Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197 cover
Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197 cover
Les Adultes de Demain

Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197

Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197

37min |20/06/2024
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Les Adultes de Demain

Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197

Quels sont les grands enjeux de l'enseignement aujourd'hui ? - Florence Rizzo - #197

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Description

Changer les récits autour du métier d’enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on oublie souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l’émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société, et bien plus encore.

Vous connaissez certainement pour beaucoup Ecolhuma et son initiative EtrePROF qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J’ai l’immense chance aujourd’hui d’interviewer sa fondatrice Florence Rizzo. Convaincue plus que tout que l’école publique est un rempart contre les maux de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d’enseignant demeure l’un des plus beaux métiers du monde.


Ressources :
- https://ecolhuma.fr/
-https://etreprof.fr/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On a une culture, nous, françaises, de la punition.

  • Speaker #1

    Et on pense que c'est normal.

  • Speaker #0

    Pourquoi est-ce qu'on exclut un enfant de l'école ? Parce qu'il est différent. Des outils comme l'intelligence artificielle, elles ne posent pas réellement de nouvelles questions. Elles posent d'anciennes questions auxquelles on n'a pas répondu depuis longtemps. Comme Maria Montessori le disait, l'éducation est la plus belle arme de paix. Michel Onfray a cette phrase que j'aime beaucoup, il dit tous les enfants sont des philosophes et certains adultes le demeurent Nos enfants deviennent comme nous les voyons, nos enfants deviennent comme ils nous voient. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'on peut pour demain.

  • Speaker #1

    Bienvenue sur le podcast Les Adules de Demain. Je m'appelle Stéphanie Desclebbes, je suis entrepreneur et surtout une actrice engagée pour l'enfance. Dans ce podcast, je donne la voix à celles et ceux qui changent le monde grâce à l'éducation. Pour en savoir plus sur mes dernières actualités, rendez-vous sur le compte Insta at Les Adules de Demain ou sur mon compte perso LinkedIn. Pour retrouver un condensé des meilleurs moments du podcast, je vous laisse découvrir le livre Offrir le meilleur aux enfants aux éditions Atier, que j'ai co-écrit avec ma mère Sylvie Descleb, que vous entendrez beaucoup dans ce podcast. Allez, je laisse place à un nouvel épisode. Changer les récits autour du métier d'enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on en oublie trop souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l'émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société et bien plus encore. Vous connaissez certainement, pour beaucoup, École UMA et son initiative Être prof, qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J'ai l'immense chance aujourd'hui d'interviewer sa fondatrice Florence Rizot. Convaincue plus que tout que l'école publique est un rempart contre les mots de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d'enseignant demeure l'un des plus beaux métiers du monde. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Florence.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous avez cofondé École UMA, l'association qui aide les enseignants et les chefs d'établissement afin qu'ils puissent accompagner au mieux Les jeunes générations à grandir et s'épanouir, vous êtes convaincus, je pense comme moi, que nous changerons le monde grâce à l'éducation. Et j'aimerais pour démarrer comprendre quoi vous avez décidé de vous engager sur les sujets d'éducation.

  • Speaker #0

    Alors la racine de mon engagement vient probablement de mon histoire familiale. Je viens d'une famille plutôt modeste ou classe moyenne pas très favorisée de l'Est de la France, avec des parents qui croyaient très fort en l'école. outil essentiel d'émancipation et aussi de mobilité sociale. Toute ma famille, du côté de mon père, vient d'un bassin minier du côté de Mont-Soleil-Mines. On voyait bien là l'école blanc qui venait plutôt de milieux sociaux favorisés et mon père me disant ma fille, il faut que tu fasses des maths, il faut que tu bosses à fond parce que sinon tu ne t'en sortiras pas Et donc j'ai gardé ça très fort en tête. J'ai eu la chance d'être plutôt une bonne élève, de partir à Paris pour faire une classe prépa, de faire des grandes écoles à la française, donc Sciences Po, l'ESSEC, de faire des compléments à l'INSEAD, à ce qu'on appelait l'ENA et qui est devenu... Voilà, l'INSP. Et en fait, à chaque fois, ce qui m'a frappée, c'est quand même un sentiment de reproduction des inégalités. Alors bien sûr, la France a progressé, mais la France reste un des pays les plus inégalitaires des pays de l'OCDE, puisqu'un enfant issu de milieux défavorisés va avoir quatre fois moins de chances de faire partie des bons élèves. Et ça, ça a nourri une révolte, en fait, je crois. La confrontation entre... Voilà, l'histoire notamment de mon papa qui a arrêté l'école avant le bac, alors que c'était un... Un gosse intelligent, mais juste, voilà, sa mère était un peu à moitié illettrée, son père travaillait à la mine, il n'y avait pas de quoi l'accompagner vraiment. Et ce que je voyais sur les bandes de ces grandes écoles, où globalement les jeunes étaient plutôt issus de milieux lettrés et favorisés, je me disais, il y a quelque chose qui ne va pas en fait. Et donc ça, c'est l'impulsion de départ. Et ensuite j'ai voulu comprendre d'un point de vue analytique qu'est-ce qui se jouait à une échelle méta. Et donc j'ai commencé à lire beaucoup pour comprendre quels étaient les déterminants de la réussite et quels étaient les grands enjeux systémiques à l'échelle de la France. Et c'est en 2010 que j'ai commencé à faire ce travail-là qui m'a amenée en France, à l'étranger, à rencontrer beaucoup d'acteurs de terrain et des intellectuels. Et à me dire, tiens, là, il y a un endroit dans notre système éducatif où il y a quelque chose qui dysfonctionne, c'est que, ok, on a 12 millions d'élèves, on a 870 000 enseignants, et on a 870 000 En fait, derrière ces 870 000 enseignants, il n'y a pas forcément l'infrastructure qui va vraiment les soutenir et les accompagner pour qu'ils soient à la fois épargnés dans leur métier et qu'ils réussissent bien à être de bons pédagogues aux côtés des enfants. Et donc, c'est comme ça qu'on a commencé.

  • Speaker #1

    Magnifique. Et alors, vous mettez régulièrement en avant l'immense solitude dans laquelle se trouvent les enseignants en France. Pourquoi on en est arrivé à une telle situation ?

  • Speaker #0

    En fait, le métier à l'époque de la Troisième République, c'est un métier de notable. C'est-à-dire, il y a le maire, il y a le curé, et puis il y a le prof du village. Et en fait, depuis la Troisième République, il y a eu une élévation du niveau général quand même de la population et une perte de statut social des enseignants. C'est un métier qui s'est féminisé, c'est un métier qui s'est précarisé. Et malgré le fait qu'aujourd'hui ce sont des bacs plus 5, on se retrouve avec des enseignants qui effectivement sont malmenés, se sentent dévalorisés, sont dévalorisés par la société, alors que c'est un métier absolument essentiel, en première ligne en fait de la constitution de notre nation et de la possibilité de souder une génération. quelle que soit son origine sociale et son origine culturelle.

  • Speaker #1

    Et pourquoi vous pensez justement qu'on en arrive à une telle dévalorisation, notamment dans les médias de ce métier-là ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense qu'il y a un élément qui est lié à la massification de l'accès à l'éducation, qui est un pari gagné d'une certaine manière, puisque aujourd'hui on scolarise en France 12 millions d'élèves. À l'époque, on a oublié, mais c'était plutôt la généralisation de l'accès à l'éducation primaire, et pas du tout secondaire. Ceux qui allaient au lycée étaient plutôt issus de classes favorisées, c'était plutôt des hommes. Il y a eu quand même des phases de démocratisation de l'accès à l'éducation qui ont industrialisé le système et qui ont, comme effet délétère, eu comme conséquence de... parfois malmenés en fait, parce qu'on a industrialisé, massifié l'accès à l'éducation. Donc ça c'est un premier sujet, je pense, qui est important à avoir en tête. L'élévation du niveau général de la population, qui par effet d'écart en fait, a rendu les enseignants comme un métier moins... moins attendu, et c'est un métier qui s'exerce de manière très isolée en France, contrairement à d'autres pays dans le monde où il y a un exercice collectif du métier. Nous, il y a vraiment cette liberté pédagogique, mais en même temps qui s'exerce avec une culture un peu de la porte fermée, de la peur du jugement, de la peur du regard de l'autre, et ça en fait, ce manque d'exercice collectif du métier. accroît ce sentiment d'isolement face à des problématiques en plus qui sont en augmentation. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas juste de transmettre des connaissances, il faut aussi accompagner les enfants sur le développement de leurs compétences psychosociales, il faut répondre aux enjeux de la laïcité, contrebalancer les fake news et avoir une rigueur face à ces... Face à la connaissance et au raisonnement scientifique, l'arrivée de l'intelligence artificielle qui aussi bouscule pas mal. Donc en fait ces dernières années, le métier a énormément évolué par la surimposition et la superposition de missions supplémentaires et par le changement sociétal qui vient questionner beaucoup ce rôle-là et qui demande énormément de travail d'actualisation des connaissances. de la part des enseignants.

  • Speaker #1

    Auriez-vous des exemples de pays où le modèle de l'enseignement est peut-être plus désirable qu'en France ?

  • Speaker #0

    Alors, on parle souvent des pays nordiques et notamment de la Finlande. Moi, j'ai habité en Finlande pendant un an. Et effectivement, c'est un métier qui est très valorisé. Donc, on recrute des gens qui sont les meilleurs de l'université. Ils vont être très bien payés, très bien valorisés. Donc, voilà, on est dans un système vertueux où on recrute des personnes de haut niveau qu'on va très bien payer, qu'on va très bien accompagner dans toute leur carrière professionnelle. Ce qui est intéressant, c'est que ça n'a pas toujours été le cas. Ça montre bien qu'il y a une décision politique à un moment donné d'investir sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien. Et ça, c'est un choix que la France n'a pas vraiment fait, puisque les enseignants en France, si on prend juste la question de la formation continue, on y reviendra peut-être, mais sont dix fois moins formés qu'à Singapour ou en Suède, pour prendre les modèles d'ordiques. et sont 13 fois moins formés qu'un fonctionnaire issu du ministère de la Justice. Donc il y a à un moment donné un choix politique d'investir sur, certains diraient le capital humain, en tout cas sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien.

  • Speaker #1

    Quels sont les plus grands mythes qui existent aujourd'hui autour du métier d'enseignant ?

  • Speaker #0

    Alors les enseignants, ah bah oui, c'est des feignants qui n'ont que des vacances scolaires, qui sont des militants de gauche, qui ne sont jamais sortis de l'école. Donc ça, on entend cette petite musique un peu lancinante qui est insupportable, insupportable avant toute chose pour les enseignants qui, pour la plupart, sont extrêmement engagés. et restent avec cette conviction chevillée au corps qu'effectivement ils ont un métier absolument essentiel. et qui constitue une première ligne de rempart finalement face à la montée des obscurantismes, du populisme, de l'ignorance, face aux risques civilisationnels qu'on a, les enseignants sont ce premier rempart. Et pourtant, on va leur renvoyer cette image de vous foutez rien et vous servez à rien Pendant le confinement, je pense qu'il y a eu une petite reprise de conscience de la part notamment des parents, en se disant Ah ouais, mes enfants à la maison, j'en ai un, deux, trois, leur faire école, en fait, c'est pas si simple que ça. Et j'en ai que deux, trois et je suis déjà au bout de ma vie. Donc qu'est-ce que ce serait si j'en avais 20 ou 30 avec des besoins différents dans tous les sens ? Je pense qu'il y a eu un sursaut de prise de conscience à ce moment-là. Je ne sais pas si on l'a gardé aussi saillante qu'au moment du confinement. Mais je crois qu'il y a besoin d'avoir un sursaut général de prise de conscience de l'absolue nécessité d'avoir ce métier-là et que cette population enseignante aille bien, soit valorisée, considérée, parce qu'elle joue un rôle absolument essentiel pour l'avenir de la France et l'avenir de l'humanité en général, si on dézoome en dehors de la France.

  • Speaker #1

    Et vous qui avez beaucoup de retours du terrain, qu'est-ce que vous avez à dire sur le lien entre les parents et les enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui est intéressant, c'est de revenir dans l'histoire, en fait, de cette relation. L'école, elle s'est un petit peu construite, enfin la généralisation de l'école publique, laïque, obligatoire, elle s'est construite un petit peu, quelque part... Pas contre les parents, mais un petit peu quand même. C'est-à-dire, c'était quand même une force de travail dans les champs, pour aider à la maison. Et donc, il a fallu un peu se battre quelque part avec les parents pour que les enfants aillent à l'école. Et donc, on vient un petit peu de cette histoire-là, qu'on a oubliée de manière consciente, mais qui fait partie de notre histoire. Et bien sûr, après, les choses ont évolué, les parents sont devenus plus éduqués. Et aujourd'hui, on est un petit peu dans une relation qui n'est pas complètement toujours apaisée, parce que certains parents sont devenus presque consommateurs de l'école. avec une logique un peu servicielle de je paye mes impôts, donc vous me devez tant d'heures, vous me devez ceci, vous me devez cela Et donc cette logique de parents consommateurs, je pense, est difficile à vivre pour certains enseignants. Certains enseignants aussi qui peuvent avoir historiquement cette culture de la porte fermée, pas forcément de partager avec les parents, parents qui ont pourtant besoin de savoir ce qui se passe pour leurs enfants. Donc voilà, il y a un vrai travail à mener. de tissage des liens de cette co-éducation parce que c'est ensemble que parents et professeurs réussiront à bien accompagner les enfants dans leur capacité à grandir, à s'orienter. Mais chacun doit faire un pas vers l'autre et avec empathie comprendre les contraintes et les difficultés de chaque côté de cette relation et en reconnaissant quand même aux enseignants ce rôle de professionnel. de l'éducation, ce rôle de pédagogue. Et ça, je pense que la remise en question perpétuelle, comme si nous, en tant que parents, parce que je suis aussi maman, on savait mieux que des professionnels pour lesquels c'est un métier auquel ils ont été quand même formés et qui fait partie de leur quotidien. Je trouve que la question, c'est aussi comment on tisse les liens, mais comment chacun reste à sa place dans son rôle de parent ou d'enseignant.

  • Speaker #1

    Et en plus de la reconstruction de ce lien entre les parents et les enseignants, quels sont selon vous aujourd'hui les plus gros challenges auxquels font face les enseignants ?

  • Speaker #0

    Les enseignants en France sont aujourd'hui très peu formés, on l'a dit. En formation initiale, la formation a été un peu revue, mais c'est la cinquième réforme en 15 ans. Donc ce n'est pas ça qui va régler le problème. On a 870 000 enseignants qu'il faut accompagner dans leur développement professionnel continu. Donc là, on a un vrai sujet qui est totalement dysfonctionnel en France et je pense qui est rarement aussi dysfonctionnel que dans un pays comme la France. Donc les enseignants ont besoin d'être formés, accompagnés tout au long de leur vie, et ça c'est un vrai besoin, c'est un vrai sujet. Ils sont confrontés récemment à une mise en tension du métier, on a vu l'assassinat terrible de Dominique Bernard, qui a fait écho à celui de Samuel Paty. Donc on voit bien que l'école est de plus en plus prise pour cible par des personnes... radicalisés, qui sont dans l'ignorance aussi. Et c'est la bêtise qui tue. Ceux qui sont là pour essayer d'élever, d'ouvrir l'esprit. Mais donc voilà, ils se sont confrontés à ça et les enseignants n'avaient pas signé pour se faire tuer. Quand on voit certains pays où une malala se prend une balle de la tête parce qu'elle va à l'école, on ne se disait pas que ça pouvait arriver chez nous. Et donc je pense que là, il y a une prise de conscience que ça devient un métier à risque alors que ce n'était pas censé être un métier à risque. C'est 200 écoles qui ont été prises pour cible au moment des émeutes autour du décès de Naël. La jeunesse, elle se retourne contre une école qui est censée les émanciper parce qu'elle est vécue comme le dernier outil peut-être du monde désinclu dans un monde qu'ils vivent comme étant celui des exclus dans leur quartier. Donc il y a un vrai sujet de... Voilà, de défendre cette école, de montrer que c'est un outil d'émancipation qui doit permettre d'inclure toutes les parties prenantes de la société française. Voilà, ça, c'est un challenge auquel les enseignants sont clairement confrontés. Les attaques, les atteintes à la laïcité qui sont de plus en plus fortes, les fake news qui sont diffusées sur les réseaux sociaux et qui viennent laver la tête de toute une jeunesse sur... Qu'est-ce qu'est un fait scientifique ? Qu'est-ce qu'est un raisonnement vrai ? Cette espèce de remise en question de la vérité dans un monde de la post-vérité à la Trump où tout se vaut, enfin non, tout ne se vaut pas. Et donc ça c'est un immense challenge, les enjeux de la transition écologique qui viennent augmenter tous les syndromes, notamment d'éco-anxiété chez les jeunes. L'école est dans la société, donc elle est percutée par tous les maux de la société. Du côté de la santé mentale, on a un élève sur quatre en situation de stress et d'anxiété, on a 50% des enseignants qui sont en situation d'épuisement émotionnel fort. Ça c'est les résultats de nos derniers baromètres sur la santé mentale qu'on a fait avec École humain. Et les enseignants sont censés enseigner avec et malgré tout ça. Chapeau en fait, c'est un sacré challenge. Et que la plupart quand même relèvent. Alors relèvent mais... avec un certain épuisement qu'on peut comprendre en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Vous avez parlé de la non-réforme de la formation continue. Pourquoi est-ce que cette partie-là de la formation des enseignants tarde tant à être réformée ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Je pense qu'en fait, politiquement, c'est pas forcément intéressant ou sexy. C'est-à-dire que parler de l'uniforme à l'école, tous les parents de France vont être capables d'avoir un avis sur pour ou contre l'uniforme. Même si, honnêtement, scientifiquement, on sait que ça n'a aucun effet. Donc on peut mettre des uniformes, ne pas en mettre, honnêtement, on s'en fout. C'est pas un sujet ! C'est pas un sujet, donc ça peut passionner les débats, mais en vérité, c'est pas ça qui va nous faire remonter dans le classement PISA. Dernier classement PISA de décembre 2023, la France, très moyenne, a encore baissé. Les résultats ont chuté en maths et en français. Et c'est pas avec l'uniforme, évidemment, qu'on va relever le niveau. Donc il y a un enjeu, en fait, je pense, de conscience de la part de l'ensemble des citoyens français, de l'ensemble des parents de France et donc vos auditeurs, qu'il est absolument fondamental et nécessaire de former et soutenir les enseignants. En fait, il n'y a aucun système d'éducation qui n'a pu se transformer, qui n'a pu améliorer la qualité sans les enseignants. Ça n'existe pas. Donc en fait, s'il y a une réforme à faire, Aujourd'hui, c'est celle-là. Ce n'est pas forcément une réforme très bling-bling, très voyante, mais en fait, c'est celle qui peut avoir le plus d'impact. Et donc, je pense que s'il y a une conscience partagée de la part des citoyens, qu'il y a ce besoin-là d'être tous derrière l'école publique, comme on essaie d'être tous derrière l'hôpital public qui doit soigner l'ensemble des citoyens français, l'école publique qui peut accueillir l'ensemble des enfants de la France. et de soutenir celles et ceux qui sont là pour éduquer, émanciper, faire grandir, je pense que c'est un enjeu national en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Est-ce que vous voyez d'autres grandes réformes que vous rêveriez de voir en place rapidement en France ?

  • Speaker #0

    Alors pour moi, il faut arrêter les réformes. C'est-à-dire que concrètement, chaque ministre, il va de sa réforme. Et le terrain n'en peut plus, en fait, de faire A, moins A, B, moins B. Enfin voilà. On tricote et on détricote. Et je pense que ça, c'est absolument insupportable. La Finlande qui a réussi on en parle tout le temps à se transformer, ils se sont mis d'accord, en fait. Et pendant 10 ans, ils ont... suivi leur feuille de route. Et donc, ils ont arrêté de tricoter et de tricoter. Ils se sont mis d'accord, Union nationale, sur des priorités. Et ils ont tenu bon, en fait. L'éducation, c'est du temps long. Ça ne peut pas être une réforme qui, en un an, aurait un effet. C'est faux. Ça n'existe pas, en fait. Et donc, se mettre d'accord, arrêter les réformes pendant X années et tenir. une feuille de route pour permettre aux acteurs de terrain effectivement de transformer ce qu'il y a à transformer, de garder ce qui est positif. Ça, c'est absolument nécessaire. Juste sur les rythmes scolaires, je crois qu'il y a eu trois ou quatre réformes en dix ans. Donc voilà, sur le terrain, ils n'en peuvent plus.

  • Speaker #1

    Et après avoir dit tout ça, qu'est-ce qui vous donne encore espoir dans le changement de l'école publique en France ?

  • Speaker #0

    Ah moi j'y crois ! J'y crois à fond ! Et c'est pas la croyance de quelqu'un de naïf. Je vois des milliers, nous on accompagne 170 000 enseignants avec être-prof.fr. On vient de sortir un livre, Bienvenue dans ma classe, avec plein de très beaux témoignages d'enseignants qui racontent. leurs engagements, leurs difficultés, la vie, mais qui montrent cette capacité d'engagement, de résilience, de combat que peut avoir énormément d'enseignants en France. Donc ça, ça me donne beaucoup d'espoir, parce que souvent on entend les arbres qui tombent, mais pas la forêt qui pousse. Moi je considère qu'il y a une forêt qui pousse à bas bruit, on ne l'entend pas, mais elle est là. Et l'autre chose, c'est que je crois beaucoup au récit qui peut être performatif. C'est-à-dire que plus on entend la petite musique de l'école publique c'est nul, c'est un mammouth indécrottable, et de toute façon il faut jeter l'éponge, et moi je vais scolariser mon enfant je ne sais pas où, dans je ne sais pas quelle école atypique, et c'est comme ça qu'on va résoudre le problème je pense que cette petite musique-là, elle est contre-productive en fait. par rapport à l'école de la République qui doit rester le socle de la nation française. Et donc si le discours qu'on entend porté par des leaders politiques, des leaders économiques, par tout un tas de parties prenantes de la société civile, se situe autour de cette école comme point de convergence, comme étape obligée pour construire à la fois des apprentissages mais aussi un vivre ensemble, et que ça c'est quelque chose qui reste positif dans la tête de toutes et tous, je pense que c'est performatif et que ça inverse la tendance. qui est un peu celle qu'on entend et qui me fatigue un peu, je dois dire.

  • Speaker #1

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et si on reste sur cette note positive, pourquoi est-ce que vous croyez que le métier d'enseignant est toujours l'un des plus beaux métiers au monde ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est l'un des plus essentiels. C'est-à-dire que je considère qu'un pays, il a un peu deux pieds. Il a la santé et l'éducation. La santé, parce que sans santé, on ne peut pas vivre et grandir. Et l'éducation pour s'émanciper, construire le monde de demain. Donc les soignants et les enseignants, pour moi, ce sont deux populations. qui sont vitales en fait pour un pays. Et surtout dans une époque qui est vraiment, je trouve, assez noire. Quand on voit les enjeux du dérèglement climatique, la montée des populismes, l'attaque du modèle démocratique, je pense que tout ça nous montre qu'on a encore plus besoin d'éducation. Plus il y a des failles de civilisation, des risques d'effondrement, et plus on a besoin. De prendre conscience, d'être éduqué, d'avoir une capacité de raisonnement, une capacité de discernement, une capacité de prise d'initiative, de construction avec les autres. Et tout ça, en fait, c'est l'école qui peut apporter ça. Bien sûr, il y a les familles, les familles qui apportent un premier socle, mais le deuxième lieu de socialisation et le deuxième lieu de construction de l'individu, c'est l'école, c'est le passage obligé par lequel l'ensemble des enfants... français vont passer en fait. Et donc si cette école, c'est une école qui inclut, si c'est une école qui émancipe, je pense qu'on forme la société de demain et donc les enseignants, c'est cette première ligne absolument essentielle pour construire les générations de demain.

  • Speaker #1

    Vous qui travaillez pour et par les profs, est-ce que vous auriez des initiatives récentes qui vous ont particulièrement touchées, qui sont particulièrement positives, qui ont été portées par des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors, il y en a plein qui sont à petite échelle, parce qu'en fait, le problème, c'est la question de l'échelle. Si on regarde l'échelle du système, donc c'est 12 millions d'élèves, c'est 870 000 enseignants, c'est 60 000 établissements scolaires. Et en fait, souvent, les pépites, ça se situe à la maille d'un enseignant, à la maille d'une école, en fait. Et donc on voit un foisonnement de petites initiatives d'enseignants, on le voit dans le livre, qui acceptent d'aller enseigner en milieu carcéral, d'enseignants qui vont se bagarrer pour l'ouverture culturelle et puis pour faire des voyages de classe, d'enseignants qui vont, sur leurs données personnelles, avoir une petite trousse magique avec des tubes de colle, des choses que les enfants les plus pauvres ne peuvent pas acheter en fait, parce que la maman elle attend d'avoir sa paye pour arbitrer entre... acheter un steak ou acheter le tube de colle et la trousse de l'enfant. Voilà, tout ça, c'est des petites pépites qui ne sont pas forcément waouh, en fait, à une échelle macro. Mais en fait, c'est la somme de toutes ces pépites qui font, en fait, la qualité de la relation prof-élève, la qualité de l'éducation. Et ça, je trouve qu'on ne le regarde pas assez avec une loupe, en fait, pour se dire Waouh, c'est beau, ce foisonnement et cette capacité qu'on... les individus à s'engager, à écouter, à être là. pour accueillir tel enfant qui a des besoins particuliers, pour essayer d'éveiller, d'allumer les petites lumières dans les yeux des enfants. Et ça, il y a un foisonnement. Si on regarde bien, il y a un foisonnement. Donc je pense qu'il ne faut pas forcément toujours regarder par le prisme de l'initiative Wahoo qu'on va relayer médiatiquement et qui ne va pas forcément faire modélisation pour un SMH à grande échelle. Alors tout le monde connaît Jérémy Fontagneux qui, voilà, prof génial, contractualise avec les parents, leur envoie des textos pour leur dire regardez, ça c'est positif Donc voilà, il y a des gens comme ça qui sortent du lot et c'est super, mais je nous invite collectivement à aller voir ce foisonnement, cette forêt qui pousse à bas bruit et qu'on ne regarde pas et qui fait pourtant la qualité du maillage et du tissu éducatif français.

  • Speaker #1

    Alors on le sait, le recrutement des enseignants est de plus en plus difficile en ce moment. Qui sont les personnes en France qui ont envie d'être enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que le métier s'étant précarisé, il s'est féminisé, et on a de moins en moins de candidats au concours. Il y a des enseignants contractuels de plus en plus, donc des gens qui n'ont pas forcément eu la formation. initiale pour devenir enseignant. Donc voilà, il y a effectivement d'un côté une baisse d'attractivité du métier qui crée une crise des recrutements dans les premières carrières. Mais il y a aussi un phénomène que je trouve intéressant qui est le phénomène des secondes carrières, c'est-à-dire de gens qui ont fait autre chose dans une première vie et qui cherchent absolument à sortir de ce qu'on appelle les bullshit jobs et à aller vers des choses plus essentielles. Voilà, j'en ai vu plein qui étaient brokers, financiers ou je ne sais pas quoi, et qui ont envie de retrouver le sens, la simplicité d'enseigner à 20-30 enfants. Et ils y trouvent là un sens à leur existence, un sens profond à leur existence, parce que ce qui va les tenir, c'est ni la rémunération, ni forcément la reconnaissance institutionnelle, mais profondément, intrinsèquement, le bonheur d'accompagner. 20-30 enfants chaque année à grandir. Donc ça, ça donne de l'espoir aussi, ce phénomène des secondes carrières, parce que ça veut dire que c'est un métier qui garde profondément un sens, puisqu'il attire des gens qui ont fait autre chose avant et qui se disent, quand même, enseignant, pourquoi pas.

  • Speaker #1

    Et on a parlé du lien entre parents et enseignants. J'aimerais bien avoir votre avis sur le lien entre les élèves et les enseignants aujourd'hui en France.

  • Speaker #0

    Alors je pense qu'il y a une question autour de la figure d'autorité. L'autorité, c'est Michel Serres qui disait, c'est ce qui fait grandir. Donc normalement, l'autorité, c'est ce qui élève. On a parfois en France une vision de... d'une autorité peut-être un peu autoritaire. Et donc je pense qu'il y a une question qui se joue autour de la relation d'autorité, de l'incarnation de ces figures d'autorité. Et les enseignants, c'est ni les parents, ni des copains, ni des grands frères. C'est une figure qui peut accompagner le jeune à grandir. Mais pour ça... Toute la question se situe autour de la qualité relationnelle prof-élève et jusqu'où on s'autorise une connexion qui de fait est une connexion humaine. Et je me souviens de Maëlle Vira qui avait fait un livre autour de l'amour, au sens noble du terme. Aimer ses élèves, souvent dans la culture française, on a l'impression que c'est un gros mot. Mais ne pas renoncer à cette notion d'attachement, même si on doit rester professionnel, avec une certaine distance qui doit être protectrice à la fois de... de l'enfant et de soi-même, mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler autour de l'attachement dans la relation prof-élève et comment on s'autorise cette relation qui est une relation humaine et qui n'est pas juste de transmettre 1 plus 1 égale 2 sans affect. Ce n'est pas possible, en fait. Donc, cette question de l'intelligence émotionnelle et relationnelle à la fois des enseignants et des élèves, De fait, comment on construit cette relation-là, je pense que c'est quelque chose autour duquel il y a encore des tabous.

  • Speaker #1

    J'aimerais maintenant qu'on prenne quelques minutes pour parler d'école humain. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi ça consiste et quelles sont vos activités à destination des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors Ecoluma, c'est une association qui a 12 ans maintenant et on a créé en fait plusieurs dispositifs dont l'un qui s'appelle êtreprof.fr. On l'a créé vraiment par et pour les enseignants. Donc c'est cofondé avec notamment Nathalie Dreyfus, enseignante dans le premier degré depuis une trentaine d'années, qui a été directrice d'école. Et ce par et pour, il est absolument essentiel pour... Voilà, rendre cet outil le plus utile possible pour ceux qui sont sur le terrain au quotidien. Et donc, êtrepreuve.fr, aujourd'hui, c'est 170 000 enseignants qui ont créé un compte de la maternelle au lycée en passant par le lycée professionnel. Et avec l'enjeu de pouvoir s'auto-former sur... des questions de gestion de classe, d'accueil des enfants à besoin particulier, de... accueil des enfants issus de milieux défavorisés, travail sur les enjeux du stress et de l'anxiété scolaire, enfin bref, tous les défis qui traversent l'école. L'idée, c'est de pouvoir les accompagner sur ces enjeux-là avec des fiches outils, des guides pratiques, des vidéos tutos, etc. Mais c'est aussi une communauté de soutien moral et psychologique, donc il y a beaucoup de temps d'interaction qui sont proposés. Voilà, du mentorat et un soutien moral pour dire aux enseignants, on a besoin de vous, vous êtes absolument essentiels, ne lâchez pas, la France a besoin de vous. Et donc c'est d'être une communauté horizontale, paire à paire, de soutien pédagogique et psychologique pour donner aux enseignants le goût de rester enseignants et d'être... des profs épanouis et de bons pédagogues. Donc ça, c'est la partie être prof. Et puis, on anime cette communauté avec 150 enseignants mentors qui sont auteurs. dont certains sont auteurs dans le livre Bienvenue dans ma classe. Et ce sont des enseignants qui sont en poste, donc qui ont une pratique vivante du métier. Et ça, c'est important. Ce ne sont pas des gens qui sont déconnectés du tout du terrain, ils sont sur le terrain. Et puis, en plus de leur métier d'enseignant, ils s'engagent dans la communauté Être prof pour partager, donner un peu de leur temps et de leur connaissance et accompagner les collègues dans leur progression professionnelle. Et ensuite, on a développé d'autres outils d'accompagnement et notamment un programme d'accompagnement des équipes pédagogiques dans les établissements scolaires, où là on intervient vraiment en présentiel aux côtés des équipes pour les aider sur le travail collaboratif et rompre un peu cet isolement dans le métier. On sait que les pratiques collaboratives sont très faibles en France par rapport au pays de l'OCDE, c'est dix fois inférieur. Et pourtant c'est absolument essentiel à la fois pour construire de la qualité professionnelle, du bien-être au travail et améliorer la qualité des résultats des élèves. On n'est pas forcément historiquement dans une culture collaborative, mais on est convaincu que c'est absolument essentiel de la développer, d'où ce programme. cette fois pas du tout digital mais présentiel d'accompagnement sur le terrain d'équipe pédagogique.

  • Speaker #1

    Je le suis aussi très convaincue et donc je partagerai évidemment tous les liens de ces programmes en description de l'épisode mais je suis certaine que de nombreux auditeurs vous connaissent déjà alors j'ai une dernière question à vous poser, c'est la question que je pose à tous les participants du podcast vous le savez le podcast s'appelle les adultes de demain qu'est-ce que vous souhaiteriez aux enfants d'aujourd'hui les futurs adultes de demain ?

  • Speaker #0

    Alors je leur souhaite de prendre conscience à la fois de l'immense chance qu'ils ont et de leur responsabilité dans la construction du monde de demain, qui suppose d'acquérir une capacité de discernement dans un monde qui est de plus en plus clivé, avec l'augmentation des fake news, le discernement je pense est une compétence absolument essentielle. L'empathie, qui est une qualité humaine qui permet de se relier aux problématiques du monde, de se relier aux autres, et de fait d'être sensible, et donc derrière d'agir pour résoudre les problématiques auxquelles on a été sensible. Et puis, ce que je leur souhaite aussi, c'est d'apprendre à construire, à prendre des initiatives. avec les autres pour résoudre les défis qui sont devant nous. Donc voilà, discernement, empathie et capacité de prise d'initiative collective pour construire le monde de demain. Et je crois qu'on en a grandement besoin.

  • Speaker #1

    Formidable, merci beaucoup Florence.

  • Speaker #0

    Avec plaisir, merci à vous.

  • Speaker #1

    Merci infiniment d'avoir écouté cet épisode. J'aimerais prendre le temps de remercier tous ceux qui s'abonnent à la chaîne du podcast, qui laissent des avis et des notes sur Apple Podcasts ou Spotify. Ça paraît rien, mais ça fait toute la différence pour faire connaître notre travail qui est complètement indépendant. Pour me retrouver, je vous rappelle que vous pouvez aller sur le compte Instagram des adultes de demain ou sur mon compte LinkedIn perso. N'hésitez pas à me partager vos retours sur cet épisode ou sur le podcast en général, ça fait tellement du bien de vous lire. Je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Changer les récits autour du métier d’enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on oublie souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l’émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société, et bien plus encore.

Vous connaissez certainement pour beaucoup Ecolhuma et son initiative EtrePROF qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J’ai l’immense chance aujourd’hui d’interviewer sa fondatrice Florence Rizzo. Convaincue plus que tout que l’école publique est un rempart contre les maux de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d’enseignant demeure l’un des plus beaux métiers du monde.


Ressources :
- https://ecolhuma.fr/
-https://etreprof.fr/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On a une culture, nous, françaises, de la punition.

  • Speaker #1

    Et on pense que c'est normal.

  • Speaker #0

    Pourquoi est-ce qu'on exclut un enfant de l'école ? Parce qu'il est différent. Des outils comme l'intelligence artificielle, elles ne posent pas réellement de nouvelles questions. Elles posent d'anciennes questions auxquelles on n'a pas répondu depuis longtemps. Comme Maria Montessori le disait, l'éducation est la plus belle arme de paix. Michel Onfray a cette phrase que j'aime beaucoup, il dit tous les enfants sont des philosophes et certains adultes le demeurent Nos enfants deviennent comme nous les voyons, nos enfants deviennent comme ils nous voient. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'on peut pour demain.

  • Speaker #1

    Bienvenue sur le podcast Les Adules de Demain. Je m'appelle Stéphanie Desclebbes, je suis entrepreneur et surtout une actrice engagée pour l'enfance. Dans ce podcast, je donne la voix à celles et ceux qui changent le monde grâce à l'éducation. Pour en savoir plus sur mes dernières actualités, rendez-vous sur le compte Insta at Les Adules de Demain ou sur mon compte perso LinkedIn. Pour retrouver un condensé des meilleurs moments du podcast, je vous laisse découvrir le livre Offrir le meilleur aux enfants aux éditions Atier, que j'ai co-écrit avec ma mère Sylvie Descleb, que vous entendrez beaucoup dans ce podcast. Allez, je laisse place à un nouvel épisode. Changer les récits autour du métier d'enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on en oublie trop souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l'émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société et bien plus encore. Vous connaissez certainement, pour beaucoup, École UMA et son initiative Être prof, qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J'ai l'immense chance aujourd'hui d'interviewer sa fondatrice Florence Rizot. Convaincue plus que tout que l'école publique est un rempart contre les mots de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d'enseignant demeure l'un des plus beaux métiers du monde. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Florence.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous avez cofondé École UMA, l'association qui aide les enseignants et les chefs d'établissement afin qu'ils puissent accompagner au mieux Les jeunes générations à grandir et s'épanouir, vous êtes convaincus, je pense comme moi, que nous changerons le monde grâce à l'éducation. Et j'aimerais pour démarrer comprendre quoi vous avez décidé de vous engager sur les sujets d'éducation.

  • Speaker #0

    Alors la racine de mon engagement vient probablement de mon histoire familiale. Je viens d'une famille plutôt modeste ou classe moyenne pas très favorisée de l'Est de la France, avec des parents qui croyaient très fort en l'école. outil essentiel d'émancipation et aussi de mobilité sociale. Toute ma famille, du côté de mon père, vient d'un bassin minier du côté de Mont-Soleil-Mines. On voyait bien là l'école blanc qui venait plutôt de milieux sociaux favorisés et mon père me disant ma fille, il faut que tu fasses des maths, il faut que tu bosses à fond parce que sinon tu ne t'en sortiras pas Et donc j'ai gardé ça très fort en tête. J'ai eu la chance d'être plutôt une bonne élève, de partir à Paris pour faire une classe prépa, de faire des grandes écoles à la française, donc Sciences Po, l'ESSEC, de faire des compléments à l'INSEAD, à ce qu'on appelait l'ENA et qui est devenu... Voilà, l'INSP. Et en fait, à chaque fois, ce qui m'a frappée, c'est quand même un sentiment de reproduction des inégalités. Alors bien sûr, la France a progressé, mais la France reste un des pays les plus inégalitaires des pays de l'OCDE, puisqu'un enfant issu de milieux défavorisés va avoir quatre fois moins de chances de faire partie des bons élèves. Et ça, ça a nourri une révolte, en fait, je crois. La confrontation entre... Voilà, l'histoire notamment de mon papa qui a arrêté l'école avant le bac, alors que c'était un... Un gosse intelligent, mais juste, voilà, sa mère était un peu à moitié illettrée, son père travaillait à la mine, il n'y avait pas de quoi l'accompagner vraiment. Et ce que je voyais sur les bandes de ces grandes écoles, où globalement les jeunes étaient plutôt issus de milieux lettrés et favorisés, je me disais, il y a quelque chose qui ne va pas en fait. Et donc ça, c'est l'impulsion de départ. Et ensuite j'ai voulu comprendre d'un point de vue analytique qu'est-ce qui se jouait à une échelle méta. Et donc j'ai commencé à lire beaucoup pour comprendre quels étaient les déterminants de la réussite et quels étaient les grands enjeux systémiques à l'échelle de la France. Et c'est en 2010 que j'ai commencé à faire ce travail-là qui m'a amenée en France, à l'étranger, à rencontrer beaucoup d'acteurs de terrain et des intellectuels. Et à me dire, tiens, là, il y a un endroit dans notre système éducatif où il y a quelque chose qui dysfonctionne, c'est que, ok, on a 12 millions d'élèves, on a 870 000 enseignants, et on a 870 000 En fait, derrière ces 870 000 enseignants, il n'y a pas forcément l'infrastructure qui va vraiment les soutenir et les accompagner pour qu'ils soient à la fois épargnés dans leur métier et qu'ils réussissent bien à être de bons pédagogues aux côtés des enfants. Et donc, c'est comme ça qu'on a commencé.

  • Speaker #1

    Magnifique. Et alors, vous mettez régulièrement en avant l'immense solitude dans laquelle se trouvent les enseignants en France. Pourquoi on en est arrivé à une telle situation ?

  • Speaker #0

    En fait, le métier à l'époque de la Troisième République, c'est un métier de notable. C'est-à-dire, il y a le maire, il y a le curé, et puis il y a le prof du village. Et en fait, depuis la Troisième République, il y a eu une élévation du niveau général quand même de la population et une perte de statut social des enseignants. C'est un métier qui s'est féminisé, c'est un métier qui s'est précarisé. Et malgré le fait qu'aujourd'hui ce sont des bacs plus 5, on se retrouve avec des enseignants qui effectivement sont malmenés, se sentent dévalorisés, sont dévalorisés par la société, alors que c'est un métier absolument essentiel, en première ligne en fait de la constitution de notre nation et de la possibilité de souder une génération. quelle que soit son origine sociale et son origine culturelle.

  • Speaker #1

    Et pourquoi vous pensez justement qu'on en arrive à une telle dévalorisation, notamment dans les médias de ce métier-là ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense qu'il y a un élément qui est lié à la massification de l'accès à l'éducation, qui est un pari gagné d'une certaine manière, puisque aujourd'hui on scolarise en France 12 millions d'élèves. À l'époque, on a oublié, mais c'était plutôt la généralisation de l'accès à l'éducation primaire, et pas du tout secondaire. Ceux qui allaient au lycée étaient plutôt issus de classes favorisées, c'était plutôt des hommes. Il y a eu quand même des phases de démocratisation de l'accès à l'éducation qui ont industrialisé le système et qui ont, comme effet délétère, eu comme conséquence de... parfois malmenés en fait, parce qu'on a industrialisé, massifié l'accès à l'éducation. Donc ça c'est un premier sujet, je pense, qui est important à avoir en tête. L'élévation du niveau général de la population, qui par effet d'écart en fait, a rendu les enseignants comme un métier moins... moins attendu, et c'est un métier qui s'exerce de manière très isolée en France, contrairement à d'autres pays dans le monde où il y a un exercice collectif du métier. Nous, il y a vraiment cette liberté pédagogique, mais en même temps qui s'exerce avec une culture un peu de la porte fermée, de la peur du jugement, de la peur du regard de l'autre, et ça en fait, ce manque d'exercice collectif du métier. accroît ce sentiment d'isolement face à des problématiques en plus qui sont en augmentation. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas juste de transmettre des connaissances, il faut aussi accompagner les enfants sur le développement de leurs compétences psychosociales, il faut répondre aux enjeux de la laïcité, contrebalancer les fake news et avoir une rigueur face à ces... Face à la connaissance et au raisonnement scientifique, l'arrivée de l'intelligence artificielle qui aussi bouscule pas mal. Donc en fait ces dernières années, le métier a énormément évolué par la surimposition et la superposition de missions supplémentaires et par le changement sociétal qui vient questionner beaucoup ce rôle-là et qui demande énormément de travail d'actualisation des connaissances. de la part des enseignants.

  • Speaker #1

    Auriez-vous des exemples de pays où le modèle de l'enseignement est peut-être plus désirable qu'en France ?

  • Speaker #0

    Alors, on parle souvent des pays nordiques et notamment de la Finlande. Moi, j'ai habité en Finlande pendant un an. Et effectivement, c'est un métier qui est très valorisé. Donc, on recrute des gens qui sont les meilleurs de l'université. Ils vont être très bien payés, très bien valorisés. Donc, voilà, on est dans un système vertueux où on recrute des personnes de haut niveau qu'on va très bien payer, qu'on va très bien accompagner dans toute leur carrière professionnelle. Ce qui est intéressant, c'est que ça n'a pas toujours été le cas. Ça montre bien qu'il y a une décision politique à un moment donné d'investir sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien. Et ça, c'est un choix que la France n'a pas vraiment fait, puisque les enseignants en France, si on prend juste la question de la formation continue, on y reviendra peut-être, mais sont dix fois moins formés qu'à Singapour ou en Suède, pour prendre les modèles d'ordiques. et sont 13 fois moins formés qu'un fonctionnaire issu du ministère de la Justice. Donc il y a à un moment donné un choix politique d'investir sur, certains diraient le capital humain, en tout cas sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien.

  • Speaker #1

    Quels sont les plus grands mythes qui existent aujourd'hui autour du métier d'enseignant ?

  • Speaker #0

    Alors les enseignants, ah bah oui, c'est des feignants qui n'ont que des vacances scolaires, qui sont des militants de gauche, qui ne sont jamais sortis de l'école. Donc ça, on entend cette petite musique un peu lancinante qui est insupportable, insupportable avant toute chose pour les enseignants qui, pour la plupart, sont extrêmement engagés. et restent avec cette conviction chevillée au corps qu'effectivement ils ont un métier absolument essentiel. et qui constitue une première ligne de rempart finalement face à la montée des obscurantismes, du populisme, de l'ignorance, face aux risques civilisationnels qu'on a, les enseignants sont ce premier rempart. Et pourtant, on va leur renvoyer cette image de vous foutez rien et vous servez à rien Pendant le confinement, je pense qu'il y a eu une petite reprise de conscience de la part notamment des parents, en se disant Ah ouais, mes enfants à la maison, j'en ai un, deux, trois, leur faire école, en fait, c'est pas si simple que ça. Et j'en ai que deux, trois et je suis déjà au bout de ma vie. Donc qu'est-ce que ce serait si j'en avais 20 ou 30 avec des besoins différents dans tous les sens ? Je pense qu'il y a eu un sursaut de prise de conscience à ce moment-là. Je ne sais pas si on l'a gardé aussi saillante qu'au moment du confinement. Mais je crois qu'il y a besoin d'avoir un sursaut général de prise de conscience de l'absolue nécessité d'avoir ce métier-là et que cette population enseignante aille bien, soit valorisée, considérée, parce qu'elle joue un rôle absolument essentiel pour l'avenir de la France et l'avenir de l'humanité en général, si on dézoome en dehors de la France.

  • Speaker #1

    Et vous qui avez beaucoup de retours du terrain, qu'est-ce que vous avez à dire sur le lien entre les parents et les enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui est intéressant, c'est de revenir dans l'histoire, en fait, de cette relation. L'école, elle s'est un petit peu construite, enfin la généralisation de l'école publique, laïque, obligatoire, elle s'est construite un petit peu, quelque part... Pas contre les parents, mais un petit peu quand même. C'est-à-dire, c'était quand même une force de travail dans les champs, pour aider à la maison. Et donc, il a fallu un peu se battre quelque part avec les parents pour que les enfants aillent à l'école. Et donc, on vient un petit peu de cette histoire-là, qu'on a oubliée de manière consciente, mais qui fait partie de notre histoire. Et bien sûr, après, les choses ont évolué, les parents sont devenus plus éduqués. Et aujourd'hui, on est un petit peu dans une relation qui n'est pas complètement toujours apaisée, parce que certains parents sont devenus presque consommateurs de l'école. avec une logique un peu servicielle de je paye mes impôts, donc vous me devez tant d'heures, vous me devez ceci, vous me devez cela Et donc cette logique de parents consommateurs, je pense, est difficile à vivre pour certains enseignants. Certains enseignants aussi qui peuvent avoir historiquement cette culture de la porte fermée, pas forcément de partager avec les parents, parents qui ont pourtant besoin de savoir ce qui se passe pour leurs enfants. Donc voilà, il y a un vrai travail à mener. de tissage des liens de cette co-éducation parce que c'est ensemble que parents et professeurs réussiront à bien accompagner les enfants dans leur capacité à grandir, à s'orienter. Mais chacun doit faire un pas vers l'autre et avec empathie comprendre les contraintes et les difficultés de chaque côté de cette relation et en reconnaissant quand même aux enseignants ce rôle de professionnel. de l'éducation, ce rôle de pédagogue. Et ça, je pense que la remise en question perpétuelle, comme si nous, en tant que parents, parce que je suis aussi maman, on savait mieux que des professionnels pour lesquels c'est un métier auquel ils ont été quand même formés et qui fait partie de leur quotidien. Je trouve que la question, c'est aussi comment on tisse les liens, mais comment chacun reste à sa place dans son rôle de parent ou d'enseignant.

  • Speaker #1

    Et en plus de la reconstruction de ce lien entre les parents et les enseignants, quels sont selon vous aujourd'hui les plus gros challenges auxquels font face les enseignants ?

  • Speaker #0

    Les enseignants en France sont aujourd'hui très peu formés, on l'a dit. En formation initiale, la formation a été un peu revue, mais c'est la cinquième réforme en 15 ans. Donc ce n'est pas ça qui va régler le problème. On a 870 000 enseignants qu'il faut accompagner dans leur développement professionnel continu. Donc là, on a un vrai sujet qui est totalement dysfonctionnel en France et je pense qui est rarement aussi dysfonctionnel que dans un pays comme la France. Donc les enseignants ont besoin d'être formés, accompagnés tout au long de leur vie, et ça c'est un vrai besoin, c'est un vrai sujet. Ils sont confrontés récemment à une mise en tension du métier, on a vu l'assassinat terrible de Dominique Bernard, qui a fait écho à celui de Samuel Paty. Donc on voit bien que l'école est de plus en plus prise pour cible par des personnes... radicalisés, qui sont dans l'ignorance aussi. Et c'est la bêtise qui tue. Ceux qui sont là pour essayer d'élever, d'ouvrir l'esprit. Mais donc voilà, ils se sont confrontés à ça et les enseignants n'avaient pas signé pour se faire tuer. Quand on voit certains pays où une malala se prend une balle de la tête parce qu'elle va à l'école, on ne se disait pas que ça pouvait arriver chez nous. Et donc je pense que là, il y a une prise de conscience que ça devient un métier à risque alors que ce n'était pas censé être un métier à risque. C'est 200 écoles qui ont été prises pour cible au moment des émeutes autour du décès de Naël. La jeunesse, elle se retourne contre une école qui est censée les émanciper parce qu'elle est vécue comme le dernier outil peut-être du monde désinclu dans un monde qu'ils vivent comme étant celui des exclus dans leur quartier. Donc il y a un vrai sujet de... Voilà, de défendre cette école, de montrer que c'est un outil d'émancipation qui doit permettre d'inclure toutes les parties prenantes de la société française. Voilà, ça, c'est un challenge auquel les enseignants sont clairement confrontés. Les attaques, les atteintes à la laïcité qui sont de plus en plus fortes, les fake news qui sont diffusées sur les réseaux sociaux et qui viennent laver la tête de toute une jeunesse sur... Qu'est-ce qu'est un fait scientifique ? Qu'est-ce qu'est un raisonnement vrai ? Cette espèce de remise en question de la vérité dans un monde de la post-vérité à la Trump où tout se vaut, enfin non, tout ne se vaut pas. Et donc ça c'est un immense challenge, les enjeux de la transition écologique qui viennent augmenter tous les syndromes, notamment d'éco-anxiété chez les jeunes. L'école est dans la société, donc elle est percutée par tous les maux de la société. Du côté de la santé mentale, on a un élève sur quatre en situation de stress et d'anxiété, on a 50% des enseignants qui sont en situation d'épuisement émotionnel fort. Ça c'est les résultats de nos derniers baromètres sur la santé mentale qu'on a fait avec École humain. Et les enseignants sont censés enseigner avec et malgré tout ça. Chapeau en fait, c'est un sacré challenge. Et que la plupart quand même relèvent. Alors relèvent mais... avec un certain épuisement qu'on peut comprendre en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Vous avez parlé de la non-réforme de la formation continue. Pourquoi est-ce que cette partie-là de la formation des enseignants tarde tant à être réformée ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Je pense qu'en fait, politiquement, c'est pas forcément intéressant ou sexy. C'est-à-dire que parler de l'uniforme à l'école, tous les parents de France vont être capables d'avoir un avis sur pour ou contre l'uniforme. Même si, honnêtement, scientifiquement, on sait que ça n'a aucun effet. Donc on peut mettre des uniformes, ne pas en mettre, honnêtement, on s'en fout. C'est pas un sujet ! C'est pas un sujet, donc ça peut passionner les débats, mais en vérité, c'est pas ça qui va nous faire remonter dans le classement PISA. Dernier classement PISA de décembre 2023, la France, très moyenne, a encore baissé. Les résultats ont chuté en maths et en français. Et c'est pas avec l'uniforme, évidemment, qu'on va relever le niveau. Donc il y a un enjeu, en fait, je pense, de conscience de la part de l'ensemble des citoyens français, de l'ensemble des parents de France et donc vos auditeurs, qu'il est absolument fondamental et nécessaire de former et soutenir les enseignants. En fait, il n'y a aucun système d'éducation qui n'a pu se transformer, qui n'a pu améliorer la qualité sans les enseignants. Ça n'existe pas. Donc en fait, s'il y a une réforme à faire, Aujourd'hui, c'est celle-là. Ce n'est pas forcément une réforme très bling-bling, très voyante, mais en fait, c'est celle qui peut avoir le plus d'impact. Et donc, je pense que s'il y a une conscience partagée de la part des citoyens, qu'il y a ce besoin-là d'être tous derrière l'école publique, comme on essaie d'être tous derrière l'hôpital public qui doit soigner l'ensemble des citoyens français, l'école publique qui peut accueillir l'ensemble des enfants de la France. et de soutenir celles et ceux qui sont là pour éduquer, émanciper, faire grandir, je pense que c'est un enjeu national en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Est-ce que vous voyez d'autres grandes réformes que vous rêveriez de voir en place rapidement en France ?

  • Speaker #0

    Alors pour moi, il faut arrêter les réformes. C'est-à-dire que concrètement, chaque ministre, il va de sa réforme. Et le terrain n'en peut plus, en fait, de faire A, moins A, B, moins B. Enfin voilà. On tricote et on détricote. Et je pense que ça, c'est absolument insupportable. La Finlande qui a réussi on en parle tout le temps à se transformer, ils se sont mis d'accord, en fait. Et pendant 10 ans, ils ont... suivi leur feuille de route. Et donc, ils ont arrêté de tricoter et de tricoter. Ils se sont mis d'accord, Union nationale, sur des priorités. Et ils ont tenu bon, en fait. L'éducation, c'est du temps long. Ça ne peut pas être une réforme qui, en un an, aurait un effet. C'est faux. Ça n'existe pas, en fait. Et donc, se mettre d'accord, arrêter les réformes pendant X années et tenir. une feuille de route pour permettre aux acteurs de terrain effectivement de transformer ce qu'il y a à transformer, de garder ce qui est positif. Ça, c'est absolument nécessaire. Juste sur les rythmes scolaires, je crois qu'il y a eu trois ou quatre réformes en dix ans. Donc voilà, sur le terrain, ils n'en peuvent plus.

  • Speaker #1

    Et après avoir dit tout ça, qu'est-ce qui vous donne encore espoir dans le changement de l'école publique en France ?

  • Speaker #0

    Ah moi j'y crois ! J'y crois à fond ! Et c'est pas la croyance de quelqu'un de naïf. Je vois des milliers, nous on accompagne 170 000 enseignants avec être-prof.fr. On vient de sortir un livre, Bienvenue dans ma classe, avec plein de très beaux témoignages d'enseignants qui racontent. leurs engagements, leurs difficultés, la vie, mais qui montrent cette capacité d'engagement, de résilience, de combat que peut avoir énormément d'enseignants en France. Donc ça, ça me donne beaucoup d'espoir, parce que souvent on entend les arbres qui tombent, mais pas la forêt qui pousse. Moi je considère qu'il y a une forêt qui pousse à bas bruit, on ne l'entend pas, mais elle est là. Et l'autre chose, c'est que je crois beaucoup au récit qui peut être performatif. C'est-à-dire que plus on entend la petite musique de l'école publique c'est nul, c'est un mammouth indécrottable, et de toute façon il faut jeter l'éponge, et moi je vais scolariser mon enfant je ne sais pas où, dans je ne sais pas quelle école atypique, et c'est comme ça qu'on va résoudre le problème je pense que cette petite musique-là, elle est contre-productive en fait. par rapport à l'école de la République qui doit rester le socle de la nation française. Et donc si le discours qu'on entend porté par des leaders politiques, des leaders économiques, par tout un tas de parties prenantes de la société civile, se situe autour de cette école comme point de convergence, comme étape obligée pour construire à la fois des apprentissages mais aussi un vivre ensemble, et que ça c'est quelque chose qui reste positif dans la tête de toutes et tous, je pense que c'est performatif et que ça inverse la tendance. qui est un peu celle qu'on entend et qui me fatigue un peu, je dois dire.

  • Speaker #1

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et si on reste sur cette note positive, pourquoi est-ce que vous croyez que le métier d'enseignant est toujours l'un des plus beaux métiers au monde ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est l'un des plus essentiels. C'est-à-dire que je considère qu'un pays, il a un peu deux pieds. Il a la santé et l'éducation. La santé, parce que sans santé, on ne peut pas vivre et grandir. Et l'éducation pour s'émanciper, construire le monde de demain. Donc les soignants et les enseignants, pour moi, ce sont deux populations. qui sont vitales en fait pour un pays. Et surtout dans une époque qui est vraiment, je trouve, assez noire. Quand on voit les enjeux du dérèglement climatique, la montée des populismes, l'attaque du modèle démocratique, je pense que tout ça nous montre qu'on a encore plus besoin d'éducation. Plus il y a des failles de civilisation, des risques d'effondrement, et plus on a besoin. De prendre conscience, d'être éduqué, d'avoir une capacité de raisonnement, une capacité de discernement, une capacité de prise d'initiative, de construction avec les autres. Et tout ça, en fait, c'est l'école qui peut apporter ça. Bien sûr, il y a les familles, les familles qui apportent un premier socle, mais le deuxième lieu de socialisation et le deuxième lieu de construction de l'individu, c'est l'école, c'est le passage obligé par lequel l'ensemble des enfants... français vont passer en fait. Et donc si cette école, c'est une école qui inclut, si c'est une école qui émancipe, je pense qu'on forme la société de demain et donc les enseignants, c'est cette première ligne absolument essentielle pour construire les générations de demain.

  • Speaker #1

    Vous qui travaillez pour et par les profs, est-ce que vous auriez des initiatives récentes qui vous ont particulièrement touchées, qui sont particulièrement positives, qui ont été portées par des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors, il y en a plein qui sont à petite échelle, parce qu'en fait, le problème, c'est la question de l'échelle. Si on regarde l'échelle du système, donc c'est 12 millions d'élèves, c'est 870 000 enseignants, c'est 60 000 établissements scolaires. Et en fait, souvent, les pépites, ça se situe à la maille d'un enseignant, à la maille d'une école, en fait. Et donc on voit un foisonnement de petites initiatives d'enseignants, on le voit dans le livre, qui acceptent d'aller enseigner en milieu carcéral, d'enseignants qui vont se bagarrer pour l'ouverture culturelle et puis pour faire des voyages de classe, d'enseignants qui vont, sur leurs données personnelles, avoir une petite trousse magique avec des tubes de colle, des choses que les enfants les plus pauvres ne peuvent pas acheter en fait, parce que la maman elle attend d'avoir sa paye pour arbitrer entre... acheter un steak ou acheter le tube de colle et la trousse de l'enfant. Voilà, tout ça, c'est des petites pépites qui ne sont pas forcément waouh, en fait, à une échelle macro. Mais en fait, c'est la somme de toutes ces pépites qui font, en fait, la qualité de la relation prof-élève, la qualité de l'éducation. Et ça, je trouve qu'on ne le regarde pas assez avec une loupe, en fait, pour se dire Waouh, c'est beau, ce foisonnement et cette capacité qu'on... les individus à s'engager, à écouter, à être là. pour accueillir tel enfant qui a des besoins particuliers, pour essayer d'éveiller, d'allumer les petites lumières dans les yeux des enfants. Et ça, il y a un foisonnement. Si on regarde bien, il y a un foisonnement. Donc je pense qu'il ne faut pas forcément toujours regarder par le prisme de l'initiative Wahoo qu'on va relayer médiatiquement et qui ne va pas forcément faire modélisation pour un SMH à grande échelle. Alors tout le monde connaît Jérémy Fontagneux qui, voilà, prof génial, contractualise avec les parents, leur envoie des textos pour leur dire regardez, ça c'est positif Donc voilà, il y a des gens comme ça qui sortent du lot et c'est super, mais je nous invite collectivement à aller voir ce foisonnement, cette forêt qui pousse à bas bruit et qu'on ne regarde pas et qui fait pourtant la qualité du maillage et du tissu éducatif français.

  • Speaker #1

    Alors on le sait, le recrutement des enseignants est de plus en plus difficile en ce moment. Qui sont les personnes en France qui ont envie d'être enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que le métier s'étant précarisé, il s'est féminisé, et on a de moins en moins de candidats au concours. Il y a des enseignants contractuels de plus en plus, donc des gens qui n'ont pas forcément eu la formation. initiale pour devenir enseignant. Donc voilà, il y a effectivement d'un côté une baisse d'attractivité du métier qui crée une crise des recrutements dans les premières carrières. Mais il y a aussi un phénomène que je trouve intéressant qui est le phénomène des secondes carrières, c'est-à-dire de gens qui ont fait autre chose dans une première vie et qui cherchent absolument à sortir de ce qu'on appelle les bullshit jobs et à aller vers des choses plus essentielles. Voilà, j'en ai vu plein qui étaient brokers, financiers ou je ne sais pas quoi, et qui ont envie de retrouver le sens, la simplicité d'enseigner à 20-30 enfants. Et ils y trouvent là un sens à leur existence, un sens profond à leur existence, parce que ce qui va les tenir, c'est ni la rémunération, ni forcément la reconnaissance institutionnelle, mais profondément, intrinsèquement, le bonheur d'accompagner. 20-30 enfants chaque année à grandir. Donc ça, ça donne de l'espoir aussi, ce phénomène des secondes carrières, parce que ça veut dire que c'est un métier qui garde profondément un sens, puisqu'il attire des gens qui ont fait autre chose avant et qui se disent, quand même, enseignant, pourquoi pas.

  • Speaker #1

    Et on a parlé du lien entre parents et enseignants. J'aimerais bien avoir votre avis sur le lien entre les élèves et les enseignants aujourd'hui en France.

  • Speaker #0

    Alors je pense qu'il y a une question autour de la figure d'autorité. L'autorité, c'est Michel Serres qui disait, c'est ce qui fait grandir. Donc normalement, l'autorité, c'est ce qui élève. On a parfois en France une vision de... d'une autorité peut-être un peu autoritaire. Et donc je pense qu'il y a une question qui se joue autour de la relation d'autorité, de l'incarnation de ces figures d'autorité. Et les enseignants, c'est ni les parents, ni des copains, ni des grands frères. C'est une figure qui peut accompagner le jeune à grandir. Mais pour ça... Toute la question se situe autour de la qualité relationnelle prof-élève et jusqu'où on s'autorise une connexion qui de fait est une connexion humaine. Et je me souviens de Maëlle Vira qui avait fait un livre autour de l'amour, au sens noble du terme. Aimer ses élèves, souvent dans la culture française, on a l'impression que c'est un gros mot. Mais ne pas renoncer à cette notion d'attachement, même si on doit rester professionnel, avec une certaine distance qui doit être protectrice à la fois de... de l'enfant et de soi-même, mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler autour de l'attachement dans la relation prof-élève et comment on s'autorise cette relation qui est une relation humaine et qui n'est pas juste de transmettre 1 plus 1 égale 2 sans affect. Ce n'est pas possible, en fait. Donc, cette question de l'intelligence émotionnelle et relationnelle à la fois des enseignants et des élèves, De fait, comment on construit cette relation-là, je pense que c'est quelque chose autour duquel il y a encore des tabous.

  • Speaker #1

    J'aimerais maintenant qu'on prenne quelques minutes pour parler d'école humain. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi ça consiste et quelles sont vos activités à destination des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors Ecoluma, c'est une association qui a 12 ans maintenant et on a créé en fait plusieurs dispositifs dont l'un qui s'appelle êtreprof.fr. On l'a créé vraiment par et pour les enseignants. Donc c'est cofondé avec notamment Nathalie Dreyfus, enseignante dans le premier degré depuis une trentaine d'années, qui a été directrice d'école. Et ce par et pour, il est absolument essentiel pour... Voilà, rendre cet outil le plus utile possible pour ceux qui sont sur le terrain au quotidien. Et donc, êtrepreuve.fr, aujourd'hui, c'est 170 000 enseignants qui ont créé un compte de la maternelle au lycée en passant par le lycée professionnel. Et avec l'enjeu de pouvoir s'auto-former sur... des questions de gestion de classe, d'accueil des enfants à besoin particulier, de... accueil des enfants issus de milieux défavorisés, travail sur les enjeux du stress et de l'anxiété scolaire, enfin bref, tous les défis qui traversent l'école. L'idée, c'est de pouvoir les accompagner sur ces enjeux-là avec des fiches outils, des guides pratiques, des vidéos tutos, etc. Mais c'est aussi une communauté de soutien moral et psychologique, donc il y a beaucoup de temps d'interaction qui sont proposés. Voilà, du mentorat et un soutien moral pour dire aux enseignants, on a besoin de vous, vous êtes absolument essentiels, ne lâchez pas, la France a besoin de vous. Et donc c'est d'être une communauté horizontale, paire à paire, de soutien pédagogique et psychologique pour donner aux enseignants le goût de rester enseignants et d'être... des profs épanouis et de bons pédagogues. Donc ça, c'est la partie être prof. Et puis, on anime cette communauté avec 150 enseignants mentors qui sont auteurs. dont certains sont auteurs dans le livre Bienvenue dans ma classe. Et ce sont des enseignants qui sont en poste, donc qui ont une pratique vivante du métier. Et ça, c'est important. Ce ne sont pas des gens qui sont déconnectés du tout du terrain, ils sont sur le terrain. Et puis, en plus de leur métier d'enseignant, ils s'engagent dans la communauté Être prof pour partager, donner un peu de leur temps et de leur connaissance et accompagner les collègues dans leur progression professionnelle. Et ensuite, on a développé d'autres outils d'accompagnement et notamment un programme d'accompagnement des équipes pédagogiques dans les établissements scolaires, où là on intervient vraiment en présentiel aux côtés des équipes pour les aider sur le travail collaboratif et rompre un peu cet isolement dans le métier. On sait que les pratiques collaboratives sont très faibles en France par rapport au pays de l'OCDE, c'est dix fois inférieur. Et pourtant c'est absolument essentiel à la fois pour construire de la qualité professionnelle, du bien-être au travail et améliorer la qualité des résultats des élèves. On n'est pas forcément historiquement dans une culture collaborative, mais on est convaincu que c'est absolument essentiel de la développer, d'où ce programme. cette fois pas du tout digital mais présentiel d'accompagnement sur le terrain d'équipe pédagogique.

  • Speaker #1

    Je le suis aussi très convaincue et donc je partagerai évidemment tous les liens de ces programmes en description de l'épisode mais je suis certaine que de nombreux auditeurs vous connaissent déjà alors j'ai une dernière question à vous poser, c'est la question que je pose à tous les participants du podcast vous le savez le podcast s'appelle les adultes de demain qu'est-ce que vous souhaiteriez aux enfants d'aujourd'hui les futurs adultes de demain ?

  • Speaker #0

    Alors je leur souhaite de prendre conscience à la fois de l'immense chance qu'ils ont et de leur responsabilité dans la construction du monde de demain, qui suppose d'acquérir une capacité de discernement dans un monde qui est de plus en plus clivé, avec l'augmentation des fake news, le discernement je pense est une compétence absolument essentielle. L'empathie, qui est une qualité humaine qui permet de se relier aux problématiques du monde, de se relier aux autres, et de fait d'être sensible, et donc derrière d'agir pour résoudre les problématiques auxquelles on a été sensible. Et puis, ce que je leur souhaite aussi, c'est d'apprendre à construire, à prendre des initiatives. avec les autres pour résoudre les défis qui sont devant nous. Donc voilà, discernement, empathie et capacité de prise d'initiative collective pour construire le monde de demain. Et je crois qu'on en a grandement besoin.

  • Speaker #1

    Formidable, merci beaucoup Florence.

  • Speaker #0

    Avec plaisir, merci à vous.

  • Speaker #1

    Merci infiniment d'avoir écouté cet épisode. J'aimerais prendre le temps de remercier tous ceux qui s'abonnent à la chaîne du podcast, qui laissent des avis et des notes sur Apple Podcasts ou Spotify. Ça paraît rien, mais ça fait toute la différence pour faire connaître notre travail qui est complètement indépendant. Pour me retrouver, je vous rappelle que vous pouvez aller sur le compte Instagram des adultes de demain ou sur mon compte LinkedIn perso. N'hésitez pas à me partager vos retours sur cet épisode ou sur le podcast en général, ça fait tellement du bien de vous lire. Je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode.

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Description

Changer les récits autour du métier d’enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on oublie souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l’émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société, et bien plus encore.

Vous connaissez certainement pour beaucoup Ecolhuma et son initiative EtrePROF qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J’ai l’immense chance aujourd’hui d’interviewer sa fondatrice Florence Rizzo. Convaincue plus que tout que l’école publique est un rempart contre les maux de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d’enseignant demeure l’un des plus beaux métiers du monde.


Ressources :
- https://ecolhuma.fr/
-https://etreprof.fr/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On a une culture, nous, françaises, de la punition.

  • Speaker #1

    Et on pense que c'est normal.

  • Speaker #0

    Pourquoi est-ce qu'on exclut un enfant de l'école ? Parce qu'il est différent. Des outils comme l'intelligence artificielle, elles ne posent pas réellement de nouvelles questions. Elles posent d'anciennes questions auxquelles on n'a pas répondu depuis longtemps. Comme Maria Montessori le disait, l'éducation est la plus belle arme de paix. Michel Onfray a cette phrase que j'aime beaucoup, il dit tous les enfants sont des philosophes et certains adultes le demeurent Nos enfants deviennent comme nous les voyons, nos enfants deviennent comme ils nous voient. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'on peut pour demain.

  • Speaker #1

    Bienvenue sur le podcast Les Adules de Demain. Je m'appelle Stéphanie Desclebbes, je suis entrepreneur et surtout une actrice engagée pour l'enfance. Dans ce podcast, je donne la voix à celles et ceux qui changent le monde grâce à l'éducation. Pour en savoir plus sur mes dernières actualités, rendez-vous sur le compte Insta at Les Adules de Demain ou sur mon compte perso LinkedIn. Pour retrouver un condensé des meilleurs moments du podcast, je vous laisse découvrir le livre Offrir le meilleur aux enfants aux éditions Atier, que j'ai co-écrit avec ma mère Sylvie Descleb, que vous entendrez beaucoup dans ce podcast. Allez, je laisse place à un nouvel épisode. Changer les récits autour du métier d'enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on en oublie trop souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l'émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société et bien plus encore. Vous connaissez certainement, pour beaucoup, École UMA et son initiative Être prof, qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J'ai l'immense chance aujourd'hui d'interviewer sa fondatrice Florence Rizot. Convaincue plus que tout que l'école publique est un rempart contre les mots de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d'enseignant demeure l'un des plus beaux métiers du monde. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Florence.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous avez cofondé École UMA, l'association qui aide les enseignants et les chefs d'établissement afin qu'ils puissent accompagner au mieux Les jeunes générations à grandir et s'épanouir, vous êtes convaincus, je pense comme moi, que nous changerons le monde grâce à l'éducation. Et j'aimerais pour démarrer comprendre quoi vous avez décidé de vous engager sur les sujets d'éducation.

  • Speaker #0

    Alors la racine de mon engagement vient probablement de mon histoire familiale. Je viens d'une famille plutôt modeste ou classe moyenne pas très favorisée de l'Est de la France, avec des parents qui croyaient très fort en l'école. outil essentiel d'émancipation et aussi de mobilité sociale. Toute ma famille, du côté de mon père, vient d'un bassin minier du côté de Mont-Soleil-Mines. On voyait bien là l'école blanc qui venait plutôt de milieux sociaux favorisés et mon père me disant ma fille, il faut que tu fasses des maths, il faut que tu bosses à fond parce que sinon tu ne t'en sortiras pas Et donc j'ai gardé ça très fort en tête. J'ai eu la chance d'être plutôt une bonne élève, de partir à Paris pour faire une classe prépa, de faire des grandes écoles à la française, donc Sciences Po, l'ESSEC, de faire des compléments à l'INSEAD, à ce qu'on appelait l'ENA et qui est devenu... Voilà, l'INSP. Et en fait, à chaque fois, ce qui m'a frappée, c'est quand même un sentiment de reproduction des inégalités. Alors bien sûr, la France a progressé, mais la France reste un des pays les plus inégalitaires des pays de l'OCDE, puisqu'un enfant issu de milieux défavorisés va avoir quatre fois moins de chances de faire partie des bons élèves. Et ça, ça a nourri une révolte, en fait, je crois. La confrontation entre... Voilà, l'histoire notamment de mon papa qui a arrêté l'école avant le bac, alors que c'était un... Un gosse intelligent, mais juste, voilà, sa mère était un peu à moitié illettrée, son père travaillait à la mine, il n'y avait pas de quoi l'accompagner vraiment. Et ce que je voyais sur les bandes de ces grandes écoles, où globalement les jeunes étaient plutôt issus de milieux lettrés et favorisés, je me disais, il y a quelque chose qui ne va pas en fait. Et donc ça, c'est l'impulsion de départ. Et ensuite j'ai voulu comprendre d'un point de vue analytique qu'est-ce qui se jouait à une échelle méta. Et donc j'ai commencé à lire beaucoup pour comprendre quels étaient les déterminants de la réussite et quels étaient les grands enjeux systémiques à l'échelle de la France. Et c'est en 2010 que j'ai commencé à faire ce travail-là qui m'a amenée en France, à l'étranger, à rencontrer beaucoup d'acteurs de terrain et des intellectuels. Et à me dire, tiens, là, il y a un endroit dans notre système éducatif où il y a quelque chose qui dysfonctionne, c'est que, ok, on a 12 millions d'élèves, on a 870 000 enseignants, et on a 870 000 En fait, derrière ces 870 000 enseignants, il n'y a pas forcément l'infrastructure qui va vraiment les soutenir et les accompagner pour qu'ils soient à la fois épargnés dans leur métier et qu'ils réussissent bien à être de bons pédagogues aux côtés des enfants. Et donc, c'est comme ça qu'on a commencé.

  • Speaker #1

    Magnifique. Et alors, vous mettez régulièrement en avant l'immense solitude dans laquelle se trouvent les enseignants en France. Pourquoi on en est arrivé à une telle situation ?

  • Speaker #0

    En fait, le métier à l'époque de la Troisième République, c'est un métier de notable. C'est-à-dire, il y a le maire, il y a le curé, et puis il y a le prof du village. Et en fait, depuis la Troisième République, il y a eu une élévation du niveau général quand même de la population et une perte de statut social des enseignants. C'est un métier qui s'est féminisé, c'est un métier qui s'est précarisé. Et malgré le fait qu'aujourd'hui ce sont des bacs plus 5, on se retrouve avec des enseignants qui effectivement sont malmenés, se sentent dévalorisés, sont dévalorisés par la société, alors que c'est un métier absolument essentiel, en première ligne en fait de la constitution de notre nation et de la possibilité de souder une génération. quelle que soit son origine sociale et son origine culturelle.

  • Speaker #1

    Et pourquoi vous pensez justement qu'on en arrive à une telle dévalorisation, notamment dans les médias de ce métier-là ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense qu'il y a un élément qui est lié à la massification de l'accès à l'éducation, qui est un pari gagné d'une certaine manière, puisque aujourd'hui on scolarise en France 12 millions d'élèves. À l'époque, on a oublié, mais c'était plutôt la généralisation de l'accès à l'éducation primaire, et pas du tout secondaire. Ceux qui allaient au lycée étaient plutôt issus de classes favorisées, c'était plutôt des hommes. Il y a eu quand même des phases de démocratisation de l'accès à l'éducation qui ont industrialisé le système et qui ont, comme effet délétère, eu comme conséquence de... parfois malmenés en fait, parce qu'on a industrialisé, massifié l'accès à l'éducation. Donc ça c'est un premier sujet, je pense, qui est important à avoir en tête. L'élévation du niveau général de la population, qui par effet d'écart en fait, a rendu les enseignants comme un métier moins... moins attendu, et c'est un métier qui s'exerce de manière très isolée en France, contrairement à d'autres pays dans le monde où il y a un exercice collectif du métier. Nous, il y a vraiment cette liberté pédagogique, mais en même temps qui s'exerce avec une culture un peu de la porte fermée, de la peur du jugement, de la peur du regard de l'autre, et ça en fait, ce manque d'exercice collectif du métier. accroît ce sentiment d'isolement face à des problématiques en plus qui sont en augmentation. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas juste de transmettre des connaissances, il faut aussi accompagner les enfants sur le développement de leurs compétences psychosociales, il faut répondre aux enjeux de la laïcité, contrebalancer les fake news et avoir une rigueur face à ces... Face à la connaissance et au raisonnement scientifique, l'arrivée de l'intelligence artificielle qui aussi bouscule pas mal. Donc en fait ces dernières années, le métier a énormément évolué par la surimposition et la superposition de missions supplémentaires et par le changement sociétal qui vient questionner beaucoup ce rôle-là et qui demande énormément de travail d'actualisation des connaissances. de la part des enseignants.

  • Speaker #1

    Auriez-vous des exemples de pays où le modèle de l'enseignement est peut-être plus désirable qu'en France ?

  • Speaker #0

    Alors, on parle souvent des pays nordiques et notamment de la Finlande. Moi, j'ai habité en Finlande pendant un an. Et effectivement, c'est un métier qui est très valorisé. Donc, on recrute des gens qui sont les meilleurs de l'université. Ils vont être très bien payés, très bien valorisés. Donc, voilà, on est dans un système vertueux où on recrute des personnes de haut niveau qu'on va très bien payer, qu'on va très bien accompagner dans toute leur carrière professionnelle. Ce qui est intéressant, c'est que ça n'a pas toujours été le cas. Ça montre bien qu'il y a une décision politique à un moment donné d'investir sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien. Et ça, c'est un choix que la France n'a pas vraiment fait, puisque les enseignants en France, si on prend juste la question de la formation continue, on y reviendra peut-être, mais sont dix fois moins formés qu'à Singapour ou en Suède, pour prendre les modèles d'ordiques. et sont 13 fois moins formés qu'un fonctionnaire issu du ministère de la Justice. Donc il y a à un moment donné un choix politique d'investir sur, certains diraient le capital humain, en tout cas sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien.

  • Speaker #1

    Quels sont les plus grands mythes qui existent aujourd'hui autour du métier d'enseignant ?

  • Speaker #0

    Alors les enseignants, ah bah oui, c'est des feignants qui n'ont que des vacances scolaires, qui sont des militants de gauche, qui ne sont jamais sortis de l'école. Donc ça, on entend cette petite musique un peu lancinante qui est insupportable, insupportable avant toute chose pour les enseignants qui, pour la plupart, sont extrêmement engagés. et restent avec cette conviction chevillée au corps qu'effectivement ils ont un métier absolument essentiel. et qui constitue une première ligne de rempart finalement face à la montée des obscurantismes, du populisme, de l'ignorance, face aux risques civilisationnels qu'on a, les enseignants sont ce premier rempart. Et pourtant, on va leur renvoyer cette image de vous foutez rien et vous servez à rien Pendant le confinement, je pense qu'il y a eu une petite reprise de conscience de la part notamment des parents, en se disant Ah ouais, mes enfants à la maison, j'en ai un, deux, trois, leur faire école, en fait, c'est pas si simple que ça. Et j'en ai que deux, trois et je suis déjà au bout de ma vie. Donc qu'est-ce que ce serait si j'en avais 20 ou 30 avec des besoins différents dans tous les sens ? Je pense qu'il y a eu un sursaut de prise de conscience à ce moment-là. Je ne sais pas si on l'a gardé aussi saillante qu'au moment du confinement. Mais je crois qu'il y a besoin d'avoir un sursaut général de prise de conscience de l'absolue nécessité d'avoir ce métier-là et que cette population enseignante aille bien, soit valorisée, considérée, parce qu'elle joue un rôle absolument essentiel pour l'avenir de la France et l'avenir de l'humanité en général, si on dézoome en dehors de la France.

  • Speaker #1

    Et vous qui avez beaucoup de retours du terrain, qu'est-ce que vous avez à dire sur le lien entre les parents et les enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui est intéressant, c'est de revenir dans l'histoire, en fait, de cette relation. L'école, elle s'est un petit peu construite, enfin la généralisation de l'école publique, laïque, obligatoire, elle s'est construite un petit peu, quelque part... Pas contre les parents, mais un petit peu quand même. C'est-à-dire, c'était quand même une force de travail dans les champs, pour aider à la maison. Et donc, il a fallu un peu se battre quelque part avec les parents pour que les enfants aillent à l'école. Et donc, on vient un petit peu de cette histoire-là, qu'on a oubliée de manière consciente, mais qui fait partie de notre histoire. Et bien sûr, après, les choses ont évolué, les parents sont devenus plus éduqués. Et aujourd'hui, on est un petit peu dans une relation qui n'est pas complètement toujours apaisée, parce que certains parents sont devenus presque consommateurs de l'école. avec une logique un peu servicielle de je paye mes impôts, donc vous me devez tant d'heures, vous me devez ceci, vous me devez cela Et donc cette logique de parents consommateurs, je pense, est difficile à vivre pour certains enseignants. Certains enseignants aussi qui peuvent avoir historiquement cette culture de la porte fermée, pas forcément de partager avec les parents, parents qui ont pourtant besoin de savoir ce qui se passe pour leurs enfants. Donc voilà, il y a un vrai travail à mener. de tissage des liens de cette co-éducation parce que c'est ensemble que parents et professeurs réussiront à bien accompagner les enfants dans leur capacité à grandir, à s'orienter. Mais chacun doit faire un pas vers l'autre et avec empathie comprendre les contraintes et les difficultés de chaque côté de cette relation et en reconnaissant quand même aux enseignants ce rôle de professionnel. de l'éducation, ce rôle de pédagogue. Et ça, je pense que la remise en question perpétuelle, comme si nous, en tant que parents, parce que je suis aussi maman, on savait mieux que des professionnels pour lesquels c'est un métier auquel ils ont été quand même formés et qui fait partie de leur quotidien. Je trouve que la question, c'est aussi comment on tisse les liens, mais comment chacun reste à sa place dans son rôle de parent ou d'enseignant.

  • Speaker #1

    Et en plus de la reconstruction de ce lien entre les parents et les enseignants, quels sont selon vous aujourd'hui les plus gros challenges auxquels font face les enseignants ?

  • Speaker #0

    Les enseignants en France sont aujourd'hui très peu formés, on l'a dit. En formation initiale, la formation a été un peu revue, mais c'est la cinquième réforme en 15 ans. Donc ce n'est pas ça qui va régler le problème. On a 870 000 enseignants qu'il faut accompagner dans leur développement professionnel continu. Donc là, on a un vrai sujet qui est totalement dysfonctionnel en France et je pense qui est rarement aussi dysfonctionnel que dans un pays comme la France. Donc les enseignants ont besoin d'être formés, accompagnés tout au long de leur vie, et ça c'est un vrai besoin, c'est un vrai sujet. Ils sont confrontés récemment à une mise en tension du métier, on a vu l'assassinat terrible de Dominique Bernard, qui a fait écho à celui de Samuel Paty. Donc on voit bien que l'école est de plus en plus prise pour cible par des personnes... radicalisés, qui sont dans l'ignorance aussi. Et c'est la bêtise qui tue. Ceux qui sont là pour essayer d'élever, d'ouvrir l'esprit. Mais donc voilà, ils se sont confrontés à ça et les enseignants n'avaient pas signé pour se faire tuer. Quand on voit certains pays où une malala se prend une balle de la tête parce qu'elle va à l'école, on ne se disait pas que ça pouvait arriver chez nous. Et donc je pense que là, il y a une prise de conscience que ça devient un métier à risque alors que ce n'était pas censé être un métier à risque. C'est 200 écoles qui ont été prises pour cible au moment des émeutes autour du décès de Naël. La jeunesse, elle se retourne contre une école qui est censée les émanciper parce qu'elle est vécue comme le dernier outil peut-être du monde désinclu dans un monde qu'ils vivent comme étant celui des exclus dans leur quartier. Donc il y a un vrai sujet de... Voilà, de défendre cette école, de montrer que c'est un outil d'émancipation qui doit permettre d'inclure toutes les parties prenantes de la société française. Voilà, ça, c'est un challenge auquel les enseignants sont clairement confrontés. Les attaques, les atteintes à la laïcité qui sont de plus en plus fortes, les fake news qui sont diffusées sur les réseaux sociaux et qui viennent laver la tête de toute une jeunesse sur... Qu'est-ce qu'est un fait scientifique ? Qu'est-ce qu'est un raisonnement vrai ? Cette espèce de remise en question de la vérité dans un monde de la post-vérité à la Trump où tout se vaut, enfin non, tout ne se vaut pas. Et donc ça c'est un immense challenge, les enjeux de la transition écologique qui viennent augmenter tous les syndromes, notamment d'éco-anxiété chez les jeunes. L'école est dans la société, donc elle est percutée par tous les maux de la société. Du côté de la santé mentale, on a un élève sur quatre en situation de stress et d'anxiété, on a 50% des enseignants qui sont en situation d'épuisement émotionnel fort. Ça c'est les résultats de nos derniers baromètres sur la santé mentale qu'on a fait avec École humain. Et les enseignants sont censés enseigner avec et malgré tout ça. Chapeau en fait, c'est un sacré challenge. Et que la plupart quand même relèvent. Alors relèvent mais... avec un certain épuisement qu'on peut comprendre en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Vous avez parlé de la non-réforme de la formation continue. Pourquoi est-ce que cette partie-là de la formation des enseignants tarde tant à être réformée ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Je pense qu'en fait, politiquement, c'est pas forcément intéressant ou sexy. C'est-à-dire que parler de l'uniforme à l'école, tous les parents de France vont être capables d'avoir un avis sur pour ou contre l'uniforme. Même si, honnêtement, scientifiquement, on sait que ça n'a aucun effet. Donc on peut mettre des uniformes, ne pas en mettre, honnêtement, on s'en fout. C'est pas un sujet ! C'est pas un sujet, donc ça peut passionner les débats, mais en vérité, c'est pas ça qui va nous faire remonter dans le classement PISA. Dernier classement PISA de décembre 2023, la France, très moyenne, a encore baissé. Les résultats ont chuté en maths et en français. Et c'est pas avec l'uniforme, évidemment, qu'on va relever le niveau. Donc il y a un enjeu, en fait, je pense, de conscience de la part de l'ensemble des citoyens français, de l'ensemble des parents de France et donc vos auditeurs, qu'il est absolument fondamental et nécessaire de former et soutenir les enseignants. En fait, il n'y a aucun système d'éducation qui n'a pu se transformer, qui n'a pu améliorer la qualité sans les enseignants. Ça n'existe pas. Donc en fait, s'il y a une réforme à faire, Aujourd'hui, c'est celle-là. Ce n'est pas forcément une réforme très bling-bling, très voyante, mais en fait, c'est celle qui peut avoir le plus d'impact. Et donc, je pense que s'il y a une conscience partagée de la part des citoyens, qu'il y a ce besoin-là d'être tous derrière l'école publique, comme on essaie d'être tous derrière l'hôpital public qui doit soigner l'ensemble des citoyens français, l'école publique qui peut accueillir l'ensemble des enfants de la France. et de soutenir celles et ceux qui sont là pour éduquer, émanciper, faire grandir, je pense que c'est un enjeu national en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Est-ce que vous voyez d'autres grandes réformes que vous rêveriez de voir en place rapidement en France ?

  • Speaker #0

    Alors pour moi, il faut arrêter les réformes. C'est-à-dire que concrètement, chaque ministre, il va de sa réforme. Et le terrain n'en peut plus, en fait, de faire A, moins A, B, moins B. Enfin voilà. On tricote et on détricote. Et je pense que ça, c'est absolument insupportable. La Finlande qui a réussi on en parle tout le temps à se transformer, ils se sont mis d'accord, en fait. Et pendant 10 ans, ils ont... suivi leur feuille de route. Et donc, ils ont arrêté de tricoter et de tricoter. Ils se sont mis d'accord, Union nationale, sur des priorités. Et ils ont tenu bon, en fait. L'éducation, c'est du temps long. Ça ne peut pas être une réforme qui, en un an, aurait un effet. C'est faux. Ça n'existe pas, en fait. Et donc, se mettre d'accord, arrêter les réformes pendant X années et tenir. une feuille de route pour permettre aux acteurs de terrain effectivement de transformer ce qu'il y a à transformer, de garder ce qui est positif. Ça, c'est absolument nécessaire. Juste sur les rythmes scolaires, je crois qu'il y a eu trois ou quatre réformes en dix ans. Donc voilà, sur le terrain, ils n'en peuvent plus.

  • Speaker #1

    Et après avoir dit tout ça, qu'est-ce qui vous donne encore espoir dans le changement de l'école publique en France ?

  • Speaker #0

    Ah moi j'y crois ! J'y crois à fond ! Et c'est pas la croyance de quelqu'un de naïf. Je vois des milliers, nous on accompagne 170 000 enseignants avec être-prof.fr. On vient de sortir un livre, Bienvenue dans ma classe, avec plein de très beaux témoignages d'enseignants qui racontent. leurs engagements, leurs difficultés, la vie, mais qui montrent cette capacité d'engagement, de résilience, de combat que peut avoir énormément d'enseignants en France. Donc ça, ça me donne beaucoup d'espoir, parce que souvent on entend les arbres qui tombent, mais pas la forêt qui pousse. Moi je considère qu'il y a une forêt qui pousse à bas bruit, on ne l'entend pas, mais elle est là. Et l'autre chose, c'est que je crois beaucoup au récit qui peut être performatif. C'est-à-dire que plus on entend la petite musique de l'école publique c'est nul, c'est un mammouth indécrottable, et de toute façon il faut jeter l'éponge, et moi je vais scolariser mon enfant je ne sais pas où, dans je ne sais pas quelle école atypique, et c'est comme ça qu'on va résoudre le problème je pense que cette petite musique-là, elle est contre-productive en fait. par rapport à l'école de la République qui doit rester le socle de la nation française. Et donc si le discours qu'on entend porté par des leaders politiques, des leaders économiques, par tout un tas de parties prenantes de la société civile, se situe autour de cette école comme point de convergence, comme étape obligée pour construire à la fois des apprentissages mais aussi un vivre ensemble, et que ça c'est quelque chose qui reste positif dans la tête de toutes et tous, je pense que c'est performatif et que ça inverse la tendance. qui est un peu celle qu'on entend et qui me fatigue un peu, je dois dire.

  • Speaker #1

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et si on reste sur cette note positive, pourquoi est-ce que vous croyez que le métier d'enseignant est toujours l'un des plus beaux métiers au monde ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est l'un des plus essentiels. C'est-à-dire que je considère qu'un pays, il a un peu deux pieds. Il a la santé et l'éducation. La santé, parce que sans santé, on ne peut pas vivre et grandir. Et l'éducation pour s'émanciper, construire le monde de demain. Donc les soignants et les enseignants, pour moi, ce sont deux populations. qui sont vitales en fait pour un pays. Et surtout dans une époque qui est vraiment, je trouve, assez noire. Quand on voit les enjeux du dérèglement climatique, la montée des populismes, l'attaque du modèle démocratique, je pense que tout ça nous montre qu'on a encore plus besoin d'éducation. Plus il y a des failles de civilisation, des risques d'effondrement, et plus on a besoin. De prendre conscience, d'être éduqué, d'avoir une capacité de raisonnement, une capacité de discernement, une capacité de prise d'initiative, de construction avec les autres. Et tout ça, en fait, c'est l'école qui peut apporter ça. Bien sûr, il y a les familles, les familles qui apportent un premier socle, mais le deuxième lieu de socialisation et le deuxième lieu de construction de l'individu, c'est l'école, c'est le passage obligé par lequel l'ensemble des enfants... français vont passer en fait. Et donc si cette école, c'est une école qui inclut, si c'est une école qui émancipe, je pense qu'on forme la société de demain et donc les enseignants, c'est cette première ligne absolument essentielle pour construire les générations de demain.

  • Speaker #1

    Vous qui travaillez pour et par les profs, est-ce que vous auriez des initiatives récentes qui vous ont particulièrement touchées, qui sont particulièrement positives, qui ont été portées par des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors, il y en a plein qui sont à petite échelle, parce qu'en fait, le problème, c'est la question de l'échelle. Si on regarde l'échelle du système, donc c'est 12 millions d'élèves, c'est 870 000 enseignants, c'est 60 000 établissements scolaires. Et en fait, souvent, les pépites, ça se situe à la maille d'un enseignant, à la maille d'une école, en fait. Et donc on voit un foisonnement de petites initiatives d'enseignants, on le voit dans le livre, qui acceptent d'aller enseigner en milieu carcéral, d'enseignants qui vont se bagarrer pour l'ouverture culturelle et puis pour faire des voyages de classe, d'enseignants qui vont, sur leurs données personnelles, avoir une petite trousse magique avec des tubes de colle, des choses que les enfants les plus pauvres ne peuvent pas acheter en fait, parce que la maman elle attend d'avoir sa paye pour arbitrer entre... acheter un steak ou acheter le tube de colle et la trousse de l'enfant. Voilà, tout ça, c'est des petites pépites qui ne sont pas forcément waouh, en fait, à une échelle macro. Mais en fait, c'est la somme de toutes ces pépites qui font, en fait, la qualité de la relation prof-élève, la qualité de l'éducation. Et ça, je trouve qu'on ne le regarde pas assez avec une loupe, en fait, pour se dire Waouh, c'est beau, ce foisonnement et cette capacité qu'on... les individus à s'engager, à écouter, à être là. pour accueillir tel enfant qui a des besoins particuliers, pour essayer d'éveiller, d'allumer les petites lumières dans les yeux des enfants. Et ça, il y a un foisonnement. Si on regarde bien, il y a un foisonnement. Donc je pense qu'il ne faut pas forcément toujours regarder par le prisme de l'initiative Wahoo qu'on va relayer médiatiquement et qui ne va pas forcément faire modélisation pour un SMH à grande échelle. Alors tout le monde connaît Jérémy Fontagneux qui, voilà, prof génial, contractualise avec les parents, leur envoie des textos pour leur dire regardez, ça c'est positif Donc voilà, il y a des gens comme ça qui sortent du lot et c'est super, mais je nous invite collectivement à aller voir ce foisonnement, cette forêt qui pousse à bas bruit et qu'on ne regarde pas et qui fait pourtant la qualité du maillage et du tissu éducatif français.

  • Speaker #1

    Alors on le sait, le recrutement des enseignants est de plus en plus difficile en ce moment. Qui sont les personnes en France qui ont envie d'être enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que le métier s'étant précarisé, il s'est féminisé, et on a de moins en moins de candidats au concours. Il y a des enseignants contractuels de plus en plus, donc des gens qui n'ont pas forcément eu la formation. initiale pour devenir enseignant. Donc voilà, il y a effectivement d'un côté une baisse d'attractivité du métier qui crée une crise des recrutements dans les premières carrières. Mais il y a aussi un phénomène que je trouve intéressant qui est le phénomène des secondes carrières, c'est-à-dire de gens qui ont fait autre chose dans une première vie et qui cherchent absolument à sortir de ce qu'on appelle les bullshit jobs et à aller vers des choses plus essentielles. Voilà, j'en ai vu plein qui étaient brokers, financiers ou je ne sais pas quoi, et qui ont envie de retrouver le sens, la simplicité d'enseigner à 20-30 enfants. Et ils y trouvent là un sens à leur existence, un sens profond à leur existence, parce que ce qui va les tenir, c'est ni la rémunération, ni forcément la reconnaissance institutionnelle, mais profondément, intrinsèquement, le bonheur d'accompagner. 20-30 enfants chaque année à grandir. Donc ça, ça donne de l'espoir aussi, ce phénomène des secondes carrières, parce que ça veut dire que c'est un métier qui garde profondément un sens, puisqu'il attire des gens qui ont fait autre chose avant et qui se disent, quand même, enseignant, pourquoi pas.

  • Speaker #1

    Et on a parlé du lien entre parents et enseignants. J'aimerais bien avoir votre avis sur le lien entre les élèves et les enseignants aujourd'hui en France.

  • Speaker #0

    Alors je pense qu'il y a une question autour de la figure d'autorité. L'autorité, c'est Michel Serres qui disait, c'est ce qui fait grandir. Donc normalement, l'autorité, c'est ce qui élève. On a parfois en France une vision de... d'une autorité peut-être un peu autoritaire. Et donc je pense qu'il y a une question qui se joue autour de la relation d'autorité, de l'incarnation de ces figures d'autorité. Et les enseignants, c'est ni les parents, ni des copains, ni des grands frères. C'est une figure qui peut accompagner le jeune à grandir. Mais pour ça... Toute la question se situe autour de la qualité relationnelle prof-élève et jusqu'où on s'autorise une connexion qui de fait est une connexion humaine. Et je me souviens de Maëlle Vira qui avait fait un livre autour de l'amour, au sens noble du terme. Aimer ses élèves, souvent dans la culture française, on a l'impression que c'est un gros mot. Mais ne pas renoncer à cette notion d'attachement, même si on doit rester professionnel, avec une certaine distance qui doit être protectrice à la fois de... de l'enfant et de soi-même, mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler autour de l'attachement dans la relation prof-élève et comment on s'autorise cette relation qui est une relation humaine et qui n'est pas juste de transmettre 1 plus 1 égale 2 sans affect. Ce n'est pas possible, en fait. Donc, cette question de l'intelligence émotionnelle et relationnelle à la fois des enseignants et des élèves, De fait, comment on construit cette relation-là, je pense que c'est quelque chose autour duquel il y a encore des tabous.

  • Speaker #1

    J'aimerais maintenant qu'on prenne quelques minutes pour parler d'école humain. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi ça consiste et quelles sont vos activités à destination des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors Ecoluma, c'est une association qui a 12 ans maintenant et on a créé en fait plusieurs dispositifs dont l'un qui s'appelle êtreprof.fr. On l'a créé vraiment par et pour les enseignants. Donc c'est cofondé avec notamment Nathalie Dreyfus, enseignante dans le premier degré depuis une trentaine d'années, qui a été directrice d'école. Et ce par et pour, il est absolument essentiel pour... Voilà, rendre cet outil le plus utile possible pour ceux qui sont sur le terrain au quotidien. Et donc, êtrepreuve.fr, aujourd'hui, c'est 170 000 enseignants qui ont créé un compte de la maternelle au lycée en passant par le lycée professionnel. Et avec l'enjeu de pouvoir s'auto-former sur... des questions de gestion de classe, d'accueil des enfants à besoin particulier, de... accueil des enfants issus de milieux défavorisés, travail sur les enjeux du stress et de l'anxiété scolaire, enfin bref, tous les défis qui traversent l'école. L'idée, c'est de pouvoir les accompagner sur ces enjeux-là avec des fiches outils, des guides pratiques, des vidéos tutos, etc. Mais c'est aussi une communauté de soutien moral et psychologique, donc il y a beaucoup de temps d'interaction qui sont proposés. Voilà, du mentorat et un soutien moral pour dire aux enseignants, on a besoin de vous, vous êtes absolument essentiels, ne lâchez pas, la France a besoin de vous. Et donc c'est d'être une communauté horizontale, paire à paire, de soutien pédagogique et psychologique pour donner aux enseignants le goût de rester enseignants et d'être... des profs épanouis et de bons pédagogues. Donc ça, c'est la partie être prof. Et puis, on anime cette communauté avec 150 enseignants mentors qui sont auteurs. dont certains sont auteurs dans le livre Bienvenue dans ma classe. Et ce sont des enseignants qui sont en poste, donc qui ont une pratique vivante du métier. Et ça, c'est important. Ce ne sont pas des gens qui sont déconnectés du tout du terrain, ils sont sur le terrain. Et puis, en plus de leur métier d'enseignant, ils s'engagent dans la communauté Être prof pour partager, donner un peu de leur temps et de leur connaissance et accompagner les collègues dans leur progression professionnelle. Et ensuite, on a développé d'autres outils d'accompagnement et notamment un programme d'accompagnement des équipes pédagogiques dans les établissements scolaires, où là on intervient vraiment en présentiel aux côtés des équipes pour les aider sur le travail collaboratif et rompre un peu cet isolement dans le métier. On sait que les pratiques collaboratives sont très faibles en France par rapport au pays de l'OCDE, c'est dix fois inférieur. Et pourtant c'est absolument essentiel à la fois pour construire de la qualité professionnelle, du bien-être au travail et améliorer la qualité des résultats des élèves. On n'est pas forcément historiquement dans une culture collaborative, mais on est convaincu que c'est absolument essentiel de la développer, d'où ce programme. cette fois pas du tout digital mais présentiel d'accompagnement sur le terrain d'équipe pédagogique.

  • Speaker #1

    Je le suis aussi très convaincue et donc je partagerai évidemment tous les liens de ces programmes en description de l'épisode mais je suis certaine que de nombreux auditeurs vous connaissent déjà alors j'ai une dernière question à vous poser, c'est la question que je pose à tous les participants du podcast vous le savez le podcast s'appelle les adultes de demain qu'est-ce que vous souhaiteriez aux enfants d'aujourd'hui les futurs adultes de demain ?

  • Speaker #0

    Alors je leur souhaite de prendre conscience à la fois de l'immense chance qu'ils ont et de leur responsabilité dans la construction du monde de demain, qui suppose d'acquérir une capacité de discernement dans un monde qui est de plus en plus clivé, avec l'augmentation des fake news, le discernement je pense est une compétence absolument essentielle. L'empathie, qui est une qualité humaine qui permet de se relier aux problématiques du monde, de se relier aux autres, et de fait d'être sensible, et donc derrière d'agir pour résoudre les problématiques auxquelles on a été sensible. Et puis, ce que je leur souhaite aussi, c'est d'apprendre à construire, à prendre des initiatives. avec les autres pour résoudre les défis qui sont devant nous. Donc voilà, discernement, empathie et capacité de prise d'initiative collective pour construire le monde de demain. Et je crois qu'on en a grandement besoin.

  • Speaker #1

    Formidable, merci beaucoup Florence.

  • Speaker #0

    Avec plaisir, merci à vous.

  • Speaker #1

    Merci infiniment d'avoir écouté cet épisode. J'aimerais prendre le temps de remercier tous ceux qui s'abonnent à la chaîne du podcast, qui laissent des avis et des notes sur Apple Podcasts ou Spotify. Ça paraît rien, mais ça fait toute la différence pour faire connaître notre travail qui est complètement indépendant. Pour me retrouver, je vous rappelle que vous pouvez aller sur le compte Instagram des adultes de demain ou sur mon compte LinkedIn perso. N'hésitez pas à me partager vos retours sur cet épisode ou sur le podcast en général, ça fait tellement du bien de vous lire. Je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode.

Description

Changer les récits autour du métier d’enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on oublie souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l’émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société, et bien plus encore.

Vous connaissez certainement pour beaucoup Ecolhuma et son initiative EtrePROF qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J’ai l’immense chance aujourd’hui d’interviewer sa fondatrice Florence Rizzo. Convaincue plus que tout que l’école publique est un rempart contre les maux de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d’enseignant demeure l’un des plus beaux métiers du monde.


Ressources :
- https://ecolhuma.fr/
-https://etreprof.fr/


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    On a une culture, nous, françaises, de la punition.

  • Speaker #1

    Et on pense que c'est normal.

  • Speaker #0

    Pourquoi est-ce qu'on exclut un enfant de l'école ? Parce qu'il est différent. Des outils comme l'intelligence artificielle, elles ne posent pas réellement de nouvelles questions. Elles posent d'anciennes questions auxquelles on n'a pas répondu depuis longtemps. Comme Maria Montessori le disait, l'éducation est la plus belle arme de paix. Michel Onfray a cette phrase que j'aime beaucoup, il dit tous les enfants sont des philosophes et certains adultes le demeurent Nos enfants deviennent comme nous les voyons, nos enfants deviennent comme ils nous voient. Prenons le temps de réfléchir à ce qu'on peut pour demain.

  • Speaker #1

    Bienvenue sur le podcast Les Adules de Demain. Je m'appelle Stéphanie Desclebbes, je suis entrepreneur et surtout une actrice engagée pour l'enfance. Dans ce podcast, je donne la voix à celles et ceux qui changent le monde grâce à l'éducation. Pour en savoir plus sur mes dernières actualités, rendez-vous sur le compte Insta at Les Adules de Demain ou sur mon compte perso LinkedIn. Pour retrouver un condensé des meilleurs moments du podcast, je vous laisse découvrir le livre Offrir le meilleur aux enfants aux éditions Atier, que j'ai co-écrit avec ma mère Sylvie Descleb, que vous entendrez beaucoup dans ce podcast. Allez, je laisse place à un nouvel épisode. Changer les récits autour du métier d'enseignant en France est pour moi une priorité. Si les challenges autour de ce métier sont connus de tous, on en oublie trop souvent que les enseignants sont notre pilier pour garantir la démocratie, l'émancipation des jeunes, le partage des valeurs centrales de notre société et bien plus encore. Vous connaissez certainement, pour beaucoup, École UMA et son initiative Être prof, qui est suivie par plus de 150 000 enseignants en France. J'ai l'immense chance aujourd'hui d'interviewer sa fondatrice Florence Rizot. Convaincue plus que tout que l'école publique est un rempart contre les mots de notre société, nous avons échangé sur ce qui fait que le métier d'enseignant demeure l'un des plus beaux métiers du monde. Je vous souhaite une bonne écoute. Bonjour Florence.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous avez cofondé École UMA, l'association qui aide les enseignants et les chefs d'établissement afin qu'ils puissent accompagner au mieux Les jeunes générations à grandir et s'épanouir, vous êtes convaincus, je pense comme moi, que nous changerons le monde grâce à l'éducation. Et j'aimerais pour démarrer comprendre quoi vous avez décidé de vous engager sur les sujets d'éducation.

  • Speaker #0

    Alors la racine de mon engagement vient probablement de mon histoire familiale. Je viens d'une famille plutôt modeste ou classe moyenne pas très favorisée de l'Est de la France, avec des parents qui croyaient très fort en l'école. outil essentiel d'émancipation et aussi de mobilité sociale. Toute ma famille, du côté de mon père, vient d'un bassin minier du côté de Mont-Soleil-Mines. On voyait bien là l'école blanc qui venait plutôt de milieux sociaux favorisés et mon père me disant ma fille, il faut que tu fasses des maths, il faut que tu bosses à fond parce que sinon tu ne t'en sortiras pas Et donc j'ai gardé ça très fort en tête. J'ai eu la chance d'être plutôt une bonne élève, de partir à Paris pour faire une classe prépa, de faire des grandes écoles à la française, donc Sciences Po, l'ESSEC, de faire des compléments à l'INSEAD, à ce qu'on appelait l'ENA et qui est devenu... Voilà, l'INSP. Et en fait, à chaque fois, ce qui m'a frappée, c'est quand même un sentiment de reproduction des inégalités. Alors bien sûr, la France a progressé, mais la France reste un des pays les plus inégalitaires des pays de l'OCDE, puisqu'un enfant issu de milieux défavorisés va avoir quatre fois moins de chances de faire partie des bons élèves. Et ça, ça a nourri une révolte, en fait, je crois. La confrontation entre... Voilà, l'histoire notamment de mon papa qui a arrêté l'école avant le bac, alors que c'était un... Un gosse intelligent, mais juste, voilà, sa mère était un peu à moitié illettrée, son père travaillait à la mine, il n'y avait pas de quoi l'accompagner vraiment. Et ce que je voyais sur les bandes de ces grandes écoles, où globalement les jeunes étaient plutôt issus de milieux lettrés et favorisés, je me disais, il y a quelque chose qui ne va pas en fait. Et donc ça, c'est l'impulsion de départ. Et ensuite j'ai voulu comprendre d'un point de vue analytique qu'est-ce qui se jouait à une échelle méta. Et donc j'ai commencé à lire beaucoup pour comprendre quels étaient les déterminants de la réussite et quels étaient les grands enjeux systémiques à l'échelle de la France. Et c'est en 2010 que j'ai commencé à faire ce travail-là qui m'a amenée en France, à l'étranger, à rencontrer beaucoup d'acteurs de terrain et des intellectuels. Et à me dire, tiens, là, il y a un endroit dans notre système éducatif où il y a quelque chose qui dysfonctionne, c'est que, ok, on a 12 millions d'élèves, on a 870 000 enseignants, et on a 870 000 En fait, derrière ces 870 000 enseignants, il n'y a pas forcément l'infrastructure qui va vraiment les soutenir et les accompagner pour qu'ils soient à la fois épargnés dans leur métier et qu'ils réussissent bien à être de bons pédagogues aux côtés des enfants. Et donc, c'est comme ça qu'on a commencé.

  • Speaker #1

    Magnifique. Et alors, vous mettez régulièrement en avant l'immense solitude dans laquelle se trouvent les enseignants en France. Pourquoi on en est arrivé à une telle situation ?

  • Speaker #0

    En fait, le métier à l'époque de la Troisième République, c'est un métier de notable. C'est-à-dire, il y a le maire, il y a le curé, et puis il y a le prof du village. Et en fait, depuis la Troisième République, il y a eu une élévation du niveau général quand même de la population et une perte de statut social des enseignants. C'est un métier qui s'est féminisé, c'est un métier qui s'est précarisé. Et malgré le fait qu'aujourd'hui ce sont des bacs plus 5, on se retrouve avec des enseignants qui effectivement sont malmenés, se sentent dévalorisés, sont dévalorisés par la société, alors que c'est un métier absolument essentiel, en première ligne en fait de la constitution de notre nation et de la possibilité de souder une génération. quelle que soit son origine sociale et son origine culturelle.

  • Speaker #1

    Et pourquoi vous pensez justement qu'on en arrive à une telle dévalorisation, notamment dans les médias de ce métier-là ?

  • Speaker #0

    Alors, je pense qu'il y a un élément qui est lié à la massification de l'accès à l'éducation, qui est un pari gagné d'une certaine manière, puisque aujourd'hui on scolarise en France 12 millions d'élèves. À l'époque, on a oublié, mais c'était plutôt la généralisation de l'accès à l'éducation primaire, et pas du tout secondaire. Ceux qui allaient au lycée étaient plutôt issus de classes favorisées, c'était plutôt des hommes. Il y a eu quand même des phases de démocratisation de l'accès à l'éducation qui ont industrialisé le système et qui ont, comme effet délétère, eu comme conséquence de... parfois malmenés en fait, parce qu'on a industrialisé, massifié l'accès à l'éducation. Donc ça c'est un premier sujet, je pense, qui est important à avoir en tête. L'élévation du niveau général de la population, qui par effet d'écart en fait, a rendu les enseignants comme un métier moins... moins attendu, et c'est un métier qui s'exerce de manière très isolée en France, contrairement à d'autres pays dans le monde où il y a un exercice collectif du métier. Nous, il y a vraiment cette liberté pédagogique, mais en même temps qui s'exerce avec une culture un peu de la porte fermée, de la peur du jugement, de la peur du regard de l'autre, et ça en fait, ce manque d'exercice collectif du métier. accroît ce sentiment d'isolement face à des problématiques en plus qui sont en augmentation. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas juste de transmettre des connaissances, il faut aussi accompagner les enfants sur le développement de leurs compétences psychosociales, il faut répondre aux enjeux de la laïcité, contrebalancer les fake news et avoir une rigueur face à ces... Face à la connaissance et au raisonnement scientifique, l'arrivée de l'intelligence artificielle qui aussi bouscule pas mal. Donc en fait ces dernières années, le métier a énormément évolué par la surimposition et la superposition de missions supplémentaires et par le changement sociétal qui vient questionner beaucoup ce rôle-là et qui demande énormément de travail d'actualisation des connaissances. de la part des enseignants.

  • Speaker #1

    Auriez-vous des exemples de pays où le modèle de l'enseignement est peut-être plus désirable qu'en France ?

  • Speaker #0

    Alors, on parle souvent des pays nordiques et notamment de la Finlande. Moi, j'ai habité en Finlande pendant un an. Et effectivement, c'est un métier qui est très valorisé. Donc, on recrute des gens qui sont les meilleurs de l'université. Ils vont être très bien payés, très bien valorisés. Donc, voilà, on est dans un système vertueux où on recrute des personnes de haut niveau qu'on va très bien payer, qu'on va très bien accompagner dans toute leur carrière professionnelle. Ce qui est intéressant, c'est que ça n'a pas toujours été le cas. Ça montre bien qu'il y a une décision politique à un moment donné d'investir sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien. Et ça, c'est un choix que la France n'a pas vraiment fait, puisque les enseignants en France, si on prend juste la question de la formation continue, on y reviendra peut-être, mais sont dix fois moins formés qu'à Singapour ou en Suède, pour prendre les modèles d'ordiques. et sont 13 fois moins formés qu'un fonctionnaire issu du ministère de la Justice. Donc il y a à un moment donné un choix politique d'investir sur, certains diraient le capital humain, en tout cas sur les hommes et les femmes qui portent l'éducation au quotidien.

  • Speaker #1

    Quels sont les plus grands mythes qui existent aujourd'hui autour du métier d'enseignant ?

  • Speaker #0

    Alors les enseignants, ah bah oui, c'est des feignants qui n'ont que des vacances scolaires, qui sont des militants de gauche, qui ne sont jamais sortis de l'école. Donc ça, on entend cette petite musique un peu lancinante qui est insupportable, insupportable avant toute chose pour les enseignants qui, pour la plupart, sont extrêmement engagés. et restent avec cette conviction chevillée au corps qu'effectivement ils ont un métier absolument essentiel. et qui constitue une première ligne de rempart finalement face à la montée des obscurantismes, du populisme, de l'ignorance, face aux risques civilisationnels qu'on a, les enseignants sont ce premier rempart. Et pourtant, on va leur renvoyer cette image de vous foutez rien et vous servez à rien Pendant le confinement, je pense qu'il y a eu une petite reprise de conscience de la part notamment des parents, en se disant Ah ouais, mes enfants à la maison, j'en ai un, deux, trois, leur faire école, en fait, c'est pas si simple que ça. Et j'en ai que deux, trois et je suis déjà au bout de ma vie. Donc qu'est-ce que ce serait si j'en avais 20 ou 30 avec des besoins différents dans tous les sens ? Je pense qu'il y a eu un sursaut de prise de conscience à ce moment-là. Je ne sais pas si on l'a gardé aussi saillante qu'au moment du confinement. Mais je crois qu'il y a besoin d'avoir un sursaut général de prise de conscience de l'absolue nécessité d'avoir ce métier-là et que cette population enseignante aille bien, soit valorisée, considérée, parce qu'elle joue un rôle absolument essentiel pour l'avenir de la France et l'avenir de l'humanité en général, si on dézoome en dehors de la France.

  • Speaker #1

    Et vous qui avez beaucoup de retours du terrain, qu'est-ce que vous avez à dire sur le lien entre les parents et les enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, ce qui est intéressant, c'est de revenir dans l'histoire, en fait, de cette relation. L'école, elle s'est un petit peu construite, enfin la généralisation de l'école publique, laïque, obligatoire, elle s'est construite un petit peu, quelque part... Pas contre les parents, mais un petit peu quand même. C'est-à-dire, c'était quand même une force de travail dans les champs, pour aider à la maison. Et donc, il a fallu un peu se battre quelque part avec les parents pour que les enfants aillent à l'école. Et donc, on vient un petit peu de cette histoire-là, qu'on a oubliée de manière consciente, mais qui fait partie de notre histoire. Et bien sûr, après, les choses ont évolué, les parents sont devenus plus éduqués. Et aujourd'hui, on est un petit peu dans une relation qui n'est pas complètement toujours apaisée, parce que certains parents sont devenus presque consommateurs de l'école. avec une logique un peu servicielle de je paye mes impôts, donc vous me devez tant d'heures, vous me devez ceci, vous me devez cela Et donc cette logique de parents consommateurs, je pense, est difficile à vivre pour certains enseignants. Certains enseignants aussi qui peuvent avoir historiquement cette culture de la porte fermée, pas forcément de partager avec les parents, parents qui ont pourtant besoin de savoir ce qui se passe pour leurs enfants. Donc voilà, il y a un vrai travail à mener. de tissage des liens de cette co-éducation parce que c'est ensemble que parents et professeurs réussiront à bien accompagner les enfants dans leur capacité à grandir, à s'orienter. Mais chacun doit faire un pas vers l'autre et avec empathie comprendre les contraintes et les difficultés de chaque côté de cette relation et en reconnaissant quand même aux enseignants ce rôle de professionnel. de l'éducation, ce rôle de pédagogue. Et ça, je pense que la remise en question perpétuelle, comme si nous, en tant que parents, parce que je suis aussi maman, on savait mieux que des professionnels pour lesquels c'est un métier auquel ils ont été quand même formés et qui fait partie de leur quotidien. Je trouve que la question, c'est aussi comment on tisse les liens, mais comment chacun reste à sa place dans son rôle de parent ou d'enseignant.

  • Speaker #1

    Et en plus de la reconstruction de ce lien entre les parents et les enseignants, quels sont selon vous aujourd'hui les plus gros challenges auxquels font face les enseignants ?

  • Speaker #0

    Les enseignants en France sont aujourd'hui très peu formés, on l'a dit. En formation initiale, la formation a été un peu revue, mais c'est la cinquième réforme en 15 ans. Donc ce n'est pas ça qui va régler le problème. On a 870 000 enseignants qu'il faut accompagner dans leur développement professionnel continu. Donc là, on a un vrai sujet qui est totalement dysfonctionnel en France et je pense qui est rarement aussi dysfonctionnel que dans un pays comme la France. Donc les enseignants ont besoin d'être formés, accompagnés tout au long de leur vie, et ça c'est un vrai besoin, c'est un vrai sujet. Ils sont confrontés récemment à une mise en tension du métier, on a vu l'assassinat terrible de Dominique Bernard, qui a fait écho à celui de Samuel Paty. Donc on voit bien que l'école est de plus en plus prise pour cible par des personnes... radicalisés, qui sont dans l'ignorance aussi. Et c'est la bêtise qui tue. Ceux qui sont là pour essayer d'élever, d'ouvrir l'esprit. Mais donc voilà, ils se sont confrontés à ça et les enseignants n'avaient pas signé pour se faire tuer. Quand on voit certains pays où une malala se prend une balle de la tête parce qu'elle va à l'école, on ne se disait pas que ça pouvait arriver chez nous. Et donc je pense que là, il y a une prise de conscience que ça devient un métier à risque alors que ce n'était pas censé être un métier à risque. C'est 200 écoles qui ont été prises pour cible au moment des émeutes autour du décès de Naël. La jeunesse, elle se retourne contre une école qui est censée les émanciper parce qu'elle est vécue comme le dernier outil peut-être du monde désinclu dans un monde qu'ils vivent comme étant celui des exclus dans leur quartier. Donc il y a un vrai sujet de... Voilà, de défendre cette école, de montrer que c'est un outil d'émancipation qui doit permettre d'inclure toutes les parties prenantes de la société française. Voilà, ça, c'est un challenge auquel les enseignants sont clairement confrontés. Les attaques, les atteintes à la laïcité qui sont de plus en plus fortes, les fake news qui sont diffusées sur les réseaux sociaux et qui viennent laver la tête de toute une jeunesse sur... Qu'est-ce qu'est un fait scientifique ? Qu'est-ce qu'est un raisonnement vrai ? Cette espèce de remise en question de la vérité dans un monde de la post-vérité à la Trump où tout se vaut, enfin non, tout ne se vaut pas. Et donc ça c'est un immense challenge, les enjeux de la transition écologique qui viennent augmenter tous les syndromes, notamment d'éco-anxiété chez les jeunes. L'école est dans la société, donc elle est percutée par tous les maux de la société. Du côté de la santé mentale, on a un élève sur quatre en situation de stress et d'anxiété, on a 50% des enseignants qui sont en situation d'épuisement émotionnel fort. Ça c'est les résultats de nos derniers baromètres sur la santé mentale qu'on a fait avec École humain. Et les enseignants sont censés enseigner avec et malgré tout ça. Chapeau en fait, c'est un sacré challenge. Et que la plupart quand même relèvent. Alors relèvent mais... avec un certain épuisement qu'on peut comprendre en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Vous avez parlé de la non-réforme de la formation continue. Pourquoi est-ce que cette partie-là de la formation des enseignants tarde tant à être réformée ?

  • Speaker #0

    C'est une bonne question. Je pense qu'en fait, politiquement, c'est pas forcément intéressant ou sexy. C'est-à-dire que parler de l'uniforme à l'école, tous les parents de France vont être capables d'avoir un avis sur pour ou contre l'uniforme. Même si, honnêtement, scientifiquement, on sait que ça n'a aucun effet. Donc on peut mettre des uniformes, ne pas en mettre, honnêtement, on s'en fout. C'est pas un sujet ! C'est pas un sujet, donc ça peut passionner les débats, mais en vérité, c'est pas ça qui va nous faire remonter dans le classement PISA. Dernier classement PISA de décembre 2023, la France, très moyenne, a encore baissé. Les résultats ont chuté en maths et en français. Et c'est pas avec l'uniforme, évidemment, qu'on va relever le niveau. Donc il y a un enjeu, en fait, je pense, de conscience de la part de l'ensemble des citoyens français, de l'ensemble des parents de France et donc vos auditeurs, qu'il est absolument fondamental et nécessaire de former et soutenir les enseignants. En fait, il n'y a aucun système d'éducation qui n'a pu se transformer, qui n'a pu améliorer la qualité sans les enseignants. Ça n'existe pas. Donc en fait, s'il y a une réforme à faire, Aujourd'hui, c'est celle-là. Ce n'est pas forcément une réforme très bling-bling, très voyante, mais en fait, c'est celle qui peut avoir le plus d'impact. Et donc, je pense que s'il y a une conscience partagée de la part des citoyens, qu'il y a ce besoin-là d'être tous derrière l'école publique, comme on essaie d'être tous derrière l'hôpital public qui doit soigner l'ensemble des citoyens français, l'école publique qui peut accueillir l'ensemble des enfants de la France. et de soutenir celles et ceux qui sont là pour éduquer, émanciper, faire grandir, je pense que c'est un enjeu national en fait.

  • Speaker #1

    Bien sûr. Est-ce que vous voyez d'autres grandes réformes que vous rêveriez de voir en place rapidement en France ?

  • Speaker #0

    Alors pour moi, il faut arrêter les réformes. C'est-à-dire que concrètement, chaque ministre, il va de sa réforme. Et le terrain n'en peut plus, en fait, de faire A, moins A, B, moins B. Enfin voilà. On tricote et on détricote. Et je pense que ça, c'est absolument insupportable. La Finlande qui a réussi on en parle tout le temps à se transformer, ils se sont mis d'accord, en fait. Et pendant 10 ans, ils ont... suivi leur feuille de route. Et donc, ils ont arrêté de tricoter et de tricoter. Ils se sont mis d'accord, Union nationale, sur des priorités. Et ils ont tenu bon, en fait. L'éducation, c'est du temps long. Ça ne peut pas être une réforme qui, en un an, aurait un effet. C'est faux. Ça n'existe pas, en fait. Et donc, se mettre d'accord, arrêter les réformes pendant X années et tenir. une feuille de route pour permettre aux acteurs de terrain effectivement de transformer ce qu'il y a à transformer, de garder ce qui est positif. Ça, c'est absolument nécessaire. Juste sur les rythmes scolaires, je crois qu'il y a eu trois ou quatre réformes en dix ans. Donc voilà, sur le terrain, ils n'en peuvent plus.

  • Speaker #1

    Et après avoir dit tout ça, qu'est-ce qui vous donne encore espoir dans le changement de l'école publique en France ?

  • Speaker #0

    Ah moi j'y crois ! J'y crois à fond ! Et c'est pas la croyance de quelqu'un de naïf. Je vois des milliers, nous on accompagne 170 000 enseignants avec être-prof.fr. On vient de sortir un livre, Bienvenue dans ma classe, avec plein de très beaux témoignages d'enseignants qui racontent. leurs engagements, leurs difficultés, la vie, mais qui montrent cette capacité d'engagement, de résilience, de combat que peut avoir énormément d'enseignants en France. Donc ça, ça me donne beaucoup d'espoir, parce que souvent on entend les arbres qui tombent, mais pas la forêt qui pousse. Moi je considère qu'il y a une forêt qui pousse à bas bruit, on ne l'entend pas, mais elle est là. Et l'autre chose, c'est que je crois beaucoup au récit qui peut être performatif. C'est-à-dire que plus on entend la petite musique de l'école publique c'est nul, c'est un mammouth indécrottable, et de toute façon il faut jeter l'éponge, et moi je vais scolariser mon enfant je ne sais pas où, dans je ne sais pas quelle école atypique, et c'est comme ça qu'on va résoudre le problème je pense que cette petite musique-là, elle est contre-productive en fait. par rapport à l'école de la République qui doit rester le socle de la nation française. Et donc si le discours qu'on entend porté par des leaders politiques, des leaders économiques, par tout un tas de parties prenantes de la société civile, se situe autour de cette école comme point de convergence, comme étape obligée pour construire à la fois des apprentissages mais aussi un vivre ensemble, et que ça c'est quelque chose qui reste positif dans la tête de toutes et tous, je pense que c'est performatif et que ça inverse la tendance. qui est un peu celle qu'on entend et qui me fatigue un peu, je dois dire.

  • Speaker #1

    Je suis tout à fait d'accord avec vous. Et si on reste sur cette note positive, pourquoi est-ce que vous croyez que le métier d'enseignant est toujours l'un des plus beaux métiers au monde ?

  • Speaker #0

    Je pense que c'est l'un des plus essentiels. C'est-à-dire que je considère qu'un pays, il a un peu deux pieds. Il a la santé et l'éducation. La santé, parce que sans santé, on ne peut pas vivre et grandir. Et l'éducation pour s'émanciper, construire le monde de demain. Donc les soignants et les enseignants, pour moi, ce sont deux populations. qui sont vitales en fait pour un pays. Et surtout dans une époque qui est vraiment, je trouve, assez noire. Quand on voit les enjeux du dérèglement climatique, la montée des populismes, l'attaque du modèle démocratique, je pense que tout ça nous montre qu'on a encore plus besoin d'éducation. Plus il y a des failles de civilisation, des risques d'effondrement, et plus on a besoin. De prendre conscience, d'être éduqué, d'avoir une capacité de raisonnement, une capacité de discernement, une capacité de prise d'initiative, de construction avec les autres. Et tout ça, en fait, c'est l'école qui peut apporter ça. Bien sûr, il y a les familles, les familles qui apportent un premier socle, mais le deuxième lieu de socialisation et le deuxième lieu de construction de l'individu, c'est l'école, c'est le passage obligé par lequel l'ensemble des enfants... français vont passer en fait. Et donc si cette école, c'est une école qui inclut, si c'est une école qui émancipe, je pense qu'on forme la société de demain et donc les enseignants, c'est cette première ligne absolument essentielle pour construire les générations de demain.

  • Speaker #1

    Vous qui travaillez pour et par les profs, est-ce que vous auriez des initiatives récentes qui vous ont particulièrement touchées, qui sont particulièrement positives, qui ont été portées par des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors, il y en a plein qui sont à petite échelle, parce qu'en fait, le problème, c'est la question de l'échelle. Si on regarde l'échelle du système, donc c'est 12 millions d'élèves, c'est 870 000 enseignants, c'est 60 000 établissements scolaires. Et en fait, souvent, les pépites, ça se situe à la maille d'un enseignant, à la maille d'une école, en fait. Et donc on voit un foisonnement de petites initiatives d'enseignants, on le voit dans le livre, qui acceptent d'aller enseigner en milieu carcéral, d'enseignants qui vont se bagarrer pour l'ouverture culturelle et puis pour faire des voyages de classe, d'enseignants qui vont, sur leurs données personnelles, avoir une petite trousse magique avec des tubes de colle, des choses que les enfants les plus pauvres ne peuvent pas acheter en fait, parce que la maman elle attend d'avoir sa paye pour arbitrer entre... acheter un steak ou acheter le tube de colle et la trousse de l'enfant. Voilà, tout ça, c'est des petites pépites qui ne sont pas forcément waouh, en fait, à une échelle macro. Mais en fait, c'est la somme de toutes ces pépites qui font, en fait, la qualité de la relation prof-élève, la qualité de l'éducation. Et ça, je trouve qu'on ne le regarde pas assez avec une loupe, en fait, pour se dire Waouh, c'est beau, ce foisonnement et cette capacité qu'on... les individus à s'engager, à écouter, à être là. pour accueillir tel enfant qui a des besoins particuliers, pour essayer d'éveiller, d'allumer les petites lumières dans les yeux des enfants. Et ça, il y a un foisonnement. Si on regarde bien, il y a un foisonnement. Donc je pense qu'il ne faut pas forcément toujours regarder par le prisme de l'initiative Wahoo qu'on va relayer médiatiquement et qui ne va pas forcément faire modélisation pour un SMH à grande échelle. Alors tout le monde connaît Jérémy Fontagneux qui, voilà, prof génial, contractualise avec les parents, leur envoie des textos pour leur dire regardez, ça c'est positif Donc voilà, il y a des gens comme ça qui sortent du lot et c'est super, mais je nous invite collectivement à aller voir ce foisonnement, cette forêt qui pousse à bas bruit et qu'on ne regarde pas et qui fait pourtant la qualité du maillage et du tissu éducatif français.

  • Speaker #1

    Alors on le sait, le recrutement des enseignants est de plus en plus difficile en ce moment. Qui sont les personnes en France qui ont envie d'être enseignants aujourd'hui en France ?

  • Speaker #0

    Alors, c'est vrai que le métier s'étant précarisé, il s'est féminisé, et on a de moins en moins de candidats au concours. Il y a des enseignants contractuels de plus en plus, donc des gens qui n'ont pas forcément eu la formation. initiale pour devenir enseignant. Donc voilà, il y a effectivement d'un côté une baisse d'attractivité du métier qui crée une crise des recrutements dans les premières carrières. Mais il y a aussi un phénomène que je trouve intéressant qui est le phénomène des secondes carrières, c'est-à-dire de gens qui ont fait autre chose dans une première vie et qui cherchent absolument à sortir de ce qu'on appelle les bullshit jobs et à aller vers des choses plus essentielles. Voilà, j'en ai vu plein qui étaient brokers, financiers ou je ne sais pas quoi, et qui ont envie de retrouver le sens, la simplicité d'enseigner à 20-30 enfants. Et ils y trouvent là un sens à leur existence, un sens profond à leur existence, parce que ce qui va les tenir, c'est ni la rémunération, ni forcément la reconnaissance institutionnelle, mais profondément, intrinsèquement, le bonheur d'accompagner. 20-30 enfants chaque année à grandir. Donc ça, ça donne de l'espoir aussi, ce phénomène des secondes carrières, parce que ça veut dire que c'est un métier qui garde profondément un sens, puisqu'il attire des gens qui ont fait autre chose avant et qui se disent, quand même, enseignant, pourquoi pas.

  • Speaker #1

    Et on a parlé du lien entre parents et enseignants. J'aimerais bien avoir votre avis sur le lien entre les élèves et les enseignants aujourd'hui en France.

  • Speaker #0

    Alors je pense qu'il y a une question autour de la figure d'autorité. L'autorité, c'est Michel Serres qui disait, c'est ce qui fait grandir. Donc normalement, l'autorité, c'est ce qui élève. On a parfois en France une vision de... d'une autorité peut-être un peu autoritaire. Et donc je pense qu'il y a une question qui se joue autour de la relation d'autorité, de l'incarnation de ces figures d'autorité. Et les enseignants, c'est ni les parents, ni des copains, ni des grands frères. C'est une figure qui peut accompagner le jeune à grandir. Mais pour ça... Toute la question se situe autour de la qualité relationnelle prof-élève et jusqu'où on s'autorise une connexion qui de fait est une connexion humaine. Et je me souviens de Maëlle Vira qui avait fait un livre autour de l'amour, au sens noble du terme. Aimer ses élèves, souvent dans la culture française, on a l'impression que c'est un gros mot. Mais ne pas renoncer à cette notion d'attachement, même si on doit rester professionnel, avec une certaine distance qui doit être protectrice à la fois de... de l'enfant et de soi-même, mais je pense qu'il y a quelque chose à travailler autour de l'attachement dans la relation prof-élève et comment on s'autorise cette relation qui est une relation humaine et qui n'est pas juste de transmettre 1 plus 1 égale 2 sans affect. Ce n'est pas possible, en fait. Donc, cette question de l'intelligence émotionnelle et relationnelle à la fois des enseignants et des élèves, De fait, comment on construit cette relation-là, je pense que c'est quelque chose autour duquel il y a encore des tabous.

  • Speaker #1

    J'aimerais maintenant qu'on prenne quelques minutes pour parler d'école humain. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi ça consiste et quelles sont vos activités à destination des enseignants ?

  • Speaker #0

    Alors Ecoluma, c'est une association qui a 12 ans maintenant et on a créé en fait plusieurs dispositifs dont l'un qui s'appelle êtreprof.fr. On l'a créé vraiment par et pour les enseignants. Donc c'est cofondé avec notamment Nathalie Dreyfus, enseignante dans le premier degré depuis une trentaine d'années, qui a été directrice d'école. Et ce par et pour, il est absolument essentiel pour... Voilà, rendre cet outil le plus utile possible pour ceux qui sont sur le terrain au quotidien. Et donc, êtrepreuve.fr, aujourd'hui, c'est 170 000 enseignants qui ont créé un compte de la maternelle au lycée en passant par le lycée professionnel. Et avec l'enjeu de pouvoir s'auto-former sur... des questions de gestion de classe, d'accueil des enfants à besoin particulier, de... accueil des enfants issus de milieux défavorisés, travail sur les enjeux du stress et de l'anxiété scolaire, enfin bref, tous les défis qui traversent l'école. L'idée, c'est de pouvoir les accompagner sur ces enjeux-là avec des fiches outils, des guides pratiques, des vidéos tutos, etc. Mais c'est aussi une communauté de soutien moral et psychologique, donc il y a beaucoup de temps d'interaction qui sont proposés. Voilà, du mentorat et un soutien moral pour dire aux enseignants, on a besoin de vous, vous êtes absolument essentiels, ne lâchez pas, la France a besoin de vous. Et donc c'est d'être une communauté horizontale, paire à paire, de soutien pédagogique et psychologique pour donner aux enseignants le goût de rester enseignants et d'être... des profs épanouis et de bons pédagogues. Donc ça, c'est la partie être prof. Et puis, on anime cette communauté avec 150 enseignants mentors qui sont auteurs. dont certains sont auteurs dans le livre Bienvenue dans ma classe. Et ce sont des enseignants qui sont en poste, donc qui ont une pratique vivante du métier. Et ça, c'est important. Ce ne sont pas des gens qui sont déconnectés du tout du terrain, ils sont sur le terrain. Et puis, en plus de leur métier d'enseignant, ils s'engagent dans la communauté Être prof pour partager, donner un peu de leur temps et de leur connaissance et accompagner les collègues dans leur progression professionnelle. Et ensuite, on a développé d'autres outils d'accompagnement et notamment un programme d'accompagnement des équipes pédagogiques dans les établissements scolaires, où là on intervient vraiment en présentiel aux côtés des équipes pour les aider sur le travail collaboratif et rompre un peu cet isolement dans le métier. On sait que les pratiques collaboratives sont très faibles en France par rapport au pays de l'OCDE, c'est dix fois inférieur. Et pourtant c'est absolument essentiel à la fois pour construire de la qualité professionnelle, du bien-être au travail et améliorer la qualité des résultats des élèves. On n'est pas forcément historiquement dans une culture collaborative, mais on est convaincu que c'est absolument essentiel de la développer, d'où ce programme. cette fois pas du tout digital mais présentiel d'accompagnement sur le terrain d'équipe pédagogique.

  • Speaker #1

    Je le suis aussi très convaincue et donc je partagerai évidemment tous les liens de ces programmes en description de l'épisode mais je suis certaine que de nombreux auditeurs vous connaissent déjà alors j'ai une dernière question à vous poser, c'est la question que je pose à tous les participants du podcast vous le savez le podcast s'appelle les adultes de demain qu'est-ce que vous souhaiteriez aux enfants d'aujourd'hui les futurs adultes de demain ?

  • Speaker #0

    Alors je leur souhaite de prendre conscience à la fois de l'immense chance qu'ils ont et de leur responsabilité dans la construction du monde de demain, qui suppose d'acquérir une capacité de discernement dans un monde qui est de plus en plus clivé, avec l'augmentation des fake news, le discernement je pense est une compétence absolument essentielle. L'empathie, qui est une qualité humaine qui permet de se relier aux problématiques du monde, de se relier aux autres, et de fait d'être sensible, et donc derrière d'agir pour résoudre les problématiques auxquelles on a été sensible. Et puis, ce que je leur souhaite aussi, c'est d'apprendre à construire, à prendre des initiatives. avec les autres pour résoudre les défis qui sont devant nous. Donc voilà, discernement, empathie et capacité de prise d'initiative collective pour construire le monde de demain. Et je crois qu'on en a grandement besoin.

  • Speaker #1

    Formidable, merci beaucoup Florence.

  • Speaker #0

    Avec plaisir, merci à vous.

  • Speaker #1

    Merci infiniment d'avoir écouté cet épisode. J'aimerais prendre le temps de remercier tous ceux qui s'abonnent à la chaîne du podcast, qui laissent des avis et des notes sur Apple Podcasts ou Spotify. Ça paraît rien, mais ça fait toute la différence pour faire connaître notre travail qui est complètement indépendant. Pour me retrouver, je vous rappelle que vous pouvez aller sur le compte Instagram des adultes de demain ou sur mon compte LinkedIn perso. N'hésitez pas à me partager vos retours sur cet épisode ou sur le podcast en général, ça fait tellement du bien de vous lire. Je vous dis à très bientôt pour un nouvel épisode.

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