Rédigé par La rédaction le Jeudi 26 Juin 2025
L’agriculture face à la soif : quels défis pour la souveraineté alimentaire ?
Dans un pays où l’agriculture emploie plus de 30 % de la population active et reste l’un des piliers économiques, la sécheresse n’est pas une simple fluctuation météorologique. C’est une menace existentielle. Le Maroc, secoué par des années de déficit pluviométrique, se retrouve confronté à un dilemme majeur : comment continuer à produire localement de quoi se nourrir alors que l’eau manque cruellement ? Et surtout, comment conjuguer ambition agricole et réalité hydrique dans un contexte de changement climatique mondial ?
En 2023, le volume d’eau alloué à l’irrigation a chuté à 900 millions de m³, contre 3 milliards en année normale. Cette réduction drastique a affecté en priorité les petites exploitations céréalières, les périmètres irrigués traditionnels, et les zones marginales déjà sous tension. Les rendements ont chuté, les exportations agricoles se sont contractées, et les importations de produits de base ont dû être augmentées. Résultat : une dépendance accrue aux marchés extérieurs, aux prix volatils et aux contraintes géopolitiques.
Face à cette réalité, les grands projets hydriques — désalinisation, barrages, autoroutes de l’eau — sont d’abord tournés vers l’eau potable. À juste titre, peut-on dire, car la priorité reste de garantir l’accès à l’eau pour tous. Mais cela signifie que l’agriculture passe en second plan, du moins dans la répartition immédiate des ressources. Or, c’est un pari risqué : réduire l’irrigation aujourd’hui, c’est fragiliser les récoltes de demain, et donc la stabilité des marchés et des revenus ruraux.
Des efforts sont certes en cours. Le Plan Maroc Vert, puis sa déclinaison Génération Green, ont promu l’irrigation localisée, les économies d’eau, et la diversification des cultures. Mais ces solutions nécessitent du temps, des investissements et un accompagnement de proximité. Beaucoup de petits agriculteurs restent à l’écart de cette modernisation, faute de moyens ou de formation.
Le développement de la désalinisation au profit de l’irrigation, amorcé timidement dans les projets futurs (notamment à Nador, Tan-Tan ou Guelmim), pourrait constituer une solution partielle. Mais avec seulement 34 % de l’eau désalinisée dédiée à l’irrigation d’ici 2040, la marge reste faible. Sans une réorientation stratégique plus ferme, l’agriculture risque d’être la grande sacrifiée d’un modèle hydrique centré sur les villes.
À cela s’ajoute une problématique de justice territoriale. Les grandes exploitations modernes, souvent mieux connectées et mieux équipées, parviennent à résister. Mais les petites structures familiales, pilier invisible de la sécurité alimentaire, voient leurs marges s’effondrer, leurs terres s’assécher, et leurs jeunes partir vers les villes.
Le Maroc est donc à la croisée des chemins. Peut-on nourrir le pays sans irriguer ses terres ? Peut-on gagner la bataille de l’eau sans perdre celle de la souveraineté alimentaire ? Ces questions exigent une réponse coordonnée, entre ingénieurs, agriculteurs, décideurs et citoyens. Il ne s’agit pas seulement de sauver l’agriculture. Il s’agit de préserver un équilibre territorial, économique et humain qui fait tenir le pays debout.
Car une terre qui ne peut plus être arrosée est souvent une terre qui finit par être abandonnée.
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