Speaker #0La Pause Sémio, le podcast inspiré. Le temps d'une pause, je vous raconte mes recherches de sémiologues sur le corps, la mode et la beauté. De la méthode, de la curiosité et surtout, l'envie de partager avec vous un autre regard sur le sens des textes, des images et des récits d'aujourd'hui. Épisode 9, il y a vitrine et vitrine. La post-sémio reprend du service avec une nouvelle formule. Mon envie n'a pas changé d'un iota depuis la création de mon podcast inspiré. Je tiens à partager avec vous mes recherches sémiologiques et j'ai décidé d'introduire aussi les travaux d'autres chercheurs. L'idée est quand même de vous raconter mon plaisir de l'analyse. La finalité, c'est de questionner nos façons de vivre, les signes du corps et les récits de mode. Ensemble, observons les pratiques de mode et de beauté, la circulation des discours, des croyances et des désirs qui définissent notre temps, parfois à notre corps défendant. Que serait une balade en ville sans un petit coup d'œil sur les vitrines des magasins ? La ville marchande, c'est une dimension palpitante à observer, avec ses règles, ses codes, ses signes, ses surprises, ses pépites même. Les anthropologues, comme la chercheuse Emmanuelle Lallement par exemple, n'ont de cesse de le dire. Savoir poser le regard sur cette ville en mouvement, c'est interroger nos corps et nos croyances. Pour ne pas dire le corps de nos croyances, nos croyances faites corps. Pour le sémiologue que je suis, le réel, la ville, le corps, tout se tient. Et je suis heureux de participer à cette anthropologie de l'ordinaire. Et avec Noël qui approche, les fêtes de fin d'année, les vitrines des grands magasins sont là pour nous offrir une attraction qui émerveille, ou pas, petits et grands. Oui, pour cet épisode de décembre, j'aimerais vous raconter comment un sémiologue observe décrit et analyse les vitrines des boutiques de mode et de beauté. Les fêtes de fin d'année sont un joli prétexte pour aborder cette question plus ordinaire de la mode, mais non moins essentielle. Médias de la spontanéité, médias crush, comme on m'a raconté, les vitrines sont le lieu de la fabrique des émotions quand elles sont réussies. La leçon des vitrines de Noël, comme des illuminations de fin d'année, est assez limpide à ce titre. Le printemps... Les galeries Lafayette et tous les grands magasins font de leur vitrine un spectacle ritualisé. Il s'agit d'un rendez-vous annuel qui rassemble beaucoup de monde avec le même espoir. Être touché au cœur par une mise en scène spectaculaire. Rire, s'amuser, s'émerveiller. C'est comme un programme plutôt chouette. Il y a vitrine et vitrine. C'est le titre, il n'est pas de moi. Je vous raconterai tout à l'heure de quoi il s'agit. Et oui, d'un côté... Il y a les vitrines de Noël, étincelantes, lumineuses, merveilleuses, féériques, ludiques, bref, magnifiques. Avez-vous vu le train des vitrines du printemps ? Moi qui adore écrire dans le train, j'ai jubilé et je vous invite à y jeter un coup d'œil. Avez-vous vu passer les vitrines de Dior ? Une telle surenchère de féerie et de saint-aînement, à tel point que toute la façade est recouverte, le spectacle déborde des vitrines pour devenir une signalétique sublime. Et quand je dis sublime, je pense non sans ironie à ce que Goethe disait du sublime, dans son rapport à l'effroi. Et d'un autre côté, il y a toutes les autres vitrines de l'année, moins féériques et moins clinquantes, mais qui n'en sont pas moins palpitantes à observer, à décrire, à qualifier et à caractériser. Le rôle du sémiologue est d'étudier les conditions de production et d'interprétation de la signification de ces vitrines. Il se pose en l'occurrence deux questions. Comment ça marche ? La deuxième question, qu'est-ce que ça apporte ? C'est précisément le programme de cet épisode sur les vitrines de mode et de luxe. Je vous propose un parcours en trois temps pour répondre à trois questions distinctes. Comment aborder une vitrine en tant qu'objet de signification, en tant que langage ? Quelle est la grammaire des vitrines que j'ai pu observer ? Comment cette expérience de perception ? est-elle vécue par les usagers, les chalands, les badauds, le kidam ? Vous comprendrez qu'il y aura trois temps, un peu de théorie pour problématiser et cadrer la réflexion, un peu de cas pratiques pour parler rhétorique, grammaire et bonne pratique, un peu d'écoute pour se confronter à la parole des usagers que j'ai pu interviewer et rencontrer. Je suis parti, en effet, à la rencontre de fashionistas, de passionnés de mode, Et j'ai aussi posé la question à tout mon entourage, à Paris comme à Dieppe, ville de mon cœur, située à quelques années de Paris. Première partie, le sens des vitrines. Comment aborder les vitrines ? Comment penser les vitrines du point de vue du sens et du langage ? Comment les penser en tant que langage ? Alors, on a de la chance. En sémiologie, il existe un article fondateur, essentiel, dont on parle peu aujourd'hui, sans doute parce que daté. C'est dans la revue Nouveaux actes sémiotiques de l'Université de Limoges capitale européenne de la sémiologie, s'il vous plaît, que la chercheuse Ana Claudia Alves de Oliveira a publié un article particulièrement éclairant en 1996, il y a presque 30 ans. En préparant cet épisode, je n'ai pas résisté au plaisir de me replonger dans cet essai, qui s'intitule La vitrine de la vision au sens Si les exemples analysés sont périmés et appartiennent à un passé révolu, le regard d'Anna Claudia balise la problématique et oriente mes propres recherches quand je m'intéresse aux vitrines de mode, de beauté, de joaillerie ou aux vitrines des grandes enseignes. Anna Claudia a étudié les vitrines de la rue Brea, ce qui inclut assurances, ateliers, boutiques, modes, restos, etc. Et ce qui ressort de sa sémiologie de terrain, c'est une base essentielle qui n'a rien perdu de sa sagacité, trente ans après. Pourquoi cet article m'inspire-t-il ? Première raison, parce que la chercheuse pose d'emblée une question essentielle qui n'a rien perdu de son actualité à l'ère du digital et des réseaux sociaux. Est-ce que les vitrines sont simplement des invitations au regard ? Elle précise sa question. N'attend pas plutôt à faire un phénomène complexe qui met en jeu un savoir-faire programmé, placé au service d'un faire-savoir. Faire-savoir qui doit in fine se conclure par un vouloir-avoir et un acte d'achat. Deuxième raison. Parce qu'elle montre par l'analyse d'exemples concrets de vitrines parisiennes rubréas, comment, je la cite, La perception va au-delà de l'acte de voir le produit et touche au niveau de la perception du concept, celui du produit et de la boutique, auquel renvoie le montage visuel de la vitrine. Oui, il y a du concept, il y a un contenu sémantique à saisir, voir, entrevoir, imaginer. Voilà que tout se tient ensemble. Fascinant, n'est-ce pas ? Troisième raison, si vous lisez ce texte, Vous verrez que Anna Claudia propose une typologie des vitrines comme médiation entre rue et boutique, entre intérieur et extérieur, entre offre et demande. Elle explique ainsi que la vitrine sépare deux mondes, l'intérieur et l'extérieur. Il y a un dedans et un dehors, il y a du secret quand on occulte la vitrine, il y a de l'intrigue quand on laisse entrevoir un bout de boutique, il y a de l'accès quand la séparation se réduit à une simple vitre. Si je résume son propos... La vision se construit par un travail sur la modalité du vouloir. Vouloir être vu, vouloir ne pas être vu. Tension entre discrétion et exhibitionnisme, exclusion et invitation. Les vitrines déploient des scénographies du vouloir par un jeu sur le faire voir et le faire savoir. Le rôle sémiologique de la vitrine ne s'arrête pas là. Au-delà de la séparation, l'auteur dit La vitrine entrecroise deux mondes. pour créer un dialogue intérieur-extérieur. L'acte de voir est une invitation à un acte de toucher. Toucher des yeux quand il s'agit d'une boulangerie ou d'un resto, mais toucher quand même, toucher pour consommer. Pour ma part, il y a une quatrième raison à l'intérêt de cette recherche. C'est un point technique qui m'interpelle et que j'ai exploré plus en détail encore dans mes recherches sur la mode et le paraître. Un point technique... qui invite à pousser l'investigation sur la grammaire des vitrines en tant que scène, sur les ressorts rhétoriques et esthétiques déployés. On pense trop souvent que la rhétorique, c'est superflu, manipulatoire. Et pourtant, la rhétorique, c'est le lieu même de formation et d'émergence des valeurs. C'est l'essentiel de la signification, un pilier de la communication. Et c'est un grand chercheur qui le disait, Zilberberg, Claude Zilberberg. Agencement des formes, distribution des produits, traitement de la couleur. La vitrine s'analyse en tant que composition qui articule un certain nombre d'éléments, de signes, d'objets. Et cette composition est définie par une unité recherchée et parce que Anna Claudia appelle le montage. Montage à la fois éthique, esthétique, plastique et comme elle le souligne, ludique également, car il y a du jeu. Montage matériel, tangible et immatériel touchant aux imaginaires et aux concepts. C'est cette dualité de la composition, comme de tout langage, qui m'interpelle et m'intrigue. N'oubliez pas que la dualité est un concept central chez Ferdinand de Saussure quand il s'agit d'étudier la vie active des langages. Par rapport à Anna Claudia et à cette génération de chercheurs qui s'intéressaient aux modalités de la consommation dans la lignée des travaux de Jean-Marie Floch, j'introduis la question de l'expérience vécue pour questionner la perception des vitrines. Cette composition, qu'est la vitrine en tant qu'objet de sens, est le support d'une expérience qui implique le chaland et la marque, mais qui a changé de portée. par rapport aux années 90. Aujourd'hui, la véritable démarque, là où se joue son image, ce n'est plus tellement la vitrine des boutiques, c'est la vitrine digitale, Internet et les réseaux sociaux qui forgent l'image de marque. Tel un spectacle, la vitrine surprend, montre, raconte et parvient parfois à embarquer, ou pas du tout. Le sens de la vitrine n'est jamais joué d'avance. même quand il s'agit des plus belles vitrines des plus belles maisons. Le sens n'est pas dans la vitrine, mais dans la relation à la vitrine. Il y a vitrine et vitrine. Deuxième partie, la grammaire des vitrines. Pour rebondir sur les analyses d'Anna-Claudia, je pense essentiel de tenir compte d'un déplacement du sens. Les vitrines des magasins existent toujours, mais la véritable vitrine de marque est ailleurs, elle est online. Et c'est encore plus vrai pour les marques de fashion et de luxe. La médiation est sans doute moins commerciale aujourd'hui quand il s'agit des vitrines. Elle est plus expérientielle, en ce sens que le vouloir avoir est déjà acté avant la cession de l'aise vitrine. J'ai mené plusieurs recherches de terrain sur les vitrines. Paris, Londres, New York. Et même une fois, j'ai pu étudier les vitrines de Singapour. Hélas, sans aller à Singapour, il s'agissait d'un corpus de photographie. Aujourd'hui, je vous propose une petite analyse en plusieurs points clés. Premier point, la leçon du double impact. De loin et de près, il y a une double lecture, un contraste assumé et assez sophistiqué même entre ces deux lectures. De loin, on voit une ambiance. De près, on observe une attitude. Un interviewé me disait qu'une bonne vitrine à ses yeux, c'est une vitrine qui me donne envie de m'arrêter quand je suis à vélo. Le spectacle à distance est intégré dans l'énonciation. De loin, la captation du regard se fait par une composition d'ensemble. On s'arrête à vélo, on change de trottoir, on fait demi-tour. L'idée, c'est d'inviter à contempler de près. De près, la captation du regard se fait par des compositions dans la composition d'ensemble. des jeux de regards, des détails, des mises en abîme, des scénettes. Ce double niveau de lecture est essentiel, ce qui ne veut pas dire dans les faits qu'il est systématique, d'où une certaine déceptivité, parfois, quand vous vous approchez et que l'émotion n'est pas au rendez-vous. Chez Tiffany, vous aurez ainsi des vitrines avec des signes visibles de loin pour signaler, interpeller, et vous aurez des vitrines avec des présentoirs spécifiques qui ne sont lisibles et observables que de près. En jouant sur la distance, vous jouez avec l'implication et le rapprochement. Deuxième point, la leçon des thèmes. Expliquer que la vitrine est un média au service d'une médiation, c'est expliquer que la vitrine n'est pas une image ni une publicité. C'est un dispositif scénique qui propose une expérience sensible, esthétique et synesthésique. Il y a toute une théâtralité de la vitrine. Trois grands thèmes m'ont interpellé dans les corpus. Tout d'abord, La mise en scène du contexte, avec des situations, des moments de vie, comme le train de Noël du printemps par exemple. Mais j'ai vu aussi un café, des éléments d'un hall de palace, des mâles, l'inspiration derrière la collection avec des bordes, la mise en scène du savoir-faire avec des explications, etc. Deuxième thème, le fun, la fantaisie et la poésie. Et là, difficile de ne pas parler d'Hermès, qui est le parangon de la poésie des vitrines depuis le début du XXe siècle. Ça peut être aussi des personnages fantastiques observés chez l'OEV, des décors miniatures chez Tod's ou chez Dior, et j'en passe. Troisième thème, la contemporanéité. Avec le minimalisme, l'artie, la transparence, pensez aux vitrines de chez Céline ou à celles de chez Apple par exemple. Je pense également aux grands messages affichés dans certaines vitrines, aux manifestos de marques déployés dans la vitrine, ou aux manifestos des marques de mode plus engagées socialement que les marques de luxe. Une même marque peut passer d'un thème à l'autre, articuler plusieurs thèmes, d'une époque à l'autre ou d'une vitrine à l'autre dans un même espace. Il y a un jeu qui s'esquisse. La surprise n'est pas une surenchère, un pas de côté. Un changement d'un thème à l'autre sont des moyens de surprendre les habitués et de créer du sens. et de donner envie de voir. Troisième point, c'est la leçon des procédés rhétoriques de l'objet. Quand vous observez les vitrines des magasins, et quand vous avez un corpus assez représentatif, vous vous rendez compte qu'il y a deux sortes de vitrines dans le champ de la mode et du paraître. Les vitrines sans objet à vendre et les vitrines avec des objets à vendre. Avec la vitrine sans objet de marque, il y a plusieurs possibilités. Cela peut être une simple vitre qui donne directement sur l'intérieur du magasin. Cela peut être un espace qui présente un texte, un mot, une affiche, un message. Cela peut être un espace qui présente une œuvre d'art, une image artistique, un portrait, une sculpture. Le pire cas de figure pour ces vitrines sans objet de marque, ce sont ces vitrines qui affichent une publicité de l'objet de marque dans la vitrine. Vous voyez le paradoxe ? Je ne montre pas l'objet, mais je montre une publicité de l'objet. alors même que je souhaite inviter à pénétrer dans le magasin. Je vois là un contresens. La pub dans une vitrine, c'est une pub bien trop près de l'objet à essayer. Et la déception est forcément au rendez-vous. Certaines marques font preuve de malice et mettent des publicités dans leur vitrine, mais dans la vitrine la plus éloignée de la porte d'entrée, car c'est la fonction signalétique, le jeu sur la distance qui est mis en scène. Avec la vitrine avec objet de marque, il y a deux grandes possibilités. Les objets sont posés sur un présentoir, que ce soit un socle, un podium, un cintre, un mannequin. Et on contemple, on observe. On est dans une logique de monstration-confrontation. Le second cas de figure, ce sont les objets dans une mise en scène. On participe alors à un récit et difficile de ne pas penser à toute l'historique des vitrines Hermès. C'est là que la rhétorique nous est très utile pour analyser ces cas de figure. Les figures de style à l'œuvre dans les vitrines participent à un travail esthétique et visuel de suggestion. Si la publicité traditionnelle argumente pour vendre, le rôle de la vitrine est de suggérer pour toucher au cœur. Alors, s'il y a quelque chose à vendre, ce n'est peut-être pas un produit, dans ce cas de figure, mais ça peut être un concept ou une certaine idée de la marque. La vitrine n'est pas là pour vendre un produit. Hermès, Repetto, Tiffany, Panalingons… sont autant de marques qui développent des vitrines que j'ai pu observer et qui sont suggestives, évocatoires, qui invitent à contempler et à se projeter avec des intensités très différentes et variables, mais en aucun cas vous ne verrez d'approche argumentative. Comme je l'explique souvent, il y a trois niveaux pour créer une expérience suggestive émotionnelle, comme s'il s'agissait d'un spectacle vivante. La scène, avec son ambiance, le récit, avec ses éléments narratifs et la stratégie visuelle pour en créer, contextualiser. Pour insister visuellement sur un objet en particulier, dans le cas de cette mise en scène et le mettre en récit, on observe l'usage de plusieurs figures rhétoriques. Alors, ce sont des figures de l'amplification. Il y a l'hyperbole, qui amplifie et exagère une caractéristique et force l'attention. Il y a la starisation, qui pose l'objet comme une œuvre d'art. On affiche un carré comme s'il s'agissait d'un tableau. On pose une chaussure comme s'il s'agissait d'une sculpture. Et il y a une troisième figure, la gullibérisation, qui consiste à agrandir l'échelle d'un projet. Pensez aux vitrines de Jacquemus qui présentent des objets, ces sacs à main par exemple, de façon gigantesque. Ou pensez aux vitrines de marques de parfum qui présentent souvent des flacons gigantesques. Autre inspiration rhétorique, Pour évoquer de façon simple un univers ou une ambiance, la métonymie permet d'évoquer un univers absent. Pour créer des analogies mémorables, la métaphore visuelle, elle, est la figure reine des vitrées. Et il y a une dernière figure qu'on retrouve du côté de la joaillerie comme des parfums, c'est celle de la personnification. L'objet de Marc est traité comme un personnage positionné dans un décor. Toutes ces figures de style, hyperbole, gulévérisation, Métaphores, mythonomies, amplifications sont les leviers pour créer des vitrines suggestives qui touchent au cœur. Troisième partie, la pratique du lèche-vitrine. Lèche-vitrine. L'expression est peut-être datée et chaque interviewé n'a pas manqué de me dire que le lèche-vitrine, c'est comme un peu has-been. Moi qui pensais employer un terme de flâneur, de rêveur urbain, j'ai été surpris. par quelques remarques sur cette expression désuète. À l'ère du shopping dit omnicanal le lèche-vitrine est posé d'emblée comme une perte de temps, ou comme une activité qui pose le spectateur dans une posture passive, contrairement au shopping qui rend acteur d'une quête de sens. Au-delà de cette posture, les récits de vie que j'ai pu recueillir se révèlent moins critiques sur le sens de cette pratique du lèche-vitrine quand je demande à mes interlocuteurs de me raconter ce qu'ils font et ce qu'ils pensent. pensent être en train de faire quand ils font du lèche-vitrine. J'ai donc interviewé un certain nombre de personnes, des passionnés de mode, mais également des personnes de mon entourage. Nulle représentativité, mais petite anthropologie de terrain. Une directrice marketing me raconte Le lèche-vitrine a toujours été pour moi un moment d'inspiration, de recherche de tendance et de créativité, plutôt qu'un hameçon pour entrer dans une boutique. De la même façon que j'épluche les magazines, Je me balade en scrutant les vitrines pour me donner des idées d'association, de choses ou de couleurs, ou encore pour voir un petit spectacle vivant, divertissant. Une curatrice de mode me raconte. Je pense au mot chaland qui rime avec nonchalant Ces deux mots résument bien l'idée. Flâner sans acheter, activité culturelle à part entière quand on découvre une ville. On évoque aussi un moment entre partage et ludicité. C'est une balade agréable dans les rues commerçantes, en regardant les vitrines pour s'inspirer, repérer des tendances, pourquoi pas me faire voyager et aller jusqu'à me faire rêver. Très amusant, quand on interview des personnes sur leur pratique de la vitrine in the shopping, c'est de poser la question de la mauvaise vitrine. Les critères de la mauvaise vitrine sont en effet très intéressants à expliciter pour mieux comprendre les attentes, les usages et surtout les critères de la bonne vitrine. Qu'est-ce qui fait une mauvaise vitrine ? Trop d'infos, me dit-on. Surcharge des messages, trop d'objets, trop d'images, trop de mots. Il y a trop de tout. Une chose. Deuxième point. Mauvaise lumière ou manque de lumière. C'est une scénette qui expose et l'art de la lumière est de valoriser les objets. Si la lumière est mauvaise, l'expérience est mauvaise. Saleté, désordre, poussière. Ça paraît la base, mais ça n'est pas toujours le cas. Trop de messages commerciaux ou trop de promos. Eh oui, la promo. tue l'expérience de la vitrine. Au fond, l'attente unanime de toutes les personnes que j'ai pu rencontrer tient en un mot, émotion. L'émotion, plus facile à énoncer qu'à qualifier. Mais l'émotion est un pouvoir qui transporte, qui engage et qui crée de la mémoire et de l'adhésion. Les interviewés parlent ainsi d'émotions, de surprises, de découvertes, d'associations heureuses. Les questions de l'originalité et de la créativité sont évoquées. et s'appliquent aussi bien aux objets eux-mêmes qu'à leur mise en scène. On m'explique ainsi. Une vitrine réussie, c'est une vitrine qui va m'apporter quelque chose de nouveau, de la poésie, une audace créative, une association réussie. La vitrine est un outil magique. Elle devient l'incarnation physique et vivante de la marque qu'elle représente, à la vue de tous. C'est un théâtre d'expression pour raconter quelque chose de propre à la marque. Quelqu'un d'autre ajoute, on s'y arrête. On l'apprend en photo. J'adore cette phrase. Et c'est vrai, regardez les belles vitrines, les gens font même des selfies. La belle vitrine est un lieu à part entière. On m'explique aussi, à d'autres moments, je n'ai parfois aucun besoin, aucune envie. Mais une vitrine réussie peut me faire commettre le pas de trop, celui qui fait entrer dans le magasin. C'est vraiment le média crush, le média de la spontanéité. Petite anecdote qui m'a été contée par une directrice du merchandising d'une grande maison de luxe. Savez-vous à quoi l'on reconnaît une bonne vitrine ? Les professionnels ont un critère. Une bonne vitrine est réussie lorsqu'il y a des traces de doigts sur la vitre. Et c'est bien ce qu'écrivait Anna Claudia il y a presque 30 ans. Voir donne envie de toucher. Et pour finir, peut-être j'avais envie de vous raconter trois petites anecdotes assez amusantes et surprenantes qui m'ont été rapportées lors de ces interviews. La première... C'est celle de la passion pour les objets isolés. Un interviewé m'a raconté qu'il adorait s'arrêter devant les vitrines des antiquaires quand un objet, seul et posé dans la vitrine, sortit de son contexte et présentait au regard dans ce qu'il a de plus singulier et unique aujourd'hui à notre époque. Une chaise porteur, un masque africain ou autre chose. Une autre personne m'a raconté une anecdote assez drôle et je rapporte ses propos. Un jour de vacances, je me baladais avec mes filles dans un centre-ville de province. Et elles avaient honte de moi. car j'étais intéressé par la vitrine d'une armurerie à chaque fois que nous passions devant. Elles étaient fatiguées de me voir m'arrêter chaque fois devant cette vitrine en admirant les armes à feu qui étaient exposées. C'est assez amusant de voir que l'objet exposé peut attirer le regard, l'attention et le désir. Ça peut être de la mode, du luxe, mais ça peut être tout autre chose. Et une dernière vitrine, mais là plus cocasse, C'est une expérience qui m'a été rapportée par une femme qui me disait La dernière fois que je me suis arrêtée devant une vitrine, c'était celle de mon artisan chocolatier de quartier et qui tous les ans organise un concours. Vais-je être capable d'estimer le bon poids de la vitrine ? Amusant comme la vitrine peut devenir un espace d'expérience et d'interaction. En guise de conclusion, je pense qu'il est important de se demander ce que signifie une vitrine. de mode et de beauté, à l'ère du digital ? Et la réponse, finalement, je vous la donne de façon indirecte. C'est une directrice marketing qui souligne à quel point les vitrines aujourd'hui sont un spectacle divertissant et que ce divertissement, cette émotion, sont des clés fondamentales pour construire une relation entre une marque, une boutique et des usagers, des audiences, des publics. Elle dit, les marques sont challengées par des clients abrutis de lèches et crans. Et elles doivent les divertir, leur offrir une expérience vivante pour les attirer en retail ou ailleurs. Quelqu'un d'autre explique L'envie d'achat se réveille. Si la vitrine est attirante, puis je commence mon étude de marché, afin de trouver les mêmes articles peut-être moins chers, et à défaut, j'y retourne. La vitrine fait partie d'un tout de signification bien plus large que la simple boutique. Et si la vitrine était un média qui propose un rapport au temps distinct, un temps de pause, un temps de contemplation, un temps de projection ? Et les marques de mode pourraient ainsi investir cette donne pour enrichir leur merchandising, raconter des histoires de marques ou des actions qui ne se prêtent pas à l'immédiateté digitale ou à celle des réseaux sociaux. Le mot de la fin, ce sera une invitation. Je vous invite. Allez jeter un coup d'œil sur les vitrines d'Hermès. Oui, cas d'école qui se prête à maintes analyses. À vous, à présent, de jouer au sémiologue. À bientôt !