Speaker #1 Sophie HutinJe suis Sophie Hutin, artiste au sein de La Marcheuse, compagnie d'art vivant francilienne qui met le mouvement au cœur de ses créations, comme de son action sociale, et je partage sur ce podcast des réflexions poétiques sur nos corps, nos gestes et nos mots du quotidien. La Marcheuse est un podcast publié tous les jeudis. Abonnez-vous sur la plateforme de votre choix pour être notifié des nouveaux épisodes chaque semaine. Et si vous l'aimez, la meilleure manière de le soutenir est de laisser un avis, ou 5 étoiles. Cela permettra à d'autres personnes de le découvrir. Si vous nous rejoignez à cet épisode 14, pour cette nouvelle saison 2020-2021, bienvenue. Cet épisode a été enregistré en confinement, depuis un studio éphémère, logé dans ma penderie. par conséquent merci de votre indulgence concernant sa qualité sonore attendre le retour de la joie Le podcast est demeuré silencieux pendant tout le premier confinement du printemps 2020, puis pendant l'été qui a suivi. Comme beaucoup, je suis restée longtemps sidérée, brutalement séparée, coupée des reliés de tout ce qui faisait mes petites joies et mes petites préoccupations. Les personnes que nous accompagnons à travers notre compagnie théâtrale, à Paris notamment, hommes réfugiés ou demandeurs d'asile, femmes immigrées, enfants de l'Est parisien, puis du jour au lendemain, ils et elles se sont trouvés éloignés. La seule priorité étant de les protéger, les abriter, les nourrir. Et cela était essentiel. Les seules activités physiques proposées par visioconférence étaient alors envisagées sous l'angle exclusif de la santé physique ou mentale. Je ne voulais pas en parler. Je ne voulais pas parler tout court, attendant éperdument le retour de sources d'émerveillement à partager avec vous. Sans voix donc, pour ce qui n'est pas de la joie. Mais puis-je encore attendre ? Les mots frétillent, se pressent, ils n'ont pas d'émotion. Ils sont une promesse pour l'aube, la promesse de l'aube. Notre art théâtral est soudain médiatiquement apparu et raconté comme vain, inutile. Plus largement, la disqualification des arts collectifs a été d'une violence dont je ne reviens toujours pas. Comme s'il fallait justifier la distanciation physique imposée par une négation supplémentaire, à savoir la négation de tout processus poétique collectif. On se croirait chez Platon, pour lequel l'art théâtral fait partie des illusions de la caverne, qui empêche la population de vaquer aux choses sérieuses, réelles, adultes de la cité en pleine lumière. Et non, petit prince, ce n'est pas sérieux, la guerre des moutons et des fleurs. Moi-même, je n'ai pu relire pendant les deux mois du premier confinement que quelques poésies, des fragments littéraires que je connaissais déjà et dont j'avais besoin, comme un aliment brut avalé sur le moment, sans grande capacité d'articulation mentale. J'ai vite détourné le regard des journaux littéraires de confinement qui m'ont émergé comme des champignons, et de leurs tilleuls centenaires contemplés en soupirant, et de leurs jardins dans lesquels certaines et certains décrivaient les tentatives de jardinage, les glissades de toboggans, les promenades, leurs promenades. Je ne voulais pas ressentir ce qui m'a brûlé alors, un immense sentiment d'injustice, sans coupable désignable, et qu'il a fallu juguler. parce que tant de gens souffraient et ou travaillaient sans relâche. Le virus n'enlève pas que la sensation du goût et de l'odorat, sa présence latente autour de nous, coupe, coupe du goût des belles choses, comme un deuil au sel de la vie qui n'en finirait pas. Il a aussi fallu exécuter mon immense colère. Après la fermeture des théâtres, puis l'annulation des festivals d'été, le deuxième confinement d'automne-hiver est un coup de massue supplémentaire pour toutes et tous ces professionnels de la proximité joyeuse. c'est aussi la disparition à moyen terme de nombre de petites compagnies théâtrales de spectacles vivants qui se profilent autant de paroles singulières qui pourront peut-être aller vers la fiction radiophonique ou vers des paroles individuelles via l'écriture Je n'ai en revanche que peu de regrets pour les grandes messes esthétiques, des théâtres nationaux ou des opéras. J'ai trop faim d'art pour me sustenter de leurs cocktails. Il reste certes le happening dans l'espace public, l'irruption soudaine du poétique dans le quotidien d'une rue. Ce que les arts de la rue d'ailleurs ont compris depuis près de 50 ans. La sortie du rituel hors de la boîte noire du théâtre, hors de la grande église silencieuse et obscure. Cependant, dans ma rue, ici et encore ici, dans un ici qui ne semble plus jamais promis à se transformer, Je ne peux m'empêcher de sentir mon masque autrement que comme un bâillon. Je ne peux m'empêcher de regarder mes doigts couper d'un rapport sensible, curieux et enfantin au monde, autrement qu'amputé. Depuis le premier déconfinement, je fais du vélo comme une forcenée pour m'empêcher d'attarder mon regard sur ces ombres que je croise. Anonyme, si lointaine, si seule, ces ombres me sont en train de me faire un peu de mal. Les ombres dont je fais partie. Au bois cependant, des visages nus, au fer souriant, des cris d'enfants, des promesses de sandwich partagées. Mais sommes-nous encore des sujets dans l'espace public de nos villes ? J'attends tout autant que pendant le premier confinement. Malaisse, c'est juste un peu détendu. L'autre est un peu moins long. J'attends que ça craque. Le miracle d'un reflux du virus. J'attends de la poudre de perlimpinpin. N'importe quoi qui permette de recréer des enclaves utopiques sensibles, des rituels collectifs, sans lesquels la vie en société n'a plus de sens. J'attends, je serre les dents. J'attends, j'écris des poèmes. En espérant que cet épisode ait produit une résonance en vous, je vous remercie beaucoup pour votre écoute. Et vous, comment vivez-vous cette attente, dans le confinement comme hors confinement ? Vous pourrez retrouver cet épisode ainsi que tous les autres à venir sur lamarcheuse.fr slash podcast. Abonnez-vous au podcast La Marcheuse sur la plateforme de votre choix. N'oubliez pas d'y laisser votre avis, merci. N'hésitez pas à partager ce podcast et à suivre son actualité sur les réseaux sociaux sous l'identifiant Asso La Marcheuse en un seul mot. Merci et à jeudi prochain pour reprendre le fil de nos rêveries.