- Speaker #0
On a une culture, nous, françaises, de la punition. Et on pense que c'est normal.
- Speaker #1
Pourquoi est-ce qu'on exclut un enfant de l'école ? Parce qu'il est différent. Des outils comme l'intelligence artificielle, elles ne posent pas réellement de nouvelles questions. Elles posent d'anciennes questions auxquelles on n'a pas répondu depuis longtemps.
- Speaker #0
Comme Maria Montessori le disait, l'éducation est la plus belle arme de paix.
- Speaker #1
Michel Onfray a cette phrase que j'aime beaucoup, il dit tous les enfants sont des philosophes et certains adultes le demeurent Nos enfants deviennent comme nous les voyons, nos enfants deviennent comme ils nous voient. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'on veut pour demain.
- Speaker #0
Bienvenue sur le podcast Les Adules de Demain. Je m'appelle Stéphanie Descleves, je suis entrepreneur et surtout une actrice engagée pour l'enfance. Dans ce podcast, je donne la voix à celles et ceux qui changent le monde grâce à l'éducation. Pour en savoir plus sur mes dernières actualités, rendez-vous sur le compte Insta at Les Adules de Demain ou sur mon compte perso LinkedIn. Pour retrouver un condensé des meilleurs moments du podcast, je vous laisse découvrir le livre Offrir le meilleur aux enfants aux éditions Atier, que j'ai co-écrit avec ma mère Sylvie Descleb, que vous entendrez beaucoup dans ce podcast. Allez, je laisse place à un nouvel épisode. Vous connaissez très certainement mon invité du jour, Bertrand Perrier, grâce au film documentaire À voix haute où ce grand avocat enseigne la prise de parole en public à un groupe d'étudiants de Saint-Denis. Parler en public et plus particulièrement exprimer son opinion n'est pas simple lorsqu'on est un enfant. Pourtant, cette compétence semble essentielle encore plus maintenant. En dehors du grand oral du baccalauréat, s'exprimer librement devant une audience offre des bénéfices nombreux aux ados. Pourquoi est-ce si effrayant pour des enfants de prendre la parole en public ? Pourquoi est-ce essentiel de donner ses clés aux enfants dès le plus jeune âge ? Comment peut-on apprendre aux enfants à maîtriser leur stress ? Bref, cet échange m'a moi-même beaucoup appris grâce au conseil de l'un des plus grands experts de la société. de l'éloquence en France, j'ai nommé Bertrand Perrier. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Bertrand. Bonjour. Je suis très heureuse d'échanger avec vous aujourd'hui. Vous êtes une figure emblématique de la prise de parole en public en France. Vous êtes avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation et vous enseignez la prise de parole en public aux jeunes depuis quelques temps. Vous avez récemment écrit un livre que j'ai adoré, Prendre la parole, pas de panique aux éditions Magenta à destination des ados. Pourquoi êtes-vous intéressé à l'art oratoire et plus particulièrement chez les jeunes ?
- Speaker #1
Alors, à l'art oratoire, évidemment, parce que c'est très lié à mon métier d'avocat. Donc c'est une discipline que je pratique quasiment au quotidien. Nous avons, nous les avocats, un rapport très particulier à la parole de conviction. La parole a d'autres fonctions, mais pour nous elle fait partie de notre quotidien. Et pourquoi la parole pour les ados ? Parce que je n'avais eu, ado moi-même, aucun enseignement de la prise de parole en public. Et je considère qu'il y a toujours pour cette période des 11-15 ans, c'est-à-dire la période du collège, une sorte de trou dans l'enseignement de la prise de parole. Au lycée, le grand oral du bac a quand même remis un petit peu les pendules à l'heure et rééquilibré entre l'écrit et l'oral. Mais au collège, il y a encore un déficit de formation. Alors même que c'est un âge critique pour la prise de parole en public, c'est un âge où le rapport au corps, à l'image de soi, à la confiance en soi, tout ça se construit, c'est parfois un peu friable. Et je crois qu'il est important que les ados se forment à la prise de parole en public, précisément à ce moment de bascule entre l'aisance un peu insouciante des enfants, la formation des lycéens. Et entre ces deux âges-là... Il y avait, me semble-t-il, une béance qui appelait à un livre dédié.
- Speaker #0
J'ai pourtant lu que vous étiez très timide durant votre jeunesse.
- Speaker #1
Oui, mais précisément aussi peut-être parce que je n'avais pas d'éducation à la prise de parole et que tout cela était confié aux familles qui sont parfois aidantes ou parfois pas. Je dis dans le livre à quel point l'étymologie du mot enfant est révélatrice, puisque l'enfant est l'infant, c'est-à-dire celui qui ne parle pas. Et donc l'enfant se définit par l'absence de parole. Et dans nos sociétés, la parole pour les enfants est une conquête, et c'est un espace que leur laissent ou non les adultes. Et donc oui, en effet, ce n'était pas quelque chose qui était naturel pour moi.
- Speaker #0
Comment vous avez surmonté cela ?
- Speaker #1
D'abord, je l'ai surmonté très tard, puisque j'ai commencé à me familiariser avec la prise de parole en passant des concours d'éloquence, parce que les avocats ont cette incongruité de se livrer le soir venu à des concours d'éloquence, à supposer qu'il n'ait pas déjà fait cela pendant toute la journée. Et donc, j'ai commencé à passer des concours d'éloquence. C'est un peu absurde en soi, mais ça peut avoir aussi une vraie vocation à aider ou à débloquer. des autocensures et donc je me suis inscrit à ces concours et après ça m'a permis dans une parole sans enjeu puisque il n'y a pas d'enjeu judiciaire dans les concours d'éloquence de progresser un petit peu ça a été mes premiers pas dans la prise de parole mais j'avais presque 30 ans
- Speaker #0
Quel constat faites-vous aujourd'hui en France lorsque l'on parle des ados et de la prise de parole en public ?
- Speaker #1
Je fais le constat d'une très grande diversité de situations, qui correspondent souvent d'ailleurs à des diversités de rapports familiales, à la prise de parole en public, et c'est assez cruel de voir à quel point les déterminismes sociaux et familiaux sont à l'œuvre dans la maîtrise de la prise de parole en public, et c'est infiniment cruel, et c'est précisément la raison pour laquelle... Il est important que l'école égalise autant que faire se peut les situations et s'empare de cette question de la prise de parole en public. Vous avez en tout cas... une jeunesse telle que je peux l'avoir, qui est assez avide de partager ses convictions, qu'elle a de plus en plus précocement. À titre personnel, quand j'étais au collège, je n'avais aucune conviction sur rien. Et je vois qu'aujourd'hui, les jeunes, de plus en plus tôt, ont des convictions sur la société, sur l'économie, sur la politique. Ça vient de plus en plus tôt et je crois qu'il y a aussi un... un désengagement sur d'autres sujets, mais il y a des préoccupations qui vont avec des convictions, qui ont besoin de s'exprimer oralement. Donc voilà, après, je pense qu'il y a une très grande diversité. Oui, il y a des jeunes qui ont un rapport très contrarié à la parole, et qui sont réfugiés dans des écrans, qui sont réfugiés dans une vie virtuelle. Et puis il y a aussi des jeunes qui sont très engagés dans la vie de la cité, et très jeunes, dès le collège. et qui veulent dire haut et fort à l'égard des adultes et aussi de leurs camarades ce qu'ils ressentent et ce qu'ils pensent.
- Speaker #0
Est-ce que vous pensez qu'il y a un biais culturel en France sur la prise de parole chez les jeunes ? Parce qu'on parle souvent, comme exemple de prise de parole chez les enfants, on parle souvent des États-Unis. Est-ce que vous pensez qu'il se joue quelque chose d'un point de vue culturel en France ?
- Speaker #1
Oui, probablement, il se joue quelque chose de l'ordre de la méfiance à l'égard de la spontanéité. Effectivement, les anglo-saxons qui ont un temps d'avance sur nous en la matière ont plus d'indulgence pour une parole spontanée mais imparfaite, alors que nous, en France, tout pétri que nous sommes de la dissertation, de l'écriture et de la perfection. qui va avec, nous avons pour la parole une sorte de méfiance comme à l'égard de tout ce qui est imparfait. Et donc, effectivement, nous avons une pratique de la parole qui se rapproche beaucoup de l'écriture. D'ailleurs, comme je le dis dans le livre, l'expression parler comme un livre est considérée comme l'idéal pour un enfant. Et je crois au contraire que parler comme un livre est probablement ce que l'on peut attendre de pire. Si je voulais parler comme un livre, je n'ai qu'à lire un livre. Et au contraire, j'attends de la parole qu'elle ne soit pas l'identique de la lecture d'un livre. Et je trouverais qu'un enfant qui parlerait comme un livre serait presque inquiétant. La parole est une imperfection, la parole est un acte friable de sensibilité, de personnalité, au contraire du livre qui est un objet de papier glacé. Donc je pense qu'en effet... On a beaucoup d'inhibitions et beaucoup d'autocensures qui naissent de cette exigence de performance et de cette survalorisation d'une perfection qui est inatteignable par la parole. Et donc je pense qu'on se fait une montagne de ce qu'est l'exigence d'une prise de parole parce qu'on identifie l'écrit et l'oral.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'il y a de si effrayant pour les enfants et les jeunes dans le fait de prendre la parole en public ?
- Speaker #1
Le jugement de l'autre. Le jugement de l'autre, que ce soit les adultes, que ce soit les professeurs, les familles, les camarades. Et donc on a peur d'être ridicule, on a peur d'être jugé, on l'est d'ailleurs, mais on a peur d'un jugement malveillant, on a peur d'une faille dans sa personnalité, pas seulement dans sa parole. peur du regard de l'autre.
- Speaker #0
Alors, dans votre livre, vous donnez quelques éléments pour parler avec confiance devant un public. Est-ce que vous pourriez nous en citer quelques-uns ? Quelle est la recette magique pour y arriver ?
- Speaker #1
Il n'y en a pas, justement. Il n'y a pas de recette magique, parce que si ça se saurait, des magiciens l'auraient inventé. Donc, il n'y a évidemment aucune recette magique. Il y a quelques aides. Le premier facteur, c'est évidemment le travail. Et parler, c'est d'abord avoir quelque chose à dire, et savoir ce que l'on va dire, et donc avoir travaillé son message. Et malheureusement, je n'ai pas de baguette magique qui permettrait de dispenser du travail préalable à la prise de parole, c'est-à-dire avoir un lexique, une structure, un message, et tout cela est déterminant avant de... prendre la parole en public. Et après, il y a évidemment la pratique. Personne ne devient cuisinier en lisant des livres de recettes, et donc personne ne devient orateur en lisant des livres sur la question. Il faut le pratiquer, le faire. Et seule une pratique assidue permet de faire descendre le niveau de stress. L'ennemi du stress, il y en a deux, c'est le travail et l'habitude. Eh bien, ces deux facteurs-là sont majeurs. Et c'est la raison pour laquelle aussi il revient à l'école, le rôle de donner aux jeunes le plus possible d'espace de parole. Et c'est quelque chose sur lequel il faut encore travailler, je crois, c'est-à-dire offrir dans un cadre scolaire le plus possible d'occasion de prendre la parole et que lorsque des occasions sont offertes, elles n'aillent pas toujours à ceux qui lèvent la main les premiers. chercher aussi dans le fond de la classe ceux qui ont des difficultés, et qu'on instaure un espace de non-jugement, ou en tout cas de jugement bienveillant, et que les moqueurs la mettent en veilleuse.
- Speaker #0
Et si cet espace n'existe pas à l'école, comment est-ce que les jeunes peuvent s'entraîner ?
- Speaker #1
Eh bien, c'est très compliqué. Le meilleur ami dans ce cas-là, c'est la famille, qui pour le coup, normalement, doit être un espace protégé, préservé, où la bienveillance est évidemment de mise. Et sinon, je dois dire que c'est évidemment très complexe. Évidemment, il est possible de faire... des exercices de prise de parole en s'enregistrant via un téléphone portable par exemple, avec des amis dont on connaît la bienveillance, indépendamment du groupe classe qui est toujours parfois divers et où il y a des jeunes qui ne sont pas dans cet état d'esprit-là, mais la famille et les amis peuvent être précisément un premier public. Et puis son téléphone qui nous permet aussi de voir nos imperfections, nos progrès, de se tester sur des messages. des réactions que l'on peut avoir comme une sorte de journal intime oratoire et c'est quelque chose que l'on pourrait faire dans un processus de familiarisation avec la prise de parole pourquoi Plutôt qu'un journal intime, ne pas avoir un carnet de bord oratoire que l'on pourrait avoir sur son téléphone et où chaque jour plutôt que de consigner dans un journal ses impressions, on ne le ferait pas dans un téléphone qui chaque jour recueillerait une ou deux minutes de coups de gueule, de coups de cœur ou de confidences.
- Speaker #0
Vous prouvez également que le corps a toute son importance dans la prise de parole. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? A bientôt !
- Speaker #1
Oui, ce n'est pas non plus absolument majeur à mes yeux. Parler, c'est encore une fois avoir quelque chose à dire. Maintenant, le corps joue aussi un rôle. C'est le regard, c'est le geste, c'est la posture. Et tout cela a aussi une importance. C'est la raison pour laquelle, lorsque l'adolescence vient et qu'on a parfois un rapport au corps qui est complexe, la question amplifie encore la peur de prendre la parole en public. Parce que non seulement on est jugé sur ce que l'on dit, mais on est jugé aussi sur l'image. que l'on a, même sur son apparence physique, vestimentaire, et souvent c'est un âge où on n'est pas extrêmement à l'aise avec tout cela, et donc le corps, la gestuelle, le comportement, la façon de placer son corps dans l'espace, c'est aussi une composante de la parole. Enfin, encore une fois, parler c'est d'abord avoir un message à véhiculer.
- Speaker #0
Est-ce qu'on peut aider les enfants et les jeunes à trouver le message à véhiculer ?
- Speaker #1
Oui, et comment ? C'est aussi le rôle des adultes, que ce soit dans un cadre scolaire ou non, de guider les enfants à travers les réseaux sociaux, notamment pour qu'ils se débarrassent des fake news, de tout ce torrent d'informations qu'on aide à faire le tri entre ce qui mérite d'être regardé, ce qui ne vaut pas la peine ou au contraire ce qui est nuisible. Et donc dans ce fatras d'informations, il faut absolument que les adultes... jouent leur rôle de guide pour que les enfants se fassent à eux-mêmes leurs propres opinions. Donc il y a à la fois pour les adultes un travail de défrichement et un travail de liberté. Défrichement pour que les enfants ne tombent pas sur des informations qui ne sont pas fiables ou qui sont nuisibles. Et puis liberté, c'est-à-dire leur laisser l'opportunité de construire eux-mêmes leurs propres opinions sans que les adultes ne leur imposent. les leurs, et je crois au demeurant que... Et ce serait une erreur que d'imposer aux enfants d'avoir une opinion sur les choses. L'enfance pour moi est d'abord l'âge du doute et de l'incertitude et des idées qui se construisent. Et je suis toujours un peu inquiet de voir des enfants très assertifs sur des sujets sur lesquels ils peuvent avoir une première impression. Mais avoir à 12, 13, 14 ans des idées d'ores et déjà parfaitement arrêtées et cristallisées est toujours pour moi une source de perplexité.
- Speaker #0
Est-ce qu'il est nécessaire d'avoir un certain bagage de culture générale pour la prise de parole ?
- Speaker #1
C'est évidemment une opinion peu populaire que de le dire, mais pour moi la réponse est évidemment oui. La parole se nourrit de la lecture, elle se nourrit de la discussion avec les autres, elle se nourrit de l'écoute des autres et dans ce qu'elle peut avoir de meilleur. Et donc bien sûr que... Plus on a de culture, plus on a fréquenté d'autres opinions que les siennes, plus on a fréquenté des auteurs, plus on a fréquenté des inspirations, quelles qu'elles soient, et bien plus la parole est riche, et notamment elle est riche du vocabulaire que l'on acquiert en lisant. Et donc oui, bien sûr, la culture générale, quelle qu'elle soit, que ce soit une culture littéraire, scientifique, économique, artistique, nourrie. La parole, c'est absolument évident, la parole n'est pas une génération spontanée, elle ne naît pas de rien, elle naît de votre environnement, quel qu'il soit, mais en effet, si l'on veut bien que la parole soit une exigence, elle se nourrit de la culture que l'on acquiert petit à petit. Et ça n'est pas évidemment une culture, là encore, qui devrait venir immédiatement, c'est un processus qui naît. Tout au long de l'enfance, mais bien sûr que oui, la parole naît de la culture.
- Speaker #0
Comment faire pour les enfants qui n'ont pas bénéficié de ce bagage-là ?
- Speaker #1
Ah bah écoutez, là encore c'est à l'école de faire son travail d'acculturation et de guider les enfants vers des lectures qui leur permettent de nourrir leur imaginaire, leur vocabulaire et leur paysage culturel, de les amener vers des lectures peut-être un peu plus exigeantes que les premières lectures qui leur tomberaient sous la main, et moi je considère qu'un élève ça s'élève.
- Speaker #0
Vous avez accompagné, je le sais, beaucoup de jeunes et je sais que pour certains il est difficile de se forger une opinion. Vous avez parlé du sujet de l'opinion. Quelle est votre expérience à ce sujet ?
- Speaker #1
Alors en réalité, les élèves que je forme sont un peu plus âgés. J'ai des élèves dans l'immédiat post-bac, et donc ce sont déjà des jeunes adultes qui ont l'âge de voter par exemple, et qui donc sont supposés se faire une opinion sur le monde. Mais encore une fois, ce que je voudrais dire, c'est que la parole, c'est une façon de se dépasser, c'est soi-même en mieux. Et donc l'idée... d'avoir une parole qui ne soit pas tributaire des onomatopées qui sont parfois l'apanage des jeunes gens et qui se réduisent à quelques borborigmes. Et donc je crois au contraire qu'il appartient aussi aux adultes d'être exigeants avec les élèves et de ne pas trouver absolument mirifique la moindre parole parce qu'elle est l'œuvre d'un adolescent. Même avec les adolescents, et surtout avec les adolescents, on se doit de leur dire que leur parole peut progresser, qu'elle peut gagner en précision, en construction. Et c'est toujours ça qui me frappe, c'est la question à la fois du vocabulaire et de la structure qui me paraissent finalement les deux piliers de la parole, la richesse du lexique et la rigueur de la construction.
- Speaker #0
Vous est-il déjà arrivé de vous retrouver face à une situation où un jeune était dans l'incapacité totale ? de s'exprimer devant les autres.
- Speaker #1
Oui, c'était très déstabilisant. Je me souviens d'une intervention dans une classe, je crois d'ailleurs que c'était même au lycée, pas au collège. et j'avais fait un jeu parce que j'enseigne par le jeu, je crois que la parole c'est déjà suffisamment compliqué comme ça pour ne pas l'enseigner de façon trop didactique ou livresque, et donc j'essaye de l'enseigner par la pratique, après évidemment une fois la pratique advenue, j'essaye d'en tirer des conséquences et d'essayer de voir avec les élèves ce qui peut être amélioré, mais je pense que d'abord ça doit être dédramatisé, et donc... un peu ludique, et je me souviens en effet d'une jeune fille, je lui avais proposé à titre de jeu de me convaincre de télécharger une application de son choix, et c'était extrêmement compliqué, elle n'arrivait pas à me le dire. pas même à donner le nom d'une application qu'elle aurait voulu que je télécharge. Et je me suis dit que c'était très compliqué, ce d'autant que je ne faisais qu'une seule intervention devant cette classe. Dans ce qu'on a un suivi, c'est peut-être un petit peu plus facile. Pour autant, j'ai compris qu'il fallait privilégier une toute petite victoire sur une exigence trop importante. J'ai pris le temps de faire en sorte qu'au moins elle puisse nommer. l'application, donc j'ai beaucoup dédramatisé, j'ai beaucoup banalisé le moment, et comme j'ai compris que je n'aurais pas mieux dans cet instant-là, dès lors qu'elle a dit... le nom de l'application, je l'ai félicité, et je lui ai dit que c'était une première victoire sur elle-même, et que si les professeurs voulaient prendre le relais, peut-être que la fois suivante, elle pourrait donner une ou deux raisons pour lesquelles cette application devait être téléchargée. Mais c'est évidemment toute la difficulté de l'enseignement en classe, de la prise de parole en public, c'est-à-dire le groupe. Et donc... autant quand on fait des mathématiques ou de l'histoire-géographie, bien sûr il y a des enfants qui sont plus doués les uns que les autres, et on doit aussi gérer les différences de rythme, mais c'est encore plus criant, me semble-t-il, avec la prise de parole en public, parce que là vous êtes tributaire non pas seulement de prédispositions, mais également d'environnements sociaux, et bien sûr que le caractère collectif... De l'enseignement en classe est le principal obstacle, il faudrait faire quasiment du sur-mesure pour chaque élève, et c'est incompatible bien sûr avec un groupe classe, mais l'idée était quand même de lui dire que pour elle qui était en difficulté, le simple fait de nommer était un premier pas et que les autres seraient faits ultérieurement. Et vous savez... Il y a cette étude qui est fascinante d'ailleurs de l'université de Poitiers qui a installé des caméras dans une salle de classe de grande section de maternelle. Donc les élèves ont 5 ans et l'étude montre que les élèves qui prennent la parole le plus facilement et le plus longuement sont ceux qui sont issus de milieux favorisés. Donc à 5 ans. Les inégalités sociales sont déjà cristallisées. L'étude montre d'ailleurs que la question n'est pas tant la qualité de la parole, c'est pas ça qui fait la différence, c'est la capacité à prendre la parole, c'est-à-dire à être dans un groupe et à s'imposer dans un groupe. Et ça, dès l'âge de 5 ans, ça dépend de la... du rapport à la parole qu'il y a dans le milieu familial. Si dans votre milieu familial, on vous a déjà demandé de raconter votre journée, si on vous a déjà demandé de partager vos émotions sur tel ou tel sujet, si on vous a demandé si vous aviez passé un bon moment à telle ou telle activité, eh bien en classe, vous avez plus de facilité, vous vous sentez plus légitime. à prendre la parole dans un groupe. Et donc, à l'inverse, si on ne vous demande jamais de prendre la parole de votre famille, vous aurez plus de difficultés à la prendre dans le groupe classe. Et donc, cette étude, elle est à la fois claquuelle et tellement révélatrice du rapport à la parole et de son importance dans le milieu familial et dans le milieu scolaire.
- Speaker #0
Quand vous faites ces interventions dans les écoles, qu'est-ce que vous dites aux jeunes pour essayer de les convaincre de l'importance de s'entraîner à la prise de parole en public ?
- Speaker #1
Je leur dis deux choses. Je leur dis qu'il est normal d'avoir peur, que la peur fait partie de la parole et que c'est plutôt les gens qui n'ont pas peur qui me font peur. Ça, c'est la première chose. Je leur dis que s'ils ont peur, ils sont mon frère ou ma sœur parce que moi, j'ai peur encore. À 50 ans passés, j'ai encore peur lorsque je prends la parole en public. La première chose, c'est que je leur dis que la peur fait partie de la parole et qu'elle accompagne toutes nos vies. et qu'elle est normale, et que l'idée c'est d'en faire plutôt une peur stimulante qu'une peur inhibante, mais que la peur en elle-même ne disparaît pas, ça c'est la première chose. Et je leur dis également que la parole est une chance, c'est une chance de partager avec autrui leurs émotions, leurs convictions, leurs connaissances, et que c'est par la parole qu'on crée un groupe social, que l'on crée des amitiés, que l'on crée des affections, que l'on crée des connivences, que l'on crée un groupe autour de soi ou avec soi, et que donc c'est à la fois effrayant et important.
- Speaker #0
Est-ce que vous leur partagez des outils pour maîtriser leur stress ?
- Speaker #1
Je leur dis à quel point la pratique est importante, qu'ils doivent prendre toutes les opportunités de prendre la parole en public qui leur sont offertes. Je leur dis que ce qu'ils ont à dire mérite d'être entendu, que leur parole doit avoir toute leur place, que s'ils ne prennent pas la parole, d'autres le feront à leur place. et que les adultes doivent les écouter, et que leur parole a une dignité, et qu'elle n'a pas non plus toute sa place, mais qu'elle a une place.
- Speaker #0
Est-ce que vous trouvez que les enseignants sont assez formés sur ce sujet de la prise de parole ?
- Speaker #1
Inévitablement non, après ça dépend aussi des enseignants, il y a tout un panel, là aussi il y a des enseignants qui sont en difficulté avec cette discipline, même si globalement... enseignent par la parole, ils transmettent par la parole. Donc quand même rarement des enseignants qui seraient totalement inhibés et ce serait incompatible avec leur mode d'enseignement qui passe par la parole. Pour autant, être un praticien est une chose, savoir transmettre est autre chose. Et il est assez frappant de voir un peu plus tard dans le système scolaire que le grand oral du baccalauréat, avec toutes ses vertus, a quand même encore un vice qui est que c'est la seule épreuve à laquelle ne correspondent ni quotas horaires dédiés, ni enseignements dédiés. Chaque enseignant, avec la bonne volonté qui est la sienne ou pas, est supposé dédier quelques heures sur son enseignement à la préparation du grand oral. Mais imaginerait-on qu'il y ait une épreuve de mathématiques ou de philosophie sans qu'il y ait de professeurs dédiés ? ou de contingent horaire dédié. C'est le cas et la congruité du grand oral. Alors je connais bien les raisons qui ont conduit à cela. L'idée était que chaque professeur devait lui aussi se former et que le grand oral était une opportunité non seulement pour les élèves mais aussi pour les professeurs de se former. Je pense que ce système-là a aussi ses limites et que la prise de parole est en soi une discipline. et qu'elle mériterait au moins pour quelques heures que des formateurs particulièrement avisés s'en emparent.
- Speaker #0
Et vous nous avez partagé tout à l'heure une histoire d'une lycéenne pour qui la prise de parole a presque été impossible. Est-ce qu'au contraire, il vous arrive souvent d'être particulièrement surpris par la capacité de certains jeunes à prendre la parole en public ?
- Speaker #1
Bien sûr, c'est une grâce et une joie. J'étais la semaine dernière dans un concours d'éloquence de collégiens à Sergi-Pontoise. Et c'était extraordinaire, ils avaient entre 13 et 15 ans. Il y avait déjà, chez certains, pas chez tous, mais toutes les qualités des orateurs, et on a eu du mal à choisir, d'ailleurs on avait un podium qui se dégageait naturellement, mais nous avions du mal à choisir entre une candidate qui était extrêmement drôle et charismatique, ce qui est une qualité de l'orateur, une candidate qui était extrêmement rigoureuse et convaincante. avec des arguments très bien formulés, et qui est aussi une qualité de l'orateur. Et un troisième candidat qui avait un style littéraire et un lexique absolument magnifique. Et donc c'était très compliqué de choisir entre d'un côté l'humour, de l'autre côté...
- Speaker #0
La force de conviction et de troisième côté, la qualité de la langue. Il aurait fallu un candidat qui rassemble tout cela, mais en tout état de cause, les trois. fait gagner finalement le garçon qui était vraiment un orateur littéraire exceptionnel et donc j'ai appris par la suite qu'il avait 13 ans phénoménal et donc oui on voit dans ces concours alors bien évidemment c'est la partie émergée de l'iceberg et je veux pas dire j'ai une vision très biaisé des choses parce qu'on m'invite pour des concours d'éloquence qui par hypothèse rassemble les meilleurs Et donc j'ai une vision qui est idyllique de la prise de parole pour les lycéens ou les collégiens, mais véritablement, oui, cette soirée à Cergy était extraordinaire parce qu'on voyait toute cette diversité de ces jeunes, mais qui racontaient aussi leur vie de collégiens et de lycéens. Ce que je ne voudrais pas non plus, c'est dire que la parole... L'idéal pour un lycéen ou un collégien, ce serait la parole d'un adulte. La parole de l'enfant reste une parole d'enfant. Et c'est ça qui était vraiment formidable, c'est que chacun était un enfant. Enfin, un enfant, entendons-nous, un adolescent. Mais personne n'avait... Et ça c'est vraiment important, une parole prétentieuse ou une parole assertive ou une parole d'adulte où on singerait l'éthique des adultes. Et c'est ce qui m'a beaucoup plu, c'est qu'ils avaient une parole qui restait marquée par des préoccupations d'adolescents, mais exprimées de façon remarquable.
- Speaker #1
Vous avez parlé d'une jeune fille qui était charismatique. Est-ce que l'on est charismatique ou est-ce qu'on le devient ?
- Speaker #0
Elle avait de toute évidence un plaisir à parler. Alors, je ne dis pas qu'il y a un gêne du charisme, mais il y a des conditions de naissance de cela qui sont mystérieuses, mais qui existent. Cette jeune fille... de toute évidence, était heureuse à l'idée de parler. Elle avait ce don d'embarquer une salle de 400 personnes par son humour, par ses bons mots, par sa spontanéité aussi. J'insiste beaucoup aussi sur la nécessaire authenticité et sincérité dans la parole. La parole n'est pas un numéro d'acteur, elle n'est pas non plus un numéro de lecture, elle n'est pas un exercice. C'est un exercice de récitation et je me bats beaucoup contre ces concours d'éloquence qui ne sont pas des concours d'éloquence mais qui sont des concours de récitation ou de déclamation, souvent d'une parole un peu empoulée ou boursouflée. C'est pas ça la parole, la parole c'est la spontanéité et cette jeune fille était extraordinairement spontanée. Sa parole était pleine d'humour, de légèreté. Elle nous parlait de sa vie au collège et c'était vraiment irrésistible.
- Speaker #1
Beaucoup de Français vous connaissent, notamment grâce à votre participation au documentaire À voix haute retrassant l'histoire du concours Eloquencia qui vise à élire le meilleur jeune orateur du 93. Est-ce que cette expérience a transformé quelque chose en vous ?
- Speaker #0
Elle n'a pas transformé quelque chose, elle a transformé tout. Elle a transformé mon propre rapport à la parole, puisque souvent, justement, dans le prolongement de ce que je disais à l'instant, les concours d'éloquence d'avocat sont plus des concours de déclamation, c'est-à-dire qu'on a un sujet, souvent un peu absurde d'ailleurs, et on déclame un texte que l'on a rédigé à l'avance, Lorsque je suis arrivé pour enseigner avec mes camarades du programme Eloquentia en Seine-Saint-Denis, j'ai vite compris que cette parole-là n'avait pour eux pas beaucoup d'intérêt. Et ce qui était important, c'est d'avoir une parole sur des sujets du quotidien de leur vie, sur la laïcité, sur les violences policières, sur le rapport homme-femme, sur des sujets de leur vie, et qu'ils n'avaient pas... pas beaucoup de goût pour une parole qui serait une lecture ou une déclamation. Ce qui était important pour eux, c'est de pouvoir débattre, de pouvoir porter leurs idées dans la sincérité et l'authenticité, et d'avoir des mots pour résister aux discriminations. Et donc la dimension esthétique de la parole était pour eux d'une importance moindre que sa puissance persuasive.
- Speaker #1
J'ai une dernière question pour vous, c'est la question que je pose à tous mes invités du podcast. Vous le savez, le podcast s'appelle les adultes de demain. Qu'est-ce que vous souhaiteriez aux enfants d'aujourd'hui, les futurs adultes de demain ?
- Speaker #0
Je leur souhaite d'avoir davantage d'espace de parole. Je trouve qu'aujourd'hui encore, la parole de la jeunesse est souvent ignorée. Ça progresse, mais je crois que... Il faut donner des espaces d'éclosion de la parole, de la jeunesse, des espaces un peu préservés où chacun à son rythme prend conscience que ce qu'il a à dire vaut d'être entendu et que la parole est la... dans une sorte de mouvement de vaste communiquant, plus il y a de paroles et moins il y a de violence. Et je crois que nous sommes dans une société extrêmement fracturée, divisée, hostile, où les susceptibilités sont à fleur de peau. Et je crois que s'il y a une vertu de la... La parole de la jeunesse, c'est précisément de ne pas être ce que les adultes ont fait de leur parole, c'est-à-dire un objet de violence, de virulence, d'invective, et que les jeunes gens aient un rapport à la parole un peu plus pacifié. Et d'une certaine façon, je le vois dans... Le rapport que les jeunes ont avec les réseaux sociaux, qui dans la génération des 20, 30, 40 ans ont été le vecteur des convictions des uns des autres, avec toute la violence qui s'y attache, avec toute la virulence, et je trouve que les jeunes derrière cette génération-là ont compris toutes les limites. tous les excès auxquels nous avaient mené ces réseaux et la parole, oui, dure qui s'y répandait. Et je crois qu'ils ont rejeté tout cela. Et j'espère qu'ils auront, plus que nous, un rapport sain au réseau. qui soit un rapport pacifié où il y ait de l'écoute, il y ait du respect et où il y ait moins d'insultes. Je sais bien que c'est parfois un vœu pieux, il y a encore dans la jeunesse des ferments de violence, d'incompréhension, mais j'ai dit mille fois que débattre c'était le contraire de se battre, et que plus on avait d'espace de parole, moins on avait d'espace de violence. Et donc j'espère que même à travers des paroles imparfaites, et je veux aussi dire à quel point la parole, c'est faire le deuil de la perfection. La parole vaut, même si elle est imparfaite. Eh bien, j'espère que les adultes de demain seront des orateurs du respect, de l'écoute et de la bienveillance.
- Speaker #1
Merci infiniment Bertrand.
- Speaker #0
Merci à vous.
- Speaker #1
Merci infiniment d'avoir écouté cet épisode. J'aimerais prendre le temps de remercier tous ceux qui s'abonnent à la chaîne du podcast, qui laissent des avis et des notes sur Apple Podcasts ou Spotify. Ça paraît rien, mais ça fait toute la différence pour faire connaître notre travail qui est complètement indépendant. Pour me retrouver, je vous rappelle que vous pouvez aller sur le compte Instagram des adultes de demain ou sur mon compte LinkedIn perso. N'hésitez pas à me partager vos retours sur cet épisode ou sur le podcast en général, ça fait tellement du bien de vous lire. Je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode.