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Episode 02 - La robustesse : une nouvelle culture Tech ? cover
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MiXiT On Air

Episode 02 - La robustesse : une nouvelle culture Tech ?

Episode 02 - La robustesse : une nouvelle culture Tech ?

25min |19/11/2025
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25min |19/11/2025
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Description

Dans cet épisode, nous discutons avec Olivier Hamant, biologiste et chercheur à l'INRAE, pour explorer comment la robustesse pourrait redéfinir la culture tech. Olivier nous explique pourquoi l'obsession de la performance nous rend fragiles et comment les principes biologiques de la robustesse, observés dans la nature, peuvent nous inspirer une approche différente. Nous abordons les défis concrets : relocaliser les industries, remplacer les métaux par des matériaux biosourcés, et repenser nos technologies pour qu'elles servent les humains plutôt que de les dominer. Un épisode qui croise biologie, éthique et pragmatisme pour construire un futur vraiment durable.

Invité.es :
- Olivier Hamant

Interviewers :
- Audrey Neveu
- Agnès Crepet

Liens de l'épisode :
- https://larobustesse.org
- https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/homo-confort
- https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Part_maudite-1922-1-1-0-1.html
- https://mixitconf.org/2025/robustesse-une-nouvelle-culture-tech-

Enregistré le mardi 29 avril 2025 lors de MiXiX 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Mixit On Air, où la tech rime avec l'éthique. Je suis Audrey.

  • Speaker #1

    Et moi je suis Agnès.

  • Speaker #0

    Et à chaque épisode, nous plongeons dans les coulisses de la conférence Mixit pour vous faire découvrir les innovateurs et innovatrices qui façonneront notre avenir numérique. Aujourd'hui, on a le plaisir d'accueillir Olivier Hamand, biologiste, chercheur à l'INRAE, et avec lui, nous allons explorer la robustesse pour voir si elle peut être l'avenir de la culture tech.

  • Speaker #2

    On saute la terre, on saute la terre. Et pointe, pointe, pointe. Je vais vous prendre une crêpe au sucre.

  • Speaker #0

    Alors Olivier, bienvenue sur Mixituner.

  • Speaker #3

    Merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    On va commencer. Est-ce que tu pourrais nous réintroduire le concept de robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors la robustesse, c'est un système qui est robuste en fait, il maintient sa stabilité et sa viabilité malgré les fluctuations. On parlait typiquement d'un arbre, il est robuste parce qu'il est capable de gérer du vent. Mais aussi en poussant, il est capable de garder sa vie, de vivre avec des changements d'hygrométrie, de salinité.

  • Speaker #0

    Et comment ça vient se confronter au concept de performance ?

  • Speaker #3

    Oui, en effet, ça se confronte bien. Parce que la performance, c'est la définition du contrôleur de gestion. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. Efficacité, atteindre son objectif. Efficience, avec le moins de moyens possible. donc quand on est très performant, on s'est plutôt canalisé, on s'est plutôt sur-optimisé, sur-spécialisé, et du coup on a perdu en adaptabilité et donc on est moins robuste. En fait, il y a une sorte de trade-off, de compromis entre robustesse et performance. En général, quand on est très robuste, on a beaucoup diversifié, on explore, on expérimente, et bien ça, ça a un coût en performance. Et donc il y a ce compromis à trouver et donc il va dépendre du niveau de fluctuation du monde.

  • Speaker #1

    Mais nous, ça ne va pas du tout, parce qu'Olivier, nous sommes développeuses, développeurs. et on nous a appris depuis tout petit, en tout cas depuis nos écoles, qu'il fallait être performant et performante. Donc comment on fait ?

  • Speaker #3

    En effet, c'est une révolution culturelle et il va falloir oser désobéir au catéchisme performant. Et je pèse à peu près tous mes mots. C'est-à-dire que c'est vraiment un culte, un catéchisme. C'est-à-dire qu'on nous a, pendant des années, alors ce n'est pas que dans les écoles de développement, c'est les écoles de commerce, les écoles de management, c'est vraiment absolument partout. On pense que quand il y a une crise, il faut augmenter les performances. Et le pire, c'est que ça marche. Mais ça marche à court terme. Et en fait, quand on a optimisé, du coup, ça marche un peu mieux après. Par exemple, après la crise financière, on a optimisé les hôpitaux. On a enlevé des lits dans les hôpitaux. Sauf qu'il y a eu la crise Covid après. Et là, on s'est rendu compte que c'était beaucoup trop fragile. Donc, il va vraiment falloir dérailler de ce culte de la performance. Et ça, ça demande de l'éducation, mais déjà, comprendre. que la performance, ce n'est pas la solution. C'est juste une des solutions. Il faut d'abord mettre le primat sur la robustesse.

  • Speaker #0

    Et alors, qu'est-ce qui, dans ton parcours, t'a amené à t'intéresser justement à la robustesse ? Et à remettre en cause ce culte de la performance ?

  • Speaker #3

    En fait, c'est même mes études de biologie. Quand moi, j'ai fait des études de biologie, comme tout biologiste, je me suis rendu compte qu'on m'enseignait la biologie sous l'angle de la performance. Quand on regarde bien les livres de biologie, il y a beaucoup de performances à tous les tournants, des organigrammes, tout ça. En fait, on est obsédé par la performance et du coup, ça se transcrit dans l'éducation à la biologie. Et quand j'étais chercheur, que j'ai commencé à observer, enfin qu'on a commencé, c'est toujours un travail d'équipe, à regarder les plantes, les cellules, tout ça, on se rend compte, quand on regarde au microscope, par exemple, qu'une plante, elle fait des fleurs qui sont toutes similaires. Donc, on pourrait se dire, il y a un programme génétique qui fait qu'elles ont toutes les mêmes fleurs. En fait, on se rend compte que non, il y a des gènes, mais il n'y a pas de programme. c'est beaucoup plus erratique, c'est très variable, et c'est plutôt... Les hétérogénités locales qui génèrent beaucoup de richesses d'informations, et c'est ça qui nourrit la robustesse, la reproductibilité des formes. C'est presque en observant les plantes qu'on se rend compte que les êtres vivants sont robustes avant d'être performants. Et c'est bien tombé parce que c'était à une époque, ça fait en gros 20-30 ans, que l'approche systémique s'est invitée en biologie et que ça a vraiment révolutionné notre vision du vivant. On voit bien que c'est la robustesse qui domine. dans les écosystèmes.

  • Speaker #1

    Et à ton avis, comment ces principes pourraient être intégrés dans nos compagnies, nos entreprises, et plus généralement à l'écosystème de la technologie ?

  • Speaker #3

    Ce qui est extraordinaire, c'est que c'est déjà le cas. C'est déjà en train de s'intégrer, mais sous le radar. Les entreprises, les associations, le monde de la tech, et ceux qui sont les plus soumis aux fluctuations du monde, qui font face à des ruptures, à des pénuries chroniques de ressources, à des grosses instabilités, développent de la robustesse. Alors très souvent, c'est de la robustesse à minima qui se résume à de la gestion des risques. Donc là, on va plutôt maintenir la stabilité du système malgré les fluctuations. Alors c'est pas suffisant, parce que si on maintient la stabilité mais que le système n'est pas viable, ça va quand même se planter. Mais la première étape, c'est déjà de se rendre compte qu'on a besoin de redondance, d'hétérogénité, d'incohérence, d'inachèvement, des choses qui ne sont pas terminées finalement. pour pouvoir continuer à faire évoluer les systèmes. Ça, c'est le premier pas. Juste une redondance de base. Mais ce n'est pas suffisant, parce que maintenant, il faut comprendre que ce qu'on produit, ça doit aussi nourrir la viabilité du territoire. Et là, seulement à cette gamme-là, finalement, ça permettra de vraiment faire de la robustesse sur le temps long.

  • Speaker #1

    Alors, quand tu parles de territoire, tu vois, moi, je travaille dans l'électronique et les puces, malgré le fait que ma boîte est un peu différente parce qu'on fait beaucoup de réparabilité. Néanmoins, nos puces, on les prend à Taïwan ou on les prend en Chine. Donc, comment ça peut s'orchestrer en fait ?

  • Speaker #3

    Alors, bien sûr, il va falloir relocaliser une bonne partie des activités. C'est une évidence. D'ailleurs, les États-Unis sont assez en avance là-dessus. Enfin, bizarrement, on critique beaucoup Trump en ce moment, mais... Bien avant Trump, ils étaient déjà en train de relocaliser beaucoup leur industrie, parce qu'ils se rendent bien compte qu'ils sont dépendants de la Chine bien trop fortement. Et donc ils ont relocalisé l'Europe. Alors, on commence à le faire un peu aussi, mais c'est aussi pour les médicaments, pour des tas de choses. Mais on est un peu les naïfs du village en Europe, j'ai envie de dire. On reste encore dans une sorte de mondialisation heureuse. Bon, c'est terminé tout ça. La mondialisation performante, c'est un zombie. Et là, on est en train de faire de l'acharnement thérapeutique. Et Trump est en train de sortir le défibrillateur, on pourrait le dire comme ça. Donc il va falloir vraiment réaliser que tout ça c'est terminé, qu'il va falloir beaucoup plus régionaliser les choses. Et donc en effet, il y a un champ ouvert pour le champ de la tech, pour développer des industries locales, biosourcées aussi, beaucoup plus. Il y a beaucoup de choses à inventer dans les territoires.

  • Speaker #1

    Alors si tu nous dis ça, les copains et copines qui sont dans l'Allier et qui luttent contre l'installation d'une mine de lithium, qu'est-ce qu'on leur dit à ces gens-là ?

  • Speaker #3

    Ils ont tout à fait raison. La mine de lithium dans l'Allier, c'est une hérésie. Si on la construit, cette mine, il faudra évacuer 150 000 personnes à terme. Donc le lithium, c'est un métal au sens géologique du terme. C'est vraiment une hérésie, quelque part. Encore une fois, il vaut mieux avoir une nappe de pétrole qu'une nappe de lithium dans son territoire. Il faut quand même le réaliser. Ça, c'est des polluants éternels, permanents. Si on prend la vallée de l'Arsenic, à côté de Carcassonne, c'est à côté d'une mine d'or. Donc en fait, ces polluants éternels, ça va être très problématique. Donc il faut vraiment recarbonner, comme je dis souvent, il faut biosourcer nos produits. Et donc dans l'électronique, dans la tech, il va falloir sortir du monde du pétrole et des métaux en utilisant des matériaux biosourcés. Donc par exemple, stocker les données numériques dans l'ADN, ça c'est une voie d'avenir. Mais il y a plein d'autres choses à inventer.

  • Speaker #0

    Et notamment pour les batteries, il y a une solution assez intéressante, basée sur des produits tout à fait naturels.

  • Speaker #3

    Oui, par exemple, c'est Linea, mais il y a d'autres boîtes aussi qui font ça. qui prennent du bois, ils extraient la cellulose en général pour faire du papier, et puis le déchet qui est souvent valorisé pour être brûlé, eux ils ne le brûlent pas, ils le font sécher, en fait ils font des films de lignine, et ces films de lignine permettent de stocker l'électricité. Et donc là on a inventé une batterie produite localement et biodégradable. Alors c'est beaucoup moins performant qu'une batterie au lithium, il ne faut pas rêver, c'est beaucoup plus gros, c'est plus lourd, etc. C'est certainement moins durable en termes de capacité à durer mécaniquement. Par contre, c'est beaucoup plus durable d'un point de vue de robustesse, parce qu'on peut la remplacer, il n'y a pas de problème, c'est des champignons qui vont la manger à la fin. En tout cas, c'est une des illustrations. Mais on peut penser à plein d'autres choses. J'ai une collaboration avec Thomas Dehoux à Lyon, son équipe a trouvé que quand on prend un oignon, par exemple, et qu'on s'en ouvre un oignon, dedans il y a une petite membrane, donc ça c'est une monocouche cellulaire, un épiderme. Quand on le fait sécher, cet épiderme d'oignon, et qu'on mesure ses propriétés mécaniques, On voit qu'il a des propriétés... phononiques. Donc il absorbe certaines ondes acoustiques. Pour le faire court, dans nos smartphones, il y a des terres rares qui font ça, qui absorbent des ondes acoustiques. On pourrait très bien imaginer remplacer ces terres rares par des matériaux biosourcés, des textures biosourcées.

  • Speaker #1

    Tout ce que tu nous dis, ça nous rappelle aussi le permacomputing. Avec Audrey, on avait essayé d'approcher un chercheur, peut-être qu'on l'aura l'année prochaine, qui travaille, un chercheur hollandais, Aymeric Monsou, qui travaille sur le permacomputing. Tu connais un petit peu cette Ausha ?

  • Speaker #3

    Non, je ne connais pas bien.

  • Speaker #1

    Parce que dans l'idée du permacomputing, c'est arriver à faire la conjonction de la permaculture et de l'informatique, donc de reprendre les concepts de la permaculture, pour arriver justement à construire des éléments électroniques, numériques, durables, réparables, et qui ne sont pas basés sur des purs éléments de performance. En tout cas, les indicateurs de mesure de leur succès, ce n'est pas que sur la performance.

  • Speaker #3

    D'accord, c'est super intéressant. De nouveau, je ne connais pas bien, mais peut-être le point de vigilance, c'est que si on fait des objets très robustes pour eux-mêmes, ils peuvent toujours être au service d'une destruction du territoire. Par exemple, si on fait des outils techno-numériques hyper robustes, mais qui poussent toujours les gens à passer 12 heures par jour devant leur écran, ce n'est pas robuste, parce que là, on va faire une société hyper canalisée. Ce que je dis souvent, c'est que mon rêve, en fait, ce seraient des applications qui frustreraient leurs utilisateurs pour qu'ils se décrochent de leur écran.

  • Speaker #1

    On en a. Oui, et les applications qui soient sûrement aussi moins... technopaternaliste, dans le sens où on ne nous invite jamais à aller voir qu'est-ce qui ne marche pas. Même sur un appareil, tu parlais des smartphones, on ne nous invite jamais à le réparer nous-mêmes. On nous invite à utiliser un service en fait distant, où tu poses ton appareil, bien souvent il n'est pas réparé, il est remplacé. Et donc cette approche paternaliste de la tech, c'est ça qu'il faut casser quelque part.

  • Speaker #3

    On est infantilisés. On l'a du mieux vu avec le Covid pour d'autres raisons, mais en fait... C'est une société de la performance, c'est une culture de la performance, c'est une culture de la domination et de la violence. Et donc, en fait, on ne se rend pas compte à quel point ce choix du confort nous a désensualisés. On a perdu nos sens, on ne reconnaît plus certaines odeurs, on ne supporte plus de se faire toucher dans le métro, on va dire pardon si quelqu'un nous touche. En fait, on est des humains, on est censés avoir des contacts. Donc tout ça, en fait, ça veut dire qu'on a fait un choix, un certain choix, un certain confort. au détriment d'une part de notre humanité.

  • Speaker #1

    Alors tu dois aussi halluciner de voir ce qui se passe outre-Atlantique. Alors quelque part, comment tu prends cette histoire-là ? Est-ce que ça peut être aussi, donc l'alliance Musk-Trump, une manière pour des personnes comme nous, en fait, de se rendre compte, justement, à quel point la tech peut être un outil de domination ?

  • Speaker #3

    Bien sûr, en fait, on peut presque le dire en une phrase. Le monde est malade et il a élu le symptôme. Trump et Musk, ce sont les symptômes d'un monde malade qui est dans une forme de délire de la performance. Là, on bascule du culte de la performance au délire. Parce que ce que proposent Trump et Musk, parmi tant d'autres choses, mais notamment Musk, c'est d'aller sur Mars, de faire des mines sur des astéroïdes, de faire des bunkers, de construire des villes dans le désert saoudien. C'est que des projets de mort. Les projets des ultra-performances, ce sont que des projets de mort. Avec la robustesse, c'est plutôt des projets de vie, de vivre avec les fluctuations. On ne va pas fuir les fluctuations, on va en faire quelque chose, et quelque chose de beaucoup plus joyeux, parce que c'est vraiment la pulsion de vie, la robustesse. Ces fluctuations, ça va nous stimuler, ça sera un stimulant de l'innovation, de notre vie sur Terre.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs ce que j'ai trouvé très intéressant dans ton approche, c'est qu'on pourrait, parce qu'on a souvent... On est conscient de vivre dans un monde qui va fluctuer de plus en plus, qui va être soumis à des polycrises, comme tu les appelles, et c'est un avenir qui a plutôt tendance à faire peur, et toi, dans les solutions que tu proposes avec l'approche de la robustesse, finalement c'est assez joyeux. Est-ce que tu pourrais nous décrire un petit peu à quoi pourrait ressembler une société dans ce monde de la robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors il y a plein de choses, c'est un monde très pluriel, et en fait ce qui est extraordinaire, c'est que ce n'est pas une utopie, on l'a sous les yeux. ce monde du futur. C'est juste qu'il est sous le radar médiatique, parce que dans les médias, on va beaucoup parler de Trump, de Musk, d'Erdogan, de Netanyahou, enfin tous les ultra-performants, en gros des vieux mâles blancs, ultra-riches et ultra-nerveux rosés, pour le dire rapidement. Donc, c'est ceux-là qui occupent tout l'espace. En fait, quand on regarde le reste, c'est beaucoup plus intéressant. Donc, le tout réparable, il y en a partout, le participatif, le coopératif, donc il y en a vraiment de plus en plus dans tous les champs, notamment le réparable, mais c'est pour plein d'autres champs aussi. L'agroécologie, il faut quand même réaliser que chaque année, on parle beaucoup de crise du bio en ce moment, mais sauf que depuis 20 ans, chaque année, la surface agricole en agroécologie augmente en Europe. Donc c'est ça, le sens du futur, il est là. Mais c'est plein de choses, les conventions citoyennes, le fait que dans les entreprises, le mode d'organisation est de plus en plus horizontal. qu'on commence à mieux dialoguer les uns avec les autres. En fait, on a quand même beaucoup appris de ce burn-out des humains et du burn-out planétaire. On est un peu en train de rétrograder là quand même. Mais rétrograder dans le bon sens du terme. C'est ce que je dis souvent, le mode dégradé qu'on critique tant dans le monde de la performance, c'est le mode robuste. Et le mode performant, c'est le mode fragile.

  • Speaker #0

    Et pour nous, développeurs, développeuses, ça pourrait ressembler à quoi cet avenir ? Comment est-ce qu'on peut contribuer justement à cette robustesse ? Alors, tu nous parlais de construire des applications peut-être un peu ennuyantes. Ça peut être une première piste. Est-ce que tu en as d'autres pour nous ?

  • Speaker #3

    Oui, c'est vrai, ça pourrait être très, très général. C'est d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe des outils ? Et donc, par exemple, je peux donner un exemple très parlant, les ripostes créatifs territoriales. Les ripostes créatifs territoriales, ça s'est créé pendant la crise Covid, quand des citoyens se sont dit, en fait, là, l'État est en train de partir en vrille, on commence à perdre des services. notre territoire n'est pas sûr de garantir certaines viabilités, donc plutôt que de faire chacun dans son coin, on va essayer de se mettre en lien. Et donc là, ils ont développé une plateforme qui permet de mettre en lien des associations qui font des choses plutôt au service des citoyens, donc ils se mettent en réseau. Ça, c'est typiquement une application numérique qui est au service de la viabilité du territoire. Donc là, c'est le pourquoi avant le comment. Après, évidemment, il y a le comment, après on peut faire des technologies sobres, etc., mais il faut d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe cette application ? Et là-dessus, il y a aussi une bonne ressource, c'est le comité humain du numérique à Bruxelles, qui a créé le code du numérique. Donc il a repris toutes les lois belges. Quand on réfléchit bien, les lois, elles ont été créées dans un monde avant le numérique. Et donc il va falloir les remettre à jour, parce que le numérique est là pour rester, comme il y a d'ailleurs, c'est un peu des aliens qui sont arrivés sur Terre, et maintenant il va falloir vivre avec. Sauf que là, en fait, on se fait un peu avoir par leur performance, et donc ils sont en train de prendre le pouvoir. Donc ce n'est pas pour les éliminer. il faut les mettre à leur place, il faut qu'ils soient au service des humains. Le code du numérique des Belges, c'est exactement ça, c'est réécrire les lois pour que le numérique soit au service des humains. Et donc, j'ai envie de dire que les développeurs devraient lire ce code du numérique, par exemple, pour se dire à quel point ce que je fais rentre dans ce cadre-là.

  • Speaker #1

    Et si j'étends la question d'Audrey à l'ingénierie au sens large, il peut y avoir aussi toutes les low-tech ?

  • Speaker #3

    Bien sûr. Le low-tech, c'est exactement ça. C'est des technologies où on ne cherche pas la solution clé en main, mais les conditions dans lesquelles les solutions émergent. Les citoyens sont émancipés et ils sont capables de se rapprocher de la technologie pour en faire des outils à leur service.

  • Speaker #1

    Et on n'est plus dans l'approche paternaliste où justement on le fait pour toi, on le répare pour toi, mais c'est toi qui vas mettre la main dans le cambouis. Je vais revenir juste sur ce que tu disais, c'est pas que je focalise sur Trump et Musk, mais dans leur discours en fait, si tu regardes le discours de Musk, il y a quand même ce truc de long-termisme. Tu vois ? Ou quelque part... L'argument de la performance n'est pas forcément mis en avant. Premier, on va parler de long-termisme. Et du coup, tu vois, pour un non-initié, une personne moins initiée, on va pouvoir confondre justement ces deux concepts. Ça,

  • Speaker #3

    c'est extraordinaire. En fait, ils ont kidnappé le long terme. Ils ont récupéré le long terme aussi. Alors, dans le long-termisme, ça, c'est vraiment du délire performant.

  • Speaker #1

    Peut-être que tu peux rappeler le long-termisme.

  • Speaker #3

    Oui, le long-termisme, c'est un peu ce que je disais d'aller sur Mars, de se congeler, la vie éternelle. Enfin, tous ces projets, en fait, où on... On fait un peu un mirage d'un futur extrêmement désirable, enfin pour eux, au détriment d'une réponse au présent, au problème du monde. Donc en fait, on se projette dans un avenir très désirable, en oubliant complètement les étapes transitoires, et surtout, ce monde futur reste complètement sur les rails de la performance du monde néolibéral. Ce qui est extraordinaire avec ça, c'est que le long-termisme, c'est une récupération, et donc plus on est dans le long-termisme, moins il y a de long terme. Donc ça, c'est un peu le paradoxe. Et puis aussi, ce qui est assez extraordinaire, c'est que si on prend un peu de recul, nous, les humains, par rapport aux non-humains, le seul pouvoir qu'on a, c'est l'écriture. Et avec l'écriture, on a ouvert le temps long. C'est qu'on est capable de lire des textes très anciens et on est capable de spéculer très loin dans l'avenir. Donc on a ouvert le temps long. Qu'est-ce qu'on fait de cette ouverture ? On congèle le futur. Mais quand je dis congeler, c'est la cryogénisation, par exemple. On congèle, on fait des biobanques, des banques de graines, etc. Donc en fait, on congèle comme si on voulait garder le monde tel qu'il est actuellement. Et quand on fait ça, en fait, on se fragilise. Parce qu'on n'est plus dans un monde dynamique. On se rigidifie. Et le long-termisme, c'est de la rigidification, c'est de la congélation. Donc ça ne va pas marcher très longtemps, cela dit. Je pense que Prospera ou Honduras, par exemple, c'est un lieu où on est en train de penser à la vie éternelle, pour une élite... C'est extrêmement fragile, ce truc-là. Ce qu'il y a de bien avec le monde fluctuant, c'est que ça va balayer les ultra-performants.

  • Speaker #1

    Et comment... Un chercheur comme toi, parce que tu es chercheur, on l'a, comme voudrait la préciser dans ton introduction. Et comment tu es pris par tes collègues, en fait ? Je veux dire, c'est quoi ta position ? Est-ce que tout le monde est d'accord avec toi ? Ou est-ce qu'au contraire, on te regarde un peu bizarre ?

  • Speaker #3

    Alors, ce qu'il y a de bien en biologie, c'est que c'est... Alors, évidemment, c'est très divers, mais cette histoire de l'équilibre robustesse-performance, il est quand même travaillé depuis des années. Il y a Robert Ulanovitz, par exemple, dans les écosystèmes qu'il avait montrés dans les années 80-90. Si j'élargis un peu dans le monde de la systémique, de la cybernétique dans les années 60, tout ça c'est très bien décrit, c'est juste que c'était montré de façon assez abstraite, avec beaucoup de maths, beaucoup de systémique un peu complexe, et donc c'était pas trop sorti du laboratoire. Enfin, il y a quand même des écrits, mais là, le vivant, avec l'approche systémique, on se rend compte qu'en fait c'est des choses très très simples, qu'on peut voir dans la vie de tous les jours, et on voit très bien cet équilibre-là. et donc dans le monde scientifique là où il y a il peut y avoir un peu de friction, c'est quand on travaille sur un sujet très précis, parce que quand on est chercheur, très souvent, on travaille sur la protéine X et du coup, on va voir le monde sous l'angle de cette protéine, de cet angle hyper restreint. Et là, on peut se faire piéger par le culte de la performance et se dire, ah ouais, cette protéine, elle a vraiment optimisé sa voie, sa phosphorylation par une kinase, machin, tout un truc là. Sauf qu'en fait, on a complètement oublié que cette protéine, elle est dans une énorme pelote de laine avec plein de redondances, plein d'hétérogénité, plein d'incohérences dans tous les sens. Donc c'est là la force de la systémique, ça remet à sa place son projet de recherche, qui est une toute petite partie d'un système qui est d'abord robuste avant d'être performant. Mais j'ai beaucoup moins de mal à en parler maintenant. Si j'avais dû en parler il y a 40 ans, ça aurait été beaucoup plus dur. À l'époque du tout moléculaire, du tout génétique, où c'était très vertical, le monde des OGM, pour le dire rapidement. Là, on est sortis de ça quand même. On a une vision beaucoup plus large, intégrée des choses, où en fait, on voit bien que ce qui construit le vivant, C'est son imperfection. C'est ça qui fait sa beauté finalement. Le monde parfait est mort. Ou si je le dis différemment, quand on veut être invulnérable, ça veut dire qu'on veut mourir. La vie, c'est d'être vulnérable.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, tu disais qu'on a tendance à faire la chasse au carbone, à diaboliser un petit peu. et en fait... Non, le carbone, c'est la molécule de la vie. Et toi, tu nous dis, il faut recarbonner l'économie.

  • Speaker #3

    Oui, exactement. Recarbonner l'économie, ça veut dire qu'en fait, c'est plutôt en comparaison à décarboner l'économie, parce que quand on décarbone l'économie, ce qu'on fait, et Aurore, Stéphane en parlerait mieux que moi, on remplace le pétrole par des métaux. Et donc les pollutions en métaux sont assez terribles. Donc en fait, c'est pas décarboner l'économie qu'il faut faire, il faut décombustionner l'économie. Il faut arrêter de brûler du carbone pour émettre du CO2. Ça, on est d'accord. Donc arrêtez de brûler du bois, du charbon, du pétrole, des biocarburants, tout ça, ça émet du CO2. Donc décombustionnez l'économie, mais par contre, il faut recarbonner l'économie. Donc tout ce qui dépend du pétrole et des métaux, il va falloir le remplacer par des objets biosourcés, biodégradables. Et ça, c'est ce qu'on appelle la bioéconomie circulaire. Donc quand on parle d'économie circulaire, il faut aller jusqu'au bout. Et donc si c'est circulaire, il faut que ça dépende du carbone. Le carbone, c'est l'atome magique de la vie. Et donc il va falloir qu'on se branche avec les non-humains, avec nos technologies. technosphère cycle comme les autres sphères, comme l'atmosphère, comme l'hydrosphère, enfin toutes les autres sphères terrestres.

  • Speaker #0

    Et ce qui est intéressant avec ça, c'est qu'il faut changer de mode de pensée jusqu'au bout, puisqu'on peut reprendre l'exemple des batteries dont on parlait tout à l'heure, qui sont faites à partir de déchets de bois. On ne va pas planter des forêts pour produire ces batteries.

  • Speaker #3

    Bien sûr. Alors exactement, ça c'est un point de vigilance. Nous, en fait, dans le monde de la performance, on a utilisé les écosystèmes de façon extractiviste. On a extrait la biomasse et donc on a extrait la matière organique des sols. Et en fait, on est en train de créer des déserts sur Terre. Enfin, il faut quand même le faire, parce qu'on ne rend pas ce carbone à la Terre. Donc il faut que la biomasse qui est produite dans les champs, dans les forêts, retourne au sol. Et c'est d'abord ça qu'il faut faire. Ensuite, il y a des aliments qui sortent de cette biomasse, donc ça, ça va nous nourrir. Et c'est seulement le reliquat qui doit nourrir les biomatériaux. En tout cas, cette économie. Mais en fait, on n'aura aucun problème à produire beaucoup plus de biomasse. Si je prends juste un exemple... Un champ de blé, par exemple, le rendement en biomasse totale, son rendement, c'est celui d'une savane. C'est que six mois dans l'année, il n'y a rien. Et puis quand il y a quelque chose, c'est des petites plantes avec des petites tiges, des petites racines, ça ne produit rien du tout en biomasse. Donc ce qu'on peut très bien imaginer et ce qu'on va faire dans l'avenir, c'est de l'agroforesterie, donc des arbres plantés sur des champs. Et là, ça produit beaucoup plus de carbone par mètre carré. Et là, ça sera parfait, ça protégera des fluctuations, de la grêle, des intempéries. ça maintiendra l'hygrométrie des champs et en plus, ça produira plus de biomasse, des châtaignes, des feuilles, etc.

  • Speaker #1

    Nous arrivons à la fin de cet échange passionnant, Olivier, et avant de partir, on a une petite traduction, tradition, pardon, mixitonnaire. Est-ce que tu pourrais partager avec nos auditrices et nos auditeurs une ressource incontournable ? Alors, ça peut être un site, ça peut être une autrice, un auteur, un outil qui t'a inspiré pour une tech plus éthique.

  • Speaker #3

    Alors, je vais en citer peut-être quelques-unes, si je peux.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #3

    J'aime bien citer Georges Bataille, La part maudite. C'est un bouquin de 1949 et qui dit que quand les humains ont accès à plus de ressources, plus d'énergie, ils essayent de la dissiper le plus vite possible. Donc ça, c'est La part maudite, parce que la façon la plus rapide de dissiper cet excès de ressources et d'énergie, c'est de faire la guerre. Donc, il faut bien se poser la question, par exemple, sur la question de l'énergie. À partir de quand, de combien d'énergie bascule-t-on dans La part maudite ? C'est pas tellement une question de comment on fait de l'énergie, mais de combien est-on besoin. Il y aura aussi peut-être Homo Confort de Stefano Bonni, que je cite beaucoup, qui parle de ce monde où on a nos interactions avec le monde, c'est par des écrans et des boutons poussoirs. Et on oublie un peu qu'on a aussi des sens et qu'on peut communiquer avec les autres comme ça. Et puis le dernier point peut-être, c'est les communautés apprenantes sur le site larobustesse.org. Donc si vous voulez développer votre robustesse dans votre territoire, dans votre entreprise... dans votre association. C'est une plateforme qui offre des outils tout en open access et aussi une communauté de gens qui sont en chemin sur la Robus S. Et donc là, il y a plein de choses à apprendre, plein de choses à développer.

  • Speaker #1

    Eh bien, merci. Merci infiniment pour ta participation aujourd'hui, Olivier. Je rappelle à nos auditrices et auditeurs que vous pouvez retrouver la conférence complète d'Olivier en replay sur la chaîne YouTube de Mixit. Et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à vous abonner et à partager le podcast autour de vous. Et d'ici là, gardez en tête que pour une tech éthique, il faut garder l'esprit ouvert et critique. A bientôt !

Description

Dans cet épisode, nous discutons avec Olivier Hamant, biologiste et chercheur à l'INRAE, pour explorer comment la robustesse pourrait redéfinir la culture tech. Olivier nous explique pourquoi l'obsession de la performance nous rend fragiles et comment les principes biologiques de la robustesse, observés dans la nature, peuvent nous inspirer une approche différente. Nous abordons les défis concrets : relocaliser les industries, remplacer les métaux par des matériaux biosourcés, et repenser nos technologies pour qu'elles servent les humains plutôt que de les dominer. Un épisode qui croise biologie, éthique et pragmatisme pour construire un futur vraiment durable.

Invité.es :
- Olivier Hamant

Interviewers :
- Audrey Neveu
- Agnès Crepet

Liens de l'épisode :
- https://larobustesse.org
- https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/homo-confort
- https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Part_maudite-1922-1-1-0-1.html
- https://mixitconf.org/2025/robustesse-une-nouvelle-culture-tech-

Enregistré le mardi 29 avril 2025 lors de MiXiX 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Mixit On Air, où la tech rime avec l'éthique. Je suis Audrey.

  • Speaker #1

    Et moi je suis Agnès.

  • Speaker #0

    Et à chaque épisode, nous plongeons dans les coulisses de la conférence Mixit pour vous faire découvrir les innovateurs et innovatrices qui façonneront notre avenir numérique. Aujourd'hui, on a le plaisir d'accueillir Olivier Hamand, biologiste, chercheur à l'INRAE, et avec lui, nous allons explorer la robustesse pour voir si elle peut être l'avenir de la culture tech.

  • Speaker #2

    On saute la terre, on saute la terre. Et pointe, pointe, pointe. Je vais vous prendre une crêpe au sucre.

  • Speaker #0

    Alors Olivier, bienvenue sur Mixituner.

  • Speaker #3

    Merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    On va commencer. Est-ce que tu pourrais nous réintroduire le concept de robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors la robustesse, c'est un système qui est robuste en fait, il maintient sa stabilité et sa viabilité malgré les fluctuations. On parlait typiquement d'un arbre, il est robuste parce qu'il est capable de gérer du vent. Mais aussi en poussant, il est capable de garder sa vie, de vivre avec des changements d'hygrométrie, de salinité.

  • Speaker #0

    Et comment ça vient se confronter au concept de performance ?

  • Speaker #3

    Oui, en effet, ça se confronte bien. Parce que la performance, c'est la définition du contrôleur de gestion. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. Efficacité, atteindre son objectif. Efficience, avec le moins de moyens possible. donc quand on est très performant, on s'est plutôt canalisé, on s'est plutôt sur-optimisé, sur-spécialisé, et du coup on a perdu en adaptabilité et donc on est moins robuste. En fait, il y a une sorte de trade-off, de compromis entre robustesse et performance. En général, quand on est très robuste, on a beaucoup diversifié, on explore, on expérimente, et bien ça, ça a un coût en performance. Et donc il y a ce compromis à trouver et donc il va dépendre du niveau de fluctuation du monde.

  • Speaker #1

    Mais nous, ça ne va pas du tout, parce qu'Olivier, nous sommes développeuses, développeurs. et on nous a appris depuis tout petit, en tout cas depuis nos écoles, qu'il fallait être performant et performante. Donc comment on fait ?

  • Speaker #3

    En effet, c'est une révolution culturelle et il va falloir oser désobéir au catéchisme performant. Et je pèse à peu près tous mes mots. C'est-à-dire que c'est vraiment un culte, un catéchisme. C'est-à-dire qu'on nous a, pendant des années, alors ce n'est pas que dans les écoles de développement, c'est les écoles de commerce, les écoles de management, c'est vraiment absolument partout. On pense que quand il y a une crise, il faut augmenter les performances. Et le pire, c'est que ça marche. Mais ça marche à court terme. Et en fait, quand on a optimisé, du coup, ça marche un peu mieux après. Par exemple, après la crise financière, on a optimisé les hôpitaux. On a enlevé des lits dans les hôpitaux. Sauf qu'il y a eu la crise Covid après. Et là, on s'est rendu compte que c'était beaucoup trop fragile. Donc, il va vraiment falloir dérailler de ce culte de la performance. Et ça, ça demande de l'éducation, mais déjà, comprendre. que la performance, ce n'est pas la solution. C'est juste une des solutions. Il faut d'abord mettre le primat sur la robustesse.

  • Speaker #0

    Et alors, qu'est-ce qui, dans ton parcours, t'a amené à t'intéresser justement à la robustesse ? Et à remettre en cause ce culte de la performance ?

  • Speaker #3

    En fait, c'est même mes études de biologie. Quand moi, j'ai fait des études de biologie, comme tout biologiste, je me suis rendu compte qu'on m'enseignait la biologie sous l'angle de la performance. Quand on regarde bien les livres de biologie, il y a beaucoup de performances à tous les tournants, des organigrammes, tout ça. En fait, on est obsédé par la performance et du coup, ça se transcrit dans l'éducation à la biologie. Et quand j'étais chercheur, que j'ai commencé à observer, enfin qu'on a commencé, c'est toujours un travail d'équipe, à regarder les plantes, les cellules, tout ça, on se rend compte, quand on regarde au microscope, par exemple, qu'une plante, elle fait des fleurs qui sont toutes similaires. Donc, on pourrait se dire, il y a un programme génétique qui fait qu'elles ont toutes les mêmes fleurs. En fait, on se rend compte que non, il y a des gènes, mais il n'y a pas de programme. c'est beaucoup plus erratique, c'est très variable, et c'est plutôt... Les hétérogénités locales qui génèrent beaucoup de richesses d'informations, et c'est ça qui nourrit la robustesse, la reproductibilité des formes. C'est presque en observant les plantes qu'on se rend compte que les êtres vivants sont robustes avant d'être performants. Et c'est bien tombé parce que c'était à une époque, ça fait en gros 20-30 ans, que l'approche systémique s'est invitée en biologie et que ça a vraiment révolutionné notre vision du vivant. On voit bien que c'est la robustesse qui domine. dans les écosystèmes.

  • Speaker #1

    Et à ton avis, comment ces principes pourraient être intégrés dans nos compagnies, nos entreprises, et plus généralement à l'écosystème de la technologie ?

  • Speaker #3

    Ce qui est extraordinaire, c'est que c'est déjà le cas. C'est déjà en train de s'intégrer, mais sous le radar. Les entreprises, les associations, le monde de la tech, et ceux qui sont les plus soumis aux fluctuations du monde, qui font face à des ruptures, à des pénuries chroniques de ressources, à des grosses instabilités, développent de la robustesse. Alors très souvent, c'est de la robustesse à minima qui se résume à de la gestion des risques. Donc là, on va plutôt maintenir la stabilité du système malgré les fluctuations. Alors c'est pas suffisant, parce que si on maintient la stabilité mais que le système n'est pas viable, ça va quand même se planter. Mais la première étape, c'est déjà de se rendre compte qu'on a besoin de redondance, d'hétérogénité, d'incohérence, d'inachèvement, des choses qui ne sont pas terminées finalement. pour pouvoir continuer à faire évoluer les systèmes. Ça, c'est le premier pas. Juste une redondance de base. Mais ce n'est pas suffisant, parce que maintenant, il faut comprendre que ce qu'on produit, ça doit aussi nourrir la viabilité du territoire. Et là, seulement à cette gamme-là, finalement, ça permettra de vraiment faire de la robustesse sur le temps long.

  • Speaker #1

    Alors, quand tu parles de territoire, tu vois, moi, je travaille dans l'électronique et les puces, malgré le fait que ma boîte est un peu différente parce qu'on fait beaucoup de réparabilité. Néanmoins, nos puces, on les prend à Taïwan ou on les prend en Chine. Donc, comment ça peut s'orchestrer en fait ?

  • Speaker #3

    Alors, bien sûr, il va falloir relocaliser une bonne partie des activités. C'est une évidence. D'ailleurs, les États-Unis sont assez en avance là-dessus. Enfin, bizarrement, on critique beaucoup Trump en ce moment, mais... Bien avant Trump, ils étaient déjà en train de relocaliser beaucoup leur industrie, parce qu'ils se rendent bien compte qu'ils sont dépendants de la Chine bien trop fortement. Et donc ils ont relocalisé l'Europe. Alors, on commence à le faire un peu aussi, mais c'est aussi pour les médicaments, pour des tas de choses. Mais on est un peu les naïfs du village en Europe, j'ai envie de dire. On reste encore dans une sorte de mondialisation heureuse. Bon, c'est terminé tout ça. La mondialisation performante, c'est un zombie. Et là, on est en train de faire de l'acharnement thérapeutique. Et Trump est en train de sortir le défibrillateur, on pourrait le dire comme ça. Donc il va falloir vraiment réaliser que tout ça c'est terminé, qu'il va falloir beaucoup plus régionaliser les choses. Et donc en effet, il y a un champ ouvert pour le champ de la tech, pour développer des industries locales, biosourcées aussi, beaucoup plus. Il y a beaucoup de choses à inventer dans les territoires.

  • Speaker #1

    Alors si tu nous dis ça, les copains et copines qui sont dans l'Allier et qui luttent contre l'installation d'une mine de lithium, qu'est-ce qu'on leur dit à ces gens-là ?

  • Speaker #3

    Ils ont tout à fait raison. La mine de lithium dans l'Allier, c'est une hérésie. Si on la construit, cette mine, il faudra évacuer 150 000 personnes à terme. Donc le lithium, c'est un métal au sens géologique du terme. C'est vraiment une hérésie, quelque part. Encore une fois, il vaut mieux avoir une nappe de pétrole qu'une nappe de lithium dans son territoire. Il faut quand même le réaliser. Ça, c'est des polluants éternels, permanents. Si on prend la vallée de l'Arsenic, à côté de Carcassonne, c'est à côté d'une mine d'or. Donc en fait, ces polluants éternels, ça va être très problématique. Donc il faut vraiment recarbonner, comme je dis souvent, il faut biosourcer nos produits. Et donc dans l'électronique, dans la tech, il va falloir sortir du monde du pétrole et des métaux en utilisant des matériaux biosourcés. Donc par exemple, stocker les données numériques dans l'ADN, ça c'est une voie d'avenir. Mais il y a plein d'autres choses à inventer.

  • Speaker #0

    Et notamment pour les batteries, il y a une solution assez intéressante, basée sur des produits tout à fait naturels.

  • Speaker #3

    Oui, par exemple, c'est Linea, mais il y a d'autres boîtes aussi qui font ça. qui prennent du bois, ils extraient la cellulose en général pour faire du papier, et puis le déchet qui est souvent valorisé pour être brûlé, eux ils ne le brûlent pas, ils le font sécher, en fait ils font des films de lignine, et ces films de lignine permettent de stocker l'électricité. Et donc là on a inventé une batterie produite localement et biodégradable. Alors c'est beaucoup moins performant qu'une batterie au lithium, il ne faut pas rêver, c'est beaucoup plus gros, c'est plus lourd, etc. C'est certainement moins durable en termes de capacité à durer mécaniquement. Par contre, c'est beaucoup plus durable d'un point de vue de robustesse, parce qu'on peut la remplacer, il n'y a pas de problème, c'est des champignons qui vont la manger à la fin. En tout cas, c'est une des illustrations. Mais on peut penser à plein d'autres choses. J'ai une collaboration avec Thomas Dehoux à Lyon, son équipe a trouvé que quand on prend un oignon, par exemple, et qu'on s'en ouvre un oignon, dedans il y a une petite membrane, donc ça c'est une monocouche cellulaire, un épiderme. Quand on le fait sécher, cet épiderme d'oignon, et qu'on mesure ses propriétés mécaniques, On voit qu'il a des propriétés... phononiques. Donc il absorbe certaines ondes acoustiques. Pour le faire court, dans nos smartphones, il y a des terres rares qui font ça, qui absorbent des ondes acoustiques. On pourrait très bien imaginer remplacer ces terres rares par des matériaux biosourcés, des textures biosourcées.

  • Speaker #1

    Tout ce que tu nous dis, ça nous rappelle aussi le permacomputing. Avec Audrey, on avait essayé d'approcher un chercheur, peut-être qu'on l'aura l'année prochaine, qui travaille, un chercheur hollandais, Aymeric Monsou, qui travaille sur le permacomputing. Tu connais un petit peu cette Ausha ?

  • Speaker #3

    Non, je ne connais pas bien.

  • Speaker #1

    Parce que dans l'idée du permacomputing, c'est arriver à faire la conjonction de la permaculture et de l'informatique, donc de reprendre les concepts de la permaculture, pour arriver justement à construire des éléments électroniques, numériques, durables, réparables, et qui ne sont pas basés sur des purs éléments de performance. En tout cas, les indicateurs de mesure de leur succès, ce n'est pas que sur la performance.

  • Speaker #3

    D'accord, c'est super intéressant. De nouveau, je ne connais pas bien, mais peut-être le point de vigilance, c'est que si on fait des objets très robustes pour eux-mêmes, ils peuvent toujours être au service d'une destruction du territoire. Par exemple, si on fait des outils techno-numériques hyper robustes, mais qui poussent toujours les gens à passer 12 heures par jour devant leur écran, ce n'est pas robuste, parce que là, on va faire une société hyper canalisée. Ce que je dis souvent, c'est que mon rêve, en fait, ce seraient des applications qui frustreraient leurs utilisateurs pour qu'ils se décrochent de leur écran.

  • Speaker #1

    On en a. Oui, et les applications qui soient sûrement aussi moins... technopaternaliste, dans le sens où on ne nous invite jamais à aller voir qu'est-ce qui ne marche pas. Même sur un appareil, tu parlais des smartphones, on ne nous invite jamais à le réparer nous-mêmes. On nous invite à utiliser un service en fait distant, où tu poses ton appareil, bien souvent il n'est pas réparé, il est remplacé. Et donc cette approche paternaliste de la tech, c'est ça qu'il faut casser quelque part.

  • Speaker #3

    On est infantilisés. On l'a du mieux vu avec le Covid pour d'autres raisons, mais en fait... C'est une société de la performance, c'est une culture de la performance, c'est une culture de la domination et de la violence. Et donc, en fait, on ne se rend pas compte à quel point ce choix du confort nous a désensualisés. On a perdu nos sens, on ne reconnaît plus certaines odeurs, on ne supporte plus de se faire toucher dans le métro, on va dire pardon si quelqu'un nous touche. En fait, on est des humains, on est censés avoir des contacts. Donc tout ça, en fait, ça veut dire qu'on a fait un choix, un certain choix, un certain confort. au détriment d'une part de notre humanité.

  • Speaker #1

    Alors tu dois aussi halluciner de voir ce qui se passe outre-Atlantique. Alors quelque part, comment tu prends cette histoire-là ? Est-ce que ça peut être aussi, donc l'alliance Musk-Trump, une manière pour des personnes comme nous, en fait, de se rendre compte, justement, à quel point la tech peut être un outil de domination ?

  • Speaker #3

    Bien sûr, en fait, on peut presque le dire en une phrase. Le monde est malade et il a élu le symptôme. Trump et Musk, ce sont les symptômes d'un monde malade qui est dans une forme de délire de la performance. Là, on bascule du culte de la performance au délire. Parce que ce que proposent Trump et Musk, parmi tant d'autres choses, mais notamment Musk, c'est d'aller sur Mars, de faire des mines sur des astéroïdes, de faire des bunkers, de construire des villes dans le désert saoudien. C'est que des projets de mort. Les projets des ultra-performances, ce sont que des projets de mort. Avec la robustesse, c'est plutôt des projets de vie, de vivre avec les fluctuations. On ne va pas fuir les fluctuations, on va en faire quelque chose, et quelque chose de beaucoup plus joyeux, parce que c'est vraiment la pulsion de vie, la robustesse. Ces fluctuations, ça va nous stimuler, ça sera un stimulant de l'innovation, de notre vie sur Terre.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs ce que j'ai trouvé très intéressant dans ton approche, c'est qu'on pourrait, parce qu'on a souvent... On est conscient de vivre dans un monde qui va fluctuer de plus en plus, qui va être soumis à des polycrises, comme tu les appelles, et c'est un avenir qui a plutôt tendance à faire peur, et toi, dans les solutions que tu proposes avec l'approche de la robustesse, finalement c'est assez joyeux. Est-ce que tu pourrais nous décrire un petit peu à quoi pourrait ressembler une société dans ce monde de la robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors il y a plein de choses, c'est un monde très pluriel, et en fait ce qui est extraordinaire, c'est que ce n'est pas une utopie, on l'a sous les yeux. ce monde du futur. C'est juste qu'il est sous le radar médiatique, parce que dans les médias, on va beaucoup parler de Trump, de Musk, d'Erdogan, de Netanyahou, enfin tous les ultra-performants, en gros des vieux mâles blancs, ultra-riches et ultra-nerveux rosés, pour le dire rapidement. Donc, c'est ceux-là qui occupent tout l'espace. En fait, quand on regarde le reste, c'est beaucoup plus intéressant. Donc, le tout réparable, il y en a partout, le participatif, le coopératif, donc il y en a vraiment de plus en plus dans tous les champs, notamment le réparable, mais c'est pour plein d'autres champs aussi. L'agroécologie, il faut quand même réaliser que chaque année, on parle beaucoup de crise du bio en ce moment, mais sauf que depuis 20 ans, chaque année, la surface agricole en agroécologie augmente en Europe. Donc c'est ça, le sens du futur, il est là. Mais c'est plein de choses, les conventions citoyennes, le fait que dans les entreprises, le mode d'organisation est de plus en plus horizontal. qu'on commence à mieux dialoguer les uns avec les autres. En fait, on a quand même beaucoup appris de ce burn-out des humains et du burn-out planétaire. On est un peu en train de rétrograder là quand même. Mais rétrograder dans le bon sens du terme. C'est ce que je dis souvent, le mode dégradé qu'on critique tant dans le monde de la performance, c'est le mode robuste. Et le mode performant, c'est le mode fragile.

  • Speaker #0

    Et pour nous, développeurs, développeuses, ça pourrait ressembler à quoi cet avenir ? Comment est-ce qu'on peut contribuer justement à cette robustesse ? Alors, tu nous parlais de construire des applications peut-être un peu ennuyantes. Ça peut être une première piste. Est-ce que tu en as d'autres pour nous ?

  • Speaker #3

    Oui, c'est vrai, ça pourrait être très, très général. C'est d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe des outils ? Et donc, par exemple, je peux donner un exemple très parlant, les ripostes créatifs territoriales. Les ripostes créatifs territoriales, ça s'est créé pendant la crise Covid, quand des citoyens se sont dit, en fait, là, l'État est en train de partir en vrille, on commence à perdre des services. notre territoire n'est pas sûr de garantir certaines viabilités, donc plutôt que de faire chacun dans son coin, on va essayer de se mettre en lien. Et donc là, ils ont développé une plateforme qui permet de mettre en lien des associations qui font des choses plutôt au service des citoyens, donc ils se mettent en réseau. Ça, c'est typiquement une application numérique qui est au service de la viabilité du territoire. Donc là, c'est le pourquoi avant le comment. Après, évidemment, il y a le comment, après on peut faire des technologies sobres, etc., mais il faut d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe cette application ? Et là-dessus, il y a aussi une bonne ressource, c'est le comité humain du numérique à Bruxelles, qui a créé le code du numérique. Donc il a repris toutes les lois belges. Quand on réfléchit bien, les lois, elles ont été créées dans un monde avant le numérique. Et donc il va falloir les remettre à jour, parce que le numérique est là pour rester, comme il y a d'ailleurs, c'est un peu des aliens qui sont arrivés sur Terre, et maintenant il va falloir vivre avec. Sauf que là, en fait, on se fait un peu avoir par leur performance, et donc ils sont en train de prendre le pouvoir. Donc ce n'est pas pour les éliminer. il faut les mettre à leur place, il faut qu'ils soient au service des humains. Le code du numérique des Belges, c'est exactement ça, c'est réécrire les lois pour que le numérique soit au service des humains. Et donc, j'ai envie de dire que les développeurs devraient lire ce code du numérique, par exemple, pour se dire à quel point ce que je fais rentre dans ce cadre-là.

  • Speaker #1

    Et si j'étends la question d'Audrey à l'ingénierie au sens large, il peut y avoir aussi toutes les low-tech ?

  • Speaker #3

    Bien sûr. Le low-tech, c'est exactement ça. C'est des technologies où on ne cherche pas la solution clé en main, mais les conditions dans lesquelles les solutions émergent. Les citoyens sont émancipés et ils sont capables de se rapprocher de la technologie pour en faire des outils à leur service.

  • Speaker #1

    Et on n'est plus dans l'approche paternaliste où justement on le fait pour toi, on le répare pour toi, mais c'est toi qui vas mettre la main dans le cambouis. Je vais revenir juste sur ce que tu disais, c'est pas que je focalise sur Trump et Musk, mais dans leur discours en fait, si tu regardes le discours de Musk, il y a quand même ce truc de long-termisme. Tu vois ? Ou quelque part... L'argument de la performance n'est pas forcément mis en avant. Premier, on va parler de long-termisme. Et du coup, tu vois, pour un non-initié, une personne moins initiée, on va pouvoir confondre justement ces deux concepts. Ça,

  • Speaker #3

    c'est extraordinaire. En fait, ils ont kidnappé le long terme. Ils ont récupéré le long terme aussi. Alors, dans le long-termisme, ça, c'est vraiment du délire performant.

  • Speaker #1

    Peut-être que tu peux rappeler le long-termisme.

  • Speaker #3

    Oui, le long-termisme, c'est un peu ce que je disais d'aller sur Mars, de se congeler, la vie éternelle. Enfin, tous ces projets, en fait, où on... On fait un peu un mirage d'un futur extrêmement désirable, enfin pour eux, au détriment d'une réponse au présent, au problème du monde. Donc en fait, on se projette dans un avenir très désirable, en oubliant complètement les étapes transitoires, et surtout, ce monde futur reste complètement sur les rails de la performance du monde néolibéral. Ce qui est extraordinaire avec ça, c'est que le long-termisme, c'est une récupération, et donc plus on est dans le long-termisme, moins il y a de long terme. Donc ça, c'est un peu le paradoxe. Et puis aussi, ce qui est assez extraordinaire, c'est que si on prend un peu de recul, nous, les humains, par rapport aux non-humains, le seul pouvoir qu'on a, c'est l'écriture. Et avec l'écriture, on a ouvert le temps long. C'est qu'on est capable de lire des textes très anciens et on est capable de spéculer très loin dans l'avenir. Donc on a ouvert le temps long. Qu'est-ce qu'on fait de cette ouverture ? On congèle le futur. Mais quand je dis congeler, c'est la cryogénisation, par exemple. On congèle, on fait des biobanques, des banques de graines, etc. Donc en fait, on congèle comme si on voulait garder le monde tel qu'il est actuellement. Et quand on fait ça, en fait, on se fragilise. Parce qu'on n'est plus dans un monde dynamique. On se rigidifie. Et le long-termisme, c'est de la rigidification, c'est de la congélation. Donc ça ne va pas marcher très longtemps, cela dit. Je pense que Prospera ou Honduras, par exemple, c'est un lieu où on est en train de penser à la vie éternelle, pour une élite... C'est extrêmement fragile, ce truc-là. Ce qu'il y a de bien avec le monde fluctuant, c'est que ça va balayer les ultra-performants.

  • Speaker #1

    Et comment... Un chercheur comme toi, parce que tu es chercheur, on l'a, comme voudrait la préciser dans ton introduction. Et comment tu es pris par tes collègues, en fait ? Je veux dire, c'est quoi ta position ? Est-ce que tout le monde est d'accord avec toi ? Ou est-ce qu'au contraire, on te regarde un peu bizarre ?

  • Speaker #3

    Alors, ce qu'il y a de bien en biologie, c'est que c'est... Alors, évidemment, c'est très divers, mais cette histoire de l'équilibre robustesse-performance, il est quand même travaillé depuis des années. Il y a Robert Ulanovitz, par exemple, dans les écosystèmes qu'il avait montrés dans les années 80-90. Si j'élargis un peu dans le monde de la systémique, de la cybernétique dans les années 60, tout ça c'est très bien décrit, c'est juste que c'était montré de façon assez abstraite, avec beaucoup de maths, beaucoup de systémique un peu complexe, et donc c'était pas trop sorti du laboratoire. Enfin, il y a quand même des écrits, mais là, le vivant, avec l'approche systémique, on se rend compte qu'en fait c'est des choses très très simples, qu'on peut voir dans la vie de tous les jours, et on voit très bien cet équilibre-là. et donc dans le monde scientifique là où il y a il peut y avoir un peu de friction, c'est quand on travaille sur un sujet très précis, parce que quand on est chercheur, très souvent, on travaille sur la protéine X et du coup, on va voir le monde sous l'angle de cette protéine, de cet angle hyper restreint. Et là, on peut se faire piéger par le culte de la performance et se dire, ah ouais, cette protéine, elle a vraiment optimisé sa voie, sa phosphorylation par une kinase, machin, tout un truc là. Sauf qu'en fait, on a complètement oublié que cette protéine, elle est dans une énorme pelote de laine avec plein de redondances, plein d'hétérogénité, plein d'incohérences dans tous les sens. Donc c'est là la force de la systémique, ça remet à sa place son projet de recherche, qui est une toute petite partie d'un système qui est d'abord robuste avant d'être performant. Mais j'ai beaucoup moins de mal à en parler maintenant. Si j'avais dû en parler il y a 40 ans, ça aurait été beaucoup plus dur. À l'époque du tout moléculaire, du tout génétique, où c'était très vertical, le monde des OGM, pour le dire rapidement. Là, on est sortis de ça quand même. On a une vision beaucoup plus large, intégrée des choses, où en fait, on voit bien que ce qui construit le vivant, C'est son imperfection. C'est ça qui fait sa beauté finalement. Le monde parfait est mort. Ou si je le dis différemment, quand on veut être invulnérable, ça veut dire qu'on veut mourir. La vie, c'est d'être vulnérable.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, tu disais qu'on a tendance à faire la chasse au carbone, à diaboliser un petit peu. et en fait... Non, le carbone, c'est la molécule de la vie. Et toi, tu nous dis, il faut recarbonner l'économie.

  • Speaker #3

    Oui, exactement. Recarbonner l'économie, ça veut dire qu'en fait, c'est plutôt en comparaison à décarboner l'économie, parce que quand on décarbone l'économie, ce qu'on fait, et Aurore, Stéphane en parlerait mieux que moi, on remplace le pétrole par des métaux. Et donc les pollutions en métaux sont assez terribles. Donc en fait, c'est pas décarboner l'économie qu'il faut faire, il faut décombustionner l'économie. Il faut arrêter de brûler du carbone pour émettre du CO2. Ça, on est d'accord. Donc arrêtez de brûler du bois, du charbon, du pétrole, des biocarburants, tout ça, ça émet du CO2. Donc décombustionnez l'économie, mais par contre, il faut recarbonner l'économie. Donc tout ce qui dépend du pétrole et des métaux, il va falloir le remplacer par des objets biosourcés, biodégradables. Et ça, c'est ce qu'on appelle la bioéconomie circulaire. Donc quand on parle d'économie circulaire, il faut aller jusqu'au bout. Et donc si c'est circulaire, il faut que ça dépende du carbone. Le carbone, c'est l'atome magique de la vie. Et donc il va falloir qu'on se branche avec les non-humains, avec nos technologies. technosphère cycle comme les autres sphères, comme l'atmosphère, comme l'hydrosphère, enfin toutes les autres sphères terrestres.

  • Speaker #0

    Et ce qui est intéressant avec ça, c'est qu'il faut changer de mode de pensée jusqu'au bout, puisqu'on peut reprendre l'exemple des batteries dont on parlait tout à l'heure, qui sont faites à partir de déchets de bois. On ne va pas planter des forêts pour produire ces batteries.

  • Speaker #3

    Bien sûr. Alors exactement, ça c'est un point de vigilance. Nous, en fait, dans le monde de la performance, on a utilisé les écosystèmes de façon extractiviste. On a extrait la biomasse et donc on a extrait la matière organique des sols. Et en fait, on est en train de créer des déserts sur Terre. Enfin, il faut quand même le faire, parce qu'on ne rend pas ce carbone à la Terre. Donc il faut que la biomasse qui est produite dans les champs, dans les forêts, retourne au sol. Et c'est d'abord ça qu'il faut faire. Ensuite, il y a des aliments qui sortent de cette biomasse, donc ça, ça va nous nourrir. Et c'est seulement le reliquat qui doit nourrir les biomatériaux. En tout cas, cette économie. Mais en fait, on n'aura aucun problème à produire beaucoup plus de biomasse. Si je prends juste un exemple... Un champ de blé, par exemple, le rendement en biomasse totale, son rendement, c'est celui d'une savane. C'est que six mois dans l'année, il n'y a rien. Et puis quand il y a quelque chose, c'est des petites plantes avec des petites tiges, des petites racines, ça ne produit rien du tout en biomasse. Donc ce qu'on peut très bien imaginer et ce qu'on va faire dans l'avenir, c'est de l'agroforesterie, donc des arbres plantés sur des champs. Et là, ça produit beaucoup plus de carbone par mètre carré. Et là, ça sera parfait, ça protégera des fluctuations, de la grêle, des intempéries. ça maintiendra l'hygrométrie des champs et en plus, ça produira plus de biomasse, des châtaignes, des feuilles, etc.

  • Speaker #1

    Nous arrivons à la fin de cet échange passionnant, Olivier, et avant de partir, on a une petite traduction, tradition, pardon, mixitonnaire. Est-ce que tu pourrais partager avec nos auditrices et nos auditeurs une ressource incontournable ? Alors, ça peut être un site, ça peut être une autrice, un auteur, un outil qui t'a inspiré pour une tech plus éthique.

  • Speaker #3

    Alors, je vais en citer peut-être quelques-unes, si je peux.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #3

    J'aime bien citer Georges Bataille, La part maudite. C'est un bouquin de 1949 et qui dit que quand les humains ont accès à plus de ressources, plus d'énergie, ils essayent de la dissiper le plus vite possible. Donc ça, c'est La part maudite, parce que la façon la plus rapide de dissiper cet excès de ressources et d'énergie, c'est de faire la guerre. Donc, il faut bien se poser la question, par exemple, sur la question de l'énergie. À partir de quand, de combien d'énergie bascule-t-on dans La part maudite ? C'est pas tellement une question de comment on fait de l'énergie, mais de combien est-on besoin. Il y aura aussi peut-être Homo Confort de Stefano Bonni, que je cite beaucoup, qui parle de ce monde où on a nos interactions avec le monde, c'est par des écrans et des boutons poussoirs. Et on oublie un peu qu'on a aussi des sens et qu'on peut communiquer avec les autres comme ça. Et puis le dernier point peut-être, c'est les communautés apprenantes sur le site larobustesse.org. Donc si vous voulez développer votre robustesse dans votre territoire, dans votre entreprise... dans votre association. C'est une plateforme qui offre des outils tout en open access et aussi une communauté de gens qui sont en chemin sur la Robus S. Et donc là, il y a plein de choses à apprendre, plein de choses à développer.

  • Speaker #1

    Eh bien, merci. Merci infiniment pour ta participation aujourd'hui, Olivier. Je rappelle à nos auditrices et auditeurs que vous pouvez retrouver la conférence complète d'Olivier en replay sur la chaîne YouTube de Mixit. Et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à vous abonner et à partager le podcast autour de vous. Et d'ici là, gardez en tête que pour une tech éthique, il faut garder l'esprit ouvert et critique. A bientôt !

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Description

Dans cet épisode, nous discutons avec Olivier Hamant, biologiste et chercheur à l'INRAE, pour explorer comment la robustesse pourrait redéfinir la culture tech. Olivier nous explique pourquoi l'obsession de la performance nous rend fragiles et comment les principes biologiques de la robustesse, observés dans la nature, peuvent nous inspirer une approche différente. Nous abordons les défis concrets : relocaliser les industries, remplacer les métaux par des matériaux biosourcés, et repenser nos technologies pour qu'elles servent les humains plutôt que de les dominer. Un épisode qui croise biologie, éthique et pragmatisme pour construire un futur vraiment durable.

Invité.es :
- Olivier Hamant

Interviewers :
- Audrey Neveu
- Agnès Crepet

Liens de l'épisode :
- https://larobustesse.org
- https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/homo-confort
- https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Part_maudite-1922-1-1-0-1.html
- https://mixitconf.org/2025/robustesse-une-nouvelle-culture-tech-

Enregistré le mardi 29 avril 2025 lors de MiXiX 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Mixit On Air, où la tech rime avec l'éthique. Je suis Audrey.

  • Speaker #1

    Et moi je suis Agnès.

  • Speaker #0

    Et à chaque épisode, nous plongeons dans les coulisses de la conférence Mixit pour vous faire découvrir les innovateurs et innovatrices qui façonneront notre avenir numérique. Aujourd'hui, on a le plaisir d'accueillir Olivier Hamand, biologiste, chercheur à l'INRAE, et avec lui, nous allons explorer la robustesse pour voir si elle peut être l'avenir de la culture tech.

  • Speaker #2

    On saute la terre, on saute la terre. Et pointe, pointe, pointe. Je vais vous prendre une crêpe au sucre.

  • Speaker #0

    Alors Olivier, bienvenue sur Mixituner.

  • Speaker #3

    Merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    On va commencer. Est-ce que tu pourrais nous réintroduire le concept de robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors la robustesse, c'est un système qui est robuste en fait, il maintient sa stabilité et sa viabilité malgré les fluctuations. On parlait typiquement d'un arbre, il est robuste parce qu'il est capable de gérer du vent. Mais aussi en poussant, il est capable de garder sa vie, de vivre avec des changements d'hygrométrie, de salinité.

  • Speaker #0

    Et comment ça vient se confronter au concept de performance ?

  • Speaker #3

    Oui, en effet, ça se confronte bien. Parce que la performance, c'est la définition du contrôleur de gestion. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. Efficacité, atteindre son objectif. Efficience, avec le moins de moyens possible. donc quand on est très performant, on s'est plutôt canalisé, on s'est plutôt sur-optimisé, sur-spécialisé, et du coup on a perdu en adaptabilité et donc on est moins robuste. En fait, il y a une sorte de trade-off, de compromis entre robustesse et performance. En général, quand on est très robuste, on a beaucoup diversifié, on explore, on expérimente, et bien ça, ça a un coût en performance. Et donc il y a ce compromis à trouver et donc il va dépendre du niveau de fluctuation du monde.

  • Speaker #1

    Mais nous, ça ne va pas du tout, parce qu'Olivier, nous sommes développeuses, développeurs. et on nous a appris depuis tout petit, en tout cas depuis nos écoles, qu'il fallait être performant et performante. Donc comment on fait ?

  • Speaker #3

    En effet, c'est une révolution culturelle et il va falloir oser désobéir au catéchisme performant. Et je pèse à peu près tous mes mots. C'est-à-dire que c'est vraiment un culte, un catéchisme. C'est-à-dire qu'on nous a, pendant des années, alors ce n'est pas que dans les écoles de développement, c'est les écoles de commerce, les écoles de management, c'est vraiment absolument partout. On pense que quand il y a une crise, il faut augmenter les performances. Et le pire, c'est que ça marche. Mais ça marche à court terme. Et en fait, quand on a optimisé, du coup, ça marche un peu mieux après. Par exemple, après la crise financière, on a optimisé les hôpitaux. On a enlevé des lits dans les hôpitaux. Sauf qu'il y a eu la crise Covid après. Et là, on s'est rendu compte que c'était beaucoup trop fragile. Donc, il va vraiment falloir dérailler de ce culte de la performance. Et ça, ça demande de l'éducation, mais déjà, comprendre. que la performance, ce n'est pas la solution. C'est juste une des solutions. Il faut d'abord mettre le primat sur la robustesse.

  • Speaker #0

    Et alors, qu'est-ce qui, dans ton parcours, t'a amené à t'intéresser justement à la robustesse ? Et à remettre en cause ce culte de la performance ?

  • Speaker #3

    En fait, c'est même mes études de biologie. Quand moi, j'ai fait des études de biologie, comme tout biologiste, je me suis rendu compte qu'on m'enseignait la biologie sous l'angle de la performance. Quand on regarde bien les livres de biologie, il y a beaucoup de performances à tous les tournants, des organigrammes, tout ça. En fait, on est obsédé par la performance et du coup, ça se transcrit dans l'éducation à la biologie. Et quand j'étais chercheur, que j'ai commencé à observer, enfin qu'on a commencé, c'est toujours un travail d'équipe, à regarder les plantes, les cellules, tout ça, on se rend compte, quand on regarde au microscope, par exemple, qu'une plante, elle fait des fleurs qui sont toutes similaires. Donc, on pourrait se dire, il y a un programme génétique qui fait qu'elles ont toutes les mêmes fleurs. En fait, on se rend compte que non, il y a des gènes, mais il n'y a pas de programme. c'est beaucoup plus erratique, c'est très variable, et c'est plutôt... Les hétérogénités locales qui génèrent beaucoup de richesses d'informations, et c'est ça qui nourrit la robustesse, la reproductibilité des formes. C'est presque en observant les plantes qu'on se rend compte que les êtres vivants sont robustes avant d'être performants. Et c'est bien tombé parce que c'était à une époque, ça fait en gros 20-30 ans, que l'approche systémique s'est invitée en biologie et que ça a vraiment révolutionné notre vision du vivant. On voit bien que c'est la robustesse qui domine. dans les écosystèmes.

  • Speaker #1

    Et à ton avis, comment ces principes pourraient être intégrés dans nos compagnies, nos entreprises, et plus généralement à l'écosystème de la technologie ?

  • Speaker #3

    Ce qui est extraordinaire, c'est que c'est déjà le cas. C'est déjà en train de s'intégrer, mais sous le radar. Les entreprises, les associations, le monde de la tech, et ceux qui sont les plus soumis aux fluctuations du monde, qui font face à des ruptures, à des pénuries chroniques de ressources, à des grosses instabilités, développent de la robustesse. Alors très souvent, c'est de la robustesse à minima qui se résume à de la gestion des risques. Donc là, on va plutôt maintenir la stabilité du système malgré les fluctuations. Alors c'est pas suffisant, parce que si on maintient la stabilité mais que le système n'est pas viable, ça va quand même se planter. Mais la première étape, c'est déjà de se rendre compte qu'on a besoin de redondance, d'hétérogénité, d'incohérence, d'inachèvement, des choses qui ne sont pas terminées finalement. pour pouvoir continuer à faire évoluer les systèmes. Ça, c'est le premier pas. Juste une redondance de base. Mais ce n'est pas suffisant, parce que maintenant, il faut comprendre que ce qu'on produit, ça doit aussi nourrir la viabilité du territoire. Et là, seulement à cette gamme-là, finalement, ça permettra de vraiment faire de la robustesse sur le temps long.

  • Speaker #1

    Alors, quand tu parles de territoire, tu vois, moi, je travaille dans l'électronique et les puces, malgré le fait que ma boîte est un peu différente parce qu'on fait beaucoup de réparabilité. Néanmoins, nos puces, on les prend à Taïwan ou on les prend en Chine. Donc, comment ça peut s'orchestrer en fait ?

  • Speaker #3

    Alors, bien sûr, il va falloir relocaliser une bonne partie des activités. C'est une évidence. D'ailleurs, les États-Unis sont assez en avance là-dessus. Enfin, bizarrement, on critique beaucoup Trump en ce moment, mais... Bien avant Trump, ils étaient déjà en train de relocaliser beaucoup leur industrie, parce qu'ils se rendent bien compte qu'ils sont dépendants de la Chine bien trop fortement. Et donc ils ont relocalisé l'Europe. Alors, on commence à le faire un peu aussi, mais c'est aussi pour les médicaments, pour des tas de choses. Mais on est un peu les naïfs du village en Europe, j'ai envie de dire. On reste encore dans une sorte de mondialisation heureuse. Bon, c'est terminé tout ça. La mondialisation performante, c'est un zombie. Et là, on est en train de faire de l'acharnement thérapeutique. Et Trump est en train de sortir le défibrillateur, on pourrait le dire comme ça. Donc il va falloir vraiment réaliser que tout ça c'est terminé, qu'il va falloir beaucoup plus régionaliser les choses. Et donc en effet, il y a un champ ouvert pour le champ de la tech, pour développer des industries locales, biosourcées aussi, beaucoup plus. Il y a beaucoup de choses à inventer dans les territoires.

  • Speaker #1

    Alors si tu nous dis ça, les copains et copines qui sont dans l'Allier et qui luttent contre l'installation d'une mine de lithium, qu'est-ce qu'on leur dit à ces gens-là ?

  • Speaker #3

    Ils ont tout à fait raison. La mine de lithium dans l'Allier, c'est une hérésie. Si on la construit, cette mine, il faudra évacuer 150 000 personnes à terme. Donc le lithium, c'est un métal au sens géologique du terme. C'est vraiment une hérésie, quelque part. Encore une fois, il vaut mieux avoir une nappe de pétrole qu'une nappe de lithium dans son territoire. Il faut quand même le réaliser. Ça, c'est des polluants éternels, permanents. Si on prend la vallée de l'Arsenic, à côté de Carcassonne, c'est à côté d'une mine d'or. Donc en fait, ces polluants éternels, ça va être très problématique. Donc il faut vraiment recarbonner, comme je dis souvent, il faut biosourcer nos produits. Et donc dans l'électronique, dans la tech, il va falloir sortir du monde du pétrole et des métaux en utilisant des matériaux biosourcés. Donc par exemple, stocker les données numériques dans l'ADN, ça c'est une voie d'avenir. Mais il y a plein d'autres choses à inventer.

  • Speaker #0

    Et notamment pour les batteries, il y a une solution assez intéressante, basée sur des produits tout à fait naturels.

  • Speaker #3

    Oui, par exemple, c'est Linea, mais il y a d'autres boîtes aussi qui font ça. qui prennent du bois, ils extraient la cellulose en général pour faire du papier, et puis le déchet qui est souvent valorisé pour être brûlé, eux ils ne le brûlent pas, ils le font sécher, en fait ils font des films de lignine, et ces films de lignine permettent de stocker l'électricité. Et donc là on a inventé une batterie produite localement et biodégradable. Alors c'est beaucoup moins performant qu'une batterie au lithium, il ne faut pas rêver, c'est beaucoup plus gros, c'est plus lourd, etc. C'est certainement moins durable en termes de capacité à durer mécaniquement. Par contre, c'est beaucoup plus durable d'un point de vue de robustesse, parce qu'on peut la remplacer, il n'y a pas de problème, c'est des champignons qui vont la manger à la fin. En tout cas, c'est une des illustrations. Mais on peut penser à plein d'autres choses. J'ai une collaboration avec Thomas Dehoux à Lyon, son équipe a trouvé que quand on prend un oignon, par exemple, et qu'on s'en ouvre un oignon, dedans il y a une petite membrane, donc ça c'est une monocouche cellulaire, un épiderme. Quand on le fait sécher, cet épiderme d'oignon, et qu'on mesure ses propriétés mécaniques, On voit qu'il a des propriétés... phononiques. Donc il absorbe certaines ondes acoustiques. Pour le faire court, dans nos smartphones, il y a des terres rares qui font ça, qui absorbent des ondes acoustiques. On pourrait très bien imaginer remplacer ces terres rares par des matériaux biosourcés, des textures biosourcées.

  • Speaker #1

    Tout ce que tu nous dis, ça nous rappelle aussi le permacomputing. Avec Audrey, on avait essayé d'approcher un chercheur, peut-être qu'on l'aura l'année prochaine, qui travaille, un chercheur hollandais, Aymeric Monsou, qui travaille sur le permacomputing. Tu connais un petit peu cette Ausha ?

  • Speaker #3

    Non, je ne connais pas bien.

  • Speaker #1

    Parce que dans l'idée du permacomputing, c'est arriver à faire la conjonction de la permaculture et de l'informatique, donc de reprendre les concepts de la permaculture, pour arriver justement à construire des éléments électroniques, numériques, durables, réparables, et qui ne sont pas basés sur des purs éléments de performance. En tout cas, les indicateurs de mesure de leur succès, ce n'est pas que sur la performance.

  • Speaker #3

    D'accord, c'est super intéressant. De nouveau, je ne connais pas bien, mais peut-être le point de vigilance, c'est que si on fait des objets très robustes pour eux-mêmes, ils peuvent toujours être au service d'une destruction du territoire. Par exemple, si on fait des outils techno-numériques hyper robustes, mais qui poussent toujours les gens à passer 12 heures par jour devant leur écran, ce n'est pas robuste, parce que là, on va faire une société hyper canalisée. Ce que je dis souvent, c'est que mon rêve, en fait, ce seraient des applications qui frustreraient leurs utilisateurs pour qu'ils se décrochent de leur écran.

  • Speaker #1

    On en a. Oui, et les applications qui soient sûrement aussi moins... technopaternaliste, dans le sens où on ne nous invite jamais à aller voir qu'est-ce qui ne marche pas. Même sur un appareil, tu parlais des smartphones, on ne nous invite jamais à le réparer nous-mêmes. On nous invite à utiliser un service en fait distant, où tu poses ton appareil, bien souvent il n'est pas réparé, il est remplacé. Et donc cette approche paternaliste de la tech, c'est ça qu'il faut casser quelque part.

  • Speaker #3

    On est infantilisés. On l'a du mieux vu avec le Covid pour d'autres raisons, mais en fait... C'est une société de la performance, c'est une culture de la performance, c'est une culture de la domination et de la violence. Et donc, en fait, on ne se rend pas compte à quel point ce choix du confort nous a désensualisés. On a perdu nos sens, on ne reconnaît plus certaines odeurs, on ne supporte plus de se faire toucher dans le métro, on va dire pardon si quelqu'un nous touche. En fait, on est des humains, on est censés avoir des contacts. Donc tout ça, en fait, ça veut dire qu'on a fait un choix, un certain choix, un certain confort. au détriment d'une part de notre humanité.

  • Speaker #1

    Alors tu dois aussi halluciner de voir ce qui se passe outre-Atlantique. Alors quelque part, comment tu prends cette histoire-là ? Est-ce que ça peut être aussi, donc l'alliance Musk-Trump, une manière pour des personnes comme nous, en fait, de se rendre compte, justement, à quel point la tech peut être un outil de domination ?

  • Speaker #3

    Bien sûr, en fait, on peut presque le dire en une phrase. Le monde est malade et il a élu le symptôme. Trump et Musk, ce sont les symptômes d'un monde malade qui est dans une forme de délire de la performance. Là, on bascule du culte de la performance au délire. Parce que ce que proposent Trump et Musk, parmi tant d'autres choses, mais notamment Musk, c'est d'aller sur Mars, de faire des mines sur des astéroïdes, de faire des bunkers, de construire des villes dans le désert saoudien. C'est que des projets de mort. Les projets des ultra-performances, ce sont que des projets de mort. Avec la robustesse, c'est plutôt des projets de vie, de vivre avec les fluctuations. On ne va pas fuir les fluctuations, on va en faire quelque chose, et quelque chose de beaucoup plus joyeux, parce que c'est vraiment la pulsion de vie, la robustesse. Ces fluctuations, ça va nous stimuler, ça sera un stimulant de l'innovation, de notre vie sur Terre.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs ce que j'ai trouvé très intéressant dans ton approche, c'est qu'on pourrait, parce qu'on a souvent... On est conscient de vivre dans un monde qui va fluctuer de plus en plus, qui va être soumis à des polycrises, comme tu les appelles, et c'est un avenir qui a plutôt tendance à faire peur, et toi, dans les solutions que tu proposes avec l'approche de la robustesse, finalement c'est assez joyeux. Est-ce que tu pourrais nous décrire un petit peu à quoi pourrait ressembler une société dans ce monde de la robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors il y a plein de choses, c'est un monde très pluriel, et en fait ce qui est extraordinaire, c'est que ce n'est pas une utopie, on l'a sous les yeux. ce monde du futur. C'est juste qu'il est sous le radar médiatique, parce que dans les médias, on va beaucoup parler de Trump, de Musk, d'Erdogan, de Netanyahou, enfin tous les ultra-performants, en gros des vieux mâles blancs, ultra-riches et ultra-nerveux rosés, pour le dire rapidement. Donc, c'est ceux-là qui occupent tout l'espace. En fait, quand on regarde le reste, c'est beaucoup plus intéressant. Donc, le tout réparable, il y en a partout, le participatif, le coopératif, donc il y en a vraiment de plus en plus dans tous les champs, notamment le réparable, mais c'est pour plein d'autres champs aussi. L'agroécologie, il faut quand même réaliser que chaque année, on parle beaucoup de crise du bio en ce moment, mais sauf que depuis 20 ans, chaque année, la surface agricole en agroécologie augmente en Europe. Donc c'est ça, le sens du futur, il est là. Mais c'est plein de choses, les conventions citoyennes, le fait que dans les entreprises, le mode d'organisation est de plus en plus horizontal. qu'on commence à mieux dialoguer les uns avec les autres. En fait, on a quand même beaucoup appris de ce burn-out des humains et du burn-out planétaire. On est un peu en train de rétrograder là quand même. Mais rétrograder dans le bon sens du terme. C'est ce que je dis souvent, le mode dégradé qu'on critique tant dans le monde de la performance, c'est le mode robuste. Et le mode performant, c'est le mode fragile.

  • Speaker #0

    Et pour nous, développeurs, développeuses, ça pourrait ressembler à quoi cet avenir ? Comment est-ce qu'on peut contribuer justement à cette robustesse ? Alors, tu nous parlais de construire des applications peut-être un peu ennuyantes. Ça peut être une première piste. Est-ce que tu en as d'autres pour nous ?

  • Speaker #3

    Oui, c'est vrai, ça pourrait être très, très général. C'est d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe des outils ? Et donc, par exemple, je peux donner un exemple très parlant, les ripostes créatifs territoriales. Les ripostes créatifs territoriales, ça s'est créé pendant la crise Covid, quand des citoyens se sont dit, en fait, là, l'État est en train de partir en vrille, on commence à perdre des services. notre territoire n'est pas sûr de garantir certaines viabilités, donc plutôt que de faire chacun dans son coin, on va essayer de se mettre en lien. Et donc là, ils ont développé une plateforme qui permet de mettre en lien des associations qui font des choses plutôt au service des citoyens, donc ils se mettent en réseau. Ça, c'est typiquement une application numérique qui est au service de la viabilité du territoire. Donc là, c'est le pourquoi avant le comment. Après, évidemment, il y a le comment, après on peut faire des technologies sobres, etc., mais il faut d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe cette application ? Et là-dessus, il y a aussi une bonne ressource, c'est le comité humain du numérique à Bruxelles, qui a créé le code du numérique. Donc il a repris toutes les lois belges. Quand on réfléchit bien, les lois, elles ont été créées dans un monde avant le numérique. Et donc il va falloir les remettre à jour, parce que le numérique est là pour rester, comme il y a d'ailleurs, c'est un peu des aliens qui sont arrivés sur Terre, et maintenant il va falloir vivre avec. Sauf que là, en fait, on se fait un peu avoir par leur performance, et donc ils sont en train de prendre le pouvoir. Donc ce n'est pas pour les éliminer. il faut les mettre à leur place, il faut qu'ils soient au service des humains. Le code du numérique des Belges, c'est exactement ça, c'est réécrire les lois pour que le numérique soit au service des humains. Et donc, j'ai envie de dire que les développeurs devraient lire ce code du numérique, par exemple, pour se dire à quel point ce que je fais rentre dans ce cadre-là.

  • Speaker #1

    Et si j'étends la question d'Audrey à l'ingénierie au sens large, il peut y avoir aussi toutes les low-tech ?

  • Speaker #3

    Bien sûr. Le low-tech, c'est exactement ça. C'est des technologies où on ne cherche pas la solution clé en main, mais les conditions dans lesquelles les solutions émergent. Les citoyens sont émancipés et ils sont capables de se rapprocher de la technologie pour en faire des outils à leur service.

  • Speaker #1

    Et on n'est plus dans l'approche paternaliste où justement on le fait pour toi, on le répare pour toi, mais c'est toi qui vas mettre la main dans le cambouis. Je vais revenir juste sur ce que tu disais, c'est pas que je focalise sur Trump et Musk, mais dans leur discours en fait, si tu regardes le discours de Musk, il y a quand même ce truc de long-termisme. Tu vois ? Ou quelque part... L'argument de la performance n'est pas forcément mis en avant. Premier, on va parler de long-termisme. Et du coup, tu vois, pour un non-initié, une personne moins initiée, on va pouvoir confondre justement ces deux concepts. Ça,

  • Speaker #3

    c'est extraordinaire. En fait, ils ont kidnappé le long terme. Ils ont récupéré le long terme aussi. Alors, dans le long-termisme, ça, c'est vraiment du délire performant.

  • Speaker #1

    Peut-être que tu peux rappeler le long-termisme.

  • Speaker #3

    Oui, le long-termisme, c'est un peu ce que je disais d'aller sur Mars, de se congeler, la vie éternelle. Enfin, tous ces projets, en fait, où on... On fait un peu un mirage d'un futur extrêmement désirable, enfin pour eux, au détriment d'une réponse au présent, au problème du monde. Donc en fait, on se projette dans un avenir très désirable, en oubliant complètement les étapes transitoires, et surtout, ce monde futur reste complètement sur les rails de la performance du monde néolibéral. Ce qui est extraordinaire avec ça, c'est que le long-termisme, c'est une récupération, et donc plus on est dans le long-termisme, moins il y a de long terme. Donc ça, c'est un peu le paradoxe. Et puis aussi, ce qui est assez extraordinaire, c'est que si on prend un peu de recul, nous, les humains, par rapport aux non-humains, le seul pouvoir qu'on a, c'est l'écriture. Et avec l'écriture, on a ouvert le temps long. C'est qu'on est capable de lire des textes très anciens et on est capable de spéculer très loin dans l'avenir. Donc on a ouvert le temps long. Qu'est-ce qu'on fait de cette ouverture ? On congèle le futur. Mais quand je dis congeler, c'est la cryogénisation, par exemple. On congèle, on fait des biobanques, des banques de graines, etc. Donc en fait, on congèle comme si on voulait garder le monde tel qu'il est actuellement. Et quand on fait ça, en fait, on se fragilise. Parce qu'on n'est plus dans un monde dynamique. On se rigidifie. Et le long-termisme, c'est de la rigidification, c'est de la congélation. Donc ça ne va pas marcher très longtemps, cela dit. Je pense que Prospera ou Honduras, par exemple, c'est un lieu où on est en train de penser à la vie éternelle, pour une élite... C'est extrêmement fragile, ce truc-là. Ce qu'il y a de bien avec le monde fluctuant, c'est que ça va balayer les ultra-performants.

  • Speaker #1

    Et comment... Un chercheur comme toi, parce que tu es chercheur, on l'a, comme voudrait la préciser dans ton introduction. Et comment tu es pris par tes collègues, en fait ? Je veux dire, c'est quoi ta position ? Est-ce que tout le monde est d'accord avec toi ? Ou est-ce qu'au contraire, on te regarde un peu bizarre ?

  • Speaker #3

    Alors, ce qu'il y a de bien en biologie, c'est que c'est... Alors, évidemment, c'est très divers, mais cette histoire de l'équilibre robustesse-performance, il est quand même travaillé depuis des années. Il y a Robert Ulanovitz, par exemple, dans les écosystèmes qu'il avait montrés dans les années 80-90. Si j'élargis un peu dans le monde de la systémique, de la cybernétique dans les années 60, tout ça c'est très bien décrit, c'est juste que c'était montré de façon assez abstraite, avec beaucoup de maths, beaucoup de systémique un peu complexe, et donc c'était pas trop sorti du laboratoire. Enfin, il y a quand même des écrits, mais là, le vivant, avec l'approche systémique, on se rend compte qu'en fait c'est des choses très très simples, qu'on peut voir dans la vie de tous les jours, et on voit très bien cet équilibre-là. et donc dans le monde scientifique là où il y a il peut y avoir un peu de friction, c'est quand on travaille sur un sujet très précis, parce que quand on est chercheur, très souvent, on travaille sur la protéine X et du coup, on va voir le monde sous l'angle de cette protéine, de cet angle hyper restreint. Et là, on peut se faire piéger par le culte de la performance et se dire, ah ouais, cette protéine, elle a vraiment optimisé sa voie, sa phosphorylation par une kinase, machin, tout un truc là. Sauf qu'en fait, on a complètement oublié que cette protéine, elle est dans une énorme pelote de laine avec plein de redondances, plein d'hétérogénité, plein d'incohérences dans tous les sens. Donc c'est là la force de la systémique, ça remet à sa place son projet de recherche, qui est une toute petite partie d'un système qui est d'abord robuste avant d'être performant. Mais j'ai beaucoup moins de mal à en parler maintenant. Si j'avais dû en parler il y a 40 ans, ça aurait été beaucoup plus dur. À l'époque du tout moléculaire, du tout génétique, où c'était très vertical, le monde des OGM, pour le dire rapidement. Là, on est sortis de ça quand même. On a une vision beaucoup plus large, intégrée des choses, où en fait, on voit bien que ce qui construit le vivant, C'est son imperfection. C'est ça qui fait sa beauté finalement. Le monde parfait est mort. Ou si je le dis différemment, quand on veut être invulnérable, ça veut dire qu'on veut mourir. La vie, c'est d'être vulnérable.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, tu disais qu'on a tendance à faire la chasse au carbone, à diaboliser un petit peu. et en fait... Non, le carbone, c'est la molécule de la vie. Et toi, tu nous dis, il faut recarbonner l'économie.

  • Speaker #3

    Oui, exactement. Recarbonner l'économie, ça veut dire qu'en fait, c'est plutôt en comparaison à décarboner l'économie, parce que quand on décarbone l'économie, ce qu'on fait, et Aurore, Stéphane en parlerait mieux que moi, on remplace le pétrole par des métaux. Et donc les pollutions en métaux sont assez terribles. Donc en fait, c'est pas décarboner l'économie qu'il faut faire, il faut décombustionner l'économie. Il faut arrêter de brûler du carbone pour émettre du CO2. Ça, on est d'accord. Donc arrêtez de brûler du bois, du charbon, du pétrole, des biocarburants, tout ça, ça émet du CO2. Donc décombustionnez l'économie, mais par contre, il faut recarbonner l'économie. Donc tout ce qui dépend du pétrole et des métaux, il va falloir le remplacer par des objets biosourcés, biodégradables. Et ça, c'est ce qu'on appelle la bioéconomie circulaire. Donc quand on parle d'économie circulaire, il faut aller jusqu'au bout. Et donc si c'est circulaire, il faut que ça dépende du carbone. Le carbone, c'est l'atome magique de la vie. Et donc il va falloir qu'on se branche avec les non-humains, avec nos technologies. technosphère cycle comme les autres sphères, comme l'atmosphère, comme l'hydrosphère, enfin toutes les autres sphères terrestres.

  • Speaker #0

    Et ce qui est intéressant avec ça, c'est qu'il faut changer de mode de pensée jusqu'au bout, puisqu'on peut reprendre l'exemple des batteries dont on parlait tout à l'heure, qui sont faites à partir de déchets de bois. On ne va pas planter des forêts pour produire ces batteries.

  • Speaker #3

    Bien sûr. Alors exactement, ça c'est un point de vigilance. Nous, en fait, dans le monde de la performance, on a utilisé les écosystèmes de façon extractiviste. On a extrait la biomasse et donc on a extrait la matière organique des sols. Et en fait, on est en train de créer des déserts sur Terre. Enfin, il faut quand même le faire, parce qu'on ne rend pas ce carbone à la Terre. Donc il faut que la biomasse qui est produite dans les champs, dans les forêts, retourne au sol. Et c'est d'abord ça qu'il faut faire. Ensuite, il y a des aliments qui sortent de cette biomasse, donc ça, ça va nous nourrir. Et c'est seulement le reliquat qui doit nourrir les biomatériaux. En tout cas, cette économie. Mais en fait, on n'aura aucun problème à produire beaucoup plus de biomasse. Si je prends juste un exemple... Un champ de blé, par exemple, le rendement en biomasse totale, son rendement, c'est celui d'une savane. C'est que six mois dans l'année, il n'y a rien. Et puis quand il y a quelque chose, c'est des petites plantes avec des petites tiges, des petites racines, ça ne produit rien du tout en biomasse. Donc ce qu'on peut très bien imaginer et ce qu'on va faire dans l'avenir, c'est de l'agroforesterie, donc des arbres plantés sur des champs. Et là, ça produit beaucoup plus de carbone par mètre carré. Et là, ça sera parfait, ça protégera des fluctuations, de la grêle, des intempéries. ça maintiendra l'hygrométrie des champs et en plus, ça produira plus de biomasse, des châtaignes, des feuilles, etc.

  • Speaker #1

    Nous arrivons à la fin de cet échange passionnant, Olivier, et avant de partir, on a une petite traduction, tradition, pardon, mixitonnaire. Est-ce que tu pourrais partager avec nos auditrices et nos auditeurs une ressource incontournable ? Alors, ça peut être un site, ça peut être une autrice, un auteur, un outil qui t'a inspiré pour une tech plus éthique.

  • Speaker #3

    Alors, je vais en citer peut-être quelques-unes, si je peux.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #3

    J'aime bien citer Georges Bataille, La part maudite. C'est un bouquin de 1949 et qui dit que quand les humains ont accès à plus de ressources, plus d'énergie, ils essayent de la dissiper le plus vite possible. Donc ça, c'est La part maudite, parce que la façon la plus rapide de dissiper cet excès de ressources et d'énergie, c'est de faire la guerre. Donc, il faut bien se poser la question, par exemple, sur la question de l'énergie. À partir de quand, de combien d'énergie bascule-t-on dans La part maudite ? C'est pas tellement une question de comment on fait de l'énergie, mais de combien est-on besoin. Il y aura aussi peut-être Homo Confort de Stefano Bonni, que je cite beaucoup, qui parle de ce monde où on a nos interactions avec le monde, c'est par des écrans et des boutons poussoirs. Et on oublie un peu qu'on a aussi des sens et qu'on peut communiquer avec les autres comme ça. Et puis le dernier point peut-être, c'est les communautés apprenantes sur le site larobustesse.org. Donc si vous voulez développer votre robustesse dans votre territoire, dans votre entreprise... dans votre association. C'est une plateforme qui offre des outils tout en open access et aussi une communauté de gens qui sont en chemin sur la Robus S. Et donc là, il y a plein de choses à apprendre, plein de choses à développer.

  • Speaker #1

    Eh bien, merci. Merci infiniment pour ta participation aujourd'hui, Olivier. Je rappelle à nos auditrices et auditeurs que vous pouvez retrouver la conférence complète d'Olivier en replay sur la chaîne YouTube de Mixit. Et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à vous abonner et à partager le podcast autour de vous. Et d'ici là, gardez en tête que pour une tech éthique, il faut garder l'esprit ouvert et critique. A bientôt !

Description

Dans cet épisode, nous discutons avec Olivier Hamant, biologiste et chercheur à l'INRAE, pour explorer comment la robustesse pourrait redéfinir la culture tech. Olivier nous explique pourquoi l'obsession de la performance nous rend fragiles et comment les principes biologiques de la robustesse, observés dans la nature, peuvent nous inspirer une approche différente. Nous abordons les défis concrets : relocaliser les industries, remplacer les métaux par des matériaux biosourcés, et repenser nos technologies pour qu'elles servent les humains plutôt que de les dominer. Un épisode qui croise biologie, éthique et pragmatisme pour construire un futur vraiment durable.

Invité.es :
- Olivier Hamant

Interviewers :
- Audrey Neveu
- Agnès Crepet

Liens de l'épisode :
- https://larobustesse.org
- https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/homo-confort
- https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Part_maudite-1922-1-1-0-1.html
- https://mixitconf.org/2025/robustesse-une-nouvelle-culture-tech-

Enregistré le mardi 29 avril 2025 lors de MiXiX 2025


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur Mixit On Air, où la tech rime avec l'éthique. Je suis Audrey.

  • Speaker #1

    Et moi je suis Agnès.

  • Speaker #0

    Et à chaque épisode, nous plongeons dans les coulisses de la conférence Mixit pour vous faire découvrir les innovateurs et innovatrices qui façonneront notre avenir numérique. Aujourd'hui, on a le plaisir d'accueillir Olivier Hamand, biologiste, chercheur à l'INRAE, et avec lui, nous allons explorer la robustesse pour voir si elle peut être l'avenir de la culture tech.

  • Speaker #2

    On saute la terre, on saute la terre. Et pointe, pointe, pointe. Je vais vous prendre une crêpe au sucre.

  • Speaker #0

    Alors Olivier, bienvenue sur Mixituner.

  • Speaker #3

    Merci de m'accueillir.

  • Speaker #0

    On va commencer. Est-ce que tu pourrais nous réintroduire le concept de robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors la robustesse, c'est un système qui est robuste en fait, il maintient sa stabilité et sa viabilité malgré les fluctuations. On parlait typiquement d'un arbre, il est robuste parce qu'il est capable de gérer du vent. Mais aussi en poussant, il est capable de garder sa vie, de vivre avec des changements d'hygrométrie, de salinité.

  • Speaker #0

    Et comment ça vient se confronter au concept de performance ?

  • Speaker #3

    Oui, en effet, ça se confronte bien. Parce que la performance, c'est la définition du contrôleur de gestion. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience. Efficacité, atteindre son objectif. Efficience, avec le moins de moyens possible. donc quand on est très performant, on s'est plutôt canalisé, on s'est plutôt sur-optimisé, sur-spécialisé, et du coup on a perdu en adaptabilité et donc on est moins robuste. En fait, il y a une sorte de trade-off, de compromis entre robustesse et performance. En général, quand on est très robuste, on a beaucoup diversifié, on explore, on expérimente, et bien ça, ça a un coût en performance. Et donc il y a ce compromis à trouver et donc il va dépendre du niveau de fluctuation du monde.

  • Speaker #1

    Mais nous, ça ne va pas du tout, parce qu'Olivier, nous sommes développeuses, développeurs. et on nous a appris depuis tout petit, en tout cas depuis nos écoles, qu'il fallait être performant et performante. Donc comment on fait ?

  • Speaker #3

    En effet, c'est une révolution culturelle et il va falloir oser désobéir au catéchisme performant. Et je pèse à peu près tous mes mots. C'est-à-dire que c'est vraiment un culte, un catéchisme. C'est-à-dire qu'on nous a, pendant des années, alors ce n'est pas que dans les écoles de développement, c'est les écoles de commerce, les écoles de management, c'est vraiment absolument partout. On pense que quand il y a une crise, il faut augmenter les performances. Et le pire, c'est que ça marche. Mais ça marche à court terme. Et en fait, quand on a optimisé, du coup, ça marche un peu mieux après. Par exemple, après la crise financière, on a optimisé les hôpitaux. On a enlevé des lits dans les hôpitaux. Sauf qu'il y a eu la crise Covid après. Et là, on s'est rendu compte que c'était beaucoup trop fragile. Donc, il va vraiment falloir dérailler de ce culte de la performance. Et ça, ça demande de l'éducation, mais déjà, comprendre. que la performance, ce n'est pas la solution. C'est juste une des solutions. Il faut d'abord mettre le primat sur la robustesse.

  • Speaker #0

    Et alors, qu'est-ce qui, dans ton parcours, t'a amené à t'intéresser justement à la robustesse ? Et à remettre en cause ce culte de la performance ?

  • Speaker #3

    En fait, c'est même mes études de biologie. Quand moi, j'ai fait des études de biologie, comme tout biologiste, je me suis rendu compte qu'on m'enseignait la biologie sous l'angle de la performance. Quand on regarde bien les livres de biologie, il y a beaucoup de performances à tous les tournants, des organigrammes, tout ça. En fait, on est obsédé par la performance et du coup, ça se transcrit dans l'éducation à la biologie. Et quand j'étais chercheur, que j'ai commencé à observer, enfin qu'on a commencé, c'est toujours un travail d'équipe, à regarder les plantes, les cellules, tout ça, on se rend compte, quand on regarde au microscope, par exemple, qu'une plante, elle fait des fleurs qui sont toutes similaires. Donc, on pourrait se dire, il y a un programme génétique qui fait qu'elles ont toutes les mêmes fleurs. En fait, on se rend compte que non, il y a des gènes, mais il n'y a pas de programme. c'est beaucoup plus erratique, c'est très variable, et c'est plutôt... Les hétérogénités locales qui génèrent beaucoup de richesses d'informations, et c'est ça qui nourrit la robustesse, la reproductibilité des formes. C'est presque en observant les plantes qu'on se rend compte que les êtres vivants sont robustes avant d'être performants. Et c'est bien tombé parce que c'était à une époque, ça fait en gros 20-30 ans, que l'approche systémique s'est invitée en biologie et que ça a vraiment révolutionné notre vision du vivant. On voit bien que c'est la robustesse qui domine. dans les écosystèmes.

  • Speaker #1

    Et à ton avis, comment ces principes pourraient être intégrés dans nos compagnies, nos entreprises, et plus généralement à l'écosystème de la technologie ?

  • Speaker #3

    Ce qui est extraordinaire, c'est que c'est déjà le cas. C'est déjà en train de s'intégrer, mais sous le radar. Les entreprises, les associations, le monde de la tech, et ceux qui sont les plus soumis aux fluctuations du monde, qui font face à des ruptures, à des pénuries chroniques de ressources, à des grosses instabilités, développent de la robustesse. Alors très souvent, c'est de la robustesse à minima qui se résume à de la gestion des risques. Donc là, on va plutôt maintenir la stabilité du système malgré les fluctuations. Alors c'est pas suffisant, parce que si on maintient la stabilité mais que le système n'est pas viable, ça va quand même se planter. Mais la première étape, c'est déjà de se rendre compte qu'on a besoin de redondance, d'hétérogénité, d'incohérence, d'inachèvement, des choses qui ne sont pas terminées finalement. pour pouvoir continuer à faire évoluer les systèmes. Ça, c'est le premier pas. Juste une redondance de base. Mais ce n'est pas suffisant, parce que maintenant, il faut comprendre que ce qu'on produit, ça doit aussi nourrir la viabilité du territoire. Et là, seulement à cette gamme-là, finalement, ça permettra de vraiment faire de la robustesse sur le temps long.

  • Speaker #1

    Alors, quand tu parles de territoire, tu vois, moi, je travaille dans l'électronique et les puces, malgré le fait que ma boîte est un peu différente parce qu'on fait beaucoup de réparabilité. Néanmoins, nos puces, on les prend à Taïwan ou on les prend en Chine. Donc, comment ça peut s'orchestrer en fait ?

  • Speaker #3

    Alors, bien sûr, il va falloir relocaliser une bonne partie des activités. C'est une évidence. D'ailleurs, les États-Unis sont assez en avance là-dessus. Enfin, bizarrement, on critique beaucoup Trump en ce moment, mais... Bien avant Trump, ils étaient déjà en train de relocaliser beaucoup leur industrie, parce qu'ils se rendent bien compte qu'ils sont dépendants de la Chine bien trop fortement. Et donc ils ont relocalisé l'Europe. Alors, on commence à le faire un peu aussi, mais c'est aussi pour les médicaments, pour des tas de choses. Mais on est un peu les naïfs du village en Europe, j'ai envie de dire. On reste encore dans une sorte de mondialisation heureuse. Bon, c'est terminé tout ça. La mondialisation performante, c'est un zombie. Et là, on est en train de faire de l'acharnement thérapeutique. Et Trump est en train de sortir le défibrillateur, on pourrait le dire comme ça. Donc il va falloir vraiment réaliser que tout ça c'est terminé, qu'il va falloir beaucoup plus régionaliser les choses. Et donc en effet, il y a un champ ouvert pour le champ de la tech, pour développer des industries locales, biosourcées aussi, beaucoup plus. Il y a beaucoup de choses à inventer dans les territoires.

  • Speaker #1

    Alors si tu nous dis ça, les copains et copines qui sont dans l'Allier et qui luttent contre l'installation d'une mine de lithium, qu'est-ce qu'on leur dit à ces gens-là ?

  • Speaker #3

    Ils ont tout à fait raison. La mine de lithium dans l'Allier, c'est une hérésie. Si on la construit, cette mine, il faudra évacuer 150 000 personnes à terme. Donc le lithium, c'est un métal au sens géologique du terme. C'est vraiment une hérésie, quelque part. Encore une fois, il vaut mieux avoir une nappe de pétrole qu'une nappe de lithium dans son territoire. Il faut quand même le réaliser. Ça, c'est des polluants éternels, permanents. Si on prend la vallée de l'Arsenic, à côté de Carcassonne, c'est à côté d'une mine d'or. Donc en fait, ces polluants éternels, ça va être très problématique. Donc il faut vraiment recarbonner, comme je dis souvent, il faut biosourcer nos produits. Et donc dans l'électronique, dans la tech, il va falloir sortir du monde du pétrole et des métaux en utilisant des matériaux biosourcés. Donc par exemple, stocker les données numériques dans l'ADN, ça c'est une voie d'avenir. Mais il y a plein d'autres choses à inventer.

  • Speaker #0

    Et notamment pour les batteries, il y a une solution assez intéressante, basée sur des produits tout à fait naturels.

  • Speaker #3

    Oui, par exemple, c'est Linea, mais il y a d'autres boîtes aussi qui font ça. qui prennent du bois, ils extraient la cellulose en général pour faire du papier, et puis le déchet qui est souvent valorisé pour être brûlé, eux ils ne le brûlent pas, ils le font sécher, en fait ils font des films de lignine, et ces films de lignine permettent de stocker l'électricité. Et donc là on a inventé une batterie produite localement et biodégradable. Alors c'est beaucoup moins performant qu'une batterie au lithium, il ne faut pas rêver, c'est beaucoup plus gros, c'est plus lourd, etc. C'est certainement moins durable en termes de capacité à durer mécaniquement. Par contre, c'est beaucoup plus durable d'un point de vue de robustesse, parce qu'on peut la remplacer, il n'y a pas de problème, c'est des champignons qui vont la manger à la fin. En tout cas, c'est une des illustrations. Mais on peut penser à plein d'autres choses. J'ai une collaboration avec Thomas Dehoux à Lyon, son équipe a trouvé que quand on prend un oignon, par exemple, et qu'on s'en ouvre un oignon, dedans il y a une petite membrane, donc ça c'est une monocouche cellulaire, un épiderme. Quand on le fait sécher, cet épiderme d'oignon, et qu'on mesure ses propriétés mécaniques, On voit qu'il a des propriétés... phononiques. Donc il absorbe certaines ondes acoustiques. Pour le faire court, dans nos smartphones, il y a des terres rares qui font ça, qui absorbent des ondes acoustiques. On pourrait très bien imaginer remplacer ces terres rares par des matériaux biosourcés, des textures biosourcées.

  • Speaker #1

    Tout ce que tu nous dis, ça nous rappelle aussi le permacomputing. Avec Audrey, on avait essayé d'approcher un chercheur, peut-être qu'on l'aura l'année prochaine, qui travaille, un chercheur hollandais, Aymeric Monsou, qui travaille sur le permacomputing. Tu connais un petit peu cette Ausha ?

  • Speaker #3

    Non, je ne connais pas bien.

  • Speaker #1

    Parce que dans l'idée du permacomputing, c'est arriver à faire la conjonction de la permaculture et de l'informatique, donc de reprendre les concepts de la permaculture, pour arriver justement à construire des éléments électroniques, numériques, durables, réparables, et qui ne sont pas basés sur des purs éléments de performance. En tout cas, les indicateurs de mesure de leur succès, ce n'est pas que sur la performance.

  • Speaker #3

    D'accord, c'est super intéressant. De nouveau, je ne connais pas bien, mais peut-être le point de vigilance, c'est que si on fait des objets très robustes pour eux-mêmes, ils peuvent toujours être au service d'une destruction du territoire. Par exemple, si on fait des outils techno-numériques hyper robustes, mais qui poussent toujours les gens à passer 12 heures par jour devant leur écran, ce n'est pas robuste, parce que là, on va faire une société hyper canalisée. Ce que je dis souvent, c'est que mon rêve, en fait, ce seraient des applications qui frustreraient leurs utilisateurs pour qu'ils se décrochent de leur écran.

  • Speaker #1

    On en a. Oui, et les applications qui soient sûrement aussi moins... technopaternaliste, dans le sens où on ne nous invite jamais à aller voir qu'est-ce qui ne marche pas. Même sur un appareil, tu parlais des smartphones, on ne nous invite jamais à le réparer nous-mêmes. On nous invite à utiliser un service en fait distant, où tu poses ton appareil, bien souvent il n'est pas réparé, il est remplacé. Et donc cette approche paternaliste de la tech, c'est ça qu'il faut casser quelque part.

  • Speaker #3

    On est infantilisés. On l'a du mieux vu avec le Covid pour d'autres raisons, mais en fait... C'est une société de la performance, c'est une culture de la performance, c'est une culture de la domination et de la violence. Et donc, en fait, on ne se rend pas compte à quel point ce choix du confort nous a désensualisés. On a perdu nos sens, on ne reconnaît plus certaines odeurs, on ne supporte plus de se faire toucher dans le métro, on va dire pardon si quelqu'un nous touche. En fait, on est des humains, on est censés avoir des contacts. Donc tout ça, en fait, ça veut dire qu'on a fait un choix, un certain choix, un certain confort. au détriment d'une part de notre humanité.

  • Speaker #1

    Alors tu dois aussi halluciner de voir ce qui se passe outre-Atlantique. Alors quelque part, comment tu prends cette histoire-là ? Est-ce que ça peut être aussi, donc l'alliance Musk-Trump, une manière pour des personnes comme nous, en fait, de se rendre compte, justement, à quel point la tech peut être un outil de domination ?

  • Speaker #3

    Bien sûr, en fait, on peut presque le dire en une phrase. Le monde est malade et il a élu le symptôme. Trump et Musk, ce sont les symptômes d'un monde malade qui est dans une forme de délire de la performance. Là, on bascule du culte de la performance au délire. Parce que ce que proposent Trump et Musk, parmi tant d'autres choses, mais notamment Musk, c'est d'aller sur Mars, de faire des mines sur des astéroïdes, de faire des bunkers, de construire des villes dans le désert saoudien. C'est que des projets de mort. Les projets des ultra-performances, ce sont que des projets de mort. Avec la robustesse, c'est plutôt des projets de vie, de vivre avec les fluctuations. On ne va pas fuir les fluctuations, on va en faire quelque chose, et quelque chose de beaucoup plus joyeux, parce que c'est vraiment la pulsion de vie, la robustesse. Ces fluctuations, ça va nous stimuler, ça sera un stimulant de l'innovation, de notre vie sur Terre.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs ce que j'ai trouvé très intéressant dans ton approche, c'est qu'on pourrait, parce qu'on a souvent... On est conscient de vivre dans un monde qui va fluctuer de plus en plus, qui va être soumis à des polycrises, comme tu les appelles, et c'est un avenir qui a plutôt tendance à faire peur, et toi, dans les solutions que tu proposes avec l'approche de la robustesse, finalement c'est assez joyeux. Est-ce que tu pourrais nous décrire un petit peu à quoi pourrait ressembler une société dans ce monde de la robustesse ?

  • Speaker #3

    Alors il y a plein de choses, c'est un monde très pluriel, et en fait ce qui est extraordinaire, c'est que ce n'est pas une utopie, on l'a sous les yeux. ce monde du futur. C'est juste qu'il est sous le radar médiatique, parce que dans les médias, on va beaucoup parler de Trump, de Musk, d'Erdogan, de Netanyahou, enfin tous les ultra-performants, en gros des vieux mâles blancs, ultra-riches et ultra-nerveux rosés, pour le dire rapidement. Donc, c'est ceux-là qui occupent tout l'espace. En fait, quand on regarde le reste, c'est beaucoup plus intéressant. Donc, le tout réparable, il y en a partout, le participatif, le coopératif, donc il y en a vraiment de plus en plus dans tous les champs, notamment le réparable, mais c'est pour plein d'autres champs aussi. L'agroécologie, il faut quand même réaliser que chaque année, on parle beaucoup de crise du bio en ce moment, mais sauf que depuis 20 ans, chaque année, la surface agricole en agroécologie augmente en Europe. Donc c'est ça, le sens du futur, il est là. Mais c'est plein de choses, les conventions citoyennes, le fait que dans les entreprises, le mode d'organisation est de plus en plus horizontal. qu'on commence à mieux dialoguer les uns avec les autres. En fait, on a quand même beaucoup appris de ce burn-out des humains et du burn-out planétaire. On est un peu en train de rétrograder là quand même. Mais rétrograder dans le bon sens du terme. C'est ce que je dis souvent, le mode dégradé qu'on critique tant dans le monde de la performance, c'est le mode robuste. Et le mode performant, c'est le mode fragile.

  • Speaker #0

    Et pour nous, développeurs, développeuses, ça pourrait ressembler à quoi cet avenir ? Comment est-ce qu'on peut contribuer justement à cette robustesse ? Alors, tu nous parlais de construire des applications peut-être un peu ennuyantes. Ça peut être une première piste. Est-ce que tu en as d'autres pour nous ?

  • Speaker #3

    Oui, c'est vrai, ça pourrait être très, très général. C'est d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe des outils ? Et donc, par exemple, je peux donner un exemple très parlant, les ripostes créatifs territoriales. Les ripostes créatifs territoriales, ça s'est créé pendant la crise Covid, quand des citoyens se sont dit, en fait, là, l'État est en train de partir en vrille, on commence à perdre des services. notre territoire n'est pas sûr de garantir certaines viabilités, donc plutôt que de faire chacun dans son coin, on va essayer de se mettre en lien. Et donc là, ils ont développé une plateforme qui permet de mettre en lien des associations qui font des choses plutôt au service des citoyens, donc ils se mettent en réseau. Ça, c'est typiquement une application numérique qui est au service de la viabilité du territoire. Donc là, c'est le pourquoi avant le comment. Après, évidemment, il y a le comment, après on peut faire des technologies sobres, etc., mais il faut d'abord se poser la question du pourquoi. Pourquoi je développe cette application ? Et là-dessus, il y a aussi une bonne ressource, c'est le comité humain du numérique à Bruxelles, qui a créé le code du numérique. Donc il a repris toutes les lois belges. Quand on réfléchit bien, les lois, elles ont été créées dans un monde avant le numérique. Et donc il va falloir les remettre à jour, parce que le numérique est là pour rester, comme il y a d'ailleurs, c'est un peu des aliens qui sont arrivés sur Terre, et maintenant il va falloir vivre avec. Sauf que là, en fait, on se fait un peu avoir par leur performance, et donc ils sont en train de prendre le pouvoir. Donc ce n'est pas pour les éliminer. il faut les mettre à leur place, il faut qu'ils soient au service des humains. Le code du numérique des Belges, c'est exactement ça, c'est réécrire les lois pour que le numérique soit au service des humains. Et donc, j'ai envie de dire que les développeurs devraient lire ce code du numérique, par exemple, pour se dire à quel point ce que je fais rentre dans ce cadre-là.

  • Speaker #1

    Et si j'étends la question d'Audrey à l'ingénierie au sens large, il peut y avoir aussi toutes les low-tech ?

  • Speaker #3

    Bien sûr. Le low-tech, c'est exactement ça. C'est des technologies où on ne cherche pas la solution clé en main, mais les conditions dans lesquelles les solutions émergent. Les citoyens sont émancipés et ils sont capables de se rapprocher de la technologie pour en faire des outils à leur service.

  • Speaker #1

    Et on n'est plus dans l'approche paternaliste où justement on le fait pour toi, on le répare pour toi, mais c'est toi qui vas mettre la main dans le cambouis. Je vais revenir juste sur ce que tu disais, c'est pas que je focalise sur Trump et Musk, mais dans leur discours en fait, si tu regardes le discours de Musk, il y a quand même ce truc de long-termisme. Tu vois ? Ou quelque part... L'argument de la performance n'est pas forcément mis en avant. Premier, on va parler de long-termisme. Et du coup, tu vois, pour un non-initié, une personne moins initiée, on va pouvoir confondre justement ces deux concepts. Ça,

  • Speaker #3

    c'est extraordinaire. En fait, ils ont kidnappé le long terme. Ils ont récupéré le long terme aussi. Alors, dans le long-termisme, ça, c'est vraiment du délire performant.

  • Speaker #1

    Peut-être que tu peux rappeler le long-termisme.

  • Speaker #3

    Oui, le long-termisme, c'est un peu ce que je disais d'aller sur Mars, de se congeler, la vie éternelle. Enfin, tous ces projets, en fait, où on... On fait un peu un mirage d'un futur extrêmement désirable, enfin pour eux, au détriment d'une réponse au présent, au problème du monde. Donc en fait, on se projette dans un avenir très désirable, en oubliant complètement les étapes transitoires, et surtout, ce monde futur reste complètement sur les rails de la performance du monde néolibéral. Ce qui est extraordinaire avec ça, c'est que le long-termisme, c'est une récupération, et donc plus on est dans le long-termisme, moins il y a de long terme. Donc ça, c'est un peu le paradoxe. Et puis aussi, ce qui est assez extraordinaire, c'est que si on prend un peu de recul, nous, les humains, par rapport aux non-humains, le seul pouvoir qu'on a, c'est l'écriture. Et avec l'écriture, on a ouvert le temps long. C'est qu'on est capable de lire des textes très anciens et on est capable de spéculer très loin dans l'avenir. Donc on a ouvert le temps long. Qu'est-ce qu'on fait de cette ouverture ? On congèle le futur. Mais quand je dis congeler, c'est la cryogénisation, par exemple. On congèle, on fait des biobanques, des banques de graines, etc. Donc en fait, on congèle comme si on voulait garder le monde tel qu'il est actuellement. Et quand on fait ça, en fait, on se fragilise. Parce qu'on n'est plus dans un monde dynamique. On se rigidifie. Et le long-termisme, c'est de la rigidification, c'est de la congélation. Donc ça ne va pas marcher très longtemps, cela dit. Je pense que Prospera ou Honduras, par exemple, c'est un lieu où on est en train de penser à la vie éternelle, pour une élite... C'est extrêmement fragile, ce truc-là. Ce qu'il y a de bien avec le monde fluctuant, c'est que ça va balayer les ultra-performants.

  • Speaker #1

    Et comment... Un chercheur comme toi, parce que tu es chercheur, on l'a, comme voudrait la préciser dans ton introduction. Et comment tu es pris par tes collègues, en fait ? Je veux dire, c'est quoi ta position ? Est-ce que tout le monde est d'accord avec toi ? Ou est-ce qu'au contraire, on te regarde un peu bizarre ?

  • Speaker #3

    Alors, ce qu'il y a de bien en biologie, c'est que c'est... Alors, évidemment, c'est très divers, mais cette histoire de l'équilibre robustesse-performance, il est quand même travaillé depuis des années. Il y a Robert Ulanovitz, par exemple, dans les écosystèmes qu'il avait montrés dans les années 80-90. Si j'élargis un peu dans le monde de la systémique, de la cybernétique dans les années 60, tout ça c'est très bien décrit, c'est juste que c'était montré de façon assez abstraite, avec beaucoup de maths, beaucoup de systémique un peu complexe, et donc c'était pas trop sorti du laboratoire. Enfin, il y a quand même des écrits, mais là, le vivant, avec l'approche systémique, on se rend compte qu'en fait c'est des choses très très simples, qu'on peut voir dans la vie de tous les jours, et on voit très bien cet équilibre-là. et donc dans le monde scientifique là où il y a il peut y avoir un peu de friction, c'est quand on travaille sur un sujet très précis, parce que quand on est chercheur, très souvent, on travaille sur la protéine X et du coup, on va voir le monde sous l'angle de cette protéine, de cet angle hyper restreint. Et là, on peut se faire piéger par le culte de la performance et se dire, ah ouais, cette protéine, elle a vraiment optimisé sa voie, sa phosphorylation par une kinase, machin, tout un truc là. Sauf qu'en fait, on a complètement oublié que cette protéine, elle est dans une énorme pelote de laine avec plein de redondances, plein d'hétérogénité, plein d'incohérences dans tous les sens. Donc c'est là la force de la systémique, ça remet à sa place son projet de recherche, qui est une toute petite partie d'un système qui est d'abord robuste avant d'être performant. Mais j'ai beaucoup moins de mal à en parler maintenant. Si j'avais dû en parler il y a 40 ans, ça aurait été beaucoup plus dur. À l'époque du tout moléculaire, du tout génétique, où c'était très vertical, le monde des OGM, pour le dire rapidement. Là, on est sortis de ça quand même. On a une vision beaucoup plus large, intégrée des choses, où en fait, on voit bien que ce qui construit le vivant, C'est son imperfection. C'est ça qui fait sa beauté finalement. Le monde parfait est mort. Ou si je le dis différemment, quand on veut être invulnérable, ça veut dire qu'on veut mourir. La vie, c'est d'être vulnérable.

  • Speaker #0

    D'ailleurs, tu disais qu'on a tendance à faire la chasse au carbone, à diaboliser un petit peu. et en fait... Non, le carbone, c'est la molécule de la vie. Et toi, tu nous dis, il faut recarbonner l'économie.

  • Speaker #3

    Oui, exactement. Recarbonner l'économie, ça veut dire qu'en fait, c'est plutôt en comparaison à décarboner l'économie, parce que quand on décarbone l'économie, ce qu'on fait, et Aurore, Stéphane en parlerait mieux que moi, on remplace le pétrole par des métaux. Et donc les pollutions en métaux sont assez terribles. Donc en fait, c'est pas décarboner l'économie qu'il faut faire, il faut décombustionner l'économie. Il faut arrêter de brûler du carbone pour émettre du CO2. Ça, on est d'accord. Donc arrêtez de brûler du bois, du charbon, du pétrole, des biocarburants, tout ça, ça émet du CO2. Donc décombustionnez l'économie, mais par contre, il faut recarbonner l'économie. Donc tout ce qui dépend du pétrole et des métaux, il va falloir le remplacer par des objets biosourcés, biodégradables. Et ça, c'est ce qu'on appelle la bioéconomie circulaire. Donc quand on parle d'économie circulaire, il faut aller jusqu'au bout. Et donc si c'est circulaire, il faut que ça dépende du carbone. Le carbone, c'est l'atome magique de la vie. Et donc il va falloir qu'on se branche avec les non-humains, avec nos technologies. technosphère cycle comme les autres sphères, comme l'atmosphère, comme l'hydrosphère, enfin toutes les autres sphères terrestres.

  • Speaker #0

    Et ce qui est intéressant avec ça, c'est qu'il faut changer de mode de pensée jusqu'au bout, puisqu'on peut reprendre l'exemple des batteries dont on parlait tout à l'heure, qui sont faites à partir de déchets de bois. On ne va pas planter des forêts pour produire ces batteries.

  • Speaker #3

    Bien sûr. Alors exactement, ça c'est un point de vigilance. Nous, en fait, dans le monde de la performance, on a utilisé les écosystèmes de façon extractiviste. On a extrait la biomasse et donc on a extrait la matière organique des sols. Et en fait, on est en train de créer des déserts sur Terre. Enfin, il faut quand même le faire, parce qu'on ne rend pas ce carbone à la Terre. Donc il faut que la biomasse qui est produite dans les champs, dans les forêts, retourne au sol. Et c'est d'abord ça qu'il faut faire. Ensuite, il y a des aliments qui sortent de cette biomasse, donc ça, ça va nous nourrir. Et c'est seulement le reliquat qui doit nourrir les biomatériaux. En tout cas, cette économie. Mais en fait, on n'aura aucun problème à produire beaucoup plus de biomasse. Si je prends juste un exemple... Un champ de blé, par exemple, le rendement en biomasse totale, son rendement, c'est celui d'une savane. C'est que six mois dans l'année, il n'y a rien. Et puis quand il y a quelque chose, c'est des petites plantes avec des petites tiges, des petites racines, ça ne produit rien du tout en biomasse. Donc ce qu'on peut très bien imaginer et ce qu'on va faire dans l'avenir, c'est de l'agroforesterie, donc des arbres plantés sur des champs. Et là, ça produit beaucoup plus de carbone par mètre carré. Et là, ça sera parfait, ça protégera des fluctuations, de la grêle, des intempéries. ça maintiendra l'hygrométrie des champs et en plus, ça produira plus de biomasse, des châtaignes, des feuilles, etc.

  • Speaker #1

    Nous arrivons à la fin de cet échange passionnant, Olivier, et avant de partir, on a une petite traduction, tradition, pardon, mixitonnaire. Est-ce que tu pourrais partager avec nos auditrices et nos auditeurs une ressource incontournable ? Alors, ça peut être un site, ça peut être une autrice, un auteur, un outil qui t'a inspiré pour une tech plus éthique.

  • Speaker #3

    Alors, je vais en citer peut-être quelques-unes, si je peux.

  • Speaker #1

    Bien sûr.

  • Speaker #3

    J'aime bien citer Georges Bataille, La part maudite. C'est un bouquin de 1949 et qui dit que quand les humains ont accès à plus de ressources, plus d'énergie, ils essayent de la dissiper le plus vite possible. Donc ça, c'est La part maudite, parce que la façon la plus rapide de dissiper cet excès de ressources et d'énergie, c'est de faire la guerre. Donc, il faut bien se poser la question, par exemple, sur la question de l'énergie. À partir de quand, de combien d'énergie bascule-t-on dans La part maudite ? C'est pas tellement une question de comment on fait de l'énergie, mais de combien est-on besoin. Il y aura aussi peut-être Homo Confort de Stefano Bonni, que je cite beaucoup, qui parle de ce monde où on a nos interactions avec le monde, c'est par des écrans et des boutons poussoirs. Et on oublie un peu qu'on a aussi des sens et qu'on peut communiquer avec les autres comme ça. Et puis le dernier point peut-être, c'est les communautés apprenantes sur le site larobustesse.org. Donc si vous voulez développer votre robustesse dans votre territoire, dans votre entreprise... dans votre association. C'est une plateforme qui offre des outils tout en open access et aussi une communauté de gens qui sont en chemin sur la Robus S. Et donc là, il y a plein de choses à apprendre, plein de choses à développer.

  • Speaker #1

    Eh bien, merci. Merci infiniment pour ta participation aujourd'hui, Olivier. Je rappelle à nos auditrices et auditeurs que vous pouvez retrouver la conférence complète d'Olivier en replay sur la chaîne YouTube de Mixit. Et si cet épisode vous a plu, n'hésitez pas à vous abonner et à partager le podcast autour de vous. Et d'ici là, gardez en tête que pour une tech éthique, il faut garder l'esprit ouvert et critique. A bientôt !

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