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Le Souffle de l'Histoire

Le maquis de l'Ain - Partie 2

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15min |13/05/2020|

5194

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Le maquis de l'Ain - Partie 2

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Description

📟 Texte et récit : Romain Clément

🎬 Compositions musicales et montage : Armel Joubert des Ouches

 Le Maquis de l’Ain

C’est l’un des maquis les plus méconnus de France - dont nous allons parler aujourd’hui- l’un de ceux qui a pourtant causé le plus de tort aux Allemands pendant la seconde guerre mondiale : le maquis de l’Ain.

Si vous circulez sur l’autoroute A 40, l’autoroute Blanche, après Bourg-en Bresse en direction de Genève, faites un crochet par Cerdon qui abrite cet imposant monument en hommage aux maquisards de l’Ain et du haut Jura.

L’ouvrage est gigantesque, avec cette femme élancée taillée à même la roche, et cette phrase : « Où je meurs, renaît la Patrie ».

Aux pieds de la statue, 89 tombes de maquisards ou de déportés.

Situé au nord de Lyon et à proximité de la Suisse, le maquis de l’Ain a rassemblé jusqu’à 7000 hommes, placés sous le commandement d’une figure, d’une légende, Henri Romans-Petit.

Romans-Petit va faire de ce département rural, de moins de 320 000 habitants, un haut-lieu de la lutte contre l’occupant allemand.

Il va créer 22 camps de maquis, 

6 pistes clandestines d’atterrissages.

100 terrains de parachutages.

Ce maquis devient l’un des plus important de France.

Il est structuré pour être le point de départ de centaines d’opérations commandos.

Si le maquis de l’Ain est entré dans l’histoire, c’est parce que pour la première fois, le 11 novembre 1943, la population française a découvert le vrai visage de la résistance, lors d’un défilé audacieux, en pleine occupation, au nez et à la barbe des Allemands.

200 hommes armés, en uniforme paradent dans les rues d’Oyonnax

Ce défilé va entraîner des représailles terribles. 3 opérations militaires ciblées, et des rafles menées par un certain Klaus Barbie

Des centaines de combattants, de civils vont périr. 

Voici l’histoire du maquis de l’Ain…

Mai 1940.

Les Français croient encore leur armée invincible. 

En 30 jours à peine, l’offensive éclair des troupes du Führer terrasse toutes les unités. 90 000 soldats français perdent la vie. C’est la débâcle.

Et sur les routes, 7 millions de civils, femmes, enfants, vieillards, fuient l’inexorable avancée du Reich…

Le département de l’Ain n’échappe pas à cet exode.

 Les Allemands vont s’attaquer à la plus importante ville du département, Bourg en Bresse, qui est aussi le dernier grand rempart avant Lyon...

Le 16 juin, un bombardement coûte la vie à 13 personnes, 25 autres sont blessées.

24 h plus tard, le 17 juin, estimant les combats perdus, le nouveau président du conseil s’adresse à toute la nation pour annoncer qu’il souhaite s’entendre avec l’ennemi...

Malgré l’armistice, une garnison stationnée dans l’Ain dans un ouvrage fortifié du XVIIème siècle va s’illustrer.

Cette unité est stationnée au Fort L’Ecluse. Comme le dit l’historien Fabrice Grenard, c’est « la porte d’entrée vers les Alpes », à quelques kilomètres de Bellegarde sur Valserine, à la frontière avec la Haute Savoie, dans ce qu’on appelle le pays de Gex

La garnison est commandée par le commandant Favre… qui refuse de se rendre.

Avec ses troupes alpines, ses sapeurs, ses pièces d’artilleries, il va résister à plusieurs assauts.

Le 3 juillet 1940, 11 jours après l’armistice, les hommes du Commandant Favre, encerclés par un ennemi bien supérieur en nombre finissent par se rendre, mais Fort L’Ecluse reste comme l’un des premiers actes de résistance en France …

Dès juillet 1940, la croix gammée flotte sur tout le département. L’Ain est rattaché à la zone dite “libre”, sous l’autorité de Vichy.

Les événements vont progressivement faire de l’Ain un secteur stratégique :

Comme le souligne l’historien militaire allemand Peter Lieb, ce département, qui n’est pas intéressant d’un point de vue économique pour les Allemands est cependant frontalier de la Suisse, et il est important pour les occupants d’en contrôler la frontière.

D’ailleurs le pays de GEX à l’est du département, est déclarée zone interdite. 4 à 5000 allemands y sont stationnés.

La Suisse, c’est le seul pays, où les juifs pouvaient éventuellement se réfugier. 

Le département devient aussi important parce qu’il est traversé par tous les trains au départ de Paris et en direction de Lyon, du sud de la France, ou même de l’Italie.

Et à l’époque, les voies stratégiques, ce sont les voies ferrées, beaucoup plus que les routes.

Mais en 1940, il est encore un peu tôt pour pouvoir nuire à la logistique allemande, s’attaquer à ces voies ferrées. 

…

Dès 1941, la résistance va développer ses propres réseaux dans l’Ain. 

Comme le rappelle l’historienne Florence Saint-Cyr, qui est aussi responsable du Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua se développent dans ce département, les 3 mouvements de résistance :  Combat d’henri frenay, le mouvement Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireurs de Jean-Pierre Lévy… 

Un personnage très important dans l’Ain c’est le général Charles Délestraint, qui au moment de la défaite de 1940 est mis en retraite et s’installe à Bourg en Bresse 

Le général Délestraint, devient le chef de l’Armée secrète. L’AS, c’est une structure nationale, une armée de l’ombre, prête à agir le moment venu.

Délestraint cherche des forces vives et pour recruter, il s’appuie sur plusieurs personnalités de l’Ain.

Des gens qui ont des carnets d’adresse, des notables souvent comme Bob Fornier, patron d’une brasserie, Raymond Charvet, dentiste, des médecins comme le docteur Emile Mercier.

Ils deviennent des chefs de secteurs.

Ils recrutent grâce aux structures existantes, les syndicats notamment dans les villes ouvrières comme Bellegarde ou Oyonnax, le parti communiste, et les lycéens… 

2 lycées fournissent d’importants contingents à la résistance. 

Le Lycée Xavier Bichat à Nantua et le lycée Lalande de Bourg en Bresse.

La résistance commence par de petites actions, dont l’objectif est de rallier la population à l’appel lancé par le général de Gaulle.

Les résistants racontent comme Robert Molinatti qu’ils distribuaient des journaux clandestins, FT Partisan, Combat, des tracts

Mais les effets de ces actions sont encore limités, l’opinion est toujours pour l’instant favorable à Vichy 

Mais dès 1942, le contexte change, et l’opinion commence à évoluer.

Il y a les rafles de juifs qui s’intensifient… 

10 000 juifs sont raflés 

Et la Zone sud est envahie après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942.

Ce qui fait basculer réellement l’opinion, c’est l’adoption en février 1943 de la fameuse loi sur le STO, le Service du travail Obligatoire.

Tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921,1922, 1923, 4 classes, sont requis pour aller travailler en Allemagne… 

Le département est l’un des premiers en France à voir émerger des manifestations de protestation.

Il y a des mouvements Ă  Bellegarde, Ă  Oyonnax, Ă  Bourg en Bresse les jeunes se rebellent.

Du fait de cette opposition, dans l’Ain, sur 1600 jeunes requis au STO, seuls 347 partent vers l’Allemagne.

Ceux qu’on appelle les réfractaires au STO, partent se cacher dans des fermes, mais ils deviennent si nombreux, qu’il leur faut bientôt d’autres infrastructures pour se cacher.


En mars 1943, 1 mois après l’instauration du STO, va naître le premier camp du maquis de l’Ain, installé sur ce lieu-dit -de la ferme de Chougeat- sur les hauteurs d’Oyonnax...

22 camps voient le jour, ils sont situés en moyenne montagne (à moins de 1500 m d’altitude), sur les hauteurs de Bourg-en Bresse, Bellegarde, Oyonnax…

Ces jeunes vivent dans des camps de fortune, sans logistique et ils n’ont pour la majorité aucune expérience militaire, et souvent très peu d’armes.

Comme le dit un autre ancien maquisard, Christian Simo: « on avait un fusil Lebel pour 5 bonhommes, on était mal habillés, on avait rien à bouffer », 

c’était vraiment le début du maquis.

Un homme, fraîchement arrivé dans l’Ain, va transformer en quelques mois ces camps éparpillés, en un maquis structuré, militarisé, et prêt à lancer des coups de main, des sabotages. 

Cet homme providentiel, s’appelle Henri Petit, il a 46 ans, son nom de code dans la résistance : Romans-Petit. 

Il a été recruté au printemps 1943 par l’Armée secrète.

Et il vient prospecter le département pour repérer ces petits groupes qui se forment.

Les chefs de la résistance ont confiance en lui, c’est un homme d’expérience, vétéran de la 1ère guerre Mondiale, il a fini sous-officier, avant un passage dans une école d’officier, et il a rejoint cette armée fraîchement créée, l’armée de l’air… il y a des clichés où on le voit piloter, c’est un aventurier.

Ses hommes soulignent son aura de chef, il est, comme le dit l’historien Gilles vergnon, un chef de maquis, un Seigneur de la guerre.

Pour militariser les camps, il s’entoure d’officiers et de sous-officiers, des hommes de caractère et surtout de confiance,

Noël Perrotot, officier d’infanterie, nommé chef des maquis nord du département,

et Henri Girousse, Saint-Cyrien, nommé chef du groupement sud.

Comme tout chef militaire, Romans impose une discipline, des rituels comme la montée des couleurs. Pour éviter les infiltrations, il créé un centre de tri, où les candidats au maquis sont interrogés, observés…

Romans cherche Ă  mettre en valeur ses maquis.

Et il réussit à provoquer un événement fondateur. Le 14 juillet 1943, Il a fait venir les chefs de la résistance de la zone sud, l’état-major de Lyon, sur le lieu-dit de la ferme de Terment.

Il existe d’ailleurs quelques photos, on voit Romans en tenue de capitaine de l’armée de l’air entouré par ses hommes, il y a l’état-major venu de Lyon, et ce jour là il est intronisé officiellement chef des maquis de l’Ain. 

Il faut des moments forts pour asseoir une légitimité et faire naître une légende.

Romans intronisé va maintenant aller chercher le soutien de la population locale. Sans l’aide de celle-ci le maquis ne peut durer…

Ce qu’il réussit, obtenant ainsi des vivres.

Tout une organisation logistique est mise en place pour acheminer les denrées agricoles. Certaines viennent de la Dombe, d’autres de la Bresse, il fait venir du blé, de la viande, du pain.

Au départ on utilise des chevaux, des ânes, puis ce sont des camions grâce au service GARAGE du maquis, les fameux camions Tardy.

Maintenant que le ravitaillement est assuré, Romans va pouvoir lancer sa 1ère opération commando, un raid très bien préparé…

…………………

Comme tous les chefs de maquis, Romans craint les désertions, en particulier dès que le froid de l’hiver se fait sentir.

Il convoque sa garde rapprochée : son objectif, faire main basse sur des stocks de matériels situés sur les chantiers de jeunesse d’Artemare. Une structure paramilitaire créée par Vichy.

le 10 sept 1943, Romans-petit s’infiltre avec une poignée d’hommes sur les chantiers de jeunesse d’Artemare… pour récupérer des chaussures, des vêtements neufs et s’équiper pour l’hiver.

L’opération est audacieuse. Avec du chloroforme, on endort les gendarmes, et les gardiens, et un groupe se charge du pillage des stocks.11 000 kilos de matériel… en 45 minutes, les équipes se dispersent, et foncent vers les camps du maquis afin de répartir le butin collecté.

Le maquis de l’Ain devient ainsi le mieux équipé de France, et il y a aura très peu de désertions saisonnières, contrairement à d’autres maquis, comme le Vercors, où en hiver, de nombreux jeunes se découragent et rentrent chez eux… 

….

Fin septembre 1943, tournant important, un petit bimoteur clandestin, un Hudson venu de Londres se pose sur un terrain secret de l’Ain, à son bord 2 émissaires spéciaux.

2 officiers alliés, Jean Rosenthal du BCRA, les services secrets de la France Libre et Richard Heslop, officier du SOE, les services secrets britanniques.

Ils inspectent la plupart des camps du maquis et leur rapport élogieux fait à Londres signifie, quelques semaines plus tard, le début des parachutages. 

La manne céleste tombe bientôt du ciel. 

Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des grenades, des explosifs.

Romans-Petit va mettre au point avec son état-major sa tactique, afin de débuter la lutte armée, et faire enfin le plus de tort aux Allemands…

……..

Sa tactique, c’est tout simplement la guérilla. Des actions coup de poing, avec de petits effectifs très mobiles. 

Il créé une école de cadres afin de « driller », d’instruire ses gars aux coups de main, en veillant aux décrochages rapides, à la mobilité.

Les opérations commandos vont se multiplier et faire de plus en plus de victimes. Entre 1943 et juin 1944, 44 allemands vont être tués par les maquisards de l’Ain, qui perdront aussi une soixantaine des leurs…

fin 1943, les hommes de Romans Petit sont 3500 … ils vont aussi exceller dans une autre forme de guerre, exigée par Londres…

C’est la bataille du rail.

Le sabotage des voies ferrées. Tous les chefs de secteur ont formé de petites unités baptisées “troupes spéciales insurrectionnelles”.

Il y aura des dizaines de sabotages chaque semaine, retardant la logistique des allemands…

……

Mais Romans-Petit veut marquer un grand coup symbolique, pour gagner les cœurs de la population, encore très influencée par les discours de Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy qui assimile les maquisards à des criminels, des voleurs…

...

Il y a une chose qui a son importance, c’est qu’il a été publicitaire, entre les 2 guerres. Il va mettre à profit son sens de la communication. 

Il choisit une date symbolique, pour organiser un événement -particulièrement audacieux en pleine occupation- et ainsi faire entrer son maquis dans la légende.


Nous sommes le 11 novembre, le jour qui commémore l’armistice de 1918 donc la défaite allemande. C’est une journée que Vichy ne veut pas commémorer. Vichy interdit toute manifestation…

Romans Petit veut au contraire en profiter pour faire en quelques sortes un coup médiatique. Il organise un défilé. Pour lequel il a tout planifié. 

Il a choisi Oyonnax, car il y a une certaine sympathie du commissaire de police, mais il y a une inconnue, la réaction allemande, la garnison la plus proche n’est qu’à 15 kms.

Le dispositif militaire de Romans est le suivant :

A Nantua des gendarmes, complices s’assurent que la voie est libre.

Une équipe de maquisards est déployée dans la ville pour assurer la sécurité.

Un autre groupe verrouille les 6 accès d’oyonnax,

Tandis que 130 hommes jaillissent de 6 camions et prennent place pour le défilé.

La population est surprise, mais des affiches l’ont alerté qu’un événement inédit allait se produire dans leur ville.


Il est midi Ă  Oyonnax, place de la Poste.

Le cortège s’élance.

ce sont les officiers qui sont en tête et qui tous deux portent la croix de Lorraine. 

Romans en grand uniforme avec toutes ses décorations est en tête. 

Derrière le chef, 2 clairons, 1 tambour et 3 sections d’infanterie avec les tenues rutilantes volées 2 mois plus tôt, aux chantiers de jeunesse d’Artemare.

Les habitants se sont très vite massés sur les côtés.

Il y a, au début, la surprise, 200 hommes déployés dans la ville avec musique militaire, c’est assez spectaculaire.

Puis dans un deuxième temps il y a la peur, la peur que tout cela n’attire la foudre…

Mais la foule applaudit, ovationne les soldats, lorsqu’Henri Girousse, le Saint Cyrien, le chef du groupement sud, harangue la foule, et crie comme le racontent les témoignages, « nous sommes le maquis, applaudissez nous, gueulez le peuple, gueulez ! » 

La troupe se dirige ensuite vers le monument aux morts, la garde aux drapeaux en tĂŞte.

L’émotion est immense lorsque Que Romans-Petit met l’ensemble au garde à vous. Et dépose, la gerbe en forme de croix de Lorraine avec cette phrase choc, qui va rester comme le symbole de cette journée :

“Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18”

Pour bien montrer que ceux qui ont défilé sont les héritiers des Français qui ont lutté et vaincu en 14.

Le dispositif remonte ensuite rapidement dans les camions et rejoint les différents camps de maquis, mais Romans Petit va s’emparer de cet événement pour lui donner un retentissement mondial, ses maquis de l’Ain vont entrer dans la légende…

………………………

Romans-Petit en fin tacticien a compris que la communication fait partie du combat, et pendant le défilé, il a fait prendre des photos et tourner un film destiné à être envoyé à Londres pour convaincre les alliés, les anglais et les Américains que les maquis, en particulier ceux l’Ain sont structurés, disciplinés, des troupes sur lesquelles on peut compter en somme.

Mais en attendant de toucher Londres, Romans veut prévenir toute la population française, de cet audacieux défilé qu’il a organisé à Oyonnax. 

Il va réussir à déjouer la censure, et à être relayé dans un grand quotidien lyonnais, le Nouvelliste 

L’idée de génie de la résistance, c’est de faire un faux nouvelliste qui sera distribué à 25 000 exemplaires, c’est un tour de force en termes d’impression… 

Ce faux numéro est acheminé vers les kiosques et permet de diffuser au moins à l’échelle régionale les images, les photos du défilé.

Dès lors, l’événement devient connu, Maurice Schuman en parlera sur les ondes de la BBC. 

L’Ain est devenu le symbole de la résistance qui sort progressivement de l’ombre et devient un contre-pouvoir à Vichy et un adversaire militaire de l’armée allemande…


Mais la foudre va finir par tomber sur le maquis de l’Ain.

Le lien est-il direct, on ne le sait pas.  

Un mois après le défilé, le 14 décembre 1943, débute la première grande représaille dans l’Ain. L’objectif est Nantua, à 20 kms d’Oyonnax. 

Un train arrive à Bellegarde à 07h30 du matin avec 400 soldats de la Wehrmacht. Ils font du porte à porte, pour arrêter les hommes de 18 à 40 ans. Le docteur Emile Mercier, le chef de l’armée secrète à Nantua, sans doute dénoncé, est arrêté en milieu de matinée ; il est emmené par la Gestapo vers Lyon et il est fusillé à une quinzaine de kilomètres juste après Bellegarde…

116 autres Nantuatiens sont déportés. Il y a un monument assez impressionnant, d’ailleurs, sur les berges du lac de Nantua.

95 de ces déportés ne reviendront jamais...

………..

Cette rafle n’est qu’un avertissement.

Deux mois plus tard, les Allemands décident d’en finir avec les maquis. Ils vont commencer par l’Ain en janvier 1944.

Le chef de la Sipo SD à Lyon, la gestapo et le commandant de la zone sud en France décident de nettoyer la France de ces bandes, de ces nids de terroristes donc de ces maquisards.

Une première opération est montée en février 1944 baptisée Kaporal

C’est la première grande opération contre les maquis en France… 

Les Allemands vont se servir de l’Ain -comme d’un laboratoire de lutte contre la résistance.

2500 hommes de la Wehrmacht, avec des unités de la SS, l’essentiel des effectifs provient de la 157ème Division de Réserve alpine commandée par le général Karl Pflaum.

Unité tristement célèbre dans le quart sud est de la France, puisqu’elle sévira aux Glières, et au Vercors.

Les Allemands encerclent deux zones, et ils vont toujours procéder ainsi : ils choisissent la zone d’Ambérieu et celle de Bellegarde. 

A l’intérieur des zones, les Allemands décrètent des mesures d’urgence.

Le téléphone est coupé, il y a un couvre-feu, et sont projetés -à l’intérieur des cercles- des commandos de chasse. Entre 50 et 100 soldats.

Cette traque dure 9 jours.

Mais l’opération Kaporal ne porte pas des coups encore très importants aux maquisards parce que les conditions climatiques, la neige- défavorisent les Allemands… et les maquisards qui connaissent mieux le terrain parviennent à déjouer l’encerclement.

40 personnes sont tuées dans cette opération, la plupart, comme souvent sont des civils…

En avril 1944, 2 mois après l’opération Kaporal, une deuxième offensive est lancée, baptisée cette fois “Frühling” qui signifie “printemps” en allemand.

La tactique est la même, les unités militaires encerclent une zone définie, à l’intérieur, sont propulsés des commandos de chasse, commandés cette fois par un certain Klaus Barbie

Klaus Barbie sillonne le département et procède à des arrestations, à des rafles. L’une des rafles qui lui est attribuée, a lieu le 6 mars 1944, dans la colonie de vacances d’Izieu. 44 enfants juifs et 7 encadrants sont déportés vers Auschwitz.

L’opération Frühling dure 11 jours et va coûter la vie à 120 français. 600 personnes sont arrêtées et déportées vers des camps de travail.

……………………………………

Le maquis va une nouvelle fois s’illustrer, pour l’un des sabotages les plus célèbres de la seconde guerre mondiale.

Il a lieu dans la nuit du 6 au 7 juin 1944.

C’est dans la nuit qui suit le débarquement en Normandie, mais l’opération n’est pas liée, elle était prévue bien avant.

Les hommes de Romans-petit ont un objectif précis :

le centre ferroviaire d’Ambérieu en Bugey, un dépôt stratégique: plus de 60 locomotives, des ateliers, des grues. Le tout gardé par 50 soldats allemands.

Le commando se met en place s’infiltre avec ses charges explosives. Il y a des maquisards, il y a des cheminots pour les guider, il y a de très jeunes volontaires, des enfants de troupes venus de l’école Militaire préparatoire d’Autun.

Pour créer la désorganisation parmi les gardes allemands, les maquisards font déclencher l’alarme de la défense passive. Les sirènes retentissent, la population fonce aux abris.

Ce qui laisse le champ libre au commando.

Et lorsque les explosions retentissent, on pense qu’un bombardement allié est en cours. 

L’opération est une très grande réussite. 52 locomotives et une plaque tournante sont détruites.

Le trafic ferroviaire va ĂŞtre interrompu pendant plusieurs jours, ce qui gĂŞne tout le transport et la logistique des Allemands.

Mais la guerre n’est pas terminée, même si une partie de la population le pense. 

Des maquisards en cette fin juin 1944 pratiquent ce qu’on appelle la Libération avant la Libération. 

Ils investissent les villes et proclament le retour de la IVème République… A la sous-préfecture de Nantua par exemple, on hisse le drapeau tricolore.

La législation de Vichy est abolie, mais cette libération anticipée n’est que de courte durée, le temps que les forces allemandes se repositionnent, et préparent une ultime offensive.

Les 10 juillet 1944, les Allemands passent à l’attaque, avec un bombardement aérien contre Oyonnax et Nantua.

C’est le début de la plus meurtrière des opérations allemandes : elle porte le nom de Treppenfeld

…..

En plus des troupes habituelles, il y a des renforts, des Cosaques, des troupes de l’est qui ont fait leurs armes sur le front russe, et pratiquent les mêmes méthodes : la terre brûlée, le viol de guerre et les exactions afin de terroriser toute une population jugée en grande majorité complice du maquis.

Ce déferlement de violence va cibler un village précis : Dortan, juste à côté d’Oyonnax. 

Dortan, comme le dit Gilles Vergnon, « c’est la version dans l’Ain de ce qu’on a à Vassieux ou à Oradour-sur-Glane, c’est à dire, destruction, exécutions massives sans aucune retenue ».

Dortan va être incendiée et va entièrement brûler parce qu’identifié comme un centre de la résistance !

Lors de cette opération, 6000 hommes sont propulsés sur le terrain pour anéantir les hommes de Romans Petit.

Le 19 juillet, l’opération Treppenfeld, 3ème et dernière action contre le maquis prend fin, non sans avoir ensanglanté tout le département.

Il y aura 350 français tués. Une moitié est constituée de maquisards, l’autre de civils. Les pertes sont aussi plus lourdes côté allemand. Ils ont 32 morts et 90 blessés. 

Les hommes de Romans se sont tapis dans les bois, laissant passer l’orage. Ça n’est qu’à partir du 15 août, et du nouveau débarquement allié, cette fois en Provence, qu’ils peuvent reprendre la lutte.

Ils sont désormais 7 000 hommes, et vont profiter de la retraite allemande pour s’emparer de villages, livrer des combats héroïques comme à Méximieux où ils font face à la 11ème Panzer Division, aux côtés des Américains.

L’ultime combat va avoir lieu aux portes de Bourg-en-Bresse, la préfecture et la plus importante ville du département de l’Ain. 

Les Allemands comprennent vite que leur combat est vain, et Bourg est libérée le 4 septembre 1944.

Une foule en liesse accueille les Américains et les héros du maquis,

Le drapeau tricolore flotte sur toutes les communes de l’Ain, Romans a conduit ses hommes à la victoire, il n’est pourtant pas au bout de ses surprises.

…………………

Le 17 septembre 1944, Romans Petit en tant que chef départemental des FFI est convoqué à Lyon par le nouveau commissaire de la République Yves Farge.

Farge se méfie des chefs de maquis, il craint qu’ils ne continuent à jouer les seigneurs de guerre…

Et là à la stupeur de la population de l’Ain, Romans est emprisonné au Fort de La Motte, et il fera plusieurs jours de prison.

Les hommes de Roman veulent monter une opération pour le sortir de prison les armes à la main. Romans s’y oppose prudemment. Et il est finalement libéré.

Après-guerre Henri Romans-Petit sera reconnu comme le chef incontesté des maquis de l’Ain et du Haut-Jura. Compagnon de la libération, grand officier de la légion d’honneur. Jusqu’à sa mort en 1980, il honorera chaque année la mémoire des 260 maquisards tués au combat, des 600 civils massacrés et des 1000 déportés, dont beaucoup ne reviendront jamais.


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📟 Texte et récit : Romain Clément

🎬 Compositions musicales et montage : Armel Joubert des Ouches

 Le Maquis de l’Ain

C’est l’un des maquis les plus méconnus de France - dont nous allons parler aujourd’hui- l’un de ceux qui a pourtant causé le plus de tort aux Allemands pendant la seconde guerre mondiale : le maquis de l’Ain.

Si vous circulez sur l’autoroute A 40, l’autoroute Blanche, après Bourg-en Bresse en direction de Genève, faites un crochet par Cerdon qui abrite cet imposant monument en hommage aux maquisards de l’Ain et du haut Jura.

L’ouvrage est gigantesque, avec cette femme élancée taillée à même la roche, et cette phrase : « Où je meurs, renaît la Patrie ».

Aux pieds de la statue, 89 tombes de maquisards ou de déportés.

Situé au nord de Lyon et à proximité de la Suisse, le maquis de l’Ain a rassemblé jusqu’à 7000 hommes, placés sous le commandement d’une figure, d’une légende, Henri Romans-Petit.

Romans-Petit va faire de ce département rural, de moins de 320 000 habitants, un haut-lieu de la lutte contre l’occupant allemand.

Il va créer 22 camps de maquis, 

6 pistes clandestines d’atterrissages.

100 terrains de parachutages.

Ce maquis devient l’un des plus important de France.

Il est structuré pour être le point de départ de centaines d’opérations commandos.

Si le maquis de l’Ain est entré dans l’histoire, c’est parce que pour la première fois, le 11 novembre 1943, la population française a découvert le vrai visage de la résistance, lors d’un défilé audacieux, en pleine occupation, au nez et à la barbe des Allemands.

200 hommes armés, en uniforme paradent dans les rues d’Oyonnax

Ce défilé va entraîner des représailles terribles. 3 opérations militaires ciblées, et des rafles menées par un certain Klaus Barbie

Des centaines de combattants, de civils vont périr. 

Voici l’histoire du maquis de l’Ain…

Mai 1940.

Les Français croient encore leur armée invincible. 

En 30 jours à peine, l’offensive éclair des troupes du Führer terrasse toutes les unités. 90 000 soldats français perdent la vie. C’est la débâcle.

Et sur les routes, 7 millions de civils, femmes, enfants, vieillards, fuient l’inexorable avancée du Reich…

Le département de l’Ain n’échappe pas à cet exode.

 Les Allemands vont s’attaquer à la plus importante ville du département, Bourg en Bresse, qui est aussi le dernier grand rempart avant Lyon...

Le 16 juin, un bombardement coûte la vie à 13 personnes, 25 autres sont blessées.

24 h plus tard, le 17 juin, estimant les combats perdus, le nouveau président du conseil s’adresse à toute la nation pour annoncer qu’il souhaite s’entendre avec l’ennemi...

Malgré l’armistice, une garnison stationnée dans l’Ain dans un ouvrage fortifié du XVIIème siècle va s’illustrer.

Cette unité est stationnée au Fort L’Ecluse. Comme le dit l’historien Fabrice Grenard, c’est « la porte d’entrée vers les Alpes », à quelques kilomètres de Bellegarde sur Valserine, à la frontière avec la Haute Savoie, dans ce qu’on appelle le pays de Gex

La garnison est commandée par le commandant Favre… qui refuse de se rendre.

Avec ses troupes alpines, ses sapeurs, ses pièces d’artilleries, il va résister à plusieurs assauts.

Le 3 juillet 1940, 11 jours après l’armistice, les hommes du Commandant Favre, encerclés par un ennemi bien supérieur en nombre finissent par se rendre, mais Fort L’Ecluse reste comme l’un des premiers actes de résistance en France …

Dès juillet 1940, la croix gammée flotte sur tout le département. L’Ain est rattaché à la zone dite “libre”, sous l’autorité de Vichy.

Les événements vont progressivement faire de l’Ain un secteur stratégique :

Comme le souligne l’historien militaire allemand Peter Lieb, ce département, qui n’est pas intéressant d’un point de vue économique pour les Allemands est cependant frontalier de la Suisse, et il est important pour les occupants d’en contrôler la frontière.

D’ailleurs le pays de GEX à l’est du département, est déclarée zone interdite. 4 à 5000 allemands y sont stationnés.

La Suisse, c’est le seul pays, où les juifs pouvaient éventuellement se réfugier. 

Le département devient aussi important parce qu’il est traversé par tous les trains au départ de Paris et en direction de Lyon, du sud de la France, ou même de l’Italie.

Et à l’époque, les voies stratégiques, ce sont les voies ferrées, beaucoup plus que les routes.

Mais en 1940, il est encore un peu tôt pour pouvoir nuire à la logistique allemande, s’attaquer à ces voies ferrées. 

…

Dès 1941, la résistance va développer ses propres réseaux dans l’Ain. 

Comme le rappelle l’historienne Florence Saint-Cyr, qui est aussi responsable du Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua se développent dans ce département, les 3 mouvements de résistance :  Combat d’henri frenay, le mouvement Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireurs de Jean-Pierre Lévy… 

Un personnage très important dans l’Ain c’est le général Charles Délestraint, qui au moment de la défaite de 1940 est mis en retraite et s’installe à Bourg en Bresse 

Le général Délestraint, devient le chef de l’Armée secrète. L’AS, c’est une structure nationale, une armée de l’ombre, prête à agir le moment venu.

Délestraint cherche des forces vives et pour recruter, il s’appuie sur plusieurs personnalités de l’Ain.

Des gens qui ont des carnets d’adresse, des notables souvent comme Bob Fornier, patron d’une brasserie, Raymond Charvet, dentiste, des médecins comme le docteur Emile Mercier.

Ils deviennent des chefs de secteurs.

Ils recrutent grâce aux structures existantes, les syndicats notamment dans les villes ouvrières comme Bellegarde ou Oyonnax, le parti communiste, et les lycéens… 

2 lycées fournissent d’importants contingents à la résistance. 

Le Lycée Xavier Bichat à Nantua et le lycée Lalande de Bourg en Bresse.

La résistance commence par de petites actions, dont l’objectif est de rallier la population à l’appel lancé par le général de Gaulle.

Les résistants racontent comme Robert Molinatti qu’ils distribuaient des journaux clandestins, FT Partisan, Combat, des tracts

Mais les effets de ces actions sont encore limités, l’opinion est toujours pour l’instant favorable à Vichy 

Mais dès 1942, le contexte change, et l’opinion commence à évoluer.

Il y a les rafles de juifs qui s’intensifient… 

10 000 juifs sont raflés 

Et la Zone sud est envahie après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942.

Ce qui fait basculer réellement l’opinion, c’est l’adoption en février 1943 de la fameuse loi sur le STO, le Service du travail Obligatoire.

Tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921,1922, 1923, 4 classes, sont requis pour aller travailler en Allemagne… 

Le département est l’un des premiers en France à voir émerger des manifestations de protestation.

Il y a des mouvements Ă  Bellegarde, Ă  Oyonnax, Ă  Bourg en Bresse les jeunes se rebellent.

Du fait de cette opposition, dans l’Ain, sur 1600 jeunes requis au STO, seuls 347 partent vers l’Allemagne.

Ceux qu’on appelle les réfractaires au STO, partent se cacher dans des fermes, mais ils deviennent si nombreux, qu’il leur faut bientôt d’autres infrastructures pour se cacher.


En mars 1943, 1 mois après l’instauration du STO, va naître le premier camp du maquis de l’Ain, installé sur ce lieu-dit -de la ferme de Chougeat- sur les hauteurs d’Oyonnax...

22 camps voient le jour, ils sont situés en moyenne montagne (à moins de 1500 m d’altitude), sur les hauteurs de Bourg-en Bresse, Bellegarde, Oyonnax…

Ces jeunes vivent dans des camps de fortune, sans logistique et ils n’ont pour la majorité aucune expérience militaire, et souvent très peu d’armes.

Comme le dit un autre ancien maquisard, Christian Simo: « on avait un fusil Lebel pour 5 bonhommes, on était mal habillés, on avait rien à bouffer », 

c’était vraiment le début du maquis.

Un homme, fraîchement arrivé dans l’Ain, va transformer en quelques mois ces camps éparpillés, en un maquis structuré, militarisé, et prêt à lancer des coups de main, des sabotages. 

Cet homme providentiel, s’appelle Henri Petit, il a 46 ans, son nom de code dans la résistance : Romans-Petit. 

Il a été recruté au printemps 1943 par l’Armée secrète.

Et il vient prospecter le département pour repérer ces petits groupes qui se forment.

Les chefs de la résistance ont confiance en lui, c’est un homme d’expérience, vétéran de la 1ère guerre Mondiale, il a fini sous-officier, avant un passage dans une école d’officier, et il a rejoint cette armée fraîchement créée, l’armée de l’air… il y a des clichés où on le voit piloter, c’est un aventurier.

Ses hommes soulignent son aura de chef, il est, comme le dit l’historien Gilles vergnon, un chef de maquis, un Seigneur de la guerre.

Pour militariser les camps, il s’entoure d’officiers et de sous-officiers, des hommes de caractère et surtout de confiance,

Noël Perrotot, officier d’infanterie, nommé chef des maquis nord du département,

et Henri Girousse, Saint-Cyrien, nommé chef du groupement sud.

Comme tout chef militaire, Romans impose une discipline, des rituels comme la montée des couleurs. Pour éviter les infiltrations, il créé un centre de tri, où les candidats au maquis sont interrogés, observés…

Romans cherche Ă  mettre en valeur ses maquis.

Et il réussit à provoquer un événement fondateur. Le 14 juillet 1943, Il a fait venir les chefs de la résistance de la zone sud, l’état-major de Lyon, sur le lieu-dit de la ferme de Terment.

Il existe d’ailleurs quelques photos, on voit Romans en tenue de capitaine de l’armée de l’air entouré par ses hommes, il y a l’état-major venu de Lyon, et ce jour là il est intronisé officiellement chef des maquis de l’Ain. 

Il faut des moments forts pour asseoir une légitimité et faire naître une légende.

Romans intronisé va maintenant aller chercher le soutien de la population locale. Sans l’aide de celle-ci le maquis ne peut durer…

Ce qu’il réussit, obtenant ainsi des vivres.

Tout une organisation logistique est mise en place pour acheminer les denrées agricoles. Certaines viennent de la Dombe, d’autres de la Bresse, il fait venir du blé, de la viande, du pain.

Au départ on utilise des chevaux, des ânes, puis ce sont des camions grâce au service GARAGE du maquis, les fameux camions Tardy.

Maintenant que le ravitaillement est assuré, Romans va pouvoir lancer sa 1ère opération commando, un raid très bien préparé…

…………………

Comme tous les chefs de maquis, Romans craint les désertions, en particulier dès que le froid de l’hiver se fait sentir.

Il convoque sa garde rapprochée : son objectif, faire main basse sur des stocks de matériels situés sur les chantiers de jeunesse d’Artemare. Une structure paramilitaire créée par Vichy.

le 10 sept 1943, Romans-petit s’infiltre avec une poignée d’hommes sur les chantiers de jeunesse d’Artemare… pour récupérer des chaussures, des vêtements neufs et s’équiper pour l’hiver.

L’opération est audacieuse. Avec du chloroforme, on endort les gendarmes, et les gardiens, et un groupe se charge du pillage des stocks.11 000 kilos de matériel… en 45 minutes, les équipes se dispersent, et foncent vers les camps du maquis afin de répartir le butin collecté.

Le maquis de l’Ain devient ainsi le mieux équipé de France, et il y a aura très peu de désertions saisonnières, contrairement à d’autres maquis, comme le Vercors, où en hiver, de nombreux jeunes se découragent et rentrent chez eux… 

….

Fin septembre 1943, tournant important, un petit bimoteur clandestin, un Hudson venu de Londres se pose sur un terrain secret de l’Ain, à son bord 2 émissaires spéciaux.

2 officiers alliés, Jean Rosenthal du BCRA, les services secrets de la France Libre et Richard Heslop, officier du SOE, les services secrets britanniques.

Ils inspectent la plupart des camps du maquis et leur rapport élogieux fait à Londres signifie, quelques semaines plus tard, le début des parachutages. 

La manne céleste tombe bientôt du ciel. 

Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des grenades, des explosifs.

Romans-Petit va mettre au point avec son état-major sa tactique, afin de débuter la lutte armée, et faire enfin le plus de tort aux Allemands…

……..

Sa tactique, c’est tout simplement la guérilla. Des actions coup de poing, avec de petits effectifs très mobiles. 

Il créé une école de cadres afin de « driller », d’instruire ses gars aux coups de main, en veillant aux décrochages rapides, à la mobilité.

Les opérations commandos vont se multiplier et faire de plus en plus de victimes. Entre 1943 et juin 1944, 44 allemands vont être tués par les maquisards de l’Ain, qui perdront aussi une soixantaine des leurs…

fin 1943, les hommes de Romans Petit sont 3500 … ils vont aussi exceller dans une autre forme de guerre, exigée par Londres…

C’est la bataille du rail.

Le sabotage des voies ferrées. Tous les chefs de secteur ont formé de petites unités baptisées “troupes spéciales insurrectionnelles”.

Il y aura des dizaines de sabotages chaque semaine, retardant la logistique des allemands…

……

Mais Romans-Petit veut marquer un grand coup symbolique, pour gagner les cœurs de la population, encore très influencée par les discours de Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy qui assimile les maquisards à des criminels, des voleurs…

...

Il y a une chose qui a son importance, c’est qu’il a été publicitaire, entre les 2 guerres. Il va mettre à profit son sens de la communication. 

Il choisit une date symbolique, pour organiser un événement -particulièrement audacieux en pleine occupation- et ainsi faire entrer son maquis dans la légende.


Nous sommes le 11 novembre, le jour qui commémore l’armistice de 1918 donc la défaite allemande. C’est une journée que Vichy ne veut pas commémorer. Vichy interdit toute manifestation…

Romans Petit veut au contraire en profiter pour faire en quelques sortes un coup médiatique. Il organise un défilé. Pour lequel il a tout planifié. 

Il a choisi Oyonnax, car il y a une certaine sympathie du commissaire de police, mais il y a une inconnue, la réaction allemande, la garnison la plus proche n’est qu’à 15 kms.

Le dispositif militaire de Romans est le suivant :

A Nantua des gendarmes, complices s’assurent que la voie est libre.

Une équipe de maquisards est déployée dans la ville pour assurer la sécurité.

Un autre groupe verrouille les 6 accès d’oyonnax,

Tandis que 130 hommes jaillissent de 6 camions et prennent place pour le défilé.

La population est surprise, mais des affiches l’ont alerté qu’un événement inédit allait se produire dans leur ville.


Il est midi Ă  Oyonnax, place de la Poste.

Le cortège s’élance.

ce sont les officiers qui sont en tête et qui tous deux portent la croix de Lorraine. 

Romans en grand uniforme avec toutes ses décorations est en tête. 

Derrière le chef, 2 clairons, 1 tambour et 3 sections d’infanterie avec les tenues rutilantes volées 2 mois plus tôt, aux chantiers de jeunesse d’Artemare.

Les habitants se sont très vite massés sur les côtés.

Il y a, au début, la surprise, 200 hommes déployés dans la ville avec musique militaire, c’est assez spectaculaire.

Puis dans un deuxième temps il y a la peur, la peur que tout cela n’attire la foudre…

Mais la foule applaudit, ovationne les soldats, lorsqu’Henri Girousse, le Saint Cyrien, le chef du groupement sud, harangue la foule, et crie comme le racontent les témoignages, « nous sommes le maquis, applaudissez nous, gueulez le peuple, gueulez ! » 

La troupe se dirige ensuite vers le monument aux morts, la garde aux drapeaux en tĂŞte.

L’émotion est immense lorsque Que Romans-Petit met l’ensemble au garde à vous. Et dépose, la gerbe en forme de croix de Lorraine avec cette phrase choc, qui va rester comme le symbole de cette journée :

“Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18”

Pour bien montrer que ceux qui ont défilé sont les héritiers des Français qui ont lutté et vaincu en 14.

Le dispositif remonte ensuite rapidement dans les camions et rejoint les différents camps de maquis, mais Romans Petit va s’emparer de cet événement pour lui donner un retentissement mondial, ses maquis de l’Ain vont entrer dans la légende…

………………………

Romans-Petit en fin tacticien a compris que la communication fait partie du combat, et pendant le défilé, il a fait prendre des photos et tourner un film destiné à être envoyé à Londres pour convaincre les alliés, les anglais et les Américains que les maquis, en particulier ceux l’Ain sont structurés, disciplinés, des troupes sur lesquelles on peut compter en somme.

Mais en attendant de toucher Londres, Romans veut prévenir toute la population française, de cet audacieux défilé qu’il a organisé à Oyonnax. 

Il va réussir à déjouer la censure, et à être relayé dans un grand quotidien lyonnais, le Nouvelliste 

L’idée de génie de la résistance, c’est de faire un faux nouvelliste qui sera distribué à 25 000 exemplaires, c’est un tour de force en termes d’impression… 

Ce faux numéro est acheminé vers les kiosques et permet de diffuser au moins à l’échelle régionale les images, les photos du défilé.

Dès lors, l’événement devient connu, Maurice Schuman en parlera sur les ondes de la BBC. 

L’Ain est devenu le symbole de la résistance qui sort progressivement de l’ombre et devient un contre-pouvoir à Vichy et un adversaire militaire de l’armée allemande…


Mais la foudre va finir par tomber sur le maquis de l’Ain.

Le lien est-il direct, on ne le sait pas.  

Un mois après le défilé, le 14 décembre 1943, débute la première grande représaille dans l’Ain. L’objectif est Nantua, à 20 kms d’Oyonnax. 

Un train arrive à Bellegarde à 07h30 du matin avec 400 soldats de la Wehrmacht. Ils font du porte à porte, pour arrêter les hommes de 18 à 40 ans. Le docteur Emile Mercier, le chef de l’armée secrète à Nantua, sans doute dénoncé, est arrêté en milieu de matinée ; il est emmené par la Gestapo vers Lyon et il est fusillé à une quinzaine de kilomètres juste après Bellegarde…

116 autres Nantuatiens sont déportés. Il y a un monument assez impressionnant, d’ailleurs, sur les berges du lac de Nantua.

95 de ces déportés ne reviendront jamais...

………..

Cette rafle n’est qu’un avertissement.

Deux mois plus tard, les Allemands décident d’en finir avec les maquis. Ils vont commencer par l’Ain en janvier 1944.

Le chef de la Sipo SD à Lyon, la gestapo et le commandant de la zone sud en France décident de nettoyer la France de ces bandes, de ces nids de terroristes donc de ces maquisards.

Une première opération est montée en février 1944 baptisée Kaporal

C’est la première grande opération contre les maquis en France… 

Les Allemands vont se servir de l’Ain -comme d’un laboratoire de lutte contre la résistance.

2500 hommes de la Wehrmacht, avec des unités de la SS, l’essentiel des effectifs provient de la 157ème Division de Réserve alpine commandée par le général Karl Pflaum.

Unité tristement célèbre dans le quart sud est de la France, puisqu’elle sévira aux Glières, et au Vercors.

Les Allemands encerclent deux zones, et ils vont toujours procéder ainsi : ils choisissent la zone d’Ambérieu et celle de Bellegarde. 

A l’intérieur des zones, les Allemands décrètent des mesures d’urgence.

Le téléphone est coupé, il y a un couvre-feu, et sont projetés -à l’intérieur des cercles- des commandos de chasse. Entre 50 et 100 soldats.

Cette traque dure 9 jours.

Mais l’opération Kaporal ne porte pas des coups encore très importants aux maquisards parce que les conditions climatiques, la neige- défavorisent les Allemands… et les maquisards qui connaissent mieux le terrain parviennent à déjouer l’encerclement.

40 personnes sont tuées dans cette opération, la plupart, comme souvent sont des civils…

En avril 1944, 2 mois après l’opération Kaporal, une deuxième offensive est lancée, baptisée cette fois “Frühling” qui signifie “printemps” en allemand.

La tactique est la même, les unités militaires encerclent une zone définie, à l’intérieur, sont propulsés des commandos de chasse, commandés cette fois par un certain Klaus Barbie

Klaus Barbie sillonne le département et procède à des arrestations, à des rafles. L’une des rafles qui lui est attribuée, a lieu le 6 mars 1944, dans la colonie de vacances d’Izieu. 44 enfants juifs et 7 encadrants sont déportés vers Auschwitz.

L’opération Frühling dure 11 jours et va coûter la vie à 120 français. 600 personnes sont arrêtées et déportées vers des camps de travail.

……………………………………

Le maquis va une nouvelle fois s’illustrer, pour l’un des sabotages les plus célèbres de la seconde guerre mondiale.

Il a lieu dans la nuit du 6 au 7 juin 1944.

C’est dans la nuit qui suit le débarquement en Normandie, mais l’opération n’est pas liée, elle était prévue bien avant.

Les hommes de Romans-petit ont un objectif précis :

le centre ferroviaire d’Ambérieu en Bugey, un dépôt stratégique: plus de 60 locomotives, des ateliers, des grues. Le tout gardé par 50 soldats allemands.

Le commando se met en place s’infiltre avec ses charges explosives. Il y a des maquisards, il y a des cheminots pour les guider, il y a de très jeunes volontaires, des enfants de troupes venus de l’école Militaire préparatoire d’Autun.

Pour créer la désorganisation parmi les gardes allemands, les maquisards font déclencher l’alarme de la défense passive. Les sirènes retentissent, la population fonce aux abris.

Ce qui laisse le champ libre au commando.

Et lorsque les explosions retentissent, on pense qu’un bombardement allié est en cours. 

L’opération est une très grande réussite. 52 locomotives et une plaque tournante sont détruites.

Le trafic ferroviaire va ĂŞtre interrompu pendant plusieurs jours, ce qui gĂŞne tout le transport et la logistique des Allemands.

Mais la guerre n’est pas terminée, même si une partie de la population le pense. 

Des maquisards en cette fin juin 1944 pratiquent ce qu’on appelle la Libération avant la Libération. 

Ils investissent les villes et proclament le retour de la IVème République… A la sous-préfecture de Nantua par exemple, on hisse le drapeau tricolore.

La législation de Vichy est abolie, mais cette libération anticipée n’est que de courte durée, le temps que les forces allemandes se repositionnent, et préparent une ultime offensive.

Les 10 juillet 1944, les Allemands passent à l’attaque, avec un bombardement aérien contre Oyonnax et Nantua.

C’est le début de la plus meurtrière des opérations allemandes : elle porte le nom de Treppenfeld

…..

En plus des troupes habituelles, il y a des renforts, des Cosaques, des troupes de l’est qui ont fait leurs armes sur le front russe, et pratiquent les mêmes méthodes : la terre brûlée, le viol de guerre et les exactions afin de terroriser toute une population jugée en grande majorité complice du maquis.

Ce déferlement de violence va cibler un village précis : Dortan, juste à côté d’Oyonnax. 

Dortan, comme le dit Gilles Vergnon, « c’est la version dans l’Ain de ce qu’on a à Vassieux ou à Oradour-sur-Glane, c’est à dire, destruction, exécutions massives sans aucune retenue ».

Dortan va être incendiée et va entièrement brûler parce qu’identifié comme un centre de la résistance !

Lors de cette opération, 6000 hommes sont propulsés sur le terrain pour anéantir les hommes de Romans Petit.

Le 19 juillet, l’opération Treppenfeld, 3ème et dernière action contre le maquis prend fin, non sans avoir ensanglanté tout le département.

Il y aura 350 français tués. Une moitié est constituée de maquisards, l’autre de civils. Les pertes sont aussi plus lourdes côté allemand. Ils ont 32 morts et 90 blessés. 

Les hommes de Romans se sont tapis dans les bois, laissant passer l’orage. Ça n’est qu’à partir du 15 août, et du nouveau débarquement allié, cette fois en Provence, qu’ils peuvent reprendre la lutte.

Ils sont désormais 7 000 hommes, et vont profiter de la retraite allemande pour s’emparer de villages, livrer des combats héroïques comme à Méximieux où ils font face à la 11ème Panzer Division, aux côtés des Américains.

L’ultime combat va avoir lieu aux portes de Bourg-en-Bresse, la préfecture et la plus importante ville du département de l’Ain. 

Les Allemands comprennent vite que leur combat est vain, et Bourg est libérée le 4 septembre 1944.

Une foule en liesse accueille les Américains et les héros du maquis,

Le drapeau tricolore flotte sur toutes les communes de l’Ain, Romans a conduit ses hommes à la victoire, il n’est pourtant pas au bout de ses surprises.

…………………

Le 17 septembre 1944, Romans Petit en tant que chef départemental des FFI est convoqué à Lyon par le nouveau commissaire de la République Yves Farge.

Farge se méfie des chefs de maquis, il craint qu’ils ne continuent à jouer les seigneurs de guerre…

Et là à la stupeur de la population de l’Ain, Romans est emprisonné au Fort de La Motte, et il fera plusieurs jours de prison.

Les hommes de Roman veulent monter une opération pour le sortir de prison les armes à la main. Romans s’y oppose prudemment. Et il est finalement libéré.

Après-guerre Henri Romans-Petit sera reconnu comme le chef incontesté des maquis de l’Ain et du Haut-Jura. Compagnon de la libération, grand officier de la légion d’honneur. Jusqu’à sa mort en 1980, il honorera chaque année la mémoire des 260 maquisards tués au combat, des 600 civils massacrés et des 1000 déportés, dont beaucoup ne reviendront jamais.


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Description

📟 Texte et récit : Romain Clément

🎬 Compositions musicales et montage : Armel Joubert des Ouches

 Le Maquis de l’Ain

C’est l’un des maquis les plus méconnus de France - dont nous allons parler aujourd’hui- l’un de ceux qui a pourtant causé le plus de tort aux Allemands pendant la seconde guerre mondiale : le maquis de l’Ain.

Si vous circulez sur l’autoroute A 40, l’autoroute Blanche, après Bourg-en Bresse en direction de Genève, faites un crochet par Cerdon qui abrite cet imposant monument en hommage aux maquisards de l’Ain et du haut Jura.

L’ouvrage est gigantesque, avec cette femme élancée taillée à même la roche, et cette phrase : « Où je meurs, renaît la Patrie ».

Aux pieds de la statue, 89 tombes de maquisards ou de déportés.

Situé au nord de Lyon et à proximité de la Suisse, le maquis de l’Ain a rassemblé jusqu’à 7000 hommes, placés sous le commandement d’une figure, d’une légende, Henri Romans-Petit.

Romans-Petit va faire de ce département rural, de moins de 320 000 habitants, un haut-lieu de la lutte contre l’occupant allemand.

Il va créer 22 camps de maquis, 

6 pistes clandestines d’atterrissages.

100 terrains de parachutages.

Ce maquis devient l’un des plus important de France.

Il est structuré pour être le point de départ de centaines d’opérations commandos.

Si le maquis de l’Ain est entré dans l’histoire, c’est parce que pour la première fois, le 11 novembre 1943, la population française a découvert le vrai visage de la résistance, lors d’un défilé audacieux, en pleine occupation, au nez et à la barbe des Allemands.

200 hommes armés, en uniforme paradent dans les rues d’Oyonnax

Ce défilé va entraîner des représailles terribles. 3 opérations militaires ciblées, et des rafles menées par un certain Klaus Barbie

Des centaines de combattants, de civils vont périr. 

Voici l’histoire du maquis de l’Ain…

Mai 1940.

Les Français croient encore leur armée invincible. 

En 30 jours à peine, l’offensive éclair des troupes du Führer terrasse toutes les unités. 90 000 soldats français perdent la vie. C’est la débâcle.

Et sur les routes, 7 millions de civils, femmes, enfants, vieillards, fuient l’inexorable avancée du Reich…

Le département de l’Ain n’échappe pas à cet exode.

 Les Allemands vont s’attaquer à la plus importante ville du département, Bourg en Bresse, qui est aussi le dernier grand rempart avant Lyon...

Le 16 juin, un bombardement coûte la vie à 13 personnes, 25 autres sont blessées.

24 h plus tard, le 17 juin, estimant les combats perdus, le nouveau président du conseil s’adresse à toute la nation pour annoncer qu’il souhaite s’entendre avec l’ennemi...

Malgré l’armistice, une garnison stationnée dans l’Ain dans un ouvrage fortifié du XVIIème siècle va s’illustrer.

Cette unité est stationnée au Fort L’Ecluse. Comme le dit l’historien Fabrice Grenard, c’est « la porte d’entrée vers les Alpes », à quelques kilomètres de Bellegarde sur Valserine, à la frontière avec la Haute Savoie, dans ce qu’on appelle le pays de Gex

La garnison est commandée par le commandant Favre… qui refuse de se rendre.

Avec ses troupes alpines, ses sapeurs, ses pièces d’artilleries, il va résister à plusieurs assauts.

Le 3 juillet 1940, 11 jours après l’armistice, les hommes du Commandant Favre, encerclés par un ennemi bien supérieur en nombre finissent par se rendre, mais Fort L’Ecluse reste comme l’un des premiers actes de résistance en France …

Dès juillet 1940, la croix gammée flotte sur tout le département. L’Ain est rattaché à la zone dite “libre”, sous l’autorité de Vichy.

Les événements vont progressivement faire de l’Ain un secteur stratégique :

Comme le souligne l’historien militaire allemand Peter Lieb, ce département, qui n’est pas intéressant d’un point de vue économique pour les Allemands est cependant frontalier de la Suisse, et il est important pour les occupants d’en contrôler la frontière.

D’ailleurs le pays de GEX à l’est du département, est déclarée zone interdite. 4 à 5000 allemands y sont stationnés.

La Suisse, c’est le seul pays, où les juifs pouvaient éventuellement se réfugier. 

Le département devient aussi important parce qu’il est traversé par tous les trains au départ de Paris et en direction de Lyon, du sud de la France, ou même de l’Italie.

Et à l’époque, les voies stratégiques, ce sont les voies ferrées, beaucoup plus que les routes.

Mais en 1940, il est encore un peu tôt pour pouvoir nuire à la logistique allemande, s’attaquer à ces voies ferrées. 

…

Dès 1941, la résistance va développer ses propres réseaux dans l’Ain. 

Comme le rappelle l’historienne Florence Saint-Cyr, qui est aussi responsable du Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua se développent dans ce département, les 3 mouvements de résistance :  Combat d’henri frenay, le mouvement Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireurs de Jean-Pierre Lévy… 

Un personnage très important dans l’Ain c’est le général Charles Délestraint, qui au moment de la défaite de 1940 est mis en retraite et s’installe à Bourg en Bresse 

Le général Délestraint, devient le chef de l’Armée secrète. L’AS, c’est une structure nationale, une armée de l’ombre, prête à agir le moment venu.

Délestraint cherche des forces vives et pour recruter, il s’appuie sur plusieurs personnalités de l’Ain.

Des gens qui ont des carnets d’adresse, des notables souvent comme Bob Fornier, patron d’une brasserie, Raymond Charvet, dentiste, des médecins comme le docteur Emile Mercier.

Ils deviennent des chefs de secteurs.

Ils recrutent grâce aux structures existantes, les syndicats notamment dans les villes ouvrières comme Bellegarde ou Oyonnax, le parti communiste, et les lycéens… 

2 lycées fournissent d’importants contingents à la résistance. 

Le Lycée Xavier Bichat à Nantua et le lycée Lalande de Bourg en Bresse.

La résistance commence par de petites actions, dont l’objectif est de rallier la population à l’appel lancé par le général de Gaulle.

Les résistants racontent comme Robert Molinatti qu’ils distribuaient des journaux clandestins, FT Partisan, Combat, des tracts

Mais les effets de ces actions sont encore limités, l’opinion est toujours pour l’instant favorable à Vichy 

Mais dès 1942, le contexte change, et l’opinion commence à évoluer.

Il y a les rafles de juifs qui s’intensifient… 

10 000 juifs sont raflés 

Et la Zone sud est envahie après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942.

Ce qui fait basculer réellement l’opinion, c’est l’adoption en février 1943 de la fameuse loi sur le STO, le Service du travail Obligatoire.

Tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921,1922, 1923, 4 classes, sont requis pour aller travailler en Allemagne… 

Le département est l’un des premiers en France à voir émerger des manifestations de protestation.

Il y a des mouvements Ă  Bellegarde, Ă  Oyonnax, Ă  Bourg en Bresse les jeunes se rebellent.

Du fait de cette opposition, dans l’Ain, sur 1600 jeunes requis au STO, seuls 347 partent vers l’Allemagne.

Ceux qu’on appelle les réfractaires au STO, partent se cacher dans des fermes, mais ils deviennent si nombreux, qu’il leur faut bientôt d’autres infrastructures pour se cacher.


En mars 1943, 1 mois après l’instauration du STO, va naître le premier camp du maquis de l’Ain, installé sur ce lieu-dit -de la ferme de Chougeat- sur les hauteurs d’Oyonnax...

22 camps voient le jour, ils sont situés en moyenne montagne (à moins de 1500 m d’altitude), sur les hauteurs de Bourg-en Bresse, Bellegarde, Oyonnax…

Ces jeunes vivent dans des camps de fortune, sans logistique et ils n’ont pour la majorité aucune expérience militaire, et souvent très peu d’armes.

Comme le dit un autre ancien maquisard, Christian Simo: « on avait un fusil Lebel pour 5 bonhommes, on était mal habillés, on avait rien à bouffer », 

c’était vraiment le début du maquis.

Un homme, fraîchement arrivé dans l’Ain, va transformer en quelques mois ces camps éparpillés, en un maquis structuré, militarisé, et prêt à lancer des coups de main, des sabotages. 

Cet homme providentiel, s’appelle Henri Petit, il a 46 ans, son nom de code dans la résistance : Romans-Petit. 

Il a été recruté au printemps 1943 par l’Armée secrète.

Et il vient prospecter le département pour repérer ces petits groupes qui se forment.

Les chefs de la résistance ont confiance en lui, c’est un homme d’expérience, vétéran de la 1ère guerre Mondiale, il a fini sous-officier, avant un passage dans une école d’officier, et il a rejoint cette armée fraîchement créée, l’armée de l’air… il y a des clichés où on le voit piloter, c’est un aventurier.

Ses hommes soulignent son aura de chef, il est, comme le dit l’historien Gilles vergnon, un chef de maquis, un Seigneur de la guerre.

Pour militariser les camps, il s’entoure d’officiers et de sous-officiers, des hommes de caractère et surtout de confiance,

Noël Perrotot, officier d’infanterie, nommé chef des maquis nord du département,

et Henri Girousse, Saint-Cyrien, nommé chef du groupement sud.

Comme tout chef militaire, Romans impose une discipline, des rituels comme la montée des couleurs. Pour éviter les infiltrations, il créé un centre de tri, où les candidats au maquis sont interrogés, observés…

Romans cherche Ă  mettre en valeur ses maquis.

Et il réussit à provoquer un événement fondateur. Le 14 juillet 1943, Il a fait venir les chefs de la résistance de la zone sud, l’état-major de Lyon, sur le lieu-dit de la ferme de Terment.

Il existe d’ailleurs quelques photos, on voit Romans en tenue de capitaine de l’armée de l’air entouré par ses hommes, il y a l’état-major venu de Lyon, et ce jour là il est intronisé officiellement chef des maquis de l’Ain. 

Il faut des moments forts pour asseoir une légitimité et faire naître une légende.

Romans intronisé va maintenant aller chercher le soutien de la population locale. Sans l’aide de celle-ci le maquis ne peut durer…

Ce qu’il réussit, obtenant ainsi des vivres.

Tout une organisation logistique est mise en place pour acheminer les denrées agricoles. Certaines viennent de la Dombe, d’autres de la Bresse, il fait venir du blé, de la viande, du pain.

Au départ on utilise des chevaux, des ânes, puis ce sont des camions grâce au service GARAGE du maquis, les fameux camions Tardy.

Maintenant que le ravitaillement est assuré, Romans va pouvoir lancer sa 1ère opération commando, un raid très bien préparé…

…………………

Comme tous les chefs de maquis, Romans craint les désertions, en particulier dès que le froid de l’hiver se fait sentir.

Il convoque sa garde rapprochée : son objectif, faire main basse sur des stocks de matériels situés sur les chantiers de jeunesse d’Artemare. Une structure paramilitaire créée par Vichy.

le 10 sept 1943, Romans-petit s’infiltre avec une poignée d’hommes sur les chantiers de jeunesse d’Artemare… pour récupérer des chaussures, des vêtements neufs et s’équiper pour l’hiver.

L’opération est audacieuse. Avec du chloroforme, on endort les gendarmes, et les gardiens, et un groupe se charge du pillage des stocks.11 000 kilos de matériel… en 45 minutes, les équipes se dispersent, et foncent vers les camps du maquis afin de répartir le butin collecté.

Le maquis de l’Ain devient ainsi le mieux équipé de France, et il y a aura très peu de désertions saisonnières, contrairement à d’autres maquis, comme le Vercors, où en hiver, de nombreux jeunes se découragent et rentrent chez eux… 

….

Fin septembre 1943, tournant important, un petit bimoteur clandestin, un Hudson venu de Londres se pose sur un terrain secret de l’Ain, à son bord 2 émissaires spéciaux.

2 officiers alliés, Jean Rosenthal du BCRA, les services secrets de la France Libre et Richard Heslop, officier du SOE, les services secrets britanniques.

Ils inspectent la plupart des camps du maquis et leur rapport élogieux fait à Londres signifie, quelques semaines plus tard, le début des parachutages. 

La manne céleste tombe bientôt du ciel. 

Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des grenades, des explosifs.

Romans-Petit va mettre au point avec son état-major sa tactique, afin de débuter la lutte armée, et faire enfin le plus de tort aux Allemands…

……..

Sa tactique, c’est tout simplement la guérilla. Des actions coup de poing, avec de petits effectifs très mobiles. 

Il créé une école de cadres afin de « driller », d’instruire ses gars aux coups de main, en veillant aux décrochages rapides, à la mobilité.

Les opérations commandos vont se multiplier et faire de plus en plus de victimes. Entre 1943 et juin 1944, 44 allemands vont être tués par les maquisards de l’Ain, qui perdront aussi une soixantaine des leurs…

fin 1943, les hommes de Romans Petit sont 3500 … ils vont aussi exceller dans une autre forme de guerre, exigée par Londres…

C’est la bataille du rail.

Le sabotage des voies ferrées. Tous les chefs de secteur ont formé de petites unités baptisées “troupes spéciales insurrectionnelles”.

Il y aura des dizaines de sabotages chaque semaine, retardant la logistique des allemands…

……

Mais Romans-Petit veut marquer un grand coup symbolique, pour gagner les cœurs de la population, encore très influencée par les discours de Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy qui assimile les maquisards à des criminels, des voleurs…

...

Il y a une chose qui a son importance, c’est qu’il a été publicitaire, entre les 2 guerres. Il va mettre à profit son sens de la communication. 

Il choisit une date symbolique, pour organiser un événement -particulièrement audacieux en pleine occupation- et ainsi faire entrer son maquis dans la légende.


Nous sommes le 11 novembre, le jour qui commémore l’armistice de 1918 donc la défaite allemande. C’est une journée que Vichy ne veut pas commémorer. Vichy interdit toute manifestation…

Romans Petit veut au contraire en profiter pour faire en quelques sortes un coup médiatique. Il organise un défilé. Pour lequel il a tout planifié. 

Il a choisi Oyonnax, car il y a une certaine sympathie du commissaire de police, mais il y a une inconnue, la réaction allemande, la garnison la plus proche n’est qu’à 15 kms.

Le dispositif militaire de Romans est le suivant :

A Nantua des gendarmes, complices s’assurent que la voie est libre.

Une équipe de maquisards est déployée dans la ville pour assurer la sécurité.

Un autre groupe verrouille les 6 accès d’oyonnax,

Tandis que 130 hommes jaillissent de 6 camions et prennent place pour le défilé.

La population est surprise, mais des affiches l’ont alerté qu’un événement inédit allait se produire dans leur ville.


Il est midi Ă  Oyonnax, place de la Poste.

Le cortège s’élance.

ce sont les officiers qui sont en tête et qui tous deux portent la croix de Lorraine. 

Romans en grand uniforme avec toutes ses décorations est en tête. 

Derrière le chef, 2 clairons, 1 tambour et 3 sections d’infanterie avec les tenues rutilantes volées 2 mois plus tôt, aux chantiers de jeunesse d’Artemare.

Les habitants se sont très vite massés sur les côtés.

Il y a, au début, la surprise, 200 hommes déployés dans la ville avec musique militaire, c’est assez spectaculaire.

Puis dans un deuxième temps il y a la peur, la peur que tout cela n’attire la foudre…

Mais la foule applaudit, ovationne les soldats, lorsqu’Henri Girousse, le Saint Cyrien, le chef du groupement sud, harangue la foule, et crie comme le racontent les témoignages, « nous sommes le maquis, applaudissez nous, gueulez le peuple, gueulez ! » 

La troupe se dirige ensuite vers le monument aux morts, la garde aux drapeaux en tĂŞte.

L’émotion est immense lorsque Que Romans-Petit met l’ensemble au garde à vous. Et dépose, la gerbe en forme de croix de Lorraine avec cette phrase choc, qui va rester comme le symbole de cette journée :

“Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18”

Pour bien montrer que ceux qui ont défilé sont les héritiers des Français qui ont lutté et vaincu en 14.

Le dispositif remonte ensuite rapidement dans les camions et rejoint les différents camps de maquis, mais Romans Petit va s’emparer de cet événement pour lui donner un retentissement mondial, ses maquis de l’Ain vont entrer dans la légende…

………………………

Romans-Petit en fin tacticien a compris que la communication fait partie du combat, et pendant le défilé, il a fait prendre des photos et tourner un film destiné à être envoyé à Londres pour convaincre les alliés, les anglais et les Américains que les maquis, en particulier ceux l’Ain sont structurés, disciplinés, des troupes sur lesquelles on peut compter en somme.

Mais en attendant de toucher Londres, Romans veut prévenir toute la population française, de cet audacieux défilé qu’il a organisé à Oyonnax. 

Il va réussir à déjouer la censure, et à être relayé dans un grand quotidien lyonnais, le Nouvelliste 

L’idée de génie de la résistance, c’est de faire un faux nouvelliste qui sera distribué à 25 000 exemplaires, c’est un tour de force en termes d’impression… 

Ce faux numéro est acheminé vers les kiosques et permet de diffuser au moins à l’échelle régionale les images, les photos du défilé.

Dès lors, l’événement devient connu, Maurice Schuman en parlera sur les ondes de la BBC. 

L’Ain est devenu le symbole de la résistance qui sort progressivement de l’ombre et devient un contre-pouvoir à Vichy et un adversaire militaire de l’armée allemande…


Mais la foudre va finir par tomber sur le maquis de l’Ain.

Le lien est-il direct, on ne le sait pas.  

Un mois après le défilé, le 14 décembre 1943, débute la première grande représaille dans l’Ain. L’objectif est Nantua, à 20 kms d’Oyonnax. 

Un train arrive à Bellegarde à 07h30 du matin avec 400 soldats de la Wehrmacht. Ils font du porte à porte, pour arrêter les hommes de 18 à 40 ans. Le docteur Emile Mercier, le chef de l’armée secrète à Nantua, sans doute dénoncé, est arrêté en milieu de matinée ; il est emmené par la Gestapo vers Lyon et il est fusillé à une quinzaine de kilomètres juste après Bellegarde…

116 autres Nantuatiens sont déportés. Il y a un monument assez impressionnant, d’ailleurs, sur les berges du lac de Nantua.

95 de ces déportés ne reviendront jamais...

………..

Cette rafle n’est qu’un avertissement.

Deux mois plus tard, les Allemands décident d’en finir avec les maquis. Ils vont commencer par l’Ain en janvier 1944.

Le chef de la Sipo SD à Lyon, la gestapo et le commandant de la zone sud en France décident de nettoyer la France de ces bandes, de ces nids de terroristes donc de ces maquisards.

Une première opération est montée en février 1944 baptisée Kaporal

C’est la première grande opération contre les maquis en France… 

Les Allemands vont se servir de l’Ain -comme d’un laboratoire de lutte contre la résistance.

2500 hommes de la Wehrmacht, avec des unités de la SS, l’essentiel des effectifs provient de la 157ème Division de Réserve alpine commandée par le général Karl Pflaum.

Unité tristement célèbre dans le quart sud est de la France, puisqu’elle sévira aux Glières, et au Vercors.

Les Allemands encerclent deux zones, et ils vont toujours procéder ainsi : ils choisissent la zone d’Ambérieu et celle de Bellegarde. 

A l’intérieur des zones, les Allemands décrètent des mesures d’urgence.

Le téléphone est coupé, il y a un couvre-feu, et sont projetés -à l’intérieur des cercles- des commandos de chasse. Entre 50 et 100 soldats.

Cette traque dure 9 jours.

Mais l’opération Kaporal ne porte pas des coups encore très importants aux maquisards parce que les conditions climatiques, la neige- défavorisent les Allemands… et les maquisards qui connaissent mieux le terrain parviennent à déjouer l’encerclement.

40 personnes sont tuées dans cette opération, la plupart, comme souvent sont des civils…

En avril 1944, 2 mois après l’opération Kaporal, une deuxième offensive est lancée, baptisée cette fois “Frühling” qui signifie “printemps” en allemand.

La tactique est la même, les unités militaires encerclent une zone définie, à l’intérieur, sont propulsés des commandos de chasse, commandés cette fois par un certain Klaus Barbie

Klaus Barbie sillonne le département et procède à des arrestations, à des rafles. L’une des rafles qui lui est attribuée, a lieu le 6 mars 1944, dans la colonie de vacances d’Izieu. 44 enfants juifs et 7 encadrants sont déportés vers Auschwitz.

L’opération Frühling dure 11 jours et va coûter la vie à 120 français. 600 personnes sont arrêtées et déportées vers des camps de travail.

……………………………………

Le maquis va une nouvelle fois s’illustrer, pour l’un des sabotages les plus célèbres de la seconde guerre mondiale.

Il a lieu dans la nuit du 6 au 7 juin 1944.

C’est dans la nuit qui suit le débarquement en Normandie, mais l’opération n’est pas liée, elle était prévue bien avant.

Les hommes de Romans-petit ont un objectif précis :

le centre ferroviaire d’Ambérieu en Bugey, un dépôt stratégique: plus de 60 locomotives, des ateliers, des grues. Le tout gardé par 50 soldats allemands.

Le commando se met en place s’infiltre avec ses charges explosives. Il y a des maquisards, il y a des cheminots pour les guider, il y a de très jeunes volontaires, des enfants de troupes venus de l’école Militaire préparatoire d’Autun.

Pour créer la désorganisation parmi les gardes allemands, les maquisards font déclencher l’alarme de la défense passive. Les sirènes retentissent, la population fonce aux abris.

Ce qui laisse le champ libre au commando.

Et lorsque les explosions retentissent, on pense qu’un bombardement allié est en cours. 

L’opération est une très grande réussite. 52 locomotives et une plaque tournante sont détruites.

Le trafic ferroviaire va ĂŞtre interrompu pendant plusieurs jours, ce qui gĂŞne tout le transport et la logistique des Allemands.

Mais la guerre n’est pas terminée, même si une partie de la population le pense. 

Des maquisards en cette fin juin 1944 pratiquent ce qu’on appelle la Libération avant la Libération. 

Ils investissent les villes et proclament le retour de la IVème République… A la sous-préfecture de Nantua par exemple, on hisse le drapeau tricolore.

La législation de Vichy est abolie, mais cette libération anticipée n’est que de courte durée, le temps que les forces allemandes se repositionnent, et préparent une ultime offensive.

Les 10 juillet 1944, les Allemands passent à l’attaque, avec un bombardement aérien contre Oyonnax et Nantua.

C’est le début de la plus meurtrière des opérations allemandes : elle porte le nom de Treppenfeld

…..

En plus des troupes habituelles, il y a des renforts, des Cosaques, des troupes de l’est qui ont fait leurs armes sur le front russe, et pratiquent les mêmes méthodes : la terre brûlée, le viol de guerre et les exactions afin de terroriser toute une population jugée en grande majorité complice du maquis.

Ce déferlement de violence va cibler un village précis : Dortan, juste à côté d’Oyonnax. 

Dortan, comme le dit Gilles Vergnon, « c’est la version dans l’Ain de ce qu’on a à Vassieux ou à Oradour-sur-Glane, c’est à dire, destruction, exécutions massives sans aucune retenue ».

Dortan va être incendiée et va entièrement brûler parce qu’identifié comme un centre de la résistance !

Lors de cette opération, 6000 hommes sont propulsés sur le terrain pour anéantir les hommes de Romans Petit.

Le 19 juillet, l’opération Treppenfeld, 3ème et dernière action contre le maquis prend fin, non sans avoir ensanglanté tout le département.

Il y aura 350 français tués. Une moitié est constituée de maquisards, l’autre de civils. Les pertes sont aussi plus lourdes côté allemand. Ils ont 32 morts et 90 blessés. 

Les hommes de Romans se sont tapis dans les bois, laissant passer l’orage. Ça n’est qu’à partir du 15 août, et du nouveau débarquement allié, cette fois en Provence, qu’ils peuvent reprendre la lutte.

Ils sont désormais 7 000 hommes, et vont profiter de la retraite allemande pour s’emparer de villages, livrer des combats héroïques comme à Méximieux où ils font face à la 11ème Panzer Division, aux côtés des Américains.

L’ultime combat va avoir lieu aux portes de Bourg-en-Bresse, la préfecture et la plus importante ville du département de l’Ain. 

Les Allemands comprennent vite que leur combat est vain, et Bourg est libérée le 4 septembre 1944.

Une foule en liesse accueille les Américains et les héros du maquis,

Le drapeau tricolore flotte sur toutes les communes de l’Ain, Romans a conduit ses hommes à la victoire, il n’est pourtant pas au bout de ses surprises.

…………………

Le 17 septembre 1944, Romans Petit en tant que chef départemental des FFI est convoqué à Lyon par le nouveau commissaire de la République Yves Farge.

Farge se méfie des chefs de maquis, il craint qu’ils ne continuent à jouer les seigneurs de guerre…

Et là à la stupeur de la population de l’Ain, Romans est emprisonné au Fort de La Motte, et il fera plusieurs jours de prison.

Les hommes de Roman veulent monter une opération pour le sortir de prison les armes à la main. Romans s’y oppose prudemment. Et il est finalement libéré.

Après-guerre Henri Romans-Petit sera reconnu comme le chef incontesté des maquis de l’Ain et du Haut-Jura. Compagnon de la libération, grand officier de la légion d’honneur. Jusqu’à sa mort en 1980, il honorera chaque année la mémoire des 260 maquisards tués au combat, des 600 civils massacrés et des 1000 déportés, dont beaucoup ne reviendront jamais.


Description

📟 Texte et récit : Romain Clément

🎬 Compositions musicales et montage : Armel Joubert des Ouches

 Le Maquis de l’Ain

C’est l’un des maquis les plus méconnus de France - dont nous allons parler aujourd’hui- l’un de ceux qui a pourtant causé le plus de tort aux Allemands pendant la seconde guerre mondiale : le maquis de l’Ain.

Si vous circulez sur l’autoroute A 40, l’autoroute Blanche, après Bourg-en Bresse en direction de Genève, faites un crochet par Cerdon qui abrite cet imposant monument en hommage aux maquisards de l’Ain et du haut Jura.

L’ouvrage est gigantesque, avec cette femme élancée taillée à même la roche, et cette phrase : « Où je meurs, renaît la Patrie ».

Aux pieds de la statue, 89 tombes de maquisards ou de déportés.

Situé au nord de Lyon et à proximité de la Suisse, le maquis de l’Ain a rassemblé jusqu’à 7000 hommes, placés sous le commandement d’une figure, d’une légende, Henri Romans-Petit.

Romans-Petit va faire de ce département rural, de moins de 320 000 habitants, un haut-lieu de la lutte contre l’occupant allemand.

Il va créer 22 camps de maquis, 

6 pistes clandestines d’atterrissages.

100 terrains de parachutages.

Ce maquis devient l’un des plus important de France.

Il est structuré pour être le point de départ de centaines d’opérations commandos.

Si le maquis de l’Ain est entré dans l’histoire, c’est parce que pour la première fois, le 11 novembre 1943, la population française a découvert le vrai visage de la résistance, lors d’un défilé audacieux, en pleine occupation, au nez et à la barbe des Allemands.

200 hommes armés, en uniforme paradent dans les rues d’Oyonnax

Ce défilé va entraîner des représailles terribles. 3 opérations militaires ciblées, et des rafles menées par un certain Klaus Barbie

Des centaines de combattants, de civils vont périr. 

Voici l’histoire du maquis de l’Ain…

Mai 1940.

Les Français croient encore leur armée invincible. 

En 30 jours à peine, l’offensive éclair des troupes du Führer terrasse toutes les unités. 90 000 soldats français perdent la vie. C’est la débâcle.

Et sur les routes, 7 millions de civils, femmes, enfants, vieillards, fuient l’inexorable avancée du Reich…

Le département de l’Ain n’échappe pas à cet exode.

 Les Allemands vont s’attaquer à la plus importante ville du département, Bourg en Bresse, qui est aussi le dernier grand rempart avant Lyon...

Le 16 juin, un bombardement coûte la vie à 13 personnes, 25 autres sont blessées.

24 h plus tard, le 17 juin, estimant les combats perdus, le nouveau président du conseil s’adresse à toute la nation pour annoncer qu’il souhaite s’entendre avec l’ennemi...

Malgré l’armistice, une garnison stationnée dans l’Ain dans un ouvrage fortifié du XVIIème siècle va s’illustrer.

Cette unité est stationnée au Fort L’Ecluse. Comme le dit l’historien Fabrice Grenard, c’est « la porte d’entrée vers les Alpes », à quelques kilomètres de Bellegarde sur Valserine, à la frontière avec la Haute Savoie, dans ce qu’on appelle le pays de Gex

La garnison est commandée par le commandant Favre… qui refuse de se rendre.

Avec ses troupes alpines, ses sapeurs, ses pièces d’artilleries, il va résister à plusieurs assauts.

Le 3 juillet 1940, 11 jours après l’armistice, les hommes du Commandant Favre, encerclés par un ennemi bien supérieur en nombre finissent par se rendre, mais Fort L’Ecluse reste comme l’un des premiers actes de résistance en France …

Dès juillet 1940, la croix gammée flotte sur tout le département. L’Ain est rattaché à la zone dite “libre”, sous l’autorité de Vichy.

Les événements vont progressivement faire de l’Ain un secteur stratégique :

Comme le souligne l’historien militaire allemand Peter Lieb, ce département, qui n’est pas intéressant d’un point de vue économique pour les Allemands est cependant frontalier de la Suisse, et il est important pour les occupants d’en contrôler la frontière.

D’ailleurs le pays de GEX à l’est du département, est déclarée zone interdite. 4 à 5000 allemands y sont stationnés.

La Suisse, c’est le seul pays, où les juifs pouvaient éventuellement se réfugier. 

Le département devient aussi important parce qu’il est traversé par tous les trains au départ de Paris et en direction de Lyon, du sud de la France, ou même de l’Italie.

Et à l’époque, les voies stratégiques, ce sont les voies ferrées, beaucoup plus que les routes.

Mais en 1940, il est encore un peu tôt pour pouvoir nuire à la logistique allemande, s’attaquer à ces voies ferrées. 

…

Dès 1941, la résistance va développer ses propres réseaux dans l’Ain. 

Comme le rappelle l’historienne Florence Saint-Cyr, qui est aussi responsable du Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua se développent dans ce département, les 3 mouvements de résistance :  Combat d’henri frenay, le mouvement Libération d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie et Franc-Tireurs de Jean-Pierre Lévy… 

Un personnage très important dans l’Ain c’est le général Charles Délestraint, qui au moment de la défaite de 1940 est mis en retraite et s’installe à Bourg en Bresse 

Le général Délestraint, devient le chef de l’Armée secrète. L’AS, c’est une structure nationale, une armée de l’ombre, prête à agir le moment venu.

Délestraint cherche des forces vives et pour recruter, il s’appuie sur plusieurs personnalités de l’Ain.

Des gens qui ont des carnets d’adresse, des notables souvent comme Bob Fornier, patron d’une brasserie, Raymond Charvet, dentiste, des médecins comme le docteur Emile Mercier.

Ils deviennent des chefs de secteurs.

Ils recrutent grâce aux structures existantes, les syndicats notamment dans les villes ouvrières comme Bellegarde ou Oyonnax, le parti communiste, et les lycéens… 

2 lycées fournissent d’importants contingents à la résistance. 

Le Lycée Xavier Bichat à Nantua et le lycée Lalande de Bourg en Bresse.

La résistance commence par de petites actions, dont l’objectif est de rallier la population à l’appel lancé par le général de Gaulle.

Les résistants racontent comme Robert Molinatti qu’ils distribuaient des journaux clandestins, FT Partisan, Combat, des tracts

Mais les effets de ces actions sont encore limités, l’opinion est toujours pour l’instant favorable à Vichy 

Mais dès 1942, le contexte change, et l’opinion commence à évoluer.

Il y a les rafles de juifs qui s’intensifient… 

10 000 juifs sont raflés 

Et la Zone sud est envahie après le débarquement allié en Afrique du Nord, le 11 novembre 1942.

Ce qui fait basculer réellement l’opinion, c’est l’adoption en février 1943 de la fameuse loi sur le STO, le Service du travail Obligatoire.

Tous les jeunes hommes nés en 1920, 1921,1922, 1923, 4 classes, sont requis pour aller travailler en Allemagne… 

Le département est l’un des premiers en France à voir émerger des manifestations de protestation.

Il y a des mouvements Ă  Bellegarde, Ă  Oyonnax, Ă  Bourg en Bresse les jeunes se rebellent.

Du fait de cette opposition, dans l’Ain, sur 1600 jeunes requis au STO, seuls 347 partent vers l’Allemagne.

Ceux qu’on appelle les réfractaires au STO, partent se cacher dans des fermes, mais ils deviennent si nombreux, qu’il leur faut bientôt d’autres infrastructures pour se cacher.


En mars 1943, 1 mois après l’instauration du STO, va naître le premier camp du maquis de l’Ain, installé sur ce lieu-dit -de la ferme de Chougeat- sur les hauteurs d’Oyonnax...

22 camps voient le jour, ils sont situés en moyenne montagne (à moins de 1500 m d’altitude), sur les hauteurs de Bourg-en Bresse, Bellegarde, Oyonnax…

Ces jeunes vivent dans des camps de fortune, sans logistique et ils n’ont pour la majorité aucune expérience militaire, et souvent très peu d’armes.

Comme le dit un autre ancien maquisard, Christian Simo: « on avait un fusil Lebel pour 5 bonhommes, on était mal habillés, on avait rien à bouffer », 

c’était vraiment le début du maquis.

Un homme, fraîchement arrivé dans l’Ain, va transformer en quelques mois ces camps éparpillés, en un maquis structuré, militarisé, et prêt à lancer des coups de main, des sabotages. 

Cet homme providentiel, s’appelle Henri Petit, il a 46 ans, son nom de code dans la résistance : Romans-Petit. 

Il a été recruté au printemps 1943 par l’Armée secrète.

Et il vient prospecter le département pour repérer ces petits groupes qui se forment.

Les chefs de la résistance ont confiance en lui, c’est un homme d’expérience, vétéran de la 1ère guerre Mondiale, il a fini sous-officier, avant un passage dans une école d’officier, et il a rejoint cette armée fraîchement créée, l’armée de l’air… il y a des clichés où on le voit piloter, c’est un aventurier.

Ses hommes soulignent son aura de chef, il est, comme le dit l’historien Gilles vergnon, un chef de maquis, un Seigneur de la guerre.

Pour militariser les camps, il s’entoure d’officiers et de sous-officiers, des hommes de caractère et surtout de confiance,

Noël Perrotot, officier d’infanterie, nommé chef des maquis nord du département,

et Henri Girousse, Saint-Cyrien, nommé chef du groupement sud.

Comme tout chef militaire, Romans impose une discipline, des rituels comme la montée des couleurs. Pour éviter les infiltrations, il créé un centre de tri, où les candidats au maquis sont interrogés, observés…

Romans cherche Ă  mettre en valeur ses maquis.

Et il réussit à provoquer un événement fondateur. Le 14 juillet 1943, Il a fait venir les chefs de la résistance de la zone sud, l’état-major de Lyon, sur le lieu-dit de la ferme de Terment.

Il existe d’ailleurs quelques photos, on voit Romans en tenue de capitaine de l’armée de l’air entouré par ses hommes, il y a l’état-major venu de Lyon, et ce jour là il est intronisé officiellement chef des maquis de l’Ain. 

Il faut des moments forts pour asseoir une légitimité et faire naître une légende.

Romans intronisé va maintenant aller chercher le soutien de la population locale. Sans l’aide de celle-ci le maquis ne peut durer…

Ce qu’il réussit, obtenant ainsi des vivres.

Tout une organisation logistique est mise en place pour acheminer les denrées agricoles. Certaines viennent de la Dombe, d’autres de la Bresse, il fait venir du blé, de la viande, du pain.

Au départ on utilise des chevaux, des ânes, puis ce sont des camions grâce au service GARAGE du maquis, les fameux camions Tardy.

Maintenant que le ravitaillement est assuré, Romans va pouvoir lancer sa 1ère opération commando, un raid très bien préparé…

…………………

Comme tous les chefs de maquis, Romans craint les désertions, en particulier dès que le froid de l’hiver se fait sentir.

Il convoque sa garde rapprochée : son objectif, faire main basse sur des stocks de matériels situés sur les chantiers de jeunesse d’Artemare. Une structure paramilitaire créée par Vichy.

le 10 sept 1943, Romans-petit s’infiltre avec une poignée d’hommes sur les chantiers de jeunesse d’Artemare… pour récupérer des chaussures, des vêtements neufs et s’équiper pour l’hiver.

L’opération est audacieuse. Avec du chloroforme, on endort les gendarmes, et les gardiens, et un groupe se charge du pillage des stocks.11 000 kilos de matériel… en 45 minutes, les équipes se dispersent, et foncent vers les camps du maquis afin de répartir le butin collecté.

Le maquis de l’Ain devient ainsi le mieux équipé de France, et il y a aura très peu de désertions saisonnières, contrairement à d’autres maquis, comme le Vercors, où en hiver, de nombreux jeunes se découragent et rentrent chez eux… 

….

Fin septembre 1943, tournant important, un petit bimoteur clandestin, un Hudson venu de Londres se pose sur un terrain secret de l’Ain, à son bord 2 émissaires spéciaux.

2 officiers alliés, Jean Rosenthal du BCRA, les services secrets de la France Libre et Richard Heslop, officier du SOE, les services secrets britanniques.

Ils inspectent la plupart des camps du maquis et leur rapport élogieux fait à Londres signifie, quelques semaines plus tard, le début des parachutages. 

La manne céleste tombe bientôt du ciel. 

Des pistolets, des fusils, des mitrailleuses, des grenades, des explosifs.

Romans-Petit va mettre au point avec son état-major sa tactique, afin de débuter la lutte armée, et faire enfin le plus de tort aux Allemands…

……..

Sa tactique, c’est tout simplement la guérilla. Des actions coup de poing, avec de petits effectifs très mobiles. 

Il créé une école de cadres afin de « driller », d’instruire ses gars aux coups de main, en veillant aux décrochages rapides, à la mobilité.

Les opérations commandos vont se multiplier et faire de plus en plus de victimes. Entre 1943 et juin 1944, 44 allemands vont être tués par les maquisards de l’Ain, qui perdront aussi une soixantaine des leurs…

fin 1943, les hommes de Romans Petit sont 3500 … ils vont aussi exceller dans une autre forme de guerre, exigée par Londres…

C’est la bataille du rail.

Le sabotage des voies ferrées. Tous les chefs de secteur ont formé de petites unités baptisées “troupes spéciales insurrectionnelles”.

Il y aura des dizaines de sabotages chaque semaine, retardant la logistique des allemands…

……

Mais Romans-Petit veut marquer un grand coup symbolique, pour gagner les cœurs de la population, encore très influencée par les discours de Philippe Henriot, ministre de la propagande de Vichy qui assimile les maquisards à des criminels, des voleurs…

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Il y a une chose qui a son importance, c’est qu’il a été publicitaire, entre les 2 guerres. Il va mettre à profit son sens de la communication. 

Il choisit une date symbolique, pour organiser un événement -particulièrement audacieux en pleine occupation- et ainsi faire entrer son maquis dans la légende.


Nous sommes le 11 novembre, le jour qui commémore l’armistice de 1918 donc la défaite allemande. C’est une journée que Vichy ne veut pas commémorer. Vichy interdit toute manifestation…

Romans Petit veut au contraire en profiter pour faire en quelques sortes un coup médiatique. Il organise un défilé. Pour lequel il a tout planifié. 

Il a choisi Oyonnax, car il y a une certaine sympathie du commissaire de police, mais il y a une inconnue, la réaction allemande, la garnison la plus proche n’est qu’à 15 kms.

Le dispositif militaire de Romans est le suivant :

A Nantua des gendarmes, complices s’assurent que la voie est libre.

Une équipe de maquisards est déployée dans la ville pour assurer la sécurité.

Un autre groupe verrouille les 6 accès d’oyonnax,

Tandis que 130 hommes jaillissent de 6 camions et prennent place pour le défilé.

La population est surprise, mais des affiches l’ont alerté qu’un événement inédit allait se produire dans leur ville.


Il est midi Ă  Oyonnax, place de la Poste.

Le cortège s’élance.

ce sont les officiers qui sont en tête et qui tous deux portent la croix de Lorraine. 

Romans en grand uniforme avec toutes ses décorations est en tête. 

Derrière le chef, 2 clairons, 1 tambour et 3 sections d’infanterie avec les tenues rutilantes volées 2 mois plus tôt, aux chantiers de jeunesse d’Artemare.

Les habitants se sont très vite massés sur les côtés.

Il y a, au début, la surprise, 200 hommes déployés dans la ville avec musique militaire, c’est assez spectaculaire.

Puis dans un deuxième temps il y a la peur, la peur que tout cela n’attire la foudre…

Mais la foule applaudit, ovationne les soldats, lorsqu’Henri Girousse, le Saint Cyrien, le chef du groupement sud, harangue la foule, et crie comme le racontent les témoignages, « nous sommes le maquis, applaudissez nous, gueulez le peuple, gueulez ! » 

La troupe se dirige ensuite vers le monument aux morts, la garde aux drapeaux en tĂŞte.

L’émotion est immense lorsque Que Romans-Petit met l’ensemble au garde à vous. Et dépose, la gerbe en forme de croix de Lorraine avec cette phrase choc, qui va rester comme le symbole de cette journée :

“Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18”

Pour bien montrer que ceux qui ont défilé sont les héritiers des Français qui ont lutté et vaincu en 14.

Le dispositif remonte ensuite rapidement dans les camions et rejoint les différents camps de maquis, mais Romans Petit va s’emparer de cet événement pour lui donner un retentissement mondial, ses maquis de l’Ain vont entrer dans la légende…

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Romans-Petit en fin tacticien a compris que la communication fait partie du combat, et pendant le défilé, il a fait prendre des photos et tourner un film destiné à être envoyé à Londres pour convaincre les alliés, les anglais et les Américains que les maquis, en particulier ceux l’Ain sont structurés, disciplinés, des troupes sur lesquelles on peut compter en somme.

Mais en attendant de toucher Londres, Romans veut prévenir toute la population française, de cet audacieux défilé qu’il a organisé à Oyonnax. 

Il va réussir à déjouer la censure, et à être relayé dans un grand quotidien lyonnais, le Nouvelliste 

L’idée de génie de la résistance, c’est de faire un faux nouvelliste qui sera distribué à 25 000 exemplaires, c’est un tour de force en termes d’impression… 

Ce faux numéro est acheminé vers les kiosques et permet de diffuser au moins à l’échelle régionale les images, les photos du défilé.

Dès lors, l’événement devient connu, Maurice Schuman en parlera sur les ondes de la BBC. 

L’Ain est devenu le symbole de la résistance qui sort progressivement de l’ombre et devient un contre-pouvoir à Vichy et un adversaire militaire de l’armée allemande…


Mais la foudre va finir par tomber sur le maquis de l’Ain.

Le lien est-il direct, on ne le sait pas.  

Un mois après le défilé, le 14 décembre 1943, débute la première grande représaille dans l’Ain. L’objectif est Nantua, à 20 kms d’Oyonnax. 

Un train arrive à Bellegarde à 07h30 du matin avec 400 soldats de la Wehrmacht. Ils font du porte à porte, pour arrêter les hommes de 18 à 40 ans. Le docteur Emile Mercier, le chef de l’armée secrète à Nantua, sans doute dénoncé, est arrêté en milieu de matinée ; il est emmené par la Gestapo vers Lyon et il est fusillé à une quinzaine de kilomètres juste après Bellegarde…

116 autres Nantuatiens sont déportés. Il y a un monument assez impressionnant, d’ailleurs, sur les berges du lac de Nantua.

95 de ces déportés ne reviendront jamais...

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Cette rafle n’est qu’un avertissement.

Deux mois plus tard, les Allemands décident d’en finir avec les maquis. Ils vont commencer par l’Ain en janvier 1944.

Le chef de la Sipo SD à Lyon, la gestapo et le commandant de la zone sud en France décident de nettoyer la France de ces bandes, de ces nids de terroristes donc de ces maquisards.

Une première opération est montée en février 1944 baptisée Kaporal

C’est la première grande opération contre les maquis en France… 

Les Allemands vont se servir de l’Ain -comme d’un laboratoire de lutte contre la résistance.

2500 hommes de la Wehrmacht, avec des unités de la SS, l’essentiel des effectifs provient de la 157ème Division de Réserve alpine commandée par le général Karl Pflaum.

Unité tristement célèbre dans le quart sud est de la France, puisqu’elle sévira aux Glières, et au Vercors.

Les Allemands encerclent deux zones, et ils vont toujours procéder ainsi : ils choisissent la zone d’Ambérieu et celle de Bellegarde. 

A l’intérieur des zones, les Allemands décrètent des mesures d’urgence.

Le téléphone est coupé, il y a un couvre-feu, et sont projetés -à l’intérieur des cercles- des commandos de chasse. Entre 50 et 100 soldats.

Cette traque dure 9 jours.

Mais l’opération Kaporal ne porte pas des coups encore très importants aux maquisards parce que les conditions climatiques, la neige- défavorisent les Allemands… et les maquisards qui connaissent mieux le terrain parviennent à déjouer l’encerclement.

40 personnes sont tuées dans cette opération, la plupart, comme souvent sont des civils…

En avril 1944, 2 mois après l’opération Kaporal, une deuxième offensive est lancée, baptisée cette fois “Frühling” qui signifie “printemps” en allemand.

La tactique est la même, les unités militaires encerclent une zone définie, à l’intérieur, sont propulsés des commandos de chasse, commandés cette fois par un certain Klaus Barbie

Klaus Barbie sillonne le département et procède à des arrestations, à des rafles. L’une des rafles qui lui est attribuée, a lieu le 6 mars 1944, dans la colonie de vacances d’Izieu. 44 enfants juifs et 7 encadrants sont déportés vers Auschwitz.

L’opération Frühling dure 11 jours et va coûter la vie à 120 français. 600 personnes sont arrêtées et déportées vers des camps de travail.

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Le maquis va une nouvelle fois s’illustrer, pour l’un des sabotages les plus célèbres de la seconde guerre mondiale.

Il a lieu dans la nuit du 6 au 7 juin 1944.

C’est dans la nuit qui suit le débarquement en Normandie, mais l’opération n’est pas liée, elle était prévue bien avant.

Les hommes de Romans-petit ont un objectif précis :

le centre ferroviaire d’Ambérieu en Bugey, un dépôt stratégique: plus de 60 locomotives, des ateliers, des grues. Le tout gardé par 50 soldats allemands.

Le commando se met en place s’infiltre avec ses charges explosives. Il y a des maquisards, il y a des cheminots pour les guider, il y a de très jeunes volontaires, des enfants de troupes venus de l’école Militaire préparatoire d’Autun.

Pour créer la désorganisation parmi les gardes allemands, les maquisards font déclencher l’alarme de la défense passive. Les sirènes retentissent, la population fonce aux abris.

Ce qui laisse le champ libre au commando.

Et lorsque les explosions retentissent, on pense qu’un bombardement allié est en cours. 

L’opération est une très grande réussite. 52 locomotives et une plaque tournante sont détruites.

Le trafic ferroviaire va ĂŞtre interrompu pendant plusieurs jours, ce qui gĂŞne tout le transport et la logistique des Allemands.

Mais la guerre n’est pas terminée, même si une partie de la population le pense. 

Des maquisards en cette fin juin 1944 pratiquent ce qu’on appelle la Libération avant la Libération. 

Ils investissent les villes et proclament le retour de la IVème République… A la sous-préfecture de Nantua par exemple, on hisse le drapeau tricolore.

La législation de Vichy est abolie, mais cette libération anticipée n’est que de courte durée, le temps que les forces allemandes se repositionnent, et préparent une ultime offensive.

Les 10 juillet 1944, les Allemands passent à l’attaque, avec un bombardement aérien contre Oyonnax et Nantua.

C’est le début de la plus meurtrière des opérations allemandes : elle porte le nom de Treppenfeld

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En plus des troupes habituelles, il y a des renforts, des Cosaques, des troupes de l’est qui ont fait leurs armes sur le front russe, et pratiquent les mêmes méthodes : la terre brûlée, le viol de guerre et les exactions afin de terroriser toute une population jugée en grande majorité complice du maquis.

Ce déferlement de violence va cibler un village précis : Dortan, juste à côté d’Oyonnax. 

Dortan, comme le dit Gilles Vergnon, « c’est la version dans l’Ain de ce qu’on a à Vassieux ou à Oradour-sur-Glane, c’est à dire, destruction, exécutions massives sans aucune retenue ».

Dortan va être incendiée et va entièrement brûler parce qu’identifié comme un centre de la résistance !

Lors de cette opération, 6000 hommes sont propulsés sur le terrain pour anéantir les hommes de Romans Petit.

Le 19 juillet, l’opération Treppenfeld, 3ème et dernière action contre le maquis prend fin, non sans avoir ensanglanté tout le département.

Il y aura 350 français tués. Une moitié est constituée de maquisards, l’autre de civils. Les pertes sont aussi plus lourdes côté allemand. Ils ont 32 morts et 90 blessés. 

Les hommes de Romans se sont tapis dans les bois, laissant passer l’orage. Ça n’est qu’à partir du 15 août, et du nouveau débarquement allié, cette fois en Provence, qu’ils peuvent reprendre la lutte.

Ils sont désormais 7 000 hommes, et vont profiter de la retraite allemande pour s’emparer de villages, livrer des combats héroïques comme à Méximieux où ils font face à la 11ème Panzer Division, aux côtés des Américains.

L’ultime combat va avoir lieu aux portes de Bourg-en-Bresse, la préfecture et la plus importante ville du département de l’Ain. 

Les Allemands comprennent vite que leur combat est vain, et Bourg est libérée le 4 septembre 1944.

Une foule en liesse accueille les Américains et les héros du maquis,

Le drapeau tricolore flotte sur toutes les communes de l’Ain, Romans a conduit ses hommes à la victoire, il n’est pourtant pas au bout de ses surprises.

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Le 17 septembre 1944, Romans Petit en tant que chef départemental des FFI est convoqué à Lyon par le nouveau commissaire de la République Yves Farge.

Farge se méfie des chefs de maquis, il craint qu’ils ne continuent à jouer les seigneurs de guerre…

Et là à la stupeur de la population de l’Ain, Romans est emprisonné au Fort de La Motte, et il fera plusieurs jours de prison.

Les hommes de Roman veulent monter une opération pour le sortir de prison les armes à la main. Romans s’y oppose prudemment. Et il est finalement libéré.

Après-guerre Henri Romans-Petit sera reconnu comme le chef incontesté des maquis de l’Ain et du Haut-Jura. Compagnon de la libération, grand officier de la légion d’honneur. Jusqu’à sa mort en 1980, il honorera chaque année la mémoire des 260 maquisards tués au combat, des 600 civils massacrés et des 1000 déportés, dont beaucoup ne reviendront jamais.


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