il aime provoquer, il est déjà médiatique. En face, Jean-Philippe Tanguy, lui, il est moins connu, mais c'est clairement une figure montante du Rassemblement national. Il a fait ses armes auprès du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Et puis finalement, en 2020, il rejoint le Rassemblement national et il devient un de ses députés. Il fait donc son premier mandat dans une circonscription qui est moins urbaine que celle de Ruffin, plus rurale, plus dans les confins de la Picardie. Et ce qui est intéressant, c'est que tous les deux ont de l'ambition. Ce sont deux travailleurs, deux stratèges. plutôt doués, mais bien sûr dans des registres différents et avec des enjeux différents. Pour François Ruffin, la reconquête de l'électorat, elle passe par le travail. Alors que Tanguy, lui, il a vraiment pour but de crédibiliser le Rassemblement national sur le terrain. Le RN, je le rappelle, c'est l'héritier du Front national, un parti d'extrême droite qui par le passé a eu des positions révisionnistes, antisémites. Mais ce qui est vraiment frappant dans la somme, c'est qu'on n'en est plus à la phase de dédiabolisation. L'enjeu pour Tanguy, c'est la crédibilité. Lui, ce qu'il veut, c'est montrer. que le RN peut faire le job. Quand le sujet a été validé à la rédaction, je me suis lancée, j'ai appelé les équipes, d'un côté celle de François Ruffin, de l'autre celle de Jean-Philippe Tanguy, pour leur expliquer mon projet. Ils étaient d'accord. Tout l'enjeu ensuite, c'était qu'ils me préviennent quand il y avait des déplacements intéressants en circonscription, soit auprès d'élus locaux par exemple, d'associations, pour que je puisse commencer à partir sur le terrain. Un matin, c'était au printemps 2023, je reçois un coup de fil du collaborateur de François Ruffin, Dimitri Bourrier, qui me dit François Ruffin va aller sur un piqué de grève à Amiens Nord, si vous voulez venir, c'est maintenant, dans deux heures il y est. Alors moi, à ce moment-là, je suis à Paris. Il se trouve que je suis dans une classe de CM1 pour parler du métier de journaliste. Donc dès que la petite séance est terminée, je prends mes affaires et je file vers la gare du Nord. Ce qui est bien, c'est que Amiens, c'est assez facile, c'est en grosso modo une heure de Paris. Donc quand j'arrive à Amiens, je grimpe dans la voiture du collaborateur, Dimitri, avec François Ruffin, et nous voilà partis au nord de l'agglomération, vers une usine où a lieu le piquet de grève. Il faut bien imaginer que Amiens-Nord, c'est un peu l'envers du décor de la mondialisation. C'est un lieu d'entrepôt, de plateforme logistique. Il y a tous ces métiers qui finalement permettent à la mondialisation d'avoir lieu, où sont acheminés les produits du monde entier. Bien sûr, la Picardie a été très marquée par la désindustrialisation dans les années 70, notamment du textile, mais il reste des usines, et là notamment, une usine d'acide aminé pour l'alimentation animale et la pharmacie. Quand j'arrive, on a... Un piqué de grève, des ouvriers qui sont autour de grandes tablées, ça discute, tout de suite François Ruffin est reconnu. Évidemment, on le connaît bien dans sa circonscription et on le connaît bien dans les milieux de gauche. Il est plutôt bien accueilli et en même temps, assez vite, quand la discussion se noue, on sent vraiment un énorme ras-le-bol. Et en fait, tous ces ouvriers qui sont réunis, ils aiment leur travail, mais ils ont vraiment le sentiment que les conditions ne cessent de se dégrader. C'est ce qu'ils racontent aux députés. Il lui raconte qu'ils avaient des acquis sociaux qui sont en train d'être rognés. Il lui raconte aussi quelque chose que moi je ne connaissais pas. Je connaissais les 3-8, mais je ne connaissais pas les 6-4. C'est le rythme des ouvriers où ils sont obligés de travailler deux matinées, deux après-midi, deux nuits. Ils ont du repos et rebolotent, ils recommencent. Donc leur emploi du temps est complètement erratique en fait. Ils ne travaillent pas les mêmes jours, ils travaillent deux jours, deux nuits. Donc ce sont des gens qui ont un rythme vraiment éreintant. François Ruffin est bien accueilli. J'entends autour de la tablée certains qui disent tu verras, il sera candidat de la gauche Un cercle se constitue très rapidement autour de lui, il prend des notes. Mais ce qui est intéressant, c'est un ouvrier qui écoute d'une oreille attentive mais qui n'est pas exactement dans le groupe. Je le repère et à l'issue de la discussion, je vais le voir. Il s'appelle Cyril. C'est un opérateur de ligne. Lui, il conditionne les produits sur la ligne de l'usine. Et il m'explique qu'il aime bien François Ruffin, il reconnaît que c'est chouette qu'un député vienne les voir, s'intéresse à leur combat, mais qu'il ne votera pas pour lui. Il me fait comprendre qu'il va voter Bardella, le candidat du Rassemblement national, parce qu'il trouve que la gauche, elle sert les assistés. Qu'elle n'écoute pas les ouvriers comme lui, qui se lève tôt le matin, et une de ses phrases c'est de dire que lui, une fois qu'il a fait le plein de gazole pour aller travailler, il gagne moins que le gars qui est au RSA. Et ça, on sent bien que c'est vraiment une problématique de fond dans cette population ouvrière qui manifeste ce jour-là. Il dit, finalement, le Rassemblement National, il s'intéresse à nous, il s'intéresse à ceux qui travaillent, et on n'a jamais essayé, donc moi, je préfère voter pour le RN. Assez vite, je comprends qu'il y a effectivement un duel sous les radars entre ce député de gauche, François Ruffin, et le député du Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy. Tanguy, lui aussi, d'une certaine façon, il s'adresse à une forme de ras-le-bol, de ressentiment, mais dans des contextes assez différents. Quand je vais le suivre sur le terrain, je choisis d'aller écouter une réunion publique de personnes qui sont contre les éoliennes. J'arrive alors là dans un paysage qui est complètement différent de celui d'Amiens-Nord, vraiment dans la campagne Picarde. Il faut imaginer des champs à perte de vue, un plat pays, et puis tout d'un coup, des éoliennes, des éoliennes, des éoliennes, partout qui s'érigent. C'est vraiment frappant. Alors quand j'arrive dans ce petit village du plateau Picard, la première chose qui m'interpelle, c'est le nombre de voitures. On est vraiment dans un endroit paumé et autour de la salle des fêtes de ce petit village de 1000 habitants, il y a peut-être 70 voitures qui sont garées en plein après-midi. On est un vendredi et je me dis, là, il se passe quelque chose. Quand je rentre, le député est déjà arrivé et autour de lui, il a un cercle de personnes qui sont là, à peu près 70-80, et qui viennent lui expliquer leur exaspération par rapport à ces éoliennes qu'il voit pousser au bout de leur propriété. Alors là, on n'est pas dans la même sociologie évidemment que celle que Ruffin a l'habitude de voir. Là, Jean-Philippe Tanguil est plutôt face à des artisans, des agriculteurs, des propriétaires terriens plus ou moins fortunés, qui sont donc exaspérés de voir se développer. tous ces champs d'éoliennes. Alors du coup, l'ambiance, c'est un espèce de mélange. entre l'exaspération des gens, les témoignages, le fait qu'ils ne peuvent pas dormir, que même les troupeaux, visiblement, sont affectés par la présence des éoliennes, des témoignages assez forts. Et en même temps, ce qui est très frappant dans La Réunion, c'est que Jean-Philippe Tanguy, il la joue vraiment profil-mou. Il écoute, il est discret, il est sérieux. Et quand il prend la parole, c'est vraiment pour donner des chiffres sur les éoliennes, pour montrer qu'il a travaillé ses dossiers. Et l'autre dimension qui est très frappante aussi, c'est qu'il y a cette écoute, mais il y a aussi une manière d'épouser le ressentiment des gens qui sont là. Très vite, la discussion part autour de ces écolos qui ne comprennent pas le fait qu'il y a une pensée unique, que les habitants qui sont là, ce sont eux les vrais écologistes, alors qu'ils sont souvent vécus comme des opposants à la transition écologique, alors qu'en fait, c'est eux qui connaissent les paysages. C'est eux qui les préservent et que les éoliennes sont une forme de prédation sur leur mode de vie. Et je me souviens de témoignages, notamment de la responsable de l'association qui avait organisé la réunion, qui dit mais nous, en fait, il faut bien comprendre, on n'en peut plus Ce qui est intéressant, c'est que dans ce duel sous les radars que je suis en train de voir se dessiner, le ressentiment est très présent, mais dans des populations assez différentes. D'un côté, chez les ouvriers de cette usine que j'avais vu rassembler autour de Ruffin et qui lui parlaient de leurs difficultés, on se sent tout petit vis-à-vis des puissants. Alors les puissants là, c'est les patrons de l'usine, c'est les patrons du CAC 40, c'est tous ceux qui mènent la danse. Et du côté de la réunion des éoliennes, c'est un petit peu le même sentiment, Qu'on est démuni, qu'on est impuissant face à ceux qui ont le pouvoir. Et là, ceux qui ont le pouvoir, ce sont les industriels de l'éolien, les politiques qui ne les écoutent pas à Paris. Pendant une année, je vais retourner régulièrement dans la Somme, dans le sillage de ces deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, en essayant à chaque fois de voir des aspects différents de leur travail et de cette politique qui se noue au plus près des Français. Alors bien sûr, quand on fait ça, on voit la stratégie, on voit la tactique des politiques, mais en fait on voit aussi la sincérité des politiques. Il faut quand même aimer ça, pour passer des heures et des heures sur le terrain, même si on a une ambition nationale, écouter les gens. Et ça m'a vraiment frappée des deux côtés, à la fois de l'insoumis François Ruffin et du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Par exemple, dans les permanences des députés, comme j'ai vu dans celle de Jean-Philippe Tanguy, dans la petite ville de Corbie, par exemple. Il faut quand même imaginer qu'il passe des heures sur les dossiers de Français qui arrivent avec des dossiers énormes. Notamment, je me souviens d'un monsieur venu avec son dossier de retraite, ou plutôt le dossier de retraite de sa femme, qui touchait une toute petite retraite parce qu'elle s'était arrêtée de travailler pour élever ses enfants. Et il ne comprenait pas pourquoi elle touchait aussi peu. Et il y avait des papiers dans tous les sens de différentes caisses de retraite. Et je voyais Jean-Philippe Tanguy, qui était vraiment la tête entre les mains, en train d'essayer de comprendre les chiffres, leur cohérence. Il a bien passé 45 minutes sur un seul dossier, avec un monsieur qui, même si sa situation n'a pas forcément été résolue, mais qui était reparti un peu reboosté en se disant bon ben, au moins on m'a écouté Et quand je l'ai rappelé après cette permanence, pour avoir son avis sur ce qui s'était passé, il m'a dit ben vous savez, moi, la politique, franchement, j'y croyais plus du tout Mais là, avec Jean-Philippe Tanguy... Eh bien, ça me redonne de l'espoir parce qu'il fait son travail. Et cette sincérité, cet effort, en tout cas, ce temps passé auprès des Français, je l'ai aussi vu chez François Ruffin, lui, plutôt quand il va au pied des immeubles. Par exemple, toutes les fins de printemps, il fait ce qu'il appelle son députour, le tour du député, et il passe trois jours à aller voir toutes sortes de gens qui sont très, très loin de la politique en réalité, qui ne savent même pas exactement qui il est, pour le coup. Je me souviens d'un jeune garçon qui m'a dit Mais c'est M. Raffarin qui est là ? Alors je dis Non, M. Ruffin. Il dit Ah oui, M. Ruffin, il est de quelle partie déjà ? Voilà, ce sont des populations qui sont quand même très éloignées de la politique. Et François Ruffin, il vient les écouter, il s'assoit à leur table, il y a toujours un barbecue, un petit café qui est distribué. Et pendant des heures, les gens lui racontent leur situation, leurs difficultés, les difficultés du travail. Donc je retrouve aussi, comme avec Philippe Tanguy, cette attention à la parole des Français. Pour un journaliste, c'est très intéressant de passer du temps également au pied des immeubles, auprès de ces populations qui sont très éloignées des politiques mais aussi des médias. Et notamment, je me souviens par exemple de Myriam, qui était une femme d'une cinquantaine d'années à Amiens Sud, qui était venue là parce qu'il y avait le barbecue au bas de son immeuble avec l'association Picardie Debout, qui soutient Ruffin. Alors elle, elle a huit enfants, elle fait du ménage dans les usines, elle est divorcée, elle n'a pas de voiture. Et donc en fait, elle passe plus de temps dans les bus à essayer d'aller faire des heures extrêmement fragmentées dans telle et telle usine du département qu'auprès de ses enfants. Et puis en discutant avec elle, je me tourne et puis je vois qu'il y a Teddy, son fils, enfin un de ses fils, qui lui a une vingtaine d'années, qui a envie de faire sa vie en fait, qui a envie de partir de chez lui. Et puis sa mère, elle aimerait bien aussi qu'il parte parce que huit enfants dans un appartement HLM, c'est compliqué. En fait Teddy, il a juste un contrat aidé de quelques heures, il gagne à peu près 500 euros par mois, donc il ne peut pas faire sa vie en fait. Et c'est assez émouvant de l'entendre m'expliquer ça, c'est-à-dire que le travail ne lui fait pas peur, il a envie de faire sa vie et en fait la société ne lui fait pas de place. Une fois que Ruffin a discuté avec les habitants qui sont là, souvent il prend le micro et il commence à relayer ce qu'il a entendu auprès de toutes les personnes qui sont réunies autour du barbecue et du barnum. Et il leur explique les difficultés du travail. Et en fait, il essaye de problématiser et de politiser ce qu'il a entendu auprès de Myriam, de Teddy. Et il en fait un discours politique. Ça, c'est sa manière de se servir de ce qu'il entend sur le terrain, de s'en nourrir. pour ensuite les porter au niveau de la politique nationale. La difficulté dans ce genre de reportage, c'est qu'on a une matière énorme. Au bout d'un an, on a assisté à énormément de scènes, on a été dans des contextes différents, on a vu les députés dans toutes sortes de situations, mais il faut trouver un fil rouge, il faut savoir comment est-ce qu'on va raconter toute cette histoire. Parce qu'il y a deux risques en fait. Le premier, c'est que ça tourne en rond, qu'on raconte des anecdotes assez sympathiques, des scénettes avec le politique, mais qu'on finisse par se dire, on en reste à l'anecdote. L'autre difficulté dans un sujet politique comme celui-là, c'est de garder la bonne distance. Ni trop près, ni trop loin des deux politiques que je suis. Il ne s'agit ni de les dénigrer, ni d'épouser leur combat. Il faut à chaque fois trouver cette espèce de bonne distance et de ligne de crête qui doit bien sûr se retrouver à l'écriture. Donc mon idée, ça a été de tirer le fil de la reconquête de l'électorat populaire. Parce que c'est leur enjeu à tous les deux. Ce sont deux stratèges qui ont de l'ambition, qui travaillent le terrain. Et en même temps, ils ont des problématiques et des enjeux différents. François Ruffin, lui, il est convaincu qu'on peut reconquérir l'électorat populaire par le travail, sur des terres qui ont longtemps été acquises à la gauche et qui, peu à peu, rejoignent le Rassemblement national. Il considère qu'on peut reconquérir cet électorat par l'effort, la fierté du travail, la dignité du travail. Donc, il mène sa politique de terrain de cette façon-là. Jean-Philippe Tanguy, lui, il s'adresse aussi à l'électorat populaire, mais son enjeu à lui, il est très différent. Lui, il surfe plutôt sur la vague, il est plutôt en terrain conquis, surtout dans cette circonscription de la Somme. En revanche, il doit montrer qu'il est capable et que son parti est capable de mener à bien une politique nationale. Et on le voit également dans sa manière de faire de la politique qui est très tournée autour de je travaille, je vous écoute, je suis qualifiée notamment sur des sujets qui ne sont pas les sujets auxquels on pense immédiatement pour le Rassemblement national, comme l'immigration ou la sécurité. Mais il parle aussi beaucoup d'économie, de budget, d'impôts, de politique publique, pour montrer que le Rassemblement national a toutes les cartes en main pour mener une politique nationale. Une des leçons que je tire de ce reportage, c'est que décidément, le temps long, c'est toujours payant. Le fait de passer des heures, des jours, à des moments différents, auprès de personnages comme ces deux figures montantes de la politique, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, c'est une manière à la fois de mieux comprendre le pays, de mieux comprendre comment se noue la relation politique, et également, bien sûr, de mieux saisir ces personnages. Et d'une certaine manière, on touche à l'intimité aussi de ces personnalités. Ce qui m'a frappée, c'est de voir une similitude sur ces épisodes dépressifs que l'un et l'autre peuvent connaître. Une fois dans le train, dans le TER pour Amiens, je me souviens que François Ruffin me parlait beaucoup de la France dépressive, de la façon dont il voulait transformer le ressentiment en espoir. Et puis, il a laissé échapper que ce n'était pas un hasard s'il parlait de la France dépressive, que ça faisait sûrement miroir à certaines de ses émotions. Et puis, un jour autour d'un déjeuner, Jean-Philippe Tanguy, de la même façon, il m'a fait comprendre qu'il était parfois sujet à des passages à vide et que c'est pour ça qu'il avait tendance à suragir et à s'agiter pour reprendre ses mots. L'intimité, c'est ça. C'est aussi de voir que François Ruffin met vraiment un point d'honneur à mettre de la joie en politique. Quand je suis allée écouter ses voeux dans la ville d'Abbeville, il avait fait venir une fanfare, il avait organisé une tombola. C'était vraiment joyeux avec les militants et je me suis vraiment fait la réflexion que la politique, elle avait besoin de ça aussi. Et de la même façon, quand Jean-Philippe Tanguy, on le voit dans des moments un peu de coulisses, il peut passer d'un plateau de télé sur BFM où il est le matin, il prend son TER pour Amiens, et puis il arrive dans un EHPAD, et là il y a forcément une attitude complètement différente, un espèce de mélange de proximité et d'empathie avec les gens qu'on ne voit pas quand on ne passe pas un certain temps avec lui. Donc au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique aux Français, mais aussi du rapport que les Français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général. Et puis bien sûr, ça a confirmé que ce sont deux figures nationales qui se nourrissent de ce qu'ils peuvent recueillir sur le terrain pour servir leur propre destin à partir de projets politiques évidemment radicalement différents. On peut faire le pari que ces deux figures-là, on va en entendre parler dans la perspective de 2027.

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 28.


Marine Lamoureux est journaliste à "La Croix l’Hebdo". Pendant douze mois, de la Réforme des retraites aux élections européennes, elle a sillonné le département de la Somme aux côtés de deux députés élus sur ce territoire : François Ruffin, de La France Insoumise (LFI) et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement national (RN). Au fil de leurs déplacements et des rencontres avec les habitants, elle a observé comment ces deux hommes politiques, aux idées radicalement différentes, tentent de convaincre les classes populaires.


► Retrouvez le récit de Marine Lamoureux dans "La Croix L'Hebdo" :

https://www.la-croix.com/france/francois-ruffin-jean-philippe-tanguy-dans-la-somme-la-bataille-pour-l-electorat-populaire-20240424


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu et Bruno Bouvet. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Juin 2024


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique, on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique au français, mais aussi du rapport que les français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général.

  • Speaker #1

    Pendant un an, elle s'est rendue dans la Somme, où elle a suivi le quotidien de deux députés, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Avec eux, elle a sillonné le département à la rencontre des habitants, et elle a observé comment ces deux élus s'y prenaient pour conquérir l'électorat populaire. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'Envers du récit.

  • Speaker #0

    Je m'appelle Marine Lamoureux, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo, où je suis les sujets de société et de politique. Pendant un an, j'ai suivi deux députés, deux figures montantes de la politique en France, François Ruffin, de la France Insoumise, et Jean-Philippe Tanguy, du Rassemblement National. Et je les ai suivis là où ils sont élus, dans la Somme. En fait, je voulais comprendre, au plus près du terrain, ce que les Français attendent de leur politique, quelles sont les stratégies aussi des partis, au deux bouts de l'échiquier, à gauche et à l'extrême droite. Alors le point de départ, ce sont les législatives de 2022. C'est quand même des élections assez atypiques, d'abord parce qu'elles n'ont pas donné de majorité au président de la République. Donc on sentait bien au journal que ça allait ouvrir une ère politique particulière, avec un nouveau rôle pour les oppositions. Et puis bien sûr, c'est l'arrivée d'un nombre inédit de députés du RN à l'Assemblée, 88, ce qui est quand même une déflagration. Donc assez vite, on se dit que c'est intéressant d'explorer la figure du député et aussi l'état du pays à l'issue de ces élections. Et la meilleure façon, c'est d'aller sur le terrain, de prendre le temps et de peut-être se focaliser sur un département. Et assez vite, la somme s'est imposée pour plusieurs raisons. D'abord parce que c'est le département dont est originaire le chef de l'État, Emmanuel Macron. Et ensuite, parce qu'il y a dans ce département deux figures montantes qui sont intéressantes à suivre dans leur rapport à l'électorat populaire. Le premier, c'est François Ruffin, qui est député de la première circonscription. Et le deuxième, c'est Jean-Philippe Tanguy, qui est élu de la quatrième. Alors, François Ruffin, on le connaît. C'est un député de la France insoumise et qui a été élu pour la deuxième fois en 2022, sous l'étiquette également de l'Union des Gauches. C'est un ancien journaliste, un ancien réalisateur aussi. On se souvient de films comme Merci Patron, par exemple. Et surtout, c'est une figure des mouvements sociaux, comme Nuit Debout, c'est un trublion. Il aime provoquer, il est déjà médiatique. En face, Jean-Philippe Tanguy, lui, il est moins connu, mais c'est clairement une figure montante du Rassemblement national. Il a fait ses armes auprès du souverainiste Nicolas Dupont-Aignan. Et puis finalement, en 2020, il rejoint le Rassemblement national et il devient un de ses députés. Il fait donc son premier mandat dans une circonscription qui est moins urbaine que celle de Ruffin, plus rurale, plus dans les confins de la Picardie. Et ce qui est intéressant, c'est que tous les deux ont de l'ambition. Ce sont deux travailleurs, deux stratèges. plutôt doués, mais bien sûr dans des registres différents et avec des enjeux différents. Pour François Ruffin, la reconquête de l'électorat, elle passe par le travail. Alors que Tanguy, lui, il a vraiment pour but de crédibiliser le Rassemblement national sur le terrain. Le RN, je le rappelle, c'est l'héritier du Front national, un parti d'extrême droite qui par le passé a eu des positions révisionnistes, antisémites. Mais ce qui est vraiment frappant dans la somme, c'est qu'on n'en est plus à la phase de dédiabolisation. L'enjeu pour Tanguy, c'est la crédibilité. Lui, ce qu'il veut, c'est montrer. que le RN peut faire le job. Quand le sujet a été validé à la rédaction, je me suis lancée, j'ai appelé les équipes, d'un côté celle de François Ruffin, de l'autre celle de Jean-Philippe Tanguy, pour leur expliquer mon projet. Ils étaient d'accord. Tout l'enjeu ensuite, c'était qu'ils me préviennent quand il y avait des déplacements intéressants en circonscription, soit auprès d'élus locaux par exemple, d'associations, pour que je puisse commencer à partir sur le terrain. Un matin, c'était au printemps 2023, je reçois un coup de fil du collaborateur de François Ruffin, Dimitri Bourrier, qui me dit François Ruffin va aller sur un piqué de grève à Amiens Nord, si vous voulez venir, c'est maintenant, dans deux heures il y est. Alors moi, à ce moment-là, je suis à Paris. Il se trouve que je suis dans une classe de CM1 pour parler du métier de journaliste. Donc dès que la petite séance est terminée, je prends mes affaires et je file vers la gare du Nord. Ce qui est bien, c'est que Amiens, c'est assez facile, c'est en grosso modo une heure de Paris. Donc quand j'arrive à Amiens, je grimpe dans la voiture du collaborateur, Dimitri, avec François Ruffin, et nous voilà partis au nord de l'agglomération, vers une usine où a lieu le piquet de grève. Il faut bien imaginer que Amiens-Nord, c'est un peu l'envers du décor de la mondialisation. C'est un lieu d'entrepôt, de plateforme logistique. Il y a tous ces métiers qui finalement permettent à la mondialisation d'avoir lieu, où sont acheminés les produits du monde entier. Bien sûr, la Picardie a été très marquée par la désindustrialisation dans les années 70, notamment du textile, mais il reste des usines, et là notamment, une usine d'acide aminé pour l'alimentation animale et la pharmacie. Quand j'arrive, on a... Un piqué de grève, des ouvriers qui sont autour de grandes tablées, ça discute, tout de suite François Ruffin est reconnu. Évidemment, on le connaît bien dans sa circonscription et on le connaît bien dans les milieux de gauche. Il est plutôt bien accueilli et en même temps, assez vite, quand la discussion se noue, on sent vraiment un énorme ras-le-bol. Et en fait, tous ces ouvriers qui sont réunis, ils aiment leur travail, mais ils ont vraiment le sentiment que les conditions ne cessent de se dégrader. C'est ce qu'ils racontent aux députés. Il lui raconte qu'ils avaient des acquis sociaux qui sont en train d'être rognés. Il lui raconte aussi quelque chose que moi je ne connaissais pas. Je connaissais les 3-8, mais je ne connaissais pas les 6-4. C'est le rythme des ouvriers où ils sont obligés de travailler deux matinées, deux après-midi, deux nuits. Ils ont du repos et rebolotent, ils recommencent. Donc leur emploi du temps est complètement erratique en fait. Ils ne travaillent pas les mêmes jours, ils travaillent deux jours, deux nuits. Donc ce sont des gens qui ont un rythme vraiment éreintant. François Ruffin est bien accueilli. J'entends autour de la tablée certains qui disent tu verras, il sera candidat de la gauche Un cercle se constitue très rapidement autour de lui, il prend des notes. Mais ce qui est intéressant, c'est un ouvrier qui écoute d'une oreille attentive mais qui n'est pas exactement dans le groupe. Je le repère et à l'issue de la discussion, je vais le voir. Il s'appelle Cyril. C'est un opérateur de ligne. Lui, il conditionne les produits sur la ligne de l'usine. Et il m'explique qu'il aime bien François Ruffin, il reconnaît que c'est chouette qu'un député vienne les voir, s'intéresse à leur combat, mais qu'il ne votera pas pour lui. Il me fait comprendre qu'il va voter Bardella, le candidat du Rassemblement national, parce qu'il trouve que la gauche, elle sert les assistés. Qu'elle n'écoute pas les ouvriers comme lui, qui se lève tôt le matin, et une de ses phrases c'est de dire que lui, une fois qu'il a fait le plein de gazole pour aller travailler, il gagne moins que le gars qui est au RSA. Et ça, on sent bien que c'est vraiment une problématique de fond dans cette population ouvrière qui manifeste ce jour-là. Il dit, finalement, le Rassemblement National, il s'intéresse à nous, il s'intéresse à ceux qui travaillent, et on n'a jamais essayé, donc moi, je préfère voter pour le RN. Assez vite, je comprends qu'il y a effectivement un duel sous les radars entre ce député de gauche, François Ruffin, et le député du Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy. Tanguy, lui aussi, d'une certaine façon, il s'adresse à une forme de ras-le-bol, de ressentiment, mais dans des contextes assez différents. Quand je vais le suivre sur le terrain, je choisis d'aller écouter une réunion publique de personnes qui sont contre les éoliennes. J'arrive alors là dans un paysage qui est complètement différent de celui d'Amiens-Nord, vraiment dans la campagne Picarde. Il faut imaginer des champs à perte de vue, un plat pays, et puis tout d'un coup, des éoliennes, des éoliennes, des éoliennes, partout qui s'érigent. C'est vraiment frappant. Alors quand j'arrive dans ce petit village du plateau Picard, la première chose qui m'interpelle, c'est le nombre de voitures. On est vraiment dans un endroit paumé et autour de la salle des fêtes de ce petit village de 1000 habitants, il y a peut-être 70 voitures qui sont garées en plein après-midi. On est un vendredi et je me dis, là, il se passe quelque chose. Quand je rentre, le député est déjà arrivé et autour de lui, il a un cercle de personnes qui sont là, à peu près 70-80, et qui viennent lui expliquer leur exaspération par rapport à ces éoliennes qu'il voit pousser au bout de leur propriété. Alors là, on n'est pas dans la même sociologie évidemment que celle que Ruffin a l'habitude de voir. Là, Jean-Philippe Tanguil est plutôt face à des artisans, des agriculteurs, des propriétaires terriens plus ou moins fortunés, qui sont donc exaspérés de voir se développer. tous ces champs d'éoliennes. Alors du coup, l'ambiance, c'est un espèce de mélange. entre l'exaspération des gens, les témoignages, le fait qu'ils ne peuvent pas dormir, que même les troupeaux, visiblement, sont affectés par la présence des éoliennes, des témoignages assez forts. Et en même temps, ce qui est très frappant dans La Réunion, c'est que Jean-Philippe Tanguy, il la joue vraiment profil-mou. Il écoute, il est discret, il est sérieux. Et quand il prend la parole, c'est vraiment pour donner des chiffres sur les éoliennes, pour montrer qu'il a travaillé ses dossiers. Et l'autre dimension qui est très frappante aussi, c'est qu'il y a cette écoute, mais il y a aussi une manière d'épouser le ressentiment des gens qui sont là. Très vite, la discussion part autour de ces écolos qui ne comprennent pas le fait qu'il y a une pensée unique, que les habitants qui sont là, ce sont eux les vrais écologistes, alors qu'ils sont souvent vécus comme des opposants à la transition écologique, alors qu'en fait, c'est eux qui connaissent les paysages. C'est eux qui les préservent et que les éoliennes sont une forme de prédation sur leur mode de vie. Et je me souviens de témoignages, notamment de la responsable de l'association qui avait organisé la réunion, qui dit mais nous, en fait, il faut bien comprendre, on n'en peut plus Ce qui est intéressant, c'est que dans ce duel sous les radars que je suis en train de voir se dessiner, le ressentiment est très présent, mais dans des populations assez différentes. D'un côté, chez les ouvriers de cette usine que j'avais vu rassembler autour de Ruffin et qui lui parlaient de leurs difficultés, on se sent tout petit vis-à-vis des puissants. Alors les puissants là, c'est les patrons de l'usine, c'est les patrons du CAC 40, c'est tous ceux qui mènent la danse. Et du côté de la réunion des éoliennes, c'est un petit peu le même sentiment, Qu'on est démuni, qu'on est impuissant face à ceux qui ont le pouvoir. Et là, ceux qui ont le pouvoir, ce sont les industriels de l'éolien, les politiques qui ne les écoutent pas à Paris. Pendant une année, je vais retourner régulièrement dans la Somme, dans le sillage de ces deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, en essayant à chaque fois de voir des aspects différents de leur travail et de cette politique qui se noue au plus près des Français. Alors bien sûr, quand on fait ça, on voit la stratégie, on voit la tactique des politiques, mais en fait on voit aussi la sincérité des politiques. Il faut quand même aimer ça, pour passer des heures et des heures sur le terrain, même si on a une ambition nationale, écouter les gens. Et ça m'a vraiment frappée des deux côtés, à la fois de l'insoumis François Ruffin et du Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Par exemple, dans les permanences des députés, comme j'ai vu dans celle de Jean-Philippe Tanguy, dans la petite ville de Corbie, par exemple. Il faut quand même imaginer qu'il passe des heures sur les dossiers de Français qui arrivent avec des dossiers énormes. Notamment, je me souviens d'un monsieur venu avec son dossier de retraite, ou plutôt le dossier de retraite de sa femme, qui touchait une toute petite retraite parce qu'elle s'était arrêtée de travailler pour élever ses enfants. Et il ne comprenait pas pourquoi elle touchait aussi peu. Et il y avait des papiers dans tous les sens de différentes caisses de retraite. Et je voyais Jean-Philippe Tanguy, qui était vraiment la tête entre les mains, en train d'essayer de comprendre les chiffres, leur cohérence. Il a bien passé 45 minutes sur un seul dossier, avec un monsieur qui, même si sa situation n'a pas forcément été résolue, mais qui était reparti un peu reboosté en se disant bon ben, au moins on m'a écouté Et quand je l'ai rappelé après cette permanence, pour avoir son avis sur ce qui s'était passé, il m'a dit ben vous savez, moi, la politique, franchement, j'y croyais plus du tout Mais là, avec Jean-Philippe Tanguy... Eh bien, ça me redonne de l'espoir parce qu'il fait son travail. Et cette sincérité, cet effort, en tout cas, ce temps passé auprès des Français, je l'ai aussi vu chez François Ruffin, lui, plutôt quand il va au pied des immeubles. Par exemple, toutes les fins de printemps, il fait ce qu'il appelle son députour, le tour du député, et il passe trois jours à aller voir toutes sortes de gens qui sont très, très loin de la politique en réalité, qui ne savent même pas exactement qui il est, pour le coup. Je me souviens d'un jeune garçon qui m'a dit Mais c'est M. Raffarin qui est là ? Alors je dis Non, M. Ruffin. Il dit Ah oui, M. Ruffin, il est de quelle partie déjà ? Voilà, ce sont des populations qui sont quand même très éloignées de la politique. Et François Ruffin, il vient les écouter, il s'assoit à leur table, il y a toujours un barbecue, un petit café qui est distribué. Et pendant des heures, les gens lui racontent leur situation, leurs difficultés, les difficultés du travail. Donc je retrouve aussi, comme avec Philippe Tanguy, cette attention à la parole des Français. Pour un journaliste, c'est très intéressant de passer du temps également au pied des immeubles, auprès de ces populations qui sont très éloignées des politiques mais aussi des médias. Et notamment, je me souviens par exemple de Myriam, qui était une femme d'une cinquantaine d'années à Amiens Sud, qui était venue là parce qu'il y avait le barbecue au bas de son immeuble avec l'association Picardie Debout, qui soutient Ruffin. Alors elle, elle a huit enfants, elle fait du ménage dans les usines, elle est divorcée, elle n'a pas de voiture. Et donc en fait, elle passe plus de temps dans les bus à essayer d'aller faire des heures extrêmement fragmentées dans telle et telle usine du département qu'auprès de ses enfants. Et puis en discutant avec elle, je me tourne et puis je vois qu'il y a Teddy, son fils, enfin un de ses fils, qui lui a une vingtaine d'années, qui a envie de faire sa vie en fait, qui a envie de partir de chez lui. Et puis sa mère, elle aimerait bien aussi qu'il parte parce que huit enfants dans un appartement HLM, c'est compliqué. En fait Teddy, il a juste un contrat aidé de quelques heures, il gagne à peu près 500 euros par mois, donc il ne peut pas faire sa vie en fait. Et c'est assez émouvant de l'entendre m'expliquer ça, c'est-à-dire que le travail ne lui fait pas peur, il a envie de faire sa vie et en fait la société ne lui fait pas de place. Une fois que Ruffin a discuté avec les habitants qui sont là, souvent il prend le micro et il commence à relayer ce qu'il a entendu auprès de toutes les personnes qui sont réunies autour du barbecue et du barnum. Et il leur explique les difficultés du travail. Et en fait, il essaye de problématiser et de politiser ce qu'il a entendu auprès de Myriam, de Teddy. Et il en fait un discours politique. Ça, c'est sa manière de se servir de ce qu'il entend sur le terrain, de s'en nourrir. pour ensuite les porter au niveau de la politique nationale. La difficulté dans ce genre de reportage, c'est qu'on a une matière énorme. Au bout d'un an, on a assisté à énormément de scènes, on a été dans des contextes différents, on a vu les députés dans toutes sortes de situations, mais il faut trouver un fil rouge, il faut savoir comment est-ce qu'on va raconter toute cette histoire. Parce qu'il y a deux risques en fait. Le premier, c'est que ça tourne en rond, qu'on raconte des anecdotes assez sympathiques, des scénettes avec le politique, mais qu'on finisse par se dire, on en reste à l'anecdote. L'autre difficulté dans un sujet politique comme celui-là, c'est de garder la bonne distance. Ni trop près, ni trop loin des deux politiques que je suis. Il ne s'agit ni de les dénigrer, ni d'épouser leur combat. Il faut à chaque fois trouver cette espèce de bonne distance et de ligne de crête qui doit bien sûr se retrouver à l'écriture. Donc mon idée, ça a été de tirer le fil de la reconquête de l'électorat populaire. Parce que c'est leur enjeu à tous les deux. Ce sont deux stratèges qui ont de l'ambition, qui travaillent le terrain. Et en même temps, ils ont des problématiques et des enjeux différents. François Ruffin, lui, il est convaincu qu'on peut reconquérir l'électorat populaire par le travail, sur des terres qui ont longtemps été acquises à la gauche et qui, peu à peu, rejoignent le Rassemblement national. Il considère qu'on peut reconquérir cet électorat par l'effort, la fierté du travail, la dignité du travail. Donc, il mène sa politique de terrain de cette façon-là. Jean-Philippe Tanguy, lui, il s'adresse aussi à l'électorat populaire, mais son enjeu à lui, il est très différent. Lui, il surfe plutôt sur la vague, il est plutôt en terrain conquis, surtout dans cette circonscription de la Somme. En revanche, il doit montrer qu'il est capable et que son parti est capable de mener à bien une politique nationale. Et on le voit également dans sa manière de faire de la politique qui est très tournée autour de je travaille, je vous écoute, je suis qualifiée notamment sur des sujets qui ne sont pas les sujets auxquels on pense immédiatement pour le Rassemblement national, comme l'immigration ou la sécurité. Mais il parle aussi beaucoup d'économie, de budget, d'impôts, de politique publique, pour montrer que le Rassemblement national a toutes les cartes en main pour mener une politique nationale. Une des leçons que je tire de ce reportage, c'est que décidément, le temps long, c'est toujours payant. Le fait de passer des heures, des jours, à des moments différents, auprès de personnages comme ces deux figures montantes de la politique, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, c'est une manière à la fois de mieux comprendre le pays, de mieux comprendre comment se noue la relation politique, et également, bien sûr, de mieux saisir ces personnages. Et d'une certaine manière, on touche à l'intimité aussi de ces personnalités. Ce qui m'a frappée, c'est de voir une similitude sur ces épisodes dépressifs que l'un et l'autre peuvent connaître. Une fois dans le train, dans le TER pour Amiens, je me souviens que François Ruffin me parlait beaucoup de la France dépressive, de la façon dont il voulait transformer le ressentiment en espoir. Et puis, il a laissé échapper que ce n'était pas un hasard s'il parlait de la France dépressive, que ça faisait sûrement miroir à certaines de ses émotions. Et puis, un jour autour d'un déjeuner, Jean-Philippe Tanguy, de la même façon, il m'a fait comprendre qu'il était parfois sujet à des passages à vide et que c'est pour ça qu'il avait tendance à suragir et à s'agiter pour reprendre ses mots. L'intimité, c'est ça. C'est aussi de voir que François Ruffin met vraiment un point d'honneur à mettre de la joie en politique. Quand je suis allée écouter ses voeux dans la ville d'Abbeville, il avait fait venir une fanfare, il avait organisé une tombola. C'était vraiment joyeux avec les militants et je me suis vraiment fait la réflexion que la politique, elle avait besoin de ça aussi. Et de la même façon, quand Jean-Philippe Tanguy, on le voit dans des moments un peu de coulisses, il peut passer d'un plateau de télé sur BFM où il est le matin, il prend son TER pour Amiens, et puis il arrive dans un EHPAD, et là il y a forcément une attitude complètement différente, un espèce de mélange de proximité et d'empathie avec les gens qu'on ne voit pas quand on ne passe pas un certain temps avec lui. Donc au bout d'un an de reportage, l'intuition de départ s'est confirmée qu'en suivant deux députés, François Ruffin et Jean-Philippe Tanguy, que du point de vue journalistique on aurait une matière très riche pour appréhender de manière fine la relation du politique aux Français, mais aussi du rapport que les Français ont vis-à-vis de leurs élus et de la politique en général. Et puis bien sûr, ça a confirmé que ce sont deux figures nationales qui se nourrissent de ce qu'ils peuvent recueillir sur le terrain pour servir leur propre destin à partir de projets politiques évidemment radicalement différents. On peut faire le pari que ces deux figures-là, on va en entendre parler dans la perspective de 2027.

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