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Episode 4. Hélène Faller, une nomade morte dans un camp d’internement français / Entre nuit et lumière cover
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Région Grand Est

Episode 4. Hélène Faller, une nomade morte dans un camp d’internement français / Entre nuit et lumière

Episode 4. Hélène Faller, une nomade morte dans un camp d’internement français / Entre nuit et lumière

22min |19/09/2025
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22min |19/09/2025
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Description

Sur une de ses photographies anthropométriques, Hélène Faller regarde l’objectif d’un air étonné. Ce document produit par la police témoigne des persécutions qu’elle a subies en tant que Yéniche.Contrôlées par la IIIe République avant la Seconde Guerre mondiale, déconsidérées par les autres citoyens, les communautés itinérantes de France connaissent à partir de 1940 la politique « anti-nomade » du régime de Vichy et les mesures « anti-tsiganes » des nazis en zone annexée.


Née en Alsace, Hélène est tour à tour la cible de ces persécutions. Comment raconter cette histoire méconnue et peu documentée ? Pourquoi certaines histoires ne sont-elles pas transmises ? En s'appuyant sur les recherches récentes des historiens et le travail d’associations mémorielles, cet épisode part sur les traces mouvantes d'Hélène Faller, une femme parmi les 60 Alsaciens et Mosellans nomades morts à cause de la guerre. 


Un épisode réalisé par Maud de Carpentier et Stéphanie Wenger, avec les interventions de Théophile Leroy, historien des persécutions des Manouches, Sinti et Yéniches du Rhin entre 1938 et 1946, et de Marie-Reine Haug d’Appona 68, présidente de l’association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace et d'Elisabeth Florentin, directrice d’Appona 68. Les musiques yéniches sont interprétées par Mano Trapp.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce mémorial,

  • Speaker #1

    est-ce que c'est une forme de réparation ?

  • Speaker #2

    Peut-être. En fait, je me sens responsable et dépositaire de leur mémoire.

  • Speaker #0

    Et demain, peut-être qu'il aura son nom dans le mur des noms, avec toute son histoire.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est pour les vivants ou pour les morts ?

  • Speaker #0

    Et voilà.

  • Speaker #2

    J'imagine que c'est pour les vivants.

  • Speaker #3

    La région Grand Est présente Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série de dix épisodes en partenariat avec le mémorial Alsace-Moselle et l'INA.

  • Speaker #0

    Je vois le mur des noms effectivement comme un appel à la population à rentrer plein dans l'histoire.

  • Speaker #3

    Dans le centre de l'Alsace, à Chirmec. se trouve un monument construit en hommage aux morts et disparus alsaciens et mausélands de la Seconde Guerre mondiale. Près de 40 000 noms y sont mis en lumière dans un environnement immersif. Ce podcast retrace le parcours de 10 de ces 40 000 victimes, 1 par catégorie de destin. Les incorporés de force, les juifs, les combattants sous uniforme français, les résistants, les victimes civiles, les homosexuels, les tziganes et nomades, les témoins de Jéhovah. Les malades psychiatriques. Des hommes, des femmes, des enfants. Voici leurs histoires. Épisode 4. Hélène Falleur. Une nomade morte dans un camp d'internement français.

  • Speaker #1

    Hélène Faller est alsacienne, née à la fin du XIXe siècle à Krauter-Gersheim. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle se déplace dans toute la région pour son travail avec son mari, Jean-Ernwein. Elle est vanière et vend des objets de mercerie aussi. Ils sont tous les deux issus de la communauté jeniche, mais pour la Troisième République française, ils relèvent de la catégorie nomade. À l'intérieur de ce vocable administratif, on retrouve diverses communautés. Les Manouches, les Roms, les Gitans, et aussi donc les Yenichs. Ces populations partagent une certaine culture, la vie en itinérance, des métiers aussi, pas forcément la langue ou l'origine géographique de leurs ancêtres. Les Yénichs vivent dans tout l'espace rénant, ils parlent un dialecte très proche de l'alsacien. Mais donc, pour la France, Hélène Falleur et son mari sont nomades, et cette catégorie de la population est soumise à un régime coercitif. Depuis le retour du territoire à la France, après l'armistice de 1918, cette législation s'y applique petit à petit. Théophile Leroy est historien. Et il a consacré sa thèse aux persécutions des nomades lors de la Seconde Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Le bassin Rénan est un espace de vie, de circulation transfrontalière, et de marché, de foire, et ses familles itinérantes faisaient le lien entre ville et campagne. à travers du commerce ambulant, mais aussi de la musique, de la réparation d'instruments de musique ou du commerce de violons, par exemple. Et donc Hélène Faller fait partie de ces mondes itinérants, très présents en Alsace.

  • Speaker #4

    Carnet anthropométrique d'identité d'Hélène Faller.

  • Speaker #0

    Elle est déjà, dans les années 20 et 30, identifiée comme nomade par la préfecture du Bas-Rhin.

  • Speaker #4

    Profession, vannier, nationalité française.

  • Speaker #0

    Donc elle est obligée de porter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #4

    Signalement. Taille 1m55,5 Pour surveiller ses déplacements Mesure du zygomatique 14 cm Mesure de l'oreille droite 6 cm de haut 5 cm de large Mesure du médius gauche 11 cm de long 3 cm d'épaisseur Mesure de l'auriculaire 8 cm de long Donc elle est vraiment sous le regard de la police et de la préfecture Couleur de l'iris 3 Cheveux fins Risonnant Au verso, deux photographies d'Hélène Faller De face et de profil Ainsi que ses empreintes digitales pour les deux mains

  • Speaker #1

    Sur la photo prise de profil, Hélène Faller ferme les yeux Sur la photo de face, elle a les yeux ouverts. Ses cheveux attachés derrière la tête, elle porte une blouse à carreaux avec un pompon autour d'un col clodine. Elle regarde l'objectif avec un air un peu étonné et un très léger sourire, mais ce n'est sûrement pas un sourire.

  • Speaker #0

    La loi de 1912 oblige les nomades à apporter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #1

    Théophile Leroy.

  • Speaker #0

    Il est composé d'une première partie avec photographie face-profil, les empreintes digitales, l'état civil, le signalement. Donc ça c'est toutes les techniques d'identification mises en place par Alphonse Bertillon à la fin du XIXe, donc c'est vraiment le bertillonnage à son apogée. Donc ça c'est pour la première partie de ce carnet anthropométrique. La deuxième, c'est des centaines de pages où ce sont des visas. Et les visas, en fait, le porteur de ce carnet. devait obligatoirement faire tamponner par la mairie, lors de son séjour dans une commune, pour instaurer un régime de traçabilité de ses déplacements. C'est vraiment un régime de contrôle quotidien. Ça entraîne un face-à-face quotidien avec les autorités policières, dans les années 20-30. C'est pour ça que la gendarmerie ou la police sait très bien où se trouvent ces familles au moment d'organiser les arrestations, les évacuations ou les déportations.

  • Speaker #1

    En France, en raison d'un style de vie à part, les nomades éveillent la suspicion des autorités et souvent celle des villes et des villages qu'ils traversent. Surtout en temps de guerre. En septembre 1939, ils sont assignés à résidence par la Troisième République. Ils n'ont plus le droit de circuler. En Alsace et Moselle, avec l'entrée en guerre contre l'Allemagne, alors que la population est évacuée, les nomades sont traités de façon particulière. Comme les autres familles itinérantes, ils sont triés et transférés dans des lieux spécifiques. pour maintenir ce régime de surveillance qui les poursuit. Dans le Bas-Rhin, des Yénichs sont regroupés à Hagenau et expulsés vers les camps d'internement du Sud. Dans le Haut-Rhin, la préfecture organise ce transfert à l'hôpital psychiatrique de Cernay. Les familles qui se maintiennent malgré tout sur le territoire seront rattrapées par les politiques nazies.

  • Speaker #0

    Au moment de l'entrée en guerre, les Allemands envahissent l'Alsace et puis l'annexent de fait. Et donc à cette période-là se met en place toute une législation policière anti-tsiganes. Les Allemands vont venir avec une nouvelle catégorie, qui est la catégorie tsigane, et vont procéder à l'expulsion des familles jugées hostiles, dont font partie les tsiganes, les prétendus tsiganes, et ils vont les expulser vers le sud de la France. Ça c'est dès l'été 40. Il y a des vagues d'expulsions par convoi vers Lyon, de familles identifiées comme nomades, de familles itinérantes. Et alors Hélène Faller n'est pas expulsée immédiatement. On suppose qu'elle arrive à se cacher ou se dissimuler, ou en tout cas, elle échappe à cette première vague d'expulsion, puisque les autorités allemandes voulaient faire vraiment de l'Alsace un espace épuré, entre guillemets, de toute présence cigane, toute présence juive, présente francophile en général. Et donc, il y a un véritable nettoyage ethnique de l'Alsace à ce moment-là.

  • Speaker #1

    En Allemagne, dès l'arrivée au pouvoir des nazis, les familles de ces communautés itinérantes qu'elles soient jeniches, manouches, sinti comme on les appelle en Allemagne, ou roms, sont persécutées en tant que zigeuners. Un terme qui les envisage d'abord en tant qu'associaux, avant d'évoluer comme une catégorie raciale qui doit être exterminée. Dès 1933, la stérilisation est pratiquée. Les internements dans des camps de travaux forcés ou des camps de concentration sont la norme. En décembre 1942, le décret d'Auschwitz Des sites de la déportation de masse des tziganes vivant encore dans le Reich. Cette politique a concerné aussi certaines familles nomades d'Alsace et de Moselle. En mars 1943, deux convois partent de Strasbourg et Sarbreuk vers Auschwitz-Birkenau. Les autres sont en majorité expulsés et internés dans des camps en zone non occupée. Pour l'ensemble de ces populations, l'historien Théophile Leroy parle de dislocation.

  • Speaker #0

    Alors oui, le terme de dislocation, je l'utilise pour essayer de caractériser les persécutions dont étaient victimes les populations dites nomades en Alsace, puisqu'elles étaient reliées par des réseaux d'alliances, que ce soit des réseaux d'alliances matrimoniaux, économiques, affectifs, qui les reliaient en fait dans tout le bassin rénant. Et en fait, comme ces populations se trouvent dans une zone frontalière, elles vont être la cible de discrimination et d'une politique de surveillance de la part. Tant de la France et puis tant du régime nazi, il y a une projection de ces catégories, nomades et tiganes, par les autorités centrales sur ces populations alsaciennes. Et donc en fait, au moment de l'entrée en guerre, on observe des politiques d'évacuation ciblée, d'expulsion, de déportation, où l'espace alsacien va peu à peu être vidé de ces familles itinérantes. Alors il y a des familles qui sont justement, comme Hélène Faller, qui sont expulsées vers le sud de la France. mais on a aussi Des politiques de déportation organisées par les autorités policières allemandes à Strasbourg de déportation vers Auschwitz ou vers d'autres camps de concentration. Donc on a vraiment une dislocation à l'échelle européenne de ces familles. Donc ça c'est une dislocation géographique. Donc elles sont vraiment éparpillées par ces violences menées par les autorités policières. Et il y a aussi une dislocation familiale puisque dans ce contexte-là, les familles sont brisées, sont séparées, sont disloquées. Et donc les enfants sont... parfois coupés et séparés de leurs parents dans différents camps d'internement en France.

  • Speaker #1

    Peu de documents nous sont parvenus pour retracer le parcours, dans ces années-là, d'Hélène Faller et de son mari Jean-Ernwein. Ils sont probablement tout le temps ensemble, car c'est ensemble qu'ils sont interpellés, par prévention, par la police criminelle allemande, la Kripo, à Celesta en 1942. Quelques mois plus tard, ils sont arrêtés à Lyon, puis transférés au camp de Rivesalte, dans les Pyrénées-Orientales. Ils y rejoignent des étrangers indésirables, comme les désigne le régime de Vichy. Des hommes, des femmes et des enfants, surtout des Espagnols et des Juifs étrangers. Toujours accompagnés de gens, Hélène s'évade de Rivesaltes. Ils sont arrêtés, puis, après un mois de prison, enfermés au camp de Salier en Camargue. Cet endroit a été spécialement créé en 1942 par Vichy pour y interner les populations nomades. Les conditions de vie y sont désastreuses. Le sous-préfet d'Arles le constate au cours d'une visite en 1943. Les baraques ne sont pas terminées, les internés n'ont ni couverture ni vêtements, il n'y a pas d'eau potable ou d'évacuation des eaux usées, le camp est surpeuplé. Le haut fonctionnaire, alarmé, écrit.

  • Speaker #5

    Plus de 400 individus divers, dont 200 petits-enfants, y vivent dans un état de dénuement, de misère et d'insalubrité extrême. Entassés à 40 dans des baraques prévues pour 12 personnes, Les enfants sont à peu près nus, couverts de vermine et littéralement affamés. Il n'y a déjà eu que trop de morts à Salier, et l'hôpital d'Arles en reçoit quotidiennement qui sont de véritables squelettes.

  • Speaker #0

    Et ce camp de Salier, ce qui est très intéressant, c'est que c'est un camp créé ex nihilo par le régime de Vichy, et son objectif premier c'est de rassembler les nomades dans un camp spécifique. Donc de les séparer du reste des internés, puisque à Rivesalte, il y a d'autres catégories d'internés aussi. Il y a des réfugiés républicains espagnols, il y a des familles juives aussi, il y a des opposants politiques, enfin, beaucoup de catégories de personnes jugées hostiles par le régime de Vichy. Et donc Hélène Falleur, comme les autres nomades du camp de Rivesalte, est transférée en novembre 1942 au camp de Salier. Le camp de Salier, qui est vraiment un camp créé par le régime de Vichy, et ça, j'insiste dessus, puisque on a souvent dans l'historiographie... dit que l'internement était une décision allemande. C'est vrai pour la zone occupée, mais en zone dite libre, le régime de Vichy est souverain et autonome dans sa politique anti-nomade et va donc créer ce camp spécifique à Saliers où les conditions de vie vont être désastreuses. Une famine généralisée, beaucoup de morts, notamment des nouveau-nés et des personnes âgées. Et Hélène Falleur décède en 1943 de ces mauvais traitements et donc de cette... Législation de cette politique de destruction menée par le régime de Vichy contre les populations dites nomades.

  • Speaker #1

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, 60 nomades alsaciens et mausélands ont péri dans des camps d'internement français ou des camps de concentration allemands en raison de la persécution à leur encontre. En Alsace... il y a un lieu où se sont croisées les trajectoires brisées des familles nomades. Cernay, dans le Haut-Rhin. En dehors des historiens et des familles concernées, ce passé est peu connu. En 1940, l'hôpital psychiatrique de cette ville a pourtant servi de transit pour le transfert de plusieurs familles, depuis le sud de l'Alsace vers les départements de l'intérieur. Cernay est une étape sur le chemin de l'internement. C'est là-bas que rendez-vous est donné à Apona 68. L'Association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace a entrepris il y a une quinzaine d'années un précieux travail de collecte de témoignages de manouches qui ont survécu à l'internement.

  • Speaker #2

    Avant le recueil de témoignages et avant le travail qu'on a fait de récolte d'archives pour les personnes manouches, on n'avait quasiment pas travaillé la question.

  • Speaker #1

    Elisabeth Florentin, Apona 68.

  • Speaker #2

    Ce qu'on en a su une fois qu'on a travaillé sur l'internement des tiganes, c'est ce qui est aussi identifié dans notre bouquin, il y a une phrase qui est dite, c'est « Je n'aime pas témoigner, mais écrivez mes paroles » . L'idée d'en parler, c'était évidemment compliqué pour les familles. Après, ce qu'on en retient, c'est que c'est quand même une histoire qui a été occultée pendant des années, que les familles tiganes n'en ont pas parlé, pour plein de raisons, mais... qui sont de l'ordre souvent culturel mais aussi des raisons comme d'autres personnes qui sont revenus et qui ont été persécutés pendant la seconde guerre mondiale, toutes n'ont pas pu parler, voulu parler. Au niveau culturel, ce qu'on peut retenir, c'est les motifs qu'on perçoit et qu'on nous dit. C'est un certain nombre de tabous autour de la mort. On ne parle pas de la mort, on ne parle pas de la personne décédée. On ne la nomme pas. Donc ça, ça peut être une raison pour laquelle les personnes tiganes n'ont pas parlé. Un deuxième élément, ça peut être que la culture tigane est une culture orale, et pas une culture écrite. Donc, peu de traces, pas de traces. Écrite en tout cas. Une autre raison, c'est aussi dans la culture tigane, on vit le présent. On évoque que très peu le passé et on ne se projette pas dans l'avenir. Et puis, chez les personnes tiganes, encore jusqu'à il n'y a pas très longtemps, et c'est encore présent chez certaines personnes, quand une personne décédait, tout devait disparaître. Tout ce qui lui appartenait devait disparaître et disparaissait également du coup. ou éventuellement des documents, mais aussi des photos. Retracer l'histoire et en parler sont des éléments compliqués pour les familles tiganes. Après, traditionnellement, on n'écoute pas les tiganes. Je pense qu'ils n'ont pas trop eu envie de parler parce qu'ils se sont dit de toute façon on ne va pas m'écouter.

  • Speaker #1

    En 2009, l'association recueille le récit d'une Alsacienne, alors âgée de 77 ans. Cette manouche a des souvenirs marquants de son passage toute jeune dans le camp d'Argelès-sur-Mer. Ses témoignages de nomades internés sont rares et racontent l'extrême dureté de la survie dans ces camps, qui restent peu connus.

  • Speaker #6

    J'ai quelques souvenirs des camps. J'avais faim. J'allais toujours vers ma mère et je lui disais « je veux du pain, je veux du pain » . Ma mère me répondait, ma fille, j'en ai pas, j'ai rien. Des fois, elle me gardait un bout de pain là dans sa poche, et souvent il n'y en avait plus. Une fois, il lui restait des miettes. Elle a sorti ça de sa poche et elle me les a mis au creux de la main. Tiens, ma fille. De ça, je me souviendrai toujours. On n'avait pas le droit de sortir, on n'avait pas le droit d'aller à l'école. C'est seulement quand je suis sortie après la guerre que je suis allée à l'école, mais je n'y étais pas longtemps. Dans le camp d'Argelès, il y avait des cuisiniers. Mais de ça, nous, on ne recevait rien. Ils balançaient des tomates trop mauvaises par la fenêtre. Il y avait du sable, c'était en bord de mer. Le frère d'Angelo et moi, on les ramassait et on les mangeait elles. C'était plein de sable, mais on n'avait rien. On dormait par terre dans une baraque. Que des baraquements de sinistrés. Je me souviens du vent et de la pluie. Quand il y avait du vent, le sable se mettait sur le côté de la baraque et d'un seul coup, ma mère, quand on était couché, dit « Faut s'enlever ! » Il y avait tellement de sable sur la baraque qu'elle s'est écroulée. On aurait pu être ensevelie tellement il y avait de sable sur la maison. Je n'avais jamais vu la mer avant d'être enfermée. C'est pour ça que je n'aime pas trop la mer. Et le vent. J'ai trop de souvenirs. Je ne veux pas que tu mettes mon prénom. Secret.

  • Speaker #1

    Alors que près de 7000 personnes ont été internées dans une trentaine de camps sur l'ensemble du territoire français, cette histoire reste dans l'ombre. La première thèse sur la question n'a été rédigée qu'au milieu des années 90. Ce n'est qu'en 2016 que le président de la République d'alors, François Hollande, reconnaît la responsabilité de la France dans la persécution et l'internement de milliers de personnes. À Montreuil-Bellet, le plus grand camp d'internement de nomades de la France occupée, est aujourd'hui lieu de mémoire, il déclare. La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés. et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. En Alsace, cette réalité, les expulsions, l'internement, les déportations, est peu visible, méconnue.

  • Speaker #7

    L'internement des tiganes est peu connu par les autres personnes, mais comme est peu connue l'histoire des tiganes, leur présence depuis cinq siècles, il reste toujours pour la population locale des étrangers.

  • Speaker #1

    Marie-Ren Auge, présidente d'Aponna 68.

  • Speaker #7

    Nous, on est obligés dans l'association d'affirmer que ce sont des habitants de ce territoire depuis très longtemps qui y ont des droits aussi. Et donc, alors, imaginez de parler de l'internement. Nous, nous faisons régulièrement un peu de la formation sur l'histoire des Tziganes pour les rendre visibles, parce que ce sont les invisibles du territoire. Donc l'internement... à mon avis, est très peu connue. Effectivement, le mur des noms qui sera créé pour se souvenir de toutes ces personnes qui ont subi l'internement, les camps de concentration, le travail obligatoire, les déplacements, les malgré-nous, qui se met en place, c'est très important, parce que ça visibilise quelque chose.

  • Speaker #1

    Celles et ceux qui ont survécu à leur retour dans les anciens territoires annexés ont tout perdu. Leurs roulottes, leurs animaux, leurs outils de travail. Peu à peu, avec ce retour, c'est l'abandon de la vie nomade et, avec la sédentarisation, le renoncement à une partie de leur tradition. Contrairement aux autres victimes de guerre, ces familles n'ont jamais été indemnisées. Le génocide et les persécutions subies par les Manouches, Yenich, Roms, s'appelle le Samoudaripen. Il est commémoré le 2 août dans toute l'Europe depuis 2015. Cette date est reconnue officiellement par l'immense majorité des pays européens, mais pas en France. Le 2 août ne fait pas encore partie du calendrier mémoriel de la République française.

  • Speaker #3

    Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série proposée par la région Grand Est, en partenariat avec le Mémorial Alsace-Moselle et l'INA. Retrouvez l'intégralité du générique sur toutes nos plateformes de diffusion. Ce podcast a été écrit et réalisé par Maude de Carpentier, Stéphanie Wenger et Anna Bui. Conseillère scientifique, Julia Maspero, Ilze Ilbold, Frédéric Naudufour. Avec les voix de Gaëlle Chaya, Simon Cortès, Stéphanie Félix et Lucie Laurent. Musique, Charles de Cilia. Production, Making Waves. Enregistrement, Kawati Studio, Thomas Binétruy. Les chansons traditionnelles Yenish sont interprétées par Manotrap.

Description

Sur une de ses photographies anthropométriques, Hélène Faller regarde l’objectif d’un air étonné. Ce document produit par la police témoigne des persécutions qu’elle a subies en tant que Yéniche.Contrôlées par la IIIe République avant la Seconde Guerre mondiale, déconsidérées par les autres citoyens, les communautés itinérantes de France connaissent à partir de 1940 la politique « anti-nomade » du régime de Vichy et les mesures « anti-tsiganes » des nazis en zone annexée.


Née en Alsace, Hélène est tour à tour la cible de ces persécutions. Comment raconter cette histoire méconnue et peu documentée ? Pourquoi certaines histoires ne sont-elles pas transmises ? En s'appuyant sur les recherches récentes des historiens et le travail d’associations mémorielles, cet épisode part sur les traces mouvantes d'Hélène Faller, une femme parmi les 60 Alsaciens et Mosellans nomades morts à cause de la guerre. 


Un épisode réalisé par Maud de Carpentier et Stéphanie Wenger, avec les interventions de Théophile Leroy, historien des persécutions des Manouches, Sinti et Yéniches du Rhin entre 1938 et 1946, et de Marie-Reine Haug d’Appona 68, présidente de l’association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace et d'Elisabeth Florentin, directrice d’Appona 68. Les musiques yéniches sont interprétées par Mano Trapp.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce mémorial,

  • Speaker #1

    est-ce que c'est une forme de réparation ?

  • Speaker #2

    Peut-être. En fait, je me sens responsable et dépositaire de leur mémoire.

  • Speaker #0

    Et demain, peut-être qu'il aura son nom dans le mur des noms, avec toute son histoire.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est pour les vivants ou pour les morts ?

  • Speaker #0

    Et voilà.

  • Speaker #2

    J'imagine que c'est pour les vivants.

  • Speaker #3

    La région Grand Est présente Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série de dix épisodes en partenariat avec le mémorial Alsace-Moselle et l'INA.

  • Speaker #0

    Je vois le mur des noms effectivement comme un appel à la population à rentrer plein dans l'histoire.

  • Speaker #3

    Dans le centre de l'Alsace, à Chirmec. se trouve un monument construit en hommage aux morts et disparus alsaciens et mausélands de la Seconde Guerre mondiale. Près de 40 000 noms y sont mis en lumière dans un environnement immersif. Ce podcast retrace le parcours de 10 de ces 40 000 victimes, 1 par catégorie de destin. Les incorporés de force, les juifs, les combattants sous uniforme français, les résistants, les victimes civiles, les homosexuels, les tziganes et nomades, les témoins de Jéhovah. Les malades psychiatriques. Des hommes, des femmes, des enfants. Voici leurs histoires. Épisode 4. Hélène Falleur. Une nomade morte dans un camp d'internement français.

  • Speaker #1

    Hélène Faller est alsacienne, née à la fin du XIXe siècle à Krauter-Gersheim. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle se déplace dans toute la région pour son travail avec son mari, Jean-Ernwein. Elle est vanière et vend des objets de mercerie aussi. Ils sont tous les deux issus de la communauté jeniche, mais pour la Troisième République française, ils relèvent de la catégorie nomade. À l'intérieur de ce vocable administratif, on retrouve diverses communautés. Les Manouches, les Roms, les Gitans, et aussi donc les Yenichs. Ces populations partagent une certaine culture, la vie en itinérance, des métiers aussi, pas forcément la langue ou l'origine géographique de leurs ancêtres. Les Yénichs vivent dans tout l'espace rénant, ils parlent un dialecte très proche de l'alsacien. Mais donc, pour la France, Hélène Falleur et son mari sont nomades, et cette catégorie de la population est soumise à un régime coercitif. Depuis le retour du territoire à la France, après l'armistice de 1918, cette législation s'y applique petit à petit. Théophile Leroy est historien. Et il a consacré sa thèse aux persécutions des nomades lors de la Seconde Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Le bassin Rénan est un espace de vie, de circulation transfrontalière, et de marché, de foire, et ses familles itinérantes faisaient le lien entre ville et campagne. à travers du commerce ambulant, mais aussi de la musique, de la réparation d'instruments de musique ou du commerce de violons, par exemple. Et donc Hélène Faller fait partie de ces mondes itinérants, très présents en Alsace.

  • Speaker #4

    Carnet anthropométrique d'identité d'Hélène Faller.

  • Speaker #0

    Elle est déjà, dans les années 20 et 30, identifiée comme nomade par la préfecture du Bas-Rhin.

  • Speaker #4

    Profession, vannier, nationalité française.

  • Speaker #0

    Donc elle est obligée de porter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #4

    Signalement. Taille 1m55,5 Pour surveiller ses déplacements Mesure du zygomatique 14 cm Mesure de l'oreille droite 6 cm de haut 5 cm de large Mesure du médius gauche 11 cm de long 3 cm d'épaisseur Mesure de l'auriculaire 8 cm de long Donc elle est vraiment sous le regard de la police et de la préfecture Couleur de l'iris 3 Cheveux fins Risonnant Au verso, deux photographies d'Hélène Faller De face et de profil Ainsi que ses empreintes digitales pour les deux mains

  • Speaker #1

    Sur la photo prise de profil, Hélène Faller ferme les yeux Sur la photo de face, elle a les yeux ouverts. Ses cheveux attachés derrière la tête, elle porte une blouse à carreaux avec un pompon autour d'un col clodine. Elle regarde l'objectif avec un air un peu étonné et un très léger sourire, mais ce n'est sûrement pas un sourire.

  • Speaker #0

    La loi de 1912 oblige les nomades à apporter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #1

    Théophile Leroy.

  • Speaker #0

    Il est composé d'une première partie avec photographie face-profil, les empreintes digitales, l'état civil, le signalement. Donc ça c'est toutes les techniques d'identification mises en place par Alphonse Bertillon à la fin du XIXe, donc c'est vraiment le bertillonnage à son apogée. Donc ça c'est pour la première partie de ce carnet anthropométrique. La deuxième, c'est des centaines de pages où ce sont des visas. Et les visas, en fait, le porteur de ce carnet. devait obligatoirement faire tamponner par la mairie, lors de son séjour dans une commune, pour instaurer un régime de traçabilité de ses déplacements. C'est vraiment un régime de contrôle quotidien. Ça entraîne un face-à-face quotidien avec les autorités policières, dans les années 20-30. C'est pour ça que la gendarmerie ou la police sait très bien où se trouvent ces familles au moment d'organiser les arrestations, les évacuations ou les déportations.

  • Speaker #1

    En France, en raison d'un style de vie à part, les nomades éveillent la suspicion des autorités et souvent celle des villes et des villages qu'ils traversent. Surtout en temps de guerre. En septembre 1939, ils sont assignés à résidence par la Troisième République. Ils n'ont plus le droit de circuler. En Alsace et Moselle, avec l'entrée en guerre contre l'Allemagne, alors que la population est évacuée, les nomades sont traités de façon particulière. Comme les autres familles itinérantes, ils sont triés et transférés dans des lieux spécifiques. pour maintenir ce régime de surveillance qui les poursuit. Dans le Bas-Rhin, des Yénichs sont regroupés à Hagenau et expulsés vers les camps d'internement du Sud. Dans le Haut-Rhin, la préfecture organise ce transfert à l'hôpital psychiatrique de Cernay. Les familles qui se maintiennent malgré tout sur le territoire seront rattrapées par les politiques nazies.

  • Speaker #0

    Au moment de l'entrée en guerre, les Allemands envahissent l'Alsace et puis l'annexent de fait. Et donc à cette période-là se met en place toute une législation policière anti-tsiganes. Les Allemands vont venir avec une nouvelle catégorie, qui est la catégorie tsigane, et vont procéder à l'expulsion des familles jugées hostiles, dont font partie les tsiganes, les prétendus tsiganes, et ils vont les expulser vers le sud de la France. Ça c'est dès l'été 40. Il y a des vagues d'expulsions par convoi vers Lyon, de familles identifiées comme nomades, de familles itinérantes. Et alors Hélène Faller n'est pas expulsée immédiatement. On suppose qu'elle arrive à se cacher ou se dissimuler, ou en tout cas, elle échappe à cette première vague d'expulsion, puisque les autorités allemandes voulaient faire vraiment de l'Alsace un espace épuré, entre guillemets, de toute présence cigane, toute présence juive, présente francophile en général. Et donc, il y a un véritable nettoyage ethnique de l'Alsace à ce moment-là.

  • Speaker #1

    En Allemagne, dès l'arrivée au pouvoir des nazis, les familles de ces communautés itinérantes qu'elles soient jeniches, manouches, sinti comme on les appelle en Allemagne, ou roms, sont persécutées en tant que zigeuners. Un terme qui les envisage d'abord en tant qu'associaux, avant d'évoluer comme une catégorie raciale qui doit être exterminée. Dès 1933, la stérilisation est pratiquée. Les internements dans des camps de travaux forcés ou des camps de concentration sont la norme. En décembre 1942, le décret d'Auschwitz Des sites de la déportation de masse des tziganes vivant encore dans le Reich. Cette politique a concerné aussi certaines familles nomades d'Alsace et de Moselle. En mars 1943, deux convois partent de Strasbourg et Sarbreuk vers Auschwitz-Birkenau. Les autres sont en majorité expulsés et internés dans des camps en zone non occupée. Pour l'ensemble de ces populations, l'historien Théophile Leroy parle de dislocation.

  • Speaker #0

    Alors oui, le terme de dislocation, je l'utilise pour essayer de caractériser les persécutions dont étaient victimes les populations dites nomades en Alsace, puisqu'elles étaient reliées par des réseaux d'alliances, que ce soit des réseaux d'alliances matrimoniaux, économiques, affectifs, qui les reliaient en fait dans tout le bassin rénant. Et en fait, comme ces populations se trouvent dans une zone frontalière, elles vont être la cible de discrimination et d'une politique de surveillance de la part. Tant de la France et puis tant du régime nazi, il y a une projection de ces catégories, nomades et tiganes, par les autorités centrales sur ces populations alsaciennes. Et donc en fait, au moment de l'entrée en guerre, on observe des politiques d'évacuation ciblée, d'expulsion, de déportation, où l'espace alsacien va peu à peu être vidé de ces familles itinérantes. Alors il y a des familles qui sont justement, comme Hélène Faller, qui sont expulsées vers le sud de la France. mais on a aussi Des politiques de déportation organisées par les autorités policières allemandes à Strasbourg de déportation vers Auschwitz ou vers d'autres camps de concentration. Donc on a vraiment une dislocation à l'échelle européenne de ces familles. Donc ça c'est une dislocation géographique. Donc elles sont vraiment éparpillées par ces violences menées par les autorités policières. Et il y a aussi une dislocation familiale puisque dans ce contexte-là, les familles sont brisées, sont séparées, sont disloquées. Et donc les enfants sont... parfois coupés et séparés de leurs parents dans différents camps d'internement en France.

  • Speaker #1

    Peu de documents nous sont parvenus pour retracer le parcours, dans ces années-là, d'Hélène Faller et de son mari Jean-Ernwein. Ils sont probablement tout le temps ensemble, car c'est ensemble qu'ils sont interpellés, par prévention, par la police criminelle allemande, la Kripo, à Celesta en 1942. Quelques mois plus tard, ils sont arrêtés à Lyon, puis transférés au camp de Rivesalte, dans les Pyrénées-Orientales. Ils y rejoignent des étrangers indésirables, comme les désigne le régime de Vichy. Des hommes, des femmes et des enfants, surtout des Espagnols et des Juifs étrangers. Toujours accompagnés de gens, Hélène s'évade de Rivesaltes. Ils sont arrêtés, puis, après un mois de prison, enfermés au camp de Salier en Camargue. Cet endroit a été spécialement créé en 1942 par Vichy pour y interner les populations nomades. Les conditions de vie y sont désastreuses. Le sous-préfet d'Arles le constate au cours d'une visite en 1943. Les baraques ne sont pas terminées, les internés n'ont ni couverture ni vêtements, il n'y a pas d'eau potable ou d'évacuation des eaux usées, le camp est surpeuplé. Le haut fonctionnaire, alarmé, écrit.

  • Speaker #5

    Plus de 400 individus divers, dont 200 petits-enfants, y vivent dans un état de dénuement, de misère et d'insalubrité extrême. Entassés à 40 dans des baraques prévues pour 12 personnes, Les enfants sont à peu près nus, couverts de vermine et littéralement affamés. Il n'y a déjà eu que trop de morts à Salier, et l'hôpital d'Arles en reçoit quotidiennement qui sont de véritables squelettes.

  • Speaker #0

    Et ce camp de Salier, ce qui est très intéressant, c'est que c'est un camp créé ex nihilo par le régime de Vichy, et son objectif premier c'est de rassembler les nomades dans un camp spécifique. Donc de les séparer du reste des internés, puisque à Rivesalte, il y a d'autres catégories d'internés aussi. Il y a des réfugiés républicains espagnols, il y a des familles juives aussi, il y a des opposants politiques, enfin, beaucoup de catégories de personnes jugées hostiles par le régime de Vichy. Et donc Hélène Falleur, comme les autres nomades du camp de Rivesalte, est transférée en novembre 1942 au camp de Salier. Le camp de Salier, qui est vraiment un camp créé par le régime de Vichy, et ça, j'insiste dessus, puisque on a souvent dans l'historiographie... dit que l'internement était une décision allemande. C'est vrai pour la zone occupée, mais en zone dite libre, le régime de Vichy est souverain et autonome dans sa politique anti-nomade et va donc créer ce camp spécifique à Saliers où les conditions de vie vont être désastreuses. Une famine généralisée, beaucoup de morts, notamment des nouveau-nés et des personnes âgées. Et Hélène Falleur décède en 1943 de ces mauvais traitements et donc de cette... Législation de cette politique de destruction menée par le régime de Vichy contre les populations dites nomades.

  • Speaker #1

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, 60 nomades alsaciens et mausélands ont péri dans des camps d'internement français ou des camps de concentration allemands en raison de la persécution à leur encontre. En Alsace... il y a un lieu où se sont croisées les trajectoires brisées des familles nomades. Cernay, dans le Haut-Rhin. En dehors des historiens et des familles concernées, ce passé est peu connu. En 1940, l'hôpital psychiatrique de cette ville a pourtant servi de transit pour le transfert de plusieurs familles, depuis le sud de l'Alsace vers les départements de l'intérieur. Cernay est une étape sur le chemin de l'internement. C'est là-bas que rendez-vous est donné à Apona 68. L'Association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace a entrepris il y a une quinzaine d'années un précieux travail de collecte de témoignages de manouches qui ont survécu à l'internement.

  • Speaker #2

    Avant le recueil de témoignages et avant le travail qu'on a fait de récolte d'archives pour les personnes manouches, on n'avait quasiment pas travaillé la question.

  • Speaker #1

    Elisabeth Florentin, Apona 68.

  • Speaker #2

    Ce qu'on en a su une fois qu'on a travaillé sur l'internement des tiganes, c'est ce qui est aussi identifié dans notre bouquin, il y a une phrase qui est dite, c'est « Je n'aime pas témoigner, mais écrivez mes paroles » . L'idée d'en parler, c'était évidemment compliqué pour les familles. Après, ce qu'on en retient, c'est que c'est quand même une histoire qui a été occultée pendant des années, que les familles tiganes n'en ont pas parlé, pour plein de raisons, mais... qui sont de l'ordre souvent culturel mais aussi des raisons comme d'autres personnes qui sont revenus et qui ont été persécutés pendant la seconde guerre mondiale, toutes n'ont pas pu parler, voulu parler. Au niveau culturel, ce qu'on peut retenir, c'est les motifs qu'on perçoit et qu'on nous dit. C'est un certain nombre de tabous autour de la mort. On ne parle pas de la mort, on ne parle pas de la personne décédée. On ne la nomme pas. Donc ça, ça peut être une raison pour laquelle les personnes tiganes n'ont pas parlé. Un deuxième élément, ça peut être que la culture tigane est une culture orale, et pas une culture écrite. Donc, peu de traces, pas de traces. Écrite en tout cas. Une autre raison, c'est aussi dans la culture tigane, on vit le présent. On évoque que très peu le passé et on ne se projette pas dans l'avenir. Et puis, chez les personnes tiganes, encore jusqu'à il n'y a pas très longtemps, et c'est encore présent chez certaines personnes, quand une personne décédait, tout devait disparaître. Tout ce qui lui appartenait devait disparaître et disparaissait également du coup. ou éventuellement des documents, mais aussi des photos. Retracer l'histoire et en parler sont des éléments compliqués pour les familles tiganes. Après, traditionnellement, on n'écoute pas les tiganes. Je pense qu'ils n'ont pas trop eu envie de parler parce qu'ils se sont dit de toute façon on ne va pas m'écouter.

  • Speaker #1

    En 2009, l'association recueille le récit d'une Alsacienne, alors âgée de 77 ans. Cette manouche a des souvenirs marquants de son passage toute jeune dans le camp d'Argelès-sur-Mer. Ses témoignages de nomades internés sont rares et racontent l'extrême dureté de la survie dans ces camps, qui restent peu connus.

  • Speaker #6

    J'ai quelques souvenirs des camps. J'avais faim. J'allais toujours vers ma mère et je lui disais « je veux du pain, je veux du pain » . Ma mère me répondait, ma fille, j'en ai pas, j'ai rien. Des fois, elle me gardait un bout de pain là dans sa poche, et souvent il n'y en avait plus. Une fois, il lui restait des miettes. Elle a sorti ça de sa poche et elle me les a mis au creux de la main. Tiens, ma fille. De ça, je me souviendrai toujours. On n'avait pas le droit de sortir, on n'avait pas le droit d'aller à l'école. C'est seulement quand je suis sortie après la guerre que je suis allée à l'école, mais je n'y étais pas longtemps. Dans le camp d'Argelès, il y avait des cuisiniers. Mais de ça, nous, on ne recevait rien. Ils balançaient des tomates trop mauvaises par la fenêtre. Il y avait du sable, c'était en bord de mer. Le frère d'Angelo et moi, on les ramassait et on les mangeait elles. C'était plein de sable, mais on n'avait rien. On dormait par terre dans une baraque. Que des baraquements de sinistrés. Je me souviens du vent et de la pluie. Quand il y avait du vent, le sable se mettait sur le côté de la baraque et d'un seul coup, ma mère, quand on était couché, dit « Faut s'enlever ! » Il y avait tellement de sable sur la baraque qu'elle s'est écroulée. On aurait pu être ensevelie tellement il y avait de sable sur la maison. Je n'avais jamais vu la mer avant d'être enfermée. C'est pour ça que je n'aime pas trop la mer. Et le vent. J'ai trop de souvenirs. Je ne veux pas que tu mettes mon prénom. Secret.

  • Speaker #1

    Alors que près de 7000 personnes ont été internées dans une trentaine de camps sur l'ensemble du territoire français, cette histoire reste dans l'ombre. La première thèse sur la question n'a été rédigée qu'au milieu des années 90. Ce n'est qu'en 2016 que le président de la République d'alors, François Hollande, reconnaît la responsabilité de la France dans la persécution et l'internement de milliers de personnes. À Montreuil-Bellet, le plus grand camp d'internement de nomades de la France occupée, est aujourd'hui lieu de mémoire, il déclare. La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés. et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. En Alsace, cette réalité, les expulsions, l'internement, les déportations, est peu visible, méconnue.

  • Speaker #7

    L'internement des tiganes est peu connu par les autres personnes, mais comme est peu connue l'histoire des tiganes, leur présence depuis cinq siècles, il reste toujours pour la population locale des étrangers.

  • Speaker #1

    Marie-Ren Auge, présidente d'Aponna 68.

  • Speaker #7

    Nous, on est obligés dans l'association d'affirmer que ce sont des habitants de ce territoire depuis très longtemps qui y ont des droits aussi. Et donc, alors, imaginez de parler de l'internement. Nous, nous faisons régulièrement un peu de la formation sur l'histoire des Tziganes pour les rendre visibles, parce que ce sont les invisibles du territoire. Donc l'internement... à mon avis, est très peu connue. Effectivement, le mur des noms qui sera créé pour se souvenir de toutes ces personnes qui ont subi l'internement, les camps de concentration, le travail obligatoire, les déplacements, les malgré-nous, qui se met en place, c'est très important, parce que ça visibilise quelque chose.

  • Speaker #1

    Celles et ceux qui ont survécu à leur retour dans les anciens territoires annexés ont tout perdu. Leurs roulottes, leurs animaux, leurs outils de travail. Peu à peu, avec ce retour, c'est l'abandon de la vie nomade et, avec la sédentarisation, le renoncement à une partie de leur tradition. Contrairement aux autres victimes de guerre, ces familles n'ont jamais été indemnisées. Le génocide et les persécutions subies par les Manouches, Yenich, Roms, s'appelle le Samoudaripen. Il est commémoré le 2 août dans toute l'Europe depuis 2015. Cette date est reconnue officiellement par l'immense majorité des pays européens, mais pas en France. Le 2 août ne fait pas encore partie du calendrier mémoriel de la République française.

  • Speaker #3

    Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série proposée par la région Grand Est, en partenariat avec le Mémorial Alsace-Moselle et l'INA. Retrouvez l'intégralité du générique sur toutes nos plateformes de diffusion. Ce podcast a été écrit et réalisé par Maude de Carpentier, Stéphanie Wenger et Anna Bui. Conseillère scientifique, Julia Maspero, Ilze Ilbold, Frédéric Naudufour. Avec les voix de Gaëlle Chaya, Simon Cortès, Stéphanie Félix et Lucie Laurent. Musique, Charles de Cilia. Production, Making Waves. Enregistrement, Kawati Studio, Thomas Binétruy. Les chansons traditionnelles Yenish sont interprétées par Manotrap.

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Description

Sur une de ses photographies anthropométriques, Hélène Faller regarde l’objectif d’un air étonné. Ce document produit par la police témoigne des persécutions qu’elle a subies en tant que Yéniche.Contrôlées par la IIIe République avant la Seconde Guerre mondiale, déconsidérées par les autres citoyens, les communautés itinérantes de France connaissent à partir de 1940 la politique « anti-nomade » du régime de Vichy et les mesures « anti-tsiganes » des nazis en zone annexée.


Née en Alsace, Hélène est tour à tour la cible de ces persécutions. Comment raconter cette histoire méconnue et peu documentée ? Pourquoi certaines histoires ne sont-elles pas transmises ? En s'appuyant sur les recherches récentes des historiens et le travail d’associations mémorielles, cet épisode part sur les traces mouvantes d'Hélène Faller, une femme parmi les 60 Alsaciens et Mosellans nomades morts à cause de la guerre. 


Un épisode réalisé par Maud de Carpentier et Stéphanie Wenger, avec les interventions de Théophile Leroy, historien des persécutions des Manouches, Sinti et Yéniches du Rhin entre 1938 et 1946, et de Marie-Reine Haug d’Appona 68, présidente de l’association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace et d'Elisabeth Florentin, directrice d’Appona 68. Les musiques yéniches sont interprétées par Mano Trapp.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce mémorial,

  • Speaker #1

    est-ce que c'est une forme de réparation ?

  • Speaker #2

    Peut-être. En fait, je me sens responsable et dépositaire de leur mémoire.

  • Speaker #0

    Et demain, peut-être qu'il aura son nom dans le mur des noms, avec toute son histoire.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est pour les vivants ou pour les morts ?

  • Speaker #0

    Et voilà.

  • Speaker #2

    J'imagine que c'est pour les vivants.

  • Speaker #3

    La région Grand Est présente Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série de dix épisodes en partenariat avec le mémorial Alsace-Moselle et l'INA.

  • Speaker #0

    Je vois le mur des noms effectivement comme un appel à la population à rentrer plein dans l'histoire.

  • Speaker #3

    Dans le centre de l'Alsace, à Chirmec. se trouve un monument construit en hommage aux morts et disparus alsaciens et mausélands de la Seconde Guerre mondiale. Près de 40 000 noms y sont mis en lumière dans un environnement immersif. Ce podcast retrace le parcours de 10 de ces 40 000 victimes, 1 par catégorie de destin. Les incorporés de force, les juifs, les combattants sous uniforme français, les résistants, les victimes civiles, les homosexuels, les tziganes et nomades, les témoins de Jéhovah. Les malades psychiatriques. Des hommes, des femmes, des enfants. Voici leurs histoires. Épisode 4. Hélène Falleur. Une nomade morte dans un camp d'internement français.

  • Speaker #1

    Hélène Faller est alsacienne, née à la fin du XIXe siècle à Krauter-Gersheim. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle se déplace dans toute la région pour son travail avec son mari, Jean-Ernwein. Elle est vanière et vend des objets de mercerie aussi. Ils sont tous les deux issus de la communauté jeniche, mais pour la Troisième République française, ils relèvent de la catégorie nomade. À l'intérieur de ce vocable administratif, on retrouve diverses communautés. Les Manouches, les Roms, les Gitans, et aussi donc les Yenichs. Ces populations partagent une certaine culture, la vie en itinérance, des métiers aussi, pas forcément la langue ou l'origine géographique de leurs ancêtres. Les Yénichs vivent dans tout l'espace rénant, ils parlent un dialecte très proche de l'alsacien. Mais donc, pour la France, Hélène Falleur et son mari sont nomades, et cette catégorie de la population est soumise à un régime coercitif. Depuis le retour du territoire à la France, après l'armistice de 1918, cette législation s'y applique petit à petit. Théophile Leroy est historien. Et il a consacré sa thèse aux persécutions des nomades lors de la Seconde Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Le bassin Rénan est un espace de vie, de circulation transfrontalière, et de marché, de foire, et ses familles itinérantes faisaient le lien entre ville et campagne. à travers du commerce ambulant, mais aussi de la musique, de la réparation d'instruments de musique ou du commerce de violons, par exemple. Et donc Hélène Faller fait partie de ces mondes itinérants, très présents en Alsace.

  • Speaker #4

    Carnet anthropométrique d'identité d'Hélène Faller.

  • Speaker #0

    Elle est déjà, dans les années 20 et 30, identifiée comme nomade par la préfecture du Bas-Rhin.

  • Speaker #4

    Profession, vannier, nationalité française.

  • Speaker #0

    Donc elle est obligée de porter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #4

    Signalement. Taille 1m55,5 Pour surveiller ses déplacements Mesure du zygomatique 14 cm Mesure de l'oreille droite 6 cm de haut 5 cm de large Mesure du médius gauche 11 cm de long 3 cm d'épaisseur Mesure de l'auriculaire 8 cm de long Donc elle est vraiment sous le regard de la police et de la préfecture Couleur de l'iris 3 Cheveux fins Risonnant Au verso, deux photographies d'Hélène Faller De face et de profil Ainsi que ses empreintes digitales pour les deux mains

  • Speaker #1

    Sur la photo prise de profil, Hélène Faller ferme les yeux Sur la photo de face, elle a les yeux ouverts. Ses cheveux attachés derrière la tête, elle porte une blouse à carreaux avec un pompon autour d'un col clodine. Elle regarde l'objectif avec un air un peu étonné et un très léger sourire, mais ce n'est sûrement pas un sourire.

  • Speaker #0

    La loi de 1912 oblige les nomades à apporter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #1

    Théophile Leroy.

  • Speaker #0

    Il est composé d'une première partie avec photographie face-profil, les empreintes digitales, l'état civil, le signalement. Donc ça c'est toutes les techniques d'identification mises en place par Alphonse Bertillon à la fin du XIXe, donc c'est vraiment le bertillonnage à son apogée. Donc ça c'est pour la première partie de ce carnet anthropométrique. La deuxième, c'est des centaines de pages où ce sont des visas. Et les visas, en fait, le porteur de ce carnet. devait obligatoirement faire tamponner par la mairie, lors de son séjour dans une commune, pour instaurer un régime de traçabilité de ses déplacements. C'est vraiment un régime de contrôle quotidien. Ça entraîne un face-à-face quotidien avec les autorités policières, dans les années 20-30. C'est pour ça que la gendarmerie ou la police sait très bien où se trouvent ces familles au moment d'organiser les arrestations, les évacuations ou les déportations.

  • Speaker #1

    En France, en raison d'un style de vie à part, les nomades éveillent la suspicion des autorités et souvent celle des villes et des villages qu'ils traversent. Surtout en temps de guerre. En septembre 1939, ils sont assignés à résidence par la Troisième République. Ils n'ont plus le droit de circuler. En Alsace et Moselle, avec l'entrée en guerre contre l'Allemagne, alors que la population est évacuée, les nomades sont traités de façon particulière. Comme les autres familles itinérantes, ils sont triés et transférés dans des lieux spécifiques. pour maintenir ce régime de surveillance qui les poursuit. Dans le Bas-Rhin, des Yénichs sont regroupés à Hagenau et expulsés vers les camps d'internement du Sud. Dans le Haut-Rhin, la préfecture organise ce transfert à l'hôpital psychiatrique de Cernay. Les familles qui se maintiennent malgré tout sur le territoire seront rattrapées par les politiques nazies.

  • Speaker #0

    Au moment de l'entrée en guerre, les Allemands envahissent l'Alsace et puis l'annexent de fait. Et donc à cette période-là se met en place toute une législation policière anti-tsiganes. Les Allemands vont venir avec une nouvelle catégorie, qui est la catégorie tsigane, et vont procéder à l'expulsion des familles jugées hostiles, dont font partie les tsiganes, les prétendus tsiganes, et ils vont les expulser vers le sud de la France. Ça c'est dès l'été 40. Il y a des vagues d'expulsions par convoi vers Lyon, de familles identifiées comme nomades, de familles itinérantes. Et alors Hélène Faller n'est pas expulsée immédiatement. On suppose qu'elle arrive à se cacher ou se dissimuler, ou en tout cas, elle échappe à cette première vague d'expulsion, puisque les autorités allemandes voulaient faire vraiment de l'Alsace un espace épuré, entre guillemets, de toute présence cigane, toute présence juive, présente francophile en général. Et donc, il y a un véritable nettoyage ethnique de l'Alsace à ce moment-là.

  • Speaker #1

    En Allemagne, dès l'arrivée au pouvoir des nazis, les familles de ces communautés itinérantes qu'elles soient jeniches, manouches, sinti comme on les appelle en Allemagne, ou roms, sont persécutées en tant que zigeuners. Un terme qui les envisage d'abord en tant qu'associaux, avant d'évoluer comme une catégorie raciale qui doit être exterminée. Dès 1933, la stérilisation est pratiquée. Les internements dans des camps de travaux forcés ou des camps de concentration sont la norme. En décembre 1942, le décret d'Auschwitz Des sites de la déportation de masse des tziganes vivant encore dans le Reich. Cette politique a concerné aussi certaines familles nomades d'Alsace et de Moselle. En mars 1943, deux convois partent de Strasbourg et Sarbreuk vers Auschwitz-Birkenau. Les autres sont en majorité expulsés et internés dans des camps en zone non occupée. Pour l'ensemble de ces populations, l'historien Théophile Leroy parle de dislocation.

  • Speaker #0

    Alors oui, le terme de dislocation, je l'utilise pour essayer de caractériser les persécutions dont étaient victimes les populations dites nomades en Alsace, puisqu'elles étaient reliées par des réseaux d'alliances, que ce soit des réseaux d'alliances matrimoniaux, économiques, affectifs, qui les reliaient en fait dans tout le bassin rénant. Et en fait, comme ces populations se trouvent dans une zone frontalière, elles vont être la cible de discrimination et d'une politique de surveillance de la part. Tant de la France et puis tant du régime nazi, il y a une projection de ces catégories, nomades et tiganes, par les autorités centrales sur ces populations alsaciennes. Et donc en fait, au moment de l'entrée en guerre, on observe des politiques d'évacuation ciblée, d'expulsion, de déportation, où l'espace alsacien va peu à peu être vidé de ces familles itinérantes. Alors il y a des familles qui sont justement, comme Hélène Faller, qui sont expulsées vers le sud de la France. mais on a aussi Des politiques de déportation organisées par les autorités policières allemandes à Strasbourg de déportation vers Auschwitz ou vers d'autres camps de concentration. Donc on a vraiment une dislocation à l'échelle européenne de ces familles. Donc ça c'est une dislocation géographique. Donc elles sont vraiment éparpillées par ces violences menées par les autorités policières. Et il y a aussi une dislocation familiale puisque dans ce contexte-là, les familles sont brisées, sont séparées, sont disloquées. Et donc les enfants sont... parfois coupés et séparés de leurs parents dans différents camps d'internement en France.

  • Speaker #1

    Peu de documents nous sont parvenus pour retracer le parcours, dans ces années-là, d'Hélène Faller et de son mari Jean-Ernwein. Ils sont probablement tout le temps ensemble, car c'est ensemble qu'ils sont interpellés, par prévention, par la police criminelle allemande, la Kripo, à Celesta en 1942. Quelques mois plus tard, ils sont arrêtés à Lyon, puis transférés au camp de Rivesalte, dans les Pyrénées-Orientales. Ils y rejoignent des étrangers indésirables, comme les désigne le régime de Vichy. Des hommes, des femmes et des enfants, surtout des Espagnols et des Juifs étrangers. Toujours accompagnés de gens, Hélène s'évade de Rivesaltes. Ils sont arrêtés, puis, après un mois de prison, enfermés au camp de Salier en Camargue. Cet endroit a été spécialement créé en 1942 par Vichy pour y interner les populations nomades. Les conditions de vie y sont désastreuses. Le sous-préfet d'Arles le constate au cours d'une visite en 1943. Les baraques ne sont pas terminées, les internés n'ont ni couverture ni vêtements, il n'y a pas d'eau potable ou d'évacuation des eaux usées, le camp est surpeuplé. Le haut fonctionnaire, alarmé, écrit.

  • Speaker #5

    Plus de 400 individus divers, dont 200 petits-enfants, y vivent dans un état de dénuement, de misère et d'insalubrité extrême. Entassés à 40 dans des baraques prévues pour 12 personnes, Les enfants sont à peu près nus, couverts de vermine et littéralement affamés. Il n'y a déjà eu que trop de morts à Salier, et l'hôpital d'Arles en reçoit quotidiennement qui sont de véritables squelettes.

  • Speaker #0

    Et ce camp de Salier, ce qui est très intéressant, c'est que c'est un camp créé ex nihilo par le régime de Vichy, et son objectif premier c'est de rassembler les nomades dans un camp spécifique. Donc de les séparer du reste des internés, puisque à Rivesalte, il y a d'autres catégories d'internés aussi. Il y a des réfugiés républicains espagnols, il y a des familles juives aussi, il y a des opposants politiques, enfin, beaucoup de catégories de personnes jugées hostiles par le régime de Vichy. Et donc Hélène Falleur, comme les autres nomades du camp de Rivesalte, est transférée en novembre 1942 au camp de Salier. Le camp de Salier, qui est vraiment un camp créé par le régime de Vichy, et ça, j'insiste dessus, puisque on a souvent dans l'historiographie... dit que l'internement était une décision allemande. C'est vrai pour la zone occupée, mais en zone dite libre, le régime de Vichy est souverain et autonome dans sa politique anti-nomade et va donc créer ce camp spécifique à Saliers où les conditions de vie vont être désastreuses. Une famine généralisée, beaucoup de morts, notamment des nouveau-nés et des personnes âgées. Et Hélène Falleur décède en 1943 de ces mauvais traitements et donc de cette... Législation de cette politique de destruction menée par le régime de Vichy contre les populations dites nomades.

  • Speaker #1

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, 60 nomades alsaciens et mausélands ont péri dans des camps d'internement français ou des camps de concentration allemands en raison de la persécution à leur encontre. En Alsace... il y a un lieu où se sont croisées les trajectoires brisées des familles nomades. Cernay, dans le Haut-Rhin. En dehors des historiens et des familles concernées, ce passé est peu connu. En 1940, l'hôpital psychiatrique de cette ville a pourtant servi de transit pour le transfert de plusieurs familles, depuis le sud de l'Alsace vers les départements de l'intérieur. Cernay est une étape sur le chemin de l'internement. C'est là-bas que rendez-vous est donné à Apona 68. L'Association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace a entrepris il y a une quinzaine d'années un précieux travail de collecte de témoignages de manouches qui ont survécu à l'internement.

  • Speaker #2

    Avant le recueil de témoignages et avant le travail qu'on a fait de récolte d'archives pour les personnes manouches, on n'avait quasiment pas travaillé la question.

  • Speaker #1

    Elisabeth Florentin, Apona 68.

  • Speaker #2

    Ce qu'on en a su une fois qu'on a travaillé sur l'internement des tiganes, c'est ce qui est aussi identifié dans notre bouquin, il y a une phrase qui est dite, c'est « Je n'aime pas témoigner, mais écrivez mes paroles » . L'idée d'en parler, c'était évidemment compliqué pour les familles. Après, ce qu'on en retient, c'est que c'est quand même une histoire qui a été occultée pendant des années, que les familles tiganes n'en ont pas parlé, pour plein de raisons, mais... qui sont de l'ordre souvent culturel mais aussi des raisons comme d'autres personnes qui sont revenus et qui ont été persécutés pendant la seconde guerre mondiale, toutes n'ont pas pu parler, voulu parler. Au niveau culturel, ce qu'on peut retenir, c'est les motifs qu'on perçoit et qu'on nous dit. C'est un certain nombre de tabous autour de la mort. On ne parle pas de la mort, on ne parle pas de la personne décédée. On ne la nomme pas. Donc ça, ça peut être une raison pour laquelle les personnes tiganes n'ont pas parlé. Un deuxième élément, ça peut être que la culture tigane est une culture orale, et pas une culture écrite. Donc, peu de traces, pas de traces. Écrite en tout cas. Une autre raison, c'est aussi dans la culture tigane, on vit le présent. On évoque que très peu le passé et on ne se projette pas dans l'avenir. Et puis, chez les personnes tiganes, encore jusqu'à il n'y a pas très longtemps, et c'est encore présent chez certaines personnes, quand une personne décédait, tout devait disparaître. Tout ce qui lui appartenait devait disparaître et disparaissait également du coup. ou éventuellement des documents, mais aussi des photos. Retracer l'histoire et en parler sont des éléments compliqués pour les familles tiganes. Après, traditionnellement, on n'écoute pas les tiganes. Je pense qu'ils n'ont pas trop eu envie de parler parce qu'ils se sont dit de toute façon on ne va pas m'écouter.

  • Speaker #1

    En 2009, l'association recueille le récit d'une Alsacienne, alors âgée de 77 ans. Cette manouche a des souvenirs marquants de son passage toute jeune dans le camp d'Argelès-sur-Mer. Ses témoignages de nomades internés sont rares et racontent l'extrême dureté de la survie dans ces camps, qui restent peu connus.

  • Speaker #6

    J'ai quelques souvenirs des camps. J'avais faim. J'allais toujours vers ma mère et je lui disais « je veux du pain, je veux du pain » . Ma mère me répondait, ma fille, j'en ai pas, j'ai rien. Des fois, elle me gardait un bout de pain là dans sa poche, et souvent il n'y en avait plus. Une fois, il lui restait des miettes. Elle a sorti ça de sa poche et elle me les a mis au creux de la main. Tiens, ma fille. De ça, je me souviendrai toujours. On n'avait pas le droit de sortir, on n'avait pas le droit d'aller à l'école. C'est seulement quand je suis sortie après la guerre que je suis allée à l'école, mais je n'y étais pas longtemps. Dans le camp d'Argelès, il y avait des cuisiniers. Mais de ça, nous, on ne recevait rien. Ils balançaient des tomates trop mauvaises par la fenêtre. Il y avait du sable, c'était en bord de mer. Le frère d'Angelo et moi, on les ramassait et on les mangeait elles. C'était plein de sable, mais on n'avait rien. On dormait par terre dans une baraque. Que des baraquements de sinistrés. Je me souviens du vent et de la pluie. Quand il y avait du vent, le sable se mettait sur le côté de la baraque et d'un seul coup, ma mère, quand on était couché, dit « Faut s'enlever ! » Il y avait tellement de sable sur la baraque qu'elle s'est écroulée. On aurait pu être ensevelie tellement il y avait de sable sur la maison. Je n'avais jamais vu la mer avant d'être enfermée. C'est pour ça que je n'aime pas trop la mer. Et le vent. J'ai trop de souvenirs. Je ne veux pas que tu mettes mon prénom. Secret.

  • Speaker #1

    Alors que près de 7000 personnes ont été internées dans une trentaine de camps sur l'ensemble du territoire français, cette histoire reste dans l'ombre. La première thèse sur la question n'a été rédigée qu'au milieu des années 90. Ce n'est qu'en 2016 que le président de la République d'alors, François Hollande, reconnaît la responsabilité de la France dans la persécution et l'internement de milliers de personnes. À Montreuil-Bellet, le plus grand camp d'internement de nomades de la France occupée, est aujourd'hui lieu de mémoire, il déclare. La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés. et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. En Alsace, cette réalité, les expulsions, l'internement, les déportations, est peu visible, méconnue.

  • Speaker #7

    L'internement des tiganes est peu connu par les autres personnes, mais comme est peu connue l'histoire des tiganes, leur présence depuis cinq siècles, il reste toujours pour la population locale des étrangers.

  • Speaker #1

    Marie-Ren Auge, présidente d'Aponna 68.

  • Speaker #7

    Nous, on est obligés dans l'association d'affirmer que ce sont des habitants de ce territoire depuis très longtemps qui y ont des droits aussi. Et donc, alors, imaginez de parler de l'internement. Nous, nous faisons régulièrement un peu de la formation sur l'histoire des Tziganes pour les rendre visibles, parce que ce sont les invisibles du territoire. Donc l'internement... à mon avis, est très peu connue. Effectivement, le mur des noms qui sera créé pour se souvenir de toutes ces personnes qui ont subi l'internement, les camps de concentration, le travail obligatoire, les déplacements, les malgré-nous, qui se met en place, c'est très important, parce que ça visibilise quelque chose.

  • Speaker #1

    Celles et ceux qui ont survécu à leur retour dans les anciens territoires annexés ont tout perdu. Leurs roulottes, leurs animaux, leurs outils de travail. Peu à peu, avec ce retour, c'est l'abandon de la vie nomade et, avec la sédentarisation, le renoncement à une partie de leur tradition. Contrairement aux autres victimes de guerre, ces familles n'ont jamais été indemnisées. Le génocide et les persécutions subies par les Manouches, Yenich, Roms, s'appelle le Samoudaripen. Il est commémoré le 2 août dans toute l'Europe depuis 2015. Cette date est reconnue officiellement par l'immense majorité des pays européens, mais pas en France. Le 2 août ne fait pas encore partie du calendrier mémoriel de la République française.

  • Speaker #3

    Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série proposée par la région Grand Est, en partenariat avec le Mémorial Alsace-Moselle et l'INA. Retrouvez l'intégralité du générique sur toutes nos plateformes de diffusion. Ce podcast a été écrit et réalisé par Maude de Carpentier, Stéphanie Wenger et Anna Bui. Conseillère scientifique, Julia Maspero, Ilze Ilbold, Frédéric Naudufour. Avec les voix de Gaëlle Chaya, Simon Cortès, Stéphanie Félix et Lucie Laurent. Musique, Charles de Cilia. Production, Making Waves. Enregistrement, Kawati Studio, Thomas Binétruy. Les chansons traditionnelles Yenish sont interprétées par Manotrap.

Description

Sur une de ses photographies anthropométriques, Hélène Faller regarde l’objectif d’un air étonné. Ce document produit par la police témoigne des persécutions qu’elle a subies en tant que Yéniche.Contrôlées par la IIIe République avant la Seconde Guerre mondiale, déconsidérées par les autres citoyens, les communautés itinérantes de France connaissent à partir de 1940 la politique « anti-nomade » du régime de Vichy et les mesures « anti-tsiganes » des nazis en zone annexée.


Née en Alsace, Hélène est tour à tour la cible de ces persécutions. Comment raconter cette histoire méconnue et peu documentée ? Pourquoi certaines histoires ne sont-elles pas transmises ? En s'appuyant sur les recherches récentes des historiens et le travail d’associations mémorielles, cet épisode part sur les traces mouvantes d'Hélène Faller, une femme parmi les 60 Alsaciens et Mosellans nomades morts à cause de la guerre. 


Un épisode réalisé par Maud de Carpentier et Stéphanie Wenger, avec les interventions de Théophile Leroy, historien des persécutions des Manouches, Sinti et Yéniches du Rhin entre 1938 et 1946, et de Marie-Reine Haug d’Appona 68, présidente de l’association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace et d'Elisabeth Florentin, directrice d’Appona 68. Les musiques yéniches sont interprétées par Mano Trapp.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Ce mémorial,

  • Speaker #1

    est-ce que c'est une forme de réparation ?

  • Speaker #2

    Peut-être. En fait, je me sens responsable et dépositaire de leur mémoire.

  • Speaker #0

    Et demain, peut-être qu'il aura son nom dans le mur des noms, avec toute son histoire.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est pour les vivants ou pour les morts ?

  • Speaker #0

    Et voilà.

  • Speaker #2

    J'imagine que c'est pour les vivants.

  • Speaker #3

    La région Grand Est présente Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série de dix épisodes en partenariat avec le mémorial Alsace-Moselle et l'INA.

  • Speaker #0

    Je vois le mur des noms effectivement comme un appel à la population à rentrer plein dans l'histoire.

  • Speaker #3

    Dans le centre de l'Alsace, à Chirmec. se trouve un monument construit en hommage aux morts et disparus alsaciens et mausélands de la Seconde Guerre mondiale. Près de 40 000 noms y sont mis en lumière dans un environnement immersif. Ce podcast retrace le parcours de 10 de ces 40 000 victimes, 1 par catégorie de destin. Les incorporés de force, les juifs, les combattants sous uniforme français, les résistants, les victimes civiles, les homosexuels, les tziganes et nomades, les témoins de Jéhovah. Les malades psychiatriques. Des hommes, des femmes, des enfants. Voici leurs histoires. Épisode 4. Hélène Falleur. Une nomade morte dans un camp d'internement français.

  • Speaker #1

    Hélène Faller est alsacienne, née à la fin du XIXe siècle à Krauter-Gersheim. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, elle se déplace dans toute la région pour son travail avec son mari, Jean-Ernwein. Elle est vanière et vend des objets de mercerie aussi. Ils sont tous les deux issus de la communauté jeniche, mais pour la Troisième République française, ils relèvent de la catégorie nomade. À l'intérieur de ce vocable administratif, on retrouve diverses communautés. Les Manouches, les Roms, les Gitans, et aussi donc les Yenichs. Ces populations partagent une certaine culture, la vie en itinérance, des métiers aussi, pas forcément la langue ou l'origine géographique de leurs ancêtres. Les Yénichs vivent dans tout l'espace rénant, ils parlent un dialecte très proche de l'alsacien. Mais donc, pour la France, Hélène Falleur et son mari sont nomades, et cette catégorie de la population est soumise à un régime coercitif. Depuis le retour du territoire à la France, après l'armistice de 1918, cette législation s'y applique petit à petit. Théophile Leroy est historien. Et il a consacré sa thèse aux persécutions des nomades lors de la Seconde Guerre mondiale.

  • Speaker #0

    Le bassin Rénan est un espace de vie, de circulation transfrontalière, et de marché, de foire, et ses familles itinérantes faisaient le lien entre ville et campagne. à travers du commerce ambulant, mais aussi de la musique, de la réparation d'instruments de musique ou du commerce de violons, par exemple. Et donc Hélène Faller fait partie de ces mondes itinérants, très présents en Alsace.

  • Speaker #4

    Carnet anthropométrique d'identité d'Hélène Faller.

  • Speaker #0

    Elle est déjà, dans les années 20 et 30, identifiée comme nomade par la préfecture du Bas-Rhin.

  • Speaker #4

    Profession, vannier, nationalité française.

  • Speaker #0

    Donc elle est obligée de porter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #4

    Signalement. Taille 1m55,5 Pour surveiller ses déplacements Mesure du zygomatique 14 cm Mesure de l'oreille droite 6 cm de haut 5 cm de large Mesure du médius gauche 11 cm de long 3 cm d'épaisseur Mesure de l'auriculaire 8 cm de long Donc elle est vraiment sous le regard de la police et de la préfecture Couleur de l'iris 3 Cheveux fins Risonnant Au verso, deux photographies d'Hélène Faller De face et de profil Ainsi que ses empreintes digitales pour les deux mains

  • Speaker #1

    Sur la photo prise de profil, Hélène Faller ferme les yeux Sur la photo de face, elle a les yeux ouverts. Ses cheveux attachés derrière la tête, elle porte une blouse à carreaux avec un pompon autour d'un col clodine. Elle regarde l'objectif avec un air un peu étonné et un très léger sourire, mais ce n'est sûrement pas un sourire.

  • Speaker #0

    La loi de 1912 oblige les nomades à apporter un carnet anthropométrique d'identité.

  • Speaker #1

    Théophile Leroy.

  • Speaker #0

    Il est composé d'une première partie avec photographie face-profil, les empreintes digitales, l'état civil, le signalement. Donc ça c'est toutes les techniques d'identification mises en place par Alphonse Bertillon à la fin du XIXe, donc c'est vraiment le bertillonnage à son apogée. Donc ça c'est pour la première partie de ce carnet anthropométrique. La deuxième, c'est des centaines de pages où ce sont des visas. Et les visas, en fait, le porteur de ce carnet. devait obligatoirement faire tamponner par la mairie, lors de son séjour dans une commune, pour instaurer un régime de traçabilité de ses déplacements. C'est vraiment un régime de contrôle quotidien. Ça entraîne un face-à-face quotidien avec les autorités policières, dans les années 20-30. C'est pour ça que la gendarmerie ou la police sait très bien où se trouvent ces familles au moment d'organiser les arrestations, les évacuations ou les déportations.

  • Speaker #1

    En France, en raison d'un style de vie à part, les nomades éveillent la suspicion des autorités et souvent celle des villes et des villages qu'ils traversent. Surtout en temps de guerre. En septembre 1939, ils sont assignés à résidence par la Troisième République. Ils n'ont plus le droit de circuler. En Alsace et Moselle, avec l'entrée en guerre contre l'Allemagne, alors que la population est évacuée, les nomades sont traités de façon particulière. Comme les autres familles itinérantes, ils sont triés et transférés dans des lieux spécifiques. pour maintenir ce régime de surveillance qui les poursuit. Dans le Bas-Rhin, des Yénichs sont regroupés à Hagenau et expulsés vers les camps d'internement du Sud. Dans le Haut-Rhin, la préfecture organise ce transfert à l'hôpital psychiatrique de Cernay. Les familles qui se maintiennent malgré tout sur le territoire seront rattrapées par les politiques nazies.

  • Speaker #0

    Au moment de l'entrée en guerre, les Allemands envahissent l'Alsace et puis l'annexent de fait. Et donc à cette période-là se met en place toute une législation policière anti-tsiganes. Les Allemands vont venir avec une nouvelle catégorie, qui est la catégorie tsigane, et vont procéder à l'expulsion des familles jugées hostiles, dont font partie les tsiganes, les prétendus tsiganes, et ils vont les expulser vers le sud de la France. Ça c'est dès l'été 40. Il y a des vagues d'expulsions par convoi vers Lyon, de familles identifiées comme nomades, de familles itinérantes. Et alors Hélène Faller n'est pas expulsée immédiatement. On suppose qu'elle arrive à se cacher ou se dissimuler, ou en tout cas, elle échappe à cette première vague d'expulsion, puisque les autorités allemandes voulaient faire vraiment de l'Alsace un espace épuré, entre guillemets, de toute présence cigane, toute présence juive, présente francophile en général. Et donc, il y a un véritable nettoyage ethnique de l'Alsace à ce moment-là.

  • Speaker #1

    En Allemagne, dès l'arrivée au pouvoir des nazis, les familles de ces communautés itinérantes qu'elles soient jeniches, manouches, sinti comme on les appelle en Allemagne, ou roms, sont persécutées en tant que zigeuners. Un terme qui les envisage d'abord en tant qu'associaux, avant d'évoluer comme une catégorie raciale qui doit être exterminée. Dès 1933, la stérilisation est pratiquée. Les internements dans des camps de travaux forcés ou des camps de concentration sont la norme. En décembre 1942, le décret d'Auschwitz Des sites de la déportation de masse des tziganes vivant encore dans le Reich. Cette politique a concerné aussi certaines familles nomades d'Alsace et de Moselle. En mars 1943, deux convois partent de Strasbourg et Sarbreuk vers Auschwitz-Birkenau. Les autres sont en majorité expulsés et internés dans des camps en zone non occupée. Pour l'ensemble de ces populations, l'historien Théophile Leroy parle de dislocation.

  • Speaker #0

    Alors oui, le terme de dislocation, je l'utilise pour essayer de caractériser les persécutions dont étaient victimes les populations dites nomades en Alsace, puisqu'elles étaient reliées par des réseaux d'alliances, que ce soit des réseaux d'alliances matrimoniaux, économiques, affectifs, qui les reliaient en fait dans tout le bassin rénant. Et en fait, comme ces populations se trouvent dans une zone frontalière, elles vont être la cible de discrimination et d'une politique de surveillance de la part. Tant de la France et puis tant du régime nazi, il y a une projection de ces catégories, nomades et tiganes, par les autorités centrales sur ces populations alsaciennes. Et donc en fait, au moment de l'entrée en guerre, on observe des politiques d'évacuation ciblée, d'expulsion, de déportation, où l'espace alsacien va peu à peu être vidé de ces familles itinérantes. Alors il y a des familles qui sont justement, comme Hélène Faller, qui sont expulsées vers le sud de la France. mais on a aussi Des politiques de déportation organisées par les autorités policières allemandes à Strasbourg de déportation vers Auschwitz ou vers d'autres camps de concentration. Donc on a vraiment une dislocation à l'échelle européenne de ces familles. Donc ça c'est une dislocation géographique. Donc elles sont vraiment éparpillées par ces violences menées par les autorités policières. Et il y a aussi une dislocation familiale puisque dans ce contexte-là, les familles sont brisées, sont séparées, sont disloquées. Et donc les enfants sont... parfois coupés et séparés de leurs parents dans différents camps d'internement en France.

  • Speaker #1

    Peu de documents nous sont parvenus pour retracer le parcours, dans ces années-là, d'Hélène Faller et de son mari Jean-Ernwein. Ils sont probablement tout le temps ensemble, car c'est ensemble qu'ils sont interpellés, par prévention, par la police criminelle allemande, la Kripo, à Celesta en 1942. Quelques mois plus tard, ils sont arrêtés à Lyon, puis transférés au camp de Rivesalte, dans les Pyrénées-Orientales. Ils y rejoignent des étrangers indésirables, comme les désigne le régime de Vichy. Des hommes, des femmes et des enfants, surtout des Espagnols et des Juifs étrangers. Toujours accompagnés de gens, Hélène s'évade de Rivesaltes. Ils sont arrêtés, puis, après un mois de prison, enfermés au camp de Salier en Camargue. Cet endroit a été spécialement créé en 1942 par Vichy pour y interner les populations nomades. Les conditions de vie y sont désastreuses. Le sous-préfet d'Arles le constate au cours d'une visite en 1943. Les baraques ne sont pas terminées, les internés n'ont ni couverture ni vêtements, il n'y a pas d'eau potable ou d'évacuation des eaux usées, le camp est surpeuplé. Le haut fonctionnaire, alarmé, écrit.

  • Speaker #5

    Plus de 400 individus divers, dont 200 petits-enfants, y vivent dans un état de dénuement, de misère et d'insalubrité extrême. Entassés à 40 dans des baraques prévues pour 12 personnes, Les enfants sont à peu près nus, couverts de vermine et littéralement affamés. Il n'y a déjà eu que trop de morts à Salier, et l'hôpital d'Arles en reçoit quotidiennement qui sont de véritables squelettes.

  • Speaker #0

    Et ce camp de Salier, ce qui est très intéressant, c'est que c'est un camp créé ex nihilo par le régime de Vichy, et son objectif premier c'est de rassembler les nomades dans un camp spécifique. Donc de les séparer du reste des internés, puisque à Rivesalte, il y a d'autres catégories d'internés aussi. Il y a des réfugiés républicains espagnols, il y a des familles juives aussi, il y a des opposants politiques, enfin, beaucoup de catégories de personnes jugées hostiles par le régime de Vichy. Et donc Hélène Falleur, comme les autres nomades du camp de Rivesalte, est transférée en novembre 1942 au camp de Salier. Le camp de Salier, qui est vraiment un camp créé par le régime de Vichy, et ça, j'insiste dessus, puisque on a souvent dans l'historiographie... dit que l'internement était une décision allemande. C'est vrai pour la zone occupée, mais en zone dite libre, le régime de Vichy est souverain et autonome dans sa politique anti-nomade et va donc créer ce camp spécifique à Saliers où les conditions de vie vont être désastreuses. Une famine généralisée, beaucoup de morts, notamment des nouveau-nés et des personnes âgées. Et Hélène Falleur décède en 1943 de ces mauvais traitements et donc de cette... Législation de cette politique de destruction menée par le régime de Vichy contre les populations dites nomades.

  • Speaker #1

    Pendant la Seconde Guerre mondiale, 60 nomades alsaciens et mausélands ont péri dans des camps d'internement français ou des camps de concentration allemands en raison de la persécution à leur encontre. En Alsace... il y a un lieu où se sont croisées les trajectoires brisées des familles nomades. Cernay, dans le Haut-Rhin. En dehors des historiens et des familles concernées, ce passé est peu connu. En 1940, l'hôpital psychiatrique de cette ville a pourtant servi de transit pour le transfert de plusieurs familles, depuis le sud de l'Alsace vers les départements de l'intérieur. Cernay est une étape sur le chemin de l'internement. C'est là-bas que rendez-vous est donné à Apona 68. L'Association pour la promotion des populations d'origine nomade d'Alsace a entrepris il y a une quinzaine d'années un précieux travail de collecte de témoignages de manouches qui ont survécu à l'internement.

  • Speaker #2

    Avant le recueil de témoignages et avant le travail qu'on a fait de récolte d'archives pour les personnes manouches, on n'avait quasiment pas travaillé la question.

  • Speaker #1

    Elisabeth Florentin, Apona 68.

  • Speaker #2

    Ce qu'on en a su une fois qu'on a travaillé sur l'internement des tiganes, c'est ce qui est aussi identifié dans notre bouquin, il y a une phrase qui est dite, c'est « Je n'aime pas témoigner, mais écrivez mes paroles » . L'idée d'en parler, c'était évidemment compliqué pour les familles. Après, ce qu'on en retient, c'est que c'est quand même une histoire qui a été occultée pendant des années, que les familles tiganes n'en ont pas parlé, pour plein de raisons, mais... qui sont de l'ordre souvent culturel mais aussi des raisons comme d'autres personnes qui sont revenus et qui ont été persécutés pendant la seconde guerre mondiale, toutes n'ont pas pu parler, voulu parler. Au niveau culturel, ce qu'on peut retenir, c'est les motifs qu'on perçoit et qu'on nous dit. C'est un certain nombre de tabous autour de la mort. On ne parle pas de la mort, on ne parle pas de la personne décédée. On ne la nomme pas. Donc ça, ça peut être une raison pour laquelle les personnes tiganes n'ont pas parlé. Un deuxième élément, ça peut être que la culture tigane est une culture orale, et pas une culture écrite. Donc, peu de traces, pas de traces. Écrite en tout cas. Une autre raison, c'est aussi dans la culture tigane, on vit le présent. On évoque que très peu le passé et on ne se projette pas dans l'avenir. Et puis, chez les personnes tiganes, encore jusqu'à il n'y a pas très longtemps, et c'est encore présent chez certaines personnes, quand une personne décédait, tout devait disparaître. Tout ce qui lui appartenait devait disparaître et disparaissait également du coup. ou éventuellement des documents, mais aussi des photos. Retracer l'histoire et en parler sont des éléments compliqués pour les familles tiganes. Après, traditionnellement, on n'écoute pas les tiganes. Je pense qu'ils n'ont pas trop eu envie de parler parce qu'ils se sont dit de toute façon on ne va pas m'écouter.

  • Speaker #1

    En 2009, l'association recueille le récit d'une Alsacienne, alors âgée de 77 ans. Cette manouche a des souvenirs marquants de son passage toute jeune dans le camp d'Argelès-sur-Mer. Ses témoignages de nomades internés sont rares et racontent l'extrême dureté de la survie dans ces camps, qui restent peu connus.

  • Speaker #6

    J'ai quelques souvenirs des camps. J'avais faim. J'allais toujours vers ma mère et je lui disais « je veux du pain, je veux du pain » . Ma mère me répondait, ma fille, j'en ai pas, j'ai rien. Des fois, elle me gardait un bout de pain là dans sa poche, et souvent il n'y en avait plus. Une fois, il lui restait des miettes. Elle a sorti ça de sa poche et elle me les a mis au creux de la main. Tiens, ma fille. De ça, je me souviendrai toujours. On n'avait pas le droit de sortir, on n'avait pas le droit d'aller à l'école. C'est seulement quand je suis sortie après la guerre que je suis allée à l'école, mais je n'y étais pas longtemps. Dans le camp d'Argelès, il y avait des cuisiniers. Mais de ça, nous, on ne recevait rien. Ils balançaient des tomates trop mauvaises par la fenêtre. Il y avait du sable, c'était en bord de mer. Le frère d'Angelo et moi, on les ramassait et on les mangeait elles. C'était plein de sable, mais on n'avait rien. On dormait par terre dans une baraque. Que des baraquements de sinistrés. Je me souviens du vent et de la pluie. Quand il y avait du vent, le sable se mettait sur le côté de la baraque et d'un seul coup, ma mère, quand on était couché, dit « Faut s'enlever ! » Il y avait tellement de sable sur la baraque qu'elle s'est écroulée. On aurait pu être ensevelie tellement il y avait de sable sur la maison. Je n'avais jamais vu la mer avant d'être enfermée. C'est pour ça que je n'aime pas trop la mer. Et le vent. J'ai trop de souvenirs. Je ne veux pas que tu mettes mon prénom. Secret.

  • Speaker #1

    Alors que près de 7000 personnes ont été internées dans une trentaine de camps sur l'ensemble du territoire français, cette histoire reste dans l'ombre. La première thèse sur la question n'a été rédigée qu'au milieu des années 90. Ce n'est qu'en 2016 que le président de la République d'alors, François Hollande, reconnaît la responsabilité de la France dans la persécution et l'internement de milliers de personnes. À Montreuil-Bellet, le plus grand camp d'internement de nomades de la France occupée, est aujourd'hui lieu de mémoire, il déclare. La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés. et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame. En Alsace, cette réalité, les expulsions, l'internement, les déportations, est peu visible, méconnue.

  • Speaker #7

    L'internement des tiganes est peu connu par les autres personnes, mais comme est peu connue l'histoire des tiganes, leur présence depuis cinq siècles, il reste toujours pour la population locale des étrangers.

  • Speaker #1

    Marie-Ren Auge, présidente d'Aponna 68.

  • Speaker #7

    Nous, on est obligés dans l'association d'affirmer que ce sont des habitants de ce territoire depuis très longtemps qui y ont des droits aussi. Et donc, alors, imaginez de parler de l'internement. Nous, nous faisons régulièrement un peu de la formation sur l'histoire des Tziganes pour les rendre visibles, parce que ce sont les invisibles du territoire. Donc l'internement... à mon avis, est très peu connue. Effectivement, le mur des noms qui sera créé pour se souvenir de toutes ces personnes qui ont subi l'internement, les camps de concentration, le travail obligatoire, les déplacements, les malgré-nous, qui se met en place, c'est très important, parce que ça visibilise quelque chose.

  • Speaker #1

    Celles et ceux qui ont survécu à leur retour dans les anciens territoires annexés ont tout perdu. Leurs roulottes, leurs animaux, leurs outils de travail. Peu à peu, avec ce retour, c'est l'abandon de la vie nomade et, avec la sédentarisation, le renoncement à une partie de leur tradition. Contrairement aux autres victimes de guerre, ces familles n'ont jamais été indemnisées. Le génocide et les persécutions subies par les Manouches, Yenich, Roms, s'appelle le Samoudaripen. Il est commémoré le 2 août dans toute l'Europe depuis 2015. Cette date est reconnue officiellement par l'immense majorité des pays européens, mais pas en France. Le 2 août ne fait pas encore partie du calendrier mémoriel de la République française.

  • Speaker #3

    Entre Nuit et Lumière, le podcast du mur des noms d'Alsace et de Moselle. Une série proposée par la région Grand Est, en partenariat avec le Mémorial Alsace-Moselle et l'INA. Retrouvez l'intégralité du générique sur toutes nos plateformes de diffusion. Ce podcast a été écrit et réalisé par Maude de Carpentier, Stéphanie Wenger et Anna Bui. Conseillère scientifique, Julia Maspero, Ilze Ilbold, Frédéric Naudufour. Avec les voix de Gaëlle Chaya, Simon Cortès, Stéphanie Félix et Lucie Laurent. Musique, Charles de Cilia. Production, Making Waves. Enregistrement, Kawati Studio, Thomas Binétruy. Les chansons traditionnelles Yenish sont interprétées par Manotrap.

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