Speaker #0Bonjour à tous, chers élèves et chers amis du site aufonddelaclasse.com. Dans cet épisode, nous allons nous demander si Manon Lescaut est plutôt un roman de morale ou de plaisir. Dans les derniers épisodes consacrés à Manon Lescaut de l'abbé Prévost, on a parlé du plaisir du lecteur, du plaisir du romanesque ou des plaisirs du romanesque. On a évoqué le plaisir qui vient de l'intrigue, qui est pleine de péripéties. On a évoqué aussi les scènes qui étaient pleines de passion ou de tension. On a parlé aussi du plaisir du libertinage, du plaisir de la transgression morale, en particulier au sujet de l'amour. Et puis on a évoqué le personnage de Lescaut, le personnage de Lescaut qui incarne cette marginalité, et on peut dire dans ce sens-là une forme de plaisir aussi pour la transgression morale, la transgression des normes sociales. Et puis dans Manon Lescaut, on l'a évoqué aussi, il y a des personnages qui incarnent la moralité, qui incarne la religion. C'est Tiberge, naturellement, c'est le père de Dégrieux aussi. Et pour ouvrir davantage encore ce sujet de la moralité du roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut, il faut qu'on évoque le pacte de lecture, c'est-à-dire ce qui se fait dès les premières pages que le lecteur lit, le mode d'emploi, en quelque sorte, qui est donné par l'auteur lui-même, par le livre lui-même, pour la lecture du roman. Et quand on regarde un petit peu où se noue ce pacte de lecture, il est bien évident que c'est au moment de l'avis au lecteur qui débute le roman Manon Lescaut. Et si on le lit rapidement, ça fait une page, deux pages, trois pages, pas plus, hein, et on voit en tout cas tout de suite qu'il y a une insistance extrêmement forte, non seulement sur la véracité du récit lui-même, sur laquelle on reviendra d'ailleurs dans un autre épisode, puisque l'homme de qualité, Renoncourt, dit que rien n'est plus vrai, car il a tout retranscrit précisément par le récit de Dégrieux juste après l'avoir entendu. Mais il y a aussi autre chose, c'est qu'il y a une force, une forte insistance sur le fait que le roman est là pour instruire le lecteur sur la morale, c'est-à-dire lui donner une instruction morale à travers un exemple, à travers ce qu'on pourrait appeler un cas. Et... On va évoquer un certain nombre de passages de cet avis au lecteur. Alors, je vais essayer de ne pas prendre les extraits qui sont les plus célèbres, mais plutôt choisir des phrases qui sont plutôt à la fin de l'avis au lecteur et qui sont tout aussi intéressantes que ce qu'on peut trouver dans le début. Je vous cite un premier passage. Il ne reste donc que l'exemple qui puisse servir de règle à quantité de personnes dans l'exercice de la vertu. Dans cette phrase-là, vous voyez bien que le roman est présenté ici dans l'avis au lecteur, qui est écrit par Renoncourt, par l'homme de qualité, comme un exemple, c'est-à-dire un modèle, un cas d'étude qui doit servir pour généraliser et arriver à une règle. Pourquoi ? Parce que c'est plus efficace pour un certain nombre de lecteurs ou de lectrices que de passer par l'exemple, plutôt que de faire une leçon magistrale. et en tout cas ça sera plus utile et plus efficace pour ce qui est appelé ici l'exercice de la vertu Et la vertu, ça vient du latin vir l'homme, l'homme par opposition à la femme, et donc dans une morale, dans une idéologie évidemment bien dépassée aujourd'hui, eh bien ce sont toutes les qualités qui font un homme accompli, c'est-à-dire le courage, la vaillance au combat, mais aussi toutes les qualités sociales, c'est-à-dire celles qui reposent sur la politesse, la courtoisie d'une manière générale, et puis évidemment la... Moral, la moralité, c'est-à-dire le respect des normes du bien et du mal qui sont dictées par la société, en général dictées à travers la religion. Et c'est évidemment ce sens-là qu'il faut comprendre ici dans cette phrase de l'Avis au lecteur, où on lit puissent servir de règle à quantité de personnes dans l'exercice de la vertu. C'est bien pour rendre les gens plus vertueux, c'est-à-dire plus moraux, que l'exemple à suivre et la lecture pour les lecteurs, les lectrices, de cette histoire du chevalier des grilleux va pouvoir être utile et va pouvoir être efficace. Je vous lis la suite de l'avis au lecteur, c'est-à-dire ce qui suit cette phrase. C'est précisément pour cette sorte de lecteur que des ouvrages tels que celui-ci peuvent être d'une extrême utilité. du moins lorsqu'ils sont écrits par une personne d'honneur et de bon sens. Chaque fait qu'on y rapporte est un degré de lumière, une instruction qui supplée à l'expérience. Chaque aventure est un modèle d'après lequel on peut se former, il n'y manque que d'être ajusté aux circonstances où l'on se trouve. L'ouvrage entier est un traité de morale réduit agréablement en exercice. J'arrête là la citation. Vous voyez qu'en tout cas, dans ce passage de la vie au lecteur, il est extrêmement clair que pour le lecteur ou la lectrice qui ne peut évidemment pas multiplier toutes les expériences réelles dans sa vie, eh bien la lecture de ce livre, la lecture de ce cas typique, eh bien va être très efficace et va être très agréable à lire. Et c'est d'ailleurs ce qui va faire de cette lecture quelque chose d'efficace sur le plan moral. puisque plutôt que de barber, d'ennuyer par une leçon magistrale, eh bien il sera beaucoup plus intéressant et beaucoup plus efficace de passer par ces exercices, c'est-à-dire des moments, tous les moments en réalité de l'intrigue de Manon Lescaut, à chaque moment particulier où Desgrieux doit faire un choix, où Manon doit faire un choix, et le lecteur, la lectrice se retrouve en position d'observateur, d'observatrice, pour réfléchir à des cas de morale. Et comme la morale, c'est la distinction du bien et du mal, dans les faits, dans la vie réelle, elle se pose souvent sous la forme d'un choix à faire. Et donc c'est bien pour cette raison-là que l'ouvrage est un traité de morale réduit agréablement en exercice. Ça c'est une citation qu'on peut apprendre, qui est bien utile pour expliquer comment le pacte de lecture est noué dès l'avis du lecteur. Et ce pacte de lecture, il prend cette forme finalement assez classique du plaire et instruire, puisque agréablement ici c'est plaire, c'est-à-dire donner du plaisir au lecteur ou à la lectrice, et être utile. C'est naturellement rendre le lecteur ou la lectrice plus vertueux, plus vertueuse, le pousser vers quelque chose de plus moral, en faire quelqu'un de meilleur, tout simplement. Je vous lis maintenant la phrase qui suit juste après et qui est quasiment la fin de la vie au lecteur. Un lecteur sévère s'offensera peut-être de me voir reprendre la plume à mon âge pour écrire des aventures de fortune et d'amour. Mais si la réflexion que je viens de faire est solide, elle me justifie. Si elle est fausse, mon erreur sera mon excuse. Alors ici, je voudrais insister, même si c'est peut-être un petit peu exagéré, sur le fait que l'avis au lecteur se termine sur une expression de doute, sur l'idée que peut-être que ça n'est pas si vrai que ça. En tout cas, c'est comme ça qu'on peut interpréter la répétition de deux subordonnées circonstancielles de conditions, qui sont introduites par si Si la réflexion que je viens de faire est solide, et puis juste après, si elle est fausse, c'est-à-dire l'autre possibilité, eh bien, ça sera une erreur. Tout ça présente l'entreprise morale à travers le récit de l'histoire de Desgrieux comme une entreprise qui peut être juste, mais qui peut aussi être fausse après tout. Alors, c'est certainement un artifice rhétorique, mais on voit ici quand même une certaine ambiguïté, un certain doute. Et la raison en est évidente si on y réfléchit un tout petit peu plus. C'est qu'il peut être évidemment discutable... pour rendre les lecteurs et les lectrices plus moraux plus moral leur donner une moralité plus aiguë que de donner une histoire libertine parce que si on donne des aventures de fortune et d'amour pour dire aux gens attention il faut surtout pas faire comme ça on leur donne quand même beaucoup de plaisir un plaisir qui est lié à la transgression morale précisément pour dit-on leur fournir un enseignement moral et donc Il y a une ambiguïté, il y a un doute, il y a une difficulté ici qui est bien évidente parce qu'il y a une contradiction. À parler de plaisir pour dire que le plaisir est quelque chose de mauvais, et en même temps, évidemment, comment faire autrement ? Donc la solution à trouver n'est pas si simple que ça. En tout cas, il faut absolument évoquer cette difficulté, on va le dire comme ça. Et c'est une difficulté qui vient immédiatement à l'esprit du lecteur, de la lectrice de Manon Lescaut, puisque... Dans les premières pages du récit, on a la scène de rencontre et dans cette scène de rencontre, Manon est immédiatement présenté comme l'incarnation du libertinage avec son passé, son penchant au plaisir. Manon apparaît tout de suite comme ça et on a évidemment envie d'en savoir plus, mais pour des raisons qui ne sont pas précisément morales. Et donc il y a une ambiguïté à raconter une histoire immorale. pour rendre le lecteur ou la lectrice plus morale, c'est bien évident. un autre argument là je passe à tout autre chose pour dire que ce roman se présente comme le dit la vie aux lecteurs comme un roman moral un roman qui sert à l'instruction à la vertu du lecteur c'est la fin bien souvent dans un récit ou dans n'importe quel type de livre après tout la fin est un moment qui révèle le sens de l'ensemble de ce qu'on a lu avant et Ici, la fin peut apparaître un peu comme une morale de fable, c'est-à-dire non pas seulement comme la fin d'une histoire, mais comme une conclusion, ce qui est bien différent. Et on peut y voir, enfin on peut, pour aller dans ce sens-là, évoquer deux éléments qui apparaissent à la fin. D'abord, c'est la mort pathétique et tragique de Manon. Et cette scène-là emporte l'empathie du lecteur pour Manon et pour Desgrieux. et rendent donc ces deux personnages sympathiques dans leur punition. La deuxième chose, c'est l'arrivée de Tiberge, juste après, quand Desgrieux revient à la Nouvelle-Orléans, et que Tiberge est arrivé pour le revoir. Et je vous lis l'extrait qui évoque justement le retour de Tiberge à la Nouvelle-Orléans, qui va voir son ami Desgrieux. Je ne pouvais marquer trop de reconnaissance pour un ami si généreux et si constant. Je le conduisis chez moi. Je le rendis maître de tout ce que je possédais. Je lui ai appris tout ce qui m'était arrivé depuis mon départ de France. Et, pour lui causer une joie à laquelle il ne s'attendait pas, je lui déclarai que les semences de vertu qu'il avait jetées autrefois dans mon cœur commençaient à produire des fruits dont il allait être satisfait. Il me protesta qu'une si douce assurance le dédommageait de toutes les fatigues de son voyage. Voilà pour la citation. Et ce retour de Tiberge à la fin, évidemment, Tiberge qui incarne la moralité, qui incarne le droit chemin, celui de la religion, l'ami fidèle, eh bien c'est le signe que la fin est ici la fin d'une fable, et une fable qui donne une morale, et une morale ici qui est le retour vers la religion. Et à ce titre, le retour de Tiberge à la fin et les retrouvailles des deux amis marquent le retour au droit chemin après ce qui a été finalement une parenthèse dans la vie de Dégrieux, en tout cas une parenthèse qui est présentée ici comme un moment d'égarement. Et un moment qui a valu une punition et la mort de Manon et ensuite la mort du père qui a aussi une valeur symbolique importante avant le retour. à un droit chemin évident, celui de la religion, et plus généralement de la morale, de la bonne morale de la société. Cela étant dit, il reste quand même une ambiguïté dans cette fin et dans l'extrait que je viens de vous lire à l'instant. Parce que Desgrieux nous dit Je lui déclarais que les semences de vertu qu'il avait jetées autrefois dans mon cœur commençaient à produire des fruits. Donc finalement Tiberge, tout ce qu'il a fait avant, c'était bien, ça a finalement créé des fruits qui viennent de toutes les graines qu'il aura semées pendant tous ces moments où il avait l'air de parler un peu dans le vide. Mais... Dégrieux ajoute au début de cette phrase-là Pour lui causer une joie à laquelle il ne s'attendait pas, je lui déclarais que… Et donc, on peut douter ici, et c'est ce que le texte produit comme effet chez nous, de la sincérité de ce que dit Dégrieux. Parce que pourquoi il lui dit ça ? Pourquoi il dit à Tiberge que les semences de vertu qu'il a jetées autrefois commencent à produire des fruits ? Il lui dit pour lui faire plaisir. pour lui causer une joie à laquelle il ne s'attendait pas. Et donc, ce n'est pas forcément la sincérité de Desgrieux qui parle ici. C'est peut-être seulement l'envie d'être agréable à son ami. Et donc, il y a bien une ambiguïté qui reste même dans cette fin-là. Et puis, pour conclure sur tout ça, il est clair qu'entre morale, moralité, religion d'un côté, et plaisir... libertinage, amour, passion amoureuse de l'autre, eh bien, on a affaire à un roman qui reste très complexe et dont l'interprétation reste ouverte et ambiguë. Et on peut dire un mot sur le dispositif narratif, pour le justifier aussi, puisque de la narration, on n'a pas tellement parlé jusque-là. Il y a quand même une particularité très grande de cette histoire-là, c'est qu'elle est racontée à travers des relais. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de narrateur omniscient qui vous dit la vérité et qui nous informe de tout ce que pensent, tout ce que ressentent tous les personnages. Cette histoire, on ne la connaît que par deux relais qui posent quand même beaucoup de problèmes pour accéder à la réalité des choses. C'est Renoncourt d'abord, qui raconte l'histoire de Dégrieux ensuite, et donc il y a quand même un problème de mémoire, parce que Renoncourt ne peut pas, c'est parfaitement invraisemblable, rapporter ce que Dégrieux lui a dit, alors que ça tient sur un livre moderne en 200 ou 300 pages. C'est pas très possible. Alors comment est-ce que... Tout ça peut être totalement précis, il faut accepter évidemment que tout ça est fictif et qu'en réalité c'est un auteur qui l'a écrit, parce que sinon c'est pas très crédible. Mais surtout, et ça c'est quand même le plus important, c'est Desgrieux qui nous raconte. Et Desgrieux c'est quand même le personnage principal. Et on voit qu'il y a un problème de mémoire et qu'il y a un problème qui est inhérent à toute écriture autobiographique, c'est qu'il y a deux Desgrieux différents. pour simplifier. Il y en a au moins deux. Un qui est le personnage qui vit les différentes aventures pendant son histoire avec Manon. Et puis il y a le dégrieux qui est en train de raconter son histoire à l'homme de qualité. Et on voit qu'il fait extrêmement souvent des prolepses, des anticipations sur ce qui va se passer après. Ce qui donne d'ailleurs une coloration un peu tragique parce qu'on a l'impression que tout ça est écrit par avance. Et puis il y a des analyses psychologique de ce qu'il a vécu à un certain moment. Et tout ça, c'est mélangé avec l'émotion du moment qui est revécue par le dégrieux qui est en train de raconter l'histoire qui lui est arrivée. Et puis, on voit bien, de manière assez claire dans bien des situations, que dégrieux a une stratégie qui est plus ou moins volontaire, ça évidemment absolument pas tranchée dans le moindre cas, une stratégie de disculpation. d'auto-disculpation. Il dit ses bonnes intentions, il défend son innocence, par exemple dans la scène de rencontre avec Manon. Manon l'expérimentait, Manon la libertine, et puis lui, le jeune garçon qui ne sait rien, qui n'a jamais pensé qu'il y avait des filles, des garçons, et qu'il pouvait se passer des choses, etc. Non, il se présente quand même souvent sous un jour qui est plutôt favorable pour lui. Alors, est-ce que c'est une stratégie volontaire de disculpation ? Ou est-ce que c'est involontaire ? A la limite, peu importe. Ce qui est sûr, c'est que pour lui c'est souvent la faute des autres, la faute de la société, de l'esco ou d'autres, mais de toute façon il justifie sa passion, comme c'est dit d'ailleurs dans la vie au lecteur. Donc on ne sait jamais complètement comment recevoir ce qu'il dit. Est-ce qu'il modifie un peu la réalité ? Est-ce que la réalité dans son esprit est un petit peu modifiée ? La chose est toujours ambiguë. Et on ne connaît l'histoire du chevalier des Grieux que par sa voix à lui. Et donc... Quand l'avis du lecteur nous dit que Dégrieux est un caractère ambigu, un mélange de vertu et de vice, ça encore c'est une citation qu'on peut conserver, qui dit donc que Dégrieux est, je cite, un caractère ambigu, un mélange de vertu et de vice, ça c'est dans l'avis au lecteur, eh bien on peut penser que cette caractérisation de Dégrieux vaut pour le livre, pour le roman lui-même. Et parce que ce roman qui est toujours ambigu, toujours un mélange de vertus et de vices, rend en réalité le lecteur ou la lectrice sans arrêt active. Parce que ça nous oblige sans cesse à interpréter, à se faire son idée, et éventuellement à discuter avec d'autres, parce que le roman ne nous donne pas toutes les clés d'une interprétation absolument univoque de tout ce qui se passe. Et donc ce qui règne, c'est l'ambiguïté. Voilà, en tout cas, ce que je souhaitais partager avec vous sur cette question du plaisir et de la morale dans Manon Lescaut de l'abbé Prévost. Vous pouvez retrouver un certain nombre de choses sur le site internet aufonddelaclasse.com. Je vous dis merci beaucoup de m'avoir écouté et à très bientôt. Ciao, ciao !