Speaker #0Bonjour à tous, chers élèves et chers amis du site aufonddelaclasse.com Dans cet épisode, nous allons voir que dans Manon Lescaut, le romanesque passe par des scènes de grande tension, de passion, d'émotion. Pour le lecteur, pour la lectrice de Manon Lescaut, on peut dire que le plaisir du romanesque passe en particulier par des scènes, c'est-à-dire des séquences relativement courtes qui se passent dans un même lieu et qui ont une action à peu près facile à déterminer. Et ces scènes, elles sont marquées très souvent par l'expression des passions, l'expression des émotions et par une tension assez forte. On va en voir dans cet épisode de plusieurs sortes. D'abord... celle qui donne un plaisir qui vient de ce qu'on appelle au XVIIIe siècle le goût des larmes, le plaisir du pathos, du pathétique. On va voir ensuite le plaisir qui vient de la mise en scène de l'extraordinaire, du suspense, de la grande tension pour faire avancer l'action dramatique et on va parler à cette occasion des scènes d'évasion en particulier qui sont évidemment très importantes dans le récit de Manon Lescaut. Et puis enfin on va évoquer une scène particulière qui est vraiment très très courte. qui n'est même peut-être pas d'ailleurs une scène à part entière, c'est l'assassinat de Lescaut dans la rue, qui donne un exemple de plaisir du romanesque, un plaisir qui vient d'un événement complètement inattendu et très violent. Alors commençons par le pathétique et on va parler à cette occasion de deux scènes. La scène de l'enlèvement entre guillemets par Manon de Dégrieux à Saint-Sulpice. Et dans un deuxième temps on parlera de la scène entre Manon et Dégrieux chez monsieur de GM Fils lorsque Dégrieux vient retrouver Manon à la suite d'un rendez-vous manqué à la comédie. Alors commençons par la scène où Manon vient chercher Dégrieux à Saint-Sulpice C'est juste après être allé le voir en cachette à la Sorbonne pendant qu'il faisait une présentation. On est donc ici au début du roman. Les deux amants se sont perdus de vue puisque Dégrieux a été ramené par son père chez lui et puis finalement mis au séminaire pour apprendre la théologie et consacrer sa vie à Dieu. Et ce séminaire, il se trouve à Paris, à Saint-Sulpice. Il est à Saint-Sulpice avec Tiberge à ce moment-là. Et Manon le retrouve. Manon le retrouve parce qu'on entend un peu parler de lui dans Paris, tout simplement. Et Manon vient le voir, mais en cachette, à l'occasion d'une présentation que lui fait à la Sorbonne, la faculté de théologie, dans le cadre de ses activités du séminaire. Et alors, quelques lignes plus bas, on apprend que Manon est venu frapper à la porte de Saint-Sulpice pour demander des grilleux. Une femme l'attend à la porte. et des grilleux arrivent. Et c'est l'occasion donc d'une scène de retrouvailles qui est extrêmement chargée en émotions et qui est présentée ici de manière extrêmement théâtrale. Théâtrale d'abord parce qu'on a beaucoup de didascalies, en quelque sorte, qui nous disent quels sont les gestes, quelles sont les positions des personnages, l'un à côté de l'autre pendant toute cette scène-là. Et puis peu à peu se raccrochent des paroles, si bien qu'on peut vraiment reconstituer une scène comme si on était les spectateurs d'une scène de théâtre. On en a toutes les étapes, parce qu'au début, les retrouvailles sont un peu difficiles, évidemment, puisque Desgrieux accuse encore Manon de l'avoir trahi, et puis peu à peu, les deux vont se rapprocher, jusqu'à ce que Desgrieux décide de suivre Manon en quittant le séminaire et en reprenant sa vie avec elle. Alors, de cette scène, on peut retracer assez facilement les étapes. Même si Desgrieux commence le récit en parlant d'un enchantement, toute sa figure me parut un enchantement, laissant entendre que dès l'apparition de Manon, le charme était là, le charme était revenu, et tout était déjà acquis, eh bien la scène commence par un embarras, nous dit Desgrieux, une gêne très grande entre les deux, qui est marquée par le silence. Je demeurais interdit à sa vue. Interdit ici, ça veut dire silencieux, qu'il ne peut pas... parler. Et de fait, c'est l'embarras qui est le terme clé de ce paragraphe-là, de ce moment-là, de cette étape de la scène, puisque l'un et l'autre sont finalement extrêmement gênés de cette situation, parce que personne ne sait quoi dire pour commencer, pour lancer cette discussion entre les deux, tout simplement. Et ce silence va durer un certain temps. Manon va cacher quelques larmes, nous dit le narrateur, avant de s'asseoir pendant que Desgrieux reste debout. Et après avoir échangé quelques mots sur l'infidélité de Manon, sur laquelle leur relation était restée finalement, eh bien on passe à une nouvelle étape finalement assez rapidement par ces termes. Il aura donc fallu quelques minutes seulement avant que des grilleux ne lui disent Mon cœur n'a jamais cessé d'être à toi Autrement dit, on a un changement d'émotion, de passion extrêmement fort, extrêmement brusque dans cette scène. Et cette scène est extrêmement théâtrale parce qu'on a tous les éléments pour voir. ce qui se passe sur le plateau en quelque sorte avec tous les mouvements des deux comédiens qui se lèvent qui s'assoient qui pleurent qui se prennent dans les bras qui s'embrassent etc et puis à partir du moment où il y a en plus des gestes en plus des corps d'écrit la parole rapportée parfois au discours direct parfois au discours indirect et bien le style a évidemment une place qui est très importante et le style ici il est marqué par l'expression du haut degré et Évidemment, les émotions ici ne sont pas légères, ne sont pas mesurées, ne sont pas modérées, c'est tout le contraire. Tout est très excessif et tout est amené au très haut degré. Alors, on peut faire remarquer par exemple un certain nombre d'hyperboles, comme Elle m'accabla de mille caresses passionnées Elle m'appela par tous les noms que l'amour invente pour exprimer ses plus vives tendresses et puis d'une manière générale, l'emploi des intensifs. La répétition trois fois au début de la scène de l'adverbe intensive si dans la phrase c'était un air si fin, si doux, si engageant Point d'exclamation. Et on peut ajouter d'ailleurs toutes les exclamations qui sont extrêmement nombreuses ici. Dieu, quelle apparition surprenante ! Ou encore, quel passage en effet de la situation tranquille où j'avais été, au mouvement tumultueux que je sentais renaître. On pourrait bien sûr en citer d'autres. On peut évoquer aussi les questions rhétoriques qui évoquent ici de manière forte, de manière un peu hyperbolique les sentiments, comme celle qui clôt la scène un petit peu plus bas. Où trouver un barbare qu'un repentir si vif et si tendre n'eût pas touché ? Et enfin, cette émotion et aussi les étapes de la progression de cette action dans cette scène sont marquées aussi par l'évolution de la manière dont Desgrieux nomme directement Manon en l'appelant avec une exclamation Ah, perfide Manon ! plusieurs fois répétées au début de leur rencontre, qui passe ensuite à infidèle puis Ah, Manon ! toute seule. Et enfin Cher Manon, avec un sens évidemment plein à donner à Cher, Manon chérie, Manon que j'aime. Cette scène de Saint-Sulpice est vraiment une scène emblématique du goût des larmes, du pathétique dans Manon Lescaut. Elle le menace de mourir, il flanche, abandonne tout pour elle, tout ce qu'il avait promis à Tiberger à son père. Elle pleure beaucoup, elle est prise par l'émotion quand elle lui demande pardon pour l'histoire qui a précédé avec Monsieur Debé. Et finalement les deux amants s'enfuient, Manon qui est libre évidemment de s'enfuir d'abord, et puis ensuite des grilleux qui s'évadent en quelque sorte de Saint-Sulpice. Et cette évasion ça nous amène naturellement à notre deuxième scène, ou plus exactement à notre deuxième série de scènes. Parce qu'on peut considérer que dans Manon Lescaut il y a quatre évasions. Il y en a évidemment deux qui sont de véritables évasions de prison, Et puis il y en a deux autres qui sont peut-être un peu moins clairement des évasions, mais qui développent quand même ce thème. Et la première, elle apparaît finalement tout de suite, c'est la fuite d'Amiens. Et la fuite d'Amiens, elle est déjà l'occasion pour le roman de mettre en scène l'extraordinaire, de mettre en scène le suspense et de créer de la tension qu'on peut évidemment mettre en relation directe avec le plaisir du romanesque pour le lecteur ou la lectrice de Manon Lescaut. Puisque cette fuite d'Amiens vers Saint-Denis se fait... Malgré Tiberge et malgré un autre personnage, c'est le mentor de Manon qui la garde puisqu'elle est conduite au couvent. On a donc deux personnages qui sont des obstacles à cette fuite et que nos deux personnages, Manon et Dégrieux, doivent contourner pour pouvoir s'en aller de Damien. Pour cela, une chaise est préparée pour la fuite et évidemment il y a un certain suspense là-dedans. Et on peut mettre cette scène en relation de manière évidente avec les autres évasions qui vont suivre. La première, c'est celle dont on vient de parler avant, c'est-à-dire celle qui a lieu à Saint-Sulpice lorsque Manon vient chercher des grilleux après deux ans de séparation. Et ici, contrairement à la première scène, c'est Manon qui mène le jeu, c'est Manon l'organisatrice de l'évasion. Tout ça se fait en quatre phrases sans aucun connecteur logique avec le régime de l'assindette ou de la parataxe, c'est-à-dire des phrases qui se suivent sans aucune connexion particulière comme une suite extrêmement rapide d'actions. Je vous lis l'extrait. Elle me dit qu'il fallait sur le champ sortir du séminaire et remettre à nous arranger dans un lieu plus sûr. Je consentis à toutes ses volontés sans réplique. Ensuite, c'est la suite de leur installation à Paris. Vous voyez donc qu'ici, on a une suite de phrases très courtes qui est marquée par le passé simple, par l'emploi unique du passé simple, donc des actions qui se suivent les unes après les autres et qui est donc présentée comme une séquence extrêmement rapide. menée par Manon, qui est la chef d'orchestre de cette deuxième évasion, qui va être suivie, comme on le sait, de deux autres évasions, qui donnent lieu à un développement beaucoup plus grand. Ce sont les deux évasions successives de Desgrieux et de Manon après leur emprisonnement. Mais là, pour le coup, c'est un vrai emprisonnement dans de véritables prisons. Alors, dans cette séquence-là, le lieutenant, on s'en souvient, décide de six mois de prison pour Desgrieux. Et Desgrieux... va demander la visite de Tiberge. Alors là, c'est beaucoup plus complexe. Tiberge est à Saint-Sulpice et Dégrieux va demander sa visite pour contacter Lescaut, le frère de Manon, pour qu'il l'aide à s'évader. Et donc, Dégrieux donne à Tiberge une lettre avec une autre lettre à l'intérieur qui doit arriver jusqu'à Lescaut. Il demande à Tiberge de le visiter en se faisant passer pour son frère. C'est ce qui va arriver, puisque l'esco va finalement entrer dans la prison en se faisant passer pour le frère de Dégrieux. Alors, c'est pas si simple, parce que Tiberge n'accepte pas au départ, et il y a un long dialogue, en tout cas un dialogue qu'on imagine assez long, qui est raconté au sujet du vice, de la vertu, et finalement, Dégrieux parvient à attendrir Tiberge, qui accepte de prendre la lettre. Et donc... L'esco vient à la prison en se faisant passer pour le frère de Dégrieux et Dégrieux lui demande un pistolet et d'attendre devant la prison avec deux trois amis au moment de l'évasion. Et justement au moment prévu Dégrieux va voir le supérieur de la prison, va lui demander de le laisser sortir puis va le menacer puisqu'il est bien obligé d'en arriver là avec son pistolet. Et alors, on a une scène là qui est vraiment une scène de cinéma, une scène de film d'action, puisqu'on attend avec un certain suspense, porte après porte, qu'on arrive jusqu'au bout, pour que Desgrieux puisse se libérer complètement de cette prison, puisque avant d'être arrivé à la dernière porte, évidemment, il n'est pas encore évadé. Et avant la dernière porte, arrive un dernier coup de théâtre, un domestique est ici, saute sur Desgrieux, et Desgrieux... lui tire dessus avec son pistolet et ce domestique tombe mort. Et le supérieur, toujours menacé avec l'arme par des grilleux, ouvre la dernière porte. Et des grilleux peut s'enfuir et aller chez un traiteur avec l'esco et ses amis pour aller dîner. Voilà, donc c'est une évasion extrêmement spectaculaire et pour le coup, on peut dire vraiment qu'il s'agit d'un des grands moments romanesques et un des grands moments de plaisir romanesque pour le lecteur ou la lectrice du roman Manon Lescaut. Et quant à l'évasion de Manon qui suit dans les pages qu'on trouve juste après l'évasion de Dégrieux, eh bien elle est encore plus spectaculaire. On peut dire que c'est vraiment une scène de film de gangster. comme on en trouve au cinéma au XXe siècle. L'évasion de Manon se fait avec la complicité d'un autre personnage qui est entré dans le jeu, qui s'appelle Monsieur de T, et par un déguisement, puisque Manon est déguisé en homme et arrive ensuite à sortir, entrer dans un carrosse où les deux personnages principaux du roman, Manon et Desgrieux, se lancent dans des grandes effusions. Il y a de la violence aussi, pas de mort avec pistolet cette fois, mais Lescaut, le frère de Manon, règle son compte au cocher qui a amené Desgrieux et Manon jusqu'à chez lui, en le passant littéralement à tabac, en lui cassant la figure, lui à qui Desgrieux avait promis un louis d'or, louis d'or qu'il ne touchera jamais, puisque Lescaut, qui n'a pas de louis d'or à lui donner, va plutôt faire le choix de lui régler son compte de manière physique. Et puisqu'on parle ici de violence de rue, puisque Lescaut... passe à tabac rue de Cou, ce pauvre cocher dans les rues de Paris, eh bien on peut évoquer un autre événement qui arrive dans la même rue de Paris d'ailleurs, c'est l'assassinat de l'Esco. C'est un événement qui est raconté en quelques mots seulement, dont je vous cite une partie. À peine avions-nous marché cinq ou six minutes qu'un homme dont je ne découvris point le visage reconnut Lescaut. Il le cherchait sans doute aux environs de chez lui, avec le malheureux dessein qu'il exécuta. C'est Lescaut ! dit-il en lui lâchant un coup de pistolet. Il ira souper ce soir avec les anges. Il se déroba aussitôt. Lescaut tomba sans le moindre mouvement de vie. et juste après, nos deux amants s'enfuient, ne pouvant évidemment l'aider, puisqu'il est déjà mort. On a donc ici, peut-être encore plus que dans la scène précédente, un moment complètement inattendu, une action complètement inattendue dans l'histoire du roman Manon Lescaut, c'est l'assassinat de Lescaut en pleine rue. Sans signe avant-coureur, sans absolument rien qui pouvait laisser attendre cet événement-là. On a donc une scène qui est vraiment une scène... qui ressemble, et bien sûr c'est anachronique de le dire, à ce qu'on pourrait trouver dans un film de mafia, un film de gangster comme on en trouve au tout début du cinéma américain, et évidemment encore aujourd'hui. Ce qui est intéressant pour nous, c'est aussi que le réalisme de Manon Lescaut nous fait entrer, nous lecteurs, lectrices du roman, dans les rues de Paris, la nuit, dans ce qu'elles peuvent avoir de dangereux, de sales, pour le dire comme ça. et de propice à créer des événements de ce genre-là, d'une grande violence, des événements complètement inattendus et qui vont avoir un rôle évidemment dans la suite de l'action. On voit en tout cas d'une manière générale que le romanesque ici et le plaisir du lecteur de roman vient de ces scènes qui sont courtes, qui sont parfois un peu plus longues, mais qui en tout cas sont pleines de tensions, de passions et d'événements qui sont propres à créer beaucoup d'émotions, beaucoup de spectacles émotionnels et psychologiques pour le lecteur, pour la lectrice de ce roman. Il vient du pathétique, il vient aussi de ce qui est extraordinaire, du suspense, de la tension pour l'action dramatique. et puis il vient de la violence dont on vient de parler ici avec l'assassinat de Lescaut voilà en tout cas ce que je souhaitais partager avec vous sur cet aspect du romanesque et du plaisir du lecteur et de la lectrice de Manon Lescaut vous pouvez trouver un certain nombre de choses sur le site aufonddelaclasse.com je vous dis merci beaucoup de m'avoir écouté et à très bientôt, ciao ciao