- Speaker #0
Bienvenue dans Le Monde selon l'IFRI, un podcast de l'Institut français des relations internationales. Je suis Marc Hecker, directeur adjoint de l'IFRI et rédacteur en chef de la revue politique étrangère. Je coanime ce podcast avec Katie Hamilton, chargée de projet à l'IFRI. Bonjour Katie.
- Speaker #1
Bonjour Marc, bonjour à tous.
- Speaker #0
L'objectif de ce podcast est de vous donner un aperçu de la richesse de la production de l'IFRI et de transmettre des clés de compréhension du monde dans lequel nous vivons. Pour cet épisode, nous avons le plaisir de recevoir Héloïse Fayet, chercheuse au Centre des études de sécurité de l'IFRI, où elle s'occupe plus spécifiquement du programme Dissuasion et prolifération. Elle est co-responsable d'un projet appelé le Réseau nucléaire et stratégie nouvelle génération, RNS-NG. Héloïse Fayet a récemment organisé une conférence intitulée Quelle dimension européenne pour la dissuasion nucléaire française ? Cette conférence nous offre une bonne opportunité d'évoquer un domaine qui revient dans l'actualité depuis quelques années. Des expressions telles que grammaire nucléaire dissuasion élargie sanctuarisation agressive stricte suffisance ou encore épaulement sont maintenant employées régulièrement. Il nous a semblé utile de faire œuvre de pédagogie et de poser dans cet épisode les bases d'une bonne compréhension des doctrines et pratiques nucléaires. Héloïse, bonjour et merci d'avoir accepté de venir à ce micro. Bonjour. Pour commencer, j'aimerais vous poser une question large. Comment analysez-vous le retour du fait nucléaire dans les rapports de force entre États ?
- Speaker #2
On constate depuis 2014 très clairement un retour plus large de la compétition stratégique et de la rivalité entre États avec la fin de ce qu'on a pu appeler les dividendes de la paix, mais aussi la fin de la guerre contre le terrorisme et de la guerre de 20 ans. Dans ce renouveau des rapports de force, le nucléaire joue un rôle primordial assez semblable à celui qu'il jouait en réalité pendant la guerre froide. On a complètement oublié, je trouve, le fait que pendant la guerre froide, on parlait de dissuasion nucléaire très régulièrement. Les médias, notamment, étaient habitués à faire de longs sujets sur la dissuasion nucléaire, sur les armements français, américains, sans que ça ne provoque la même folie, j'ai envie de dire, que l'on voit maintenant, où chaque fois que le président Poutine, par exemple, prononce le mot nucléaire, il y a tout de suite une surinterprétation. par les médias de ce qu'il se passe et du poids du nucléaire dans la guerre en Ukraine. Et on en parlera après. Cependant, il y a quand même aussi une modernisation globale des arsenaux nucléaires dans tous les États dotés de l'arme nucléaire. Donc la France, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie et les États-Unis. et en parallèle un effondrement de ce qu'on appelle la maîtrise des armements. Et donc ce sont tous les traités qui ont été signés pendant la guerre froide ou après et qui permettaient d'encadrer la pratique du nucléaire par les États dotés. Et donc plus largement, on voit vraiment une désinhibition de la violence, qu'elle soit conventionnelle comme on le voit en Ukraine ou aussi au Moyen-Orient. et une violence nucléaire, le retour d'une rhétorique nucléaire dont on avait oublié l'existence.
- Speaker #1
Parlons maintenant plus précisément de la Russie. Quel rôle joue le nucléaire dans la guerre en Ukraine ?
- Speaker #2
Le nucléaire joue un rôle primordial dans la guerre en Ukraine et ça ne date pas en réalité de février 2022, mais on peut remonter à 2014 avec l'annexion de la Crimée. L'annexion de la Crimée qui malheureusement n'avait pas provoqué beaucoup de réactions en Occident, en tout cas de réactions au niveau sécuritaire et militaire. notamment parce que l'Occident a été dissuadé d'intervenir à cette époque par le fait que la Russie possède des armes nucléaires et donc était susceptible potentiellement de répliquer nucléairement si jamais il y avait peut-être des réactions trop violentes ou en tout cas ça a été perçu comme tel dans les chanceries occidentales et on a le même dilemme aujourd'hui, c'est-à-dire quel degré d'escalade On peut se permettre, donc, quel degré d'intensité du soutien à l'Ukraine en termes de livraison d'armement, en termes de déploiement d'éventuels de troupes occidentales au sol, sans provoquer, entre guillemets, même si, évidemment, dans ce contexte, il est très important de rappeler que c'est la Russie qui est à l'origine de cette guerre, étant donné que c'est la Russie qui a agressé la souveraineté de l'Ukraine. et donc toute cette dimension escalatoire elle a potentiellement une finalité nucléaire et c'est aussi la première fois depuis la fin de la guerre froide qu'on constate qu'un état se sert de ses armes nucléaires alors évidemment pas directement sur le terrain mais mobilise une rhétorique nucléaire mobilise son arsenal nucléaire à des fins, on en parlait dans l'introduction de sanctuarisation agressive c'est-à-dire que un État va se permettre de faire des conquêtes territoriales en ayant derrière son propre territoire sanctuarisé à l'aide de ces armes nucléaires. Cependant, le risque d'emploi d'une arme nucléaire en Ukraine, il est quand même très faible. Il faut se rassurer là-dessus. La doctrine nucléaire russe, elle est claire. Elle prévoit plusieurs cas d'usage possible de l'arme nucléaire et toutes sont relatives à une attaque directe contre la survie de l'État russe ou la survie de son appareil militaire et politique stratégique. Pour le moment, même les actions ukrainiennes dans la profondeur du territoire russe On se souvient notamment de quelques attaques sur Moscou ou sur des raffineries en Russie ne relèvent pas du tout de cette atteinte aux intérêts vitaux russes. Et surtout, la doctrine militaire russe prévoit là aussi des cas d'usage de l'arme nucléaire. Et on se rend compte que dans le cas de l'Ukraine, c'est encore un conflit local avec des enjeux locaux et relativement peu d'acteurs impliqués. Et donc... Les conflits locaux, les armes nucléaires ont une vocation au contraire d'empêcher l'escalade. C'est-à-dire que le président Poutine cherche toujours à dissuader les pays occidentaux d'approfondir leur soutien à l'Ukraine. Et ça fonctionne chez certains pays, notamment par exemple en Allemagne, pays qui se montrent assez frileux face à la perspective d'augmenter le soutien à l'Ukraine, en partie parce qu'ils n'ont pas du tout cette... grammaire stratégique, cette pratique de la dissuasion nucléaire, cette pratique de l'escalade et de la dissuasion entre États que peut avoir par exemple la France ou les États-Unis.
- Speaker #0
Vous venez de parler des États-Unis, justement face à cette posture russe, qu'est-ce qu'on peut dire des États-Unis et plus largement de l'OTAN ? Peut-être que vous pouvez commencer en expliquant le concept de dissuasion énergie ?
- Speaker #2
Les États-Unis, dans leur doctrine, ont deux façons d'employer leurs armes nucléaires, soit pour défendre leur territoire, donc pour dissuader d'une attaque contre leur territoire. mais aussi pour dissuader d'une attaque conventionnelle de grande ampleur ou nucléaire contre leurs alliés et partenaires. Donc les alliés, en gros, ce sont les pays de l'OTAN en Europe, et leurs partenaires, ce sont la Corée du Sud, le Japon et l'Australie. donc en Asie, et c'est ça qu'on qualifie de dissuasion élargie, donc extended deterrence en anglais, qui peut parfois être traduit dans la presse comme parapluie nucléaire américain. Ce qui est une expression certes facilement compréhensible, mais un petit peu trompeuse, parce qu'un parapluie sous-entend une étanchéité totale, alors qu'évidemment quand on parle d'armes nucléaires et de dissuasion, on n'est jamais complètement certain de ce qui peut se passer, et donc ce n'est pas non plus un parapluie totalement étanche. Alors comment fonctionne... cette dissuasion énergie. Donc au sein des pays de l'OTAN, elle fonctionne en stationnant, en déployant des armes nucléaires américaines sur le territoire de certains pays de l'OTAN. Donc l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie et la Turquie. Donc ce sont des armes nucléaires américaines, des bombes à gravité, qui peuvent être larguées depuis des avions de la nationalité du pays où sont stockées ces armes. Et ces avions seraient pilotés, là aussi, par des pilotes belges ou allemands qui sont spécifiquement entraînés pour ça. Mais ça ne veut pas dire que les États-Unis donnent ces armes nucléaires à la Belgique ou à l'Allemagne. Ça reste sous contrôle total des États-Unis, avec des militaires américains qui sont présents sur les bases de déploiement et qui assurent la maintenance, la sécurité de ces têtes nucléaires. Mais effectivement, en cas d'emploi, la décision est censée être prise à deux, c'est-à-dire les États-Unis. et le pays où les armes sont déployées, avec aussi le rôle du Conseil de l'Atlantique Nord pour la mise en œuvre éventuelle de cette composante. Évidemment, on parle quand même de bombes à gravité qui sont mises sous des chasseurs, des F-35 le plus généralement. On se doute bien que ce n'est pas ça qui est le plus performant pour aller éventuellement frapper... en Russie ou sur le territoire d'un autre adversaire, comparé par exemple à des missiles balistiques intercontinentaux. Et donc ce déploiement, il est surtout à des fins de réassurance et de ce qu'on appelle du signalement stratégique. Ça c'est extrêmement important quand on parle de dissuasion nucléaire, parce que vu que les armes nucléaires ne sont pas employées sur le terrain, fort heureusement, enfin pas depuis août 1945 et Hiroshima et Nagasaki, la dissuasion elle repose. uniquement dans la psychologie et donc dans la compréhension de la psychologie de votre adversaire. C'est-à-dire que vous allez devoir lui signaler que si jamais il vous attaque, par une attaque conventionnelle de grande ampleur ou par une attaque nucléaire, votre capacité à riposter est telle que l'attaque n'en vaut plus la peine. C'est vraiment ça le concept de dissuasion qui s'applique aux forces conventionnelles évidemment, mais surtout aux forces nucléaires parce que malheureusement on n'a rien trouvé de mieux pour l'instant dans l'arsenal mondial que la destruction inimaginable qu'on peut causer par des armes nucléaires. C'est vraiment ça qui instille la terreur suprême qui fait que la dissuasion nucléaire fonctionne. Mais voilà, c'est quelque chose qui repose surtout sur la psychologie. Et donc, il faut signaler votre résolution à potentiellement employer des armes nucléaires, signaler la crédibilité de ces armes. Et donc, ça peut passer par le déploiement, effectivement, d'armes nucléaires à l'étranger, mais aussi beaucoup par des exercices, par des discours, par des tirs de qualification de missiles sans charge nucléaire. Et donc, tout ça, ça concourt à une crédibilité qui est extrêmement importante tant pour le pays que vous protégez dans le cas d'une dissuasion énergie que dans l'œil de l'adversaire.
- Speaker #1
Quand on parle de l'OTAN, la France en fait partie, mais pas de son groupe des plans nucléaires. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que cela signifie et nous parler plus largement de la doctrine nucléaire de la France ?
- Speaker #2
Ça, c'est une magnifique singularité française. Effectivement, quand la France a réintégré le commandement intégré de l'OTAN en 2008, c'est l'initiative du président Sarkozy, la France n'a pas intégré le groupe des plans nucléaires, le NATO Planning Group, qui rassemble... tous les États de l'OTAN, sauf la France. Même la Suède et la Finlande, qui ont récemment rejoint l'OTAN. vont rejoindre aussi le NATO Nuclear Planning Group, alors que ce sont des pays qui sont quand même très attachés au désarmement nucléaire. Cependant, la France présente une doctrine un petit peu singulière au sein des États occidentaux dotés de l'arme nucléaire. Donc quand on la compare à la doctrine américaine ou à la doctrine britannique, notamment dans son refus total de considérer une guerre nucléaire. C'est-à-dire que dans la doctrine française, l'emploi d'une arme nucléaire fait immédiatement passer le conflit à un stade politique, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible d'envisager un éventuel affrontement à l'aide d'armes nucléaires. Alors que dans la doctrine de l'OTAN, il y a ce concept de si la dissuasion échoue alors, il faut penser par exemple à un affrontement nucléaire, d'où le stationnement, on en parlait, de bombes à gravité sur le territoire de l'OTAN qui sont en fait des armes tactiques, donc de moindre puissance par rapport aux armes stratégiques et aux missiles balistiques intercontinentaux. Et donc non, la France considère que la dissuasion ne peut pas peut pas échouer, ce qui est quand même, je trouve, un petit peu un peu pieux parfois, et donc qu'il ne peut pas y avoir ce concept de guerre nucléaire. Et surtout, la France souhaite conserver une entière souveraineté sur ses armes nucléaires et donc considère que même réfléchir à la planification de cibles au niveau de l'OTAN relève... un petit peu d'une perte de souveraineté. Alors c'est quand même une réflexion qui est en train de changer au niveau de l'OTAN, au niveau de la représentation française à l'OTAN, avec une évolution peut-être du NPJ en lui-même, en le faisant évoluer vers quelque chose d'un petit peu plus politique, et moins sur le ciblage, afin justement de permettre à la France de diffuser un petit peu plus sa doctrine nucléaire. au sein de l'OTAN. Mais en réalité, quand on s'y intéresse, on se rend compte que c'est plus un blocage interne à la France. On sait très bien que tout ce qui touche à l'OTAN peut être un petit peu sensible sur l'extrême gauche et l'extrême droite de l'échiquier politique. Et donc, ça peut être potentiellement mal vu d'annoncer que la France rejoint le Nuclear Planning Group quand on sait aussi tous les fantasmes qu'il peut y avoir autour de l'OTAN. Et donc voilà, on a une doctrine nucléaire assez singulière, où on retrouve aussi le concept de stricte suffisance. Donc là, on considère en fait que la France a juste assez de têtes nucléaires, donc environ 300 têtes nucléaires, pour causer les dégâts qui sont équivalents à la valeur de la France. C'est-à-dire qu'à nouveau, si un adversaire se dit bon, je vais attaquer la France dans son intégrité territoriale, dans son intégrité de l'État la France est prête à dire dans ce cas-là, j'estime ma valeur à environ 300 têtes nucléaires, et donc si vous voulez m'attaquer, il faut être prêt à subir les dégâts de 300 têtes nucléaires Donc ça, c'est le concept de stricte suffisance. Et puis... on parlait justement du rôle des armes nucléaires au sein de l'OTAN, mais il faut aussi réfléchir au rôle des armes nucléaires au sein de l'Union européenne et de la défense de l'Europe. Et là, la France aussi évolue un petit peu sur ce sujet. Donc la dimension européenne de la dissuasion française et notamment des intérêts vitaux français, elle est présente depuis le début des années 1970. Mais du fait de l'avancée de la construction européenne, mais aussi des menaces qui pèsent sur l'Europe, notamment venant de la Russie, le président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours sur la stratégie de défense et de dissuasion de la France en février 2020, a vraiment réitéré cette dimension européenne des intérêts vitaux de la France et a appelé à un dialogue stratégique. avec les partenaires de la France au sein de l'Europe, afin justement de réfléchir à comment la France et ses armes nucléaires peuvent contribuer à la défense de l'Europe. Alors là, c'est vraiment quelque chose qui est en cours de construction, parce que l'idée n'est pas de faire, disons, un autre parapluie nucléaire, semblable aux États-Unis, déjà parce qu'il n'y a probablement pas assez de têtes nucléaires pour être crédibles vis-à-vis... des alliés mais aussi des adversaires de la France. Et puis même, il y a une crédibilité politique que la France n'a peut-être pas toujours au sein de l'Union européenne et des pays européens. Mais il y a quand même une réflexion qui se fait avec un intérêt croissant des alliés, notamment de la Pologne, de l'Allemagne, des pays baltes ou des pays scandinaves et notamment auxquels l'IFRI participe au travers de publications. et d'un dialogue stratégique entre la France et les pays nordiques sur les sujets de dissuasion, justement.
- Speaker #0
Merci et éloignons-nous maintenant Héloïse Fayet de l'Europe pour parler d'une superpuissance en devenir qui a de fortes ambitions dans le domaine nucléaire. Je veux bien sûr parler de la Chine. Alors là, il serait intéressant que vous nous donniez aussi quelques éléments chiffrés parce que vous avez parlé des 300 têtes françaises. Ce serait intéressant de savoir combien il y en a en Chine et quels sont leurs objectifs. Intéressant aussi d'avoir quelques chiffres sur les États-Unis, si vous pouvez nous en donner. Mais la question est la suivante, c'est comment est-ce que vous analysez la montée en puissance nucléaire de ce pays ?
- Speaker #2
Quelques chiffres pour commencer. Les États-Unis et la Russie ont environ 1550 têtes nucléaires stratégiques chacun déployées. Ça veut dire qu'en permanence, il y a au maximum 1500 têtes nucléaires stratégiques qui peuvent être mises, dans le cas de la Russie et des États-Unis, soit sur des missiles balistiques intercontinentaux tirés depuis le sol, soit depuis des silos. enterrés fixes ou depuis des camions mobiles. Ça, c'est ce qu'on appelle la composante terrestre. Il y a aussi des missiles qui peuvent être tirés depuis des sous-marins nucléaires lanceurs d'engin. Là, on parle de composantes océaniques. Et des missiles qui peuvent être tirés depuis des avions, des missiles de croisière. Là, on parle de composantes aéroportées. Pour info, la France n'a que deux composantes. La composante océanique avec quatre SNLE. et la composante aéroportée avec des rafales qui peuvent soit partir du sol, soit être embarquées sur le porte-avions Charles de Gaulle.
- Speaker #0
SNLE, sous-marin nucléaire lanceur d'engin.
- Speaker #2
Dans le cas de la Chine, on note une croissance vraiment très rapide de son arsenal nucléaire. Donc en 2022, l'arsenal était estimé environ à 350 têtes nucléaires stratégiques, donc déjà un petit peu plus que la France. 2023-2024, on en serait à 420, voire un peu plus selon les estimations. Et selon les services de renseignement américains, mais aussi des think tanks qui peuvent évaluer le potentiel de croissance, notamment grâce au cycle du plutonium, on en serait peut-être à 1000 têtes nucléaires stratégiques en 2030. Et donc une parité avec les États-Unis et la Russie. Donc ça signifie qu'au lieu d'avoir une dissuasion avec deux gros pôles de puissance tels qu'on le connaît depuis les débuts de l'arme atomique, donc quelque chose qui certes subit en ce moment les affres de la guerre en Ukraine avec la fin de certains accords. et traité comme le traité New Start, qui justement instaure ce plafond de 1550 têtes nucléaires stratégiques déployées. Donc une connaissance mutuelle entre les États-Unis et la Russie. Là, ce nouvel acteur chinois, il bouleverse le paysage géopolitique. En tout cas, c'est comme ça que les États-Unis le perçoivent. Et donc, on parle même du problème à trois corps. Donc en s'inspirant... déjà de la théorie mathématique et puis ensuite de la série de livres de science-fiction qui portent justement sur l'impossible équilibre, dès lors que l'on a trois corps qui en fait évoluent l'un autour de l'autre. Et donc là, potentiellement, on s'oriente vers une instabilité stratégique du fait de la montée en puissance de la Chine. Chine qui, évidemment, justifie la croissance de son arsenal par le fait qu'elle est une très grande puissance mondiale, potentiellement à terme première puissance économique, peut-être première puissance aussi sur le plan stratégique, militaire, et donc qui considère qu'elle doit avoir un arsenal nucléaire à sa juste valeur, à sa juste dimension, et donc viser la parité, voire le dépassement, en tout cas en termes de nombre de têtes. des États-Unis et de la Russie. Cependant, pour le moment, sur le plan opérationnel, il y a quand même beaucoup de doutes qui subsistent sur la crédibilité et l'efficacité de la dissuasion nucléaire chinoise. Par exemple, il y a eu de nombreux scandales de corruption au sein de la force des roquettes, qui est la force des armes nucléaires en Chine. Les silos qui abritent les missiles balistiques intercontinentaux ne seraient probablement pas tous remplis par des armes nucléaires. Certains missiles ne seraient même pas remplis avec du carburant, mais avec de l'eau et du sable. Ils ont eu des problèmes aussi avec leurs sous-marins nucléaires, lanceurs d'engin. Mais c'est certain qu'ils apprennent beaucoup. Et donc, d'ici 2030, effectivement, on aura très probablement ce déséquilibre avec trois paires. Et donc, aux États-Unis, il y a un très riche débat stratégique sur comment réagir et ce qu'il faut... augmenter le nombre de têtes aux Etats-Unis, diversifier l'arsenal, comment faire pour rester crédible, comment faire justement pour cette dissuasion élargie dont profitent la Corée du Sud, le Japon et l'Australie reste crédible face à cette menace chinoise ? Est-ce que les Etats-Unis seront toujours capables aussi d'avoir des armes nucléaires stockées en Europe pour protéger les pays de l'OTAN s'ils doivent à la fois dissuader la Russie et la Chine ? Et donc c'est quelque chose auquel nous, occidentaux, européens, on doit aussi se préparer.
- Speaker #1
Pour terminer, on va évoquer les nouvelles technologies et plus spécifiquement l'intelligence artificielle. En quoi l'IA va-t-elle impacter le domaine nucléaire ?
- Speaker #2
Oui, on constate une très nette modernisation des arsenaux nucléaires, tant sur le sujet des vecteurs, des missiles en eux-mêmes. On a beaucoup parlé de l'hypersonique. C'est un petit peu surcoté pour le moment, parce qu'en réalité, un missile balistique... a des caractéristiques assez semblables aux missiles hypersoniques, mais c'est certain qu'il y a de nouvelles technologies qui émergent et qui ont potentiellement un rôle soit stabilisateur, soit déstabilisateur sur la dissuasion nucléaire. et c'est le cas de l'intelligence artificielle qui d'un côté peut avoir des effets bénéfiques donc par exemple pour analyser de grandes quantités d'imageries satellites si on veut essayer de trouver où sont les silos chinois ou analyser les mouvements des armes nucléaires russes lorsqu'elles sont transportées d'une base à l'autre l'intelligence artificielle peut être extrêmement précieuse en la matière, ça veut dire aussi que si l'Occident peut faire ça sur les armes nucléaires chinoises. Alors potentiellement, les Chinois peuvent aussi mieux surveiller les bases aériennes françaises ou le mouvement des SNLE dans le goulet de Brest. Donc là aussi, c'est à double tranchant. Et puis, la question aussi que tout le monde se pose, c'est à quel moment on intégrera de l'intelligence artificielle dans les systèmes de prise de décision nucléaire. Alors, évidemment, on n'en est pas du tout à un Terminator ou des films comme War Games dans les années 80 qui décrivaient justement une IA capable de lancer par elle-même une arme nucléaire. Les cinq états dotés de l'arme nucléaire, ce sont... indirectement entendus pour toujours conserver un humain dans la prise de décision du lancement de l'arme nucléaire, et heureusement, mais il y a quand même toujours cette tentation, par exemple, de faciliter l'analyse du contexte stratégique à l'aide de l'IA pour analyser beaucoup plus facilement des données, éventuellement aussi créer des modèles prédictifs. et aussi accélérer la boucle de décision. Parce que si vous avez des missiles qui vont plus vite qu'avant, donc des missiles hypersoniques, il faut être capable de réagir extrêmement rapidement face à la menace. Et donc, est-ce qu'ensuite, il y aura plus d'appui justement sur l'IA par rapport à ça ? C'est la crainte un peu qui existe actuellement. Et puis, plus largement, on sait par exemple que l'intelligence artificielle est utilisée pour faire des choses. pour générer des faux discours, des fausses images et plus largement des fausses informations. Et donc si jamais il y a un excellent deepfake, donc une fausse vidéo du président Macron ou du Kim Jong-un par exemple, qui annonce que vu le contexte géopolitique, il a décidé d'une frappe nucléaire contre tel ou tel pays, qu'est-ce qui se passe ? Enfin techniquement, on espère évidemment que le pays concerné, le pays nommé, a des systèmes de communication très fiables avec la France. mais on voit que cette capacité à communiquer entre états dotés de l'arme nucléaire, ça s'érode petit à petit. et puis il y aura aussi évidemment une énorme crainte dans la population et on voit déjà que la population que ce soit en Occident mais aussi dans des autocraties peuvent être très sensibles aux fausses nouvelles on le voit sur le nucléaire enfin quand il y a des menaces nucléaires de Vladimir Poutine qu'elles soient vraies ou fausses d'ailleurs à chaque fois il y a une très grande crainte au sein de l'opinion publique occidentale et c'est justement ce que cherche le président russe Il cherche à affecter le soutien en Occident pour l'Ukraine en faisant planer la menace d'une riposte nucléaire. L'IA avec toutes ses applications possibles et inimaginables représente vraiment un nouveau défi pour la stabilité stratégique et pour tous les mécanismes qui ont pu être mis en place depuis l'invention de l'arme nucléaire et donc depuis 1945.
- Speaker #0
Juste une petite précision, vous avez parlé de cinq États dotés, donc il faut rappeler que c'est au sens du traité de non-prolifération, mais qu'il y a d'autres États qui se sont dotés de l'arme nucléaire, mais qu'on ne qualifie pas d'États dotés. Peut-être que vous pouvez expliquer ça rapidement.
- Speaker #2
En tout dans le monde, il y a neuf États détenant l'arme nucléaire, possédant l'arme nucléaire. Il y en a cinq qui l'ont fait avant l'entrée en vigueur du traité de non-prolifération nucléaire, donc avant 1970, donc qui sont... Coïncidence ou non, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, donc la France, le Royaume-Uni, la Chine, l'URSS devenu Russie et les États-Unis. Et donc ça se tourne des États dotés de l'arme nucléaire. Et le traité de non-prolifération crée aussi du coup une catégorie d'États non dotés de l'arme nucléaire qui, en échange de renoncer à développer un arsenal nucléaire, sont censés bénéficier d'une aide. pour développer le nucléaire mais du côté civil, c'est-à-dire développer l'énergie nucléaire à des fins civiles. Et il y a aussi un engagement des États dotés de l'arme nucléaire pour le désarmement nucléaire, ce qu'on ne voit du coup pas du tout en ce moment, malheureusement. Et puis, il y a une troisième catégorie d'États, qui sont les États possesseurs de l'arme nucléaire, qui, soit n'ont jamais signé le traité de non-prolifération nucléaire et donc ont pu développer une arme nucléaire ensuite. Donc là, c'est Israël, Inde et Pakistan. Et puis, il y a le cas particulier de la Corée du Nord. qui était signataire du traité de non-prolifération et qui s'en est retiré en 2003 et qui depuis poursuit sa voie vers un nucléaire efficace. Et puis après, il y a évidemment des candidats à la prolifération nucléaire ou en tout cas des pays qui ont un programme nucléaire civil mais qui pourraient très facilement développer une arme nucléaire fonctionnelle s'il y a une décision politique de le faire et si le contexte stratégique s'y prête. Donc évidemment on pense le plus souvent à l'Iran.
- Speaker #0
qui pourraient en un à deux ans développer une arme nucléaire fonctionnelle, mais qui pour l'instant bénéficie de tous les avantages d'une dissuasion conventionnelle sans avoir besoin d'une arme nucléaire. Mais il y a aussi d'autres pays, par exemple on en parlait de la Corée du Sud, qui a un programme nucléaire civil extrêmement avancé, qui a beaucoup de missiles qui pourraient emporter une charge nucléaire. Et donc imaginons que la Corée du Sud ne croit plus. En la dissuasion élargie américaine, l'opinion publique sud-coréenne est tout à fait favorable dans ce cas-là à ce que le pays se dote de son propre programme d'armes nucléaires face à la menace nord-coréenne et à la menace chinoise. Donc on voit vraiment en fait cette désinhibition tant des États qui possèdent déjà l'arme nucléaire et qui n'hésitent pas... Elle a mobilisé de plus en plus dans les rapports de force, dans leur rhétorique, qui ne se comporte pas du tout en puissance nucléaire responsable, comme on pourrait l'attendre d'elle. Et puis, constatant ça, constatant que malheureusement, le nucléaire aide dans les rapports de force et aide à avoir un statut, il y a donc des pays qui se disent que la seule solution pour se protéger, c'est potentiellement de développer une arme nucléaire et donc de mettre à bas le régime de non-prolifération.
- Speaker #1
Héloïse Fayet, merci beaucoup d'avoir participé à ce podcast. Chers auditeurs, n'hésitez pas à vous abonner au podcast Le Monde selon l'IFRI sur votre plateforme préférée et à suivre l'Institut français des relations internationales sur les réseaux sociaux. A bientôt pour un prochain épisode.