Description

Un anniversaire ? 10 bougies... Un radeau en cadeau ? Sauf que le père ne sait pas bricoler... Il voudrait. N'y arrive pas. Empoté, c'est ça, il est empoté. Un jugement et une croyance... et un destin qui se façonne.

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Transcription

• Speaker #0

  un radeau et rien d'autre je capitule ras-le-bol Deux heures que je m'excrime à construire un putain de rafiot qui ne ressemble à rien. Deux planches de bois mal assemblées avec en prime un doigt entaillé qui pisse le sang. Saloperie ! Même pas de désinfectant dans l'armoire à pharmacie qui regorge des anxiolytiques de madame. C'est bien ma veine. Deux mains gauches et juste un vieux mouchoir en tissu en guise de bandage. Je crois entendre une voix. celle de mon père, qui traverse le temps et remplit l'espace de la salle de bain. J'ai sept ans. Nous sommes dans l'atelier où le bonhomme passe le plus clair de sa vie. Mais enfin, tu ne peux pas faire attention au moins une fois ? Ma parole, on dirait que tu le fais exprès. Quel empoté ! Quelques mots et une croyance qui prend racine. Je suis un fils manqué, indigne. Une semaine plus tard, j'entrevois une éclaircie avec d'autres mots écrits par mon professeur de musique sur mon cahier d'écolier. Élève brillant, Denis a un don, l'oreille absolue. Le rire gras de mon père fuse dans le salon. Ha ha ha, l'oreille absolue, ah ça nous fait une belle jambe, ça va bien nous aider, manquerait plus que le gamin entende des voix. Le rire se transforme en fourrir, un fourrir qui me frappe. De plein fouet, le silence de ma mère enfonce le clou, la lumière entre aperçus s'éteint. Je sais que le môme, il va être déçu. C'est un radeau et rien d'autre qu'il veut pour ses dix ans. Si mon paternel était encore valide, le gosse ne se serait pas donné la peine de passer par moi. Seulement voilà, le vieux a eu ses doigts broyés par une machine à découper le bois. Une seconde d'inattention et vlant, la vie qui bascule. Depuis, l'atelier est plongé dans l'obscurité, la porte est fermée à triple tour. Tu ne préfères pas des Legos ? Tu adores les jeux de construction. J'essaie de manœuvrer. Rien n'y fait. Non, je veux le même radeau que celui de mon copain Oscar. Le père du copain est menuisier. Pour lui, construire un radeau est un jeu d'enfant. Comment rivaliser ? Et ma femme, qui me croit capable de prouesse, elle qui prône l'égalité des sexes, pense que bricoler se conjugue au masculin. Mon statut de père suffirait à faire de moi un homme. Un homme que je ne suis pas pourrait être au rendez-vous avec notre fils. Elle ferait bien de se relever les manches au lieu de se limer les ongles en m'attendant des séries. Va bien falloir que le petit comprenne que je ne suis pas l'homme de la situation. Est-ce que le fait d'être malhabile fait de moi un mauvais père ? Je ne crois pas. Pour autant, je suis sûre que le gamin aurait aimé avoir une autre figure paternelle. Mon père, par exemple, aurait fait l'affaire. Pile poil. Le môme et le vieux auraient formé une équipe de chocs. Désolé mon garçon, mauvaise pioche. La vie en a décidé autrement. Que veux-tu ? Je suis le maillon faible de la lignée. Cette histoire de radeau me turlupine et m'empêche de dormir. Une chose est sûre, le gosse, quand il a une idée dans sa caboche en béton, il n'y a pas moyen de l'emmener ailleurs que là où il veut aller. Pourtant, j'ai plus d'un tour dans mon sac. Argumenté. c'est mon métier j'irai jusqu'à dire que je maîtrise l'art de la ruse même que j'ai un sacré talent pour convaincre les plus récalcitrants je vendrai la bible à un non croyant c'est dire sauf qu'avec le fiston ça marche pas il m'observe derrière ses petites lunettes rondes ses yeux de renard me sondent et semblent lire à travers moi comme dans un livre ouvert même qu'il arrive du haut de ses dix piges à me mettre à l'aise et à me faire baisser les yeux j'ai beau tourner le problème dans tous les sens je suis dans l'impasse à moins de graisser la pâte au père d'esquare je ne vois que ça Après tout, ce pourrait être simple, juste dire je sais pas faire, j'ai délégué, point barre Sauf que mentir et arranger les choses à ma sauce est chez moi une seconde nature. Raconter les mensonges, aussi gros qu'une montagne, jusqu'à me persuader parfois que je dis vrai, c'est ma façon d'être au monde, d'occuper le terrain, pour être vu, reconnu, dans la lumière, juste, pour exister, juste. pour être aimé. voilà je l'ai dit je vais arriver à me faire chialer mentir aux autres ça ne me dérange pas même à ma femme avec mon gamin c'est pas pareil j'ai honte je l'avoue honte de lui raconter des bobards honte de sentir qu'il n'est pas dupe honte de son regard de pitié sur moi non décidément je ne peux pas j'en ai assez ça suffit et si j'osais pour une fois écoutez ma petite voix intérieure qui vient me chuchoter à l'oreille ma fameuse mon oreille absolue si elle servait pour une fois à quelque chose juste pour lui lui dire mes regrets ma déception mon chagrin d'être ce père-là un mauvais père après avoir été un mauvais fils lui dire aussi les raisons qui ont fait que car je ne suis pas un aimanteur il a bien fallu que quelque chose me pousse dans le dos oser lever le voile et lui dire ce qui m'a conduit à être ainsi déformé moche et pitoyable qu'est-ce que je risque le perdre je suis déjà en train de le perdre notre embarcation prend l'eau peut-être est-il temps de parler d'oser un autre chemin une autre voie lui déballer ma vérité peut-être pourrait-ce être mon cadeau pour ces dix ans