- Speaker #0
Bonjour, dans ce deuxième épisode, on retrouve Cyril Caminade, chercheur climatologue. Il réalise aujourd'hui des modèles pour tenter de prédire l'impact du climat sur le paludisme au Centre international de physique théorique à Trieste, en Italie. Bonjour Cyril.
- Speaker #1
Bonjour, je suis le docteur Cyril Caminade. Je suis climatologue de formation. J'ai travaillé sur le climat en Afrique. Et depuis une bonne quinzaine, vingtaine d'années, je travaille sur la modélisation des maladies vectorielles et leur lien avec le réchauffement climatique.
- Speaker #0
Donc, tu n'es pas médecin, tu es climatologue. Comment est-ce qu'on arrive à s'intéresser à l'évolution des maladies en tant que climatologue et notamment celle du paludisme ?
- Speaker #1
C'est un peu lié à mon histoire personnelle, puisque je travaille sur le climat en Afrique. Et je suis passé ensuite à la modélisation. des maladies vectorielles quand je suis allé à l'université de Liverpool. Dans toutes ces études de modélisation, on fait des approximations, c'est un modèle, ce n'est pas la réalité, et on fait des approximations assez fortes sur comment le réchauffement, comment les précipitations, comment les températures impactent ces moustiques et comment ils impactent aussi la transmission de la maladie.
- Speaker #0
Justement, à quoi peut-on s'attendre avec le changement climatique ? Comment les saisons vont être impactées ? Quelles seront les conséquences sur le paludisme, notamment en Afrique où la maladie est très présente ?
- Speaker #1
On a tendance à voir une augmentation de l'humidité, si vous voulez, c'est plus humide et il pleut plus dans le futur, les modèles sont assez d'accord là-dessus, hormis sur la pointe ouest de l'Afrique, vers le Sénégal où c'est un peu plus sec, ça c'est un petit peu l'accord multimodèle du GIEC. Par contre en termes de saison, c'est compliqué à prédire, les extrêmes en précipitation peuvent pousser la saison de transmission, avec des eaux stagnantes qui peuvent perdurer en delà de la saison, surtout si les aquifères sont remplis, et c'est déjà arrivé en Afrique de l'Ouest les années précédentes.
- Speaker #0
Sachant que les approches de lutte contre le paludisme sont aujourd'hui calibrées sur les saisons, les conséquences du changement climatique vont donc poser des défis certains au pays, tant en termes de contrôle de la population de moustiques que de temporalité d'administration des traitements aux populations.
- Speaker #2
On recherche un criminel, le moustique anophèle. Sans ce minuscule bandit, le redoutable fléau de la malaria disparaîtrait du globe. C'est le moustique anophèle qui transmet le parasite du paludisme de l'homme malade à l'homme bien portant. L'anaphale se distingue aisément des autres moustiques du fait qu'il se tient sur la tête, à un angle de 45 degrés ou plus.
- Speaker #0
Partant de ce constat, quels sont les scénarios possibles qui pourraient influer sur la transmission du paludisme ?
- Speaker #1
Le risque de transmission du paludisme, ça va être un risque non linéaire. Ça va dépendre de la zone d'étude, ça va dépendre aussi de la saisonnalité et des limites, à la fois en température et en précipitation. Sur les scénarios, on est plutôt sur des... du plus chaud et du plus humide sur une grande partie de l'Afrique, avec beaucoup d'incertitudes dans les modèles de climat qu'on utilise pour regarder ces projections. On se retrouve avec un risque d'augmentation du risque de transmission sur les zones d'altitude, à l'altitude moyenne, 1.500 mètres, 2.000 mètres, puisque la température pourrait être permissive pour la transmission. Par contre, des fois sur les zones de plaine, les zones plus sèches, avec une augmentation très forte des températures, on pourrait rentrer dans des domaines qui sont à la fois mauvais pour la santé humaine directement, mais qui pourraient aussi réduire les populations de moustiques et donc avoir un impact positif sur la transmission du paludisme. Donc ce n'est pas linéaire, ça dépend où on se place, ça dépend de la saison. Pour l'Afrique, pour le monde, sur des scénarios extrêmes et long terme, on a tendance à voir des modèles qui nous simulent une augmentation du risque de transmission dans les zones d'altitude. Par exemple sur les plateaux d'Ethiopien, où les populations n'ont pas été très exposées aux parasites, donc ça pourrait causer potentiellement des épidémies. Il faudra faire attention, anticiper dans ces zones d'altitude médiane. Et par contre, sur l'Afrique de l'Ouest, on a tendance à une diminution du risque lié à des températures extrêmement fortes. Ça va tuer les moustiques. Le vecteur, les moustiques anophèles, pour le paludisme, est un ectotherme, donc il ne régule pas sa température. Ce vecteur est impacté dans tout son cycle aquatique, cycle adulte, par la température de l'eau, la température de l'air. Ça va impacter sa fréquence de morsure, son taux d'oviposition, et ça va aussi accélérer le cycle du parasite à l'intérieur de l'insecte, après que l'insecte se soit nourri sur une hôte infectée. Ça prend un certain temps pour que le moustique devienne infectieux. et puisse retransmettre la maladie. Et ce temps dépend très fortement de la température. Ensuite, il y a aussi un effet limite, parce que si la température devient vraiment trop forte et les conditions sont trop sèches, on n'a plus d'huile de lard vert, on va aussi augmenter la mortalité de l'insecte vecteur, et donc on va avoir un crash de population, et par conséquence... de manière théorique, une diminution du risque de transmission du paludisme.
- Speaker #0
Donc si je comprends bien, tous les scénarios ne sont pas fixés, mais ce qu'on sait, c'est que la température et le cycle des précipitations ont des effets certains sur le moustique, vecteur du parasite responsable de la maladie. mais aussi sur le cycle de développement de ce parasite lui-même dans l'organisme du moustique. Et ça a pour conséquence soit d'accentuer le risque de transmission du paludisme à certains endroits, comme en altitude où la hausse des températures sera propice au développement du moustique, soit de diminuer le nombre de moustiques dans des zones plus basses dites de pleines, car ils ne survivront pas aux chaleurs extrêmes, mais potentiellement au même titre que les humains. Vaste programme !
- Speaker #1
La saisonnalité est super importante en termes de précipitations. Les précipitations vont fournir des gites larvaires aux anopheles. Les anopheles ont tendance à plutôt déposer leurs oeufs dans de l'eau propre, non polluée, mais ça change, on s'en est rendu compte récemment. Et donc vont suivre l'émergence massive de moustiques, tentent à suivre la variabilité saisonnière des précipitations. Par exemple, sur la zone sahélienne, on a une saison de pluie très claire, on va dire du juin, juillet jusqu'à septembre, octobre. et les moustiques vont donc piquer, vont donc se développer pendant cette période. On va avoir tendance à voir apparaître des cas cliniques en général un ou deux mois après la fin de la saison des pluies, vers courant octobre, novembre, vraiment au plus tard. Dans les zones d'altitude, on a peu de transmission, c'est assez froid la nuit, et les moustiques sont peu abondants et ont une probabilité faible de transmettre la maladie, mais ça pourrait changer avec des températures plus élevées. Et la saison des précipitations peut aussi changer d'une saison sur l'autre, ce qui peut affecter la transmission.
- Speaker #3
En fait, il y a un lien étroit entre l'évolution de la végétation, de l'humidité, de la pluie, avec la transmission des cas de paludisme. Et de cette manière-là, ça nous a permis également d'orienter les stratégies en fonction de cela. Si je prends l'exemple, par exemple, de la ville de Niaména, qui connaît depuis 2020 des inondations, qui sont bien annuelles, généralement, en 2020, 2022, 2024, nous avons vu que même après la saison des pluies, il y avait une transmission du paludisme qui était plus longue que d'habitude.
- Speaker #1
L'impact du réchauffement climatique sur le paludisme peut être non linéaire, avec des impacts qui peuvent faire monter le risque de transmission en altitude et diminuer le risque dans les plaines, si on se base sur un scénario extrême climatique dans le long terme. Mais il faut aussi considérer les événements extrêmes, météorologiques, qui ont tendance à être accentués sous l'effet du réchauffement climatique. Les vagues de chaleur. qui peuvent avoir un effet bénéfique sur la transmission, puisque là on va tuer les populations de moustiques. Par contre, les extrêmes en précipitation, ce qui peut mener à des déplacements de population, dont des brassages de parasites, ce qui peut aussi mener à la destruction des services de santé directement. On n'a plus accès à la clinique, ou la clinique n'existe plus. Et aussi, ces inondations vont avoir un effet bénéfique sur les larves sur le court terme. On parle de lessivage de larves. Par contre, le temps que l'eau récède, on va avoir une survenue... piques d'abondance décalées dans le temps liées à ces inondations, et du coup des cas de paludisme qui vont être aussi décalés dans le temps, ce qui peut aussi changer la saisonnalité moyenne des cas de paludisme, et c'est des choses qu'on observe déjà en Afrique de l'Ouest.
- Speaker #0
Donc là, si on prend le cas de scénarios extrêmes météorologiques, qui sont autant de manifestations du dérèglement climatique, il peut y avoir des impacts positifs avec une baisse du nombre de moustiques qui transmettent la maladie, mais le pendant négatif, c'est que ces mêmes événements extrêmes menacent de toute façon la santé humaine. On note que la destruction des centres de santé, ou les migrations forcées et le brassage des populations, conséquence plus indirecte des catastrophes climatiques, peuvent quant à elles favoriser la transmission du paludisme en entravant l'accès aux soins. D'ailleurs, un défi très difficile à anticiper, c'est la façon dont les moustiques et les parasites vont s'adapter à ces changements environnementaux. Et nous aussi, on doit s'adapter en temps réel et rapidement à ces scénarios pour poursuivre la lutte efficacement.
- Speaker #1
Alors les moustiques vont créer... probablement s'adapter aux effets du réchauffement climatique, ça va être un peu une course entre leur vitesse d'adaptation, d'évolution par rapport au réchauffement. S'ils ne sont pas assez rapides, ils vont disparaître sur certaines conditions chaudes et arides. Mais ils peuvent aussi s'adapter. Ils peuvent par exemple aller chercher les hôtes à l'intérieur, ils peuvent changer de comportement, ils peuvent peut-être changer d'hôtes aussi, et puis du bétail, d'autres animaux. Et le parasite, lui, s'adapte surtout... Bon, il y en a plusieurs, déjà, des plasmodiums. Là, on parle de plasmodium falciparum, qui est la version tropicale du paludisme. Il y en a des versions plus tempérées, il y a des versions de plasmodium qui vont affecter d'autres espèces, comme les reptiles, les oiseaux et d'autres primates. Elles sont très spécifiques. Mais celles qui affectent l'homme peuvent s'adapter aussi. En général, c'est lié au traitement. Et ils vont s'adapter donc au traitement disponible qu'on utilise comme la chloroquine.
- Speaker #4
Alors comment apparaît une résistance ? Eh bien, pour le moment, le moustique mutant est seul, largement dominé par les autres. Mais en se reproduisant, il va transmettre sa mutation. À la génération suivante, les moustiques mutants sont plus nombreux. Et au fil de génération... ils finissent même par être majoritaires.
- Speaker #1
La résistance, c'est lié au fait que le moustique est exposé aux insecticides. Les générations qui ont survécu à ces insecticides développent une résistance. Il y a des souches qui survivent au traitement, elles vont devenir résistantes et vont passer ces gènes à leur portée en dessous. Ça, c'est plutôt l'évolution, l'adaptation. Même s'il y a une influence, on peut en parler de la température un petit peu, puisque certains vecteurs peuvent s'adapter aussi aux conditions. On voit que des fois, ils peuvent avoir épaissi leurs cuticules, ce qui les rend plus résistants.
- Speaker #0
En synthèse, que l'on parle de développement de la résistance des moustiques face aux insecticides ou des parasites face au traitement, il est question d'adaptation évolutive. Du côté des humains, on peut avoir une population qui n'a jamais rencontré le paludisme et dont le système immunitaire n'est pas adapté.
- Speaker #1
Exactement, il y a des populations qui n'ont jamais été exposées ou peu exposées sur le temps. Et leur susceptibilité est bien sûr plus importante que les populations... d'Afrique centrale qui elles ont été exposées depuis plus longtemps aux parasites. Donc il y a une susceptibilité, une vulnérabilité de certaines populations qui est plus élevée à l'infection. Il y a aussi tous les effets qu'on peut penser sur l'urbanisation. L'urbanisation est galopante. Partout sur la planète, tout le monde vit dans les villes, et c'est la même chose en Afrique. Étant donné que cette urbanisation est importante, on a tendance, historiquement, à penser que c'est bon pour le paludisme, puisque les moustiques anophèles n'aiment pas la pollution. Mais on voit aussi que les moustiques s'adaptent et commencent un peu à s'infiltrer de manière urbaine, même si, en grande moyenne, les anophèles classiques, comme anophèles gambiers, funestus, arabiensis, sont plutôt des moustiques de zone rurale. Après, il y a l'arrivée de nouveaux joueurs aussi, comme Manofele Stephensi, qui lui est un vecteur urbain, qui a été introduit d'Inde à Djibouti et qui s'est ensuite propagé sur la corne de l'Afrique. Donc lui, il va potentiellement poser un gros problème en zone périurbaine, où les conditions d'hygiène sont un peu plus basses que le centre d'une ville, par exemple.
- Speaker #3
Le changement climatique, c'est aujourd'hui, ce n'est plus une menace,
- Speaker #1
c'est une réalité.
- Speaker #3
Aujourd'hui, nous ne pouvons pas imaginer une lutte contre l'épandisme sans prendre en compte... tous ces éléments qui nous entourent et qui sont en perpétuel changement liés soit au changement climatique, soit au mouvement des populations. Et donc vraiment, tout ce qui nous entoure doit être pris en compte dans les stratégies et dans notre manière de lutter contre le paludisme.
- Speaker #1
On a parlé des effets du réchauffement climatique sur le risque de transmission du paludisme. Mais en fait, ces effets sont plus ou moins déjà là, on commence à les observer. Donc c'est un peu les premiers effets du réchauffement climatique sur cette transmission. On voit déjà par exemple avec des données historiques que sur les plateaux du Katanga, la saisonnalité des transmissions, d'incidence, c'est décalé de un mois déjà, donc ça, ça a été observé. Et nos collègues africains vont aussi changer la saison de transmission, surtout depuis ces dernières années sur la bande ouest sahélienne, où il y a eu beaucoup d'eau, il y a eu des moussons extrêmement importantes, ce qui va un peu dans la direction des scénarios du GIEC. Et on se retrouve avec des saisons de transmission qui sont plus longues, des nouveaux districts qui sont du coup impactés, qui étaient peu contrôlés, qui maintenant vont poser un challenge pour les services de contrôle dans plein de pays africains. Pour conclure, on peut dire que l'étude du climat permet au moins partiellement de prédire ou un petit peu anticiper la survenue d'épidémies de maladies vectorielles. Et du coup, en couplant la climatologie et l'épidémiologie, les différentes sciences, un peu de statistiques, on peut essayer justement de prévoir le risque pour le futur en sachant qu'il y a quand même des incertitudes énormes, puisque le climat est juste un seul facteur dans une équation extrêmement complexe. Il y a beaucoup de paramètres socio-économiques qui vont rentrer en jeu. Et avoir la vraie photo du paludisme pour le futur, c'est une réponse multivariée. et on a un petit peu quand même d'espoir puisqu'il y a des nouvelles technologies qui se développent, à la fois en termes de tests, à la fois en termes de vaccins, en termes de traitements. Donc ce n'est pas tout noir et le développement économique pourrait aussi beaucoup aider à l'éradication du paludisme sur le continent africain.
- Speaker #0
Merci Cyril et merci au Dr Issaka Diar Mahamat Saleh du PNLP du Tchad pour nous avoir livré son témoignage. Des mots de conclusion qui nous rappellent bien que la préservation de la santé humaine s'organise à un niveau global et sous un prisme holistique par l'octroi de moyens suffisants partout dans le monde. La réponse, mais surtout l'absence de réponse et de prévention des problèmes, produisent des effets ricochés à l'échelle mondiale, le Covid-19 en étant la manifestation brutale la plus récente. Empêcher un malheureux effet boule de neige, c'est tout l'enjeu des stratégies de santé mondiale et des politiques d'investissement solidaires et durables qui sont pourtant fortement menacées aujourd'hui. Contre la désinformation qui circule sur l'aide publique au développement, nous espérons que ce podcast, produit par l'initiative Expertise France, réussisse à rendre accessibles les grands enjeux qui lient changement climatique et paludisme en lumière la nécessité d'investir dans le combat contre la maladie. Le prochain épisode se concentrera d'ailleurs sur la recherche et les moyens qu'elle offre pour pallier les incertitudes de scénario et lutter efficacement contre le paludisme. Merci pour votre écoute, on s'y donne rendez-vous.