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Le peuple des algues. Partons à la découverte des habitantes de l'est. Le peuple des algues. Épisode 6. Inviter les algues en cuisine. Lorsque l'on passe le pont de Noirmoutier, 25 kilomètres nous séparent encore de l'extrémité de l'île. Accompagnés par l'odeur des embruns, on chemine alors sur une terre plate. Un paysage qui semble flotter sur l'eau. Arrivé tout au bout, le port de l'herbeaudière l'a crié, l'océan, et le restaurant la marine. Les embruns tapent alors au carreau et s'insinuent dans les cuisines du chef étoilé, Alexandre Couillon. Depuis 25 ans, il convie la mer dans les assiettes de son restaurant. Les poissons et les fruits de mer côtoient les légumes de la mer, les algues.
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Je m'appelle Alexandre Couillon, je suis originaire de l'île de Normoutier. Je suis aujourd'hui avec mon épouse Céline, propriétaire du restaurant La Marine, référencé sur le Guin Michelin. Quand on a repris ce restaurant qui était à mes parents, on a laissé le nom parce qu'on ne débaptise pas un bateau. Et je pense que ce lieu aujourd'hui, on s'aperçoit qu'on a cette chance tous les matins de se réveiller face à l'océan, de voir ce qui se passe. Le milieu marin me colle à la peau, c'est-à-dire que quand je m'éloigne de Noirmoutier pour 1, 2, 3 semaines, il faut absolument que je revienne, c'est vital. La marine, c'est marine et végétale, avec une grosse partie des légumes, avec ce que l'océan nous ramène au quotidien. Et ça c'est important, cette relation qu'on a avec l'océan, avec le milieu marin, avec cet écosystème. C'est qu'aujourd'hui tout arrive en petite quantité tous les matins que pour la journée. Le soir tous les frigos sont vides. Je vais vous raconter une histoire. Il y a 7 ans je suis parti au Japon. J'ai fait la rencontre d'un chef japonais, Okuda. En fin de compte, c'est simple. Il ouvre un restaurant à Paris et il entend parler que sur la côte atlantique, il y a un mec qui cuisine des poissons. Il fait Paris, Nord-Moutier. Il mange une fois, il se présente. Oh, merci beaucoup, il s'en va. Un mois et demi après, le mec, il revient. Waouh, je suis pas tard. Et puis il commence à me poser des questions sur les poissons, sur la pêche, tout ça. Il sait que sur la côte atlantique, on a des poissons avec une qualité exceptionnelle. Bon, je comprends qu'il voudrait en emmener pour emmener à Paris, tout ça. Et puis à chaque fois qu'il vient, on fait notre travail, on le reçoit, on lui donne des infos, tout ça. Et au bout de 6 ou 7 fois sur l'année, il me dit, ben voilà, je veux vous remercier. Je dis non, nous on a fait notre travail. Et il me dit, je veux vous inviter à Tokyo et je veux faire un repas avec vous. Très bien. On arrive à Tokyo avec Céline et puis visite de Tokyo, super, génial. Et non, moi arrivé sur l'aéroport, j'arrive et là j'ai une interprète qui me dit vous êtes le premier étranger à rentrer dans sa cuisine et il veut que vous compreniez sa cuisine. Je dis pas qu'il n'y a pas de problème. Alors là je me suis mis tout petit et j'ai commencé à travailler comme eux. Et on a imaginé un menu et c'est là qu'on s'aperçoit qu'on est dans une dimension différente. L'exemple, on prend une casserole, je mets un morceau de beurre, je fais tomber des échalotes et là dans la cuisine tout le monde s'arrête. Qu'est-ce qui se passe ? Une odeur qu'ils ne connaissent pas du tout. Alors là j'ai dit mince, alors là tout le monde s'arrête, j'ai dit merde, qu'est-ce que j'ai fait, j'ai fait, il y a un problème, non, et là on passe dans autre chose, alors je lui explique, je lui dis bah j'aimerais bien faire des navets et j'aimerais bien faire une soupe d'algues, il me dit très bien, alors il me dit qu'est-ce que tu veux, je lui frais, de très jeunes et tout ça. Le lendemain, il arrive et il me ramène de la nourrit fraîche, très très fine. Et il me dit ça, ce sont des femmes au nord de Tokyo, de mémoire, qui ramènent ça près des sources d'eau avec simplement sur des pirogues où il y a à peine... il y a moins de 60 cm d'eau, elle ramène tout ça à la main, ça coûte très très cher, et tout ça, c'est un travail de fou. Je dis, bon, très bien, ok, super, ok, on va faire avec ça. Et puis moi, inconsciemment, sans connaître vraiment, je prends, je demande à avoir un espèce de petit cutter, un robot coupe, il m'en ramène un, parce qu'ils n'en avaient pas dans la cuisine, et puis là, je commence à un, je fais mon truc, et je fais goûter au chef le soir, et il goûte, et il me dit, c'est très bon, mais c'est un goût mécanique. alors là je dis très bien Ok, on reprend tout à zéro et on refait le fonctionnement avec le couteau. Et c'est là que j'ai compris qu'en fin de compte, il ne fallait pas mettre des algues pour mettre des algues. Ce n'était pas faire juste, on ne met pas un carré d'algues, on n'enveloppe pas dans leur fameux dashi, dans toutes les algues, la wakame, le kombu, tout ce qu'ils peuvent avoir. Et en fin de compte, nous, quand on est arrivé ici, on l'a compris. Alors après il faut du temps parce que on est souvent avide de savoir, de comprendre et de ramener des choses. Après on a deux solutions, c'est soit on le met dans nos cuisines, mais malgré tout je ne suis pas japonais, mais de se comprendre le pourquoi du comment. Et c'est là qu'on s'aperçoit que l'algue a un facteur. Après voilà, il faut que ça vienne naturellement, il faut pas qu'on dise automatiquement voilà on va mettre des algues pour dire c'est fun on met des algues, on a vu qu'il y a eu des articles qui ont été faits sur des gars, ouais moi je fais des algues tout ça et en fin de compte il y avait pas voilà il va falloir qu'on cuisine.
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Les habitudes culinaires asiatiques diffèrent de celles des européens sur de nombreux points et particulièrement sur la question des algues. Au Japon, leur consommation est quotidienne. Nori, wakame, itsuki ou encore kombu. Cette dernière algue, présente dans le dashi, bouillon de base de la cuisine japonaise, est à l'origine de la cuisine de la France. de la découverte de l'umami. Umami signifie « goût savoureux » en japonais et l'on prête à cette saveur la faculté d'équilibrer un plat. Lorsque l'on dépose un ingrédient sur la langue d'un être humain, une myriade de cellules réceptrices se mettent en action en voyant au cerveau de multiples informations, dont la saveur de ce plat. Cette langue est capable de discerner cinq saveurs fondamentales. Sucré, salé, acide, amer, et la cinquième dont nous sommes très peu coutumiers en Occident, Umami.
- Speaker #1
Il y a des gens qui vont vous dire, ben non, moi je peux pas, je mange pas d'algues, les algues c'est pas pour nous ça, c'est pour les poissons. Alors, est-ce que c'est la tête, le cerveau qui parle avant le palais ? Je pense que beaucoup de gens, c'est ça. On se doit, sans côté péjoratif, sans animosité, mais on se doit, nous, d'éduquer le client. C'est notre job. C'est un sorbet aux algues. Ah, aux algues ? Et en fin de compte, nous, on utilise les algues pour ça. Alors, on les utilise pour donner du goût. Voilà, pour intensifier un plat, c'est-à-dire qu'on s'est aperçu que la laitue de mer, si on prenait de la laitue de mer, on la blanchissait, on la sortait de l'eau bien chaude pour la cuire et on la mixait très très longtemps, on avait comme une crème épaisse verte, mais qui avait un parfum qui était même fort. On était vraiment dans la mer. Et c'est ce qui a fait aussi que cette algue qui est rentrée dans notre cuisine nous a donné aussi une dimension différente, parce qu'on a fait des plats qui étaient encore plus puissants. et même des fois fallait stopper parce que les gens n'ont pas l'habitude un bouillon d'étrille qui est fait le plus naturellement possible quand il est fait avec des produits de qualité ça sent la rocaille, ça sent le minéral et tout ça c'est très fort alors plus l'ajout de ces algues on est vraiment on a vraiment ça mais nous on l'utilise pour ça pour le goût pour envelopper pour cuire. On a vu manger des feuilles de nori passer sur la braise, simplement, pour développer une chaleur plus forte, enrouler tout de suite dans du riz ou dans un poisson et le servir aussitôt. Là, on développe un parfum qui est d'un goût. Il y a ce côté grillé, il y a ce côté algue, il y a ce côté végétal, il y a ce côté marin. Et aujourd'hui, quand on finit une année, on se dit toujours, qu'est-ce qu'on va faire l'année prochaine ? Comment on va pouvoir l'utiliser ? On a commencé tout doucement avec quelques plats, on l'a passé dans les plats chauds, on l'a remplacé carrément des fois par du légume, voilà. On l'a rentré dans les desserts. On sait que si on fait une meringue aux algues avec du chocolat ça marche, si on fait un sorbet un peu acidulé avec comment la laitue qui est assez puissante malgré tout, qui a ce côté iodé très fort, on va venir l'adoucir avec une émulsion à la noisette, avec des agrumes en dessous, voilà. Nous on a des gens qui nous disent mais jamais j'aurais mangé de l'algan dessert, jamais j'aurais goûté ça, jamais je serais positionné sur ça, voilà.
- Speaker #0
Dans l'histoire de l'humanité, les populations vivant le long des côtes ont couramment consommé des algues. Ces légumes de la mer furent un aliment de base, accessible facilement, du fait du balancement des marées. En témoigne l'arrivée de l'être humain en Amérique via le détroit de Béring il y a plus de 13 000 ans. De génération en génération, durant des millénaires, l'espèce s'est déplacée vers le sud en suivant ce que l'on nomme « The Kelp Highway » , l'autoroute des algues. La présence de ces végétaux et des organismes qui s'y développent auraient assuré une alimentation durable à ces pionniers. Aujourd'hui, des traces retrouvées jusqu'au Chili attestent de cette consommation d'algues. Par les humains.
- Speaker #1
En 99, quand on est arrivé ici, on faisait des assiettes de fruits de mer. Un jour, on a vu un client, un Allemand, qui commençait à manger l'assiette, carrément le guémont en dessous, qui croquait dedans. Ah, m'arrêtez, malheureux ! Et en fait, c'est que ce n'était pas arrivé. Aujourd'hui, la place de l'Algue est présente, mais on pourrait la cuisiner encore différemment. Ce serait de la rentrer vraiment, de l'imaginer comme un... pas un légume mais quelque chose de différent. Et je pense qu'aujourd'hui ce serait intéressant de mettre l'algue dans les menus, dans la cuisine, sans le mettre en avant.
- Speaker #0
Le peuple des algues est une création originale du collectif Serres. Ce projet a reçu le soutien financier de l'Office français de la biodiversité et du parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis. Nous tenons à remercier chaleureusement Alexandre et Céline Couillon, le restaurant La Marine ainsi que la maison Moiseau. S'il vous a plu, n'hésitez pas à partager ce podcast et rendez-vous pour l'épisode 7. Transmettre les savoirs avec Zachary Godin.