Speaker #0Chapitre 10 La Révolution Deux jours ont passé, c'est le matin. Bérénice retrouve Auguste dans la cuisine, comme à son habitude affairée à préparer le premier repas de la journée. Une bonne odeur de café mélangée à celle du pain grillé flotte dans l'air. Dans une corbeille, quelques fruits de saison apportent des touches de couleurs vives. dans la pièce joliment aménagée je suis prêt dit auguste d'une voix posée bérénice comprend le moment est venu de continuer la lecture du témoignage de joseph après une bonne nuit de sommeil réparateur sa voix a retrouvé de sa rondeur cette fois la lecture se fera autour de la table du petit déjeuner Dans la tièdeur d'un matin bleu, la parole est à Joseph. Il est dit qu'un bonheur n'arrive jamais seul. Je confirme. Quand je rencontre Camélia, la vie m'apporte sur un plateau tout ce dont je rêve, voire plus. Si l'adage vaut pour les bonnes choses, il en va de même pour les moins bonnes, avec la fameuse loi des séries qui dure toujours trop longtemps. Ce n'est pas pour rien qu'on appelle cette période la poisse. Quand j'ai connaissance du déroulé de cette terrible journée du dimanche, je pense aux lourdes conséquences de ce drame dans nos vies. L'éventualité d'une grossesse m'effleure l'esprit, même si je chasse de toutes mes forces cette pensée. J'ai déjà beaucoup à gérer. Ce n'est pas le moment de m'en rajouter avec des scénarios catastrophes. Pourtant, que je le veuille ou non, cette idée revient me hanter à certaines heures. À l'époque, Luce m'implore de m'installer à demeure. Reste, je t'en prie, Camélia a besoin de toi. Nous avons toutes besoin de toi. Je trouve bizarre qu'elle ne se soucie pas le moins du monde du candiraton. Bientôt, il faudra... expliquer l'absence de Armand dans le paysage. Où est-il On ne le voit plus. Mais que lui est-il arrivé Demanderont les gens. Enfuit Perdu Pendu Noyé Tombé dans un trou Enfermé quelque part Mort Je n'imagine pas une seconde qu'il va manquer à qui que ce soit. S'il a fait son effet en s'installant dans la région, il a maintes fois dérapé. L'alcool y a aidé, bien sûr. Le masque a fini par tomber, et il se dit que Luce n'a pas fait une bonne affaire en épousant un homme imbu de lui-même. Les comparaisons vont bon train. Charles. Ah oui, Charles, mais c'était autre chose. Que va-t-on dire de cette disparition subite Et moi, qui débarque, m'installe et prends la place vacante. Toutes ces questions tournoient dans ma tête, m'encombrent et me stressent. Luce prétend que je suis le seul à être en mesure d'agir sur sa fille. C'est insupportable de l'avoir ainsi figée. J'ai peur qu'elle reste ainsi, tu comprends Je ne sais pas quoi dire. Je crains d'être maladroite. Je suis touchée par sa confiance autant que par son désespoir. J'accepte. et prends mes quartiers ma vie change radicalement même si je continue à travailler à l'atelier de mon père me voilà désormais entourée de quatre femmes liées autant par le sang que par un drame chacune vit l'après à sa manière marie se réfugie dans ses études de lettres et dans l'écriture de son premier roman qui s'impose avec force les mots c'est évident sont tant son exutoire que son chemin. Aglaé trouve une consolation dans sa vie spirituelle avec le désir de plus en plus affirmer de consacrer sa vie à Dieu. Monsieur le curé ne va pas manquer de la cuisiner. J'imagine Aglaé lui répondre avec cette naïveté naturelle qui est en elle. Armand Oui. Il est parti. Comme ça. Sans rien dire, on ne sait pas où il est. Camélia, quant à elle, reprend le carnet de commandes qu'elle partage avec Luce. Derrière sa machine à coudre, elle est dans sa bulle, coupée du reste du monde. Depuis le sale dimanche, ma future belle-mère est en mode guerrière. La colère et la rage la maintiennent vivante. Luce ne sait pas faire autre chose que d'organiser la vie sans l'autre. Elle rêve de faire revenir le printemps après la traversée des ténèbres. Non, pas pour elle, qui est désormais à l'hiver de sa vie. Non, c'est bien pour ses filles, qui ont chèrement payé son choix de faire entrer un barbare chez elle, qu'elle espère le retour de la belle saison. Si elle n'effacera pas le vécu, elle veut l'émousser en révolutionnant l'espace. La maison doit être nettoyée, décapitée. et astiquée, presque refaite à neuf. Si elle pouvait, elle gratterait les murs et les sols avec ses ongles pour effacer les traces de cet homme qu'elle exègre. Luce est folle, et sa folie est à la hauteur de sa douleur. Cela devient une obsession. Pour rebâtir et faire peau neuve, elle doit envoyer au diable le fantôme de ce mari par lequel le mal est arrivé. Cet homme-là, évaporé dans la nature, reste son époux sur le papier, porté son nom, rajoute à sa honte. La première chose qu'elle fait, je m'en souviens, est de descendre dans la cave. Tu me files un coup de main Je la suis, comme un petit chien, et remonte bouteilles et cubis de vin qu'elle se fait un plaisir de vider dans l'évier de la cuisine. Ce faisant, elle crache son venin. salaud ordure mécréant fumier tout y passe allez dégage de cette maison crève la femme que j'ai sous les yeux n'a rien à voir avec la luce que j'ai connue douce et effacée je ne sais dire laquelle me touche le plus puis la dame entreprend de faire le tour des pièces ramasse tout ce qui a appartenu à armand dans une autre vie chemise pantalon cravate sont décrochées des cintres et rassemblées en boules dans un sac destiné à être jeté. Elle rajoute les chaussures de ville ainsi que les savates du monsieur. Puis elle revient de la salle de bain avec trousse de toilette, brosse à dents et nécessaire de rasage. Saloperie dit-elle en ramassant le flacon d'eau de toilette. J'ai pas fini d'avoir cette puanteur dans le nez. Je me doute que l'odeur boisée finira par s'évaporer. restera une autre odeur à jamais engrammée dans son être l'odeur de la peau qu'elle a aimée avant de la vomir tout est ainsi passé au peigne fin seule reste une photo de mariage posée sur un meuble du salon quand elle la voit elle bondit de sa chaise pour s'en emparer avant de l'envoyer valser au fin fond de la pièce Le mur garde encore l'empreinte du choc. J'ai alors une pensée pour Charles qui, j'en suis sûr, va bientôt retrouver sa juste place. Organisé dans son délire, Luce procède. Par ordre. La chambre de Camélia est vidée. Le lit en bois de chêne est démonté pour finir brûlé dans un grand feu allumé au fond du jardin. Draps, oreillers, couverture. sont expédiés au panier tout ce qui est en lien avec la journée du drame est ainsi balayé détruit anéanti la pièce fermée à triple tour est condamnée enfin luce s'attèle au grenier un gros chantier l'attend là et ce chantier lui plaît manifestement après avoir trié nettoyé le lieu avec soin Elle le transforme à sa guise pour en faire une chambre digne de ce nom, l'endroit espacieux et plein de lumière. Faire du beau, voire du très beau, la dame sait faire avec tout l'or qu'elle a dans les mains. C'est sa manière de racheter sa faute, car tout est de sa faute. Elle est la seule responsable du drame, et elle n'a de cesse de porter le poids de la culpabilité. Un matin, elle emprunte ma camionnette. J'ai quelques courses à faire, dit-elle. Vous serez bien, me confie-t-elle tout bas sans m'en dire davantage. Visiblement, c'est une surprise, une bonne surprise, ça va de soi. J'avoue que l'idée d'inverser la vapeur n'est pas pour me déplaire. Elle revient avec deux chevets, du linge de qualité, un tapis de sol, des lampes, des coussins de couleur et du tissu. Ah il n'aura pas tout pris, le salopard eh oui j'ai mes petits secrets elle se parle à elle-même je comprends qu'elle a pioché dans ses économies planquées dans un endroit connu d'elle seule le moment est venu d'en faire bon usage quelques jours plus tard un livreur dépose un lit à deux places une penderie le tout en bois d'acacia se faisant luce portant un cheval sur les principes me donne ainsi qu'à camélia son feu vert pour démarrer notre vie de couple sous son toit avant même le mariage si j'accepte de m'engager je ne suis pas à la noce autant le dire je passe alors mes nuits dans une chambre de toute beauté à côté d'une jeune femme abîmée que je me contente d'effleurer et de contempler après le carnage que puis-je faire de mieux que d'essayer par la douceur de réparer ce qui peut l'être encore la force de notre lien construit en amont demeure même si camélia est terne et silencieuse je la sens proche de moi en confiance cette proximité me rassure et me donne la force de continuer à marcher à ses côtés sur une terre chaotique Et de la force, autant dire qu'il va m'en falloir une sacrée dose pour affronter la suite.