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La Nuit Des Gens

Nuit avec un reporter à Mossoul

Nuit avec un reporter à Mossoul

34min |24/05/2024
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Nuit avec un reporter à Mossoul

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34min |24/05/2024
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Description

Que se passe-t-il vraiment dans une ville marquée par la guerre, où la nuit révèle des histoires insoupçonnées ? Dans cet épisode captivant de "La Nuit Des Gens", Axelle s'entretient avec Baptiste Des Montiers, un grand reporter qui nous plonge au cœur de Mossoul, en Irak. Baptiste partage son expérience unique d'une nuit dans cette ville emblématique, où les cicatrices de la guerre coexistent avec une résilience palpable.

Au fil de la conversation, Baptiste nous décrit un Mossoul en pleine renaissance. Pendant la journée, il arpente les ruines de la vieille ville, témoin des destructions infligées par le conflit et de l'ombre de Daesh qui plane encore. Mais lorsque le soleil se couche, à sa grande surprise la ville se transforme.

Écoutez "La Nuit Des Gens" et laissez-vous transporter par la magie de ce récits authentiques.


Si vous souhaitez vous aussi partager avec nous une de vos nuits, envoyez nous un mail à axelle.rey@lndg.fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, c'est Axelle, et avec La Nuit des gens, je vous emmène à travers des témoignages découvrir des destins uniques et particuliers nés dans l'étrangeté de la nuit. Bonsoir, ce soir je suis avec Baptiste. Baptiste, je te laisse te présenter.

  • Speaker #1

    Bonsoir, donc je m'appelle Baptiste, Baptiste Desmontiers, je suis journaliste, je suis grand reporter, j'ai 42 ans et je suis père de deux petites filles.

  • Speaker #0

    Alors ce soir, t'as une nuit... Un peu particulière, tu as vécu dans le cadre de ton travail ? Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Oui, effectivement. Je vais vous raconter l'histoire d'une nuit que j'ai passée à Mossoul, en Irak. C'est une ville que tout le monde connaît pour avoir été l'épicentre d'une guerre et le siège de Daesh. En tout cas, c'était la ville qui a vu naître l'État islamique. Et en reportage, j'ai découvert une nuit à Mossoul et j'étais loin d'imaginer que... Le contraste pouvait être si intéressant et important entre le jour et la nuit.

  • Speaker #0

    C'était en quelle année ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'était en 2018 ou 2019. Il n'y a plus la guerre à proprement parler à Mossoul, la ville est tombée, l'État islamique est parti, on est quand même dans un pays dans lequel c'est encore... très très très tendu c'est très difficile de s'y rendre et oui je vais vous raconter on n'est plus dans les combats mais on est quand même dans une ville qui vient d'être libérée dans laquelle il y a encore potentiellement des zones et des poches de résistance ou en tout cas des poches de combattants de l'état islamique qui peuvent se cacher pas forcément exactement dans Mossoul mais à côté pour vous donner un ordre d'idée je suis journaliste, quand on va sur des terrains comme ça on a du matériel de sécurité, des casques et des gilets pare-balles, ils sont dans la voiture je les porte pas, donc ça raconte quand même que voilà, c'est très cool, très détente y'a pas de soucis, mais il faut faire très attention et surtout, en fait c'est la nuit qui est intéressante donc la nuit que je vais vous raconter elle est inimaginable quand on a vécu la journée que je vais vous raconter En gros, on arrive à Mossoul. Pour rentrer à Mossoul, qui est dans le nord de l'Irak, nous on passe par Erbil. Erbil, c'est le Kurdistan irakien. Donc c'est une zone dans laquelle les Français et les journalistes ont toujours été très très très bienvenus et par laquelle on peut aller jusqu'à Mossoul. Mais bon, c'est une manière de rentrer qui est un peu... Pas très officiel, on devrait rentrer par la capitale. On ne le fait pas, on passe par le nord parce que c'est encore un petit peu compliqué. Il y a encore des poches de résistance, des poches de danger, etc. Mais je vous le redis, il n'y a plus de guerre, il n'y a plus d'échange. Il y a des hommes en armes partout, mais ça ne pète pas.

  • Speaker #0

    Tu es accompagné toi ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr. On est plusieurs. Donc moi, j'arrive d'Airbill. On a une route de 3-4 heures pour aller jusqu'à Mossoul. Je suis avec mon caméraman qui s'appelle Paul Bouffard. A l'époque, je travaillais pour Quotidien. Je suis aussi avec mon fixeur. Un fixeur, c'est une personne qui vous accompagne et qui fait en sorte qu'il ne vous arrive rien et que vous puissiez obtenir les bonnes choses et les bonnes infos. Première chose, quand on va en Irak, moi, je ne parle pas arabe. Donc c'est très compliqué. J'ai besoin d'un traducteur. Mais j'ai besoin de plus que d'un traducteur. j'ai besoin d'un fixeur à qui je vais pouvoir dire tiens ça serait bien qu'on aille interroger tel chef de l'armée est ce que tu sais comment le contacter on arrive en irak il faut les codes et puis c'est aussi celui qui va potentiellement entendre des trucs dans la rue et qui va nous dire faut partir d'accord partir j'ai les oreilles qui donc c'est un c'est un journaliste il s'appelle mando je l'aime beaucoup on est toujours en contact c'est un journaliste c'est un mec très intelligent très habile qui a plein de contacts un fixeur ça peut être un chauffeur de taxi parce qu'il a les clés de la ville Il connaît tout. C'est quelqu'un, en tout cas, qui est sensibilisé à nos besoins, nous, d'occidentaux, de médias français. Il sait que quand on fait une interview, ce n'est pas n'importe qui. Il faut être sérieux, il faut être carré. Il faut bien vérifier que la personne qui nous parle nous dise bien réellement son identité. Donc voilà, il nous protège, il nous aide. Il nous aide à progresser dans un environnement qui n'est pas le nôtre. Et donc, on va partir d'Airbill avec Paul Mando. Il va y avoir aussi le chauffeur. Je ne me souviens plus de son prénom. Et on trace, on trace sur Mossoul, et effectivement, il y a vraiment deux parties dans Mossoul. Il y a Mossoul Est et Mossoul Ouest. C'est Mossoul Ouest qui a été ravagée de mémoire, c'est la vieille ville, la très très vieille ville. Et moi j'arrive là-bas, et plus on rentre dans Mossoul, plus on voit que les combats étaient là. C'est-à-dire qu'on se rend bien compte que les combats étaient là.

  • Speaker #0

    Et du coup, qu'est-ce que tu ressens toi à ce moment-là ? T'as déjà vu d'autres zones comme ça ?

  • Speaker #1

    Ouais, j'ai déjà vu des zones compliquées, des zones de combat ou des zones d'émeute. En fait, c'est en arrivant à Mossoul Ouest que là, moi, je prends une claque. Je prends une claque parce que la vieille ville de Mossoul, il y a même une mosquée dans laquelle avait été proclamé le califat de l'État islamique. Cette ville-là, on l'a vue à la télévision, on l'a vue, revue, mais c'était des combats. Moi, j'arrive, c'est un champ de ruines. Plus un immeuble debout, plus une maison debout. Et Mossoul, c'est une vieille ville, c'est un peu le Marais à Paris. C'est le vieux Mossoul. Donc c'est magnifique. C'est ravagé. C'est ravagé, on circule correctement, il n'y a plus de danger. J'ai toujours vous le dit, le jéparbal est dans la voiture, il est dans le coffre, mais on ne le porte pas. On se promène et on arrive dans une ville où il y a encore des endroits où il ne faut pas aller parce que c'est miné. Il y a encore, pour vous donner un détail un peu sordide, ça sent la mort. Ça sent la mort, clairement. Les combats se sont arrêtés depuis plusieurs mois, mais il y a des cadavres en putréfaction sous les débris. Moi, je fais mon boulot. On va voir cette ville. On essaie de voir, de raconter comment elle se relève ou pas. Et on va passer comme ça une journée, un soleil écrasant, avec les yeux écarquillés, parce que c'est extrêmement surprenant. On imagine, c'est dur d'imaginer la puissance des combats tant qu'on n'y a pas été. Et on se dit, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh. J'ai déjà été dans des endroits où il y avait des combats, je les ai vus. Mais là, c'est ce que vous pouvez... J'imagine que beaucoup de villes en Ukraine aujourd'hui ressemblent à ça. C'est un tapis de pierre. On sent que ça aurait été bombardé. Ce serait pareil. Tout a explosé. Il y a des impacts de balles partout. Tout est pété.

  • Speaker #0

    Vous croisez quand même les habitants ?

  • Speaker #1

    On croise quelques habitants. Parce qu'il n'y a plus grand monde à Mossoul Ouest. Et justement, je vous racontais, pour arriver à Mossoul Ouest, qui est un petit peu sur un petit plateau, il faut traverser Mossoul Est. Dans Mossoul Est, oui. On voit qu'il y a eu des combats, oui, mais la vie, elle a commencé à reprendre. Il y a des voitures dans la rue, il y a des gens qui circulent, il y a des magasins qui sont ouverts. On est dans une ville d'un pays qui a quand même vécu une succession de conflits depuis des années. Quand on est dans Moussoul Est, on ne se dit pas, tiens, il y a 3, 4, 5 mois, 6 mois, ça a défouraillé ici. On se dit, tiens, la vie a repris. Quand vous passez de l'autre côté, c'est tellement dévasté. qu'il n'y a plus personne qui habite là-bas.

  • Speaker #0

    Et comment se fait-il ? Il y a une frontière ?

  • Speaker #1

    Exactement, c'est une très bonne question que tu poses. Il y a un fleuve, on passe un fleuve, le Tigre. Le Tigre qui coupe Mossoul en deux. Le Tigre qui est un très très grand fleuve. Et qui coupe Mossoul en deux. Et il y a, mais en fait, c'est deux zones qui n'ont rien à voir. C'est vraiment... À la limite, je ferais une comparaison, c'est moi qui ai été beaucoup aux Etats-Unis, à la frontière avec le Mexique. c'est la même chose. Quand vous passez des Etats-Unis à El Paso, à Ciudad Juarez, qui est de l'autre côté, vous passez, vous changez d'univers. C'est vraiment l'espace d'un fleuve, parce que là aussi, on traverse une rivière. C'est hallucinant. C'est d'un côté, vous avez des voitures qui roulent. De l'autre côté, il n'y a pas grand monde qui roule. On est dans une ville, donc nous, on se promène. Il y a deux, trois cafés qui sont ouverts dans Mossoul. On les voit. On va dans l'ouest, donc on va boire un thé. On discute avec des gens. Nous, on est là pour raconter un peu comment la ville s'en relève. On va passer une journée comme ça, une journée qui est... qui est un peu riche en émotions parce qu'on va... En fait, il y a des enfants qui sont complètement paumés. C'est une ville qui est détruite et les familles sont détruites. Donc vous avez des hordes d'enfants qui sont des enfants, des orphelins, qui sont là, qui essayent de survivre, de survivre, quand bien que mal. On va finir par rencontrer une famille incroyable qui vit, et je vais vous raconter la nuit parce que ce désert du jour contraste avec l'activité, le... le foisonnement de la nuit. Et c'est in... Mais j'étais inimaginable. Pour moi, ce coucher de soleil, ce qu'il allait révéler. Parce qu'il y a les lumières, etc.

  • Speaker #0

    Et tu penses que c'est dû à quoi ? Pourquoi le jour ?

  • Speaker #1

    Tu vas voir, tu vas voir. Donc déjà, dans le jour, effectivement, on est à Mossoul Ouest. On est à Mossoul Ouest dans le jour, on va voir des enfants dans les rues, beaucoup, beaucoup... Enfin, c'est vraiment... C'est pas beau. C'est une ville qui est ravagée, les gens sont... Enfin voilà, c'est la guerre. Même si elle est terminée, elle est terminée depuis très peu de temps. On va rencontrer la dernière famille qui habite à Mossoul Ouest, dans la vieille ville, qui nous accueille. On va faire un reportage, on est avec des gens qui ont vécu plusieurs années sous le joug de Daesh, des gens qui ont le droit de ressortir, de se reraser la barbe depuis 4-5 mois, des gens qui sont traumatisés, un père de famille avec sa femme et 3 enfants. Je comprends assez vite qu'il y en avait un quatrième et peut-être... Enfin, il y a eu... C'est des gens qui ont vécu la guerre et qui ont vécu la mort.

  • Speaker #0

    Et comment ils vous accueillent, justement ?

  • Speaker #1

    Très gentiment, très simplement. On est des journalistes, ils sont contents de voir des journalistes. Ils sont contents de nous raconter qu'eux ne sont jamais partis. Ils vivent dans une maison qui est à moitié détruite, dans laquelle il y a un pack de roquettes juste au-dessus du patio. c'est un peu comme un Riyad marocain pour la comparaison qui n'a rien à voir mais c'est des maisons qui sont ouvertes par le centre il y a un puits de lumière au milieu ce puits de lumière, on lève les yeux on voit des trous de balles de partout c'est la dernière famille de Mossoul ils sont très gentils, ils nous accueillent très gentiment on va faire un super reportage donc on a une journée comme ça qui est belle, dure, mais émouvante aussi, parce qu'on rencontre des gens qui sourient, qui ont de l'espoir, il y a des odeurs dégueulasses de cadavres en putréfaction, mais on sent que c'est la fin. Et on voit cette ville qui a envie de se relever, mais il n'y a pas d'eau courante, il y a les ONG Solidarité, si je me souviens bien, qui est une ONG spécialisée dans l'eau, qui commence à installer des tuyaux en plastique, tout doucement dans la ville, pour essayer de rétablir un peu d'eau courante. Maintenant, il y a des zones qui sont fermées, ça peut s'effondrer, ça peut péter, il y a des munitions. Oui, si je n'ai pas bien planté le décor, il faut savoir qu'on marche dans une ville où on ne sort pas de la ligne où on nous lit de marcher. Ça peut être miné. A priori, ça a été déminé, mais il peut rester des trucs. Vous avez des balles, vous avez des cartouches d'armes à feu, il y a des grenades par terre qui traînent. C'est encore ça. On sent que ce n'est pas vieux. C'est pas, pour être un peu trivial, il n'y a pas des flaques de sang partout dans la rue, mais c'était deux mois avant, on le sait, ça se voit. Donc c'est une journée forte en émotions. C'est extrêmement beau aussi, parce que ce chaos, il est assez beau, c'est magnifique, vous êtes dans une vieille ville, donc c'est triste et beau à la fois, parce que les maisons qui sont pétées, vous avez des bas-reliefs, vous avez des... C'est très très beau, moi j'ai des photos incroyables, c'était, voilà, imaginez... des combats qu'on réunit dans un vieux village français, et bien voilà, c'est ça Mossoul Ouest, c'est toute petite maison, toutes collées les unes aux autres, historiques, très vieilles, construites les unes sur les autres, tout est ravagé. Et puis le soir, nous on repart en voiture à Mossoul Est, de l'autre côté du Tigre, parce que là où la ville a été épargnée, Daesh n'a pas occupé Mossoul Est, enfin pas entièrement, et du coup la ville a été moins éclatée, moins ravagée, et donc la vie a repris plus vite. Et on a un hôtel. Alors, un hôtel, c'est un bien grand mot. On est dans un hôtel qui est dans une espèce de bâtiment où il y a absolument... Il y a un seul bâtiment qui est encore debout dans l'hôtel. Tous les autres bâtiments sont brûlés, cramés, bombés. La guerre aussi, elle était là. Et voilà, c'est le dernier bâtiment. Notre fixeur nous a dit, je connais une personne qui... Voilà, c'est une safe place. On peut aller dormir là-bas. Parce qu'après, il n'y a pas de problème. On ne va pas se faire kidnapper pendant la nuit. Mais on est des journalistes, on a du matériel. On est très visibles dans un pays... en grande précarité, qui a vécu la guerre, il y a des cibles sur nos fronts potentiellement, donc il faut dormir dans un endroit safe.

  • Speaker #0

    Vous en avez croisé beaucoup des journalistes ?

  • Speaker #1

    À l'époque où on y est, non. Non, non, parce que ça n'intéresse pas forcément les gens, parce que je vous dis, c'est vraiment la fin de la guerre, donc nous on y va justement pour essayer de raconter un peu après. Et donc on va dans cette espèce d'hôtel où c'est bon, c'est bon, c'est dealé, on paye en liquide, c'est comme ça que ça se passe dans les pays, tu payes en dollars. évidemment. On gare la voiture, il fait encore jour, je fais un direct pour la télé, je suis dans un environnement où tout est brûlé, tout est pété, et nous, on a notre bâtiment où il y a de la lumière, de l'eau, voilà, on va dormir, c'est safe, et on sait surtout que on est dans une safe place.

  • Speaker #0

    Quelle heure il est, là ?

  • Speaker #1

    Là, il est... Je ne sais plus avec le décalage horaire, mais écoute, on va dire que c'est entre 17 et 18h. 18h, la nuit tombe assez tôt, de mémoire, là-bas, à cette époque de l'année. On est en septembre, et... Et donc voilà, là, tout d'un coup, on sort de cette ambiance de jour complètement détruite et ravagée, un peu forte en émotions, et surprenante, et belle, et pas stressante, mais on sent quand même que la guerre n'est pas loin, qu'il faut faire attention. Et puis la nuit, là, tout d'un coup, on arrive enfin dans un endroit où on a du Wi-Fi. C'est tout bête, mais un Wi-Fi tout pourri. Mais on est connecté au monde, on est à notre truc, on pose nos affaires, on a nos sacs, on est content. Et avec la nuit qui tombe, donc on est toujours à Mossoul Est. On se dit, on va sortir, on va aller manger un truc. Et en arrivant sur les quais du Tigre, parce qu'en fait, on part à pied, on est vraiment dans... Voilà, le chauffeur, le gars de l'hôtel et notre fixeur qui dort avec nous, nous dit, OK, c'est bon, on peut aller là, ça s'aïe. Pas de problème, vous allez voir, il y a plein de petits restos. Je dis, quoi, il y a plein de petits restos, quoi ? Et en fait, effectivement, on arrive. Et avec la nuit qui est tombée, la physionomie de la ville a totalement changé. Il y a des petites guitounes partout, au bord du Tigre. qui vendent des petites brochettes de viande, de la bouffe, des glaces. Il y a des gens, il y a des gens qui se promènent, il y a des enfants. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais moi j'étais de l'autre côté, à Mossoul Ouest. Je suis passé de manière éphémère, rapidement, pour aller à Mosoul. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais je ne les ai pas vus. Et donc moi, je sors d'un champ de pierres, je pose mon cul à l'hôtel, je me retourne, et là, je vois une vie, des gens qui vivent. Je suis là, mais qu'est-ce que c'est que c'est ? Incroyable ! On va donc aller déjeuner, dîner, pardon, sur le bord du Tigre. Donc, de mémoire, c'est des petites brochettes, des grands pains qu'ils font griller devant nous, etc. C'est, on t'apporte un coca, un Orangina, tout va bien. Et là, on est sur le bord du Tigre, un peu émerveillé avec notre fixeur et Paul, et à se dire, mais qu'est-ce que c'est incroyable. Et en fait, on dîne au bord de l'eau, vraiment au bord de l'eau. C'est comme une pièce de restaurant, les pieds dans l'eau, avec des marches qui descendent dans l'eau. Je lui dis, tiens, c'est bizarre, pourquoi ils foutent des... Et on sent qu'il y a un accès à l'eau. Et de l'autre côté du fleuve, on ne voit rien, c'est tout noir de l'autre côté, parce que c'est Mossoul Ouest, et que Mossoul Ouest, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas d'électricité. Donc vous êtes dans la lumière, de l'autre côté, c'est noir. Vous allez descendre sur l'eau, vous ne comprenez pas pourquoi, il y a une petite île au milieu avec une fête foraine, c'est lunaire. Et en fait, on commence à voir, en mesure qu'on dîne, on voit des bateaux effectivement qui accostent et qui viennent faire tous les petits restaurants comme ça. Il y en a peut-être une vingtaine de restos qui s'enchaînent. Et en fait, ils proposent aux Irakiens, parce qu'il n'y a pas de touristes, une balade en bateau. Et là, moi, je suis avec mon JRI et je me dis, mais putain, moi j'y vais quoi. En fait, je vais faire une balade en bateau. Et en fait, c'est comme, je ne sais pas moi, des balades de touristes sur la Seine. Il y a un décalage hallucinant. Donc, ils ont des lumières sur les bateaux, des espèces de bateaux très puissants, une espèce de speedboat un peu, c'est assez bizarre. C'est une espèce de petite barque, mais ils ont un bon moteur derrière. Un peu comme tu vois certains bateaux en Asie, en Thaïlande, avec le moteur très long derrière, avec un grand bras. Tu vois, c'est des petites bicoques, des petites barques, mais ça trace. Et donc là, l'idée, c'est qu'on vous emmène. Faire un ride un peu rapide. Donc en fait, vous montez, vous payez, vous vous asseyez dans votre petite barque, votre petit fauteuil, et le mec, il fait trois tours et il vous ramène. C'est une attraction. Quand on fait ces trois tours, moi, je vois qu'il y a une fête foraine sur une île, au milieu. Cette image, je la connaissais, je savais qu'il y avait une fête foraine à Mossoul, parce que même pendant la guerre, elle a toujours existé. Elle était fermée, mais elle a toujours existé. Et donc, je me dis, après le dîner, il fait nuit, donc c'est la première immersion dans cette nuit hallucinante. Donc déjà, on se dit, waouh. Mon Dieu, c'est pas possible, je fais mon tour en bateau, je me dis mais quel décalage avec la vie que j'ai vécu aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Et là il fait vraiment nuit ?

  • Speaker #1

    Là il fait nuit noire, il fait nuit noire et c'est vraiment ça parce qu'il fait nuit noire et qu'en fait de moi j'ai des bateaux qui passent avec les lumières, autour de moi j'ai des lumières et de l'autre côté c'est la teinte de nuit noire. Il n'y a pas une lumière, de l'autre côté c'est Mossoul Ouest, il n'y a pas d'électricité, il n'y a rien, la ville elle a été ravagée. Donc une espèce de décalage, donc moi je suis là et je vois des gens en fait qui vivent. C'est des Irakiens, des habitants de Mossoul qui sont en famille, qui vont se faire... Je ne sais pas, peut-être que je suis un samedi soir ou un jeudi soir et que le vendredi... Je ne sais pas. En tout cas, on est dans une activité. Voilà, c'est des familles normales qui revivent après la guerre. On va ensuite aller sur la fête foraine, je vais te raconter.

  • Speaker #0

    Ces familles qui vivent autour de vous, est-ce que quand elles vous voient journalistes, elles viennent vers vous ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui, bien sûr. Déjà parce qu'on n'a pas la même tête. Ensuite parce qu'on a une caméra. parce que même quand on va de bêtise mais je suis pas sûr non non je pense que je dis en fait on laisse jamais la caméra derrière quand on est en reportage donc Paul doit avoir la caméra sur lui et donc bref on va bouffer comme ça dans ce resto on mange bien on est content on souffle moi je fais mon tour en bateau je suis là je redescends de ce bateau je remonte et Paul je dis mais viens il me dit ça me fait peur t'as peut-être raison de pas y être allé je suis là mais je dis il y a la fête foraine là-bas il faut qu'on y aille quoi On y va, alors attention, c'est pas la foire du trône, il n'y a quasiment rien qui fonctionne bien. Mais vous avez, je me souviens de cette image, des gars qui bouffent de la carpe, donc ils coupent des carpes, ils les mettent autour d'un feu, il y a des espèces de stands où tu peux bouffer, deux, trois petits stands de jeux, on n'est pas à la fête foraine, on tire à la carabine et tout, il y a une espèce de petit manège qui tourne, une espèce de grande roue qui doit faire 4 mètres de haut, c'est tout petit quoi. Mais c'est lunaire et on est dans cette ville-là et dans cette nuit qui vit, alors que c'est vraiment la mort de l'autre côté du fleuve.

  • Speaker #0

    Oui, je suppose que là, il y a un peu des rires, c'est le contraste.

  • Speaker #1

    Mais c'est vivant. Là, tu as l'impression d'être, pour ceux qui nous écoutent et qui ont déjà été dans un pays, ça ressemblerait presque à la limite, attention, toute proportion gardée, à la place Gemma Elfna à Marrakech le soir. On est très, très loin de la place Gemma Elfna, mais il y a du folklore local. Il y a de la bouffe locale, il y a des locaux, il n'y a pas de touristes, il n'y a rien, on est seuls. D'ailleurs si, les gens viennent prendre des photos avec nous, etc. Bon, alors déjà là, moi, à ce moment-là, déjà la nuit que je vous raconte, elle est déjà assez, pour moi, assez exceptionnelle. C'est-à-dire que là, je me dis juste déjà, waouh, mon dieu, mon gars, si t'avais imaginé que Mossoul serait comme ça la nuit... déjà tu aurais été rempli et en fait on comprend aussi que c'est des gens qui ont envie de revivre qui ont envie de revivre et quand on a pas grand chose, quand on a vécu avec Daesh à 300 mètres de nous pendant 2 ans ou 3 ans on reprend goût à la vie et les enfants ils sont avec leurs parents et on va manger une petite glace, ça coûte rien du tout une petite glace à l'eau et puis on va aller faire un tour à la fête foraine même si on prend rien, on va se promener moi je vois cette famille incroyable et puis on rentre à l'hôtel ... parce qu'on est crevé, qu'on va se coucher, que le lendemain on a des reportages encore, etc. Et là, il va encore se passer un truc assez incroyable.

  • Speaker #0

    Là, il est quelle heure ?

  • Speaker #1

    Il doit être 22h, peut-être même moins, 21h, 22h, il fait nuit. Il fait nuit depuis 18h, il fait nuit noire, il y a quelques lumières, oui, sur le bord du Tigre, comme je viens de vous raconter, mais entre eux, moi je me souviens, pour sortir de mon hôtel, je traverse un espèce de... c'est nuit noire, on voit rien, on est avec nos téléphones pour éclairer, c'est vraiment des petits îlots de vie au milieu d'une ville déchirée. par la guerre. On va rentrer dans la chambre, chacun sa chambre, avec Paul, il est en fin de chambre, on est sur un petit lit pour vous dire, pour juste qu'on ait le truc, on dort, je me souviens, il n'y a pas de drap, on dort sur une couverture, sur un lit, l'eau, oui il y a une salle de bain avec de l'eau qui coule marron, on s'en fout, on n'est pas là pour le confort, mais on est surtout dans un endroit où on peut... Je pense que c'est à peu près le seul hôtel qui fonctionne à peu près et qui accepte, et surtout dans lequel on est emmené par des gens qui nous disent « C'est bon, ici vous pouvez dormir en toute confiance. » Et on doit faire confiance. On n'a pas le choix de faire confiance, c'est pour ça qu'on travaille avec des fixeurs. Et donc cet hôtel, il est quand même bien claqué. Et puis là, on est pendant la nuit, pendant le soir, il est 22h, 22h30, peut-être même 23h, on entend du boucan au-dessus de nous. Je suis là, mais regarde, je sors, je vais voir Paul, je dis c'est quoi toi aussi, tu les entends les pas au-dessus, c'est pas possible. Il me dit ouais moi je regarde, moi derrière, regarde le parking, c'est un balai de voitures depuis tout à l'heure, il monte par sa fenêtre. Effectivement, une espèce de terrain vague derrière l'hôtel où il y a 50 voitures qui sont garées. Il me dit gars ça fait une heure là, ils arrêtent pas, et lui à ce moment là, Paul il est en train de travailler, parce qu'il doit envoyer les images à Paris, etc. Donc il est en train de bosser, moi je suis en train de bosser à côté, je vais le voir, j'ai dit j'entends des pas au-dessus, il me dit oui mais moi aussi je les entends, et puis il regarde derrière, putain mais là qu'est-ce que c'est que ce bordel quoi. Cinquantaine de voitures garées au milieu de nulle part, dans un terrain vague, derrière notre hôtel, tout est ravagé autour, et j'entends du bruit au-dessus. On m'a dit ça, mec, je veux savoir ce que c'est. Et comme je suis toujours un peu con, un peu curieux et peut-être un peu insouciant, je redescends et je me dis, je vais aller essayer de fouiner, je vais regarder ce que c'est que ce truc, où est-ce qu'ils vont, ces gens, ils sont où ? Et en fait, assez rapidement, j'arrive sur le bord de l'hôtel, et sur le bord, enfin, sur le bâtiment, et là je vois qu'il y a une espèce de porte avec un mec devant. J'arrive, ils ne me demandent absolument rien, ils m'ouvrent la porte et je monte un escalier. Et en fait, effectivement, je vois que je suis en train de monter l'escalier de secours à l'extérieur du bâtiment dans lequel j'ai ma chambre. Et puis en fait, je vais arriver à une autre salle et là, je rentre dans une salle. Et là, odeur, bruit, clope, ça sent la clope, il y a du bruit, il y a du machin, etc. Et je rentre en fait dans un bar clandestin à Mossoul. Et là, j'ai devant moi, c'est glauque. J'ai une espèce de... Imaginez, je pense que ça devait être la salle du petit-déj de l'hôtel à une époque.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est pour vous imaginer, une espèce de grande salle en longueur avec des fenêtres sur les côtés, aucun charme, rien de moche, et des grandes tables alignées, comme dans un réfectoire, les unes derrière les autres. Et il y a une cinquantaine de personnes dans cette pièce, parfois des groupes de deux ou trois, mais la plupart du temps des gens seuls, avec une petite bouteille de whisky, une bière. et ils sont tous en train de picoler tout seuls dans leur coin ou parfois en groupe de 3 ou 4 et donc je suis dans un bar clandestin dans un bar clandestin à Mossoul où Mossoul c'est l'Irak donc ceux qui boivent c'est honteux donc ils se cachent c'est même été interdit à l'époque de Daesh à l'époque de Daesh il ne fallait pas grand chose pour se faire buter et donc je vais me retrouver comme ça dans ce bar et je vais me dire mais ouais mes gars vas-y moi aussi je vais me boire quelques bières et je vais regarder et je suis tout seul parce que je redescends pas voir Paul qui est dans la chambre je me dis non gars t'es ici reste-y regarde ce truc et je me pose et ouais c'est glauque un peu parce qu'on sent quand même des gens qui boivent, qui boivent seuls et qui sont seuls et qui sont tristes.

  • Speaker #0

    Mais ça y'a pas de musique y'a pas de...

  • Speaker #1

    Non non non y'a pas de musique, y'a alors ouais j'aurais peut-être dû essayer de vous raconter à quoi ça ressemble c'est plus de grande salle, y'a comme un espèce de vestiaire à l'entrée qui est le bar en fait y'a rien d'écrit Vous allez voir et vous vous dites, il y a des bières, et il dit, hop, il sort des bières. Il y a des petites bouteilles de whisky, je me souviens, ce qui m'avait frappé, c'est qu'ils ont un format de bouteilles de whisky que j'avais jamais vu. De flash de petites bouteilles, mais pas si petites que ça, que j'ai jamais vu auparavant. Donc voilà, ils boivent des bouteilles de Gibi. Ils se boivent des petites bouteilles de Gibi qui font entre, je ne sais pas, au format d'une canette, un peu plus, comme un flash, mais un peu plus grand. Et ils sont là, ils se picolent ça avec du coca ou des bières. Souvent, ils sont là avec des cigarettes à côté, qu'ils fument, un cendrier plein de clopes et des bouteilles vides à côté. Et donc, c'est des gens qui sont dans la consommation d'alcool. Peut-être pas très gays, peut-être pas très festifs. Mais c'est extrêmement surprenant. Moi je dis souvent ça, en tant que journaliste, il n'y a pas beaucoup de pays dans lesquels je n'ai pas trouvé des gens qui buvaient. Partout. Le seul endroit où je n'ai vraiment pas trouvé une bière à boire, c'est à Gaza. Ça, je n'ai jamais trouvé. Mais même en Irak, même dans des pays en guerre, même dans des pays très compliqués, même dans des pays où la religion l'interdit, on trouve toujours des gens qui boivent. Mais là, ce qui m'impressionne vraiment, c'est cette accumulation de... d'épisodes d'une nuit qui te penche complètement avec ce que j'ai vu pendant la journée.

  • Speaker #0

    Et toi, qu'est-ce que tu ressens en ce moment ? Toi, t'es là, t'es au milieu, tu vois tous ces gens en face de toi. Qu'est-ce qui te traverse la tête ?

  • Speaker #1

    Moi, je me dis quelle vie de merde. Je me dis, ils sont pas heureux ces gens. Je me dis, c'est pas les bars que moi je fréquente, c'est pas des bars où on va rigoler avec des copains, c'est des gens qui viennent boire, qui viennent s'alcooliser. à la fois je suis un peu amusé parce que ça pue l'hypocrisie à 10 km parce que c'est probablement des gens qui vont aller à la mosquée etc mais moi je juge pas du tout je juge pas parce que je me dis mon dieu ces gens ils ont juste vécu l'enfer pendant des années après oui c'est triste, c'est triste c'est de la consommation d'alcool, c'est pas boire un verre comme nous on le dit, là c'est des gens qui vont s'alcooliser, des gens qui sont malheureux, c'est des gens qui c'est triste, c'est triste c'est triste, c'est triste, ça sent la... ça clope, ça parle pas. Je te dis, c'est vraiment, à part peut-être deux groupes qui doivent jouer aux cartes, c'est que des gens qui sont seuls face à leur bouteille. Et qui, à la limite, se regardent pas les uns les autres, parce qu'il faudrait surtout pas porter un regard sur le voisin, parce qu'il fait la même chose que toi, et que tu as pas envie de le mettre mal à l'aise, et puis il y a peut-être même des gens, ça se trouve, qui se connaissent, qui viennent du même quartier, et qui se regardent en se disant, et qui baissent les yeux en se disant, tu dis pas, je dis pas, on s'est pas vus, voilà. Moi, c'est ça que je ressens. Et puis... Et puis je ressens une forme aussi d'émerveillement parce que je me dis, waouh, je suis dans un endroit où il en faut de la chance, où il en faut des coïncidences pour se retrouver dans une histoire comme celle-ci, se retrouver dans un bar à Mossoul, il en faut, tu vois, des occurrences et des coups de chance pour arriver dans cet endroit-là. Je pense que si j'avais voulu faire un reportage sur un truc comme ça, mon fixeur m'aurait dit, c'est introuvable. C'est introuvable. C'est introuvable parce que ça se file sous le manteau, parce que c'est des adresses secrètes, je peux, mais ça va me prendre 3, 4, 5 jours. Et là je tombe dessus. Et là je tombe dessus. Mais de la même manière que si j'avais dit... J'aurais jamais dit, et on a fait un reportage au final, parce qu'on est resté plusieurs jours, on a fait un reportage sur cette fête foraine. On a fait un reportage sur cette fête foraine parce que j'ai découvert qu'elle était là. Même si j'avais entendu parler que j'avais vu des photos pendant la guerre, parce que c'était une photo assez impressionnante, une espèce de grand roue, même si elle est petite avec Mossoul derrière. J'avais vu cette photo dans les banques d'images, mais je n'étais pas parti en me disant tiens on va faire un reportage sur la nouvelle vie, la vie qui reprend à Mossoul, j'étais loin d'imaginer ça.

  • Speaker #0

    Puis je suppose qu'entre le voir en photo et te retrouver au milieu,

  • Speaker #1

    c'est une sensation. Oui, puis surtout moi je l'avais vu en photo comme, tu vois, l'image qu'on a tous peut-être en tête de la fête foraine à Tchernobyl. moi j'avais vu des photos comme ça de cette forêt abandonnée en pleine guerre avec de la poussière partout et des impacts de balles j'avais aucune idée que la vie avait repris à ce point là et même pendant la journée j'avais aucune idée, j'avais pas vu ça donc finalement on a fait un sujet donc en fait c'est parfois la nuit la nuit on se laisse porter on découvre des choses assez folles on découvre aussi que les gens se lâchent plus On découvre que les gens se dévoilent un peu plus. Et là, ils dévoilent une forme de tristesse, de vie brisée, dans laquelle ces gens vont aller s'alcooliser le soir, pas pour rigoler avec des potes, mais juste pour se casser la tête et rentrer dormir. Parce que je pense que sans ça, quand on a vécu à Mossoul et qu'on a peut-être perdu la moitié de sa famille, peut-être toute sa famille... Je pense qu'on n'arrive pas à dormir. Et d'ailleurs, si tu me demandais ce que je ressens, je me dis ça. En les regardant, je me dis combien de ces hommes qui sont là

  • Speaker #0

    ont perdu un membre de leur famille. Probablement tous.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu penses aussi à ta famille en France,

  • Speaker #0

    non ? Non, non, non, non. C'est molle, c'est le mec qui change complètement. Non, rien à foutre. Non, non, non, non, je ne pense pas à ma famille en France parce que... c'est des choses qui n'ont rien à voir parce que je ne suis pas en danger quand je fais ça, donc à la limite oui potentiellement en tant que journaliste ou pilote de course ou policier quand tu as un moment dans ta vie ou t'es en danger, ou n'importe qui, ou toi qui traverses la route, et tu te dis, j'ai failli me faire écraser, oui, tu penses à ta famille en disant, mon Dieu, mais là, moi, je pense pas à ma famille. Je pense pas à ma famille, je pense à la chance que mes filles ont d'être nées en France quand je suis dans la maison à Mossoulou. ouest et qu'il y a un petit garçon qui a l'âge de mes enfants et là ça me serre le coeur mais quand je suis avec des Irakiens qui sont en train de se Ausha la gueule le soir je suis plutôt non je suis plutôt en observation je me dis wow wow pas facile

  • Speaker #1

    Et là du coup comment se termine cette nuit parce que finalement t'es obligé de les laisser ? Tu restes avec eux jusqu'au matin ?

  • Speaker #0

    Non, non, non, c'est que j'ai du boulot. Je pense qu'à un moment je me dis j'ai ce que je suis venu chercher. parce que moi aussi je suis content, après cette journée, de me coller 2-3 bières dans la gueule pour parler clairement. Et donc je pense que je dois boire mes 2-3 bières, fumer une ou deux clopes, je regarde ça, je suis hyper étonné, puis je redescends, je vais voir Paul qui doit dormir, et je lui dis mec il y a un bar au-dessus, c'est la luge, je viens de passer trois quarts d'heure là-haut, c'est waouh. Et puis on va se coucher. Et le lendemain, le soleil s'est relevé. Donc tous les alentours de l'hôtel que j'avais vu remplis de bagnoles, c'est un terrain vague. Mon hôtel extérieur, l'extérieur de l'hôtel que j'ai traversé, il y a à nouveau toutes les images que je ne voyais plus la nuit. C'est-à-dire que je vois que les bâtiments sont brûlés, qu'il y a des impacts de balles partout. je repasse en bagnole le long du Tigre il n'y a plus les lumières les guittounes sont toutes fermées les barques sont rangées les gens sont moins dehors ils sont au boulot peut-être mais je retrouve le Mossoul éteint que j'avais laissé la veille au soir à la tombée de la nuit et je repars dans Mossoul Ouest je ne sais plus ce qu'on a fait mais je crois qu'après on est allé faire un reportage je crois que que le lendemain justement je suis allé dans un ancien palais de Saddam Hussein où l'armée avait établi son état-major pour aller demander des autorisations de circuler

  • Speaker #1

    Et là le lendemain, quand tu sais comment c'était la nuit, est-ce que tu vois le jour sous un autre oeil ?

  • Speaker #0

    Je me dis, ils sont où les mecs qui se buvaient des binômes hier ? Vous faites quoi aujourd'hui ? Vous êtes où les gars ? Ils sont où ces enfants qui étaient joyeux ? C'était un... Oui, tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu te dis, OK, d'accord. Donc, il y a une deuxième vie. Il y a une deuxième ville, même.

  • Speaker #1

    Merci, Baptiste, pour cette... Belle histoire, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Cette histoire incongrue, inattendue en tout cas, pour moi elle était très inattendue.

  • Speaker #1

    Et puis ce voyage à travers ton regard jusque là-bas. Une petite dernière question, toi, quelle histoire t'aimerais entendre sur la nuit ?

  • Speaker #0

    Moi j'ai souvent vécu la nuit parce que j'ai été journaliste la nuit. Donc j'étais en matinale, donc ça veut dire que je prenais mon boulot, je commençais mon boulot à 2h du mat. Vous imaginez pas le nombre de gens qui travaillent la nuit en fait, on se rend pas compte. C'est hallucinant, il y a énormément de gens. Donc peut-être l'histoire de ces invisibles qui partent de banlieue et qui prennent le premier RER pour venir nettoyer les bureaux d'école blanc. Et de mes bureaux aussi, parce que quand j'étais à UFMTV, journaliste et que je travaillais la nuit, mais je voyais ces gens. qui venaient nettoyer mes bureaux. Et je me disais, eux aussi travaillent la nuit. Et eux aussi doivent rentrer bien fatigués le matin. Et on n'a pas la même vie. Et je pense que ces gens, on n'en parle jamais. Et je pense que c'est... Ouais, c'est des personnages, j'aimerais m'entendre des histoires comme ça. il faut les mettre en valeur, ces gens-là. Parce que quand on arrive le matin avec la tasse de café qu'on a laissée sur le bureau, elle n'est plus là. C'est qu'il y a quelqu'un qui l'a ramassée. Et c'est un peu les invisibles. Et la nuit, il y a plein d'invisibles.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Baptiste.

  • Speaker #0

    Je t'en prie. C'était un plaisir.

  • Speaker #1

    Merci pour l'écoute. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Pour être au courant de nos prochains témoignages ou si vous aussi, vous souhaitez partager avec nous une de vos nuits, n'hésitez pas à nous suivre et à nous contacter sur les réseaux sociaux Merci encore et à la prochaine !

Description

Que se passe-t-il vraiment dans une ville marquée par la guerre, où la nuit révèle des histoires insoupçonnées ? Dans cet épisode captivant de "La Nuit Des Gens", Axelle s'entretient avec Baptiste Des Montiers, un grand reporter qui nous plonge au cœur de Mossoul, en Irak. Baptiste partage son expérience unique d'une nuit dans cette ville emblématique, où les cicatrices de la guerre coexistent avec une résilience palpable.

Au fil de la conversation, Baptiste nous décrit un Mossoul en pleine renaissance. Pendant la journée, il arpente les ruines de la vieille ville, témoin des destructions infligées par le conflit et de l'ombre de Daesh qui plane encore. Mais lorsque le soleil se couche, à sa grande surprise la ville se transforme.

Écoutez "La Nuit Des Gens" et laissez-vous transporter par la magie de ce récits authentiques.


Si vous souhaitez vous aussi partager avec nous une de vos nuits, envoyez nous un mail à axelle.rey@lndg.fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, c'est Axelle, et avec La Nuit des gens, je vous emmène à travers des témoignages découvrir des destins uniques et particuliers nés dans l'étrangeté de la nuit. Bonsoir, ce soir je suis avec Baptiste. Baptiste, je te laisse te présenter.

  • Speaker #1

    Bonsoir, donc je m'appelle Baptiste, Baptiste Desmontiers, je suis journaliste, je suis grand reporter, j'ai 42 ans et je suis père de deux petites filles.

  • Speaker #0

    Alors ce soir, t'as une nuit... Un peu particulière, tu as vécu dans le cadre de ton travail ? Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Oui, effectivement. Je vais vous raconter l'histoire d'une nuit que j'ai passée à Mossoul, en Irak. C'est une ville que tout le monde connaît pour avoir été l'épicentre d'une guerre et le siège de Daesh. En tout cas, c'était la ville qui a vu naître l'État islamique. Et en reportage, j'ai découvert une nuit à Mossoul et j'étais loin d'imaginer que... Le contraste pouvait être si intéressant et important entre le jour et la nuit.

  • Speaker #0

    C'était en quelle année ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'était en 2018 ou 2019. Il n'y a plus la guerre à proprement parler à Mossoul, la ville est tombée, l'État islamique est parti, on est quand même dans un pays dans lequel c'est encore... très très très tendu c'est très difficile de s'y rendre et oui je vais vous raconter on n'est plus dans les combats mais on est quand même dans une ville qui vient d'être libérée dans laquelle il y a encore potentiellement des zones et des poches de résistance ou en tout cas des poches de combattants de l'état islamique qui peuvent se cacher pas forcément exactement dans Mossoul mais à côté pour vous donner un ordre d'idée je suis journaliste, quand on va sur des terrains comme ça on a du matériel de sécurité, des casques et des gilets pare-balles, ils sont dans la voiture je les porte pas, donc ça raconte quand même que voilà, c'est très cool, très détente y'a pas de soucis, mais il faut faire très attention et surtout, en fait c'est la nuit qui est intéressante donc la nuit que je vais vous raconter elle est inimaginable quand on a vécu la journée que je vais vous raconter En gros, on arrive à Mossoul. Pour rentrer à Mossoul, qui est dans le nord de l'Irak, nous on passe par Erbil. Erbil, c'est le Kurdistan irakien. Donc c'est une zone dans laquelle les Français et les journalistes ont toujours été très très très bienvenus et par laquelle on peut aller jusqu'à Mossoul. Mais bon, c'est une manière de rentrer qui est un peu... Pas très officiel, on devrait rentrer par la capitale. On ne le fait pas, on passe par le nord parce que c'est encore un petit peu compliqué. Il y a encore des poches de résistance, des poches de danger, etc. Mais je vous le redis, il n'y a plus de guerre, il n'y a plus d'échange. Il y a des hommes en armes partout, mais ça ne pète pas.

  • Speaker #0

    Tu es accompagné toi ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr. On est plusieurs. Donc moi, j'arrive d'Airbill. On a une route de 3-4 heures pour aller jusqu'à Mossoul. Je suis avec mon caméraman qui s'appelle Paul Bouffard. A l'époque, je travaillais pour Quotidien. Je suis aussi avec mon fixeur. Un fixeur, c'est une personne qui vous accompagne et qui fait en sorte qu'il ne vous arrive rien et que vous puissiez obtenir les bonnes choses et les bonnes infos. Première chose, quand on va en Irak, moi, je ne parle pas arabe. Donc c'est très compliqué. J'ai besoin d'un traducteur. Mais j'ai besoin de plus que d'un traducteur. j'ai besoin d'un fixeur à qui je vais pouvoir dire tiens ça serait bien qu'on aille interroger tel chef de l'armée est ce que tu sais comment le contacter on arrive en irak il faut les codes et puis c'est aussi celui qui va potentiellement entendre des trucs dans la rue et qui va nous dire faut partir d'accord partir j'ai les oreilles qui donc c'est un c'est un journaliste il s'appelle mando je l'aime beaucoup on est toujours en contact c'est un journaliste c'est un mec très intelligent très habile qui a plein de contacts un fixeur ça peut être un chauffeur de taxi parce qu'il a les clés de la ville Il connaît tout. C'est quelqu'un, en tout cas, qui est sensibilisé à nos besoins, nous, d'occidentaux, de médias français. Il sait que quand on fait une interview, ce n'est pas n'importe qui. Il faut être sérieux, il faut être carré. Il faut bien vérifier que la personne qui nous parle nous dise bien réellement son identité. Donc voilà, il nous protège, il nous aide. Il nous aide à progresser dans un environnement qui n'est pas le nôtre. Et donc, on va partir d'Airbill avec Paul Mando. Il va y avoir aussi le chauffeur. Je ne me souviens plus de son prénom. Et on trace, on trace sur Mossoul, et effectivement, il y a vraiment deux parties dans Mossoul. Il y a Mossoul Est et Mossoul Ouest. C'est Mossoul Ouest qui a été ravagée de mémoire, c'est la vieille ville, la très très vieille ville. Et moi j'arrive là-bas, et plus on rentre dans Mossoul, plus on voit que les combats étaient là. C'est-à-dire qu'on se rend bien compte que les combats étaient là.

  • Speaker #0

    Et du coup, qu'est-ce que tu ressens toi à ce moment-là ? T'as déjà vu d'autres zones comme ça ?

  • Speaker #1

    Ouais, j'ai déjà vu des zones compliquées, des zones de combat ou des zones d'émeute. En fait, c'est en arrivant à Mossoul Ouest que là, moi, je prends une claque. Je prends une claque parce que la vieille ville de Mossoul, il y a même une mosquée dans laquelle avait été proclamé le califat de l'État islamique. Cette ville-là, on l'a vue à la télévision, on l'a vue, revue, mais c'était des combats. Moi, j'arrive, c'est un champ de ruines. Plus un immeuble debout, plus une maison debout. Et Mossoul, c'est une vieille ville, c'est un peu le Marais à Paris. C'est le vieux Mossoul. Donc c'est magnifique. C'est ravagé. C'est ravagé, on circule correctement, il n'y a plus de danger. J'ai toujours vous le dit, le jéparbal est dans la voiture, il est dans le coffre, mais on ne le porte pas. On se promène et on arrive dans une ville où il y a encore des endroits où il ne faut pas aller parce que c'est miné. Il y a encore, pour vous donner un détail un peu sordide, ça sent la mort. Ça sent la mort, clairement. Les combats se sont arrêtés depuis plusieurs mois, mais il y a des cadavres en putréfaction sous les débris. Moi, je fais mon boulot. On va voir cette ville. On essaie de voir, de raconter comment elle se relève ou pas. Et on va passer comme ça une journée, un soleil écrasant, avec les yeux écarquillés, parce que c'est extrêmement surprenant. On imagine, c'est dur d'imaginer la puissance des combats tant qu'on n'y a pas été. Et on se dit, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh. J'ai déjà été dans des endroits où il y avait des combats, je les ai vus. Mais là, c'est ce que vous pouvez... J'imagine que beaucoup de villes en Ukraine aujourd'hui ressemblent à ça. C'est un tapis de pierre. On sent que ça aurait été bombardé. Ce serait pareil. Tout a explosé. Il y a des impacts de balles partout. Tout est pété.

  • Speaker #0

    Vous croisez quand même les habitants ?

  • Speaker #1

    On croise quelques habitants. Parce qu'il n'y a plus grand monde à Mossoul Ouest. Et justement, je vous racontais, pour arriver à Mossoul Ouest, qui est un petit peu sur un petit plateau, il faut traverser Mossoul Est. Dans Mossoul Est, oui. On voit qu'il y a eu des combats, oui, mais la vie, elle a commencé à reprendre. Il y a des voitures dans la rue, il y a des gens qui circulent, il y a des magasins qui sont ouverts. On est dans une ville d'un pays qui a quand même vécu une succession de conflits depuis des années. Quand on est dans Moussoul Est, on ne se dit pas, tiens, il y a 3, 4, 5 mois, 6 mois, ça a défouraillé ici. On se dit, tiens, la vie a repris. Quand vous passez de l'autre côté, c'est tellement dévasté. qu'il n'y a plus personne qui habite là-bas.

  • Speaker #0

    Et comment se fait-il ? Il y a une frontière ?

  • Speaker #1

    Exactement, c'est une très bonne question que tu poses. Il y a un fleuve, on passe un fleuve, le Tigre. Le Tigre qui coupe Mossoul en deux. Le Tigre qui est un très très grand fleuve. Et qui coupe Mossoul en deux. Et il y a, mais en fait, c'est deux zones qui n'ont rien à voir. C'est vraiment... À la limite, je ferais une comparaison, c'est moi qui ai été beaucoup aux Etats-Unis, à la frontière avec le Mexique. c'est la même chose. Quand vous passez des Etats-Unis à El Paso, à Ciudad Juarez, qui est de l'autre côté, vous passez, vous changez d'univers. C'est vraiment l'espace d'un fleuve, parce que là aussi, on traverse une rivière. C'est hallucinant. C'est d'un côté, vous avez des voitures qui roulent. De l'autre côté, il n'y a pas grand monde qui roule. On est dans une ville, donc nous, on se promène. Il y a deux, trois cafés qui sont ouverts dans Mossoul. On les voit. On va dans l'ouest, donc on va boire un thé. On discute avec des gens. Nous, on est là pour raconter un peu comment la ville s'en relève. On va passer une journée comme ça, une journée qui est... qui est un peu riche en émotions parce qu'on va... En fait, il y a des enfants qui sont complètement paumés. C'est une ville qui est détruite et les familles sont détruites. Donc vous avez des hordes d'enfants qui sont des enfants, des orphelins, qui sont là, qui essayent de survivre, de survivre, quand bien que mal. On va finir par rencontrer une famille incroyable qui vit, et je vais vous raconter la nuit parce que ce désert du jour contraste avec l'activité, le... le foisonnement de la nuit. Et c'est in... Mais j'étais inimaginable. Pour moi, ce coucher de soleil, ce qu'il allait révéler. Parce qu'il y a les lumières, etc.

  • Speaker #0

    Et tu penses que c'est dû à quoi ? Pourquoi le jour ?

  • Speaker #1

    Tu vas voir, tu vas voir. Donc déjà, dans le jour, effectivement, on est à Mossoul Ouest. On est à Mossoul Ouest dans le jour, on va voir des enfants dans les rues, beaucoup, beaucoup... Enfin, c'est vraiment... C'est pas beau. C'est une ville qui est ravagée, les gens sont... Enfin voilà, c'est la guerre. Même si elle est terminée, elle est terminée depuis très peu de temps. On va rencontrer la dernière famille qui habite à Mossoul Ouest, dans la vieille ville, qui nous accueille. On va faire un reportage, on est avec des gens qui ont vécu plusieurs années sous le joug de Daesh, des gens qui ont le droit de ressortir, de se reraser la barbe depuis 4-5 mois, des gens qui sont traumatisés, un père de famille avec sa femme et 3 enfants. Je comprends assez vite qu'il y en avait un quatrième et peut-être... Enfin, il y a eu... C'est des gens qui ont vécu la guerre et qui ont vécu la mort.

  • Speaker #0

    Et comment ils vous accueillent, justement ?

  • Speaker #1

    Très gentiment, très simplement. On est des journalistes, ils sont contents de voir des journalistes. Ils sont contents de nous raconter qu'eux ne sont jamais partis. Ils vivent dans une maison qui est à moitié détruite, dans laquelle il y a un pack de roquettes juste au-dessus du patio. c'est un peu comme un Riyad marocain pour la comparaison qui n'a rien à voir mais c'est des maisons qui sont ouvertes par le centre il y a un puits de lumière au milieu ce puits de lumière, on lève les yeux on voit des trous de balles de partout c'est la dernière famille de Mossoul ils sont très gentils, ils nous accueillent très gentiment on va faire un super reportage donc on a une journée comme ça qui est belle, dure, mais émouvante aussi, parce qu'on rencontre des gens qui sourient, qui ont de l'espoir, il y a des odeurs dégueulasses de cadavres en putréfaction, mais on sent que c'est la fin. Et on voit cette ville qui a envie de se relever, mais il n'y a pas d'eau courante, il y a les ONG Solidarité, si je me souviens bien, qui est une ONG spécialisée dans l'eau, qui commence à installer des tuyaux en plastique, tout doucement dans la ville, pour essayer de rétablir un peu d'eau courante. Maintenant, il y a des zones qui sont fermées, ça peut s'effondrer, ça peut péter, il y a des munitions. Oui, si je n'ai pas bien planté le décor, il faut savoir qu'on marche dans une ville où on ne sort pas de la ligne où on nous lit de marcher. Ça peut être miné. A priori, ça a été déminé, mais il peut rester des trucs. Vous avez des balles, vous avez des cartouches d'armes à feu, il y a des grenades par terre qui traînent. C'est encore ça. On sent que ce n'est pas vieux. C'est pas, pour être un peu trivial, il n'y a pas des flaques de sang partout dans la rue, mais c'était deux mois avant, on le sait, ça se voit. Donc c'est une journée forte en émotions. C'est extrêmement beau aussi, parce que ce chaos, il est assez beau, c'est magnifique, vous êtes dans une vieille ville, donc c'est triste et beau à la fois, parce que les maisons qui sont pétées, vous avez des bas-reliefs, vous avez des... C'est très très beau, moi j'ai des photos incroyables, c'était, voilà, imaginez... des combats qu'on réunit dans un vieux village français, et bien voilà, c'est ça Mossoul Ouest, c'est toute petite maison, toutes collées les unes aux autres, historiques, très vieilles, construites les unes sur les autres, tout est ravagé. Et puis le soir, nous on repart en voiture à Mossoul Est, de l'autre côté du Tigre, parce que là où la ville a été épargnée, Daesh n'a pas occupé Mossoul Est, enfin pas entièrement, et du coup la ville a été moins éclatée, moins ravagée, et donc la vie a repris plus vite. Et on a un hôtel. Alors, un hôtel, c'est un bien grand mot. On est dans un hôtel qui est dans une espèce de bâtiment où il y a absolument... Il y a un seul bâtiment qui est encore debout dans l'hôtel. Tous les autres bâtiments sont brûlés, cramés, bombés. La guerre aussi, elle était là. Et voilà, c'est le dernier bâtiment. Notre fixeur nous a dit, je connais une personne qui... Voilà, c'est une safe place. On peut aller dormir là-bas. Parce qu'après, il n'y a pas de problème. On ne va pas se faire kidnapper pendant la nuit. Mais on est des journalistes, on a du matériel. On est très visibles dans un pays... en grande précarité, qui a vécu la guerre, il y a des cibles sur nos fronts potentiellement, donc il faut dormir dans un endroit safe.

  • Speaker #0

    Vous en avez croisé beaucoup des journalistes ?

  • Speaker #1

    À l'époque où on y est, non. Non, non, parce que ça n'intéresse pas forcément les gens, parce que je vous dis, c'est vraiment la fin de la guerre, donc nous on y va justement pour essayer de raconter un peu après. Et donc on va dans cette espèce d'hôtel où c'est bon, c'est bon, c'est dealé, on paye en liquide, c'est comme ça que ça se passe dans les pays, tu payes en dollars. évidemment. On gare la voiture, il fait encore jour, je fais un direct pour la télé, je suis dans un environnement où tout est brûlé, tout est pété, et nous, on a notre bâtiment où il y a de la lumière, de l'eau, voilà, on va dormir, c'est safe, et on sait surtout que on est dans une safe place.

  • Speaker #0

    Quelle heure il est, là ?

  • Speaker #1

    Là, il est... Je ne sais plus avec le décalage horaire, mais écoute, on va dire que c'est entre 17 et 18h. 18h, la nuit tombe assez tôt, de mémoire, là-bas, à cette époque de l'année. On est en septembre, et... Et donc voilà, là, tout d'un coup, on sort de cette ambiance de jour complètement détruite et ravagée, un peu forte en émotions, et surprenante, et belle, et pas stressante, mais on sent quand même que la guerre n'est pas loin, qu'il faut faire attention. Et puis la nuit, là, tout d'un coup, on arrive enfin dans un endroit où on a du Wi-Fi. C'est tout bête, mais un Wi-Fi tout pourri. Mais on est connecté au monde, on est à notre truc, on pose nos affaires, on a nos sacs, on est content. Et avec la nuit qui tombe, donc on est toujours à Mossoul Est. On se dit, on va sortir, on va aller manger un truc. Et en arrivant sur les quais du Tigre, parce qu'en fait, on part à pied, on est vraiment dans... Voilà, le chauffeur, le gars de l'hôtel et notre fixeur qui dort avec nous, nous dit, OK, c'est bon, on peut aller là, ça s'aïe. Pas de problème, vous allez voir, il y a plein de petits restos. Je dis, quoi, il y a plein de petits restos, quoi ? Et en fait, effectivement, on arrive. Et avec la nuit qui est tombée, la physionomie de la ville a totalement changé. Il y a des petites guitounes partout, au bord du Tigre. qui vendent des petites brochettes de viande, de la bouffe, des glaces. Il y a des gens, il y a des gens qui se promènent, il y a des enfants. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais moi j'étais de l'autre côté, à Mossoul Ouest. Je suis passé de manière éphémère, rapidement, pour aller à Mosoul. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais je ne les ai pas vus. Et donc moi, je sors d'un champ de pierres, je pose mon cul à l'hôtel, je me retourne, et là, je vois une vie, des gens qui vivent. Je suis là, mais qu'est-ce que c'est que c'est ? Incroyable ! On va donc aller déjeuner, dîner, pardon, sur le bord du Tigre. Donc, de mémoire, c'est des petites brochettes, des grands pains qu'ils font griller devant nous, etc. C'est, on t'apporte un coca, un Orangina, tout va bien. Et là, on est sur le bord du Tigre, un peu émerveillé avec notre fixeur et Paul, et à se dire, mais qu'est-ce que c'est incroyable. Et en fait, on dîne au bord de l'eau, vraiment au bord de l'eau. C'est comme une pièce de restaurant, les pieds dans l'eau, avec des marches qui descendent dans l'eau. Je lui dis, tiens, c'est bizarre, pourquoi ils foutent des... Et on sent qu'il y a un accès à l'eau. Et de l'autre côté du fleuve, on ne voit rien, c'est tout noir de l'autre côté, parce que c'est Mossoul Ouest, et que Mossoul Ouest, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas d'électricité. Donc vous êtes dans la lumière, de l'autre côté, c'est noir. Vous allez descendre sur l'eau, vous ne comprenez pas pourquoi, il y a une petite île au milieu avec une fête foraine, c'est lunaire. Et en fait, on commence à voir, en mesure qu'on dîne, on voit des bateaux effectivement qui accostent et qui viennent faire tous les petits restaurants comme ça. Il y en a peut-être une vingtaine de restos qui s'enchaînent. Et en fait, ils proposent aux Irakiens, parce qu'il n'y a pas de touristes, une balade en bateau. Et là, moi, je suis avec mon JRI et je me dis, mais putain, moi j'y vais quoi. En fait, je vais faire une balade en bateau. Et en fait, c'est comme, je ne sais pas moi, des balades de touristes sur la Seine. Il y a un décalage hallucinant. Donc, ils ont des lumières sur les bateaux, des espèces de bateaux très puissants, une espèce de speedboat un peu, c'est assez bizarre. C'est une espèce de petite barque, mais ils ont un bon moteur derrière. Un peu comme tu vois certains bateaux en Asie, en Thaïlande, avec le moteur très long derrière, avec un grand bras. Tu vois, c'est des petites bicoques, des petites barques, mais ça trace. Et donc là, l'idée, c'est qu'on vous emmène. Faire un ride un peu rapide. Donc en fait, vous montez, vous payez, vous vous asseyez dans votre petite barque, votre petit fauteuil, et le mec, il fait trois tours et il vous ramène. C'est une attraction. Quand on fait ces trois tours, moi, je vois qu'il y a une fête foraine sur une île, au milieu. Cette image, je la connaissais, je savais qu'il y avait une fête foraine à Mossoul, parce que même pendant la guerre, elle a toujours existé. Elle était fermée, mais elle a toujours existé. Et donc, je me dis, après le dîner, il fait nuit, donc c'est la première immersion dans cette nuit hallucinante. Donc déjà, on se dit, waouh. Mon Dieu, c'est pas possible, je fais mon tour en bateau, je me dis mais quel décalage avec la vie que j'ai vécu aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Et là il fait vraiment nuit ?

  • Speaker #1

    Là il fait nuit noire, il fait nuit noire et c'est vraiment ça parce qu'il fait nuit noire et qu'en fait de moi j'ai des bateaux qui passent avec les lumières, autour de moi j'ai des lumières et de l'autre côté c'est la teinte de nuit noire. Il n'y a pas une lumière, de l'autre côté c'est Mossoul Ouest, il n'y a pas d'électricité, il n'y a rien, la ville elle a été ravagée. Donc une espèce de décalage, donc moi je suis là et je vois des gens en fait qui vivent. C'est des Irakiens, des habitants de Mossoul qui sont en famille, qui vont se faire... Je ne sais pas, peut-être que je suis un samedi soir ou un jeudi soir et que le vendredi... Je ne sais pas. En tout cas, on est dans une activité. Voilà, c'est des familles normales qui revivent après la guerre. On va ensuite aller sur la fête foraine, je vais te raconter.

  • Speaker #0

    Ces familles qui vivent autour de vous, est-ce que quand elles vous voient journalistes, elles viennent vers vous ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui, bien sûr. Déjà parce qu'on n'a pas la même tête. Ensuite parce qu'on a une caméra. parce que même quand on va de bêtise mais je suis pas sûr non non je pense que je dis en fait on laisse jamais la caméra derrière quand on est en reportage donc Paul doit avoir la caméra sur lui et donc bref on va bouffer comme ça dans ce resto on mange bien on est content on souffle moi je fais mon tour en bateau je suis là je redescends de ce bateau je remonte et Paul je dis mais viens il me dit ça me fait peur t'as peut-être raison de pas y être allé je suis là mais je dis il y a la fête foraine là-bas il faut qu'on y aille quoi On y va, alors attention, c'est pas la foire du trône, il n'y a quasiment rien qui fonctionne bien. Mais vous avez, je me souviens de cette image, des gars qui bouffent de la carpe, donc ils coupent des carpes, ils les mettent autour d'un feu, il y a des espèces de stands où tu peux bouffer, deux, trois petits stands de jeux, on n'est pas à la fête foraine, on tire à la carabine et tout, il y a une espèce de petit manège qui tourne, une espèce de grande roue qui doit faire 4 mètres de haut, c'est tout petit quoi. Mais c'est lunaire et on est dans cette ville-là et dans cette nuit qui vit, alors que c'est vraiment la mort de l'autre côté du fleuve.

  • Speaker #0

    Oui, je suppose que là, il y a un peu des rires, c'est le contraste.

  • Speaker #1

    Mais c'est vivant. Là, tu as l'impression d'être, pour ceux qui nous écoutent et qui ont déjà été dans un pays, ça ressemblerait presque à la limite, attention, toute proportion gardée, à la place Gemma Elfna à Marrakech le soir. On est très, très loin de la place Gemma Elfna, mais il y a du folklore local. Il y a de la bouffe locale, il y a des locaux, il n'y a pas de touristes, il n'y a rien, on est seuls. D'ailleurs si, les gens viennent prendre des photos avec nous, etc. Bon, alors déjà là, moi, à ce moment-là, déjà la nuit que je vous raconte, elle est déjà assez, pour moi, assez exceptionnelle. C'est-à-dire que là, je me dis juste déjà, waouh, mon dieu, mon gars, si t'avais imaginé que Mossoul serait comme ça la nuit... déjà tu aurais été rempli et en fait on comprend aussi que c'est des gens qui ont envie de revivre qui ont envie de revivre et quand on a pas grand chose, quand on a vécu avec Daesh à 300 mètres de nous pendant 2 ans ou 3 ans on reprend goût à la vie et les enfants ils sont avec leurs parents et on va manger une petite glace, ça coûte rien du tout une petite glace à l'eau et puis on va aller faire un tour à la fête foraine même si on prend rien, on va se promener moi je vois cette famille incroyable et puis on rentre à l'hôtel ... parce qu'on est crevé, qu'on va se coucher, que le lendemain on a des reportages encore, etc. Et là, il va encore se passer un truc assez incroyable.

  • Speaker #0

    Là, il est quelle heure ?

  • Speaker #1

    Il doit être 22h, peut-être même moins, 21h, 22h, il fait nuit. Il fait nuit depuis 18h, il fait nuit noire, il y a quelques lumières, oui, sur le bord du Tigre, comme je viens de vous raconter, mais entre eux, moi je me souviens, pour sortir de mon hôtel, je traverse un espèce de... c'est nuit noire, on voit rien, on est avec nos téléphones pour éclairer, c'est vraiment des petits îlots de vie au milieu d'une ville déchirée. par la guerre. On va rentrer dans la chambre, chacun sa chambre, avec Paul, il est en fin de chambre, on est sur un petit lit pour vous dire, pour juste qu'on ait le truc, on dort, je me souviens, il n'y a pas de drap, on dort sur une couverture, sur un lit, l'eau, oui il y a une salle de bain avec de l'eau qui coule marron, on s'en fout, on n'est pas là pour le confort, mais on est surtout dans un endroit où on peut... Je pense que c'est à peu près le seul hôtel qui fonctionne à peu près et qui accepte, et surtout dans lequel on est emmené par des gens qui nous disent « C'est bon, ici vous pouvez dormir en toute confiance. » Et on doit faire confiance. On n'a pas le choix de faire confiance, c'est pour ça qu'on travaille avec des fixeurs. Et donc cet hôtel, il est quand même bien claqué. Et puis là, on est pendant la nuit, pendant le soir, il est 22h, 22h30, peut-être même 23h, on entend du boucan au-dessus de nous. Je suis là, mais regarde, je sors, je vais voir Paul, je dis c'est quoi toi aussi, tu les entends les pas au-dessus, c'est pas possible. Il me dit ouais moi je regarde, moi derrière, regarde le parking, c'est un balai de voitures depuis tout à l'heure, il monte par sa fenêtre. Effectivement, une espèce de terrain vague derrière l'hôtel où il y a 50 voitures qui sont garées. Il me dit gars ça fait une heure là, ils arrêtent pas, et lui à ce moment là, Paul il est en train de travailler, parce qu'il doit envoyer les images à Paris, etc. Donc il est en train de bosser, moi je suis en train de bosser à côté, je vais le voir, j'ai dit j'entends des pas au-dessus, il me dit oui mais moi aussi je les entends, et puis il regarde derrière, putain mais là qu'est-ce que c'est que ce bordel quoi. Cinquantaine de voitures garées au milieu de nulle part, dans un terrain vague, derrière notre hôtel, tout est ravagé autour, et j'entends du bruit au-dessus. On m'a dit ça, mec, je veux savoir ce que c'est. Et comme je suis toujours un peu con, un peu curieux et peut-être un peu insouciant, je redescends et je me dis, je vais aller essayer de fouiner, je vais regarder ce que c'est que ce truc, où est-ce qu'ils vont, ces gens, ils sont où ? Et en fait, assez rapidement, j'arrive sur le bord de l'hôtel, et sur le bord, enfin, sur le bâtiment, et là je vois qu'il y a une espèce de porte avec un mec devant. J'arrive, ils ne me demandent absolument rien, ils m'ouvrent la porte et je monte un escalier. Et en fait, effectivement, je vois que je suis en train de monter l'escalier de secours à l'extérieur du bâtiment dans lequel j'ai ma chambre. Et puis en fait, je vais arriver à une autre salle et là, je rentre dans une salle. Et là, odeur, bruit, clope, ça sent la clope, il y a du bruit, il y a du machin, etc. Et je rentre en fait dans un bar clandestin à Mossoul. Et là, j'ai devant moi, c'est glauque. J'ai une espèce de... Imaginez, je pense que ça devait être la salle du petit-déj de l'hôtel à une époque.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est pour vous imaginer, une espèce de grande salle en longueur avec des fenêtres sur les côtés, aucun charme, rien de moche, et des grandes tables alignées, comme dans un réfectoire, les unes derrière les autres. Et il y a une cinquantaine de personnes dans cette pièce, parfois des groupes de deux ou trois, mais la plupart du temps des gens seuls, avec une petite bouteille de whisky, une bière. et ils sont tous en train de picoler tout seuls dans leur coin ou parfois en groupe de 3 ou 4 et donc je suis dans un bar clandestin dans un bar clandestin à Mossoul où Mossoul c'est l'Irak donc ceux qui boivent c'est honteux donc ils se cachent c'est même été interdit à l'époque de Daesh à l'époque de Daesh il ne fallait pas grand chose pour se faire buter et donc je vais me retrouver comme ça dans ce bar et je vais me dire mais ouais mes gars vas-y moi aussi je vais me boire quelques bières et je vais regarder et je suis tout seul parce que je redescends pas voir Paul qui est dans la chambre je me dis non gars t'es ici reste-y regarde ce truc et je me pose et ouais c'est glauque un peu parce qu'on sent quand même des gens qui boivent, qui boivent seuls et qui sont seuls et qui sont tristes.

  • Speaker #0

    Mais ça y'a pas de musique y'a pas de...

  • Speaker #1

    Non non non y'a pas de musique, y'a alors ouais j'aurais peut-être dû essayer de vous raconter à quoi ça ressemble c'est plus de grande salle, y'a comme un espèce de vestiaire à l'entrée qui est le bar en fait y'a rien d'écrit Vous allez voir et vous vous dites, il y a des bières, et il dit, hop, il sort des bières. Il y a des petites bouteilles de whisky, je me souviens, ce qui m'avait frappé, c'est qu'ils ont un format de bouteilles de whisky que j'avais jamais vu. De flash de petites bouteilles, mais pas si petites que ça, que j'ai jamais vu auparavant. Donc voilà, ils boivent des bouteilles de Gibi. Ils se boivent des petites bouteilles de Gibi qui font entre, je ne sais pas, au format d'une canette, un peu plus, comme un flash, mais un peu plus grand. Et ils sont là, ils se picolent ça avec du coca ou des bières. Souvent, ils sont là avec des cigarettes à côté, qu'ils fument, un cendrier plein de clopes et des bouteilles vides à côté. Et donc, c'est des gens qui sont dans la consommation d'alcool. Peut-être pas très gays, peut-être pas très festifs. Mais c'est extrêmement surprenant. Moi je dis souvent ça, en tant que journaliste, il n'y a pas beaucoup de pays dans lesquels je n'ai pas trouvé des gens qui buvaient. Partout. Le seul endroit où je n'ai vraiment pas trouvé une bière à boire, c'est à Gaza. Ça, je n'ai jamais trouvé. Mais même en Irak, même dans des pays en guerre, même dans des pays très compliqués, même dans des pays où la religion l'interdit, on trouve toujours des gens qui boivent. Mais là, ce qui m'impressionne vraiment, c'est cette accumulation de... d'épisodes d'une nuit qui te penche complètement avec ce que j'ai vu pendant la journée.

  • Speaker #0

    Et toi, qu'est-ce que tu ressens en ce moment ? Toi, t'es là, t'es au milieu, tu vois tous ces gens en face de toi. Qu'est-ce qui te traverse la tête ?

  • Speaker #1

    Moi, je me dis quelle vie de merde. Je me dis, ils sont pas heureux ces gens. Je me dis, c'est pas les bars que moi je fréquente, c'est pas des bars où on va rigoler avec des copains, c'est des gens qui viennent boire, qui viennent s'alcooliser. à la fois je suis un peu amusé parce que ça pue l'hypocrisie à 10 km parce que c'est probablement des gens qui vont aller à la mosquée etc mais moi je juge pas du tout je juge pas parce que je me dis mon dieu ces gens ils ont juste vécu l'enfer pendant des années après oui c'est triste, c'est triste c'est de la consommation d'alcool, c'est pas boire un verre comme nous on le dit, là c'est des gens qui vont s'alcooliser, des gens qui sont malheureux, c'est des gens qui c'est triste, c'est triste c'est triste, c'est triste, ça sent la... ça clope, ça parle pas. Je te dis, c'est vraiment, à part peut-être deux groupes qui doivent jouer aux cartes, c'est que des gens qui sont seuls face à leur bouteille. Et qui, à la limite, se regardent pas les uns les autres, parce qu'il faudrait surtout pas porter un regard sur le voisin, parce qu'il fait la même chose que toi, et que tu as pas envie de le mettre mal à l'aise, et puis il y a peut-être même des gens, ça se trouve, qui se connaissent, qui viennent du même quartier, et qui se regardent en se disant, et qui baissent les yeux en se disant, tu dis pas, je dis pas, on s'est pas vus, voilà. Moi, c'est ça que je ressens. Et puis... Et puis je ressens une forme aussi d'émerveillement parce que je me dis, waouh, je suis dans un endroit où il en faut de la chance, où il en faut des coïncidences pour se retrouver dans une histoire comme celle-ci, se retrouver dans un bar à Mossoul, il en faut, tu vois, des occurrences et des coups de chance pour arriver dans cet endroit-là. Je pense que si j'avais voulu faire un reportage sur un truc comme ça, mon fixeur m'aurait dit, c'est introuvable. C'est introuvable. C'est introuvable parce que ça se file sous le manteau, parce que c'est des adresses secrètes, je peux, mais ça va me prendre 3, 4, 5 jours. Et là je tombe dessus. Et là je tombe dessus. Mais de la même manière que si j'avais dit... J'aurais jamais dit, et on a fait un reportage au final, parce qu'on est resté plusieurs jours, on a fait un reportage sur cette fête foraine. On a fait un reportage sur cette fête foraine parce que j'ai découvert qu'elle était là. Même si j'avais entendu parler que j'avais vu des photos pendant la guerre, parce que c'était une photo assez impressionnante, une espèce de grand roue, même si elle est petite avec Mossoul derrière. J'avais vu cette photo dans les banques d'images, mais je n'étais pas parti en me disant tiens on va faire un reportage sur la nouvelle vie, la vie qui reprend à Mossoul, j'étais loin d'imaginer ça.

  • Speaker #0

    Puis je suppose qu'entre le voir en photo et te retrouver au milieu,

  • Speaker #1

    c'est une sensation. Oui, puis surtout moi je l'avais vu en photo comme, tu vois, l'image qu'on a tous peut-être en tête de la fête foraine à Tchernobyl. moi j'avais vu des photos comme ça de cette forêt abandonnée en pleine guerre avec de la poussière partout et des impacts de balles j'avais aucune idée que la vie avait repris à ce point là et même pendant la journée j'avais aucune idée, j'avais pas vu ça donc finalement on a fait un sujet donc en fait c'est parfois la nuit la nuit on se laisse porter on découvre des choses assez folles on découvre aussi que les gens se lâchent plus On découvre que les gens se dévoilent un peu plus. Et là, ils dévoilent une forme de tristesse, de vie brisée, dans laquelle ces gens vont aller s'alcooliser le soir, pas pour rigoler avec des potes, mais juste pour se casser la tête et rentrer dormir. Parce que je pense que sans ça, quand on a vécu à Mossoul et qu'on a peut-être perdu la moitié de sa famille, peut-être toute sa famille... Je pense qu'on n'arrive pas à dormir. Et d'ailleurs, si tu me demandais ce que je ressens, je me dis ça. En les regardant, je me dis combien de ces hommes qui sont là

  • Speaker #0

    ont perdu un membre de leur famille. Probablement tous.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu penses aussi à ta famille en France,

  • Speaker #0

    non ? Non, non, non, non. C'est molle, c'est le mec qui change complètement. Non, rien à foutre. Non, non, non, non, je ne pense pas à ma famille en France parce que... c'est des choses qui n'ont rien à voir parce que je ne suis pas en danger quand je fais ça, donc à la limite oui potentiellement en tant que journaliste ou pilote de course ou policier quand tu as un moment dans ta vie ou t'es en danger, ou n'importe qui, ou toi qui traverses la route, et tu te dis, j'ai failli me faire écraser, oui, tu penses à ta famille en disant, mon Dieu, mais là, moi, je pense pas à ma famille. Je pense pas à ma famille, je pense à la chance que mes filles ont d'être nées en France quand je suis dans la maison à Mossoulou. ouest et qu'il y a un petit garçon qui a l'âge de mes enfants et là ça me serre le coeur mais quand je suis avec des Irakiens qui sont en train de se Ausha la gueule le soir je suis plutôt non je suis plutôt en observation je me dis wow wow pas facile

  • Speaker #1

    Et là du coup comment se termine cette nuit parce que finalement t'es obligé de les laisser ? Tu restes avec eux jusqu'au matin ?

  • Speaker #0

    Non, non, non, c'est que j'ai du boulot. Je pense qu'à un moment je me dis j'ai ce que je suis venu chercher. parce que moi aussi je suis content, après cette journée, de me coller 2-3 bières dans la gueule pour parler clairement. Et donc je pense que je dois boire mes 2-3 bières, fumer une ou deux clopes, je regarde ça, je suis hyper étonné, puis je redescends, je vais voir Paul qui doit dormir, et je lui dis mec il y a un bar au-dessus, c'est la luge, je viens de passer trois quarts d'heure là-haut, c'est waouh. Et puis on va se coucher. Et le lendemain, le soleil s'est relevé. Donc tous les alentours de l'hôtel que j'avais vu remplis de bagnoles, c'est un terrain vague. Mon hôtel extérieur, l'extérieur de l'hôtel que j'ai traversé, il y a à nouveau toutes les images que je ne voyais plus la nuit. C'est-à-dire que je vois que les bâtiments sont brûlés, qu'il y a des impacts de balles partout. je repasse en bagnole le long du Tigre il n'y a plus les lumières les guittounes sont toutes fermées les barques sont rangées les gens sont moins dehors ils sont au boulot peut-être mais je retrouve le Mossoul éteint que j'avais laissé la veille au soir à la tombée de la nuit et je repars dans Mossoul Ouest je ne sais plus ce qu'on a fait mais je crois qu'après on est allé faire un reportage je crois que que le lendemain justement je suis allé dans un ancien palais de Saddam Hussein où l'armée avait établi son état-major pour aller demander des autorisations de circuler

  • Speaker #1

    Et là le lendemain, quand tu sais comment c'était la nuit, est-ce que tu vois le jour sous un autre oeil ?

  • Speaker #0

    Je me dis, ils sont où les mecs qui se buvaient des binômes hier ? Vous faites quoi aujourd'hui ? Vous êtes où les gars ? Ils sont où ces enfants qui étaient joyeux ? C'était un... Oui, tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu te dis, OK, d'accord. Donc, il y a une deuxième vie. Il y a une deuxième ville, même.

  • Speaker #1

    Merci, Baptiste, pour cette... Belle histoire, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Cette histoire incongrue, inattendue en tout cas, pour moi elle était très inattendue.

  • Speaker #1

    Et puis ce voyage à travers ton regard jusque là-bas. Une petite dernière question, toi, quelle histoire t'aimerais entendre sur la nuit ?

  • Speaker #0

    Moi j'ai souvent vécu la nuit parce que j'ai été journaliste la nuit. Donc j'étais en matinale, donc ça veut dire que je prenais mon boulot, je commençais mon boulot à 2h du mat. Vous imaginez pas le nombre de gens qui travaillent la nuit en fait, on se rend pas compte. C'est hallucinant, il y a énormément de gens. Donc peut-être l'histoire de ces invisibles qui partent de banlieue et qui prennent le premier RER pour venir nettoyer les bureaux d'école blanc. Et de mes bureaux aussi, parce que quand j'étais à UFMTV, journaliste et que je travaillais la nuit, mais je voyais ces gens. qui venaient nettoyer mes bureaux. Et je me disais, eux aussi travaillent la nuit. Et eux aussi doivent rentrer bien fatigués le matin. Et on n'a pas la même vie. Et je pense que ces gens, on n'en parle jamais. Et je pense que c'est... Ouais, c'est des personnages, j'aimerais m'entendre des histoires comme ça. il faut les mettre en valeur, ces gens-là. Parce que quand on arrive le matin avec la tasse de café qu'on a laissée sur le bureau, elle n'est plus là. C'est qu'il y a quelqu'un qui l'a ramassée. Et c'est un peu les invisibles. Et la nuit, il y a plein d'invisibles.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Baptiste.

  • Speaker #0

    Je t'en prie. C'était un plaisir.

  • Speaker #1

    Merci pour l'écoute. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Pour être au courant de nos prochains témoignages ou si vous aussi, vous souhaitez partager avec nous une de vos nuits, n'hésitez pas à nous suivre et à nous contacter sur les réseaux sociaux Merci encore et à la prochaine !

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Description

Que se passe-t-il vraiment dans une ville marquée par la guerre, où la nuit révèle des histoires insoupçonnées ? Dans cet épisode captivant de "La Nuit Des Gens", Axelle s'entretient avec Baptiste Des Montiers, un grand reporter qui nous plonge au cœur de Mossoul, en Irak. Baptiste partage son expérience unique d'une nuit dans cette ville emblématique, où les cicatrices de la guerre coexistent avec une résilience palpable.

Au fil de la conversation, Baptiste nous décrit un Mossoul en pleine renaissance. Pendant la journée, il arpente les ruines de la vieille ville, témoin des destructions infligées par le conflit et de l'ombre de Daesh qui plane encore. Mais lorsque le soleil se couche, à sa grande surprise la ville se transforme.

Écoutez "La Nuit Des Gens" et laissez-vous transporter par la magie de ce récits authentiques.


Si vous souhaitez vous aussi partager avec nous une de vos nuits, envoyez nous un mail à axelle.rey@lndg.fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, c'est Axelle, et avec La Nuit des gens, je vous emmène à travers des témoignages découvrir des destins uniques et particuliers nés dans l'étrangeté de la nuit. Bonsoir, ce soir je suis avec Baptiste. Baptiste, je te laisse te présenter.

  • Speaker #1

    Bonsoir, donc je m'appelle Baptiste, Baptiste Desmontiers, je suis journaliste, je suis grand reporter, j'ai 42 ans et je suis père de deux petites filles.

  • Speaker #0

    Alors ce soir, t'as une nuit... Un peu particulière, tu as vécu dans le cadre de ton travail ? Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Oui, effectivement. Je vais vous raconter l'histoire d'une nuit que j'ai passée à Mossoul, en Irak. C'est une ville que tout le monde connaît pour avoir été l'épicentre d'une guerre et le siège de Daesh. En tout cas, c'était la ville qui a vu naître l'État islamique. Et en reportage, j'ai découvert une nuit à Mossoul et j'étais loin d'imaginer que... Le contraste pouvait être si intéressant et important entre le jour et la nuit.

  • Speaker #0

    C'était en quelle année ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'était en 2018 ou 2019. Il n'y a plus la guerre à proprement parler à Mossoul, la ville est tombée, l'État islamique est parti, on est quand même dans un pays dans lequel c'est encore... très très très tendu c'est très difficile de s'y rendre et oui je vais vous raconter on n'est plus dans les combats mais on est quand même dans une ville qui vient d'être libérée dans laquelle il y a encore potentiellement des zones et des poches de résistance ou en tout cas des poches de combattants de l'état islamique qui peuvent se cacher pas forcément exactement dans Mossoul mais à côté pour vous donner un ordre d'idée je suis journaliste, quand on va sur des terrains comme ça on a du matériel de sécurité, des casques et des gilets pare-balles, ils sont dans la voiture je les porte pas, donc ça raconte quand même que voilà, c'est très cool, très détente y'a pas de soucis, mais il faut faire très attention et surtout, en fait c'est la nuit qui est intéressante donc la nuit que je vais vous raconter elle est inimaginable quand on a vécu la journée que je vais vous raconter En gros, on arrive à Mossoul. Pour rentrer à Mossoul, qui est dans le nord de l'Irak, nous on passe par Erbil. Erbil, c'est le Kurdistan irakien. Donc c'est une zone dans laquelle les Français et les journalistes ont toujours été très très très bienvenus et par laquelle on peut aller jusqu'à Mossoul. Mais bon, c'est une manière de rentrer qui est un peu... Pas très officiel, on devrait rentrer par la capitale. On ne le fait pas, on passe par le nord parce que c'est encore un petit peu compliqué. Il y a encore des poches de résistance, des poches de danger, etc. Mais je vous le redis, il n'y a plus de guerre, il n'y a plus d'échange. Il y a des hommes en armes partout, mais ça ne pète pas.

  • Speaker #0

    Tu es accompagné toi ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr. On est plusieurs. Donc moi, j'arrive d'Airbill. On a une route de 3-4 heures pour aller jusqu'à Mossoul. Je suis avec mon caméraman qui s'appelle Paul Bouffard. A l'époque, je travaillais pour Quotidien. Je suis aussi avec mon fixeur. Un fixeur, c'est une personne qui vous accompagne et qui fait en sorte qu'il ne vous arrive rien et que vous puissiez obtenir les bonnes choses et les bonnes infos. Première chose, quand on va en Irak, moi, je ne parle pas arabe. Donc c'est très compliqué. J'ai besoin d'un traducteur. Mais j'ai besoin de plus que d'un traducteur. j'ai besoin d'un fixeur à qui je vais pouvoir dire tiens ça serait bien qu'on aille interroger tel chef de l'armée est ce que tu sais comment le contacter on arrive en irak il faut les codes et puis c'est aussi celui qui va potentiellement entendre des trucs dans la rue et qui va nous dire faut partir d'accord partir j'ai les oreilles qui donc c'est un c'est un journaliste il s'appelle mando je l'aime beaucoup on est toujours en contact c'est un journaliste c'est un mec très intelligent très habile qui a plein de contacts un fixeur ça peut être un chauffeur de taxi parce qu'il a les clés de la ville Il connaît tout. C'est quelqu'un, en tout cas, qui est sensibilisé à nos besoins, nous, d'occidentaux, de médias français. Il sait que quand on fait une interview, ce n'est pas n'importe qui. Il faut être sérieux, il faut être carré. Il faut bien vérifier que la personne qui nous parle nous dise bien réellement son identité. Donc voilà, il nous protège, il nous aide. Il nous aide à progresser dans un environnement qui n'est pas le nôtre. Et donc, on va partir d'Airbill avec Paul Mando. Il va y avoir aussi le chauffeur. Je ne me souviens plus de son prénom. Et on trace, on trace sur Mossoul, et effectivement, il y a vraiment deux parties dans Mossoul. Il y a Mossoul Est et Mossoul Ouest. C'est Mossoul Ouest qui a été ravagée de mémoire, c'est la vieille ville, la très très vieille ville. Et moi j'arrive là-bas, et plus on rentre dans Mossoul, plus on voit que les combats étaient là. C'est-à-dire qu'on se rend bien compte que les combats étaient là.

  • Speaker #0

    Et du coup, qu'est-ce que tu ressens toi à ce moment-là ? T'as déjà vu d'autres zones comme ça ?

  • Speaker #1

    Ouais, j'ai déjà vu des zones compliquées, des zones de combat ou des zones d'émeute. En fait, c'est en arrivant à Mossoul Ouest que là, moi, je prends une claque. Je prends une claque parce que la vieille ville de Mossoul, il y a même une mosquée dans laquelle avait été proclamé le califat de l'État islamique. Cette ville-là, on l'a vue à la télévision, on l'a vue, revue, mais c'était des combats. Moi, j'arrive, c'est un champ de ruines. Plus un immeuble debout, plus une maison debout. Et Mossoul, c'est une vieille ville, c'est un peu le Marais à Paris. C'est le vieux Mossoul. Donc c'est magnifique. C'est ravagé. C'est ravagé, on circule correctement, il n'y a plus de danger. J'ai toujours vous le dit, le jéparbal est dans la voiture, il est dans le coffre, mais on ne le porte pas. On se promène et on arrive dans une ville où il y a encore des endroits où il ne faut pas aller parce que c'est miné. Il y a encore, pour vous donner un détail un peu sordide, ça sent la mort. Ça sent la mort, clairement. Les combats se sont arrêtés depuis plusieurs mois, mais il y a des cadavres en putréfaction sous les débris. Moi, je fais mon boulot. On va voir cette ville. On essaie de voir, de raconter comment elle se relève ou pas. Et on va passer comme ça une journée, un soleil écrasant, avec les yeux écarquillés, parce que c'est extrêmement surprenant. On imagine, c'est dur d'imaginer la puissance des combats tant qu'on n'y a pas été. Et on se dit, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh. J'ai déjà été dans des endroits où il y avait des combats, je les ai vus. Mais là, c'est ce que vous pouvez... J'imagine que beaucoup de villes en Ukraine aujourd'hui ressemblent à ça. C'est un tapis de pierre. On sent que ça aurait été bombardé. Ce serait pareil. Tout a explosé. Il y a des impacts de balles partout. Tout est pété.

  • Speaker #0

    Vous croisez quand même les habitants ?

  • Speaker #1

    On croise quelques habitants. Parce qu'il n'y a plus grand monde à Mossoul Ouest. Et justement, je vous racontais, pour arriver à Mossoul Ouest, qui est un petit peu sur un petit plateau, il faut traverser Mossoul Est. Dans Mossoul Est, oui. On voit qu'il y a eu des combats, oui, mais la vie, elle a commencé à reprendre. Il y a des voitures dans la rue, il y a des gens qui circulent, il y a des magasins qui sont ouverts. On est dans une ville d'un pays qui a quand même vécu une succession de conflits depuis des années. Quand on est dans Moussoul Est, on ne se dit pas, tiens, il y a 3, 4, 5 mois, 6 mois, ça a défouraillé ici. On se dit, tiens, la vie a repris. Quand vous passez de l'autre côté, c'est tellement dévasté. qu'il n'y a plus personne qui habite là-bas.

  • Speaker #0

    Et comment se fait-il ? Il y a une frontière ?

  • Speaker #1

    Exactement, c'est une très bonne question que tu poses. Il y a un fleuve, on passe un fleuve, le Tigre. Le Tigre qui coupe Mossoul en deux. Le Tigre qui est un très très grand fleuve. Et qui coupe Mossoul en deux. Et il y a, mais en fait, c'est deux zones qui n'ont rien à voir. C'est vraiment... À la limite, je ferais une comparaison, c'est moi qui ai été beaucoup aux Etats-Unis, à la frontière avec le Mexique. c'est la même chose. Quand vous passez des Etats-Unis à El Paso, à Ciudad Juarez, qui est de l'autre côté, vous passez, vous changez d'univers. C'est vraiment l'espace d'un fleuve, parce que là aussi, on traverse une rivière. C'est hallucinant. C'est d'un côté, vous avez des voitures qui roulent. De l'autre côté, il n'y a pas grand monde qui roule. On est dans une ville, donc nous, on se promène. Il y a deux, trois cafés qui sont ouverts dans Mossoul. On les voit. On va dans l'ouest, donc on va boire un thé. On discute avec des gens. Nous, on est là pour raconter un peu comment la ville s'en relève. On va passer une journée comme ça, une journée qui est... qui est un peu riche en émotions parce qu'on va... En fait, il y a des enfants qui sont complètement paumés. C'est une ville qui est détruite et les familles sont détruites. Donc vous avez des hordes d'enfants qui sont des enfants, des orphelins, qui sont là, qui essayent de survivre, de survivre, quand bien que mal. On va finir par rencontrer une famille incroyable qui vit, et je vais vous raconter la nuit parce que ce désert du jour contraste avec l'activité, le... le foisonnement de la nuit. Et c'est in... Mais j'étais inimaginable. Pour moi, ce coucher de soleil, ce qu'il allait révéler. Parce qu'il y a les lumières, etc.

  • Speaker #0

    Et tu penses que c'est dû à quoi ? Pourquoi le jour ?

  • Speaker #1

    Tu vas voir, tu vas voir. Donc déjà, dans le jour, effectivement, on est à Mossoul Ouest. On est à Mossoul Ouest dans le jour, on va voir des enfants dans les rues, beaucoup, beaucoup... Enfin, c'est vraiment... C'est pas beau. C'est une ville qui est ravagée, les gens sont... Enfin voilà, c'est la guerre. Même si elle est terminée, elle est terminée depuis très peu de temps. On va rencontrer la dernière famille qui habite à Mossoul Ouest, dans la vieille ville, qui nous accueille. On va faire un reportage, on est avec des gens qui ont vécu plusieurs années sous le joug de Daesh, des gens qui ont le droit de ressortir, de se reraser la barbe depuis 4-5 mois, des gens qui sont traumatisés, un père de famille avec sa femme et 3 enfants. Je comprends assez vite qu'il y en avait un quatrième et peut-être... Enfin, il y a eu... C'est des gens qui ont vécu la guerre et qui ont vécu la mort.

  • Speaker #0

    Et comment ils vous accueillent, justement ?

  • Speaker #1

    Très gentiment, très simplement. On est des journalistes, ils sont contents de voir des journalistes. Ils sont contents de nous raconter qu'eux ne sont jamais partis. Ils vivent dans une maison qui est à moitié détruite, dans laquelle il y a un pack de roquettes juste au-dessus du patio. c'est un peu comme un Riyad marocain pour la comparaison qui n'a rien à voir mais c'est des maisons qui sont ouvertes par le centre il y a un puits de lumière au milieu ce puits de lumière, on lève les yeux on voit des trous de balles de partout c'est la dernière famille de Mossoul ils sont très gentils, ils nous accueillent très gentiment on va faire un super reportage donc on a une journée comme ça qui est belle, dure, mais émouvante aussi, parce qu'on rencontre des gens qui sourient, qui ont de l'espoir, il y a des odeurs dégueulasses de cadavres en putréfaction, mais on sent que c'est la fin. Et on voit cette ville qui a envie de se relever, mais il n'y a pas d'eau courante, il y a les ONG Solidarité, si je me souviens bien, qui est une ONG spécialisée dans l'eau, qui commence à installer des tuyaux en plastique, tout doucement dans la ville, pour essayer de rétablir un peu d'eau courante. Maintenant, il y a des zones qui sont fermées, ça peut s'effondrer, ça peut péter, il y a des munitions. Oui, si je n'ai pas bien planté le décor, il faut savoir qu'on marche dans une ville où on ne sort pas de la ligne où on nous lit de marcher. Ça peut être miné. A priori, ça a été déminé, mais il peut rester des trucs. Vous avez des balles, vous avez des cartouches d'armes à feu, il y a des grenades par terre qui traînent. C'est encore ça. On sent que ce n'est pas vieux. C'est pas, pour être un peu trivial, il n'y a pas des flaques de sang partout dans la rue, mais c'était deux mois avant, on le sait, ça se voit. Donc c'est une journée forte en émotions. C'est extrêmement beau aussi, parce que ce chaos, il est assez beau, c'est magnifique, vous êtes dans une vieille ville, donc c'est triste et beau à la fois, parce que les maisons qui sont pétées, vous avez des bas-reliefs, vous avez des... C'est très très beau, moi j'ai des photos incroyables, c'était, voilà, imaginez... des combats qu'on réunit dans un vieux village français, et bien voilà, c'est ça Mossoul Ouest, c'est toute petite maison, toutes collées les unes aux autres, historiques, très vieilles, construites les unes sur les autres, tout est ravagé. Et puis le soir, nous on repart en voiture à Mossoul Est, de l'autre côté du Tigre, parce que là où la ville a été épargnée, Daesh n'a pas occupé Mossoul Est, enfin pas entièrement, et du coup la ville a été moins éclatée, moins ravagée, et donc la vie a repris plus vite. Et on a un hôtel. Alors, un hôtel, c'est un bien grand mot. On est dans un hôtel qui est dans une espèce de bâtiment où il y a absolument... Il y a un seul bâtiment qui est encore debout dans l'hôtel. Tous les autres bâtiments sont brûlés, cramés, bombés. La guerre aussi, elle était là. Et voilà, c'est le dernier bâtiment. Notre fixeur nous a dit, je connais une personne qui... Voilà, c'est une safe place. On peut aller dormir là-bas. Parce qu'après, il n'y a pas de problème. On ne va pas se faire kidnapper pendant la nuit. Mais on est des journalistes, on a du matériel. On est très visibles dans un pays... en grande précarité, qui a vécu la guerre, il y a des cibles sur nos fronts potentiellement, donc il faut dormir dans un endroit safe.

  • Speaker #0

    Vous en avez croisé beaucoup des journalistes ?

  • Speaker #1

    À l'époque où on y est, non. Non, non, parce que ça n'intéresse pas forcément les gens, parce que je vous dis, c'est vraiment la fin de la guerre, donc nous on y va justement pour essayer de raconter un peu après. Et donc on va dans cette espèce d'hôtel où c'est bon, c'est bon, c'est dealé, on paye en liquide, c'est comme ça que ça se passe dans les pays, tu payes en dollars. évidemment. On gare la voiture, il fait encore jour, je fais un direct pour la télé, je suis dans un environnement où tout est brûlé, tout est pété, et nous, on a notre bâtiment où il y a de la lumière, de l'eau, voilà, on va dormir, c'est safe, et on sait surtout que on est dans une safe place.

  • Speaker #0

    Quelle heure il est, là ?

  • Speaker #1

    Là, il est... Je ne sais plus avec le décalage horaire, mais écoute, on va dire que c'est entre 17 et 18h. 18h, la nuit tombe assez tôt, de mémoire, là-bas, à cette époque de l'année. On est en septembre, et... Et donc voilà, là, tout d'un coup, on sort de cette ambiance de jour complètement détruite et ravagée, un peu forte en émotions, et surprenante, et belle, et pas stressante, mais on sent quand même que la guerre n'est pas loin, qu'il faut faire attention. Et puis la nuit, là, tout d'un coup, on arrive enfin dans un endroit où on a du Wi-Fi. C'est tout bête, mais un Wi-Fi tout pourri. Mais on est connecté au monde, on est à notre truc, on pose nos affaires, on a nos sacs, on est content. Et avec la nuit qui tombe, donc on est toujours à Mossoul Est. On se dit, on va sortir, on va aller manger un truc. Et en arrivant sur les quais du Tigre, parce qu'en fait, on part à pied, on est vraiment dans... Voilà, le chauffeur, le gars de l'hôtel et notre fixeur qui dort avec nous, nous dit, OK, c'est bon, on peut aller là, ça s'aïe. Pas de problème, vous allez voir, il y a plein de petits restos. Je dis, quoi, il y a plein de petits restos, quoi ? Et en fait, effectivement, on arrive. Et avec la nuit qui est tombée, la physionomie de la ville a totalement changé. Il y a des petites guitounes partout, au bord du Tigre. qui vendent des petites brochettes de viande, de la bouffe, des glaces. Il y a des gens, il y a des gens qui se promènent, il y a des enfants. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais moi j'étais de l'autre côté, à Mossoul Ouest. Je suis passé de manière éphémère, rapidement, pour aller à Mosoul. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais je ne les ai pas vus. Et donc moi, je sors d'un champ de pierres, je pose mon cul à l'hôtel, je me retourne, et là, je vois une vie, des gens qui vivent. Je suis là, mais qu'est-ce que c'est que c'est ? Incroyable ! On va donc aller déjeuner, dîner, pardon, sur le bord du Tigre. Donc, de mémoire, c'est des petites brochettes, des grands pains qu'ils font griller devant nous, etc. C'est, on t'apporte un coca, un Orangina, tout va bien. Et là, on est sur le bord du Tigre, un peu émerveillé avec notre fixeur et Paul, et à se dire, mais qu'est-ce que c'est incroyable. Et en fait, on dîne au bord de l'eau, vraiment au bord de l'eau. C'est comme une pièce de restaurant, les pieds dans l'eau, avec des marches qui descendent dans l'eau. Je lui dis, tiens, c'est bizarre, pourquoi ils foutent des... Et on sent qu'il y a un accès à l'eau. Et de l'autre côté du fleuve, on ne voit rien, c'est tout noir de l'autre côté, parce que c'est Mossoul Ouest, et que Mossoul Ouest, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas d'électricité. Donc vous êtes dans la lumière, de l'autre côté, c'est noir. Vous allez descendre sur l'eau, vous ne comprenez pas pourquoi, il y a une petite île au milieu avec une fête foraine, c'est lunaire. Et en fait, on commence à voir, en mesure qu'on dîne, on voit des bateaux effectivement qui accostent et qui viennent faire tous les petits restaurants comme ça. Il y en a peut-être une vingtaine de restos qui s'enchaînent. Et en fait, ils proposent aux Irakiens, parce qu'il n'y a pas de touristes, une balade en bateau. Et là, moi, je suis avec mon JRI et je me dis, mais putain, moi j'y vais quoi. En fait, je vais faire une balade en bateau. Et en fait, c'est comme, je ne sais pas moi, des balades de touristes sur la Seine. Il y a un décalage hallucinant. Donc, ils ont des lumières sur les bateaux, des espèces de bateaux très puissants, une espèce de speedboat un peu, c'est assez bizarre. C'est une espèce de petite barque, mais ils ont un bon moteur derrière. Un peu comme tu vois certains bateaux en Asie, en Thaïlande, avec le moteur très long derrière, avec un grand bras. Tu vois, c'est des petites bicoques, des petites barques, mais ça trace. Et donc là, l'idée, c'est qu'on vous emmène. Faire un ride un peu rapide. Donc en fait, vous montez, vous payez, vous vous asseyez dans votre petite barque, votre petit fauteuil, et le mec, il fait trois tours et il vous ramène. C'est une attraction. Quand on fait ces trois tours, moi, je vois qu'il y a une fête foraine sur une île, au milieu. Cette image, je la connaissais, je savais qu'il y avait une fête foraine à Mossoul, parce que même pendant la guerre, elle a toujours existé. Elle était fermée, mais elle a toujours existé. Et donc, je me dis, après le dîner, il fait nuit, donc c'est la première immersion dans cette nuit hallucinante. Donc déjà, on se dit, waouh. Mon Dieu, c'est pas possible, je fais mon tour en bateau, je me dis mais quel décalage avec la vie que j'ai vécu aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Et là il fait vraiment nuit ?

  • Speaker #1

    Là il fait nuit noire, il fait nuit noire et c'est vraiment ça parce qu'il fait nuit noire et qu'en fait de moi j'ai des bateaux qui passent avec les lumières, autour de moi j'ai des lumières et de l'autre côté c'est la teinte de nuit noire. Il n'y a pas une lumière, de l'autre côté c'est Mossoul Ouest, il n'y a pas d'électricité, il n'y a rien, la ville elle a été ravagée. Donc une espèce de décalage, donc moi je suis là et je vois des gens en fait qui vivent. C'est des Irakiens, des habitants de Mossoul qui sont en famille, qui vont se faire... Je ne sais pas, peut-être que je suis un samedi soir ou un jeudi soir et que le vendredi... Je ne sais pas. En tout cas, on est dans une activité. Voilà, c'est des familles normales qui revivent après la guerre. On va ensuite aller sur la fête foraine, je vais te raconter.

  • Speaker #0

    Ces familles qui vivent autour de vous, est-ce que quand elles vous voient journalistes, elles viennent vers vous ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui, bien sûr. Déjà parce qu'on n'a pas la même tête. Ensuite parce qu'on a une caméra. parce que même quand on va de bêtise mais je suis pas sûr non non je pense que je dis en fait on laisse jamais la caméra derrière quand on est en reportage donc Paul doit avoir la caméra sur lui et donc bref on va bouffer comme ça dans ce resto on mange bien on est content on souffle moi je fais mon tour en bateau je suis là je redescends de ce bateau je remonte et Paul je dis mais viens il me dit ça me fait peur t'as peut-être raison de pas y être allé je suis là mais je dis il y a la fête foraine là-bas il faut qu'on y aille quoi On y va, alors attention, c'est pas la foire du trône, il n'y a quasiment rien qui fonctionne bien. Mais vous avez, je me souviens de cette image, des gars qui bouffent de la carpe, donc ils coupent des carpes, ils les mettent autour d'un feu, il y a des espèces de stands où tu peux bouffer, deux, trois petits stands de jeux, on n'est pas à la fête foraine, on tire à la carabine et tout, il y a une espèce de petit manège qui tourne, une espèce de grande roue qui doit faire 4 mètres de haut, c'est tout petit quoi. Mais c'est lunaire et on est dans cette ville-là et dans cette nuit qui vit, alors que c'est vraiment la mort de l'autre côté du fleuve.

  • Speaker #0

    Oui, je suppose que là, il y a un peu des rires, c'est le contraste.

  • Speaker #1

    Mais c'est vivant. Là, tu as l'impression d'être, pour ceux qui nous écoutent et qui ont déjà été dans un pays, ça ressemblerait presque à la limite, attention, toute proportion gardée, à la place Gemma Elfna à Marrakech le soir. On est très, très loin de la place Gemma Elfna, mais il y a du folklore local. Il y a de la bouffe locale, il y a des locaux, il n'y a pas de touristes, il n'y a rien, on est seuls. D'ailleurs si, les gens viennent prendre des photos avec nous, etc. Bon, alors déjà là, moi, à ce moment-là, déjà la nuit que je vous raconte, elle est déjà assez, pour moi, assez exceptionnelle. C'est-à-dire que là, je me dis juste déjà, waouh, mon dieu, mon gars, si t'avais imaginé que Mossoul serait comme ça la nuit... déjà tu aurais été rempli et en fait on comprend aussi que c'est des gens qui ont envie de revivre qui ont envie de revivre et quand on a pas grand chose, quand on a vécu avec Daesh à 300 mètres de nous pendant 2 ans ou 3 ans on reprend goût à la vie et les enfants ils sont avec leurs parents et on va manger une petite glace, ça coûte rien du tout une petite glace à l'eau et puis on va aller faire un tour à la fête foraine même si on prend rien, on va se promener moi je vois cette famille incroyable et puis on rentre à l'hôtel ... parce qu'on est crevé, qu'on va se coucher, que le lendemain on a des reportages encore, etc. Et là, il va encore se passer un truc assez incroyable.

  • Speaker #0

    Là, il est quelle heure ?

  • Speaker #1

    Il doit être 22h, peut-être même moins, 21h, 22h, il fait nuit. Il fait nuit depuis 18h, il fait nuit noire, il y a quelques lumières, oui, sur le bord du Tigre, comme je viens de vous raconter, mais entre eux, moi je me souviens, pour sortir de mon hôtel, je traverse un espèce de... c'est nuit noire, on voit rien, on est avec nos téléphones pour éclairer, c'est vraiment des petits îlots de vie au milieu d'une ville déchirée. par la guerre. On va rentrer dans la chambre, chacun sa chambre, avec Paul, il est en fin de chambre, on est sur un petit lit pour vous dire, pour juste qu'on ait le truc, on dort, je me souviens, il n'y a pas de drap, on dort sur une couverture, sur un lit, l'eau, oui il y a une salle de bain avec de l'eau qui coule marron, on s'en fout, on n'est pas là pour le confort, mais on est surtout dans un endroit où on peut... Je pense que c'est à peu près le seul hôtel qui fonctionne à peu près et qui accepte, et surtout dans lequel on est emmené par des gens qui nous disent « C'est bon, ici vous pouvez dormir en toute confiance. » Et on doit faire confiance. On n'a pas le choix de faire confiance, c'est pour ça qu'on travaille avec des fixeurs. Et donc cet hôtel, il est quand même bien claqué. Et puis là, on est pendant la nuit, pendant le soir, il est 22h, 22h30, peut-être même 23h, on entend du boucan au-dessus de nous. Je suis là, mais regarde, je sors, je vais voir Paul, je dis c'est quoi toi aussi, tu les entends les pas au-dessus, c'est pas possible. Il me dit ouais moi je regarde, moi derrière, regarde le parking, c'est un balai de voitures depuis tout à l'heure, il monte par sa fenêtre. Effectivement, une espèce de terrain vague derrière l'hôtel où il y a 50 voitures qui sont garées. Il me dit gars ça fait une heure là, ils arrêtent pas, et lui à ce moment là, Paul il est en train de travailler, parce qu'il doit envoyer les images à Paris, etc. Donc il est en train de bosser, moi je suis en train de bosser à côté, je vais le voir, j'ai dit j'entends des pas au-dessus, il me dit oui mais moi aussi je les entends, et puis il regarde derrière, putain mais là qu'est-ce que c'est que ce bordel quoi. Cinquantaine de voitures garées au milieu de nulle part, dans un terrain vague, derrière notre hôtel, tout est ravagé autour, et j'entends du bruit au-dessus. On m'a dit ça, mec, je veux savoir ce que c'est. Et comme je suis toujours un peu con, un peu curieux et peut-être un peu insouciant, je redescends et je me dis, je vais aller essayer de fouiner, je vais regarder ce que c'est que ce truc, où est-ce qu'ils vont, ces gens, ils sont où ? Et en fait, assez rapidement, j'arrive sur le bord de l'hôtel, et sur le bord, enfin, sur le bâtiment, et là je vois qu'il y a une espèce de porte avec un mec devant. J'arrive, ils ne me demandent absolument rien, ils m'ouvrent la porte et je monte un escalier. Et en fait, effectivement, je vois que je suis en train de monter l'escalier de secours à l'extérieur du bâtiment dans lequel j'ai ma chambre. Et puis en fait, je vais arriver à une autre salle et là, je rentre dans une salle. Et là, odeur, bruit, clope, ça sent la clope, il y a du bruit, il y a du machin, etc. Et je rentre en fait dans un bar clandestin à Mossoul. Et là, j'ai devant moi, c'est glauque. J'ai une espèce de... Imaginez, je pense que ça devait être la salle du petit-déj de l'hôtel à une époque.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est pour vous imaginer, une espèce de grande salle en longueur avec des fenêtres sur les côtés, aucun charme, rien de moche, et des grandes tables alignées, comme dans un réfectoire, les unes derrière les autres. Et il y a une cinquantaine de personnes dans cette pièce, parfois des groupes de deux ou trois, mais la plupart du temps des gens seuls, avec une petite bouteille de whisky, une bière. et ils sont tous en train de picoler tout seuls dans leur coin ou parfois en groupe de 3 ou 4 et donc je suis dans un bar clandestin dans un bar clandestin à Mossoul où Mossoul c'est l'Irak donc ceux qui boivent c'est honteux donc ils se cachent c'est même été interdit à l'époque de Daesh à l'époque de Daesh il ne fallait pas grand chose pour se faire buter et donc je vais me retrouver comme ça dans ce bar et je vais me dire mais ouais mes gars vas-y moi aussi je vais me boire quelques bières et je vais regarder et je suis tout seul parce que je redescends pas voir Paul qui est dans la chambre je me dis non gars t'es ici reste-y regarde ce truc et je me pose et ouais c'est glauque un peu parce qu'on sent quand même des gens qui boivent, qui boivent seuls et qui sont seuls et qui sont tristes.

  • Speaker #0

    Mais ça y'a pas de musique y'a pas de...

  • Speaker #1

    Non non non y'a pas de musique, y'a alors ouais j'aurais peut-être dû essayer de vous raconter à quoi ça ressemble c'est plus de grande salle, y'a comme un espèce de vestiaire à l'entrée qui est le bar en fait y'a rien d'écrit Vous allez voir et vous vous dites, il y a des bières, et il dit, hop, il sort des bières. Il y a des petites bouteilles de whisky, je me souviens, ce qui m'avait frappé, c'est qu'ils ont un format de bouteilles de whisky que j'avais jamais vu. De flash de petites bouteilles, mais pas si petites que ça, que j'ai jamais vu auparavant. Donc voilà, ils boivent des bouteilles de Gibi. Ils se boivent des petites bouteilles de Gibi qui font entre, je ne sais pas, au format d'une canette, un peu plus, comme un flash, mais un peu plus grand. Et ils sont là, ils se picolent ça avec du coca ou des bières. Souvent, ils sont là avec des cigarettes à côté, qu'ils fument, un cendrier plein de clopes et des bouteilles vides à côté. Et donc, c'est des gens qui sont dans la consommation d'alcool. Peut-être pas très gays, peut-être pas très festifs. Mais c'est extrêmement surprenant. Moi je dis souvent ça, en tant que journaliste, il n'y a pas beaucoup de pays dans lesquels je n'ai pas trouvé des gens qui buvaient. Partout. Le seul endroit où je n'ai vraiment pas trouvé une bière à boire, c'est à Gaza. Ça, je n'ai jamais trouvé. Mais même en Irak, même dans des pays en guerre, même dans des pays très compliqués, même dans des pays où la religion l'interdit, on trouve toujours des gens qui boivent. Mais là, ce qui m'impressionne vraiment, c'est cette accumulation de... d'épisodes d'une nuit qui te penche complètement avec ce que j'ai vu pendant la journée.

  • Speaker #0

    Et toi, qu'est-ce que tu ressens en ce moment ? Toi, t'es là, t'es au milieu, tu vois tous ces gens en face de toi. Qu'est-ce qui te traverse la tête ?

  • Speaker #1

    Moi, je me dis quelle vie de merde. Je me dis, ils sont pas heureux ces gens. Je me dis, c'est pas les bars que moi je fréquente, c'est pas des bars où on va rigoler avec des copains, c'est des gens qui viennent boire, qui viennent s'alcooliser. à la fois je suis un peu amusé parce que ça pue l'hypocrisie à 10 km parce que c'est probablement des gens qui vont aller à la mosquée etc mais moi je juge pas du tout je juge pas parce que je me dis mon dieu ces gens ils ont juste vécu l'enfer pendant des années après oui c'est triste, c'est triste c'est de la consommation d'alcool, c'est pas boire un verre comme nous on le dit, là c'est des gens qui vont s'alcooliser, des gens qui sont malheureux, c'est des gens qui c'est triste, c'est triste c'est triste, c'est triste, ça sent la... ça clope, ça parle pas. Je te dis, c'est vraiment, à part peut-être deux groupes qui doivent jouer aux cartes, c'est que des gens qui sont seuls face à leur bouteille. Et qui, à la limite, se regardent pas les uns les autres, parce qu'il faudrait surtout pas porter un regard sur le voisin, parce qu'il fait la même chose que toi, et que tu as pas envie de le mettre mal à l'aise, et puis il y a peut-être même des gens, ça se trouve, qui se connaissent, qui viennent du même quartier, et qui se regardent en se disant, et qui baissent les yeux en se disant, tu dis pas, je dis pas, on s'est pas vus, voilà. Moi, c'est ça que je ressens. Et puis... Et puis je ressens une forme aussi d'émerveillement parce que je me dis, waouh, je suis dans un endroit où il en faut de la chance, où il en faut des coïncidences pour se retrouver dans une histoire comme celle-ci, se retrouver dans un bar à Mossoul, il en faut, tu vois, des occurrences et des coups de chance pour arriver dans cet endroit-là. Je pense que si j'avais voulu faire un reportage sur un truc comme ça, mon fixeur m'aurait dit, c'est introuvable. C'est introuvable. C'est introuvable parce que ça se file sous le manteau, parce que c'est des adresses secrètes, je peux, mais ça va me prendre 3, 4, 5 jours. Et là je tombe dessus. Et là je tombe dessus. Mais de la même manière que si j'avais dit... J'aurais jamais dit, et on a fait un reportage au final, parce qu'on est resté plusieurs jours, on a fait un reportage sur cette fête foraine. On a fait un reportage sur cette fête foraine parce que j'ai découvert qu'elle était là. Même si j'avais entendu parler que j'avais vu des photos pendant la guerre, parce que c'était une photo assez impressionnante, une espèce de grand roue, même si elle est petite avec Mossoul derrière. J'avais vu cette photo dans les banques d'images, mais je n'étais pas parti en me disant tiens on va faire un reportage sur la nouvelle vie, la vie qui reprend à Mossoul, j'étais loin d'imaginer ça.

  • Speaker #0

    Puis je suppose qu'entre le voir en photo et te retrouver au milieu,

  • Speaker #1

    c'est une sensation. Oui, puis surtout moi je l'avais vu en photo comme, tu vois, l'image qu'on a tous peut-être en tête de la fête foraine à Tchernobyl. moi j'avais vu des photos comme ça de cette forêt abandonnée en pleine guerre avec de la poussière partout et des impacts de balles j'avais aucune idée que la vie avait repris à ce point là et même pendant la journée j'avais aucune idée, j'avais pas vu ça donc finalement on a fait un sujet donc en fait c'est parfois la nuit la nuit on se laisse porter on découvre des choses assez folles on découvre aussi que les gens se lâchent plus On découvre que les gens se dévoilent un peu plus. Et là, ils dévoilent une forme de tristesse, de vie brisée, dans laquelle ces gens vont aller s'alcooliser le soir, pas pour rigoler avec des potes, mais juste pour se casser la tête et rentrer dormir. Parce que je pense que sans ça, quand on a vécu à Mossoul et qu'on a peut-être perdu la moitié de sa famille, peut-être toute sa famille... Je pense qu'on n'arrive pas à dormir. Et d'ailleurs, si tu me demandais ce que je ressens, je me dis ça. En les regardant, je me dis combien de ces hommes qui sont là

  • Speaker #0

    ont perdu un membre de leur famille. Probablement tous.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu penses aussi à ta famille en France,

  • Speaker #0

    non ? Non, non, non, non. C'est molle, c'est le mec qui change complètement. Non, rien à foutre. Non, non, non, non, je ne pense pas à ma famille en France parce que... c'est des choses qui n'ont rien à voir parce que je ne suis pas en danger quand je fais ça, donc à la limite oui potentiellement en tant que journaliste ou pilote de course ou policier quand tu as un moment dans ta vie ou t'es en danger, ou n'importe qui, ou toi qui traverses la route, et tu te dis, j'ai failli me faire écraser, oui, tu penses à ta famille en disant, mon Dieu, mais là, moi, je pense pas à ma famille. Je pense pas à ma famille, je pense à la chance que mes filles ont d'être nées en France quand je suis dans la maison à Mossoulou. ouest et qu'il y a un petit garçon qui a l'âge de mes enfants et là ça me serre le coeur mais quand je suis avec des Irakiens qui sont en train de se Ausha la gueule le soir je suis plutôt non je suis plutôt en observation je me dis wow wow pas facile

  • Speaker #1

    Et là du coup comment se termine cette nuit parce que finalement t'es obligé de les laisser ? Tu restes avec eux jusqu'au matin ?

  • Speaker #0

    Non, non, non, c'est que j'ai du boulot. Je pense qu'à un moment je me dis j'ai ce que je suis venu chercher. parce que moi aussi je suis content, après cette journée, de me coller 2-3 bières dans la gueule pour parler clairement. Et donc je pense que je dois boire mes 2-3 bières, fumer une ou deux clopes, je regarde ça, je suis hyper étonné, puis je redescends, je vais voir Paul qui doit dormir, et je lui dis mec il y a un bar au-dessus, c'est la luge, je viens de passer trois quarts d'heure là-haut, c'est waouh. Et puis on va se coucher. Et le lendemain, le soleil s'est relevé. Donc tous les alentours de l'hôtel que j'avais vu remplis de bagnoles, c'est un terrain vague. Mon hôtel extérieur, l'extérieur de l'hôtel que j'ai traversé, il y a à nouveau toutes les images que je ne voyais plus la nuit. C'est-à-dire que je vois que les bâtiments sont brûlés, qu'il y a des impacts de balles partout. je repasse en bagnole le long du Tigre il n'y a plus les lumières les guittounes sont toutes fermées les barques sont rangées les gens sont moins dehors ils sont au boulot peut-être mais je retrouve le Mossoul éteint que j'avais laissé la veille au soir à la tombée de la nuit et je repars dans Mossoul Ouest je ne sais plus ce qu'on a fait mais je crois qu'après on est allé faire un reportage je crois que que le lendemain justement je suis allé dans un ancien palais de Saddam Hussein où l'armée avait établi son état-major pour aller demander des autorisations de circuler

  • Speaker #1

    Et là le lendemain, quand tu sais comment c'était la nuit, est-ce que tu vois le jour sous un autre oeil ?

  • Speaker #0

    Je me dis, ils sont où les mecs qui se buvaient des binômes hier ? Vous faites quoi aujourd'hui ? Vous êtes où les gars ? Ils sont où ces enfants qui étaient joyeux ? C'était un... Oui, tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu te dis, OK, d'accord. Donc, il y a une deuxième vie. Il y a une deuxième ville, même.

  • Speaker #1

    Merci, Baptiste, pour cette... Belle histoire, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Cette histoire incongrue, inattendue en tout cas, pour moi elle était très inattendue.

  • Speaker #1

    Et puis ce voyage à travers ton regard jusque là-bas. Une petite dernière question, toi, quelle histoire t'aimerais entendre sur la nuit ?

  • Speaker #0

    Moi j'ai souvent vécu la nuit parce que j'ai été journaliste la nuit. Donc j'étais en matinale, donc ça veut dire que je prenais mon boulot, je commençais mon boulot à 2h du mat. Vous imaginez pas le nombre de gens qui travaillent la nuit en fait, on se rend pas compte. C'est hallucinant, il y a énormément de gens. Donc peut-être l'histoire de ces invisibles qui partent de banlieue et qui prennent le premier RER pour venir nettoyer les bureaux d'école blanc. Et de mes bureaux aussi, parce que quand j'étais à UFMTV, journaliste et que je travaillais la nuit, mais je voyais ces gens. qui venaient nettoyer mes bureaux. Et je me disais, eux aussi travaillent la nuit. Et eux aussi doivent rentrer bien fatigués le matin. Et on n'a pas la même vie. Et je pense que ces gens, on n'en parle jamais. Et je pense que c'est... Ouais, c'est des personnages, j'aimerais m'entendre des histoires comme ça. il faut les mettre en valeur, ces gens-là. Parce que quand on arrive le matin avec la tasse de café qu'on a laissée sur le bureau, elle n'est plus là. C'est qu'il y a quelqu'un qui l'a ramassée. Et c'est un peu les invisibles. Et la nuit, il y a plein d'invisibles.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Baptiste.

  • Speaker #0

    Je t'en prie. C'était un plaisir.

  • Speaker #1

    Merci pour l'écoute. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Pour être au courant de nos prochains témoignages ou si vous aussi, vous souhaitez partager avec nous une de vos nuits, n'hésitez pas à nous suivre et à nous contacter sur les réseaux sociaux Merci encore et à la prochaine !

Description

Que se passe-t-il vraiment dans une ville marquée par la guerre, où la nuit révèle des histoires insoupçonnées ? Dans cet épisode captivant de "La Nuit Des Gens", Axelle s'entretient avec Baptiste Des Montiers, un grand reporter qui nous plonge au cœur de Mossoul, en Irak. Baptiste partage son expérience unique d'une nuit dans cette ville emblématique, où les cicatrices de la guerre coexistent avec une résilience palpable.

Au fil de la conversation, Baptiste nous décrit un Mossoul en pleine renaissance. Pendant la journée, il arpente les ruines de la vieille ville, témoin des destructions infligées par le conflit et de l'ombre de Daesh qui plane encore. Mais lorsque le soleil se couche, à sa grande surprise la ville se transforme.

Écoutez "La Nuit Des Gens" et laissez-vous transporter par la magie de ce récits authentiques.


Si vous souhaitez vous aussi partager avec nous une de vos nuits, envoyez nous un mail à axelle.rey@lndg.fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir, c'est Axelle, et avec La Nuit des gens, je vous emmène à travers des témoignages découvrir des destins uniques et particuliers nés dans l'étrangeté de la nuit. Bonsoir, ce soir je suis avec Baptiste. Baptiste, je te laisse te présenter.

  • Speaker #1

    Bonsoir, donc je m'appelle Baptiste, Baptiste Desmontiers, je suis journaliste, je suis grand reporter, j'ai 42 ans et je suis père de deux petites filles.

  • Speaker #0

    Alors ce soir, t'as une nuit... Un peu particulière, tu as vécu dans le cadre de ton travail ? Est-ce que tu peux nous en dire plus ?

  • Speaker #1

    Oui, effectivement. Je vais vous raconter l'histoire d'une nuit que j'ai passée à Mossoul, en Irak. C'est une ville que tout le monde connaît pour avoir été l'épicentre d'une guerre et le siège de Daesh. En tout cas, c'était la ville qui a vu naître l'État islamique. Et en reportage, j'ai découvert une nuit à Mossoul et j'étais loin d'imaginer que... Le contraste pouvait être si intéressant et important entre le jour et la nuit.

  • Speaker #0

    C'était en quelle année ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'était en 2018 ou 2019. Il n'y a plus la guerre à proprement parler à Mossoul, la ville est tombée, l'État islamique est parti, on est quand même dans un pays dans lequel c'est encore... très très très tendu c'est très difficile de s'y rendre et oui je vais vous raconter on n'est plus dans les combats mais on est quand même dans une ville qui vient d'être libérée dans laquelle il y a encore potentiellement des zones et des poches de résistance ou en tout cas des poches de combattants de l'état islamique qui peuvent se cacher pas forcément exactement dans Mossoul mais à côté pour vous donner un ordre d'idée je suis journaliste, quand on va sur des terrains comme ça on a du matériel de sécurité, des casques et des gilets pare-balles, ils sont dans la voiture je les porte pas, donc ça raconte quand même que voilà, c'est très cool, très détente y'a pas de soucis, mais il faut faire très attention et surtout, en fait c'est la nuit qui est intéressante donc la nuit que je vais vous raconter elle est inimaginable quand on a vécu la journée que je vais vous raconter En gros, on arrive à Mossoul. Pour rentrer à Mossoul, qui est dans le nord de l'Irak, nous on passe par Erbil. Erbil, c'est le Kurdistan irakien. Donc c'est une zone dans laquelle les Français et les journalistes ont toujours été très très très bienvenus et par laquelle on peut aller jusqu'à Mossoul. Mais bon, c'est une manière de rentrer qui est un peu... Pas très officiel, on devrait rentrer par la capitale. On ne le fait pas, on passe par le nord parce que c'est encore un petit peu compliqué. Il y a encore des poches de résistance, des poches de danger, etc. Mais je vous le redis, il n'y a plus de guerre, il n'y a plus d'échange. Il y a des hommes en armes partout, mais ça ne pète pas.

  • Speaker #0

    Tu es accompagné toi ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, bien sûr. On est plusieurs. Donc moi, j'arrive d'Airbill. On a une route de 3-4 heures pour aller jusqu'à Mossoul. Je suis avec mon caméraman qui s'appelle Paul Bouffard. A l'époque, je travaillais pour Quotidien. Je suis aussi avec mon fixeur. Un fixeur, c'est une personne qui vous accompagne et qui fait en sorte qu'il ne vous arrive rien et que vous puissiez obtenir les bonnes choses et les bonnes infos. Première chose, quand on va en Irak, moi, je ne parle pas arabe. Donc c'est très compliqué. J'ai besoin d'un traducteur. Mais j'ai besoin de plus que d'un traducteur. j'ai besoin d'un fixeur à qui je vais pouvoir dire tiens ça serait bien qu'on aille interroger tel chef de l'armée est ce que tu sais comment le contacter on arrive en irak il faut les codes et puis c'est aussi celui qui va potentiellement entendre des trucs dans la rue et qui va nous dire faut partir d'accord partir j'ai les oreilles qui donc c'est un c'est un journaliste il s'appelle mando je l'aime beaucoup on est toujours en contact c'est un journaliste c'est un mec très intelligent très habile qui a plein de contacts un fixeur ça peut être un chauffeur de taxi parce qu'il a les clés de la ville Il connaît tout. C'est quelqu'un, en tout cas, qui est sensibilisé à nos besoins, nous, d'occidentaux, de médias français. Il sait que quand on fait une interview, ce n'est pas n'importe qui. Il faut être sérieux, il faut être carré. Il faut bien vérifier que la personne qui nous parle nous dise bien réellement son identité. Donc voilà, il nous protège, il nous aide. Il nous aide à progresser dans un environnement qui n'est pas le nôtre. Et donc, on va partir d'Airbill avec Paul Mando. Il va y avoir aussi le chauffeur. Je ne me souviens plus de son prénom. Et on trace, on trace sur Mossoul, et effectivement, il y a vraiment deux parties dans Mossoul. Il y a Mossoul Est et Mossoul Ouest. C'est Mossoul Ouest qui a été ravagée de mémoire, c'est la vieille ville, la très très vieille ville. Et moi j'arrive là-bas, et plus on rentre dans Mossoul, plus on voit que les combats étaient là. C'est-à-dire qu'on se rend bien compte que les combats étaient là.

  • Speaker #0

    Et du coup, qu'est-ce que tu ressens toi à ce moment-là ? T'as déjà vu d'autres zones comme ça ?

  • Speaker #1

    Ouais, j'ai déjà vu des zones compliquées, des zones de combat ou des zones d'émeute. En fait, c'est en arrivant à Mossoul Ouest que là, moi, je prends une claque. Je prends une claque parce que la vieille ville de Mossoul, il y a même une mosquée dans laquelle avait été proclamé le califat de l'État islamique. Cette ville-là, on l'a vue à la télévision, on l'a vue, revue, mais c'était des combats. Moi, j'arrive, c'est un champ de ruines. Plus un immeuble debout, plus une maison debout. Et Mossoul, c'est une vieille ville, c'est un peu le Marais à Paris. C'est le vieux Mossoul. Donc c'est magnifique. C'est ravagé. C'est ravagé, on circule correctement, il n'y a plus de danger. J'ai toujours vous le dit, le jéparbal est dans la voiture, il est dans le coffre, mais on ne le porte pas. On se promène et on arrive dans une ville où il y a encore des endroits où il ne faut pas aller parce que c'est miné. Il y a encore, pour vous donner un détail un peu sordide, ça sent la mort. Ça sent la mort, clairement. Les combats se sont arrêtés depuis plusieurs mois, mais il y a des cadavres en putréfaction sous les débris. Moi, je fais mon boulot. On va voir cette ville. On essaie de voir, de raconter comment elle se relève ou pas. Et on va passer comme ça une journée, un soleil écrasant, avec les yeux écarquillés, parce que c'est extrêmement surprenant. On imagine, c'est dur d'imaginer la puissance des combats tant qu'on n'y a pas été. Et on se dit, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh, waouh. J'ai déjà été dans des endroits où il y avait des combats, je les ai vus. Mais là, c'est ce que vous pouvez... J'imagine que beaucoup de villes en Ukraine aujourd'hui ressemblent à ça. C'est un tapis de pierre. On sent que ça aurait été bombardé. Ce serait pareil. Tout a explosé. Il y a des impacts de balles partout. Tout est pété.

  • Speaker #0

    Vous croisez quand même les habitants ?

  • Speaker #1

    On croise quelques habitants. Parce qu'il n'y a plus grand monde à Mossoul Ouest. Et justement, je vous racontais, pour arriver à Mossoul Ouest, qui est un petit peu sur un petit plateau, il faut traverser Mossoul Est. Dans Mossoul Est, oui. On voit qu'il y a eu des combats, oui, mais la vie, elle a commencé à reprendre. Il y a des voitures dans la rue, il y a des gens qui circulent, il y a des magasins qui sont ouverts. On est dans une ville d'un pays qui a quand même vécu une succession de conflits depuis des années. Quand on est dans Moussoul Est, on ne se dit pas, tiens, il y a 3, 4, 5 mois, 6 mois, ça a défouraillé ici. On se dit, tiens, la vie a repris. Quand vous passez de l'autre côté, c'est tellement dévasté. qu'il n'y a plus personne qui habite là-bas.

  • Speaker #0

    Et comment se fait-il ? Il y a une frontière ?

  • Speaker #1

    Exactement, c'est une très bonne question que tu poses. Il y a un fleuve, on passe un fleuve, le Tigre. Le Tigre qui coupe Mossoul en deux. Le Tigre qui est un très très grand fleuve. Et qui coupe Mossoul en deux. Et il y a, mais en fait, c'est deux zones qui n'ont rien à voir. C'est vraiment... À la limite, je ferais une comparaison, c'est moi qui ai été beaucoup aux Etats-Unis, à la frontière avec le Mexique. c'est la même chose. Quand vous passez des Etats-Unis à El Paso, à Ciudad Juarez, qui est de l'autre côté, vous passez, vous changez d'univers. C'est vraiment l'espace d'un fleuve, parce que là aussi, on traverse une rivière. C'est hallucinant. C'est d'un côté, vous avez des voitures qui roulent. De l'autre côté, il n'y a pas grand monde qui roule. On est dans une ville, donc nous, on se promène. Il y a deux, trois cafés qui sont ouverts dans Mossoul. On les voit. On va dans l'ouest, donc on va boire un thé. On discute avec des gens. Nous, on est là pour raconter un peu comment la ville s'en relève. On va passer une journée comme ça, une journée qui est... qui est un peu riche en émotions parce qu'on va... En fait, il y a des enfants qui sont complètement paumés. C'est une ville qui est détruite et les familles sont détruites. Donc vous avez des hordes d'enfants qui sont des enfants, des orphelins, qui sont là, qui essayent de survivre, de survivre, quand bien que mal. On va finir par rencontrer une famille incroyable qui vit, et je vais vous raconter la nuit parce que ce désert du jour contraste avec l'activité, le... le foisonnement de la nuit. Et c'est in... Mais j'étais inimaginable. Pour moi, ce coucher de soleil, ce qu'il allait révéler. Parce qu'il y a les lumières, etc.

  • Speaker #0

    Et tu penses que c'est dû à quoi ? Pourquoi le jour ?

  • Speaker #1

    Tu vas voir, tu vas voir. Donc déjà, dans le jour, effectivement, on est à Mossoul Ouest. On est à Mossoul Ouest dans le jour, on va voir des enfants dans les rues, beaucoup, beaucoup... Enfin, c'est vraiment... C'est pas beau. C'est une ville qui est ravagée, les gens sont... Enfin voilà, c'est la guerre. Même si elle est terminée, elle est terminée depuis très peu de temps. On va rencontrer la dernière famille qui habite à Mossoul Ouest, dans la vieille ville, qui nous accueille. On va faire un reportage, on est avec des gens qui ont vécu plusieurs années sous le joug de Daesh, des gens qui ont le droit de ressortir, de se reraser la barbe depuis 4-5 mois, des gens qui sont traumatisés, un père de famille avec sa femme et 3 enfants. Je comprends assez vite qu'il y en avait un quatrième et peut-être... Enfin, il y a eu... C'est des gens qui ont vécu la guerre et qui ont vécu la mort.

  • Speaker #0

    Et comment ils vous accueillent, justement ?

  • Speaker #1

    Très gentiment, très simplement. On est des journalistes, ils sont contents de voir des journalistes. Ils sont contents de nous raconter qu'eux ne sont jamais partis. Ils vivent dans une maison qui est à moitié détruite, dans laquelle il y a un pack de roquettes juste au-dessus du patio. c'est un peu comme un Riyad marocain pour la comparaison qui n'a rien à voir mais c'est des maisons qui sont ouvertes par le centre il y a un puits de lumière au milieu ce puits de lumière, on lève les yeux on voit des trous de balles de partout c'est la dernière famille de Mossoul ils sont très gentils, ils nous accueillent très gentiment on va faire un super reportage donc on a une journée comme ça qui est belle, dure, mais émouvante aussi, parce qu'on rencontre des gens qui sourient, qui ont de l'espoir, il y a des odeurs dégueulasses de cadavres en putréfaction, mais on sent que c'est la fin. Et on voit cette ville qui a envie de se relever, mais il n'y a pas d'eau courante, il y a les ONG Solidarité, si je me souviens bien, qui est une ONG spécialisée dans l'eau, qui commence à installer des tuyaux en plastique, tout doucement dans la ville, pour essayer de rétablir un peu d'eau courante. Maintenant, il y a des zones qui sont fermées, ça peut s'effondrer, ça peut péter, il y a des munitions. Oui, si je n'ai pas bien planté le décor, il faut savoir qu'on marche dans une ville où on ne sort pas de la ligne où on nous lit de marcher. Ça peut être miné. A priori, ça a été déminé, mais il peut rester des trucs. Vous avez des balles, vous avez des cartouches d'armes à feu, il y a des grenades par terre qui traînent. C'est encore ça. On sent que ce n'est pas vieux. C'est pas, pour être un peu trivial, il n'y a pas des flaques de sang partout dans la rue, mais c'était deux mois avant, on le sait, ça se voit. Donc c'est une journée forte en émotions. C'est extrêmement beau aussi, parce que ce chaos, il est assez beau, c'est magnifique, vous êtes dans une vieille ville, donc c'est triste et beau à la fois, parce que les maisons qui sont pétées, vous avez des bas-reliefs, vous avez des... C'est très très beau, moi j'ai des photos incroyables, c'était, voilà, imaginez... des combats qu'on réunit dans un vieux village français, et bien voilà, c'est ça Mossoul Ouest, c'est toute petite maison, toutes collées les unes aux autres, historiques, très vieilles, construites les unes sur les autres, tout est ravagé. Et puis le soir, nous on repart en voiture à Mossoul Est, de l'autre côté du Tigre, parce que là où la ville a été épargnée, Daesh n'a pas occupé Mossoul Est, enfin pas entièrement, et du coup la ville a été moins éclatée, moins ravagée, et donc la vie a repris plus vite. Et on a un hôtel. Alors, un hôtel, c'est un bien grand mot. On est dans un hôtel qui est dans une espèce de bâtiment où il y a absolument... Il y a un seul bâtiment qui est encore debout dans l'hôtel. Tous les autres bâtiments sont brûlés, cramés, bombés. La guerre aussi, elle était là. Et voilà, c'est le dernier bâtiment. Notre fixeur nous a dit, je connais une personne qui... Voilà, c'est une safe place. On peut aller dormir là-bas. Parce qu'après, il n'y a pas de problème. On ne va pas se faire kidnapper pendant la nuit. Mais on est des journalistes, on a du matériel. On est très visibles dans un pays... en grande précarité, qui a vécu la guerre, il y a des cibles sur nos fronts potentiellement, donc il faut dormir dans un endroit safe.

  • Speaker #0

    Vous en avez croisé beaucoup des journalistes ?

  • Speaker #1

    À l'époque où on y est, non. Non, non, parce que ça n'intéresse pas forcément les gens, parce que je vous dis, c'est vraiment la fin de la guerre, donc nous on y va justement pour essayer de raconter un peu après. Et donc on va dans cette espèce d'hôtel où c'est bon, c'est bon, c'est dealé, on paye en liquide, c'est comme ça que ça se passe dans les pays, tu payes en dollars. évidemment. On gare la voiture, il fait encore jour, je fais un direct pour la télé, je suis dans un environnement où tout est brûlé, tout est pété, et nous, on a notre bâtiment où il y a de la lumière, de l'eau, voilà, on va dormir, c'est safe, et on sait surtout que on est dans une safe place.

  • Speaker #0

    Quelle heure il est, là ?

  • Speaker #1

    Là, il est... Je ne sais plus avec le décalage horaire, mais écoute, on va dire que c'est entre 17 et 18h. 18h, la nuit tombe assez tôt, de mémoire, là-bas, à cette époque de l'année. On est en septembre, et... Et donc voilà, là, tout d'un coup, on sort de cette ambiance de jour complètement détruite et ravagée, un peu forte en émotions, et surprenante, et belle, et pas stressante, mais on sent quand même que la guerre n'est pas loin, qu'il faut faire attention. Et puis la nuit, là, tout d'un coup, on arrive enfin dans un endroit où on a du Wi-Fi. C'est tout bête, mais un Wi-Fi tout pourri. Mais on est connecté au monde, on est à notre truc, on pose nos affaires, on a nos sacs, on est content. Et avec la nuit qui tombe, donc on est toujours à Mossoul Est. On se dit, on va sortir, on va aller manger un truc. Et en arrivant sur les quais du Tigre, parce qu'en fait, on part à pied, on est vraiment dans... Voilà, le chauffeur, le gars de l'hôtel et notre fixeur qui dort avec nous, nous dit, OK, c'est bon, on peut aller là, ça s'aïe. Pas de problème, vous allez voir, il y a plein de petits restos. Je dis, quoi, il y a plein de petits restos, quoi ? Et en fait, effectivement, on arrive. Et avec la nuit qui est tombée, la physionomie de la ville a totalement changé. Il y a des petites guitounes partout, au bord du Tigre. qui vendent des petites brochettes de viande, de la bouffe, des glaces. Il y a des gens, il y a des gens qui se promènent, il y a des enfants. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais moi j'étais de l'autre côté, à Mossoul Ouest. Je suis passé de manière éphémère, rapidement, pour aller à Mosoul. Ils étaient peut-être là pendant la journée, mais je ne les ai pas vus. Et donc moi, je sors d'un champ de pierres, je pose mon cul à l'hôtel, je me retourne, et là, je vois une vie, des gens qui vivent. Je suis là, mais qu'est-ce que c'est que c'est ? Incroyable ! On va donc aller déjeuner, dîner, pardon, sur le bord du Tigre. Donc, de mémoire, c'est des petites brochettes, des grands pains qu'ils font griller devant nous, etc. C'est, on t'apporte un coca, un Orangina, tout va bien. Et là, on est sur le bord du Tigre, un peu émerveillé avec notre fixeur et Paul, et à se dire, mais qu'est-ce que c'est incroyable. Et en fait, on dîne au bord de l'eau, vraiment au bord de l'eau. C'est comme une pièce de restaurant, les pieds dans l'eau, avec des marches qui descendent dans l'eau. Je lui dis, tiens, c'est bizarre, pourquoi ils foutent des... Et on sent qu'il y a un accès à l'eau. Et de l'autre côté du fleuve, on ne voit rien, c'est tout noir de l'autre côté, parce que c'est Mossoul Ouest, et que Mossoul Ouest, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas d'électricité. Donc vous êtes dans la lumière, de l'autre côté, c'est noir. Vous allez descendre sur l'eau, vous ne comprenez pas pourquoi, il y a une petite île au milieu avec une fête foraine, c'est lunaire. Et en fait, on commence à voir, en mesure qu'on dîne, on voit des bateaux effectivement qui accostent et qui viennent faire tous les petits restaurants comme ça. Il y en a peut-être une vingtaine de restos qui s'enchaînent. Et en fait, ils proposent aux Irakiens, parce qu'il n'y a pas de touristes, une balade en bateau. Et là, moi, je suis avec mon JRI et je me dis, mais putain, moi j'y vais quoi. En fait, je vais faire une balade en bateau. Et en fait, c'est comme, je ne sais pas moi, des balades de touristes sur la Seine. Il y a un décalage hallucinant. Donc, ils ont des lumières sur les bateaux, des espèces de bateaux très puissants, une espèce de speedboat un peu, c'est assez bizarre. C'est une espèce de petite barque, mais ils ont un bon moteur derrière. Un peu comme tu vois certains bateaux en Asie, en Thaïlande, avec le moteur très long derrière, avec un grand bras. Tu vois, c'est des petites bicoques, des petites barques, mais ça trace. Et donc là, l'idée, c'est qu'on vous emmène. Faire un ride un peu rapide. Donc en fait, vous montez, vous payez, vous vous asseyez dans votre petite barque, votre petit fauteuil, et le mec, il fait trois tours et il vous ramène. C'est une attraction. Quand on fait ces trois tours, moi, je vois qu'il y a une fête foraine sur une île, au milieu. Cette image, je la connaissais, je savais qu'il y avait une fête foraine à Mossoul, parce que même pendant la guerre, elle a toujours existé. Elle était fermée, mais elle a toujours existé. Et donc, je me dis, après le dîner, il fait nuit, donc c'est la première immersion dans cette nuit hallucinante. Donc déjà, on se dit, waouh. Mon Dieu, c'est pas possible, je fais mon tour en bateau, je me dis mais quel décalage avec la vie que j'ai vécu aujourd'hui.

  • Speaker #0

    Et là il fait vraiment nuit ?

  • Speaker #1

    Là il fait nuit noire, il fait nuit noire et c'est vraiment ça parce qu'il fait nuit noire et qu'en fait de moi j'ai des bateaux qui passent avec les lumières, autour de moi j'ai des lumières et de l'autre côté c'est la teinte de nuit noire. Il n'y a pas une lumière, de l'autre côté c'est Mossoul Ouest, il n'y a pas d'électricité, il n'y a rien, la ville elle a été ravagée. Donc une espèce de décalage, donc moi je suis là et je vois des gens en fait qui vivent. C'est des Irakiens, des habitants de Mossoul qui sont en famille, qui vont se faire... Je ne sais pas, peut-être que je suis un samedi soir ou un jeudi soir et que le vendredi... Je ne sais pas. En tout cas, on est dans une activité. Voilà, c'est des familles normales qui revivent après la guerre. On va ensuite aller sur la fête foraine, je vais te raconter.

  • Speaker #0

    Ces familles qui vivent autour de vous, est-ce que quand elles vous voient journalistes, elles viennent vers vous ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui, bien sûr. Déjà parce qu'on n'a pas la même tête. Ensuite parce qu'on a une caméra. parce que même quand on va de bêtise mais je suis pas sûr non non je pense que je dis en fait on laisse jamais la caméra derrière quand on est en reportage donc Paul doit avoir la caméra sur lui et donc bref on va bouffer comme ça dans ce resto on mange bien on est content on souffle moi je fais mon tour en bateau je suis là je redescends de ce bateau je remonte et Paul je dis mais viens il me dit ça me fait peur t'as peut-être raison de pas y être allé je suis là mais je dis il y a la fête foraine là-bas il faut qu'on y aille quoi On y va, alors attention, c'est pas la foire du trône, il n'y a quasiment rien qui fonctionne bien. Mais vous avez, je me souviens de cette image, des gars qui bouffent de la carpe, donc ils coupent des carpes, ils les mettent autour d'un feu, il y a des espèces de stands où tu peux bouffer, deux, trois petits stands de jeux, on n'est pas à la fête foraine, on tire à la carabine et tout, il y a une espèce de petit manège qui tourne, une espèce de grande roue qui doit faire 4 mètres de haut, c'est tout petit quoi. Mais c'est lunaire et on est dans cette ville-là et dans cette nuit qui vit, alors que c'est vraiment la mort de l'autre côté du fleuve.

  • Speaker #0

    Oui, je suppose que là, il y a un peu des rires, c'est le contraste.

  • Speaker #1

    Mais c'est vivant. Là, tu as l'impression d'être, pour ceux qui nous écoutent et qui ont déjà été dans un pays, ça ressemblerait presque à la limite, attention, toute proportion gardée, à la place Gemma Elfna à Marrakech le soir. On est très, très loin de la place Gemma Elfna, mais il y a du folklore local. Il y a de la bouffe locale, il y a des locaux, il n'y a pas de touristes, il n'y a rien, on est seuls. D'ailleurs si, les gens viennent prendre des photos avec nous, etc. Bon, alors déjà là, moi, à ce moment-là, déjà la nuit que je vous raconte, elle est déjà assez, pour moi, assez exceptionnelle. C'est-à-dire que là, je me dis juste déjà, waouh, mon dieu, mon gars, si t'avais imaginé que Mossoul serait comme ça la nuit... déjà tu aurais été rempli et en fait on comprend aussi que c'est des gens qui ont envie de revivre qui ont envie de revivre et quand on a pas grand chose, quand on a vécu avec Daesh à 300 mètres de nous pendant 2 ans ou 3 ans on reprend goût à la vie et les enfants ils sont avec leurs parents et on va manger une petite glace, ça coûte rien du tout une petite glace à l'eau et puis on va aller faire un tour à la fête foraine même si on prend rien, on va se promener moi je vois cette famille incroyable et puis on rentre à l'hôtel ... parce qu'on est crevé, qu'on va se coucher, que le lendemain on a des reportages encore, etc. Et là, il va encore se passer un truc assez incroyable.

  • Speaker #0

    Là, il est quelle heure ?

  • Speaker #1

    Il doit être 22h, peut-être même moins, 21h, 22h, il fait nuit. Il fait nuit depuis 18h, il fait nuit noire, il y a quelques lumières, oui, sur le bord du Tigre, comme je viens de vous raconter, mais entre eux, moi je me souviens, pour sortir de mon hôtel, je traverse un espèce de... c'est nuit noire, on voit rien, on est avec nos téléphones pour éclairer, c'est vraiment des petits îlots de vie au milieu d'une ville déchirée. par la guerre. On va rentrer dans la chambre, chacun sa chambre, avec Paul, il est en fin de chambre, on est sur un petit lit pour vous dire, pour juste qu'on ait le truc, on dort, je me souviens, il n'y a pas de drap, on dort sur une couverture, sur un lit, l'eau, oui il y a une salle de bain avec de l'eau qui coule marron, on s'en fout, on n'est pas là pour le confort, mais on est surtout dans un endroit où on peut... Je pense que c'est à peu près le seul hôtel qui fonctionne à peu près et qui accepte, et surtout dans lequel on est emmené par des gens qui nous disent « C'est bon, ici vous pouvez dormir en toute confiance. » Et on doit faire confiance. On n'a pas le choix de faire confiance, c'est pour ça qu'on travaille avec des fixeurs. Et donc cet hôtel, il est quand même bien claqué. Et puis là, on est pendant la nuit, pendant le soir, il est 22h, 22h30, peut-être même 23h, on entend du boucan au-dessus de nous. Je suis là, mais regarde, je sors, je vais voir Paul, je dis c'est quoi toi aussi, tu les entends les pas au-dessus, c'est pas possible. Il me dit ouais moi je regarde, moi derrière, regarde le parking, c'est un balai de voitures depuis tout à l'heure, il monte par sa fenêtre. Effectivement, une espèce de terrain vague derrière l'hôtel où il y a 50 voitures qui sont garées. Il me dit gars ça fait une heure là, ils arrêtent pas, et lui à ce moment là, Paul il est en train de travailler, parce qu'il doit envoyer les images à Paris, etc. Donc il est en train de bosser, moi je suis en train de bosser à côté, je vais le voir, j'ai dit j'entends des pas au-dessus, il me dit oui mais moi aussi je les entends, et puis il regarde derrière, putain mais là qu'est-ce que c'est que ce bordel quoi. Cinquantaine de voitures garées au milieu de nulle part, dans un terrain vague, derrière notre hôtel, tout est ravagé autour, et j'entends du bruit au-dessus. On m'a dit ça, mec, je veux savoir ce que c'est. Et comme je suis toujours un peu con, un peu curieux et peut-être un peu insouciant, je redescends et je me dis, je vais aller essayer de fouiner, je vais regarder ce que c'est que ce truc, où est-ce qu'ils vont, ces gens, ils sont où ? Et en fait, assez rapidement, j'arrive sur le bord de l'hôtel, et sur le bord, enfin, sur le bâtiment, et là je vois qu'il y a une espèce de porte avec un mec devant. J'arrive, ils ne me demandent absolument rien, ils m'ouvrent la porte et je monte un escalier. Et en fait, effectivement, je vois que je suis en train de monter l'escalier de secours à l'extérieur du bâtiment dans lequel j'ai ma chambre. Et puis en fait, je vais arriver à une autre salle et là, je rentre dans une salle. Et là, odeur, bruit, clope, ça sent la clope, il y a du bruit, il y a du machin, etc. Et je rentre en fait dans un bar clandestin à Mossoul. Et là, j'ai devant moi, c'est glauque. J'ai une espèce de... Imaginez, je pense que ça devait être la salle du petit-déj de l'hôtel à une époque.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    C'est pour vous imaginer, une espèce de grande salle en longueur avec des fenêtres sur les côtés, aucun charme, rien de moche, et des grandes tables alignées, comme dans un réfectoire, les unes derrière les autres. Et il y a une cinquantaine de personnes dans cette pièce, parfois des groupes de deux ou trois, mais la plupart du temps des gens seuls, avec une petite bouteille de whisky, une bière. et ils sont tous en train de picoler tout seuls dans leur coin ou parfois en groupe de 3 ou 4 et donc je suis dans un bar clandestin dans un bar clandestin à Mossoul où Mossoul c'est l'Irak donc ceux qui boivent c'est honteux donc ils se cachent c'est même été interdit à l'époque de Daesh à l'époque de Daesh il ne fallait pas grand chose pour se faire buter et donc je vais me retrouver comme ça dans ce bar et je vais me dire mais ouais mes gars vas-y moi aussi je vais me boire quelques bières et je vais regarder et je suis tout seul parce que je redescends pas voir Paul qui est dans la chambre je me dis non gars t'es ici reste-y regarde ce truc et je me pose et ouais c'est glauque un peu parce qu'on sent quand même des gens qui boivent, qui boivent seuls et qui sont seuls et qui sont tristes.

  • Speaker #0

    Mais ça y'a pas de musique y'a pas de...

  • Speaker #1

    Non non non y'a pas de musique, y'a alors ouais j'aurais peut-être dû essayer de vous raconter à quoi ça ressemble c'est plus de grande salle, y'a comme un espèce de vestiaire à l'entrée qui est le bar en fait y'a rien d'écrit Vous allez voir et vous vous dites, il y a des bières, et il dit, hop, il sort des bières. Il y a des petites bouteilles de whisky, je me souviens, ce qui m'avait frappé, c'est qu'ils ont un format de bouteilles de whisky que j'avais jamais vu. De flash de petites bouteilles, mais pas si petites que ça, que j'ai jamais vu auparavant. Donc voilà, ils boivent des bouteilles de Gibi. Ils se boivent des petites bouteilles de Gibi qui font entre, je ne sais pas, au format d'une canette, un peu plus, comme un flash, mais un peu plus grand. Et ils sont là, ils se picolent ça avec du coca ou des bières. Souvent, ils sont là avec des cigarettes à côté, qu'ils fument, un cendrier plein de clopes et des bouteilles vides à côté. Et donc, c'est des gens qui sont dans la consommation d'alcool. Peut-être pas très gays, peut-être pas très festifs. Mais c'est extrêmement surprenant. Moi je dis souvent ça, en tant que journaliste, il n'y a pas beaucoup de pays dans lesquels je n'ai pas trouvé des gens qui buvaient. Partout. Le seul endroit où je n'ai vraiment pas trouvé une bière à boire, c'est à Gaza. Ça, je n'ai jamais trouvé. Mais même en Irak, même dans des pays en guerre, même dans des pays très compliqués, même dans des pays où la religion l'interdit, on trouve toujours des gens qui boivent. Mais là, ce qui m'impressionne vraiment, c'est cette accumulation de... d'épisodes d'une nuit qui te penche complètement avec ce que j'ai vu pendant la journée.

  • Speaker #0

    Et toi, qu'est-ce que tu ressens en ce moment ? Toi, t'es là, t'es au milieu, tu vois tous ces gens en face de toi. Qu'est-ce qui te traverse la tête ?

  • Speaker #1

    Moi, je me dis quelle vie de merde. Je me dis, ils sont pas heureux ces gens. Je me dis, c'est pas les bars que moi je fréquente, c'est pas des bars où on va rigoler avec des copains, c'est des gens qui viennent boire, qui viennent s'alcooliser. à la fois je suis un peu amusé parce que ça pue l'hypocrisie à 10 km parce que c'est probablement des gens qui vont aller à la mosquée etc mais moi je juge pas du tout je juge pas parce que je me dis mon dieu ces gens ils ont juste vécu l'enfer pendant des années après oui c'est triste, c'est triste c'est de la consommation d'alcool, c'est pas boire un verre comme nous on le dit, là c'est des gens qui vont s'alcooliser, des gens qui sont malheureux, c'est des gens qui c'est triste, c'est triste c'est triste, c'est triste, ça sent la... ça clope, ça parle pas. Je te dis, c'est vraiment, à part peut-être deux groupes qui doivent jouer aux cartes, c'est que des gens qui sont seuls face à leur bouteille. Et qui, à la limite, se regardent pas les uns les autres, parce qu'il faudrait surtout pas porter un regard sur le voisin, parce qu'il fait la même chose que toi, et que tu as pas envie de le mettre mal à l'aise, et puis il y a peut-être même des gens, ça se trouve, qui se connaissent, qui viennent du même quartier, et qui se regardent en se disant, et qui baissent les yeux en se disant, tu dis pas, je dis pas, on s'est pas vus, voilà. Moi, c'est ça que je ressens. Et puis... Et puis je ressens une forme aussi d'émerveillement parce que je me dis, waouh, je suis dans un endroit où il en faut de la chance, où il en faut des coïncidences pour se retrouver dans une histoire comme celle-ci, se retrouver dans un bar à Mossoul, il en faut, tu vois, des occurrences et des coups de chance pour arriver dans cet endroit-là. Je pense que si j'avais voulu faire un reportage sur un truc comme ça, mon fixeur m'aurait dit, c'est introuvable. C'est introuvable. C'est introuvable parce que ça se file sous le manteau, parce que c'est des adresses secrètes, je peux, mais ça va me prendre 3, 4, 5 jours. Et là je tombe dessus. Et là je tombe dessus. Mais de la même manière que si j'avais dit... J'aurais jamais dit, et on a fait un reportage au final, parce qu'on est resté plusieurs jours, on a fait un reportage sur cette fête foraine. On a fait un reportage sur cette fête foraine parce que j'ai découvert qu'elle était là. Même si j'avais entendu parler que j'avais vu des photos pendant la guerre, parce que c'était une photo assez impressionnante, une espèce de grand roue, même si elle est petite avec Mossoul derrière. J'avais vu cette photo dans les banques d'images, mais je n'étais pas parti en me disant tiens on va faire un reportage sur la nouvelle vie, la vie qui reprend à Mossoul, j'étais loin d'imaginer ça.

  • Speaker #0

    Puis je suppose qu'entre le voir en photo et te retrouver au milieu,

  • Speaker #1

    c'est une sensation. Oui, puis surtout moi je l'avais vu en photo comme, tu vois, l'image qu'on a tous peut-être en tête de la fête foraine à Tchernobyl. moi j'avais vu des photos comme ça de cette forêt abandonnée en pleine guerre avec de la poussière partout et des impacts de balles j'avais aucune idée que la vie avait repris à ce point là et même pendant la journée j'avais aucune idée, j'avais pas vu ça donc finalement on a fait un sujet donc en fait c'est parfois la nuit la nuit on se laisse porter on découvre des choses assez folles on découvre aussi que les gens se lâchent plus On découvre que les gens se dévoilent un peu plus. Et là, ils dévoilent une forme de tristesse, de vie brisée, dans laquelle ces gens vont aller s'alcooliser le soir, pas pour rigoler avec des potes, mais juste pour se casser la tête et rentrer dormir. Parce que je pense que sans ça, quand on a vécu à Mossoul et qu'on a peut-être perdu la moitié de sa famille, peut-être toute sa famille... Je pense qu'on n'arrive pas à dormir. Et d'ailleurs, si tu me demandais ce que je ressens, je me dis ça. En les regardant, je me dis combien de ces hommes qui sont là

  • Speaker #0

    ont perdu un membre de leur famille. Probablement tous.

  • Speaker #1

    Je suppose que tu penses aussi à ta famille en France,

  • Speaker #0

    non ? Non, non, non, non. C'est molle, c'est le mec qui change complètement. Non, rien à foutre. Non, non, non, non, je ne pense pas à ma famille en France parce que... c'est des choses qui n'ont rien à voir parce que je ne suis pas en danger quand je fais ça, donc à la limite oui potentiellement en tant que journaliste ou pilote de course ou policier quand tu as un moment dans ta vie ou t'es en danger, ou n'importe qui, ou toi qui traverses la route, et tu te dis, j'ai failli me faire écraser, oui, tu penses à ta famille en disant, mon Dieu, mais là, moi, je pense pas à ma famille. Je pense pas à ma famille, je pense à la chance que mes filles ont d'être nées en France quand je suis dans la maison à Mossoulou. ouest et qu'il y a un petit garçon qui a l'âge de mes enfants et là ça me serre le coeur mais quand je suis avec des Irakiens qui sont en train de se Ausha la gueule le soir je suis plutôt non je suis plutôt en observation je me dis wow wow pas facile

  • Speaker #1

    Et là du coup comment se termine cette nuit parce que finalement t'es obligé de les laisser ? Tu restes avec eux jusqu'au matin ?

  • Speaker #0

    Non, non, non, c'est que j'ai du boulot. Je pense qu'à un moment je me dis j'ai ce que je suis venu chercher. parce que moi aussi je suis content, après cette journée, de me coller 2-3 bières dans la gueule pour parler clairement. Et donc je pense que je dois boire mes 2-3 bières, fumer une ou deux clopes, je regarde ça, je suis hyper étonné, puis je redescends, je vais voir Paul qui doit dormir, et je lui dis mec il y a un bar au-dessus, c'est la luge, je viens de passer trois quarts d'heure là-haut, c'est waouh. Et puis on va se coucher. Et le lendemain, le soleil s'est relevé. Donc tous les alentours de l'hôtel que j'avais vu remplis de bagnoles, c'est un terrain vague. Mon hôtel extérieur, l'extérieur de l'hôtel que j'ai traversé, il y a à nouveau toutes les images que je ne voyais plus la nuit. C'est-à-dire que je vois que les bâtiments sont brûlés, qu'il y a des impacts de balles partout. je repasse en bagnole le long du Tigre il n'y a plus les lumières les guittounes sont toutes fermées les barques sont rangées les gens sont moins dehors ils sont au boulot peut-être mais je retrouve le Mossoul éteint que j'avais laissé la veille au soir à la tombée de la nuit et je repars dans Mossoul Ouest je ne sais plus ce qu'on a fait mais je crois qu'après on est allé faire un reportage je crois que que le lendemain justement je suis allé dans un ancien palais de Saddam Hussein où l'armée avait établi son état-major pour aller demander des autorisations de circuler

  • Speaker #1

    Et là le lendemain, quand tu sais comment c'était la nuit, est-ce que tu vois le jour sous un autre oeil ?

  • Speaker #0

    Je me dis, ils sont où les mecs qui se buvaient des binômes hier ? Vous faites quoi aujourd'hui ? Vous êtes où les gars ? Ils sont où ces enfants qui étaient joyeux ? C'était un... Oui, tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu ne le vois pas pareil. Tu te dis, OK, d'accord. Donc, il y a une deuxième vie. Il y a une deuxième ville, même.

  • Speaker #1

    Merci, Baptiste, pour cette... Belle histoire, je ne sais pas.

  • Speaker #0

    Cette histoire incongrue, inattendue en tout cas, pour moi elle était très inattendue.

  • Speaker #1

    Et puis ce voyage à travers ton regard jusque là-bas. Une petite dernière question, toi, quelle histoire t'aimerais entendre sur la nuit ?

  • Speaker #0

    Moi j'ai souvent vécu la nuit parce que j'ai été journaliste la nuit. Donc j'étais en matinale, donc ça veut dire que je prenais mon boulot, je commençais mon boulot à 2h du mat. Vous imaginez pas le nombre de gens qui travaillent la nuit en fait, on se rend pas compte. C'est hallucinant, il y a énormément de gens. Donc peut-être l'histoire de ces invisibles qui partent de banlieue et qui prennent le premier RER pour venir nettoyer les bureaux d'école blanc. Et de mes bureaux aussi, parce que quand j'étais à UFMTV, journaliste et que je travaillais la nuit, mais je voyais ces gens. qui venaient nettoyer mes bureaux. Et je me disais, eux aussi travaillent la nuit. Et eux aussi doivent rentrer bien fatigués le matin. Et on n'a pas la même vie. Et je pense que ces gens, on n'en parle jamais. Et je pense que c'est... Ouais, c'est des personnages, j'aimerais m'entendre des histoires comme ça. il faut les mettre en valeur, ces gens-là. Parce que quand on arrive le matin avec la tasse de café qu'on a laissée sur le bureau, elle n'est plus là. C'est qu'il y a quelqu'un qui l'a ramassée. Et c'est un peu les invisibles. Et la nuit, il y a plein d'invisibles.

  • Speaker #1

    Merci. Merci Baptiste.

  • Speaker #0

    Je t'en prie. C'était un plaisir.

  • Speaker #1

    Merci pour l'écoute. J'espère que vous avez apprécié cet épisode. Pour être au courant de nos prochains témoignages ou si vous aussi, vous souhaitez partager avec nous une de vos nuits, n'hésitez pas à nous suivre et à nous contacter sur les réseaux sociaux Merci encore et à la prochaine !

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