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Mirage

Bienvenue en utopie | Il était une fois, un héros aux mille et un visages 1/5

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25min |13/01/2025
Play
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Description

Dans ce premier épisode de l'enquête 1 "Bienvenue en utopie", nous allons à la rencontre d'Adrien Rivierre, auteur et expert en nouveaux récits. On y découvre les différentes composantes de la grande famille des utopies, leur impact sur notre société et leur faculté à générer un mouvement collectif.

Mirage est un podcast indépendant imaginé et créé par Laureline Dargery.

Montage et mixage par Elsa Thumerel.

Lecture d'Ecotopia d'Ernest Callenbach par Kevin Daniello.

Pour nous soutenir tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. 

Tu peux nous retrouver sur :

Instagram = https://www.instagram.com/mirage_podcast/
Newsletter = https://substack.com/@miragepodcast

Linkedin = www.linkedin.com/company/mirage-collectif


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'optimisme est un devoir moral. Karl Pepper Bienvenue en Utopie. Épisode 1. Il était une fois un héros aux mille visages. On fait un enregistrement pour un podcast et je veux savoir si vous aviez juste 30 secondes pour répondre à une question. Ah bah trop bien, eh bien enchantée. Enchantée. Alors, dans un monde où tout est possible, un futur utopique, à quoi ressemblerait ton monde idéal ? Ouf, c'est une question très difficile pour moi.

  • Speaker #1

    On peut prendre des voitures volantes. Je mets bien le cinquième élément quand j'étais petit, donc si on peut avoir des voitures volantes, c'est déjà pas mal.

  • Speaker #0

    Un monde où il n'y a pas de guerre, où tout va bien.

  • Speaker #1

    Je crois que c'est ça le monde idéal.

  • Speaker #0

    La paix. Moi, j'aimerais revenir à un monde avec plus de valeurs,

  • Speaker #1

    en fait. Je dirais un monde bien moins pollué. Et moins pollué, en fait,

  • Speaker #2

    je pense déjà que c'est quelque chose de bon.

  • Speaker #1

    Alors, mon monde idéal, il ressemblera à un monde où tout le monde est plus libre d'exprimer toutes les parties de soi. notamment autour du rapport au corps et de la sexualité ? Franchement, dans un monde futur, je verrais plus la végétation, moi je dirais plus la nature reprendre le dessus. C'est la nature normalement qui nous fait vivre, il faut la respecter.

  • Speaker #0

    Quand tout va mal, tout fout le camp, l'imaginaire est très souvent une porte de sortie. C'est aussi un lieu privilégié et libre dans lequel on peut construire des nouveaux narratifs pour changer structurellement le système dans lequel on vit. Et justement, aujourd'hui, au XXIe siècle, tout me semble aller au plus mal. Quand j'allume la radio ou je lis le journal, j'apprends qu'on a dépassé la sixième limite planétaire, que des guerres se poursuivent dans le monde entier, que mes héros sont mis derrière les barreaux pour avoir tenté de protéger nos écosystèmes. Mais j'apprends aussi que des projets écocides et non utilitaires sont votés chaque jour pour quelques arrangements financiers, que les plus riches n'ont jamais été aussi riches pendant que partout dans le monde, le reste des vivants sombres sont des canicules hors normes, des inondations, des déforestations, des guerres et j'en passe. J'apprends aussi qu'il y a des guignols comme Trump qui prennent la présidence d'État armée de leur plus belle parure de climato-sceptisme, de misogynie, de racisme et blablabla. Bref, j'apprends tous les jours dans mon journal ou à la radio que notre espèce soi-disant la plus intelligente brûle volontairement notre socle vital pour quelques dollars et que le pouvoir financier d'une poignée est tel qu'il semble impossible de nous détourner du mur qui se rapproche chaque jour un peu plus. Notre maison brûle. Et évidemment, on regarde toujours ailleurs. Alors, est-ce qu'il ne serait pas l'heure de changer de disque et de créer un nouveau récit un peu plus honorable et poétique ? Et pour ça, ma piste d'enquête se tourne vers la grande famille des utopies. Ce récit créatif, on le doit en grande partie à Thomas More, qui a écrit en 1516 Utopie. D'ailleurs, si tu ne l'as pas encore lu, je te le recommande vivement, mais en gros, c'est un récit fictif qui met en scène la république d'Utopie. Il y critique les guerres incessantes, le despotisme du pouvoir politique, la soif de luxe des privilégiés et des puissants, l'injustice et la justice. et la propriété privée. Donc bon, en vrai, il n'y a pas trop de changements avec notre scénario d'aujourd'hui. Apparemment, les vies sont toujours au même endroit. Et sur cette île d'utopie, il esquisse une société idéale, bien plus égalitaire et juste que celle de l'Europe du XVIe siècle. Mais en réalité, c'est pas le premier à avoir mis en récit des histoires utopiques. Par exemple, Platon avait déjà réfléchi à un monde meilleur dans son ouvrage La République. ou encore la cité vertueuse d'Al-Farabi. Dans ses ouvrages, on retrouve des modèles de société idéale avec abolition de propriété privée, règne d'un philosophe roi, etc. Mais c'est vrai que celui qu'on connaît le mieux, ça reste Thomas More. Il faut dire que le mot utopie est né de son œuvre. Mais justement, utopie, ça veut dire quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Ce mot, donc utopie, c'est le U privatif et topos, c'est le lieu. Donc c'est le lieu qui n'existe pas. Donc ce n'est pas... pas l'ici, ce n'est pas le maintenant, c'est quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Lui, c'est Adrien Rivière, auteur et expert reconnu dans la mise en récit et notamment dans les nouveaux récits.

  • Speaker #1

    L'utopie aujourd'hui, elle a souvent des connotations très rapidement positives, amélioratives, c'est-à-dire que c'est un ailleurs qui est mieux que maintenant, voire complètement idéal, c'est-à-dire la perfection absolue, l'équilibre, l'harmonie, tout va bien. Et donc, d'autres formes d'utopie, mais qui sont là très sombres, ou celles plutôt du versant complètement opposé, on les appelle les dystopies. Donc c'est l'exact contraire, c'est toujours un ailleurs, mais cette fois-ci tout va mal. L'utopie et la dystopie sont deux grands genres par lesquels on approche le futur, et on fait de la prospective. Mais il y en a d'autres, j'en cite peut-être deux principales. La première, c'est ce qu'on appelle l'uchronie. Donc l'uchronie... On a toujours le U privatif, comme dans Utopie, mais cette fois-ci, ce n'est pas le topo, ce n'est pas le lieu, c'est chronos, c'est le temps. Donc l'Uchronie, c'est l'exercice intellectuel ou d'imagination qui va consister à changer un événement du passé pour que ça change l'ensemble de notre histoire. L'un des grands exemples dans la littérature de science-fiction, c'est l'ouvrage de Philippe Cadic, le maître du Ausha, où il imagine la victoire des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Donc c'est Et si Hitler avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? à quoi ressemblerait notre monde. Donc ça, c'est une Uchronie, c'est-à-dire qu'on change un paramètre de l'histoire linéaire du temps et on regarde les conséquences que ça a jusqu'à maintenant.

  • Speaker #0

    Eh bien, justement, j'ai découvert récemment la bande dessinée Jour J, qui est écrite par Jean-Pierre Pécaud, Fred Duval et Fred Blanchard et qui est éditée par Delcourt. Et c'est exactement le même principe. Dans chaque tome, un événement historiquement majeur est transformé et on se penche dans l'un des scénarios des possibles. Qu'est-ce qui se serait passé si les Russes avaient mis le premier pas sur la Lune ? Que serait devenu Paris si les révolutions de 1968 avaient pris le dessus ? Et personnellement, j'adore. Je trouve que l'exercice créatif des Ukrainiens est assez génial. Mais je pense que quand on parle d'Ukraine, celle qui devrait parler à tout le monde, c'est Back to the Future, l'un de mes films préférés. Mais comme dit Doc... Quand j'ai un élément du passé, ça impacte gravement le futur et vice versa. Ça peut avoir des répercussions terribles.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de critiques de l'idée d'utopie et de dystopie. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de critiques d'experts, de scientifiques, de chercheurs, d'auteurs qui disent qu'il y a tout un tas de potentiels vices ou de craintes à imaginer des futurs soit parfaits, soit totalement noirs. Et donc... est venu le terme de protopie. Alors la protopie, c'est un terme qui a été inventé par un auteur prospectiviste qui s'appelle Kevin Kelly en 2010 et qu'on avait un peu marre en fait de projeter toujours des futurs qui devraient être parfaitement enthousiasmants, totalement harmonieux, où tout va bien, où tous les hommes sont bons, toutes les femmes sont parfaites, etc. Et il dit maintenant en fait, l'histoire est incrémentale et donc il faut réfléchir de manière incrémentale, petit à petit, en projetant certes le meilleur, Mais en n'imaginant pas un monde qui est parfait et totalement à l'équilibre. Donc ça s'appelle une protopie qui est plus proche de ce qu'on vit en réalité, mais qui est intéressante aussi pour, encore une fois, faire ce à quoi sert l'utopie en réalité, de la prospective, préparer le futur, se mettre à agir ici et maintenant.

  • Speaker #0

    Et dans ces différentes catégories d'utopie, il y en a une qui en ce moment fait particulièrement débat. C'est la dystopie. Pour certains, elle est trop majoritaire, trop sombre et pourrait même... empêcher le passage à l'action. C'est un peu la théorie des motards ou ce qu'on appelle la target fixation. Plus on se fixe sur un obstacle, plus on a statistiquement de chances de foncer dessus. Et si c'était la même chose avec les récits dystopiques ? Si le fait de se focaliser sur le pire pour notre futur nous y conduisait directement ? Personnellement, moi, les dystopies, ça m'angoisse. Et j'ai même le sentiment que ça a plutôt tendance à me bloquer, voire me paralyser. Black Mirror, 1984, Years and Years. Des dystopies que je trouve brillantes, mais qui m'ont détournée de l'action et qui m'ont même fait perdre totalement espoir en l'humanité. Puis j'ai lu Ecotopia et tout va bien, c'est revenu. Finalement, là où des utopies m'ont donné l'espoir d'un futur autre et l'envie de m'engager dans ce changement, les dystopies m'ont produit l'effet complètement inverse. Et aujourd'hui, j'ai vraiment l'impression que nos films, nos séries, les livres sont envahis par les dystopies et qu'on peine à trouver de bonnes utopies. Alors, est-ce qu'il y a trop de dystopies qui circulent et est-ce que ça ne serait pas dangereux pour notre futur ?

  • Speaker #1

    Moi, je ne comprends pas vraiment la position selon laquelle on peut être contre la dystopie, où il y en a trop.

  • Speaker #0

    Bon, à priori, on n'est pas d'accord.

  • Speaker #1

    Je ne vois pas trop l'intérêt de se battre contre ça. Pour moi, c'est vraiment se battre contre un moulin. Précisément, la dystopie existe pour nous faire réagir. Et par ailleurs, ce sont les grands récits et les grands mythes qui structurent, en tout cas, l'Occident. L'enfer, l'apocalypse, tout ça structure nos religions monothéistes, structure notre terreau culturel. Et... A priori, à part rejeter en bloc l'ensemble de nos mythes et de nos récits, je ne vois pas bien à quoi ça sert de dire la dystopie, il y en a trop ou c'est démoralisateur ou c'est trop sombre Je suis à dessein un peu dur et je pourrais nuancer ma position, mais l'idée, c'est que la dystopie, il ne faut pas oublier qu'elle n'existe, encore une fois, que pour l'ici et maintenant. C'est sûr que si on la considère en elle-même, oui, elle peut faire p... peur, elle peut démoraliser, elle peut nous faire baisser les bras, on voit pas l'intérêt de se battre, etc. Mais elle peut au contraire nous dire non mais je ne veux pas que mes enfants vivent dans ce monde là, donc je vais faire autre chose. Ou si très prosaïquement vous travaillez dans une entreprise, privé ou public, vous n'avez pas envie d'aller dans la direction dans laquelle va l'entreprise ou de ressembler à votre supérieur dans 10 ans, vous agissez ici et maintenant. Et donc ça sert d'imaginer le pire ou que les choses pourraient tourner mal. Ça vient réenclencher dans l'humain Une sorte de vigilance, de curiosité, de capacité à voir ce qu'on pourrait faire différemment. Donc déjà, moi, je repositionne toujours les choses comme ça pour se dire que finalement, la dystopie, elle peut, et pour beaucoup en réalité, elle est très utile. Je fais juste une parenthèse très rapide. Il a été démontré, en tout cas dans des recherches scientifiques, assez nourri, qu'il y a tout un tas d'individus qui préfèrent effectivement les utopies. préfèrent se projeter dans le meilleur, c'est ça qui va leur donner de l'énergie, le désir de créer, d'avancer. Mais il y a quand même tout un tas de gens, tout un tas de paramètres, de leur croyance, de la manière dont ils ont été éduqués, de leur parcours, de leurs expériences, qui préfèrent imaginer le pire avant de réagir. Et ça, en fait, ça revient à la connaissance de soi, et voir comment, finalement, on a fait des choix dans nos vies. Et donc c'est intéressant d'avoir les deux, en réalité. Moi, je pense que c'est intéressant d'avoir les deux.

  • Speaker #0

    Ok, je comprends mieux. Il a raison. Finalement, on ne réagit pas toutes et tous pareil au récit et d'une certaine manière, ces différents genres d'utopie s'alimentent les uns avec les autres dans un but commun, débloquer nos imaginaires et nous faire passer à l'action. Je me suis d'ailleurs penchée récemment sur les travaux de la chercheuse en utopie Fatima Veira. Elle confirme également que dystopie et utopie sont de la même famille et malgré leurs différences nous poussent dans un objectif commun, celui de passer à l'action. Il est donc primordial. de savoir les faire cohabiter pour nourrir nos imaginaires, plutôt que constamment les opposer. Mais elle ajoute quelque chose que je trouve super intéressant. Face à cette grande famille d'utopies qu'on vient de voir, elle oppose les anti-utopies. Un récit très souvent utilisé par des politiques ou financiers qui nous poussent à croire qu'il n'y a aucune alternative. Tu sais, c'est un peu cette personne que tu croises à un dîner, qui travaille dans une banque ou en finance. et qui te maintient mordicus que si on sort du capitalisme, eh bien tout s'écroule. Que t'es vraiment complètement à côté de la plaque avec tes nouveaux récits et que décidément, toi, tu comprends rien à l'économie. Parce que l'économie, c'est pour les gens sérieux. Eh bien récemment, ça m'est arrivé. Ce à quoi j'ai répondu, oui, mais bon. Quand bien même notre système s'écroulerait, ce que je crois pas du tout, en ce moment c'est la biodiversité qui s'effondre sous l'égide du capitalisme. et avec elle, toutes nos chances de survie. Et sans grande surprise, on m'a répondu, Eh bien, d'ici là, on sera tous sur Mars. La vie sur Mars, avec SpaceX, c'est ce que j'appelle, moi, le récit de la Géronte. Donc avec ce récit anti-utopique, assez dominant ces jours-ci, on nous fait croire qu'on est sur les rails. Notre destin est en route et le moindre changement serait catastrophique. Si on sort du capitalisme, tout s'effondrera. Contrairement aux utopies, ça nous incite à ne pas bouger, à ne faire aucun changement et ça enferme nos imaginaires. Ce qui arrange bien nos dirigeants. Ce qui est intéressant avec ce que nous explique Adrien, c'est qu'on a toutes et tous des réactions différentes face au récit d'anticipation. Peut-être que s'il y a autant de dystopie, c'est tout simplement parce qu'on a besoin de cette structure de récit. C'est la fameuse force antagoniste du récit qui permet de mettre du relief dans la narration. Finalement, on se bat toujours contre quelqu'un ou quelque chose, sinon il n'y a pas de quête. Dans une de ses études, Pixar explique que son public mémorise bien plus fortement les parties de film avec des obstacles et des problèmes que la partie de fin heureuse. Si tout était parfaitement lisse et positif, est-ce qu'on serait captivé et est-ce qu'on se souviendrait l'essentiel ?

  • Speaker #1

    Le pur bonheur, le pur paradis, tout va bien, en fait il n'y a rien à raconter, ça ne marche pas d'un point de vue de la dynamique du récit. Quel obstacle est à surmonter ? En quoi le protagoniste doit se transformer pour être encore meilleur ou faire les choses ? Il n'y a rien qui marche. Si vous enlevez la dynamique du problème-solution, de la binarité du récit qu'on retrouve dans toute bonne histoire, ça ne marche pas. Et inversement, quand vous avez des groupes qui disent moi je vais créer un scénario d'horreur, ça va être terrible, c'est génial, ça va être la route ça va être vraiment le pire, etc. Qu'est-ce qui se passe ? Comme par magie, on a envie que ça aille mieux. On a envie de rétablir un équilibre. Donc, le ou les protagonistes vont commencer à inventer un produit, un service qui va permettre d'aller mieux, en fait. Que le monde, tout à coup, devienne encore une fois plus harmonieux et équilibré. Donc, c'est ça qui est intéressant. C'est qu'en réalité, les utopies et les dystopies ne sont jamais aussi monolithiques et purs qu'on l'imagine. Et qu'il y a toujours... énormément d'espaces d'imagination et d'actes qui permettent de ramener des éléments de nuance et de complexité.

  • Speaker #0

    Est-ce que le récit d'anticipation idéale, ça ne serait pas un juste équilibre entre utopie et dystopie ? Parce que finalement, quand j'y pense, les dystopies qui m'ont coincée n'ont aucune fenêtre d'espoir. Sans vouloir spoiler, dans mes références, tout finit mal et on ne voit aucune esquisse d'un avenir meilleur. D'ailleurs, cet équilibre est bien présent dans plusieurs ouvrages et films. notamment le livre La face cachée du monde de Ève Desmanches-Gabriel. C'est une fiction de quête qui démarre en zone dystopique, mais qui part retrouver une zone utopique. Et j'ai trouvé l'équilibre vraiment bien fait. Les parties utopiques et d'espoir sont de vraies zones de respiration pour le récit. Idem dans Ecotopia, alors là c'est majoritairement utopique, mais on retrouve des parties du passé où les personnages expliquent les révoltes, la violence, les difficultés dans le basculement, et comment ils sont parvenus après de nombreuses années à trouver la paix. Finalement, je trouve que ces transitions, ces descriptions de basculements sont plus que nécessaires pour nos imaginaires, et selon moi, il nous en faut plus. C'est ce qui donne toute la crédibilité du récit.

  • Speaker #2

    Ces décisions révolutionnaires provoquèrent bien sûr l'intolérance au Washington. Les lobbies de toutes les entreprises touchées tentèrent de pousser le gouvernement fédéral à intervenir militairement. Cela se passa néanmoins plusieurs mois après l'indépendance. Les écotopiens avaient créé et entraîné d'arrache-pied une milice nationale et importé des armes par avion depuis la France et la Tchécoslovaquie. On pensait aussi que durant la période de la sécession, ils avaient posé des mines atomiques dans certaines métropoles de la côte Est, des mines construites en secret ou volées dans les laboratoires de recherche militaire. Washington entama une violente campagne de mesures économiques et politiques pour faire pression sur les écotopiens. La flotte américaine plaida des mines sous-marines dans tous les ports du Nouvel État et les projets d'Amazon firent long feu. Comme on s'en doute, la période de transition qui suivit fut chaotique, même si beaucoup de gens s'en souviennent comme d'années d'attente.

  • Speaker #0

    Écotopia, Ernest Kallenbach

  • Speaker #1

    Un grand mythologue du milieu du XXe siècle, qui s'appelle Joseph Campbell, a écrit un ouvrage célèbre qui s'appelle Héros au mille et un visages Il avait fait un travail assez baron, c'est qu'il était allé voir sur quasiment tous les continents des récoltés des récits et des histoires. Et ce qu'il s'attendait à trouver, et c'est plutôt logique, c'est qu'il y ait une énorme diversité de récits et d'histoires. Parce qu'il faut imaginer que ces pays ne sont pas les mêmes, leur culture n'est pas la même, la religion n'est pas la même. Les rituels ne sont pas les mêmes, leur histoire n'est pas la même. Donc normalement, on est censé trouver une énorme diversité de récits. Et en fait, ce qu'il trouve, c'est que la structure de ces récits est la même. Ce qu'il appelle le voyage du héros. Et le voyage du héros est toujours le même. Et donc, c'est pour ça que c'est le héros au mille et un visages. Il y a mille et un visages, ça c'est le niveau de l'intrigue, mais au niveau de la structure, de l'architecture, c'est toujours la même chose. C'est comme quand vous voyez un bâtiment. Vous le regardez, vous regardez 10 bâtiments, ils peuvent être tous différents, mais leur architecture, la manière dont ils sont construits, peuvent être exactement la même. au Japon et à l'Asie, ils ont une tolérance plus forte à la dystopie. Ça c'est vrai par contre, c'est vrai qu'il faut voir, vous prenez un animé comme le Tombeau des Lucioles, ça démarre mal et ça finit encore plus mal. C'est-à-dire qu'ils ont une tolérance au côté sombre des choses et pas au happy end, qui est beaucoup plus ancré. Ça tient souvent à une conception du temps qui est différente, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais en Occident on a plutôt, j'y vais à la serpe rapidement, mais en Occident on a plutôt... plutôt une vision linéaire du temps, autrement dit passé, présent, futur. Et donc l'utopie fonctionne bien parce que du coup, il y a eu notre passé qui était insatisfaisant. Notre présent est insatisfaisant, mais notre futur peut être parfait. Ça, c'est très linéaire comme approche. Et c'est pour ça que les utopies sont des récits qu'on appelle téléologiques. C'est-à-dire qu'il y a une ligne d'arrivée à atteindre. Et quand on aura franchi cette ligne d'arrivée, on sera au paradis. Ça, c'est très occidental. Les Chinois notamment, puisque la culture chinoise est la culture fondatrice de l'Asie, et l'ensemble de l'Asie ensuite, ont une approche du temps qui est cyclique. Autrement dit, c'est plutôt l'image du flux de quelque chose qui revient en permanence. Et donc, quand vous êtes dans cet esprit-là, vous pouvez toujours faire des utopies, mais elles ne ressemblent pas exactement aux nôtres. Parce qu'en réalité, vous vous accommodez plus facilement, d'une certaine manière, des erreurs, des crises, des obstacles, des dangers, parce que vous savez que c'est un processus itératif qui ne cesse de revenir. Et ça, c'est quand même très différent de la projection pure et simple de l'utopie dans le temps face à vous sur un axe temporel linéaire. Donc ça, c'est potentiellement une explication qui permettrait de dire que c'est un peu différent, mais on trouve des utopies asiatiques.

  • Speaker #0

    Je trouve ça beau, moi, cette idée que notre espèce est structurée par une même architecture de récits, celle de l'histoire du héros. Ça donne l'espoir de créer un nouveau récit polyforme et à l'unisson, qui chanterait la révolution et notre réinvention pour un monde plus juste. Mais en parlant de catastrophes politiques et de chaos social, aujourd'hui, on peut dire qu'on y est, et pas qu'un peu. Et la question qui me taraude, c'est, est-ce qu'on a le droit de rêver ensemble, dans un monde qui s'effrite autant ? Est-ce qu'on a le temps et l'espace pour ce rêve, alors que la biodiversité s'effondre, que l'écart des richesses est odieux et que la crise sociale est à vif ?

  • Speaker #1

    Non seulement on a le droit de rêver, mais on doit rêver. Typiquement, la capacité à créer des utopies, qui est une capacité de mise en récit du monde, d'imagination, de projection narrative du monde, c'est quand même, nous sommes les seuls êtres vivants à pouvoir le faire. Enfin, jusqu'à preuve du contraire. On découvre des choses fascinantes et tout un tas de choses sur le fait que les dauphins peuvent rêver, on se rend compte de la complexité du vivant, mais a priori, vous demandez à un dauphin de vous raconter une bonne histoire du futur, vous allez être relativement déçu. alors même qu'ils communiquent de manière plus complexe que nous, mais le récit, quand même, c'est l'humain. Donc, on a une responsabilité qui est évidemment celle de rêver.

  • Speaker #0

    Alors, concernant les dauphins, j'avoue, moi, j'en sais rien. Mais la capacité narrative des animaux, c'est un sujet qui me passionne. Et dernièrement, les recherches avancent beaucoup. On découvre que les animaux ne sont peut-être pas de simples communicants, mais bien des êtres narratifs. Des projets de recherche sont notamment en cours sur des araignées poètes ou des poulpes-compteurs. C'est un tout autre sujet qui fera l'objet d'une prochaine enquête. Un grand merci à Adrien Rivière, notre invité de cet épisode. Pour la suite de cette enquête, on se retrouve le 28 janvier avec un deuxième épisode consacré à la création littéraire des récits utopiques, en compagnie de l'autrice et élue locale Ève-Gabrielle Demand. Cet épisode a été écrit et réalisé par Laureline Dargerie. Montage et mixage par Elsa Tumorel. Lecture d'écotopia d'Ernest Kallenbach par Kevin Daniello. Mirage d'un podcast indépendant. Pour nous soutenir, tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. À très vite !

  • Speaker #1

    C'est une révolution du désir.

  • Speaker #0

    Alors notre maison brûle.

  • Speaker #2

    Nous avons une langue savoie.

  • Speaker #1

    Bien comme ça,

  • Speaker #0

    le récit de la nuit,

  • Speaker #2

    les valeurs, les regrets.

Description

Dans ce premier épisode de l'enquête 1 "Bienvenue en utopie", nous allons à la rencontre d'Adrien Rivierre, auteur et expert en nouveaux récits. On y découvre les différentes composantes de la grande famille des utopies, leur impact sur notre société et leur faculté à générer un mouvement collectif.

Mirage est un podcast indépendant imaginé et créé par Laureline Dargery.

Montage et mixage par Elsa Thumerel.

Lecture d'Ecotopia d'Ernest Callenbach par Kevin Daniello.

Pour nous soutenir tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. 

Tu peux nous retrouver sur :

Instagram = https://www.instagram.com/mirage_podcast/
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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'optimisme est un devoir moral. Karl Pepper Bienvenue en Utopie. Épisode 1. Il était une fois un héros aux mille visages. On fait un enregistrement pour un podcast et je veux savoir si vous aviez juste 30 secondes pour répondre à une question. Ah bah trop bien, eh bien enchantée. Enchantée. Alors, dans un monde où tout est possible, un futur utopique, à quoi ressemblerait ton monde idéal ? Ouf, c'est une question très difficile pour moi.

  • Speaker #1

    On peut prendre des voitures volantes. Je mets bien le cinquième élément quand j'étais petit, donc si on peut avoir des voitures volantes, c'est déjà pas mal.

  • Speaker #0

    Un monde où il n'y a pas de guerre, où tout va bien.

  • Speaker #1

    Je crois que c'est ça le monde idéal.

  • Speaker #0

    La paix. Moi, j'aimerais revenir à un monde avec plus de valeurs,

  • Speaker #1

    en fait. Je dirais un monde bien moins pollué. Et moins pollué, en fait,

  • Speaker #2

    je pense déjà que c'est quelque chose de bon.

  • Speaker #1

    Alors, mon monde idéal, il ressemblera à un monde où tout le monde est plus libre d'exprimer toutes les parties de soi. notamment autour du rapport au corps et de la sexualité ? Franchement, dans un monde futur, je verrais plus la végétation, moi je dirais plus la nature reprendre le dessus. C'est la nature normalement qui nous fait vivre, il faut la respecter.

  • Speaker #0

    Quand tout va mal, tout fout le camp, l'imaginaire est très souvent une porte de sortie. C'est aussi un lieu privilégié et libre dans lequel on peut construire des nouveaux narratifs pour changer structurellement le système dans lequel on vit. Et justement, aujourd'hui, au XXIe siècle, tout me semble aller au plus mal. Quand j'allume la radio ou je lis le journal, j'apprends qu'on a dépassé la sixième limite planétaire, que des guerres se poursuivent dans le monde entier, que mes héros sont mis derrière les barreaux pour avoir tenté de protéger nos écosystèmes. Mais j'apprends aussi que des projets écocides et non utilitaires sont votés chaque jour pour quelques arrangements financiers, que les plus riches n'ont jamais été aussi riches pendant que partout dans le monde, le reste des vivants sombres sont des canicules hors normes, des inondations, des déforestations, des guerres et j'en passe. J'apprends aussi qu'il y a des guignols comme Trump qui prennent la présidence d'État armée de leur plus belle parure de climato-sceptisme, de misogynie, de racisme et blablabla. Bref, j'apprends tous les jours dans mon journal ou à la radio que notre espèce soi-disant la plus intelligente brûle volontairement notre socle vital pour quelques dollars et que le pouvoir financier d'une poignée est tel qu'il semble impossible de nous détourner du mur qui se rapproche chaque jour un peu plus. Notre maison brûle. Et évidemment, on regarde toujours ailleurs. Alors, est-ce qu'il ne serait pas l'heure de changer de disque et de créer un nouveau récit un peu plus honorable et poétique ? Et pour ça, ma piste d'enquête se tourne vers la grande famille des utopies. Ce récit créatif, on le doit en grande partie à Thomas More, qui a écrit en 1516 Utopie. D'ailleurs, si tu ne l'as pas encore lu, je te le recommande vivement, mais en gros, c'est un récit fictif qui met en scène la république d'Utopie. Il y critique les guerres incessantes, le despotisme du pouvoir politique, la soif de luxe des privilégiés et des puissants, l'injustice et la justice. et la propriété privée. Donc bon, en vrai, il n'y a pas trop de changements avec notre scénario d'aujourd'hui. Apparemment, les vies sont toujours au même endroit. Et sur cette île d'utopie, il esquisse une société idéale, bien plus égalitaire et juste que celle de l'Europe du XVIe siècle. Mais en réalité, c'est pas le premier à avoir mis en récit des histoires utopiques. Par exemple, Platon avait déjà réfléchi à un monde meilleur dans son ouvrage La République. ou encore la cité vertueuse d'Al-Farabi. Dans ses ouvrages, on retrouve des modèles de société idéale avec abolition de propriété privée, règne d'un philosophe roi, etc. Mais c'est vrai que celui qu'on connaît le mieux, ça reste Thomas More. Il faut dire que le mot utopie est né de son œuvre. Mais justement, utopie, ça veut dire quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Ce mot, donc utopie, c'est le U privatif et topos, c'est le lieu. Donc c'est le lieu qui n'existe pas. Donc ce n'est pas... pas l'ici, ce n'est pas le maintenant, c'est quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Lui, c'est Adrien Rivière, auteur et expert reconnu dans la mise en récit et notamment dans les nouveaux récits.

  • Speaker #1

    L'utopie aujourd'hui, elle a souvent des connotations très rapidement positives, amélioratives, c'est-à-dire que c'est un ailleurs qui est mieux que maintenant, voire complètement idéal, c'est-à-dire la perfection absolue, l'équilibre, l'harmonie, tout va bien. Et donc, d'autres formes d'utopie, mais qui sont là très sombres, ou celles plutôt du versant complètement opposé, on les appelle les dystopies. Donc c'est l'exact contraire, c'est toujours un ailleurs, mais cette fois-ci tout va mal. L'utopie et la dystopie sont deux grands genres par lesquels on approche le futur, et on fait de la prospective. Mais il y en a d'autres, j'en cite peut-être deux principales. La première, c'est ce qu'on appelle l'uchronie. Donc l'uchronie... On a toujours le U privatif, comme dans Utopie, mais cette fois-ci, ce n'est pas le topo, ce n'est pas le lieu, c'est chronos, c'est le temps. Donc l'Uchronie, c'est l'exercice intellectuel ou d'imagination qui va consister à changer un événement du passé pour que ça change l'ensemble de notre histoire. L'un des grands exemples dans la littérature de science-fiction, c'est l'ouvrage de Philippe Cadic, le maître du Ausha, où il imagine la victoire des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Donc c'est Et si Hitler avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? à quoi ressemblerait notre monde. Donc ça, c'est une Uchronie, c'est-à-dire qu'on change un paramètre de l'histoire linéaire du temps et on regarde les conséquences que ça a jusqu'à maintenant.

  • Speaker #0

    Eh bien, justement, j'ai découvert récemment la bande dessinée Jour J, qui est écrite par Jean-Pierre Pécaud, Fred Duval et Fred Blanchard et qui est éditée par Delcourt. Et c'est exactement le même principe. Dans chaque tome, un événement historiquement majeur est transformé et on se penche dans l'un des scénarios des possibles. Qu'est-ce qui se serait passé si les Russes avaient mis le premier pas sur la Lune ? Que serait devenu Paris si les révolutions de 1968 avaient pris le dessus ? Et personnellement, j'adore. Je trouve que l'exercice créatif des Ukrainiens est assez génial. Mais je pense que quand on parle d'Ukraine, celle qui devrait parler à tout le monde, c'est Back to the Future, l'un de mes films préférés. Mais comme dit Doc... Quand j'ai un élément du passé, ça impacte gravement le futur et vice versa. Ça peut avoir des répercussions terribles.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de critiques de l'idée d'utopie et de dystopie. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de critiques d'experts, de scientifiques, de chercheurs, d'auteurs qui disent qu'il y a tout un tas de potentiels vices ou de craintes à imaginer des futurs soit parfaits, soit totalement noirs. Et donc... est venu le terme de protopie. Alors la protopie, c'est un terme qui a été inventé par un auteur prospectiviste qui s'appelle Kevin Kelly en 2010 et qu'on avait un peu marre en fait de projeter toujours des futurs qui devraient être parfaitement enthousiasmants, totalement harmonieux, où tout va bien, où tous les hommes sont bons, toutes les femmes sont parfaites, etc. Et il dit maintenant en fait, l'histoire est incrémentale et donc il faut réfléchir de manière incrémentale, petit à petit, en projetant certes le meilleur, Mais en n'imaginant pas un monde qui est parfait et totalement à l'équilibre. Donc ça s'appelle une protopie qui est plus proche de ce qu'on vit en réalité, mais qui est intéressante aussi pour, encore une fois, faire ce à quoi sert l'utopie en réalité, de la prospective, préparer le futur, se mettre à agir ici et maintenant.

  • Speaker #0

    Et dans ces différentes catégories d'utopie, il y en a une qui en ce moment fait particulièrement débat. C'est la dystopie. Pour certains, elle est trop majoritaire, trop sombre et pourrait même... empêcher le passage à l'action. C'est un peu la théorie des motards ou ce qu'on appelle la target fixation. Plus on se fixe sur un obstacle, plus on a statistiquement de chances de foncer dessus. Et si c'était la même chose avec les récits dystopiques ? Si le fait de se focaliser sur le pire pour notre futur nous y conduisait directement ? Personnellement, moi, les dystopies, ça m'angoisse. Et j'ai même le sentiment que ça a plutôt tendance à me bloquer, voire me paralyser. Black Mirror, 1984, Years and Years. Des dystopies que je trouve brillantes, mais qui m'ont détournée de l'action et qui m'ont même fait perdre totalement espoir en l'humanité. Puis j'ai lu Ecotopia et tout va bien, c'est revenu. Finalement, là où des utopies m'ont donné l'espoir d'un futur autre et l'envie de m'engager dans ce changement, les dystopies m'ont produit l'effet complètement inverse. Et aujourd'hui, j'ai vraiment l'impression que nos films, nos séries, les livres sont envahis par les dystopies et qu'on peine à trouver de bonnes utopies. Alors, est-ce qu'il y a trop de dystopies qui circulent et est-ce que ça ne serait pas dangereux pour notre futur ?

  • Speaker #1

    Moi, je ne comprends pas vraiment la position selon laquelle on peut être contre la dystopie, où il y en a trop.

  • Speaker #0

    Bon, à priori, on n'est pas d'accord.

  • Speaker #1

    Je ne vois pas trop l'intérêt de se battre contre ça. Pour moi, c'est vraiment se battre contre un moulin. Précisément, la dystopie existe pour nous faire réagir. Et par ailleurs, ce sont les grands récits et les grands mythes qui structurent, en tout cas, l'Occident. L'enfer, l'apocalypse, tout ça structure nos religions monothéistes, structure notre terreau culturel. Et... A priori, à part rejeter en bloc l'ensemble de nos mythes et de nos récits, je ne vois pas bien à quoi ça sert de dire la dystopie, il y en a trop ou c'est démoralisateur ou c'est trop sombre Je suis à dessein un peu dur et je pourrais nuancer ma position, mais l'idée, c'est que la dystopie, il ne faut pas oublier qu'elle n'existe, encore une fois, que pour l'ici et maintenant. C'est sûr que si on la considère en elle-même, oui, elle peut faire p... peur, elle peut démoraliser, elle peut nous faire baisser les bras, on voit pas l'intérêt de se battre, etc. Mais elle peut au contraire nous dire non mais je ne veux pas que mes enfants vivent dans ce monde là, donc je vais faire autre chose. Ou si très prosaïquement vous travaillez dans une entreprise, privé ou public, vous n'avez pas envie d'aller dans la direction dans laquelle va l'entreprise ou de ressembler à votre supérieur dans 10 ans, vous agissez ici et maintenant. Et donc ça sert d'imaginer le pire ou que les choses pourraient tourner mal. Ça vient réenclencher dans l'humain Une sorte de vigilance, de curiosité, de capacité à voir ce qu'on pourrait faire différemment. Donc déjà, moi, je repositionne toujours les choses comme ça pour se dire que finalement, la dystopie, elle peut, et pour beaucoup en réalité, elle est très utile. Je fais juste une parenthèse très rapide. Il a été démontré, en tout cas dans des recherches scientifiques, assez nourri, qu'il y a tout un tas d'individus qui préfèrent effectivement les utopies. préfèrent se projeter dans le meilleur, c'est ça qui va leur donner de l'énergie, le désir de créer, d'avancer. Mais il y a quand même tout un tas de gens, tout un tas de paramètres, de leur croyance, de la manière dont ils ont été éduqués, de leur parcours, de leurs expériences, qui préfèrent imaginer le pire avant de réagir. Et ça, en fait, ça revient à la connaissance de soi, et voir comment, finalement, on a fait des choix dans nos vies. Et donc c'est intéressant d'avoir les deux, en réalité. Moi, je pense que c'est intéressant d'avoir les deux.

  • Speaker #0

    Ok, je comprends mieux. Il a raison. Finalement, on ne réagit pas toutes et tous pareil au récit et d'une certaine manière, ces différents genres d'utopie s'alimentent les uns avec les autres dans un but commun, débloquer nos imaginaires et nous faire passer à l'action. Je me suis d'ailleurs penchée récemment sur les travaux de la chercheuse en utopie Fatima Veira. Elle confirme également que dystopie et utopie sont de la même famille et malgré leurs différences nous poussent dans un objectif commun, celui de passer à l'action. Il est donc primordial. de savoir les faire cohabiter pour nourrir nos imaginaires, plutôt que constamment les opposer. Mais elle ajoute quelque chose que je trouve super intéressant. Face à cette grande famille d'utopies qu'on vient de voir, elle oppose les anti-utopies. Un récit très souvent utilisé par des politiques ou financiers qui nous poussent à croire qu'il n'y a aucune alternative. Tu sais, c'est un peu cette personne que tu croises à un dîner, qui travaille dans une banque ou en finance. et qui te maintient mordicus que si on sort du capitalisme, eh bien tout s'écroule. Que t'es vraiment complètement à côté de la plaque avec tes nouveaux récits et que décidément, toi, tu comprends rien à l'économie. Parce que l'économie, c'est pour les gens sérieux. Eh bien récemment, ça m'est arrivé. Ce à quoi j'ai répondu, oui, mais bon. Quand bien même notre système s'écroulerait, ce que je crois pas du tout, en ce moment c'est la biodiversité qui s'effondre sous l'égide du capitalisme. et avec elle, toutes nos chances de survie. Et sans grande surprise, on m'a répondu, Eh bien, d'ici là, on sera tous sur Mars. La vie sur Mars, avec SpaceX, c'est ce que j'appelle, moi, le récit de la Géronte. Donc avec ce récit anti-utopique, assez dominant ces jours-ci, on nous fait croire qu'on est sur les rails. Notre destin est en route et le moindre changement serait catastrophique. Si on sort du capitalisme, tout s'effondrera. Contrairement aux utopies, ça nous incite à ne pas bouger, à ne faire aucun changement et ça enferme nos imaginaires. Ce qui arrange bien nos dirigeants. Ce qui est intéressant avec ce que nous explique Adrien, c'est qu'on a toutes et tous des réactions différentes face au récit d'anticipation. Peut-être que s'il y a autant de dystopie, c'est tout simplement parce qu'on a besoin de cette structure de récit. C'est la fameuse force antagoniste du récit qui permet de mettre du relief dans la narration. Finalement, on se bat toujours contre quelqu'un ou quelque chose, sinon il n'y a pas de quête. Dans une de ses études, Pixar explique que son public mémorise bien plus fortement les parties de film avec des obstacles et des problèmes que la partie de fin heureuse. Si tout était parfaitement lisse et positif, est-ce qu'on serait captivé et est-ce qu'on se souviendrait l'essentiel ?

  • Speaker #1

    Le pur bonheur, le pur paradis, tout va bien, en fait il n'y a rien à raconter, ça ne marche pas d'un point de vue de la dynamique du récit. Quel obstacle est à surmonter ? En quoi le protagoniste doit se transformer pour être encore meilleur ou faire les choses ? Il n'y a rien qui marche. Si vous enlevez la dynamique du problème-solution, de la binarité du récit qu'on retrouve dans toute bonne histoire, ça ne marche pas. Et inversement, quand vous avez des groupes qui disent moi je vais créer un scénario d'horreur, ça va être terrible, c'est génial, ça va être la route ça va être vraiment le pire, etc. Qu'est-ce qui se passe ? Comme par magie, on a envie que ça aille mieux. On a envie de rétablir un équilibre. Donc, le ou les protagonistes vont commencer à inventer un produit, un service qui va permettre d'aller mieux, en fait. Que le monde, tout à coup, devienne encore une fois plus harmonieux et équilibré. Donc, c'est ça qui est intéressant. C'est qu'en réalité, les utopies et les dystopies ne sont jamais aussi monolithiques et purs qu'on l'imagine. Et qu'il y a toujours... énormément d'espaces d'imagination et d'actes qui permettent de ramener des éléments de nuance et de complexité.

  • Speaker #0

    Est-ce que le récit d'anticipation idéale, ça ne serait pas un juste équilibre entre utopie et dystopie ? Parce que finalement, quand j'y pense, les dystopies qui m'ont coincée n'ont aucune fenêtre d'espoir. Sans vouloir spoiler, dans mes références, tout finit mal et on ne voit aucune esquisse d'un avenir meilleur. D'ailleurs, cet équilibre est bien présent dans plusieurs ouvrages et films. notamment le livre La face cachée du monde de Ève Desmanches-Gabriel. C'est une fiction de quête qui démarre en zone dystopique, mais qui part retrouver une zone utopique. Et j'ai trouvé l'équilibre vraiment bien fait. Les parties utopiques et d'espoir sont de vraies zones de respiration pour le récit. Idem dans Ecotopia, alors là c'est majoritairement utopique, mais on retrouve des parties du passé où les personnages expliquent les révoltes, la violence, les difficultés dans le basculement, et comment ils sont parvenus après de nombreuses années à trouver la paix. Finalement, je trouve que ces transitions, ces descriptions de basculements sont plus que nécessaires pour nos imaginaires, et selon moi, il nous en faut plus. C'est ce qui donne toute la crédibilité du récit.

  • Speaker #2

    Ces décisions révolutionnaires provoquèrent bien sûr l'intolérance au Washington. Les lobbies de toutes les entreprises touchées tentèrent de pousser le gouvernement fédéral à intervenir militairement. Cela se passa néanmoins plusieurs mois après l'indépendance. Les écotopiens avaient créé et entraîné d'arrache-pied une milice nationale et importé des armes par avion depuis la France et la Tchécoslovaquie. On pensait aussi que durant la période de la sécession, ils avaient posé des mines atomiques dans certaines métropoles de la côte Est, des mines construites en secret ou volées dans les laboratoires de recherche militaire. Washington entama une violente campagne de mesures économiques et politiques pour faire pression sur les écotopiens. La flotte américaine plaida des mines sous-marines dans tous les ports du Nouvel État et les projets d'Amazon firent long feu. Comme on s'en doute, la période de transition qui suivit fut chaotique, même si beaucoup de gens s'en souviennent comme d'années d'attente.

  • Speaker #0

    Écotopia, Ernest Kallenbach

  • Speaker #1

    Un grand mythologue du milieu du XXe siècle, qui s'appelle Joseph Campbell, a écrit un ouvrage célèbre qui s'appelle Héros au mille et un visages Il avait fait un travail assez baron, c'est qu'il était allé voir sur quasiment tous les continents des récoltés des récits et des histoires. Et ce qu'il s'attendait à trouver, et c'est plutôt logique, c'est qu'il y ait une énorme diversité de récits et d'histoires. Parce qu'il faut imaginer que ces pays ne sont pas les mêmes, leur culture n'est pas la même, la religion n'est pas la même. Les rituels ne sont pas les mêmes, leur histoire n'est pas la même. Donc normalement, on est censé trouver une énorme diversité de récits. Et en fait, ce qu'il trouve, c'est que la structure de ces récits est la même. Ce qu'il appelle le voyage du héros. Et le voyage du héros est toujours le même. Et donc, c'est pour ça que c'est le héros au mille et un visages. Il y a mille et un visages, ça c'est le niveau de l'intrigue, mais au niveau de la structure, de l'architecture, c'est toujours la même chose. C'est comme quand vous voyez un bâtiment. Vous le regardez, vous regardez 10 bâtiments, ils peuvent être tous différents, mais leur architecture, la manière dont ils sont construits, peuvent être exactement la même. au Japon et à l'Asie, ils ont une tolérance plus forte à la dystopie. Ça c'est vrai par contre, c'est vrai qu'il faut voir, vous prenez un animé comme le Tombeau des Lucioles, ça démarre mal et ça finit encore plus mal. C'est-à-dire qu'ils ont une tolérance au côté sombre des choses et pas au happy end, qui est beaucoup plus ancré. Ça tient souvent à une conception du temps qui est différente, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais en Occident on a plutôt, j'y vais à la serpe rapidement, mais en Occident on a plutôt... plutôt une vision linéaire du temps, autrement dit passé, présent, futur. Et donc l'utopie fonctionne bien parce que du coup, il y a eu notre passé qui était insatisfaisant. Notre présent est insatisfaisant, mais notre futur peut être parfait. Ça, c'est très linéaire comme approche. Et c'est pour ça que les utopies sont des récits qu'on appelle téléologiques. C'est-à-dire qu'il y a une ligne d'arrivée à atteindre. Et quand on aura franchi cette ligne d'arrivée, on sera au paradis. Ça, c'est très occidental. Les Chinois notamment, puisque la culture chinoise est la culture fondatrice de l'Asie, et l'ensemble de l'Asie ensuite, ont une approche du temps qui est cyclique. Autrement dit, c'est plutôt l'image du flux de quelque chose qui revient en permanence. Et donc, quand vous êtes dans cet esprit-là, vous pouvez toujours faire des utopies, mais elles ne ressemblent pas exactement aux nôtres. Parce qu'en réalité, vous vous accommodez plus facilement, d'une certaine manière, des erreurs, des crises, des obstacles, des dangers, parce que vous savez que c'est un processus itératif qui ne cesse de revenir. Et ça, c'est quand même très différent de la projection pure et simple de l'utopie dans le temps face à vous sur un axe temporel linéaire. Donc ça, c'est potentiellement une explication qui permettrait de dire que c'est un peu différent, mais on trouve des utopies asiatiques.

  • Speaker #0

    Je trouve ça beau, moi, cette idée que notre espèce est structurée par une même architecture de récits, celle de l'histoire du héros. Ça donne l'espoir de créer un nouveau récit polyforme et à l'unisson, qui chanterait la révolution et notre réinvention pour un monde plus juste. Mais en parlant de catastrophes politiques et de chaos social, aujourd'hui, on peut dire qu'on y est, et pas qu'un peu. Et la question qui me taraude, c'est, est-ce qu'on a le droit de rêver ensemble, dans un monde qui s'effrite autant ? Est-ce qu'on a le temps et l'espace pour ce rêve, alors que la biodiversité s'effondre, que l'écart des richesses est odieux et que la crise sociale est à vif ?

  • Speaker #1

    Non seulement on a le droit de rêver, mais on doit rêver. Typiquement, la capacité à créer des utopies, qui est une capacité de mise en récit du monde, d'imagination, de projection narrative du monde, c'est quand même, nous sommes les seuls êtres vivants à pouvoir le faire. Enfin, jusqu'à preuve du contraire. On découvre des choses fascinantes et tout un tas de choses sur le fait que les dauphins peuvent rêver, on se rend compte de la complexité du vivant, mais a priori, vous demandez à un dauphin de vous raconter une bonne histoire du futur, vous allez être relativement déçu. alors même qu'ils communiquent de manière plus complexe que nous, mais le récit, quand même, c'est l'humain. Donc, on a une responsabilité qui est évidemment celle de rêver.

  • Speaker #0

    Alors, concernant les dauphins, j'avoue, moi, j'en sais rien. Mais la capacité narrative des animaux, c'est un sujet qui me passionne. Et dernièrement, les recherches avancent beaucoup. On découvre que les animaux ne sont peut-être pas de simples communicants, mais bien des êtres narratifs. Des projets de recherche sont notamment en cours sur des araignées poètes ou des poulpes-compteurs. C'est un tout autre sujet qui fera l'objet d'une prochaine enquête. Un grand merci à Adrien Rivière, notre invité de cet épisode. Pour la suite de cette enquête, on se retrouve le 28 janvier avec un deuxième épisode consacré à la création littéraire des récits utopiques, en compagnie de l'autrice et élue locale Ève-Gabrielle Demand. Cet épisode a été écrit et réalisé par Laureline Dargerie. Montage et mixage par Elsa Tumorel. Lecture d'écotopia d'Ernest Kallenbach par Kevin Daniello. Mirage d'un podcast indépendant. Pour nous soutenir, tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. À très vite !

  • Speaker #1

    C'est une révolution du désir.

  • Speaker #0

    Alors notre maison brûle.

  • Speaker #2

    Nous avons une langue savoie.

  • Speaker #1

    Bien comme ça,

  • Speaker #0

    le récit de la nuit,

  • Speaker #2

    les valeurs, les regrets.

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Description

Dans ce premier épisode de l'enquête 1 "Bienvenue en utopie", nous allons à la rencontre d'Adrien Rivierre, auteur et expert en nouveaux récits. On y découvre les différentes composantes de la grande famille des utopies, leur impact sur notre société et leur faculté à générer un mouvement collectif.

Mirage est un podcast indépendant imaginé et créé par Laureline Dargery.

Montage et mixage par Elsa Thumerel.

Lecture d'Ecotopia d'Ernest Callenbach par Kevin Daniello.

Pour nous soutenir tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. 

Tu peux nous retrouver sur :

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'optimisme est un devoir moral. Karl Pepper Bienvenue en Utopie. Épisode 1. Il était une fois un héros aux mille visages. On fait un enregistrement pour un podcast et je veux savoir si vous aviez juste 30 secondes pour répondre à une question. Ah bah trop bien, eh bien enchantée. Enchantée. Alors, dans un monde où tout est possible, un futur utopique, à quoi ressemblerait ton monde idéal ? Ouf, c'est une question très difficile pour moi.

  • Speaker #1

    On peut prendre des voitures volantes. Je mets bien le cinquième élément quand j'étais petit, donc si on peut avoir des voitures volantes, c'est déjà pas mal.

  • Speaker #0

    Un monde où il n'y a pas de guerre, où tout va bien.

  • Speaker #1

    Je crois que c'est ça le monde idéal.

  • Speaker #0

    La paix. Moi, j'aimerais revenir à un monde avec plus de valeurs,

  • Speaker #1

    en fait. Je dirais un monde bien moins pollué. Et moins pollué, en fait,

  • Speaker #2

    je pense déjà que c'est quelque chose de bon.

  • Speaker #1

    Alors, mon monde idéal, il ressemblera à un monde où tout le monde est plus libre d'exprimer toutes les parties de soi. notamment autour du rapport au corps et de la sexualité ? Franchement, dans un monde futur, je verrais plus la végétation, moi je dirais plus la nature reprendre le dessus. C'est la nature normalement qui nous fait vivre, il faut la respecter.

  • Speaker #0

    Quand tout va mal, tout fout le camp, l'imaginaire est très souvent une porte de sortie. C'est aussi un lieu privilégié et libre dans lequel on peut construire des nouveaux narratifs pour changer structurellement le système dans lequel on vit. Et justement, aujourd'hui, au XXIe siècle, tout me semble aller au plus mal. Quand j'allume la radio ou je lis le journal, j'apprends qu'on a dépassé la sixième limite planétaire, que des guerres se poursuivent dans le monde entier, que mes héros sont mis derrière les barreaux pour avoir tenté de protéger nos écosystèmes. Mais j'apprends aussi que des projets écocides et non utilitaires sont votés chaque jour pour quelques arrangements financiers, que les plus riches n'ont jamais été aussi riches pendant que partout dans le monde, le reste des vivants sombres sont des canicules hors normes, des inondations, des déforestations, des guerres et j'en passe. J'apprends aussi qu'il y a des guignols comme Trump qui prennent la présidence d'État armée de leur plus belle parure de climato-sceptisme, de misogynie, de racisme et blablabla. Bref, j'apprends tous les jours dans mon journal ou à la radio que notre espèce soi-disant la plus intelligente brûle volontairement notre socle vital pour quelques dollars et que le pouvoir financier d'une poignée est tel qu'il semble impossible de nous détourner du mur qui se rapproche chaque jour un peu plus. Notre maison brûle. Et évidemment, on regarde toujours ailleurs. Alors, est-ce qu'il ne serait pas l'heure de changer de disque et de créer un nouveau récit un peu plus honorable et poétique ? Et pour ça, ma piste d'enquête se tourne vers la grande famille des utopies. Ce récit créatif, on le doit en grande partie à Thomas More, qui a écrit en 1516 Utopie. D'ailleurs, si tu ne l'as pas encore lu, je te le recommande vivement, mais en gros, c'est un récit fictif qui met en scène la république d'Utopie. Il y critique les guerres incessantes, le despotisme du pouvoir politique, la soif de luxe des privilégiés et des puissants, l'injustice et la justice. et la propriété privée. Donc bon, en vrai, il n'y a pas trop de changements avec notre scénario d'aujourd'hui. Apparemment, les vies sont toujours au même endroit. Et sur cette île d'utopie, il esquisse une société idéale, bien plus égalitaire et juste que celle de l'Europe du XVIe siècle. Mais en réalité, c'est pas le premier à avoir mis en récit des histoires utopiques. Par exemple, Platon avait déjà réfléchi à un monde meilleur dans son ouvrage La République. ou encore la cité vertueuse d'Al-Farabi. Dans ses ouvrages, on retrouve des modèles de société idéale avec abolition de propriété privée, règne d'un philosophe roi, etc. Mais c'est vrai que celui qu'on connaît le mieux, ça reste Thomas More. Il faut dire que le mot utopie est né de son œuvre. Mais justement, utopie, ça veut dire quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Ce mot, donc utopie, c'est le U privatif et topos, c'est le lieu. Donc c'est le lieu qui n'existe pas. Donc ce n'est pas... pas l'ici, ce n'est pas le maintenant, c'est quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Lui, c'est Adrien Rivière, auteur et expert reconnu dans la mise en récit et notamment dans les nouveaux récits.

  • Speaker #1

    L'utopie aujourd'hui, elle a souvent des connotations très rapidement positives, amélioratives, c'est-à-dire que c'est un ailleurs qui est mieux que maintenant, voire complètement idéal, c'est-à-dire la perfection absolue, l'équilibre, l'harmonie, tout va bien. Et donc, d'autres formes d'utopie, mais qui sont là très sombres, ou celles plutôt du versant complètement opposé, on les appelle les dystopies. Donc c'est l'exact contraire, c'est toujours un ailleurs, mais cette fois-ci tout va mal. L'utopie et la dystopie sont deux grands genres par lesquels on approche le futur, et on fait de la prospective. Mais il y en a d'autres, j'en cite peut-être deux principales. La première, c'est ce qu'on appelle l'uchronie. Donc l'uchronie... On a toujours le U privatif, comme dans Utopie, mais cette fois-ci, ce n'est pas le topo, ce n'est pas le lieu, c'est chronos, c'est le temps. Donc l'Uchronie, c'est l'exercice intellectuel ou d'imagination qui va consister à changer un événement du passé pour que ça change l'ensemble de notre histoire. L'un des grands exemples dans la littérature de science-fiction, c'est l'ouvrage de Philippe Cadic, le maître du Ausha, où il imagine la victoire des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Donc c'est Et si Hitler avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? à quoi ressemblerait notre monde. Donc ça, c'est une Uchronie, c'est-à-dire qu'on change un paramètre de l'histoire linéaire du temps et on regarde les conséquences que ça a jusqu'à maintenant.

  • Speaker #0

    Eh bien, justement, j'ai découvert récemment la bande dessinée Jour J, qui est écrite par Jean-Pierre Pécaud, Fred Duval et Fred Blanchard et qui est éditée par Delcourt. Et c'est exactement le même principe. Dans chaque tome, un événement historiquement majeur est transformé et on se penche dans l'un des scénarios des possibles. Qu'est-ce qui se serait passé si les Russes avaient mis le premier pas sur la Lune ? Que serait devenu Paris si les révolutions de 1968 avaient pris le dessus ? Et personnellement, j'adore. Je trouve que l'exercice créatif des Ukrainiens est assez génial. Mais je pense que quand on parle d'Ukraine, celle qui devrait parler à tout le monde, c'est Back to the Future, l'un de mes films préférés. Mais comme dit Doc... Quand j'ai un élément du passé, ça impacte gravement le futur et vice versa. Ça peut avoir des répercussions terribles.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de critiques de l'idée d'utopie et de dystopie. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de critiques d'experts, de scientifiques, de chercheurs, d'auteurs qui disent qu'il y a tout un tas de potentiels vices ou de craintes à imaginer des futurs soit parfaits, soit totalement noirs. Et donc... est venu le terme de protopie. Alors la protopie, c'est un terme qui a été inventé par un auteur prospectiviste qui s'appelle Kevin Kelly en 2010 et qu'on avait un peu marre en fait de projeter toujours des futurs qui devraient être parfaitement enthousiasmants, totalement harmonieux, où tout va bien, où tous les hommes sont bons, toutes les femmes sont parfaites, etc. Et il dit maintenant en fait, l'histoire est incrémentale et donc il faut réfléchir de manière incrémentale, petit à petit, en projetant certes le meilleur, Mais en n'imaginant pas un monde qui est parfait et totalement à l'équilibre. Donc ça s'appelle une protopie qui est plus proche de ce qu'on vit en réalité, mais qui est intéressante aussi pour, encore une fois, faire ce à quoi sert l'utopie en réalité, de la prospective, préparer le futur, se mettre à agir ici et maintenant.

  • Speaker #0

    Et dans ces différentes catégories d'utopie, il y en a une qui en ce moment fait particulièrement débat. C'est la dystopie. Pour certains, elle est trop majoritaire, trop sombre et pourrait même... empêcher le passage à l'action. C'est un peu la théorie des motards ou ce qu'on appelle la target fixation. Plus on se fixe sur un obstacle, plus on a statistiquement de chances de foncer dessus. Et si c'était la même chose avec les récits dystopiques ? Si le fait de se focaliser sur le pire pour notre futur nous y conduisait directement ? Personnellement, moi, les dystopies, ça m'angoisse. Et j'ai même le sentiment que ça a plutôt tendance à me bloquer, voire me paralyser. Black Mirror, 1984, Years and Years. Des dystopies que je trouve brillantes, mais qui m'ont détournée de l'action et qui m'ont même fait perdre totalement espoir en l'humanité. Puis j'ai lu Ecotopia et tout va bien, c'est revenu. Finalement, là où des utopies m'ont donné l'espoir d'un futur autre et l'envie de m'engager dans ce changement, les dystopies m'ont produit l'effet complètement inverse. Et aujourd'hui, j'ai vraiment l'impression que nos films, nos séries, les livres sont envahis par les dystopies et qu'on peine à trouver de bonnes utopies. Alors, est-ce qu'il y a trop de dystopies qui circulent et est-ce que ça ne serait pas dangereux pour notre futur ?

  • Speaker #1

    Moi, je ne comprends pas vraiment la position selon laquelle on peut être contre la dystopie, où il y en a trop.

  • Speaker #0

    Bon, à priori, on n'est pas d'accord.

  • Speaker #1

    Je ne vois pas trop l'intérêt de se battre contre ça. Pour moi, c'est vraiment se battre contre un moulin. Précisément, la dystopie existe pour nous faire réagir. Et par ailleurs, ce sont les grands récits et les grands mythes qui structurent, en tout cas, l'Occident. L'enfer, l'apocalypse, tout ça structure nos religions monothéistes, structure notre terreau culturel. Et... A priori, à part rejeter en bloc l'ensemble de nos mythes et de nos récits, je ne vois pas bien à quoi ça sert de dire la dystopie, il y en a trop ou c'est démoralisateur ou c'est trop sombre Je suis à dessein un peu dur et je pourrais nuancer ma position, mais l'idée, c'est que la dystopie, il ne faut pas oublier qu'elle n'existe, encore une fois, que pour l'ici et maintenant. C'est sûr que si on la considère en elle-même, oui, elle peut faire p... peur, elle peut démoraliser, elle peut nous faire baisser les bras, on voit pas l'intérêt de se battre, etc. Mais elle peut au contraire nous dire non mais je ne veux pas que mes enfants vivent dans ce monde là, donc je vais faire autre chose. Ou si très prosaïquement vous travaillez dans une entreprise, privé ou public, vous n'avez pas envie d'aller dans la direction dans laquelle va l'entreprise ou de ressembler à votre supérieur dans 10 ans, vous agissez ici et maintenant. Et donc ça sert d'imaginer le pire ou que les choses pourraient tourner mal. Ça vient réenclencher dans l'humain Une sorte de vigilance, de curiosité, de capacité à voir ce qu'on pourrait faire différemment. Donc déjà, moi, je repositionne toujours les choses comme ça pour se dire que finalement, la dystopie, elle peut, et pour beaucoup en réalité, elle est très utile. Je fais juste une parenthèse très rapide. Il a été démontré, en tout cas dans des recherches scientifiques, assez nourri, qu'il y a tout un tas d'individus qui préfèrent effectivement les utopies. préfèrent se projeter dans le meilleur, c'est ça qui va leur donner de l'énergie, le désir de créer, d'avancer. Mais il y a quand même tout un tas de gens, tout un tas de paramètres, de leur croyance, de la manière dont ils ont été éduqués, de leur parcours, de leurs expériences, qui préfèrent imaginer le pire avant de réagir. Et ça, en fait, ça revient à la connaissance de soi, et voir comment, finalement, on a fait des choix dans nos vies. Et donc c'est intéressant d'avoir les deux, en réalité. Moi, je pense que c'est intéressant d'avoir les deux.

  • Speaker #0

    Ok, je comprends mieux. Il a raison. Finalement, on ne réagit pas toutes et tous pareil au récit et d'une certaine manière, ces différents genres d'utopie s'alimentent les uns avec les autres dans un but commun, débloquer nos imaginaires et nous faire passer à l'action. Je me suis d'ailleurs penchée récemment sur les travaux de la chercheuse en utopie Fatima Veira. Elle confirme également que dystopie et utopie sont de la même famille et malgré leurs différences nous poussent dans un objectif commun, celui de passer à l'action. Il est donc primordial. de savoir les faire cohabiter pour nourrir nos imaginaires, plutôt que constamment les opposer. Mais elle ajoute quelque chose que je trouve super intéressant. Face à cette grande famille d'utopies qu'on vient de voir, elle oppose les anti-utopies. Un récit très souvent utilisé par des politiques ou financiers qui nous poussent à croire qu'il n'y a aucune alternative. Tu sais, c'est un peu cette personne que tu croises à un dîner, qui travaille dans une banque ou en finance. et qui te maintient mordicus que si on sort du capitalisme, eh bien tout s'écroule. Que t'es vraiment complètement à côté de la plaque avec tes nouveaux récits et que décidément, toi, tu comprends rien à l'économie. Parce que l'économie, c'est pour les gens sérieux. Eh bien récemment, ça m'est arrivé. Ce à quoi j'ai répondu, oui, mais bon. Quand bien même notre système s'écroulerait, ce que je crois pas du tout, en ce moment c'est la biodiversité qui s'effondre sous l'égide du capitalisme. et avec elle, toutes nos chances de survie. Et sans grande surprise, on m'a répondu, Eh bien, d'ici là, on sera tous sur Mars. La vie sur Mars, avec SpaceX, c'est ce que j'appelle, moi, le récit de la Géronte. Donc avec ce récit anti-utopique, assez dominant ces jours-ci, on nous fait croire qu'on est sur les rails. Notre destin est en route et le moindre changement serait catastrophique. Si on sort du capitalisme, tout s'effondrera. Contrairement aux utopies, ça nous incite à ne pas bouger, à ne faire aucun changement et ça enferme nos imaginaires. Ce qui arrange bien nos dirigeants. Ce qui est intéressant avec ce que nous explique Adrien, c'est qu'on a toutes et tous des réactions différentes face au récit d'anticipation. Peut-être que s'il y a autant de dystopie, c'est tout simplement parce qu'on a besoin de cette structure de récit. C'est la fameuse force antagoniste du récit qui permet de mettre du relief dans la narration. Finalement, on se bat toujours contre quelqu'un ou quelque chose, sinon il n'y a pas de quête. Dans une de ses études, Pixar explique que son public mémorise bien plus fortement les parties de film avec des obstacles et des problèmes que la partie de fin heureuse. Si tout était parfaitement lisse et positif, est-ce qu'on serait captivé et est-ce qu'on se souviendrait l'essentiel ?

  • Speaker #1

    Le pur bonheur, le pur paradis, tout va bien, en fait il n'y a rien à raconter, ça ne marche pas d'un point de vue de la dynamique du récit. Quel obstacle est à surmonter ? En quoi le protagoniste doit se transformer pour être encore meilleur ou faire les choses ? Il n'y a rien qui marche. Si vous enlevez la dynamique du problème-solution, de la binarité du récit qu'on retrouve dans toute bonne histoire, ça ne marche pas. Et inversement, quand vous avez des groupes qui disent moi je vais créer un scénario d'horreur, ça va être terrible, c'est génial, ça va être la route ça va être vraiment le pire, etc. Qu'est-ce qui se passe ? Comme par magie, on a envie que ça aille mieux. On a envie de rétablir un équilibre. Donc, le ou les protagonistes vont commencer à inventer un produit, un service qui va permettre d'aller mieux, en fait. Que le monde, tout à coup, devienne encore une fois plus harmonieux et équilibré. Donc, c'est ça qui est intéressant. C'est qu'en réalité, les utopies et les dystopies ne sont jamais aussi monolithiques et purs qu'on l'imagine. Et qu'il y a toujours... énormément d'espaces d'imagination et d'actes qui permettent de ramener des éléments de nuance et de complexité.

  • Speaker #0

    Est-ce que le récit d'anticipation idéale, ça ne serait pas un juste équilibre entre utopie et dystopie ? Parce que finalement, quand j'y pense, les dystopies qui m'ont coincée n'ont aucune fenêtre d'espoir. Sans vouloir spoiler, dans mes références, tout finit mal et on ne voit aucune esquisse d'un avenir meilleur. D'ailleurs, cet équilibre est bien présent dans plusieurs ouvrages et films. notamment le livre La face cachée du monde de Ève Desmanches-Gabriel. C'est une fiction de quête qui démarre en zone dystopique, mais qui part retrouver une zone utopique. Et j'ai trouvé l'équilibre vraiment bien fait. Les parties utopiques et d'espoir sont de vraies zones de respiration pour le récit. Idem dans Ecotopia, alors là c'est majoritairement utopique, mais on retrouve des parties du passé où les personnages expliquent les révoltes, la violence, les difficultés dans le basculement, et comment ils sont parvenus après de nombreuses années à trouver la paix. Finalement, je trouve que ces transitions, ces descriptions de basculements sont plus que nécessaires pour nos imaginaires, et selon moi, il nous en faut plus. C'est ce qui donne toute la crédibilité du récit.

  • Speaker #2

    Ces décisions révolutionnaires provoquèrent bien sûr l'intolérance au Washington. Les lobbies de toutes les entreprises touchées tentèrent de pousser le gouvernement fédéral à intervenir militairement. Cela se passa néanmoins plusieurs mois après l'indépendance. Les écotopiens avaient créé et entraîné d'arrache-pied une milice nationale et importé des armes par avion depuis la France et la Tchécoslovaquie. On pensait aussi que durant la période de la sécession, ils avaient posé des mines atomiques dans certaines métropoles de la côte Est, des mines construites en secret ou volées dans les laboratoires de recherche militaire. Washington entama une violente campagne de mesures économiques et politiques pour faire pression sur les écotopiens. La flotte américaine plaida des mines sous-marines dans tous les ports du Nouvel État et les projets d'Amazon firent long feu. Comme on s'en doute, la période de transition qui suivit fut chaotique, même si beaucoup de gens s'en souviennent comme d'années d'attente.

  • Speaker #0

    Écotopia, Ernest Kallenbach

  • Speaker #1

    Un grand mythologue du milieu du XXe siècle, qui s'appelle Joseph Campbell, a écrit un ouvrage célèbre qui s'appelle Héros au mille et un visages Il avait fait un travail assez baron, c'est qu'il était allé voir sur quasiment tous les continents des récoltés des récits et des histoires. Et ce qu'il s'attendait à trouver, et c'est plutôt logique, c'est qu'il y ait une énorme diversité de récits et d'histoires. Parce qu'il faut imaginer que ces pays ne sont pas les mêmes, leur culture n'est pas la même, la religion n'est pas la même. Les rituels ne sont pas les mêmes, leur histoire n'est pas la même. Donc normalement, on est censé trouver une énorme diversité de récits. Et en fait, ce qu'il trouve, c'est que la structure de ces récits est la même. Ce qu'il appelle le voyage du héros. Et le voyage du héros est toujours le même. Et donc, c'est pour ça que c'est le héros au mille et un visages. Il y a mille et un visages, ça c'est le niveau de l'intrigue, mais au niveau de la structure, de l'architecture, c'est toujours la même chose. C'est comme quand vous voyez un bâtiment. Vous le regardez, vous regardez 10 bâtiments, ils peuvent être tous différents, mais leur architecture, la manière dont ils sont construits, peuvent être exactement la même. au Japon et à l'Asie, ils ont une tolérance plus forte à la dystopie. Ça c'est vrai par contre, c'est vrai qu'il faut voir, vous prenez un animé comme le Tombeau des Lucioles, ça démarre mal et ça finit encore plus mal. C'est-à-dire qu'ils ont une tolérance au côté sombre des choses et pas au happy end, qui est beaucoup plus ancré. Ça tient souvent à une conception du temps qui est différente, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais en Occident on a plutôt, j'y vais à la serpe rapidement, mais en Occident on a plutôt... plutôt une vision linéaire du temps, autrement dit passé, présent, futur. Et donc l'utopie fonctionne bien parce que du coup, il y a eu notre passé qui était insatisfaisant. Notre présent est insatisfaisant, mais notre futur peut être parfait. Ça, c'est très linéaire comme approche. Et c'est pour ça que les utopies sont des récits qu'on appelle téléologiques. C'est-à-dire qu'il y a une ligne d'arrivée à atteindre. Et quand on aura franchi cette ligne d'arrivée, on sera au paradis. Ça, c'est très occidental. Les Chinois notamment, puisque la culture chinoise est la culture fondatrice de l'Asie, et l'ensemble de l'Asie ensuite, ont une approche du temps qui est cyclique. Autrement dit, c'est plutôt l'image du flux de quelque chose qui revient en permanence. Et donc, quand vous êtes dans cet esprit-là, vous pouvez toujours faire des utopies, mais elles ne ressemblent pas exactement aux nôtres. Parce qu'en réalité, vous vous accommodez plus facilement, d'une certaine manière, des erreurs, des crises, des obstacles, des dangers, parce que vous savez que c'est un processus itératif qui ne cesse de revenir. Et ça, c'est quand même très différent de la projection pure et simple de l'utopie dans le temps face à vous sur un axe temporel linéaire. Donc ça, c'est potentiellement une explication qui permettrait de dire que c'est un peu différent, mais on trouve des utopies asiatiques.

  • Speaker #0

    Je trouve ça beau, moi, cette idée que notre espèce est structurée par une même architecture de récits, celle de l'histoire du héros. Ça donne l'espoir de créer un nouveau récit polyforme et à l'unisson, qui chanterait la révolution et notre réinvention pour un monde plus juste. Mais en parlant de catastrophes politiques et de chaos social, aujourd'hui, on peut dire qu'on y est, et pas qu'un peu. Et la question qui me taraude, c'est, est-ce qu'on a le droit de rêver ensemble, dans un monde qui s'effrite autant ? Est-ce qu'on a le temps et l'espace pour ce rêve, alors que la biodiversité s'effondre, que l'écart des richesses est odieux et que la crise sociale est à vif ?

  • Speaker #1

    Non seulement on a le droit de rêver, mais on doit rêver. Typiquement, la capacité à créer des utopies, qui est une capacité de mise en récit du monde, d'imagination, de projection narrative du monde, c'est quand même, nous sommes les seuls êtres vivants à pouvoir le faire. Enfin, jusqu'à preuve du contraire. On découvre des choses fascinantes et tout un tas de choses sur le fait que les dauphins peuvent rêver, on se rend compte de la complexité du vivant, mais a priori, vous demandez à un dauphin de vous raconter une bonne histoire du futur, vous allez être relativement déçu. alors même qu'ils communiquent de manière plus complexe que nous, mais le récit, quand même, c'est l'humain. Donc, on a une responsabilité qui est évidemment celle de rêver.

  • Speaker #0

    Alors, concernant les dauphins, j'avoue, moi, j'en sais rien. Mais la capacité narrative des animaux, c'est un sujet qui me passionne. Et dernièrement, les recherches avancent beaucoup. On découvre que les animaux ne sont peut-être pas de simples communicants, mais bien des êtres narratifs. Des projets de recherche sont notamment en cours sur des araignées poètes ou des poulpes-compteurs. C'est un tout autre sujet qui fera l'objet d'une prochaine enquête. Un grand merci à Adrien Rivière, notre invité de cet épisode. Pour la suite de cette enquête, on se retrouve le 28 janvier avec un deuxième épisode consacré à la création littéraire des récits utopiques, en compagnie de l'autrice et élue locale Ève-Gabrielle Demand. Cet épisode a été écrit et réalisé par Laureline Dargerie. Montage et mixage par Elsa Tumorel. Lecture d'écotopia d'Ernest Kallenbach par Kevin Daniello. Mirage d'un podcast indépendant. Pour nous soutenir, tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. À très vite !

  • Speaker #1

    C'est une révolution du désir.

  • Speaker #0

    Alors notre maison brûle.

  • Speaker #2

    Nous avons une langue savoie.

  • Speaker #1

    Bien comme ça,

  • Speaker #0

    le récit de la nuit,

  • Speaker #2

    les valeurs, les regrets.

Description

Dans ce premier épisode de l'enquête 1 "Bienvenue en utopie", nous allons à la rencontre d'Adrien Rivierre, auteur et expert en nouveaux récits. On y découvre les différentes composantes de la grande famille des utopies, leur impact sur notre société et leur faculté à générer un mouvement collectif.

Mirage est un podcast indépendant imaginé et créé par Laureline Dargery.

Montage et mixage par Elsa Thumerel.

Lecture d'Ecotopia d'Ernest Callenbach par Kevin Daniello.

Pour nous soutenir tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. 

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'optimisme est un devoir moral. Karl Pepper Bienvenue en Utopie. Épisode 1. Il était une fois un héros aux mille visages. On fait un enregistrement pour un podcast et je veux savoir si vous aviez juste 30 secondes pour répondre à une question. Ah bah trop bien, eh bien enchantée. Enchantée. Alors, dans un monde où tout est possible, un futur utopique, à quoi ressemblerait ton monde idéal ? Ouf, c'est une question très difficile pour moi.

  • Speaker #1

    On peut prendre des voitures volantes. Je mets bien le cinquième élément quand j'étais petit, donc si on peut avoir des voitures volantes, c'est déjà pas mal.

  • Speaker #0

    Un monde où il n'y a pas de guerre, où tout va bien.

  • Speaker #1

    Je crois que c'est ça le monde idéal.

  • Speaker #0

    La paix. Moi, j'aimerais revenir à un monde avec plus de valeurs,

  • Speaker #1

    en fait. Je dirais un monde bien moins pollué. Et moins pollué, en fait,

  • Speaker #2

    je pense déjà que c'est quelque chose de bon.

  • Speaker #1

    Alors, mon monde idéal, il ressemblera à un monde où tout le monde est plus libre d'exprimer toutes les parties de soi. notamment autour du rapport au corps et de la sexualité ? Franchement, dans un monde futur, je verrais plus la végétation, moi je dirais plus la nature reprendre le dessus. C'est la nature normalement qui nous fait vivre, il faut la respecter.

  • Speaker #0

    Quand tout va mal, tout fout le camp, l'imaginaire est très souvent une porte de sortie. C'est aussi un lieu privilégié et libre dans lequel on peut construire des nouveaux narratifs pour changer structurellement le système dans lequel on vit. Et justement, aujourd'hui, au XXIe siècle, tout me semble aller au plus mal. Quand j'allume la radio ou je lis le journal, j'apprends qu'on a dépassé la sixième limite planétaire, que des guerres se poursuivent dans le monde entier, que mes héros sont mis derrière les barreaux pour avoir tenté de protéger nos écosystèmes. Mais j'apprends aussi que des projets écocides et non utilitaires sont votés chaque jour pour quelques arrangements financiers, que les plus riches n'ont jamais été aussi riches pendant que partout dans le monde, le reste des vivants sombres sont des canicules hors normes, des inondations, des déforestations, des guerres et j'en passe. J'apprends aussi qu'il y a des guignols comme Trump qui prennent la présidence d'État armée de leur plus belle parure de climato-sceptisme, de misogynie, de racisme et blablabla. Bref, j'apprends tous les jours dans mon journal ou à la radio que notre espèce soi-disant la plus intelligente brûle volontairement notre socle vital pour quelques dollars et que le pouvoir financier d'une poignée est tel qu'il semble impossible de nous détourner du mur qui se rapproche chaque jour un peu plus. Notre maison brûle. Et évidemment, on regarde toujours ailleurs. Alors, est-ce qu'il ne serait pas l'heure de changer de disque et de créer un nouveau récit un peu plus honorable et poétique ? Et pour ça, ma piste d'enquête se tourne vers la grande famille des utopies. Ce récit créatif, on le doit en grande partie à Thomas More, qui a écrit en 1516 Utopie. D'ailleurs, si tu ne l'as pas encore lu, je te le recommande vivement, mais en gros, c'est un récit fictif qui met en scène la république d'Utopie. Il y critique les guerres incessantes, le despotisme du pouvoir politique, la soif de luxe des privilégiés et des puissants, l'injustice et la justice. et la propriété privée. Donc bon, en vrai, il n'y a pas trop de changements avec notre scénario d'aujourd'hui. Apparemment, les vies sont toujours au même endroit. Et sur cette île d'utopie, il esquisse une société idéale, bien plus égalitaire et juste que celle de l'Europe du XVIe siècle. Mais en réalité, c'est pas le premier à avoir mis en récit des histoires utopiques. Par exemple, Platon avait déjà réfléchi à un monde meilleur dans son ouvrage La République. ou encore la cité vertueuse d'Al-Farabi. Dans ses ouvrages, on retrouve des modèles de société idéale avec abolition de propriété privée, règne d'un philosophe roi, etc. Mais c'est vrai que celui qu'on connaît le mieux, ça reste Thomas More. Il faut dire que le mot utopie est né de son œuvre. Mais justement, utopie, ça veut dire quoi exactement ?

  • Speaker #1

    Ce mot, donc utopie, c'est le U privatif et topos, c'est le lieu. Donc c'est le lieu qui n'existe pas. Donc ce n'est pas... pas l'ici, ce n'est pas le maintenant, c'est quelque chose d'autre.

  • Speaker #0

    Lui, c'est Adrien Rivière, auteur et expert reconnu dans la mise en récit et notamment dans les nouveaux récits.

  • Speaker #1

    L'utopie aujourd'hui, elle a souvent des connotations très rapidement positives, amélioratives, c'est-à-dire que c'est un ailleurs qui est mieux que maintenant, voire complètement idéal, c'est-à-dire la perfection absolue, l'équilibre, l'harmonie, tout va bien. Et donc, d'autres formes d'utopie, mais qui sont là très sombres, ou celles plutôt du versant complètement opposé, on les appelle les dystopies. Donc c'est l'exact contraire, c'est toujours un ailleurs, mais cette fois-ci tout va mal. L'utopie et la dystopie sont deux grands genres par lesquels on approche le futur, et on fait de la prospective. Mais il y en a d'autres, j'en cite peut-être deux principales. La première, c'est ce qu'on appelle l'uchronie. Donc l'uchronie... On a toujours le U privatif, comme dans Utopie, mais cette fois-ci, ce n'est pas le topo, ce n'est pas le lieu, c'est chronos, c'est le temps. Donc l'Uchronie, c'est l'exercice intellectuel ou d'imagination qui va consister à changer un événement du passé pour que ça change l'ensemble de notre histoire. L'un des grands exemples dans la littérature de science-fiction, c'est l'ouvrage de Philippe Cadic, le maître du Ausha, où il imagine la victoire des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Donc c'est Et si Hitler avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? à quoi ressemblerait notre monde. Donc ça, c'est une Uchronie, c'est-à-dire qu'on change un paramètre de l'histoire linéaire du temps et on regarde les conséquences que ça a jusqu'à maintenant.

  • Speaker #0

    Eh bien, justement, j'ai découvert récemment la bande dessinée Jour J, qui est écrite par Jean-Pierre Pécaud, Fred Duval et Fred Blanchard et qui est éditée par Delcourt. Et c'est exactement le même principe. Dans chaque tome, un événement historiquement majeur est transformé et on se penche dans l'un des scénarios des possibles. Qu'est-ce qui se serait passé si les Russes avaient mis le premier pas sur la Lune ? Que serait devenu Paris si les révolutions de 1968 avaient pris le dessus ? Et personnellement, j'adore. Je trouve que l'exercice créatif des Ukrainiens est assez génial. Mais je pense que quand on parle d'Ukraine, celle qui devrait parler à tout le monde, c'est Back to the Future, l'un de mes films préférés. Mais comme dit Doc... Quand j'ai un élément du passé, ça impacte gravement le futur et vice versa. Ça peut avoir des répercussions terribles.

  • Speaker #1

    Il y a beaucoup de critiques de l'idée d'utopie et de dystopie. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de critiques d'experts, de scientifiques, de chercheurs, d'auteurs qui disent qu'il y a tout un tas de potentiels vices ou de craintes à imaginer des futurs soit parfaits, soit totalement noirs. Et donc... est venu le terme de protopie. Alors la protopie, c'est un terme qui a été inventé par un auteur prospectiviste qui s'appelle Kevin Kelly en 2010 et qu'on avait un peu marre en fait de projeter toujours des futurs qui devraient être parfaitement enthousiasmants, totalement harmonieux, où tout va bien, où tous les hommes sont bons, toutes les femmes sont parfaites, etc. Et il dit maintenant en fait, l'histoire est incrémentale et donc il faut réfléchir de manière incrémentale, petit à petit, en projetant certes le meilleur, Mais en n'imaginant pas un monde qui est parfait et totalement à l'équilibre. Donc ça s'appelle une protopie qui est plus proche de ce qu'on vit en réalité, mais qui est intéressante aussi pour, encore une fois, faire ce à quoi sert l'utopie en réalité, de la prospective, préparer le futur, se mettre à agir ici et maintenant.

  • Speaker #0

    Et dans ces différentes catégories d'utopie, il y en a une qui en ce moment fait particulièrement débat. C'est la dystopie. Pour certains, elle est trop majoritaire, trop sombre et pourrait même... empêcher le passage à l'action. C'est un peu la théorie des motards ou ce qu'on appelle la target fixation. Plus on se fixe sur un obstacle, plus on a statistiquement de chances de foncer dessus. Et si c'était la même chose avec les récits dystopiques ? Si le fait de se focaliser sur le pire pour notre futur nous y conduisait directement ? Personnellement, moi, les dystopies, ça m'angoisse. Et j'ai même le sentiment que ça a plutôt tendance à me bloquer, voire me paralyser. Black Mirror, 1984, Years and Years. Des dystopies que je trouve brillantes, mais qui m'ont détournée de l'action et qui m'ont même fait perdre totalement espoir en l'humanité. Puis j'ai lu Ecotopia et tout va bien, c'est revenu. Finalement, là où des utopies m'ont donné l'espoir d'un futur autre et l'envie de m'engager dans ce changement, les dystopies m'ont produit l'effet complètement inverse. Et aujourd'hui, j'ai vraiment l'impression que nos films, nos séries, les livres sont envahis par les dystopies et qu'on peine à trouver de bonnes utopies. Alors, est-ce qu'il y a trop de dystopies qui circulent et est-ce que ça ne serait pas dangereux pour notre futur ?

  • Speaker #1

    Moi, je ne comprends pas vraiment la position selon laquelle on peut être contre la dystopie, où il y en a trop.

  • Speaker #0

    Bon, à priori, on n'est pas d'accord.

  • Speaker #1

    Je ne vois pas trop l'intérêt de se battre contre ça. Pour moi, c'est vraiment se battre contre un moulin. Précisément, la dystopie existe pour nous faire réagir. Et par ailleurs, ce sont les grands récits et les grands mythes qui structurent, en tout cas, l'Occident. L'enfer, l'apocalypse, tout ça structure nos religions monothéistes, structure notre terreau culturel. Et... A priori, à part rejeter en bloc l'ensemble de nos mythes et de nos récits, je ne vois pas bien à quoi ça sert de dire la dystopie, il y en a trop ou c'est démoralisateur ou c'est trop sombre Je suis à dessein un peu dur et je pourrais nuancer ma position, mais l'idée, c'est que la dystopie, il ne faut pas oublier qu'elle n'existe, encore une fois, que pour l'ici et maintenant. C'est sûr que si on la considère en elle-même, oui, elle peut faire p... peur, elle peut démoraliser, elle peut nous faire baisser les bras, on voit pas l'intérêt de se battre, etc. Mais elle peut au contraire nous dire non mais je ne veux pas que mes enfants vivent dans ce monde là, donc je vais faire autre chose. Ou si très prosaïquement vous travaillez dans une entreprise, privé ou public, vous n'avez pas envie d'aller dans la direction dans laquelle va l'entreprise ou de ressembler à votre supérieur dans 10 ans, vous agissez ici et maintenant. Et donc ça sert d'imaginer le pire ou que les choses pourraient tourner mal. Ça vient réenclencher dans l'humain Une sorte de vigilance, de curiosité, de capacité à voir ce qu'on pourrait faire différemment. Donc déjà, moi, je repositionne toujours les choses comme ça pour se dire que finalement, la dystopie, elle peut, et pour beaucoup en réalité, elle est très utile. Je fais juste une parenthèse très rapide. Il a été démontré, en tout cas dans des recherches scientifiques, assez nourri, qu'il y a tout un tas d'individus qui préfèrent effectivement les utopies. préfèrent se projeter dans le meilleur, c'est ça qui va leur donner de l'énergie, le désir de créer, d'avancer. Mais il y a quand même tout un tas de gens, tout un tas de paramètres, de leur croyance, de la manière dont ils ont été éduqués, de leur parcours, de leurs expériences, qui préfèrent imaginer le pire avant de réagir. Et ça, en fait, ça revient à la connaissance de soi, et voir comment, finalement, on a fait des choix dans nos vies. Et donc c'est intéressant d'avoir les deux, en réalité. Moi, je pense que c'est intéressant d'avoir les deux.

  • Speaker #0

    Ok, je comprends mieux. Il a raison. Finalement, on ne réagit pas toutes et tous pareil au récit et d'une certaine manière, ces différents genres d'utopie s'alimentent les uns avec les autres dans un but commun, débloquer nos imaginaires et nous faire passer à l'action. Je me suis d'ailleurs penchée récemment sur les travaux de la chercheuse en utopie Fatima Veira. Elle confirme également que dystopie et utopie sont de la même famille et malgré leurs différences nous poussent dans un objectif commun, celui de passer à l'action. Il est donc primordial. de savoir les faire cohabiter pour nourrir nos imaginaires, plutôt que constamment les opposer. Mais elle ajoute quelque chose que je trouve super intéressant. Face à cette grande famille d'utopies qu'on vient de voir, elle oppose les anti-utopies. Un récit très souvent utilisé par des politiques ou financiers qui nous poussent à croire qu'il n'y a aucune alternative. Tu sais, c'est un peu cette personne que tu croises à un dîner, qui travaille dans une banque ou en finance. et qui te maintient mordicus que si on sort du capitalisme, eh bien tout s'écroule. Que t'es vraiment complètement à côté de la plaque avec tes nouveaux récits et que décidément, toi, tu comprends rien à l'économie. Parce que l'économie, c'est pour les gens sérieux. Eh bien récemment, ça m'est arrivé. Ce à quoi j'ai répondu, oui, mais bon. Quand bien même notre système s'écroulerait, ce que je crois pas du tout, en ce moment c'est la biodiversité qui s'effondre sous l'égide du capitalisme. et avec elle, toutes nos chances de survie. Et sans grande surprise, on m'a répondu, Eh bien, d'ici là, on sera tous sur Mars. La vie sur Mars, avec SpaceX, c'est ce que j'appelle, moi, le récit de la Géronte. Donc avec ce récit anti-utopique, assez dominant ces jours-ci, on nous fait croire qu'on est sur les rails. Notre destin est en route et le moindre changement serait catastrophique. Si on sort du capitalisme, tout s'effondrera. Contrairement aux utopies, ça nous incite à ne pas bouger, à ne faire aucun changement et ça enferme nos imaginaires. Ce qui arrange bien nos dirigeants. Ce qui est intéressant avec ce que nous explique Adrien, c'est qu'on a toutes et tous des réactions différentes face au récit d'anticipation. Peut-être que s'il y a autant de dystopie, c'est tout simplement parce qu'on a besoin de cette structure de récit. C'est la fameuse force antagoniste du récit qui permet de mettre du relief dans la narration. Finalement, on se bat toujours contre quelqu'un ou quelque chose, sinon il n'y a pas de quête. Dans une de ses études, Pixar explique que son public mémorise bien plus fortement les parties de film avec des obstacles et des problèmes que la partie de fin heureuse. Si tout était parfaitement lisse et positif, est-ce qu'on serait captivé et est-ce qu'on se souviendrait l'essentiel ?

  • Speaker #1

    Le pur bonheur, le pur paradis, tout va bien, en fait il n'y a rien à raconter, ça ne marche pas d'un point de vue de la dynamique du récit. Quel obstacle est à surmonter ? En quoi le protagoniste doit se transformer pour être encore meilleur ou faire les choses ? Il n'y a rien qui marche. Si vous enlevez la dynamique du problème-solution, de la binarité du récit qu'on retrouve dans toute bonne histoire, ça ne marche pas. Et inversement, quand vous avez des groupes qui disent moi je vais créer un scénario d'horreur, ça va être terrible, c'est génial, ça va être la route ça va être vraiment le pire, etc. Qu'est-ce qui se passe ? Comme par magie, on a envie que ça aille mieux. On a envie de rétablir un équilibre. Donc, le ou les protagonistes vont commencer à inventer un produit, un service qui va permettre d'aller mieux, en fait. Que le monde, tout à coup, devienne encore une fois plus harmonieux et équilibré. Donc, c'est ça qui est intéressant. C'est qu'en réalité, les utopies et les dystopies ne sont jamais aussi monolithiques et purs qu'on l'imagine. Et qu'il y a toujours... énormément d'espaces d'imagination et d'actes qui permettent de ramener des éléments de nuance et de complexité.

  • Speaker #0

    Est-ce que le récit d'anticipation idéale, ça ne serait pas un juste équilibre entre utopie et dystopie ? Parce que finalement, quand j'y pense, les dystopies qui m'ont coincée n'ont aucune fenêtre d'espoir. Sans vouloir spoiler, dans mes références, tout finit mal et on ne voit aucune esquisse d'un avenir meilleur. D'ailleurs, cet équilibre est bien présent dans plusieurs ouvrages et films. notamment le livre La face cachée du monde de Ève Desmanches-Gabriel. C'est une fiction de quête qui démarre en zone dystopique, mais qui part retrouver une zone utopique. Et j'ai trouvé l'équilibre vraiment bien fait. Les parties utopiques et d'espoir sont de vraies zones de respiration pour le récit. Idem dans Ecotopia, alors là c'est majoritairement utopique, mais on retrouve des parties du passé où les personnages expliquent les révoltes, la violence, les difficultés dans le basculement, et comment ils sont parvenus après de nombreuses années à trouver la paix. Finalement, je trouve que ces transitions, ces descriptions de basculements sont plus que nécessaires pour nos imaginaires, et selon moi, il nous en faut plus. C'est ce qui donne toute la crédibilité du récit.

  • Speaker #2

    Ces décisions révolutionnaires provoquèrent bien sûr l'intolérance au Washington. Les lobbies de toutes les entreprises touchées tentèrent de pousser le gouvernement fédéral à intervenir militairement. Cela se passa néanmoins plusieurs mois après l'indépendance. Les écotopiens avaient créé et entraîné d'arrache-pied une milice nationale et importé des armes par avion depuis la France et la Tchécoslovaquie. On pensait aussi que durant la période de la sécession, ils avaient posé des mines atomiques dans certaines métropoles de la côte Est, des mines construites en secret ou volées dans les laboratoires de recherche militaire. Washington entama une violente campagne de mesures économiques et politiques pour faire pression sur les écotopiens. La flotte américaine plaida des mines sous-marines dans tous les ports du Nouvel État et les projets d'Amazon firent long feu. Comme on s'en doute, la période de transition qui suivit fut chaotique, même si beaucoup de gens s'en souviennent comme d'années d'attente.

  • Speaker #0

    Écotopia, Ernest Kallenbach

  • Speaker #1

    Un grand mythologue du milieu du XXe siècle, qui s'appelle Joseph Campbell, a écrit un ouvrage célèbre qui s'appelle Héros au mille et un visages Il avait fait un travail assez baron, c'est qu'il était allé voir sur quasiment tous les continents des récoltés des récits et des histoires. Et ce qu'il s'attendait à trouver, et c'est plutôt logique, c'est qu'il y ait une énorme diversité de récits et d'histoires. Parce qu'il faut imaginer que ces pays ne sont pas les mêmes, leur culture n'est pas la même, la religion n'est pas la même. Les rituels ne sont pas les mêmes, leur histoire n'est pas la même. Donc normalement, on est censé trouver une énorme diversité de récits. Et en fait, ce qu'il trouve, c'est que la structure de ces récits est la même. Ce qu'il appelle le voyage du héros. Et le voyage du héros est toujours le même. Et donc, c'est pour ça que c'est le héros au mille et un visages. Il y a mille et un visages, ça c'est le niveau de l'intrigue, mais au niveau de la structure, de l'architecture, c'est toujours la même chose. C'est comme quand vous voyez un bâtiment. Vous le regardez, vous regardez 10 bâtiments, ils peuvent être tous différents, mais leur architecture, la manière dont ils sont construits, peuvent être exactement la même. au Japon et à l'Asie, ils ont une tolérance plus forte à la dystopie. Ça c'est vrai par contre, c'est vrai qu'il faut voir, vous prenez un animé comme le Tombeau des Lucioles, ça démarre mal et ça finit encore plus mal. C'est-à-dire qu'ils ont une tolérance au côté sombre des choses et pas au happy end, qui est beaucoup plus ancré. Ça tient souvent à une conception du temps qui est différente, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais en Occident on a plutôt, j'y vais à la serpe rapidement, mais en Occident on a plutôt... plutôt une vision linéaire du temps, autrement dit passé, présent, futur. Et donc l'utopie fonctionne bien parce que du coup, il y a eu notre passé qui était insatisfaisant. Notre présent est insatisfaisant, mais notre futur peut être parfait. Ça, c'est très linéaire comme approche. Et c'est pour ça que les utopies sont des récits qu'on appelle téléologiques. C'est-à-dire qu'il y a une ligne d'arrivée à atteindre. Et quand on aura franchi cette ligne d'arrivée, on sera au paradis. Ça, c'est très occidental. Les Chinois notamment, puisque la culture chinoise est la culture fondatrice de l'Asie, et l'ensemble de l'Asie ensuite, ont une approche du temps qui est cyclique. Autrement dit, c'est plutôt l'image du flux de quelque chose qui revient en permanence. Et donc, quand vous êtes dans cet esprit-là, vous pouvez toujours faire des utopies, mais elles ne ressemblent pas exactement aux nôtres. Parce qu'en réalité, vous vous accommodez plus facilement, d'une certaine manière, des erreurs, des crises, des obstacles, des dangers, parce que vous savez que c'est un processus itératif qui ne cesse de revenir. Et ça, c'est quand même très différent de la projection pure et simple de l'utopie dans le temps face à vous sur un axe temporel linéaire. Donc ça, c'est potentiellement une explication qui permettrait de dire que c'est un peu différent, mais on trouve des utopies asiatiques.

  • Speaker #0

    Je trouve ça beau, moi, cette idée que notre espèce est structurée par une même architecture de récits, celle de l'histoire du héros. Ça donne l'espoir de créer un nouveau récit polyforme et à l'unisson, qui chanterait la révolution et notre réinvention pour un monde plus juste. Mais en parlant de catastrophes politiques et de chaos social, aujourd'hui, on peut dire qu'on y est, et pas qu'un peu. Et la question qui me taraude, c'est, est-ce qu'on a le droit de rêver ensemble, dans un monde qui s'effrite autant ? Est-ce qu'on a le temps et l'espace pour ce rêve, alors que la biodiversité s'effondre, que l'écart des richesses est odieux et que la crise sociale est à vif ?

  • Speaker #1

    Non seulement on a le droit de rêver, mais on doit rêver. Typiquement, la capacité à créer des utopies, qui est une capacité de mise en récit du monde, d'imagination, de projection narrative du monde, c'est quand même, nous sommes les seuls êtres vivants à pouvoir le faire. Enfin, jusqu'à preuve du contraire. On découvre des choses fascinantes et tout un tas de choses sur le fait que les dauphins peuvent rêver, on se rend compte de la complexité du vivant, mais a priori, vous demandez à un dauphin de vous raconter une bonne histoire du futur, vous allez être relativement déçu. alors même qu'ils communiquent de manière plus complexe que nous, mais le récit, quand même, c'est l'humain. Donc, on a une responsabilité qui est évidemment celle de rêver.

  • Speaker #0

    Alors, concernant les dauphins, j'avoue, moi, j'en sais rien. Mais la capacité narrative des animaux, c'est un sujet qui me passionne. Et dernièrement, les recherches avancent beaucoup. On découvre que les animaux ne sont peut-être pas de simples communicants, mais bien des êtres narratifs. Des projets de recherche sont notamment en cours sur des araignées poètes ou des poulpes-compteurs. C'est un tout autre sujet qui fera l'objet d'une prochaine enquête. Un grand merci à Adrien Rivière, notre invité de cet épisode. Pour la suite de cette enquête, on se retrouve le 28 janvier avec un deuxième épisode consacré à la création littéraire des récits utopiques, en compagnie de l'autrice et élue locale Ève-Gabrielle Demand. Cet épisode a été écrit et réalisé par Laureline Dargerie. Montage et mixage par Elsa Tumorel. Lecture d'écotopia d'Ernest Kallenbach par Kevin Daniello. Mirage d'un podcast indépendant. Pour nous soutenir, tu peux t'abonner, commenter, partager et mettre des étoiles pour participer à cette grande révolution narrative. À très vite !

  • Speaker #1

    C'est une révolution du désir.

  • Speaker #0

    Alors notre maison brûle.

  • Speaker #2

    Nous avons une langue savoie.

  • Speaker #1

    Bien comme ça,

  • Speaker #0

    le récit de la nuit,

  • Speaker #2

    les valeurs, les regrets.

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