[Face à Face ] Comment la Silicon Valley réécrit le monde : aux origines de l'utopie cover
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Les Eclaireurs du Numérique

[Face à Face ] Comment la Silicon Valley réécrit le monde : aux origines de l'utopie

[Face à Face ] Comment la Silicon Valley réécrit le monde : aux origines de l'utopie

25min |30/05/2025
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Description

Comment la Silicon Valley a façonné le monde (et pourquoi ça nous concerne)


Dans cet épisode des Éclaireurs du Numérique, Damien Douani reçoit Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, fin connaisseur de la Silicon Valley… et démystificateur de ses récits fondateurs.


➡️ Pourquoi la Silicon Valley est-elle née dans les vergers californiens ?

➡️ Quelles sont les trois utopies fondatrices (information, intelligence, organisation) qui irriguent encore aujourd’hui la tech mondiale ?

➡️ Comment une poignée d’hommes – souvent blancs, résilients, diplômés et masculins – ont façonné un système devenu quasi aristocratique ?

➡️ Pourquoi certains discours d’Elon Musk, Sam Altman ou Peter Thiel sont directement hérités d’un siècle d’idéologie technocratique ?


Un échange qui fait le lien entre histoire, idéologie et avenir technologique. Olivier Alexandre nous aide à comprendre ce que la Silicon Valley ne dit pas d’elle-même, et pourquoi cela a un impact concret sur nos vies.


🎧 Écoutez, partagez, questionnez. Et surtout…

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Olivier Alexandre

    Comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire.

  • Damien Douani

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode des Éclairs du Numérique. Vous le savez, chez les Éclaireurs, on aime bien faire plusieurs formats, notamment le format de tête-à-tête ou de face-à-face. Et aujourd'hui, c'est un face-à-face de qualité. On espère que la plupart du temps, ils sont tous de qualité, mais là, vous allez voir, vous allez comprendre, ça touche particulièrement aux racines du numérique, de leur impact sur la société, qui est, vous le savez, ce qui nous intéresse, nous, chez les Éclairs, avec Olivier Alexandre. Bonjour Olivier. Bonjour. Alors Olivier, vous êtes... sociologue au CNRS, vous êtes chargé de recherche aussi au SNRS, vous connaissez bien la Silicon Valley, vous l'avez arpentée, on en reparlera justement. Et donc dans votre conférence, vous avez parlé notamment des rêves un peu fondateurs de cette Silicon Valley. Justement, brièvement, on ne va pas refaire une heure et quelques de conférence, mais c'est quoi ces grands piliers fondateurs de la Silicon Valley, tels qui aujourd'hui finalement dans leur conception ont peut-être évolué, on en reparlera. mais qui ont vraiment été à la base de la construction de ce lieu qui est quand même assez surprenant. On parle de pommiers, on parle de gens qui étaient des agriculteurs, et on arrive à la matrice du système d'information mondial.

  • Olivier Alexandre

    Oui, exactement. Alors dit comme ça, ça va me dire un peu un tour de magie. Ce que j'essaie de faire dans mon travail, c'est de rappeler, effectivement, comme tu viens de le dire, que c'est une industrie des nouvelles technologies qui attire. par effet d'une sorte d'amnésie perpétuelle, moi j'essaie de lui redonner de la mémoire. Et c'est vraiment pas quelque chose dont ils sont spécialistes, dans la Silicon Valley. Et du coup, je m'attèle à ça, et en l'occurrence, ce que je disais dans cette conférence, c'est que la Silicon Valley, elle est née autour de trois rêves, de trois utopies, de trois rêves projetés, disait le sociologue Baudrillard. Le premier, c'est les systèmes d'information. Le deuxième, c'est l'intelligence. Et le troisième, c'est l'organisation. Alors les systèmes d'information ça se comprend par rapport à l'histoire de la Silicon Valley. C'est vrai qu'il y en a qui disent que la Silicon Valley c'était les années 70. D'ailleurs le silicone, le silicium en fait, il a commencé à être extrait dans les années 60-70. Et du coup c'est l'origine. Il y en a qui disent non c'est la seconde guerre mondiale. Il y en a qui disent mais non pas du tout c'est les années 20. Il y en a qui disent mais non dès les années 1900 il y avait déjà des amateurs de radio. Moi j'essaie de remonter encore plus loin. J'essaie de remonter au moment... des problématiques que rencontraient les gens qui habitaient dans la Silicon Valley avant qu'elle soit la Silicon Valley. Et effectivement, c'était une terre agricole. C'était des gens qui s'occupaient de verrer, des amandes, etc. Et leur préoccupation première, c'était de diffuser, d'écouler leur récolte. Et comment on écoule une récolte au XIXe siècle, dans la fin du XIXe siècle ? On le fait avec les chemins de fer. Sauf que les chemins de fer, ce n'est pas la SNCF d'aujourd'hui. Ça n'a jamais été aimé,

  • Damien Douani

    d'ailleurs, le train aux Etats-Unis.

  • Olivier Alexandre

    Non, pas vraiment. Enfin, l'avion est passé par-dessus, mais à cette époque-là, ça incarne les nouvelles technologies. C'est la nouvelle technologie de l'époque, mais il y a tout un tas de problèmes qui sont des accidents, parfois dramatiques, tragiques, mais surtout des problèmes d'aiguillage, d'information, de savoir quand est-ce que les trains arrivent. Donc, on est plus dans le mode train indien que train SNCF. Voilà, et il faut imaginer... Les conséquences que ça a pour les agriculteurs de l'époque, parce que quand on perd une récolte de la moitié de l'année ou toute l'année, c'est son année qui est mise en danger et son activité agricole qui est mise en danger. Je rappelais le rôle très important qu'a eu Leland Stanford, qui a donné le nom à l'université créée en 1891. Leland Stanford a énervé tout le siècle, tout le 19e siècle, depuis le Golden Rush, parce que c'est quelqu'un qui a fait fortune en vendant des équipements aux chercheurs d'or. Ensuite, il a pris la tête du conglomérat ferroviaire du centre du pays, puis du sud. Il est devenu gouverneur de la Californie, il est devenu sénateur ensuite. Quand il fonde Stanford, il le fonde à partir de plusieurs préoccupations, de plusieurs disciplines fondatrices. Il pense que le droit doit être fondateur. D'ailleurs, lui-même est avocat de formation. Il pense que les sciences humaines, les humanités ont un rôle aussi, mais technique, scientificisé. Il pense évidemment que les nouvelles technologies ont un rôle extrêmement important et puis il pense aussi à la dimension spirituelle. D'ailleurs si vous baladez aujourd'hui sur le campus de Stanford, la paroisse est vraiment centrale. Et ce qui est assez fascinant c'est que l'université de Stanford est vraiment conçue comme un système d'information sociale, c'est-à-dire qu'on entre, il y a une grande voûte comme ça qui attire et qu'ensuite il y a plein de carrés. mais au sens spatial du terme, qui sont ouverts. Et l'idée, c'est qu'on puisse se croiser, échanger sur le mode de la séramidité, qu'importe sa discipline d'origine, qu'importe son origine sociale aussi d'une certaine façon, mais on peut s'y croiser pour développer des projets. Et ce qui est intéressant, c'est que cette technologie sociale, elle va permettre de développer, elle va se traduire par tout un tas de systèmes d'informations qu'on peut égrener comme ça tout au long du siècle.

  • Damien Douani

    D'ailleurs, c'est assez amusant parce que cette place centrale... C'est quelque chose qu'on entend très souvent dans la mythologie de certaines entreprises. Je pense notamment à Pixar et Steve Jobs qui aimait bien raconter sa jeunesse dans les pommiers. Et justement aussi cette notion de place centrale qu'on retrouve aussi chez Apple mais dans d'autres sociétés. C'est cet endroit où les gens se croisent et il y a des choses qui vont se passer. Bien sûr c'est un peu de storytelling par moment mais quand même il y a cette notion-là. Et on le retrouve déjà dans la matrice de base de l'université de Stanford. Au-delà de l'aspect des trains qui lui-même crée déjà cette notion de réseau.

  • Olivier Alexandre

    Absolument, c'est une mythologie au sens propre du terme, c'est-à-dire un récit des origines, qui a pu être pétrifié, réifié, reproduit, et si vous allez au Googleplex aussi, chez Google c'est le même principe, le terrain de voler au milieu du chemin. Mais là c'était vraiment une volonté, et qui s'inscrit dans la Californie de la fin du XIXe siècle, qui a plusieurs originalités en fait par rapport aux États-Unis, aux grands pays de l'époque, et l'une de ces originalités c'est vraiment de croire, et on en arrive au deuxième rêve, de croire... dans la supériorité de certains esprits, dans la supériorité des esprits supérieurs justement. Donc on ne s'oriente pas vers par exemple les grandes dynasties familiales, les gens passés par les grandes écoles, on pense vraiment que... Pas l'usine européenne ou forcément française. Même de la côte est, Boston, Harvard, Columbia...

  • Damien Douani

    Qui très souvent ont été inspirés ou énervés peut-être par l'Europe.

  • Olivier Alexandre

    Oui, mais ce qu'il faut voir c'est que c'est des universités qui sont aussi vieilles que la Sorbonne parfois, versus certains campus universitaires qui ont 30 ou 40 ans. Là, le poids des grandes familles sur la côte Est, il est extrêmement important. Et les gens qui ont fait la Californie ont tous ça en commun de se dire OK, on met toute notre histoire et l'histoire d'une certaine façon derrière nous et on va s'intéresser à l'avenir. Et on va s'intéresser à l'avenir en développant des outils qui vont pouvoir être mobilisés par l'ensemble de la planète. Et ces outils, c'est des outils de communication et d'information. Donc,

  • Damien Douani

    on prend les meilleurs pour faire ça.

  • Olivier Alexandre

    Et on prend les meilleurs pour faire ça, effectivement. Donc, on va développer tout un tas de...

  • Damien Douani

    Meilleur au basculant, à notre préférence.

  • Olivier Alexandre

    Alors... C'est même pire que ça. C'est masculin, blanc, classe moyenne supérieure, en fait, catégorie intellectuelle supérieure. Et si vous regardez les grands entrepreneurs aujourd'hui, ils ont une sociologie qui était déjà identifiée comme la sociologie intéressante il y a plus d'un siècle à Stanford. Et en fait, qui est restée cette image, on pourrait dire ce fétiche de l'intelligence et qui est un peu... qui est extrêmement écrasante en fait, parce que de fait aujourd'hui les investisseurs, qui sont des gens très futés pour beaucoup dans la Silicon Valley, ce qu'on appelle les ventures capitalistes, eux se voient comme des psychologues, passent leur temps à essayer de comprendre la qualité morale et intellectuelle des gens, leur idée étant qu'on ne sait pas ce qui va marcher en termes de nouvelles technologies, par contre on peut savoir si une personne est de qualité ou pas.

  • Damien Douani

    Le fameux mantra de « on regarde les équipes, on regarde les projections,

  • Olivier Alexandre

    voir le tableau Excel de projection » . Et on essaye de le sentir. C'est le mot utilisé par Georges Loriot, le père fondateur du Venture Capitalisme. On essaie de sentir le talent en le fréquentant dans ses familiarités. Ça explique aussi qu'on passe beaucoup de temps dans les cafés, qu'on passe beaucoup de temps dans les bars, qu'on passe beaucoup de temps au Burning Man aussi.

  • Damien Douani

    Et à nouveau cette notion de sérendipité.

  • Olivier Alexandre

    Et l'idée en fait que la qualité ne se forme pas, elle est innée d'une certaine façon, qui correspond à une certaine forme d'intelligence, c'est-à-dire l'intelligence logico-rationnelle et à une certaine forme de morale. qui serait en gros, on dirait aujourd'hui avec Boris Zérolnik, la résilience. Mais il y a d'autres types d'intelligence, il y a d'autres types de morale, et c'est ce qui est important de rappeler, je crois, au cœur de la Silicon Valley, ce qu'ils ont du mal à entendre, et on voit vraiment des expressions. Alors là, dans le talk, j'ai fait une généalogie sur 100 ans, 150 ans. Et on pourrait croire qu'il s'agit d'une histoire de vieille barbe, et comme je le disais, l'université de Stanford s'est faite à partir du recrutement de l'Indiana. Pourquoi l'Indiana ? L'Indiana c'est l'état du nord des Etats-Unis qui est le plus raciste foncièrement, qui a eu des lois racistes très tôt, très longtemps, qui a interdit les mariages « inter-raciaux » aux Etats-Unis très longtemps, qui le considérait comme un félonie, un crime. et on voit plein de gens en fait dans ce terreau là bercé de deux génismes et qui vont être embauchés par stanford et constituer les grands départements de stanford et diffuser un certain nombre d'idées on pourrait dire qu'ils sont pas complètement géniste aujourd'hui mais en même temps quand vous lisez parfois ou écouter parfois Dans le monde contemporain Peter Thiel ou Elon Musk, vous retrouvez un certain nombre de philosophèmes, comme on dit en philosophie, qui lient 150 ans d'histoire.

  • Damien Douani

    Pour rappel, Peter Thiel, un des fondateurs de Facebook, un investisseur de Facebook et d'autres entreprises notamment, et de Palantir aujourd'hui, effectivement.

  • Olivier Alexandre

    Qui a un rôle très important dans le domaine militaire et qui n'hésite pas à travailler avec qui le veut.

  • Damien Douani

    Et Georges Doriot, dont on parlait quelques instants, qui était un militaire français, d'ailleurs.

  • Olivier Alexandre

    Alors, militaire, ça serait beaucoup dire, mais il a eu le poids des événements à fait qu'il s'est engagé dans cette voie-là. Il est d'origine française. Il a fait l'essentiel de sa carrière à Harvard. Il a fait l'essentiel de sa carrière, on dirait, en sciences de la gestion. Aujourd'hui, il a eu un cours vraiment légendaire sur l'administration, du business. Il n'y a pas de livre parce qu'il détestait les notes et plus généralement, il détestait tout ce qui était relatif à l'administration. Et il va beaucoup porter ça dans ses cours. il va beaucoup porter ça en action, il va beaucoup porter ça quand il aura des responsabilités au moment de la Seconde Guerre mondiale. Et son idée à lui, c'est de considérer que le sens de l'histoire bascule vers, dans le sens des plus audacieux, des plus ingénieux. Ceux qui vont oser des petites choses. Oui, et c'est vrai pour la Seconde Guerre mondiale, mais c'est vrai aussi pour la richesse des nations et la manière dont elles évoluent. Et pour qu'elles évoluent dans le bon sens, il est vraiment primordial d'abaisser le niveau de la bureaucratie et d'augmenter l'autonomie de ses cerveaux, on dirait aujourd'hui. Et donc lui, il va commencer par faire une première structure qui s'adresse aux anciens combattants, puis une deuxième structure qui est vraiment l'ancêtre du venture capitalisme, au cours de laquelle il va identifier les fondateurs de DEC. DEC, c'est une entreprise extrêmement importante culturellement et industriellement, qui va être l'ancêtre d'Apple d'une certaine façon. qui va valider son modèle, c'est-à-dire que quand on fait d'investissement du capital risque, on parie sur beaucoup d'entreprises, on sait qu'on aura un ratio d'échecs à 90%, mais il y aura 10% qui va permettre de faire une culbute, et une culbute extrêmement importante. Donc ça, ça va valider le modèle. Et par ailleurs, à travers ses cours à Harvard, il va aussi former la première génération de ventures capitalistes, qui sont des gens plutôt de classe moyenne, qui voient les grandes portes du conseil, de la banque, des grandes entreprises qui leur sont fermées. Et qui vont s'orienter vers les nouvelles technologies, l'informatique dans les années 60-70, qui vont travailler chez HP, par exemple chez Intel, avant de fonder des grandes enseignes, vraiment des titans dans la Silicon Valley, que sont Sequoia ou Kleiner Perkins, qui vont investir dans les premiers Apple, dans les premiers Sun Macro System, et qui du coup vont structurer, jusqu'à aujourd'hui, l'industrie. Et ces gens-là, quand vous les interrogez, ils rendent tous hommage à George Loriot, à sa vision du talent, et à la manière de l'identifier. et encore une fois Pour identifier le talent, il ne faut pas juste faire des études de marché, il faut le sentir, regarder comment les gens bougent, s'expriment, collaborent. Et Dario disait, il faut même aller interviewer leur femme pour savoir comment ils se comportent à la maison.

  • Damien Douani

    On est quasiment sur les soft skills quelque part. Donc, construire un réseau, système d'information, trouver les bonnes personnes, l'intelligence. Et puis, il y a un troisième rêve quelque part, c'est la techno elle-même.

  • Olivier Alexandre

    C'est les technos, mais ça c'est un peu le système d'information.

  • Damien Douani

    Tout au moins, c'est la manière dont les gens vont s'organiser entre eux, c'est une communauté.

  • Olivier Alexandre

    Exactement.

  • Damien Douani

    C'est l'organisation plutôt.

  • Olivier Alexandre

    C'est l'organisation qui a à la fois une dimension sociale, une dimension politique. Je suppose qu'un certain nombre d'auditeurs, d'auditrices ont entendu parler, j'espère en tout cas, du livre de Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique, qui est vraiment un livre essentiel pour comprendre l'histoire. de la Silicon Valley, des nouvelles technologies. Et Fred Turner, qui est professeur à Stanford, il fait vraiment un focus sur les années 60-70 autour de Stuart Brand, qui a fait un lien comme ça entre des communautés hippies et puis des technologues. Mais en fait, cette histoire, elle est bien plus profonde. Elle remonte au 19e siècle. Et ce qu'il faut voir, même si c'est difficile quand on est européen et qu'on a cette logique d'idéologie en bloc, en masse, entre l'URSS, les États-Unis, c'est qu'en fait les États-Unis et la Californie tout particulièrement, a accueilli des communautés utopiques depuis le 19e siècle, et nombre d'entre elles. Beaucoup ont périclité, mais certaines ont réussi, et notamment l'une qui a réussi c'est Halcyon où ont grandi les frères Varian. Les frères Varian, ça ne doit pas trop parler au public, mais ils ont eu un rôle important dans le développement de... de la radio, avec le calistron, dans les années 30, ils sont passés par Stanford, ils sont passés par le parc technologique de... Des Stanford. Et c'est les vieux fantômes qui nous visitent. Et ils ont grandi dans une communauté utopique. Une communauté où on apprenait à partager les choses, à faire aussi pour que la communauté vive. On apprenait des choses techniques, abstraites, mais on apprenait aussi des savoir-faire pratiques.

  • Damien Douani

    Il y a un petit côté mormon, il y a un petit côté communauté au sens de savoir comment...

  • Olivier Alexandre

    Communauté utopique socialisante. On partage, on accueille. On développe, on accorde autant d'importance à faire à manger ou à cultiver son fort intérieur spirituel. Et puis, effectivement, on passe du temps qui n'est pas du temps de loisir, mais du temps d'inventivité. Et la créativité, elle est aussi très valorisée. Et ce qui est intéressant de voir, c'est que quand ils fondent leur entreprise et qu'ils s'installent à Palo Alto en 1953, ils vont importer. Ces principes socialisants avec des lois, des mesures au sein de l'entreprise extrêmement progressistes pour l'époque et même encore pour aujourd'hui. Ils vont dire qu'il faut qu'on partage les profits. Ils vont dire qu'il faut que chaque salarié ait une partie du capital. Ils vont dire qu'il faut mettre en place des couvertures d'assurance maladie, d'assurance retraite. Ce qui est encore une fois extrêmement visionnaire et détonnant par rapport à toute une histoire du capitalisme. américain.

  • Damien Douani

    Mais qui est peut-être en lien avec le fait qu'on ne veut pas beaucoup justement de blocage administratif, comme on disait tout à l'heure. Donc l'État, s'il est moins présent, c'est tant mieux. Et donc c'est à nous quelque part de prendre sa place.

  • Olivier Alexandre

    Il y a plusieurs logiques. Il faut voir ce que c'est déjà la Californie de l'époque. C'est pas la France, quoi. C'est-à-dire la Californie de l'époque, l'État, c'est soit loin et menaçant, soit c'est prêt et dysfonctionnel. C'est-à-dire que l'État, c'est la municipalité, ensuite c'est le comté, ensuite c'est l'État de Californie, ensuite c'est Washington, c'est tout un tas d'agences gouvernementales. Et c'est vrai qu'il y a cette idée, cette utopie qui se retrouve à la fois chez les libertariens et chez les communautés socialisantes de dire « nous, on va s'auto-organiser » . On va s'auto-organiser. Et l'entreprise, d'une certaine façon, c'est la poursuite de ce rêve qui va s'auto-organiser. mais pour qu'elle réussisse cette entreprise il faut limiter absolument du frein les freins et les menaces externes que ces menaces externes elles viennent de Wall Street avec les traders ou le petit actionnariat ou encore les états bureaucratiques qui viennent vous imposer et vous prendre vos profits, eux leur ligne c'est non non il faut socialiser le capital mais au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas une idée anti-humaniste totale je veux dire à la même époque Charles de Gaulle en France veut socialiser le capital là Et d'une certaine façon, l'histoire lui a un peu donné... Enfin, raison en valeur est tord dans les faits, parce que ça ne s'est pas opéré. Mais c'est vraiment une idée profonde et c'est un des grands succès de la Silicon Valley. L'envers de cette réussite, c'est qu'effectivement, aujourd'hui, les entreprises de la Big Tech jouent perso, comme on dit dans le sport. C'est-à-dire qu'elles essayent absolument... de réduire l'imposition, elles font de l'optimisation fiscale, c'est les premiers lobbyistes et quand elles font du lobbying, elles réclament de minimiser l'impôt sur les richesses des entreprises. Et du coup, ça pose le problème du lien au collectif, très simplement. C'est-à-dire, est-ce qu'une entreprise, c'est une fin en soi ou est-ce que c'est un corps intermédiaire dans la société ?

  • Damien Douani

    Justement, ce qu'on entend là aujourd'hui, est-ce que c'est une dégénérescence du modèle lié à un capitalisme sauvage ? Ou est-ce que non, au contraire, c'est une évolution finalement de ces mantras et piliers que l'on a ?

  • Olivier Alexandre

    Capitisme sauvage, je ne pense pas parce que justement, déjà, il faut voir que l'entreprise, historiquement, c'est vraiment un intermédiaire sur le marché. Elle n'a pas forcément de lien avec l'histoire du capitalisme. Elle peut en avoir un, mais pas forcément. Et là, en l'occurrence, ce que j'évoque, ce que j'ai pu observer... de Des Frères Varian jusqu'à Google, c'est plutôt une grande socialisation du capital et de l'entreprise et de sa valeur au sein de l'entreprise, mais qui se limite, qui cherche absolument à se protéger. C'est là où il y a un vrai souci qui peut être envisagé effectivement comme un cauchemar projeté parce qu'on est en droit de se demander qui sert et que sert l'entreprise. Est-ce qu'elle sert ? Le collectif, est-ce qu'elle sert uniquement ses salariés ? Est-ce qu'elle sert uniquement ses actionnaires ? Je pense qu'elle ne sert ni le collectif dans son entier, ni l'actionnariat. Elle sert ses employés et malheureusement, ça l'amène à être extrêmement orientée dans sa vision de l'histoire, alors même qu'elle gère des choses qui peuvent être considérées aujourd'hui comme des communs.

  • Damien Douani

    Justement, quand on entend Elon Musk qui explique que pour partir sur Mars, c'est une manière de sauvegarder l'espèce humaine, et on parle d'altruisme efficace, est-ce que cette notion d'altruisme efficace est aussi un enfant de toute cette philosophie ?

  • Olivier Alexandre

    Alors, oui et non. L'altruisme efficace, il est à Oxford, avec d'autres ramifications. En même temps, à Oxford, très présent dans la Silicon Valley, depuis la fondation du transhumanisme, l'altruisme efficace étant d'une certaine façon... Une continuation, c'est des notes de page par rapport au transhumanisme. On n'est pas chez Moore, on est chez Macaskill, qui est quelqu'un de très futé pour le coup, qui correspond vraiment au trait du génie que j'évoquais, c'est-à-dire la précocité, le langage, le côté un peu Asperger aussi, qui a l'oreille d'un certain nombre d'entrepreneurs de la Silicon Valley, d'autant plus que quand on est altruiste efficace, généralement on est philanthrope et du coup on paye moins d'impôts, ce qui est un autre sujet. Et en fait, aujourd'hui, il y a un peu une controverse, une bataille idéologique dans le cœur de la Silicon Valley qui est de dire en fait les nouvelles technologies, où est-ce qu'elles nous amènent et à quoi elles doivent servir ? Je dirais…

  • Damien Douani

    To make the world a better place comme on dit dans la série Seekers Silicon Valley.

  • Olivier Alexandre

    Oui, parce que déjà, le monde c'est le futur, le monde c'est le futur et dans ce monde futur… Est-ce que les technologies doivent être au service de l'humanité, sous question quelle humanité, ou est-ce qu'elles doivent être au service du progrès ? Et du coup, il ne faut pas faire de spécisme entre l'humain et le non-humain, l'animal et la machine. C'est vraiment des querelles qui peuvent avoir l'air un peu farfelues aujourd'hui dans notre quotidien, mais qui sont très très fortes dans la Silicon Valley. Ils vont avoir un impact assez important. Malheureusement, comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire. Après, c'est une question ouverte. Est-ce que la démocratie est le meilleur des régimes ? Je ne sais pas. Est-ce que l'aristocratie présente des vrais dangers ? Je le pense. Et du coup, je crois que ça appelle à une certaine vigilance.

  • Damien Douani

    Dernière question, Olivier. Tout ce qu'on vient d'entendre là, est-ce que quelque part on peut le plaquer ou tout au moins l'énerver, le connecter à la philosophie qui est derrière certains entrepreneurs et le nouveau Jobs de la Silicon Valley, Sam Altman, qui nous explique, à la tête d'OpenAI, qui nous explique que l'IA est bien d'eau, l'IAG, l'IA générative. Elle sera là pour quelque part nous pallier, faire en sorte que nous soyons des gens augmentés, c'est ce que dit aussi Elon Musk, mais lui avec sa puce, parce qu'en fait peut-être on est tous un peu débiles. Donc de faire en sorte que tout le monde atteigne un niveau d'intelligence suffisant, que la machine nous aide, et comme ça on aura le temps de faire autre chose, on aura le temps de se développer, on aura le temps de penser à nous, parce qu'il y a une vision assez surprenante pour certaines personnes.

  • Olivier Alexandre

    Aristocratique ?

  • Damien Douani

    Oui, c'est tout à fait ça. Est-ce qu'on est vraiment là-dessus ? Est-ce que ce qu'il dit, ce discours-là, quelque part il est énervé, il est connecté à tout ce qu'on vient de se raconter

  • Olivier Alexandre

    Oui, complètement. Et d'ailleurs, il n'est pas neuf du tout. Il n'est pas neuf du tout. Si vous regardez une des grandes controverses, parce que ce qu'il faut dire, c'est que c'est un domaine où le niveau d'expertise est extrêmement poussé, les gens sont extrêmement bien formés, ils s'informent tout le temps, ils ont un niveau de consommation d'informations qui est incroyable, qui est très conflictualiste, agonistique, on dit en philosophie, c'est-à-dire que c'est des rivalités. Comme on dit dans la série Silicon Valley, il est intolérable que quelqu'un sauve le monde si ce n'est pas moi. Voilà, il y a cette dimension-là. Et en même temps, il y a tout un tas de biais, de choses qu'on ne voit pas. Donc les gens discutent beaucoup de ça. Mais cette controverse n'est pas neuve. Et d'ailleurs, on peut aller en trouver une expression entre John McCarthy, père fondateur du mot intelligence artificielle, et Douglas Engelbart, très grand nom de l'histoire des nouvelles technologies. John McCarthy disait que... l'intelligence artificielle, c'est l'automatisation, c'est-à-dire des automates qui vont faire des tâches que les humains ne veulent pas faire ou ne peuvent plus faire, versus Douglas McCarthy, qui a toujours considéré les nouvelles technologies comme une extension de l'humain. Et là, on est plus chez Steve Jobs, quand il disait que l'ordinateur, le PC, c'est le vélo de l'esprit. Mais il y a des vraies controverses et tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Après, on verra qui aura raison dans l'histoire. Le point essentiel, je crois, c'est vraiment d'arriver à envisager l'histoire, non pas comme on le fait bien souvent en Europe et en France, comme le passé, mais de voir et de réussir à voir l'histoire comme eux le voient, c'est-à-dire le futur.

  • Damien Douani

    Merci beaucoup, Olivier Alexandre. Vous êtes auteur d'un livre, je le rappelle, qui s'appelle La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde. Merci beaucoup pour tous ces éclairages qui sont, à mon avis, donnent vraiment une vraie lecture et qui permettent de comprendre que pourquoi il y a des choses qui ne peuvent pas se faire en Europe forcément parce qu'on n'a pas la même matrice de compréhension, de construction qu'a fait la Silicon Valley. A très vite pour un prochain épisode des Éclaireurs du Numérique. Salut !

  • Olivier Alexandre

    Les Éclaireurs du Numérique, un podcast de Bertrand Lenautre, Damien Doigny et Fabrice Epelbouillon. Vous avez aimé ce podcast ? Retrouvez-nous sur leséclaireursdunumérique.fr Sous-titrage Société

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Dans cet épisode des Éclaireurs du Numérique, Damien Douani reçoit Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, fin connaisseur de la Silicon Valley… et démystificateur de ses récits fondateurs.


➡️ Pourquoi la Silicon Valley est-elle née dans les vergers californiens ?

➡️ Quelles sont les trois utopies fondatrices (information, intelligence, organisation) qui irriguent encore aujourd’hui la tech mondiale ?

➡️ Comment une poignée d’hommes – souvent blancs, résilients, diplômés et masculins – ont façonné un système devenu quasi aristocratique ?

➡️ Pourquoi certains discours d’Elon Musk, Sam Altman ou Peter Thiel sont directement hérités d’un siècle d’idéologie technocratique ?


Un échange qui fait le lien entre histoire, idéologie et avenir technologique. Olivier Alexandre nous aide à comprendre ce que la Silicon Valley ne dit pas d’elle-même, et pourquoi cela a un impact concret sur nos vies.


🎧 Écoutez, partagez, questionnez. Et surtout…

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  • Olivier Alexandre

    Comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire.

  • Damien Douani

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode des Éclairs du Numérique. Vous le savez, chez les Éclaireurs, on aime bien faire plusieurs formats, notamment le format de tête-à-tête ou de face-à-face. Et aujourd'hui, c'est un face-à-face de qualité. On espère que la plupart du temps, ils sont tous de qualité, mais là, vous allez voir, vous allez comprendre, ça touche particulièrement aux racines du numérique, de leur impact sur la société, qui est, vous le savez, ce qui nous intéresse, nous, chez les Éclairs, avec Olivier Alexandre. Bonjour Olivier. Bonjour. Alors Olivier, vous êtes... sociologue au CNRS, vous êtes chargé de recherche aussi au SNRS, vous connaissez bien la Silicon Valley, vous l'avez arpentée, on en reparlera justement. Et donc dans votre conférence, vous avez parlé notamment des rêves un peu fondateurs de cette Silicon Valley. Justement, brièvement, on ne va pas refaire une heure et quelques de conférence, mais c'est quoi ces grands piliers fondateurs de la Silicon Valley, tels qui aujourd'hui finalement dans leur conception ont peut-être évolué, on en reparlera. mais qui ont vraiment été à la base de la construction de ce lieu qui est quand même assez surprenant. On parle de pommiers, on parle de gens qui étaient des agriculteurs, et on arrive à la matrice du système d'information mondial.

  • Olivier Alexandre

    Oui, exactement. Alors dit comme ça, ça va me dire un peu un tour de magie. Ce que j'essaie de faire dans mon travail, c'est de rappeler, effectivement, comme tu viens de le dire, que c'est une industrie des nouvelles technologies qui attire. par effet d'une sorte d'amnésie perpétuelle, moi j'essaie de lui redonner de la mémoire. Et c'est vraiment pas quelque chose dont ils sont spécialistes, dans la Silicon Valley. Et du coup, je m'attèle à ça, et en l'occurrence, ce que je disais dans cette conférence, c'est que la Silicon Valley, elle est née autour de trois rêves, de trois utopies, de trois rêves projetés, disait le sociologue Baudrillard. Le premier, c'est les systèmes d'information. Le deuxième, c'est l'intelligence. Et le troisième, c'est l'organisation. Alors les systèmes d'information ça se comprend par rapport à l'histoire de la Silicon Valley. C'est vrai qu'il y en a qui disent que la Silicon Valley c'était les années 70. D'ailleurs le silicone, le silicium en fait, il a commencé à être extrait dans les années 60-70. Et du coup c'est l'origine. Il y en a qui disent non c'est la seconde guerre mondiale. Il y en a qui disent mais non pas du tout c'est les années 20. Il y en a qui disent mais non dès les années 1900 il y avait déjà des amateurs de radio. Moi j'essaie de remonter encore plus loin. J'essaie de remonter au moment... des problématiques que rencontraient les gens qui habitaient dans la Silicon Valley avant qu'elle soit la Silicon Valley. Et effectivement, c'était une terre agricole. C'était des gens qui s'occupaient de verrer, des amandes, etc. Et leur préoccupation première, c'était de diffuser, d'écouler leur récolte. Et comment on écoule une récolte au XIXe siècle, dans la fin du XIXe siècle ? On le fait avec les chemins de fer. Sauf que les chemins de fer, ce n'est pas la SNCF d'aujourd'hui. Ça n'a jamais été aimé,

  • Damien Douani

    d'ailleurs, le train aux Etats-Unis.

  • Olivier Alexandre

    Non, pas vraiment. Enfin, l'avion est passé par-dessus, mais à cette époque-là, ça incarne les nouvelles technologies. C'est la nouvelle technologie de l'époque, mais il y a tout un tas de problèmes qui sont des accidents, parfois dramatiques, tragiques, mais surtout des problèmes d'aiguillage, d'information, de savoir quand est-ce que les trains arrivent. Donc, on est plus dans le mode train indien que train SNCF. Voilà, et il faut imaginer... Les conséquences que ça a pour les agriculteurs de l'époque, parce que quand on perd une récolte de la moitié de l'année ou toute l'année, c'est son année qui est mise en danger et son activité agricole qui est mise en danger. Je rappelais le rôle très important qu'a eu Leland Stanford, qui a donné le nom à l'université créée en 1891. Leland Stanford a énervé tout le siècle, tout le 19e siècle, depuis le Golden Rush, parce que c'est quelqu'un qui a fait fortune en vendant des équipements aux chercheurs d'or. Ensuite, il a pris la tête du conglomérat ferroviaire du centre du pays, puis du sud. Il est devenu gouverneur de la Californie, il est devenu sénateur ensuite. Quand il fonde Stanford, il le fonde à partir de plusieurs préoccupations, de plusieurs disciplines fondatrices. Il pense que le droit doit être fondateur. D'ailleurs, lui-même est avocat de formation. Il pense que les sciences humaines, les humanités ont un rôle aussi, mais technique, scientificisé. Il pense évidemment que les nouvelles technologies ont un rôle extrêmement important et puis il pense aussi à la dimension spirituelle. D'ailleurs si vous baladez aujourd'hui sur le campus de Stanford, la paroisse est vraiment centrale. Et ce qui est assez fascinant c'est que l'université de Stanford est vraiment conçue comme un système d'information sociale, c'est-à-dire qu'on entre, il y a une grande voûte comme ça qui attire et qu'ensuite il y a plein de carrés. mais au sens spatial du terme, qui sont ouverts. Et l'idée, c'est qu'on puisse se croiser, échanger sur le mode de la séramidité, qu'importe sa discipline d'origine, qu'importe son origine sociale aussi d'une certaine façon, mais on peut s'y croiser pour développer des projets. Et ce qui est intéressant, c'est que cette technologie sociale, elle va permettre de développer, elle va se traduire par tout un tas de systèmes d'informations qu'on peut égrener comme ça tout au long du siècle.

  • Damien Douani

    D'ailleurs, c'est assez amusant parce que cette place centrale... C'est quelque chose qu'on entend très souvent dans la mythologie de certaines entreprises. Je pense notamment à Pixar et Steve Jobs qui aimait bien raconter sa jeunesse dans les pommiers. Et justement aussi cette notion de place centrale qu'on retrouve aussi chez Apple mais dans d'autres sociétés. C'est cet endroit où les gens se croisent et il y a des choses qui vont se passer. Bien sûr c'est un peu de storytelling par moment mais quand même il y a cette notion-là. Et on le retrouve déjà dans la matrice de base de l'université de Stanford. Au-delà de l'aspect des trains qui lui-même crée déjà cette notion de réseau.

  • Olivier Alexandre

    Absolument, c'est une mythologie au sens propre du terme, c'est-à-dire un récit des origines, qui a pu être pétrifié, réifié, reproduit, et si vous allez au Googleplex aussi, chez Google c'est le même principe, le terrain de voler au milieu du chemin. Mais là c'était vraiment une volonté, et qui s'inscrit dans la Californie de la fin du XIXe siècle, qui a plusieurs originalités en fait par rapport aux États-Unis, aux grands pays de l'époque, et l'une de ces originalités c'est vraiment de croire, et on en arrive au deuxième rêve, de croire... dans la supériorité de certains esprits, dans la supériorité des esprits supérieurs justement. Donc on ne s'oriente pas vers par exemple les grandes dynasties familiales, les gens passés par les grandes écoles, on pense vraiment que... Pas l'usine européenne ou forcément française. Même de la côte est, Boston, Harvard, Columbia...

  • Damien Douani

    Qui très souvent ont été inspirés ou énervés peut-être par l'Europe.

  • Olivier Alexandre

    Oui, mais ce qu'il faut voir c'est que c'est des universités qui sont aussi vieilles que la Sorbonne parfois, versus certains campus universitaires qui ont 30 ou 40 ans. Là, le poids des grandes familles sur la côte Est, il est extrêmement important. Et les gens qui ont fait la Californie ont tous ça en commun de se dire OK, on met toute notre histoire et l'histoire d'une certaine façon derrière nous et on va s'intéresser à l'avenir. Et on va s'intéresser à l'avenir en développant des outils qui vont pouvoir être mobilisés par l'ensemble de la planète. Et ces outils, c'est des outils de communication et d'information. Donc,

  • Damien Douani

    on prend les meilleurs pour faire ça.

  • Olivier Alexandre

    Et on prend les meilleurs pour faire ça, effectivement. Donc, on va développer tout un tas de...

  • Damien Douani

    Meilleur au basculant, à notre préférence.

  • Olivier Alexandre

    Alors... C'est même pire que ça. C'est masculin, blanc, classe moyenne supérieure, en fait, catégorie intellectuelle supérieure. Et si vous regardez les grands entrepreneurs aujourd'hui, ils ont une sociologie qui était déjà identifiée comme la sociologie intéressante il y a plus d'un siècle à Stanford. Et en fait, qui est restée cette image, on pourrait dire ce fétiche de l'intelligence et qui est un peu... qui est extrêmement écrasante en fait, parce que de fait aujourd'hui les investisseurs, qui sont des gens très futés pour beaucoup dans la Silicon Valley, ce qu'on appelle les ventures capitalistes, eux se voient comme des psychologues, passent leur temps à essayer de comprendre la qualité morale et intellectuelle des gens, leur idée étant qu'on ne sait pas ce qui va marcher en termes de nouvelles technologies, par contre on peut savoir si une personne est de qualité ou pas.

  • Damien Douani

    Le fameux mantra de « on regarde les équipes, on regarde les projections,

  • Olivier Alexandre

    voir le tableau Excel de projection » . Et on essaye de le sentir. C'est le mot utilisé par Georges Loriot, le père fondateur du Venture Capitalisme. On essaie de sentir le talent en le fréquentant dans ses familiarités. Ça explique aussi qu'on passe beaucoup de temps dans les cafés, qu'on passe beaucoup de temps dans les bars, qu'on passe beaucoup de temps au Burning Man aussi.

  • Damien Douani

    Et à nouveau cette notion de sérendipité.

  • Olivier Alexandre

    Et l'idée en fait que la qualité ne se forme pas, elle est innée d'une certaine façon, qui correspond à une certaine forme d'intelligence, c'est-à-dire l'intelligence logico-rationnelle et à une certaine forme de morale. qui serait en gros, on dirait aujourd'hui avec Boris Zérolnik, la résilience. Mais il y a d'autres types d'intelligence, il y a d'autres types de morale, et c'est ce qui est important de rappeler, je crois, au cœur de la Silicon Valley, ce qu'ils ont du mal à entendre, et on voit vraiment des expressions. Alors là, dans le talk, j'ai fait une généalogie sur 100 ans, 150 ans. Et on pourrait croire qu'il s'agit d'une histoire de vieille barbe, et comme je le disais, l'université de Stanford s'est faite à partir du recrutement de l'Indiana. Pourquoi l'Indiana ? L'Indiana c'est l'état du nord des Etats-Unis qui est le plus raciste foncièrement, qui a eu des lois racistes très tôt, très longtemps, qui a interdit les mariages « inter-raciaux » aux Etats-Unis très longtemps, qui le considérait comme un félonie, un crime. et on voit plein de gens en fait dans ce terreau là bercé de deux génismes et qui vont être embauchés par stanford et constituer les grands départements de stanford et diffuser un certain nombre d'idées on pourrait dire qu'ils sont pas complètement géniste aujourd'hui mais en même temps quand vous lisez parfois ou écouter parfois Dans le monde contemporain Peter Thiel ou Elon Musk, vous retrouvez un certain nombre de philosophèmes, comme on dit en philosophie, qui lient 150 ans d'histoire.

  • Damien Douani

    Pour rappel, Peter Thiel, un des fondateurs de Facebook, un investisseur de Facebook et d'autres entreprises notamment, et de Palantir aujourd'hui, effectivement.

  • Olivier Alexandre

    Qui a un rôle très important dans le domaine militaire et qui n'hésite pas à travailler avec qui le veut.

  • Damien Douani

    Et Georges Doriot, dont on parlait quelques instants, qui était un militaire français, d'ailleurs.

  • Olivier Alexandre

    Alors, militaire, ça serait beaucoup dire, mais il a eu le poids des événements à fait qu'il s'est engagé dans cette voie-là. Il est d'origine française. Il a fait l'essentiel de sa carrière à Harvard. Il a fait l'essentiel de sa carrière, on dirait, en sciences de la gestion. Aujourd'hui, il a eu un cours vraiment légendaire sur l'administration, du business. Il n'y a pas de livre parce qu'il détestait les notes et plus généralement, il détestait tout ce qui était relatif à l'administration. Et il va beaucoup porter ça dans ses cours. il va beaucoup porter ça en action, il va beaucoup porter ça quand il aura des responsabilités au moment de la Seconde Guerre mondiale. Et son idée à lui, c'est de considérer que le sens de l'histoire bascule vers, dans le sens des plus audacieux, des plus ingénieux. Ceux qui vont oser des petites choses. Oui, et c'est vrai pour la Seconde Guerre mondiale, mais c'est vrai aussi pour la richesse des nations et la manière dont elles évoluent. Et pour qu'elles évoluent dans le bon sens, il est vraiment primordial d'abaisser le niveau de la bureaucratie et d'augmenter l'autonomie de ses cerveaux, on dirait aujourd'hui. Et donc lui, il va commencer par faire une première structure qui s'adresse aux anciens combattants, puis une deuxième structure qui est vraiment l'ancêtre du venture capitalisme, au cours de laquelle il va identifier les fondateurs de DEC. DEC, c'est une entreprise extrêmement importante culturellement et industriellement, qui va être l'ancêtre d'Apple d'une certaine façon. qui va valider son modèle, c'est-à-dire que quand on fait d'investissement du capital risque, on parie sur beaucoup d'entreprises, on sait qu'on aura un ratio d'échecs à 90%, mais il y aura 10% qui va permettre de faire une culbute, et une culbute extrêmement importante. Donc ça, ça va valider le modèle. Et par ailleurs, à travers ses cours à Harvard, il va aussi former la première génération de ventures capitalistes, qui sont des gens plutôt de classe moyenne, qui voient les grandes portes du conseil, de la banque, des grandes entreprises qui leur sont fermées. Et qui vont s'orienter vers les nouvelles technologies, l'informatique dans les années 60-70, qui vont travailler chez HP, par exemple chez Intel, avant de fonder des grandes enseignes, vraiment des titans dans la Silicon Valley, que sont Sequoia ou Kleiner Perkins, qui vont investir dans les premiers Apple, dans les premiers Sun Macro System, et qui du coup vont structurer, jusqu'à aujourd'hui, l'industrie. Et ces gens-là, quand vous les interrogez, ils rendent tous hommage à George Loriot, à sa vision du talent, et à la manière de l'identifier. et encore une fois Pour identifier le talent, il ne faut pas juste faire des études de marché, il faut le sentir, regarder comment les gens bougent, s'expriment, collaborent. Et Dario disait, il faut même aller interviewer leur femme pour savoir comment ils se comportent à la maison.

  • Damien Douani

    On est quasiment sur les soft skills quelque part. Donc, construire un réseau, système d'information, trouver les bonnes personnes, l'intelligence. Et puis, il y a un troisième rêve quelque part, c'est la techno elle-même.

  • Olivier Alexandre

    C'est les technos, mais ça c'est un peu le système d'information.

  • Damien Douani

    Tout au moins, c'est la manière dont les gens vont s'organiser entre eux, c'est une communauté.

  • Olivier Alexandre

    Exactement.

  • Damien Douani

    C'est l'organisation plutôt.

  • Olivier Alexandre

    C'est l'organisation qui a à la fois une dimension sociale, une dimension politique. Je suppose qu'un certain nombre d'auditeurs, d'auditrices ont entendu parler, j'espère en tout cas, du livre de Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique, qui est vraiment un livre essentiel pour comprendre l'histoire. de la Silicon Valley, des nouvelles technologies. Et Fred Turner, qui est professeur à Stanford, il fait vraiment un focus sur les années 60-70 autour de Stuart Brand, qui a fait un lien comme ça entre des communautés hippies et puis des technologues. Mais en fait, cette histoire, elle est bien plus profonde. Elle remonte au 19e siècle. Et ce qu'il faut voir, même si c'est difficile quand on est européen et qu'on a cette logique d'idéologie en bloc, en masse, entre l'URSS, les États-Unis, c'est qu'en fait les États-Unis et la Californie tout particulièrement, a accueilli des communautés utopiques depuis le 19e siècle, et nombre d'entre elles. Beaucoup ont périclité, mais certaines ont réussi, et notamment l'une qui a réussi c'est Halcyon où ont grandi les frères Varian. Les frères Varian, ça ne doit pas trop parler au public, mais ils ont eu un rôle important dans le développement de... de la radio, avec le calistron, dans les années 30, ils sont passés par Stanford, ils sont passés par le parc technologique de... Des Stanford. Et c'est les vieux fantômes qui nous visitent. Et ils ont grandi dans une communauté utopique. Une communauté où on apprenait à partager les choses, à faire aussi pour que la communauté vive. On apprenait des choses techniques, abstraites, mais on apprenait aussi des savoir-faire pratiques.

  • Damien Douani

    Il y a un petit côté mormon, il y a un petit côté communauté au sens de savoir comment...

  • Olivier Alexandre

    Communauté utopique socialisante. On partage, on accueille. On développe, on accorde autant d'importance à faire à manger ou à cultiver son fort intérieur spirituel. Et puis, effectivement, on passe du temps qui n'est pas du temps de loisir, mais du temps d'inventivité. Et la créativité, elle est aussi très valorisée. Et ce qui est intéressant de voir, c'est que quand ils fondent leur entreprise et qu'ils s'installent à Palo Alto en 1953, ils vont importer. Ces principes socialisants avec des lois, des mesures au sein de l'entreprise extrêmement progressistes pour l'époque et même encore pour aujourd'hui. Ils vont dire qu'il faut qu'on partage les profits. Ils vont dire qu'il faut que chaque salarié ait une partie du capital. Ils vont dire qu'il faut mettre en place des couvertures d'assurance maladie, d'assurance retraite. Ce qui est encore une fois extrêmement visionnaire et détonnant par rapport à toute une histoire du capitalisme. américain.

  • Damien Douani

    Mais qui est peut-être en lien avec le fait qu'on ne veut pas beaucoup justement de blocage administratif, comme on disait tout à l'heure. Donc l'État, s'il est moins présent, c'est tant mieux. Et donc c'est à nous quelque part de prendre sa place.

  • Olivier Alexandre

    Il y a plusieurs logiques. Il faut voir ce que c'est déjà la Californie de l'époque. C'est pas la France, quoi. C'est-à-dire la Californie de l'époque, l'État, c'est soit loin et menaçant, soit c'est prêt et dysfonctionnel. C'est-à-dire que l'État, c'est la municipalité, ensuite c'est le comté, ensuite c'est l'État de Californie, ensuite c'est Washington, c'est tout un tas d'agences gouvernementales. Et c'est vrai qu'il y a cette idée, cette utopie qui se retrouve à la fois chez les libertariens et chez les communautés socialisantes de dire « nous, on va s'auto-organiser » . On va s'auto-organiser. Et l'entreprise, d'une certaine façon, c'est la poursuite de ce rêve qui va s'auto-organiser. mais pour qu'elle réussisse cette entreprise il faut limiter absolument du frein les freins et les menaces externes que ces menaces externes elles viennent de Wall Street avec les traders ou le petit actionnariat ou encore les états bureaucratiques qui viennent vous imposer et vous prendre vos profits, eux leur ligne c'est non non il faut socialiser le capital mais au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas une idée anti-humaniste totale je veux dire à la même époque Charles de Gaulle en France veut socialiser le capital là Et d'une certaine façon, l'histoire lui a un peu donné... Enfin, raison en valeur est tord dans les faits, parce que ça ne s'est pas opéré. Mais c'est vraiment une idée profonde et c'est un des grands succès de la Silicon Valley. L'envers de cette réussite, c'est qu'effectivement, aujourd'hui, les entreprises de la Big Tech jouent perso, comme on dit dans le sport. C'est-à-dire qu'elles essayent absolument... de réduire l'imposition, elles font de l'optimisation fiscale, c'est les premiers lobbyistes et quand elles font du lobbying, elles réclament de minimiser l'impôt sur les richesses des entreprises. Et du coup, ça pose le problème du lien au collectif, très simplement. C'est-à-dire, est-ce qu'une entreprise, c'est une fin en soi ou est-ce que c'est un corps intermédiaire dans la société ?

  • Damien Douani

    Justement, ce qu'on entend là aujourd'hui, est-ce que c'est une dégénérescence du modèle lié à un capitalisme sauvage ? Ou est-ce que non, au contraire, c'est une évolution finalement de ces mantras et piliers que l'on a ?

  • Olivier Alexandre

    Capitisme sauvage, je ne pense pas parce que justement, déjà, il faut voir que l'entreprise, historiquement, c'est vraiment un intermédiaire sur le marché. Elle n'a pas forcément de lien avec l'histoire du capitalisme. Elle peut en avoir un, mais pas forcément. Et là, en l'occurrence, ce que j'évoque, ce que j'ai pu observer... de Des Frères Varian jusqu'à Google, c'est plutôt une grande socialisation du capital et de l'entreprise et de sa valeur au sein de l'entreprise, mais qui se limite, qui cherche absolument à se protéger. C'est là où il y a un vrai souci qui peut être envisagé effectivement comme un cauchemar projeté parce qu'on est en droit de se demander qui sert et que sert l'entreprise. Est-ce qu'elle sert ? Le collectif, est-ce qu'elle sert uniquement ses salariés ? Est-ce qu'elle sert uniquement ses actionnaires ? Je pense qu'elle ne sert ni le collectif dans son entier, ni l'actionnariat. Elle sert ses employés et malheureusement, ça l'amène à être extrêmement orientée dans sa vision de l'histoire, alors même qu'elle gère des choses qui peuvent être considérées aujourd'hui comme des communs.

  • Damien Douani

    Justement, quand on entend Elon Musk qui explique que pour partir sur Mars, c'est une manière de sauvegarder l'espèce humaine, et on parle d'altruisme efficace, est-ce que cette notion d'altruisme efficace est aussi un enfant de toute cette philosophie ?

  • Olivier Alexandre

    Alors, oui et non. L'altruisme efficace, il est à Oxford, avec d'autres ramifications. En même temps, à Oxford, très présent dans la Silicon Valley, depuis la fondation du transhumanisme, l'altruisme efficace étant d'une certaine façon... Une continuation, c'est des notes de page par rapport au transhumanisme. On n'est pas chez Moore, on est chez Macaskill, qui est quelqu'un de très futé pour le coup, qui correspond vraiment au trait du génie que j'évoquais, c'est-à-dire la précocité, le langage, le côté un peu Asperger aussi, qui a l'oreille d'un certain nombre d'entrepreneurs de la Silicon Valley, d'autant plus que quand on est altruiste efficace, généralement on est philanthrope et du coup on paye moins d'impôts, ce qui est un autre sujet. Et en fait, aujourd'hui, il y a un peu une controverse, une bataille idéologique dans le cœur de la Silicon Valley qui est de dire en fait les nouvelles technologies, où est-ce qu'elles nous amènent et à quoi elles doivent servir ? Je dirais…

  • Damien Douani

    To make the world a better place comme on dit dans la série Seekers Silicon Valley.

  • Olivier Alexandre

    Oui, parce que déjà, le monde c'est le futur, le monde c'est le futur et dans ce monde futur… Est-ce que les technologies doivent être au service de l'humanité, sous question quelle humanité, ou est-ce qu'elles doivent être au service du progrès ? Et du coup, il ne faut pas faire de spécisme entre l'humain et le non-humain, l'animal et la machine. C'est vraiment des querelles qui peuvent avoir l'air un peu farfelues aujourd'hui dans notre quotidien, mais qui sont très très fortes dans la Silicon Valley. Ils vont avoir un impact assez important. Malheureusement, comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire. Après, c'est une question ouverte. Est-ce que la démocratie est le meilleur des régimes ? Je ne sais pas. Est-ce que l'aristocratie présente des vrais dangers ? Je le pense. Et du coup, je crois que ça appelle à une certaine vigilance.

  • Damien Douani

    Dernière question, Olivier. Tout ce qu'on vient d'entendre là, est-ce que quelque part on peut le plaquer ou tout au moins l'énerver, le connecter à la philosophie qui est derrière certains entrepreneurs et le nouveau Jobs de la Silicon Valley, Sam Altman, qui nous explique, à la tête d'OpenAI, qui nous explique que l'IA est bien d'eau, l'IAG, l'IA générative. Elle sera là pour quelque part nous pallier, faire en sorte que nous soyons des gens augmentés, c'est ce que dit aussi Elon Musk, mais lui avec sa puce, parce qu'en fait peut-être on est tous un peu débiles. Donc de faire en sorte que tout le monde atteigne un niveau d'intelligence suffisant, que la machine nous aide, et comme ça on aura le temps de faire autre chose, on aura le temps de se développer, on aura le temps de penser à nous, parce qu'il y a une vision assez surprenante pour certaines personnes.

  • Olivier Alexandre

    Aristocratique ?

  • Damien Douani

    Oui, c'est tout à fait ça. Est-ce qu'on est vraiment là-dessus ? Est-ce que ce qu'il dit, ce discours-là, quelque part il est énervé, il est connecté à tout ce qu'on vient de se raconter

  • Olivier Alexandre

    Oui, complètement. Et d'ailleurs, il n'est pas neuf du tout. Il n'est pas neuf du tout. Si vous regardez une des grandes controverses, parce que ce qu'il faut dire, c'est que c'est un domaine où le niveau d'expertise est extrêmement poussé, les gens sont extrêmement bien formés, ils s'informent tout le temps, ils ont un niveau de consommation d'informations qui est incroyable, qui est très conflictualiste, agonistique, on dit en philosophie, c'est-à-dire que c'est des rivalités. Comme on dit dans la série Silicon Valley, il est intolérable que quelqu'un sauve le monde si ce n'est pas moi. Voilà, il y a cette dimension-là. Et en même temps, il y a tout un tas de biais, de choses qu'on ne voit pas. Donc les gens discutent beaucoup de ça. Mais cette controverse n'est pas neuve. Et d'ailleurs, on peut aller en trouver une expression entre John McCarthy, père fondateur du mot intelligence artificielle, et Douglas Engelbart, très grand nom de l'histoire des nouvelles technologies. John McCarthy disait que... l'intelligence artificielle, c'est l'automatisation, c'est-à-dire des automates qui vont faire des tâches que les humains ne veulent pas faire ou ne peuvent plus faire, versus Douglas McCarthy, qui a toujours considéré les nouvelles technologies comme une extension de l'humain. Et là, on est plus chez Steve Jobs, quand il disait que l'ordinateur, le PC, c'est le vélo de l'esprit. Mais il y a des vraies controverses et tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Après, on verra qui aura raison dans l'histoire. Le point essentiel, je crois, c'est vraiment d'arriver à envisager l'histoire, non pas comme on le fait bien souvent en Europe et en France, comme le passé, mais de voir et de réussir à voir l'histoire comme eux le voient, c'est-à-dire le futur.

  • Damien Douani

    Merci beaucoup, Olivier Alexandre. Vous êtes auteur d'un livre, je le rappelle, qui s'appelle La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde. Merci beaucoup pour tous ces éclairages qui sont, à mon avis, donnent vraiment une vraie lecture et qui permettent de comprendre que pourquoi il y a des choses qui ne peuvent pas se faire en Europe forcément parce qu'on n'a pas la même matrice de compréhension, de construction qu'a fait la Silicon Valley. A très vite pour un prochain épisode des Éclaireurs du Numérique. Salut !

  • Olivier Alexandre

    Les Éclaireurs du Numérique, un podcast de Bertrand Lenautre, Damien Doigny et Fabrice Epelbouillon. Vous avez aimé ce podcast ? Retrouvez-nous sur leséclaireursdunumérique.fr Sous-titrage Société

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Description

Comment la Silicon Valley a façonné le monde (et pourquoi ça nous concerne)


Dans cet épisode des Éclaireurs du Numérique, Damien Douani reçoit Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, fin connaisseur de la Silicon Valley… et démystificateur de ses récits fondateurs.


➡️ Pourquoi la Silicon Valley est-elle née dans les vergers californiens ?

➡️ Quelles sont les trois utopies fondatrices (information, intelligence, organisation) qui irriguent encore aujourd’hui la tech mondiale ?

➡️ Comment une poignée d’hommes – souvent blancs, résilients, diplômés et masculins – ont façonné un système devenu quasi aristocratique ?

➡️ Pourquoi certains discours d’Elon Musk, Sam Altman ou Peter Thiel sont directement hérités d’un siècle d’idéologie technocratique ?


Un échange qui fait le lien entre histoire, idéologie et avenir technologique. Olivier Alexandre nous aide à comprendre ce que la Silicon Valley ne dit pas d’elle-même, et pourquoi cela a un impact concret sur nos vies.


🎧 Écoutez, partagez, questionnez. Et surtout…

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Transcription

  • Olivier Alexandre

    Comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire.

  • Damien Douani

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode des Éclairs du Numérique. Vous le savez, chez les Éclaireurs, on aime bien faire plusieurs formats, notamment le format de tête-à-tête ou de face-à-face. Et aujourd'hui, c'est un face-à-face de qualité. On espère que la plupart du temps, ils sont tous de qualité, mais là, vous allez voir, vous allez comprendre, ça touche particulièrement aux racines du numérique, de leur impact sur la société, qui est, vous le savez, ce qui nous intéresse, nous, chez les Éclairs, avec Olivier Alexandre. Bonjour Olivier. Bonjour. Alors Olivier, vous êtes... sociologue au CNRS, vous êtes chargé de recherche aussi au SNRS, vous connaissez bien la Silicon Valley, vous l'avez arpentée, on en reparlera justement. Et donc dans votre conférence, vous avez parlé notamment des rêves un peu fondateurs de cette Silicon Valley. Justement, brièvement, on ne va pas refaire une heure et quelques de conférence, mais c'est quoi ces grands piliers fondateurs de la Silicon Valley, tels qui aujourd'hui finalement dans leur conception ont peut-être évolué, on en reparlera. mais qui ont vraiment été à la base de la construction de ce lieu qui est quand même assez surprenant. On parle de pommiers, on parle de gens qui étaient des agriculteurs, et on arrive à la matrice du système d'information mondial.

  • Olivier Alexandre

    Oui, exactement. Alors dit comme ça, ça va me dire un peu un tour de magie. Ce que j'essaie de faire dans mon travail, c'est de rappeler, effectivement, comme tu viens de le dire, que c'est une industrie des nouvelles technologies qui attire. par effet d'une sorte d'amnésie perpétuelle, moi j'essaie de lui redonner de la mémoire. Et c'est vraiment pas quelque chose dont ils sont spécialistes, dans la Silicon Valley. Et du coup, je m'attèle à ça, et en l'occurrence, ce que je disais dans cette conférence, c'est que la Silicon Valley, elle est née autour de trois rêves, de trois utopies, de trois rêves projetés, disait le sociologue Baudrillard. Le premier, c'est les systèmes d'information. Le deuxième, c'est l'intelligence. Et le troisième, c'est l'organisation. Alors les systèmes d'information ça se comprend par rapport à l'histoire de la Silicon Valley. C'est vrai qu'il y en a qui disent que la Silicon Valley c'était les années 70. D'ailleurs le silicone, le silicium en fait, il a commencé à être extrait dans les années 60-70. Et du coup c'est l'origine. Il y en a qui disent non c'est la seconde guerre mondiale. Il y en a qui disent mais non pas du tout c'est les années 20. Il y en a qui disent mais non dès les années 1900 il y avait déjà des amateurs de radio. Moi j'essaie de remonter encore plus loin. J'essaie de remonter au moment... des problématiques que rencontraient les gens qui habitaient dans la Silicon Valley avant qu'elle soit la Silicon Valley. Et effectivement, c'était une terre agricole. C'était des gens qui s'occupaient de verrer, des amandes, etc. Et leur préoccupation première, c'était de diffuser, d'écouler leur récolte. Et comment on écoule une récolte au XIXe siècle, dans la fin du XIXe siècle ? On le fait avec les chemins de fer. Sauf que les chemins de fer, ce n'est pas la SNCF d'aujourd'hui. Ça n'a jamais été aimé,

  • Damien Douani

    d'ailleurs, le train aux Etats-Unis.

  • Olivier Alexandre

    Non, pas vraiment. Enfin, l'avion est passé par-dessus, mais à cette époque-là, ça incarne les nouvelles technologies. C'est la nouvelle technologie de l'époque, mais il y a tout un tas de problèmes qui sont des accidents, parfois dramatiques, tragiques, mais surtout des problèmes d'aiguillage, d'information, de savoir quand est-ce que les trains arrivent. Donc, on est plus dans le mode train indien que train SNCF. Voilà, et il faut imaginer... Les conséquences que ça a pour les agriculteurs de l'époque, parce que quand on perd une récolte de la moitié de l'année ou toute l'année, c'est son année qui est mise en danger et son activité agricole qui est mise en danger. Je rappelais le rôle très important qu'a eu Leland Stanford, qui a donné le nom à l'université créée en 1891. Leland Stanford a énervé tout le siècle, tout le 19e siècle, depuis le Golden Rush, parce que c'est quelqu'un qui a fait fortune en vendant des équipements aux chercheurs d'or. Ensuite, il a pris la tête du conglomérat ferroviaire du centre du pays, puis du sud. Il est devenu gouverneur de la Californie, il est devenu sénateur ensuite. Quand il fonde Stanford, il le fonde à partir de plusieurs préoccupations, de plusieurs disciplines fondatrices. Il pense que le droit doit être fondateur. D'ailleurs, lui-même est avocat de formation. Il pense que les sciences humaines, les humanités ont un rôle aussi, mais technique, scientificisé. Il pense évidemment que les nouvelles technologies ont un rôle extrêmement important et puis il pense aussi à la dimension spirituelle. D'ailleurs si vous baladez aujourd'hui sur le campus de Stanford, la paroisse est vraiment centrale. Et ce qui est assez fascinant c'est que l'université de Stanford est vraiment conçue comme un système d'information sociale, c'est-à-dire qu'on entre, il y a une grande voûte comme ça qui attire et qu'ensuite il y a plein de carrés. mais au sens spatial du terme, qui sont ouverts. Et l'idée, c'est qu'on puisse se croiser, échanger sur le mode de la séramidité, qu'importe sa discipline d'origine, qu'importe son origine sociale aussi d'une certaine façon, mais on peut s'y croiser pour développer des projets. Et ce qui est intéressant, c'est que cette technologie sociale, elle va permettre de développer, elle va se traduire par tout un tas de systèmes d'informations qu'on peut égrener comme ça tout au long du siècle.

  • Damien Douani

    D'ailleurs, c'est assez amusant parce que cette place centrale... C'est quelque chose qu'on entend très souvent dans la mythologie de certaines entreprises. Je pense notamment à Pixar et Steve Jobs qui aimait bien raconter sa jeunesse dans les pommiers. Et justement aussi cette notion de place centrale qu'on retrouve aussi chez Apple mais dans d'autres sociétés. C'est cet endroit où les gens se croisent et il y a des choses qui vont se passer. Bien sûr c'est un peu de storytelling par moment mais quand même il y a cette notion-là. Et on le retrouve déjà dans la matrice de base de l'université de Stanford. Au-delà de l'aspect des trains qui lui-même crée déjà cette notion de réseau.

  • Olivier Alexandre

    Absolument, c'est une mythologie au sens propre du terme, c'est-à-dire un récit des origines, qui a pu être pétrifié, réifié, reproduit, et si vous allez au Googleplex aussi, chez Google c'est le même principe, le terrain de voler au milieu du chemin. Mais là c'était vraiment une volonté, et qui s'inscrit dans la Californie de la fin du XIXe siècle, qui a plusieurs originalités en fait par rapport aux États-Unis, aux grands pays de l'époque, et l'une de ces originalités c'est vraiment de croire, et on en arrive au deuxième rêve, de croire... dans la supériorité de certains esprits, dans la supériorité des esprits supérieurs justement. Donc on ne s'oriente pas vers par exemple les grandes dynasties familiales, les gens passés par les grandes écoles, on pense vraiment que... Pas l'usine européenne ou forcément française. Même de la côte est, Boston, Harvard, Columbia...

  • Damien Douani

    Qui très souvent ont été inspirés ou énervés peut-être par l'Europe.

  • Olivier Alexandre

    Oui, mais ce qu'il faut voir c'est que c'est des universités qui sont aussi vieilles que la Sorbonne parfois, versus certains campus universitaires qui ont 30 ou 40 ans. Là, le poids des grandes familles sur la côte Est, il est extrêmement important. Et les gens qui ont fait la Californie ont tous ça en commun de se dire OK, on met toute notre histoire et l'histoire d'une certaine façon derrière nous et on va s'intéresser à l'avenir. Et on va s'intéresser à l'avenir en développant des outils qui vont pouvoir être mobilisés par l'ensemble de la planète. Et ces outils, c'est des outils de communication et d'information. Donc,

  • Damien Douani

    on prend les meilleurs pour faire ça.

  • Olivier Alexandre

    Et on prend les meilleurs pour faire ça, effectivement. Donc, on va développer tout un tas de...

  • Damien Douani

    Meilleur au basculant, à notre préférence.

  • Olivier Alexandre

    Alors... C'est même pire que ça. C'est masculin, blanc, classe moyenne supérieure, en fait, catégorie intellectuelle supérieure. Et si vous regardez les grands entrepreneurs aujourd'hui, ils ont une sociologie qui était déjà identifiée comme la sociologie intéressante il y a plus d'un siècle à Stanford. Et en fait, qui est restée cette image, on pourrait dire ce fétiche de l'intelligence et qui est un peu... qui est extrêmement écrasante en fait, parce que de fait aujourd'hui les investisseurs, qui sont des gens très futés pour beaucoup dans la Silicon Valley, ce qu'on appelle les ventures capitalistes, eux se voient comme des psychologues, passent leur temps à essayer de comprendre la qualité morale et intellectuelle des gens, leur idée étant qu'on ne sait pas ce qui va marcher en termes de nouvelles technologies, par contre on peut savoir si une personne est de qualité ou pas.

  • Damien Douani

    Le fameux mantra de « on regarde les équipes, on regarde les projections,

  • Olivier Alexandre

    voir le tableau Excel de projection » . Et on essaye de le sentir. C'est le mot utilisé par Georges Loriot, le père fondateur du Venture Capitalisme. On essaie de sentir le talent en le fréquentant dans ses familiarités. Ça explique aussi qu'on passe beaucoup de temps dans les cafés, qu'on passe beaucoup de temps dans les bars, qu'on passe beaucoup de temps au Burning Man aussi.

  • Damien Douani

    Et à nouveau cette notion de sérendipité.

  • Olivier Alexandre

    Et l'idée en fait que la qualité ne se forme pas, elle est innée d'une certaine façon, qui correspond à une certaine forme d'intelligence, c'est-à-dire l'intelligence logico-rationnelle et à une certaine forme de morale. qui serait en gros, on dirait aujourd'hui avec Boris Zérolnik, la résilience. Mais il y a d'autres types d'intelligence, il y a d'autres types de morale, et c'est ce qui est important de rappeler, je crois, au cœur de la Silicon Valley, ce qu'ils ont du mal à entendre, et on voit vraiment des expressions. Alors là, dans le talk, j'ai fait une généalogie sur 100 ans, 150 ans. Et on pourrait croire qu'il s'agit d'une histoire de vieille barbe, et comme je le disais, l'université de Stanford s'est faite à partir du recrutement de l'Indiana. Pourquoi l'Indiana ? L'Indiana c'est l'état du nord des Etats-Unis qui est le plus raciste foncièrement, qui a eu des lois racistes très tôt, très longtemps, qui a interdit les mariages « inter-raciaux » aux Etats-Unis très longtemps, qui le considérait comme un félonie, un crime. et on voit plein de gens en fait dans ce terreau là bercé de deux génismes et qui vont être embauchés par stanford et constituer les grands départements de stanford et diffuser un certain nombre d'idées on pourrait dire qu'ils sont pas complètement géniste aujourd'hui mais en même temps quand vous lisez parfois ou écouter parfois Dans le monde contemporain Peter Thiel ou Elon Musk, vous retrouvez un certain nombre de philosophèmes, comme on dit en philosophie, qui lient 150 ans d'histoire.

  • Damien Douani

    Pour rappel, Peter Thiel, un des fondateurs de Facebook, un investisseur de Facebook et d'autres entreprises notamment, et de Palantir aujourd'hui, effectivement.

  • Olivier Alexandre

    Qui a un rôle très important dans le domaine militaire et qui n'hésite pas à travailler avec qui le veut.

  • Damien Douani

    Et Georges Doriot, dont on parlait quelques instants, qui était un militaire français, d'ailleurs.

  • Olivier Alexandre

    Alors, militaire, ça serait beaucoup dire, mais il a eu le poids des événements à fait qu'il s'est engagé dans cette voie-là. Il est d'origine française. Il a fait l'essentiel de sa carrière à Harvard. Il a fait l'essentiel de sa carrière, on dirait, en sciences de la gestion. Aujourd'hui, il a eu un cours vraiment légendaire sur l'administration, du business. Il n'y a pas de livre parce qu'il détestait les notes et plus généralement, il détestait tout ce qui était relatif à l'administration. Et il va beaucoup porter ça dans ses cours. il va beaucoup porter ça en action, il va beaucoup porter ça quand il aura des responsabilités au moment de la Seconde Guerre mondiale. Et son idée à lui, c'est de considérer que le sens de l'histoire bascule vers, dans le sens des plus audacieux, des plus ingénieux. Ceux qui vont oser des petites choses. Oui, et c'est vrai pour la Seconde Guerre mondiale, mais c'est vrai aussi pour la richesse des nations et la manière dont elles évoluent. Et pour qu'elles évoluent dans le bon sens, il est vraiment primordial d'abaisser le niveau de la bureaucratie et d'augmenter l'autonomie de ses cerveaux, on dirait aujourd'hui. Et donc lui, il va commencer par faire une première structure qui s'adresse aux anciens combattants, puis une deuxième structure qui est vraiment l'ancêtre du venture capitalisme, au cours de laquelle il va identifier les fondateurs de DEC. DEC, c'est une entreprise extrêmement importante culturellement et industriellement, qui va être l'ancêtre d'Apple d'une certaine façon. qui va valider son modèle, c'est-à-dire que quand on fait d'investissement du capital risque, on parie sur beaucoup d'entreprises, on sait qu'on aura un ratio d'échecs à 90%, mais il y aura 10% qui va permettre de faire une culbute, et une culbute extrêmement importante. Donc ça, ça va valider le modèle. Et par ailleurs, à travers ses cours à Harvard, il va aussi former la première génération de ventures capitalistes, qui sont des gens plutôt de classe moyenne, qui voient les grandes portes du conseil, de la banque, des grandes entreprises qui leur sont fermées. Et qui vont s'orienter vers les nouvelles technologies, l'informatique dans les années 60-70, qui vont travailler chez HP, par exemple chez Intel, avant de fonder des grandes enseignes, vraiment des titans dans la Silicon Valley, que sont Sequoia ou Kleiner Perkins, qui vont investir dans les premiers Apple, dans les premiers Sun Macro System, et qui du coup vont structurer, jusqu'à aujourd'hui, l'industrie. Et ces gens-là, quand vous les interrogez, ils rendent tous hommage à George Loriot, à sa vision du talent, et à la manière de l'identifier. et encore une fois Pour identifier le talent, il ne faut pas juste faire des études de marché, il faut le sentir, regarder comment les gens bougent, s'expriment, collaborent. Et Dario disait, il faut même aller interviewer leur femme pour savoir comment ils se comportent à la maison.

  • Damien Douani

    On est quasiment sur les soft skills quelque part. Donc, construire un réseau, système d'information, trouver les bonnes personnes, l'intelligence. Et puis, il y a un troisième rêve quelque part, c'est la techno elle-même.

  • Olivier Alexandre

    C'est les technos, mais ça c'est un peu le système d'information.

  • Damien Douani

    Tout au moins, c'est la manière dont les gens vont s'organiser entre eux, c'est une communauté.

  • Olivier Alexandre

    Exactement.

  • Damien Douani

    C'est l'organisation plutôt.

  • Olivier Alexandre

    C'est l'organisation qui a à la fois une dimension sociale, une dimension politique. Je suppose qu'un certain nombre d'auditeurs, d'auditrices ont entendu parler, j'espère en tout cas, du livre de Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique, qui est vraiment un livre essentiel pour comprendre l'histoire. de la Silicon Valley, des nouvelles technologies. Et Fred Turner, qui est professeur à Stanford, il fait vraiment un focus sur les années 60-70 autour de Stuart Brand, qui a fait un lien comme ça entre des communautés hippies et puis des technologues. Mais en fait, cette histoire, elle est bien plus profonde. Elle remonte au 19e siècle. Et ce qu'il faut voir, même si c'est difficile quand on est européen et qu'on a cette logique d'idéologie en bloc, en masse, entre l'URSS, les États-Unis, c'est qu'en fait les États-Unis et la Californie tout particulièrement, a accueilli des communautés utopiques depuis le 19e siècle, et nombre d'entre elles. Beaucoup ont périclité, mais certaines ont réussi, et notamment l'une qui a réussi c'est Halcyon où ont grandi les frères Varian. Les frères Varian, ça ne doit pas trop parler au public, mais ils ont eu un rôle important dans le développement de... de la radio, avec le calistron, dans les années 30, ils sont passés par Stanford, ils sont passés par le parc technologique de... Des Stanford. Et c'est les vieux fantômes qui nous visitent. Et ils ont grandi dans une communauté utopique. Une communauté où on apprenait à partager les choses, à faire aussi pour que la communauté vive. On apprenait des choses techniques, abstraites, mais on apprenait aussi des savoir-faire pratiques.

  • Damien Douani

    Il y a un petit côté mormon, il y a un petit côté communauté au sens de savoir comment...

  • Olivier Alexandre

    Communauté utopique socialisante. On partage, on accueille. On développe, on accorde autant d'importance à faire à manger ou à cultiver son fort intérieur spirituel. Et puis, effectivement, on passe du temps qui n'est pas du temps de loisir, mais du temps d'inventivité. Et la créativité, elle est aussi très valorisée. Et ce qui est intéressant de voir, c'est que quand ils fondent leur entreprise et qu'ils s'installent à Palo Alto en 1953, ils vont importer. Ces principes socialisants avec des lois, des mesures au sein de l'entreprise extrêmement progressistes pour l'époque et même encore pour aujourd'hui. Ils vont dire qu'il faut qu'on partage les profits. Ils vont dire qu'il faut que chaque salarié ait une partie du capital. Ils vont dire qu'il faut mettre en place des couvertures d'assurance maladie, d'assurance retraite. Ce qui est encore une fois extrêmement visionnaire et détonnant par rapport à toute une histoire du capitalisme. américain.

  • Damien Douani

    Mais qui est peut-être en lien avec le fait qu'on ne veut pas beaucoup justement de blocage administratif, comme on disait tout à l'heure. Donc l'État, s'il est moins présent, c'est tant mieux. Et donc c'est à nous quelque part de prendre sa place.

  • Olivier Alexandre

    Il y a plusieurs logiques. Il faut voir ce que c'est déjà la Californie de l'époque. C'est pas la France, quoi. C'est-à-dire la Californie de l'époque, l'État, c'est soit loin et menaçant, soit c'est prêt et dysfonctionnel. C'est-à-dire que l'État, c'est la municipalité, ensuite c'est le comté, ensuite c'est l'État de Californie, ensuite c'est Washington, c'est tout un tas d'agences gouvernementales. Et c'est vrai qu'il y a cette idée, cette utopie qui se retrouve à la fois chez les libertariens et chez les communautés socialisantes de dire « nous, on va s'auto-organiser » . On va s'auto-organiser. Et l'entreprise, d'une certaine façon, c'est la poursuite de ce rêve qui va s'auto-organiser. mais pour qu'elle réussisse cette entreprise il faut limiter absolument du frein les freins et les menaces externes que ces menaces externes elles viennent de Wall Street avec les traders ou le petit actionnariat ou encore les états bureaucratiques qui viennent vous imposer et vous prendre vos profits, eux leur ligne c'est non non il faut socialiser le capital mais au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas une idée anti-humaniste totale je veux dire à la même époque Charles de Gaulle en France veut socialiser le capital là Et d'une certaine façon, l'histoire lui a un peu donné... Enfin, raison en valeur est tord dans les faits, parce que ça ne s'est pas opéré. Mais c'est vraiment une idée profonde et c'est un des grands succès de la Silicon Valley. L'envers de cette réussite, c'est qu'effectivement, aujourd'hui, les entreprises de la Big Tech jouent perso, comme on dit dans le sport. C'est-à-dire qu'elles essayent absolument... de réduire l'imposition, elles font de l'optimisation fiscale, c'est les premiers lobbyistes et quand elles font du lobbying, elles réclament de minimiser l'impôt sur les richesses des entreprises. Et du coup, ça pose le problème du lien au collectif, très simplement. C'est-à-dire, est-ce qu'une entreprise, c'est une fin en soi ou est-ce que c'est un corps intermédiaire dans la société ?

  • Damien Douani

    Justement, ce qu'on entend là aujourd'hui, est-ce que c'est une dégénérescence du modèle lié à un capitalisme sauvage ? Ou est-ce que non, au contraire, c'est une évolution finalement de ces mantras et piliers que l'on a ?

  • Olivier Alexandre

    Capitisme sauvage, je ne pense pas parce que justement, déjà, il faut voir que l'entreprise, historiquement, c'est vraiment un intermédiaire sur le marché. Elle n'a pas forcément de lien avec l'histoire du capitalisme. Elle peut en avoir un, mais pas forcément. Et là, en l'occurrence, ce que j'évoque, ce que j'ai pu observer... de Des Frères Varian jusqu'à Google, c'est plutôt une grande socialisation du capital et de l'entreprise et de sa valeur au sein de l'entreprise, mais qui se limite, qui cherche absolument à se protéger. C'est là où il y a un vrai souci qui peut être envisagé effectivement comme un cauchemar projeté parce qu'on est en droit de se demander qui sert et que sert l'entreprise. Est-ce qu'elle sert ? Le collectif, est-ce qu'elle sert uniquement ses salariés ? Est-ce qu'elle sert uniquement ses actionnaires ? Je pense qu'elle ne sert ni le collectif dans son entier, ni l'actionnariat. Elle sert ses employés et malheureusement, ça l'amène à être extrêmement orientée dans sa vision de l'histoire, alors même qu'elle gère des choses qui peuvent être considérées aujourd'hui comme des communs.

  • Damien Douani

    Justement, quand on entend Elon Musk qui explique que pour partir sur Mars, c'est une manière de sauvegarder l'espèce humaine, et on parle d'altruisme efficace, est-ce que cette notion d'altruisme efficace est aussi un enfant de toute cette philosophie ?

  • Olivier Alexandre

    Alors, oui et non. L'altruisme efficace, il est à Oxford, avec d'autres ramifications. En même temps, à Oxford, très présent dans la Silicon Valley, depuis la fondation du transhumanisme, l'altruisme efficace étant d'une certaine façon... Une continuation, c'est des notes de page par rapport au transhumanisme. On n'est pas chez Moore, on est chez Macaskill, qui est quelqu'un de très futé pour le coup, qui correspond vraiment au trait du génie que j'évoquais, c'est-à-dire la précocité, le langage, le côté un peu Asperger aussi, qui a l'oreille d'un certain nombre d'entrepreneurs de la Silicon Valley, d'autant plus que quand on est altruiste efficace, généralement on est philanthrope et du coup on paye moins d'impôts, ce qui est un autre sujet. Et en fait, aujourd'hui, il y a un peu une controverse, une bataille idéologique dans le cœur de la Silicon Valley qui est de dire en fait les nouvelles technologies, où est-ce qu'elles nous amènent et à quoi elles doivent servir ? Je dirais…

  • Damien Douani

    To make the world a better place comme on dit dans la série Seekers Silicon Valley.

  • Olivier Alexandre

    Oui, parce que déjà, le monde c'est le futur, le monde c'est le futur et dans ce monde futur… Est-ce que les technologies doivent être au service de l'humanité, sous question quelle humanité, ou est-ce qu'elles doivent être au service du progrès ? Et du coup, il ne faut pas faire de spécisme entre l'humain et le non-humain, l'animal et la machine. C'est vraiment des querelles qui peuvent avoir l'air un peu farfelues aujourd'hui dans notre quotidien, mais qui sont très très fortes dans la Silicon Valley. Ils vont avoir un impact assez important. Malheureusement, comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire. Après, c'est une question ouverte. Est-ce que la démocratie est le meilleur des régimes ? Je ne sais pas. Est-ce que l'aristocratie présente des vrais dangers ? Je le pense. Et du coup, je crois que ça appelle à une certaine vigilance.

  • Damien Douani

    Dernière question, Olivier. Tout ce qu'on vient d'entendre là, est-ce que quelque part on peut le plaquer ou tout au moins l'énerver, le connecter à la philosophie qui est derrière certains entrepreneurs et le nouveau Jobs de la Silicon Valley, Sam Altman, qui nous explique, à la tête d'OpenAI, qui nous explique que l'IA est bien d'eau, l'IAG, l'IA générative. Elle sera là pour quelque part nous pallier, faire en sorte que nous soyons des gens augmentés, c'est ce que dit aussi Elon Musk, mais lui avec sa puce, parce qu'en fait peut-être on est tous un peu débiles. Donc de faire en sorte que tout le monde atteigne un niveau d'intelligence suffisant, que la machine nous aide, et comme ça on aura le temps de faire autre chose, on aura le temps de se développer, on aura le temps de penser à nous, parce qu'il y a une vision assez surprenante pour certaines personnes.

  • Olivier Alexandre

    Aristocratique ?

  • Damien Douani

    Oui, c'est tout à fait ça. Est-ce qu'on est vraiment là-dessus ? Est-ce que ce qu'il dit, ce discours-là, quelque part il est énervé, il est connecté à tout ce qu'on vient de se raconter

  • Olivier Alexandre

    Oui, complètement. Et d'ailleurs, il n'est pas neuf du tout. Il n'est pas neuf du tout. Si vous regardez une des grandes controverses, parce que ce qu'il faut dire, c'est que c'est un domaine où le niveau d'expertise est extrêmement poussé, les gens sont extrêmement bien formés, ils s'informent tout le temps, ils ont un niveau de consommation d'informations qui est incroyable, qui est très conflictualiste, agonistique, on dit en philosophie, c'est-à-dire que c'est des rivalités. Comme on dit dans la série Silicon Valley, il est intolérable que quelqu'un sauve le monde si ce n'est pas moi. Voilà, il y a cette dimension-là. Et en même temps, il y a tout un tas de biais, de choses qu'on ne voit pas. Donc les gens discutent beaucoup de ça. Mais cette controverse n'est pas neuve. Et d'ailleurs, on peut aller en trouver une expression entre John McCarthy, père fondateur du mot intelligence artificielle, et Douglas Engelbart, très grand nom de l'histoire des nouvelles technologies. John McCarthy disait que... l'intelligence artificielle, c'est l'automatisation, c'est-à-dire des automates qui vont faire des tâches que les humains ne veulent pas faire ou ne peuvent plus faire, versus Douglas McCarthy, qui a toujours considéré les nouvelles technologies comme une extension de l'humain. Et là, on est plus chez Steve Jobs, quand il disait que l'ordinateur, le PC, c'est le vélo de l'esprit. Mais il y a des vraies controverses et tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Après, on verra qui aura raison dans l'histoire. Le point essentiel, je crois, c'est vraiment d'arriver à envisager l'histoire, non pas comme on le fait bien souvent en Europe et en France, comme le passé, mais de voir et de réussir à voir l'histoire comme eux le voient, c'est-à-dire le futur.

  • Damien Douani

    Merci beaucoup, Olivier Alexandre. Vous êtes auteur d'un livre, je le rappelle, qui s'appelle La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde. Merci beaucoup pour tous ces éclairages qui sont, à mon avis, donnent vraiment une vraie lecture et qui permettent de comprendre que pourquoi il y a des choses qui ne peuvent pas se faire en Europe forcément parce qu'on n'a pas la même matrice de compréhension, de construction qu'a fait la Silicon Valley. A très vite pour un prochain épisode des Éclaireurs du Numérique. Salut !

  • Olivier Alexandre

    Les Éclaireurs du Numérique, un podcast de Bertrand Lenautre, Damien Doigny et Fabrice Epelbouillon. Vous avez aimé ce podcast ? Retrouvez-nous sur leséclaireursdunumérique.fr Sous-titrage Société

Description

Comment la Silicon Valley a façonné le monde (et pourquoi ça nous concerne)


Dans cet épisode des Éclaireurs du Numérique, Damien Douani reçoit Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, fin connaisseur de la Silicon Valley… et démystificateur de ses récits fondateurs.


➡️ Pourquoi la Silicon Valley est-elle née dans les vergers californiens ?

➡️ Quelles sont les trois utopies fondatrices (information, intelligence, organisation) qui irriguent encore aujourd’hui la tech mondiale ?

➡️ Comment une poignée d’hommes – souvent blancs, résilients, diplômés et masculins – ont façonné un système devenu quasi aristocratique ?

➡️ Pourquoi certains discours d’Elon Musk, Sam Altman ou Peter Thiel sont directement hérités d’un siècle d’idéologie technocratique ?


Un échange qui fait le lien entre histoire, idéologie et avenir technologique. Olivier Alexandre nous aide à comprendre ce que la Silicon Valley ne dit pas d’elle-même, et pourquoi cela a un impact concret sur nos vies.


🎧 Écoutez, partagez, questionnez. Et surtout…

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Transcription

  • Olivier Alexandre

    Comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire.

  • Damien Douani

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode des Éclairs du Numérique. Vous le savez, chez les Éclaireurs, on aime bien faire plusieurs formats, notamment le format de tête-à-tête ou de face-à-face. Et aujourd'hui, c'est un face-à-face de qualité. On espère que la plupart du temps, ils sont tous de qualité, mais là, vous allez voir, vous allez comprendre, ça touche particulièrement aux racines du numérique, de leur impact sur la société, qui est, vous le savez, ce qui nous intéresse, nous, chez les Éclairs, avec Olivier Alexandre. Bonjour Olivier. Bonjour. Alors Olivier, vous êtes... sociologue au CNRS, vous êtes chargé de recherche aussi au SNRS, vous connaissez bien la Silicon Valley, vous l'avez arpentée, on en reparlera justement. Et donc dans votre conférence, vous avez parlé notamment des rêves un peu fondateurs de cette Silicon Valley. Justement, brièvement, on ne va pas refaire une heure et quelques de conférence, mais c'est quoi ces grands piliers fondateurs de la Silicon Valley, tels qui aujourd'hui finalement dans leur conception ont peut-être évolué, on en reparlera. mais qui ont vraiment été à la base de la construction de ce lieu qui est quand même assez surprenant. On parle de pommiers, on parle de gens qui étaient des agriculteurs, et on arrive à la matrice du système d'information mondial.

  • Olivier Alexandre

    Oui, exactement. Alors dit comme ça, ça va me dire un peu un tour de magie. Ce que j'essaie de faire dans mon travail, c'est de rappeler, effectivement, comme tu viens de le dire, que c'est une industrie des nouvelles technologies qui attire. par effet d'une sorte d'amnésie perpétuelle, moi j'essaie de lui redonner de la mémoire. Et c'est vraiment pas quelque chose dont ils sont spécialistes, dans la Silicon Valley. Et du coup, je m'attèle à ça, et en l'occurrence, ce que je disais dans cette conférence, c'est que la Silicon Valley, elle est née autour de trois rêves, de trois utopies, de trois rêves projetés, disait le sociologue Baudrillard. Le premier, c'est les systèmes d'information. Le deuxième, c'est l'intelligence. Et le troisième, c'est l'organisation. Alors les systèmes d'information ça se comprend par rapport à l'histoire de la Silicon Valley. C'est vrai qu'il y en a qui disent que la Silicon Valley c'était les années 70. D'ailleurs le silicone, le silicium en fait, il a commencé à être extrait dans les années 60-70. Et du coup c'est l'origine. Il y en a qui disent non c'est la seconde guerre mondiale. Il y en a qui disent mais non pas du tout c'est les années 20. Il y en a qui disent mais non dès les années 1900 il y avait déjà des amateurs de radio. Moi j'essaie de remonter encore plus loin. J'essaie de remonter au moment... des problématiques que rencontraient les gens qui habitaient dans la Silicon Valley avant qu'elle soit la Silicon Valley. Et effectivement, c'était une terre agricole. C'était des gens qui s'occupaient de verrer, des amandes, etc. Et leur préoccupation première, c'était de diffuser, d'écouler leur récolte. Et comment on écoule une récolte au XIXe siècle, dans la fin du XIXe siècle ? On le fait avec les chemins de fer. Sauf que les chemins de fer, ce n'est pas la SNCF d'aujourd'hui. Ça n'a jamais été aimé,

  • Damien Douani

    d'ailleurs, le train aux Etats-Unis.

  • Olivier Alexandre

    Non, pas vraiment. Enfin, l'avion est passé par-dessus, mais à cette époque-là, ça incarne les nouvelles technologies. C'est la nouvelle technologie de l'époque, mais il y a tout un tas de problèmes qui sont des accidents, parfois dramatiques, tragiques, mais surtout des problèmes d'aiguillage, d'information, de savoir quand est-ce que les trains arrivent. Donc, on est plus dans le mode train indien que train SNCF. Voilà, et il faut imaginer... Les conséquences que ça a pour les agriculteurs de l'époque, parce que quand on perd une récolte de la moitié de l'année ou toute l'année, c'est son année qui est mise en danger et son activité agricole qui est mise en danger. Je rappelais le rôle très important qu'a eu Leland Stanford, qui a donné le nom à l'université créée en 1891. Leland Stanford a énervé tout le siècle, tout le 19e siècle, depuis le Golden Rush, parce que c'est quelqu'un qui a fait fortune en vendant des équipements aux chercheurs d'or. Ensuite, il a pris la tête du conglomérat ferroviaire du centre du pays, puis du sud. Il est devenu gouverneur de la Californie, il est devenu sénateur ensuite. Quand il fonde Stanford, il le fonde à partir de plusieurs préoccupations, de plusieurs disciplines fondatrices. Il pense que le droit doit être fondateur. D'ailleurs, lui-même est avocat de formation. Il pense que les sciences humaines, les humanités ont un rôle aussi, mais technique, scientificisé. Il pense évidemment que les nouvelles technologies ont un rôle extrêmement important et puis il pense aussi à la dimension spirituelle. D'ailleurs si vous baladez aujourd'hui sur le campus de Stanford, la paroisse est vraiment centrale. Et ce qui est assez fascinant c'est que l'université de Stanford est vraiment conçue comme un système d'information sociale, c'est-à-dire qu'on entre, il y a une grande voûte comme ça qui attire et qu'ensuite il y a plein de carrés. mais au sens spatial du terme, qui sont ouverts. Et l'idée, c'est qu'on puisse se croiser, échanger sur le mode de la séramidité, qu'importe sa discipline d'origine, qu'importe son origine sociale aussi d'une certaine façon, mais on peut s'y croiser pour développer des projets. Et ce qui est intéressant, c'est que cette technologie sociale, elle va permettre de développer, elle va se traduire par tout un tas de systèmes d'informations qu'on peut égrener comme ça tout au long du siècle.

  • Damien Douani

    D'ailleurs, c'est assez amusant parce que cette place centrale... C'est quelque chose qu'on entend très souvent dans la mythologie de certaines entreprises. Je pense notamment à Pixar et Steve Jobs qui aimait bien raconter sa jeunesse dans les pommiers. Et justement aussi cette notion de place centrale qu'on retrouve aussi chez Apple mais dans d'autres sociétés. C'est cet endroit où les gens se croisent et il y a des choses qui vont se passer. Bien sûr c'est un peu de storytelling par moment mais quand même il y a cette notion-là. Et on le retrouve déjà dans la matrice de base de l'université de Stanford. Au-delà de l'aspect des trains qui lui-même crée déjà cette notion de réseau.

  • Olivier Alexandre

    Absolument, c'est une mythologie au sens propre du terme, c'est-à-dire un récit des origines, qui a pu être pétrifié, réifié, reproduit, et si vous allez au Googleplex aussi, chez Google c'est le même principe, le terrain de voler au milieu du chemin. Mais là c'était vraiment une volonté, et qui s'inscrit dans la Californie de la fin du XIXe siècle, qui a plusieurs originalités en fait par rapport aux États-Unis, aux grands pays de l'époque, et l'une de ces originalités c'est vraiment de croire, et on en arrive au deuxième rêve, de croire... dans la supériorité de certains esprits, dans la supériorité des esprits supérieurs justement. Donc on ne s'oriente pas vers par exemple les grandes dynasties familiales, les gens passés par les grandes écoles, on pense vraiment que... Pas l'usine européenne ou forcément française. Même de la côte est, Boston, Harvard, Columbia...

  • Damien Douani

    Qui très souvent ont été inspirés ou énervés peut-être par l'Europe.

  • Olivier Alexandre

    Oui, mais ce qu'il faut voir c'est que c'est des universités qui sont aussi vieilles que la Sorbonne parfois, versus certains campus universitaires qui ont 30 ou 40 ans. Là, le poids des grandes familles sur la côte Est, il est extrêmement important. Et les gens qui ont fait la Californie ont tous ça en commun de se dire OK, on met toute notre histoire et l'histoire d'une certaine façon derrière nous et on va s'intéresser à l'avenir. Et on va s'intéresser à l'avenir en développant des outils qui vont pouvoir être mobilisés par l'ensemble de la planète. Et ces outils, c'est des outils de communication et d'information. Donc,

  • Damien Douani

    on prend les meilleurs pour faire ça.

  • Olivier Alexandre

    Et on prend les meilleurs pour faire ça, effectivement. Donc, on va développer tout un tas de...

  • Damien Douani

    Meilleur au basculant, à notre préférence.

  • Olivier Alexandre

    Alors... C'est même pire que ça. C'est masculin, blanc, classe moyenne supérieure, en fait, catégorie intellectuelle supérieure. Et si vous regardez les grands entrepreneurs aujourd'hui, ils ont une sociologie qui était déjà identifiée comme la sociologie intéressante il y a plus d'un siècle à Stanford. Et en fait, qui est restée cette image, on pourrait dire ce fétiche de l'intelligence et qui est un peu... qui est extrêmement écrasante en fait, parce que de fait aujourd'hui les investisseurs, qui sont des gens très futés pour beaucoup dans la Silicon Valley, ce qu'on appelle les ventures capitalistes, eux se voient comme des psychologues, passent leur temps à essayer de comprendre la qualité morale et intellectuelle des gens, leur idée étant qu'on ne sait pas ce qui va marcher en termes de nouvelles technologies, par contre on peut savoir si une personne est de qualité ou pas.

  • Damien Douani

    Le fameux mantra de « on regarde les équipes, on regarde les projections,

  • Olivier Alexandre

    voir le tableau Excel de projection » . Et on essaye de le sentir. C'est le mot utilisé par Georges Loriot, le père fondateur du Venture Capitalisme. On essaie de sentir le talent en le fréquentant dans ses familiarités. Ça explique aussi qu'on passe beaucoup de temps dans les cafés, qu'on passe beaucoup de temps dans les bars, qu'on passe beaucoup de temps au Burning Man aussi.

  • Damien Douani

    Et à nouveau cette notion de sérendipité.

  • Olivier Alexandre

    Et l'idée en fait que la qualité ne se forme pas, elle est innée d'une certaine façon, qui correspond à une certaine forme d'intelligence, c'est-à-dire l'intelligence logico-rationnelle et à une certaine forme de morale. qui serait en gros, on dirait aujourd'hui avec Boris Zérolnik, la résilience. Mais il y a d'autres types d'intelligence, il y a d'autres types de morale, et c'est ce qui est important de rappeler, je crois, au cœur de la Silicon Valley, ce qu'ils ont du mal à entendre, et on voit vraiment des expressions. Alors là, dans le talk, j'ai fait une généalogie sur 100 ans, 150 ans. Et on pourrait croire qu'il s'agit d'une histoire de vieille barbe, et comme je le disais, l'université de Stanford s'est faite à partir du recrutement de l'Indiana. Pourquoi l'Indiana ? L'Indiana c'est l'état du nord des Etats-Unis qui est le plus raciste foncièrement, qui a eu des lois racistes très tôt, très longtemps, qui a interdit les mariages « inter-raciaux » aux Etats-Unis très longtemps, qui le considérait comme un félonie, un crime. et on voit plein de gens en fait dans ce terreau là bercé de deux génismes et qui vont être embauchés par stanford et constituer les grands départements de stanford et diffuser un certain nombre d'idées on pourrait dire qu'ils sont pas complètement géniste aujourd'hui mais en même temps quand vous lisez parfois ou écouter parfois Dans le monde contemporain Peter Thiel ou Elon Musk, vous retrouvez un certain nombre de philosophèmes, comme on dit en philosophie, qui lient 150 ans d'histoire.

  • Damien Douani

    Pour rappel, Peter Thiel, un des fondateurs de Facebook, un investisseur de Facebook et d'autres entreprises notamment, et de Palantir aujourd'hui, effectivement.

  • Olivier Alexandre

    Qui a un rôle très important dans le domaine militaire et qui n'hésite pas à travailler avec qui le veut.

  • Damien Douani

    Et Georges Doriot, dont on parlait quelques instants, qui était un militaire français, d'ailleurs.

  • Olivier Alexandre

    Alors, militaire, ça serait beaucoup dire, mais il a eu le poids des événements à fait qu'il s'est engagé dans cette voie-là. Il est d'origine française. Il a fait l'essentiel de sa carrière à Harvard. Il a fait l'essentiel de sa carrière, on dirait, en sciences de la gestion. Aujourd'hui, il a eu un cours vraiment légendaire sur l'administration, du business. Il n'y a pas de livre parce qu'il détestait les notes et plus généralement, il détestait tout ce qui était relatif à l'administration. Et il va beaucoup porter ça dans ses cours. il va beaucoup porter ça en action, il va beaucoup porter ça quand il aura des responsabilités au moment de la Seconde Guerre mondiale. Et son idée à lui, c'est de considérer que le sens de l'histoire bascule vers, dans le sens des plus audacieux, des plus ingénieux. Ceux qui vont oser des petites choses. Oui, et c'est vrai pour la Seconde Guerre mondiale, mais c'est vrai aussi pour la richesse des nations et la manière dont elles évoluent. Et pour qu'elles évoluent dans le bon sens, il est vraiment primordial d'abaisser le niveau de la bureaucratie et d'augmenter l'autonomie de ses cerveaux, on dirait aujourd'hui. Et donc lui, il va commencer par faire une première structure qui s'adresse aux anciens combattants, puis une deuxième structure qui est vraiment l'ancêtre du venture capitalisme, au cours de laquelle il va identifier les fondateurs de DEC. DEC, c'est une entreprise extrêmement importante culturellement et industriellement, qui va être l'ancêtre d'Apple d'une certaine façon. qui va valider son modèle, c'est-à-dire que quand on fait d'investissement du capital risque, on parie sur beaucoup d'entreprises, on sait qu'on aura un ratio d'échecs à 90%, mais il y aura 10% qui va permettre de faire une culbute, et une culbute extrêmement importante. Donc ça, ça va valider le modèle. Et par ailleurs, à travers ses cours à Harvard, il va aussi former la première génération de ventures capitalistes, qui sont des gens plutôt de classe moyenne, qui voient les grandes portes du conseil, de la banque, des grandes entreprises qui leur sont fermées. Et qui vont s'orienter vers les nouvelles technologies, l'informatique dans les années 60-70, qui vont travailler chez HP, par exemple chez Intel, avant de fonder des grandes enseignes, vraiment des titans dans la Silicon Valley, que sont Sequoia ou Kleiner Perkins, qui vont investir dans les premiers Apple, dans les premiers Sun Macro System, et qui du coup vont structurer, jusqu'à aujourd'hui, l'industrie. Et ces gens-là, quand vous les interrogez, ils rendent tous hommage à George Loriot, à sa vision du talent, et à la manière de l'identifier. et encore une fois Pour identifier le talent, il ne faut pas juste faire des études de marché, il faut le sentir, regarder comment les gens bougent, s'expriment, collaborent. Et Dario disait, il faut même aller interviewer leur femme pour savoir comment ils se comportent à la maison.

  • Damien Douani

    On est quasiment sur les soft skills quelque part. Donc, construire un réseau, système d'information, trouver les bonnes personnes, l'intelligence. Et puis, il y a un troisième rêve quelque part, c'est la techno elle-même.

  • Olivier Alexandre

    C'est les technos, mais ça c'est un peu le système d'information.

  • Damien Douani

    Tout au moins, c'est la manière dont les gens vont s'organiser entre eux, c'est une communauté.

  • Olivier Alexandre

    Exactement.

  • Damien Douani

    C'est l'organisation plutôt.

  • Olivier Alexandre

    C'est l'organisation qui a à la fois une dimension sociale, une dimension politique. Je suppose qu'un certain nombre d'auditeurs, d'auditrices ont entendu parler, j'espère en tout cas, du livre de Fred Turner, Aux sources de l'utopie numérique, qui est vraiment un livre essentiel pour comprendre l'histoire. de la Silicon Valley, des nouvelles technologies. Et Fred Turner, qui est professeur à Stanford, il fait vraiment un focus sur les années 60-70 autour de Stuart Brand, qui a fait un lien comme ça entre des communautés hippies et puis des technologues. Mais en fait, cette histoire, elle est bien plus profonde. Elle remonte au 19e siècle. Et ce qu'il faut voir, même si c'est difficile quand on est européen et qu'on a cette logique d'idéologie en bloc, en masse, entre l'URSS, les États-Unis, c'est qu'en fait les États-Unis et la Californie tout particulièrement, a accueilli des communautés utopiques depuis le 19e siècle, et nombre d'entre elles. Beaucoup ont périclité, mais certaines ont réussi, et notamment l'une qui a réussi c'est Halcyon où ont grandi les frères Varian. Les frères Varian, ça ne doit pas trop parler au public, mais ils ont eu un rôle important dans le développement de... de la radio, avec le calistron, dans les années 30, ils sont passés par Stanford, ils sont passés par le parc technologique de... Des Stanford. Et c'est les vieux fantômes qui nous visitent. Et ils ont grandi dans une communauté utopique. Une communauté où on apprenait à partager les choses, à faire aussi pour que la communauté vive. On apprenait des choses techniques, abstraites, mais on apprenait aussi des savoir-faire pratiques.

  • Damien Douani

    Il y a un petit côté mormon, il y a un petit côté communauté au sens de savoir comment...

  • Olivier Alexandre

    Communauté utopique socialisante. On partage, on accueille. On développe, on accorde autant d'importance à faire à manger ou à cultiver son fort intérieur spirituel. Et puis, effectivement, on passe du temps qui n'est pas du temps de loisir, mais du temps d'inventivité. Et la créativité, elle est aussi très valorisée. Et ce qui est intéressant de voir, c'est que quand ils fondent leur entreprise et qu'ils s'installent à Palo Alto en 1953, ils vont importer. Ces principes socialisants avec des lois, des mesures au sein de l'entreprise extrêmement progressistes pour l'époque et même encore pour aujourd'hui. Ils vont dire qu'il faut qu'on partage les profits. Ils vont dire qu'il faut que chaque salarié ait une partie du capital. Ils vont dire qu'il faut mettre en place des couvertures d'assurance maladie, d'assurance retraite. Ce qui est encore une fois extrêmement visionnaire et détonnant par rapport à toute une histoire du capitalisme. américain.

  • Damien Douani

    Mais qui est peut-être en lien avec le fait qu'on ne veut pas beaucoup justement de blocage administratif, comme on disait tout à l'heure. Donc l'État, s'il est moins présent, c'est tant mieux. Et donc c'est à nous quelque part de prendre sa place.

  • Olivier Alexandre

    Il y a plusieurs logiques. Il faut voir ce que c'est déjà la Californie de l'époque. C'est pas la France, quoi. C'est-à-dire la Californie de l'époque, l'État, c'est soit loin et menaçant, soit c'est prêt et dysfonctionnel. C'est-à-dire que l'État, c'est la municipalité, ensuite c'est le comté, ensuite c'est l'État de Californie, ensuite c'est Washington, c'est tout un tas d'agences gouvernementales. Et c'est vrai qu'il y a cette idée, cette utopie qui se retrouve à la fois chez les libertariens et chez les communautés socialisantes de dire « nous, on va s'auto-organiser » . On va s'auto-organiser. Et l'entreprise, d'une certaine façon, c'est la poursuite de ce rêve qui va s'auto-organiser. mais pour qu'elle réussisse cette entreprise il faut limiter absolument du frein les freins et les menaces externes que ces menaces externes elles viennent de Wall Street avec les traders ou le petit actionnariat ou encore les états bureaucratiques qui viennent vous imposer et vous prendre vos profits, eux leur ligne c'est non non il faut socialiser le capital mais au sein de l'entreprise, ce qui n'est pas une idée anti-humaniste totale je veux dire à la même époque Charles de Gaulle en France veut socialiser le capital là Et d'une certaine façon, l'histoire lui a un peu donné... Enfin, raison en valeur est tord dans les faits, parce que ça ne s'est pas opéré. Mais c'est vraiment une idée profonde et c'est un des grands succès de la Silicon Valley. L'envers de cette réussite, c'est qu'effectivement, aujourd'hui, les entreprises de la Big Tech jouent perso, comme on dit dans le sport. C'est-à-dire qu'elles essayent absolument... de réduire l'imposition, elles font de l'optimisation fiscale, c'est les premiers lobbyistes et quand elles font du lobbying, elles réclament de minimiser l'impôt sur les richesses des entreprises. Et du coup, ça pose le problème du lien au collectif, très simplement. C'est-à-dire, est-ce qu'une entreprise, c'est une fin en soi ou est-ce que c'est un corps intermédiaire dans la société ?

  • Damien Douani

    Justement, ce qu'on entend là aujourd'hui, est-ce que c'est une dégénérescence du modèle lié à un capitalisme sauvage ? Ou est-ce que non, au contraire, c'est une évolution finalement de ces mantras et piliers que l'on a ?

  • Olivier Alexandre

    Capitisme sauvage, je ne pense pas parce que justement, déjà, il faut voir que l'entreprise, historiquement, c'est vraiment un intermédiaire sur le marché. Elle n'a pas forcément de lien avec l'histoire du capitalisme. Elle peut en avoir un, mais pas forcément. Et là, en l'occurrence, ce que j'évoque, ce que j'ai pu observer... de Des Frères Varian jusqu'à Google, c'est plutôt une grande socialisation du capital et de l'entreprise et de sa valeur au sein de l'entreprise, mais qui se limite, qui cherche absolument à se protéger. C'est là où il y a un vrai souci qui peut être envisagé effectivement comme un cauchemar projeté parce qu'on est en droit de se demander qui sert et que sert l'entreprise. Est-ce qu'elle sert ? Le collectif, est-ce qu'elle sert uniquement ses salariés ? Est-ce qu'elle sert uniquement ses actionnaires ? Je pense qu'elle ne sert ni le collectif dans son entier, ni l'actionnariat. Elle sert ses employés et malheureusement, ça l'amène à être extrêmement orientée dans sa vision de l'histoire, alors même qu'elle gère des choses qui peuvent être considérées aujourd'hui comme des communs.

  • Damien Douani

    Justement, quand on entend Elon Musk qui explique que pour partir sur Mars, c'est une manière de sauvegarder l'espèce humaine, et on parle d'altruisme efficace, est-ce que cette notion d'altruisme efficace est aussi un enfant de toute cette philosophie ?

  • Olivier Alexandre

    Alors, oui et non. L'altruisme efficace, il est à Oxford, avec d'autres ramifications. En même temps, à Oxford, très présent dans la Silicon Valley, depuis la fondation du transhumanisme, l'altruisme efficace étant d'une certaine façon... Une continuation, c'est des notes de page par rapport au transhumanisme. On n'est pas chez Moore, on est chez Macaskill, qui est quelqu'un de très futé pour le coup, qui correspond vraiment au trait du génie que j'évoquais, c'est-à-dire la précocité, le langage, le côté un peu Asperger aussi, qui a l'oreille d'un certain nombre d'entrepreneurs de la Silicon Valley, d'autant plus que quand on est altruiste efficace, généralement on est philanthrope et du coup on paye moins d'impôts, ce qui est un autre sujet. Et en fait, aujourd'hui, il y a un peu une controverse, une bataille idéologique dans le cœur de la Silicon Valley qui est de dire en fait les nouvelles technologies, où est-ce qu'elles nous amènent et à quoi elles doivent servir ? Je dirais…

  • Damien Douani

    To make the world a better place comme on dit dans la série Seekers Silicon Valley.

  • Olivier Alexandre

    Oui, parce que déjà, le monde c'est le futur, le monde c'est le futur et dans ce monde futur… Est-ce que les technologies doivent être au service de l'humanité, sous question quelle humanité, ou est-ce qu'elles doivent être au service du progrès ? Et du coup, il ne faut pas faire de spécisme entre l'humain et le non-humain, l'animal et la machine. C'est vraiment des querelles qui peuvent avoir l'air un peu farfelues aujourd'hui dans notre quotidien, mais qui sont très très fortes dans la Silicon Valley. Ils vont avoir un impact assez important. Malheureusement, comme le disait Gibson, l'avenir devrait être une démocratie, alors que le système de la Silicon Valley, pour toutes les raisons qu'on a évoquées préalablement, fonctionne comme une aristocratie, c'est-à-dire que c'est les meilleurs qui gouvernent les décisions qui vont dessiner notre futur, là où effectivement on pourrait attendre que tout le monde ait son mot à dire. Après, c'est une question ouverte. Est-ce que la démocratie est le meilleur des régimes ? Je ne sais pas. Est-ce que l'aristocratie présente des vrais dangers ? Je le pense. Et du coup, je crois que ça appelle à une certaine vigilance.

  • Damien Douani

    Dernière question, Olivier. Tout ce qu'on vient d'entendre là, est-ce que quelque part on peut le plaquer ou tout au moins l'énerver, le connecter à la philosophie qui est derrière certains entrepreneurs et le nouveau Jobs de la Silicon Valley, Sam Altman, qui nous explique, à la tête d'OpenAI, qui nous explique que l'IA est bien d'eau, l'IAG, l'IA générative. Elle sera là pour quelque part nous pallier, faire en sorte que nous soyons des gens augmentés, c'est ce que dit aussi Elon Musk, mais lui avec sa puce, parce qu'en fait peut-être on est tous un peu débiles. Donc de faire en sorte que tout le monde atteigne un niveau d'intelligence suffisant, que la machine nous aide, et comme ça on aura le temps de faire autre chose, on aura le temps de se développer, on aura le temps de penser à nous, parce qu'il y a une vision assez surprenante pour certaines personnes.

  • Olivier Alexandre

    Aristocratique ?

  • Damien Douani

    Oui, c'est tout à fait ça. Est-ce qu'on est vraiment là-dessus ? Est-ce que ce qu'il dit, ce discours-là, quelque part il est énervé, il est connecté à tout ce qu'on vient de se raconter

  • Olivier Alexandre

    Oui, complètement. Et d'ailleurs, il n'est pas neuf du tout. Il n'est pas neuf du tout. Si vous regardez une des grandes controverses, parce que ce qu'il faut dire, c'est que c'est un domaine où le niveau d'expertise est extrêmement poussé, les gens sont extrêmement bien formés, ils s'informent tout le temps, ils ont un niveau de consommation d'informations qui est incroyable, qui est très conflictualiste, agonistique, on dit en philosophie, c'est-à-dire que c'est des rivalités. Comme on dit dans la série Silicon Valley, il est intolérable que quelqu'un sauve le monde si ce n'est pas moi. Voilà, il y a cette dimension-là. Et en même temps, il y a tout un tas de biais, de choses qu'on ne voit pas. Donc les gens discutent beaucoup de ça. Mais cette controverse n'est pas neuve. Et d'ailleurs, on peut aller en trouver une expression entre John McCarthy, père fondateur du mot intelligence artificielle, et Douglas Engelbart, très grand nom de l'histoire des nouvelles technologies. John McCarthy disait que... l'intelligence artificielle, c'est l'automatisation, c'est-à-dire des automates qui vont faire des tâches que les humains ne veulent pas faire ou ne peuvent plus faire, versus Douglas McCarthy, qui a toujours considéré les nouvelles technologies comme une extension de l'humain. Et là, on est plus chez Steve Jobs, quand il disait que l'ordinateur, le PC, c'est le vélo de l'esprit. Mais il y a des vraies controverses et tout le monde n'est pas d'accord là-dessus. Après, on verra qui aura raison dans l'histoire. Le point essentiel, je crois, c'est vraiment d'arriver à envisager l'histoire, non pas comme on le fait bien souvent en Europe et en France, comme le passé, mais de voir et de réussir à voir l'histoire comme eux le voient, c'est-à-dire le futur.

  • Damien Douani

    Merci beaucoup, Olivier Alexandre. Vous êtes auteur d'un livre, je le rappelle, qui s'appelle La Tech, quand la Silicon Valley refait le monde. Merci beaucoup pour tous ces éclairages qui sont, à mon avis, donnent vraiment une vraie lecture et qui permettent de comprendre que pourquoi il y a des choses qui ne peuvent pas se faire en Europe forcément parce qu'on n'a pas la même matrice de compréhension, de construction qu'a fait la Silicon Valley. A très vite pour un prochain épisode des Éclaireurs du Numérique. Salut !

  • Olivier Alexandre

    Les Éclaireurs du Numérique, un podcast de Bertrand Lenautre, Damien Doigny et Fabrice Epelbouillon. Vous avez aimé ce podcast ? Retrouvez-nous sur leséclaireursdunumérique.fr Sous-titrage Société

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