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Rôle Titre - femmes de fiction

Clarisse (Feydeau) Du culot sans culotte !

Clarisse (Feydeau) Du culot sans culotte !

19min |15/11/2023
Play
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Rôle Titre - femmes de fiction

Clarisse (Feydeau) Du culot sans culotte !

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19min |15/11/2023
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Description

“Mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant !” Clarisse, Acte I, Scène 2

Vie publique contre vie privée, la dispute éclate entre les époux Ventroux. S’il est indécent de se promener toute nue, il faut bien avoir un temps décent pour s’habiller, non ?

Dans cet épisode léger comme le frôlement d’une nuisette qui glisse et retombe sur le tapis, il faudra se rendre à l’évidence :
- se mettre à nu n’a rien d’obscène, c’est nécessaire
- ceux qui ne veulent pas faire de vagues, sont finalement ceux qui font le plus de bruit
- toute intimité n’est pas impudique
Bonne écoute

📢 Rôle Titre c’est aussi :
Une newsletter : à retrouver tous les 15 jours pour du contenu exclusif sur l’héroïne. ⏩⏩S’abonner : https://bit.ly/NLroletitre
Un compte Instagram : pour discuter, apprendre, se marrer, vous connaissez le principe… ⏩⏩Rejoindre la commu : https://www.instagram.com/roletitre/
Un compte Ko-fi : une plateforme qui vous permet de soutenir le podcast par un don du montant de votre choix (CB, Paypal…). ⏩⏩Faire un don : https://ko-fi.com/roletitre

🔎 Références sources :
Théâtre (Libretheatre): Mais n’te promène donc pas toute nue, Georges Feydeau, 1911, créée au Théâtre Femina
Lecture : Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, 1989

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation (INA) : Mais n’te promène donc pas toute nue, 1962, réalisation de Roger Iglesis, avec Mony Dalmès dans le rôle de Clarisse
Musique : Le Vol du bourdon, Nikolaï Rimsky-Korsakov, 1900
Musique : Galop dans Il Gattopardo, Nino Rota, 1963
Musique : Dans l’eau de la claire fontaine, Georges Brassens, 1961, reprise par Violaine
©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oh non, non, tu vas pas oser te prendre dans l'appartement en chemise de nuit avec ton chapeau sur la tête ?

  • Speaker #1

    Moi je te prie d'attendre mes flics et j'enlèverai mon chapeau tout à l'heure.

  • Speaker #0

    Oh, ton chapeau, je m'en fiche pas mal de ton chapeau, c'est pas à peine où que j'en ai. Mais enfin,

  • Speaker #2

    qu'est-ce que j'ai encore fait ?

  • Speaker #0

    Mais rien, rien, tu n'as jamais rien fait. Alors je ne vois pas. Tant pis alors, car c'est encore plus grave si tu n'as même plus conscience de la portée de tes actes.

  • Speaker #1

    Et maintenant tu voudras m'expliquer ?

  • Speaker #0

    Alors tu trouves que c'est une tenue pour une mère d'aller changer de chemise devant son fils ?

  • Speaker #1

    Mais quelle importance sera-t-il ? Auguste est un enfant. Oh, si tu crois qu'il sait seulement ce qu'est une femme.

  • Speaker #0

    En tout cas, ce n'est pas à toi de lui apprendre. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nuit ?

  • Speaker #2

    Clarisse, c'est le rôle d'une femme trop voyante pour être cachée dans l'ombre de son mari. Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast narratif, culturel et immersif qui vous plonge dans l'univers des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Dans chaque épisode, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature. Je vous raconte ce qui la rend singulière ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure, toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure pour rôle titre d'entrée en scène. Dans quelle tenue êtes-vous pour traîner à la maison ? Un vieux sweatshirt ? Votre pyjama ? Et vous arrive-t-il de rester nu ? Quel pied, n'est-ce pas ? Mais ne te promène donc pas toute nue est la pièce qui traite de cette question domestique. C'est une farce conjugale écrite par Georges Feydeau. Elle met en scène, et elle met à mal, un couple. Clarisse et Julien Ventroux. Lui est député et veut faire avancer sa carrière, mais pour cela, il faut défendre sa réputation contre des opposants politiques et des journalistes avides de scandale. Clarisse, elle, revient d'un mariage mondain et étouffant. Elle a bien prévu de se reposer chez elle en petite tenue. À son aise. Ce qui ne va pas du tout, mais alors pas du tout, arranger les affaires de son mari. Pendant que Ventroux frôle la crise cardiaque chaque fois que Clarisse apparaît dénudée, Clarisse reste droite dans ses bottines. C'est la plus naturelle des bourgeoises, la plus ingénue, mais attention, si on lui tourne trop autour, elle pique. Vous écoutez Roll Titre, l'épisode Clarisse, du culot sans culotte. Faire le portrait de Clarisse, ce n'est pas vous parler de son physique, mais de ce qu'elle porte. Elle est définie par ses vêtements. Ou plutôt, par l'absence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nue ?

  • Speaker #2

    Par la transparence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    On te voit au travers comme dans du papier calque.

  • Speaker #2

    Par l'inconvenance de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Tu trouves que c'est une tenue ?

  • Speaker #2

    Clarisse est une bourgeoise, c'est l'épouse du député Ventroux. Mais à part ça, blonde, brune, rousse, filiforme ou bien en chair, aucune importance pour la saisir. En revanche, il est très important qu'elle ait ses bottines, son chapeau et sa chemise de nuit qu'elle ne va pas tarder à quitter au lever de rideau. Le corps de Clarisse fait parler alors qu'il n'est jamais décrit. Ça ne fait rien, c'est elle-même qui va nous le dévoiler au grand jour. C'est son premier trait de caractère. Faire une entrée culottée. Clarisse donc fait son entrée en se promenant en petite tenue dans son appartement.

  • Speaker #0

    Mais d'abord, quel besoin tu te mets en chemise de nuit à 4h de l'après-midi ?

  • Speaker #2

    N'empêche que quand je suis en train de transpiration, j'ai éprouvé le besoin de me mettre à l'aise. Je crois que c'est permis. Il n'y aura pas beaucoup plus d'explications que ça. Clarisse a chaud, elle se déshabille, c'est comme ça. C'est tout naturel. Clarisse respire le naturel. C'est absolument charmant car c'est aussi une bourgeoise. Et ça amène un très joli paradoxe. Clarisse évolue dans un appartement aménagé avec goût. Il y a des vêtements sophistiqués, il y a des domestiques, des codes de bienséance très précis, des invités à accueillir avec un protocole. Je suis désolée mon cher, mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon. Je vois pas pourquoi j'aurais les miennes en madapolam. Tout cela, Clarisse le comprend, le respecte en partie, et en même temps... Elle est simple comme bonjour. On n'est pas au milieu de la nature dans cette pièce. Clarisse n'est pas naturelle comme une nymphe des forêts. Pourtant, elle en a la vivacité. Elle est intuitive. Elle parle même aux insectes qui tournent autour de la cafetière. Oh, mais regarde-moi ça ! Allez les mouches ! Allez les guêpes ! Allez mesdames ! Elle est avenante avec tous, qu'il s'agisse d'un invité bourgeois, du voisin du dessus ou d'un inconnu. Elle est très naturelle aussi dans sa maternité. Dans ses rapports avec son fils, les choses sont simples.

  • Speaker #0

    Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d'avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui.

  • Speaker #2

    Ben mon fils quoi ? C'est ma chair ? C'est mon sang ? Eh ben que la chair de ma chair voit ma chair, y'a rien d'inconvenant ! À part les préjugés.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout, les préjugés, c'est tout !

  • Speaker #2

    Pour les esprits mesquins, oui ! Mais Dieu merci, je suis au-dessus de tout ça ! Une bourgeoise naturelle, c'est un peu antinomique. Eh bien, c'est Clarisse. Et se promener toute nue, ça raconte ce naturel. Clarisse en déborde tellement qu'elle ne va pas s'encombrer de couches de tissu. Se mettre toute nue, c'est pour elle, mettre à nu sa nature. Il y a un deuxième point très fort, très présent chez Clarisse, qui la rend bien reconnaissable. Elle n'est pas intelligente. Sa vivacité lui fait faire aussi des bons dans sa pensée. Souvent, elle loupe un bout de la conversation, elle ne saisit pas le second degré de son mari. Et elle étale son ignorance d'une façon assez navrante. Oh, bah dis, il a du culot, cet homme qui a dit de toi ping-pong !

  • Speaker #0

    Comment dis-tu ça ?

  • Speaker #2

    Ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ping-pong ? Ping-pendre, pas ping-pong.

  • Speaker #2

    On dit pas ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ah, on dit pas ping-pong.

  • Speaker #2

    J'ai toujours entendu ping-pong.

  • Speaker #0

    Tu as toujours mal entendu.

  • Speaker #2

    C'est toujours délicat pour un auteur de créer un personnage bête, tout en le gardant attachant. Dans d'autres pièces de Fédot, on a des rôles féminins qui font semblant d'être bêtes, mais pour parvenir à leur fin, c'est de la fourberie. Là, non. Clarisse est juste complètement à côté de ses pompes de temps en temps.

  • Speaker #0

    Oh non, c'est à décourager.

  • Speaker #2

    Ça marche bien pour deux raisons. D'abord, son mari n'est pas futé non plus.

  • Speaker #0

    À la suite de mon discours sur la question agricole, on est tout de suite venu m'offrir le portefeuille de la marine. Ministre de la marine. Tout de même, hein. Tu me vois ?

  • Speaker #2

    Toi ? Ministre de la marine ? Tu sais même pas nager. Bref, y en a pas un pour rattraper l'autre. Et ensuite, parce que dans sa bêtise, Clarisse a tout de même sa logique. Le biographe Henri Gidel nous en parle très bien dans son analyse du théâtre de Fédot. Clarisse illustre le type de la femme logique dans son illogisme et qui excelle à imprimer aux discussions conjugales des directions totalement imprévues. Ses raisonnements sophistiqués et propres à détraquer la cervelle de son époux ont toujours des points de départ si vulgaires qu'il s'en dégage par contraste un comique irrésistible et une puissante impression de vérité quotidienne. Une puissante impression de vérité quotidienne. C'est ça. En passant par la bêtise, Clarisse atteint des vérités. Et pour une fois, j'adore que ce soit le rôle féminin qui dise des énormités avec force.

  • Speaker #0

    Mais songe que tu es la femme d'un ministre de demain. Eh bien, quand tu seras ministresse, est-ce que tu te baladeras dans les couloirs du ministère en chemise ? Est-ce que tu te montreras à eux comme ça ?

  • Speaker #2

    Même en voyant, je mettrai ma robe de chambre. Clarisse fait briller l'adage plus c'est gros, plus ça passe Bon, très bien. Mais au-delà de nous faire rigoler pendant une heure de spectacle, que retient-on du personnage de Clarisse ? C'est beaucoup plus qu'une exhibitionniste. Dans ses protestations contre son mari, dans son refus catégorique d'aller se couvrir, elle a un argument qui fait mouche et qui résonne encore aujourd'hui. Elle est chez elle. Clarisse défend pour elle, et pour toutes les femmes, le droit d'avoir un lieu à soi. Non, ça c'est le comble ! Je n'ai plus le droit d'entrer dans ma chambre maintenant ! Ici, je fais évidemment le lien avec Une chambre à soi laissé de Virginia Woolf paru en 1929. C'est un texte majeur du féminisme, dans lequel Virginia Woolf pose un constat simple, mais fort. Pour pouvoir écrire de la littérature, il faut deux choses à une femme. Une pièce où elle ne sera pas dérangée, et un peu d'argent à elle. Deux choses très difficiles à obtenir pour les femmes au début du XXe siècle. Clarisse est créée en 1911, un peu avant une chambre à soi donc, et elle n'a sûrement pas les prétentions intellectuelles d'écrire le moindre roman. Mais elle annonce la couleur. Qu'est-ce qu'on vient l'emmerder sur son territoire ? Où veux-tu que j'aille me déshabiller ? À la cuisine ? À l'office ? Devant les domestiques ? C'est pour le coup que tu crierais comme un putois ? Tout démarre dans la chambre de Clarisse. Sa chambre à elle et à elle uniquement, puisqu'à l'époque, il est fréquent pour la bourgeoisie de faire chambre à part. Or, cette chambre est envahie par le fils et par le mari de Clarisse, alors qu'elle veut se changer peinarde. Il n'y a pas de mauvaise foi, je suis chez moi dans ma chambre, c'est vous qui n'aviez pas besoin d'y être. Je ne vous ai pas demandé d'y venir, n'est-ce pas ? Eh bien, si ma tenue vous gênait, vous n'aviez qu'à vous en aller. C'est la question des frontières qui est posée. Où est le terrain public et privé ? Où sont les lieux de la famille, du couple et de Clarisse ? Est-ce qu'elle a un endroit à elle où elle peut exister sans devoir faire attention à son comportement parce que des hommes l'entourent ?

  • Speaker #0

    Oh, mais ils n'ont pas besoin d'entrer pour te voir, ils n'ont qu'à regarder !

  • Speaker #2

    Au fil de la pièce, l'invasion continue. Des hommes du milieu politique de Ventroux défilent et les mésaventures rocambolesques s'enchaînent.

  • Speaker #0

    C'est pour dire à monsieur qu'il était venu ce matin un monsieur qui a laissé sa carte. Mais qui ça ? Oh non, c'est pas possible. Oh bah celle-là, il est venu, lui. Ah lui, parfaitement. Quoi, lui, qui lui ? Celui-là, enfin ce monsieur.

  • Speaker #2

    Mais qui les a laissés entrer ? C'est là l'erreur du député Ventrou. Il fait rentrer des hommes, des hommes politiques en plus, dans le foyer, qui est l'espace domestique féminin par excellence à l'époque. Alors fatalement ça frictionne. Le territoire masculin extérieur entre en collision avec le territoire féminin intérieur. Qui résiste ? Est-ce que les choses ont tellement changé dans nos maisons depuis l'époque de Fédot ? Je ne trouve pas tellement, ce sont les mêmes questions vulgaires, qu'il s'agisse de me balader toute nue ou de faire pipi la porte ouverte. Si je suis seule, aucun problème. Si mon mari est là, ça se négocierait avec lui, il y en a que ça dérange. Et s'il y a des invités, alors mon salon ne m'appartient plus vraiment. Je ne compte plus non plus les jeunes mères de mon entourage qui n'ont pas une minute de tranquillité parce que leurs enfants en bas âge les suivent jusque dans les toilettes. Virginia Woolf était formelle. Un lieu à soi, ça doit être une pièce qui ferme à clé. Clarisse, tiens bon ! Ce que j'aime chez Clarisse, c'est qu'elle n'agit pas tellement par conviction féministe, mais à nouveau, de par son naturel. Ça la rend très confiante. Et elle vient déballer toute sa féminité avec l'assurance d'un homme. Elle ne doute de rien, comme eux, comme tous les hommes qu'elle rencontre pendant la pièce.

  • Speaker #0

    Tu n'as pas honte ? Te montrer comme ça avec un domestique à tes trousses ?

  • Speaker #2

    Mais non, mais c'est parce que Victor n'avait pas enlevé les tasses ! Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses ! Et c'est moderne. Clarisse me rappelle mon grand-père, qui bronzait une fois, en slip, dans le jardin, et qui allait jusqu'au portail récupérer le courrier dans les mains du facteur, sans prendre le temps d'enfiler un pantalon avant. C'était un homme. Il était chez lui et il était peinard. Clarisse me rappelle encore le proverbe anglais A man's home is his castle Un homme est chez lui comme dans son château À nouveau le proverbe dit un homme, pas une femme. Eh bien Clarisse, elle ne se gêne pas. Puisque le monde extérieur, la société, les mariages mondains, les meetings politiques, c'est le lieu de son mari, chez elle, ce sera vraiment chez elle. C'est pas tant qu'elle veut s'exhiber partout, mais il lui faut bien un lieu où sa nature, une nature très expansive, c'est vrai, puisse s'exprimer sans limite. Clarisse est hyper féminine, pas toujours futée. Et elle illustre donc à merveille une citation et un conseil de Sarah Agui que j'adore. Il suffit d'avancer dans la vie avec la confiance d'un homme blanc et médiocre. Bien qu'on soit dans une comédie avec des scènes franchement potaches, Clarisse est un rôle qui vient toucher à mon intimité. Lire, mais ne te promène donc pas toute nue. C'est la garantie de passer un bon moment, c'est du fédot, ça déménage, il y a des mots joués, des rires. Mais quand même, je me disais, il y a un petit truc en plus dans cette pièce. J'aime le fait qu'on ait accès à l'intimité d'un couple qui s'aime encore. C'est ce que je ressens des ventreaux. Il y a beaucoup de coquuffiages dans Fedeau. Il y a des pièces où les couples vivent chacun dans leur coin. Là, ils s'engueulent, mais il y a quelques moments de tendresse qui redonnent du souffle à la pièce.

  • Speaker #0

    Eh bien, sois gentiment là. Je te supplie de ne plus te promener toujours en chemise comme tu le fais.

  • Speaker #2

    Eh bien oui, dis-moi ça comme ça. Quand ils ne sont que tous les deux, leurs rapports changent. On voit que Clarisse s'intéresse quand même aux affaires politiques de son mari.

  • Speaker #0

    Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme. Ça n'a aucun rapport.

  • Speaker #2

    Et lui ? Il est charmé par la spontanéité qu'il va ensuite lui reprocher en public. Il n'y a rien de plus désarmant que l'assurance du naturel de Clarisse. Autrement dit, elle le tient par l'intime.

  • Speaker #1

    Une saute de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues.

  • Speaker #2

    Et c'est autour de l'intime que je me pose des questions à la fin de la pièce. On ne voit Clarisse que dans son appartement. Comment se comporte-t-elle avec son mari au dehors ? Leurs moments d'intimité sont-ils continuellement interrompus ? Pourquoi Ventroux tient-il à ce que Clarisse soit plus rangée qu'elle ne l'est réellement devant son fils ? A-t-il peur qu'il finisse par ressembler à sa mère ? Et s'ils avaient eu une fille, une fille de 13 ans, qui ferait que Clarisse ne serait plus la seule femme de la maison ? Clarisse montrerait-elle le même exemple ?

  • Speaker #1

    J'allais me baigner toute nue

  • Speaker #2

    En moins d'une heure, on rentre dans l'intimité de ce couple. Mais on ne sait pas tout. Finalement, Fedeau nous a caché bien des choses. Par pudeur, ou peut-être parce que, même en déculottant Clarisse, il restera toujours une face cachée de la lune. Clarisse, c'est une drôle de mère qui se met à nu, tout naturellement, sans phare, sans les convenances bourgeoises. On n'a pas l'habitude de pénétrer l'intimité d'une femme, et encore moins d'une mère. Ce serait pénétrer ses secrets, son espace, ses défauts, voire sa bêtise. Mais c'est aussi ce qui fait tout le plaisir de regarder Mais ne te promène donc pas toute nue On sent bien, en tant que public, qu'on ne devrait pas être là, mais on est curieux. Heureusement, ça ne fait pas de mal, on est au théâtre. Clarisse a raison de défendre sa chambre. Elle ne le fait pas par principe, mais presque inconsciemment, en utilisant sa plus grande force, sa très grande naïveté. Et je terminerai là-dessus, parce que c'est cette puissante naïveté que j'envie à Clarisse et dont j'espère garder un fragment. Naïveté vient du verbe naître Mais la vraie naïveté, ce n'est pas l'ignorance, ni la pure innocence de celui ou celle qui vient de naître. C'est la capacité à laisser naître les choses telles qu'elles sont. Anu Merci d'avoir écouté Roll Titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Roll Titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôles-titres abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner Rôle Titre,

Description

“Mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant !” Clarisse, Acte I, Scène 2

Vie publique contre vie privée, la dispute éclate entre les époux Ventroux. S’il est indécent de se promener toute nue, il faut bien avoir un temps décent pour s’habiller, non ?

Dans cet épisode léger comme le frôlement d’une nuisette qui glisse et retombe sur le tapis, il faudra se rendre à l’évidence :
- se mettre à nu n’a rien d’obscène, c’est nécessaire
- ceux qui ne veulent pas faire de vagues, sont finalement ceux qui font le plus de bruit
- toute intimité n’est pas impudique
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🔎 Références sources :
Théâtre (Libretheatre): Mais n’te promène donc pas toute nue, Georges Feydeau, 1911, créée au Théâtre Femina
Lecture : Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, 1989

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation (INA) : Mais n’te promène donc pas toute nue, 1962, réalisation de Roger Iglesis, avec Mony Dalmès dans le rôle de Clarisse
Musique : Le Vol du bourdon, Nikolaï Rimsky-Korsakov, 1900
Musique : Galop dans Il Gattopardo, Nino Rota, 1963
Musique : Dans l’eau de la claire fontaine, Georges Brassens, 1961, reprise par Violaine
©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha 


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Transcription

  • Speaker #0

    Oh non, non, tu vas pas oser te prendre dans l'appartement en chemise de nuit avec ton chapeau sur la tête ?

  • Speaker #1

    Moi je te prie d'attendre mes flics et j'enlèverai mon chapeau tout à l'heure.

  • Speaker #0

    Oh, ton chapeau, je m'en fiche pas mal de ton chapeau, c'est pas à peine où que j'en ai. Mais enfin,

  • Speaker #2

    qu'est-ce que j'ai encore fait ?

  • Speaker #0

    Mais rien, rien, tu n'as jamais rien fait. Alors je ne vois pas. Tant pis alors, car c'est encore plus grave si tu n'as même plus conscience de la portée de tes actes.

  • Speaker #1

    Et maintenant tu voudras m'expliquer ?

  • Speaker #0

    Alors tu trouves que c'est une tenue pour une mère d'aller changer de chemise devant son fils ?

  • Speaker #1

    Mais quelle importance sera-t-il ? Auguste est un enfant. Oh, si tu crois qu'il sait seulement ce qu'est une femme.

  • Speaker #0

    En tout cas, ce n'est pas à toi de lui apprendre. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nuit ?

  • Speaker #2

    Clarisse, c'est le rôle d'une femme trop voyante pour être cachée dans l'ombre de son mari. Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast narratif, culturel et immersif qui vous plonge dans l'univers des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Dans chaque épisode, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature. Je vous raconte ce qui la rend singulière ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure, toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure pour rôle titre d'entrée en scène. Dans quelle tenue êtes-vous pour traîner à la maison ? Un vieux sweatshirt ? Votre pyjama ? Et vous arrive-t-il de rester nu ? Quel pied, n'est-ce pas ? Mais ne te promène donc pas toute nue est la pièce qui traite de cette question domestique. C'est une farce conjugale écrite par Georges Feydeau. Elle met en scène, et elle met à mal, un couple. Clarisse et Julien Ventroux. Lui est député et veut faire avancer sa carrière, mais pour cela, il faut défendre sa réputation contre des opposants politiques et des journalistes avides de scandale. Clarisse, elle, revient d'un mariage mondain et étouffant. Elle a bien prévu de se reposer chez elle en petite tenue. À son aise. Ce qui ne va pas du tout, mais alors pas du tout, arranger les affaires de son mari. Pendant que Ventroux frôle la crise cardiaque chaque fois que Clarisse apparaît dénudée, Clarisse reste droite dans ses bottines. C'est la plus naturelle des bourgeoises, la plus ingénue, mais attention, si on lui tourne trop autour, elle pique. Vous écoutez Roll Titre, l'épisode Clarisse, du culot sans culotte. Faire le portrait de Clarisse, ce n'est pas vous parler de son physique, mais de ce qu'elle porte. Elle est définie par ses vêtements. Ou plutôt, par l'absence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nue ?

  • Speaker #2

    Par la transparence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    On te voit au travers comme dans du papier calque.

  • Speaker #2

    Par l'inconvenance de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Tu trouves que c'est une tenue ?

  • Speaker #2

    Clarisse est une bourgeoise, c'est l'épouse du député Ventroux. Mais à part ça, blonde, brune, rousse, filiforme ou bien en chair, aucune importance pour la saisir. En revanche, il est très important qu'elle ait ses bottines, son chapeau et sa chemise de nuit qu'elle ne va pas tarder à quitter au lever de rideau. Le corps de Clarisse fait parler alors qu'il n'est jamais décrit. Ça ne fait rien, c'est elle-même qui va nous le dévoiler au grand jour. C'est son premier trait de caractère. Faire une entrée culottée. Clarisse donc fait son entrée en se promenant en petite tenue dans son appartement.

  • Speaker #0

    Mais d'abord, quel besoin tu te mets en chemise de nuit à 4h de l'après-midi ?

  • Speaker #2

    N'empêche que quand je suis en train de transpiration, j'ai éprouvé le besoin de me mettre à l'aise. Je crois que c'est permis. Il n'y aura pas beaucoup plus d'explications que ça. Clarisse a chaud, elle se déshabille, c'est comme ça. C'est tout naturel. Clarisse respire le naturel. C'est absolument charmant car c'est aussi une bourgeoise. Et ça amène un très joli paradoxe. Clarisse évolue dans un appartement aménagé avec goût. Il y a des vêtements sophistiqués, il y a des domestiques, des codes de bienséance très précis, des invités à accueillir avec un protocole. Je suis désolée mon cher, mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon. Je vois pas pourquoi j'aurais les miennes en madapolam. Tout cela, Clarisse le comprend, le respecte en partie, et en même temps... Elle est simple comme bonjour. On n'est pas au milieu de la nature dans cette pièce. Clarisse n'est pas naturelle comme une nymphe des forêts. Pourtant, elle en a la vivacité. Elle est intuitive. Elle parle même aux insectes qui tournent autour de la cafetière. Oh, mais regarde-moi ça ! Allez les mouches ! Allez les guêpes ! Allez mesdames ! Elle est avenante avec tous, qu'il s'agisse d'un invité bourgeois, du voisin du dessus ou d'un inconnu. Elle est très naturelle aussi dans sa maternité. Dans ses rapports avec son fils, les choses sont simples.

  • Speaker #0

    Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d'avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui.

  • Speaker #2

    Ben mon fils quoi ? C'est ma chair ? C'est mon sang ? Eh ben que la chair de ma chair voit ma chair, y'a rien d'inconvenant ! À part les préjugés.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout, les préjugés, c'est tout !

  • Speaker #2

    Pour les esprits mesquins, oui ! Mais Dieu merci, je suis au-dessus de tout ça ! Une bourgeoise naturelle, c'est un peu antinomique. Eh bien, c'est Clarisse. Et se promener toute nue, ça raconte ce naturel. Clarisse en déborde tellement qu'elle ne va pas s'encombrer de couches de tissu. Se mettre toute nue, c'est pour elle, mettre à nu sa nature. Il y a un deuxième point très fort, très présent chez Clarisse, qui la rend bien reconnaissable. Elle n'est pas intelligente. Sa vivacité lui fait faire aussi des bons dans sa pensée. Souvent, elle loupe un bout de la conversation, elle ne saisit pas le second degré de son mari. Et elle étale son ignorance d'une façon assez navrante. Oh, bah dis, il a du culot, cet homme qui a dit de toi ping-pong !

  • Speaker #0

    Comment dis-tu ça ?

  • Speaker #2

    Ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ping-pong ? Ping-pendre, pas ping-pong.

  • Speaker #2

    On dit pas ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ah, on dit pas ping-pong.

  • Speaker #2

    J'ai toujours entendu ping-pong.

  • Speaker #0

    Tu as toujours mal entendu.

  • Speaker #2

    C'est toujours délicat pour un auteur de créer un personnage bête, tout en le gardant attachant. Dans d'autres pièces de Fédot, on a des rôles féminins qui font semblant d'être bêtes, mais pour parvenir à leur fin, c'est de la fourberie. Là, non. Clarisse est juste complètement à côté de ses pompes de temps en temps.

  • Speaker #0

    Oh non, c'est à décourager.

  • Speaker #2

    Ça marche bien pour deux raisons. D'abord, son mari n'est pas futé non plus.

  • Speaker #0

    À la suite de mon discours sur la question agricole, on est tout de suite venu m'offrir le portefeuille de la marine. Ministre de la marine. Tout de même, hein. Tu me vois ?

  • Speaker #2

    Toi ? Ministre de la marine ? Tu sais même pas nager. Bref, y en a pas un pour rattraper l'autre. Et ensuite, parce que dans sa bêtise, Clarisse a tout de même sa logique. Le biographe Henri Gidel nous en parle très bien dans son analyse du théâtre de Fédot. Clarisse illustre le type de la femme logique dans son illogisme et qui excelle à imprimer aux discussions conjugales des directions totalement imprévues. Ses raisonnements sophistiqués et propres à détraquer la cervelle de son époux ont toujours des points de départ si vulgaires qu'il s'en dégage par contraste un comique irrésistible et une puissante impression de vérité quotidienne. Une puissante impression de vérité quotidienne. C'est ça. En passant par la bêtise, Clarisse atteint des vérités. Et pour une fois, j'adore que ce soit le rôle féminin qui dise des énormités avec force.

  • Speaker #0

    Mais songe que tu es la femme d'un ministre de demain. Eh bien, quand tu seras ministresse, est-ce que tu te baladeras dans les couloirs du ministère en chemise ? Est-ce que tu te montreras à eux comme ça ?

  • Speaker #2

    Même en voyant, je mettrai ma robe de chambre. Clarisse fait briller l'adage plus c'est gros, plus ça passe Bon, très bien. Mais au-delà de nous faire rigoler pendant une heure de spectacle, que retient-on du personnage de Clarisse ? C'est beaucoup plus qu'une exhibitionniste. Dans ses protestations contre son mari, dans son refus catégorique d'aller se couvrir, elle a un argument qui fait mouche et qui résonne encore aujourd'hui. Elle est chez elle. Clarisse défend pour elle, et pour toutes les femmes, le droit d'avoir un lieu à soi. Non, ça c'est le comble ! Je n'ai plus le droit d'entrer dans ma chambre maintenant ! Ici, je fais évidemment le lien avec Une chambre à soi laissé de Virginia Woolf paru en 1929. C'est un texte majeur du féminisme, dans lequel Virginia Woolf pose un constat simple, mais fort. Pour pouvoir écrire de la littérature, il faut deux choses à une femme. Une pièce où elle ne sera pas dérangée, et un peu d'argent à elle. Deux choses très difficiles à obtenir pour les femmes au début du XXe siècle. Clarisse est créée en 1911, un peu avant une chambre à soi donc, et elle n'a sûrement pas les prétentions intellectuelles d'écrire le moindre roman. Mais elle annonce la couleur. Qu'est-ce qu'on vient l'emmerder sur son territoire ? Où veux-tu que j'aille me déshabiller ? À la cuisine ? À l'office ? Devant les domestiques ? C'est pour le coup que tu crierais comme un putois ? Tout démarre dans la chambre de Clarisse. Sa chambre à elle et à elle uniquement, puisqu'à l'époque, il est fréquent pour la bourgeoisie de faire chambre à part. Or, cette chambre est envahie par le fils et par le mari de Clarisse, alors qu'elle veut se changer peinarde. Il n'y a pas de mauvaise foi, je suis chez moi dans ma chambre, c'est vous qui n'aviez pas besoin d'y être. Je ne vous ai pas demandé d'y venir, n'est-ce pas ? Eh bien, si ma tenue vous gênait, vous n'aviez qu'à vous en aller. C'est la question des frontières qui est posée. Où est le terrain public et privé ? Où sont les lieux de la famille, du couple et de Clarisse ? Est-ce qu'elle a un endroit à elle où elle peut exister sans devoir faire attention à son comportement parce que des hommes l'entourent ?

  • Speaker #0

    Oh, mais ils n'ont pas besoin d'entrer pour te voir, ils n'ont qu'à regarder !

  • Speaker #2

    Au fil de la pièce, l'invasion continue. Des hommes du milieu politique de Ventroux défilent et les mésaventures rocambolesques s'enchaînent.

  • Speaker #0

    C'est pour dire à monsieur qu'il était venu ce matin un monsieur qui a laissé sa carte. Mais qui ça ? Oh non, c'est pas possible. Oh bah celle-là, il est venu, lui. Ah lui, parfaitement. Quoi, lui, qui lui ? Celui-là, enfin ce monsieur.

  • Speaker #2

    Mais qui les a laissés entrer ? C'est là l'erreur du député Ventrou. Il fait rentrer des hommes, des hommes politiques en plus, dans le foyer, qui est l'espace domestique féminin par excellence à l'époque. Alors fatalement ça frictionne. Le territoire masculin extérieur entre en collision avec le territoire féminin intérieur. Qui résiste ? Est-ce que les choses ont tellement changé dans nos maisons depuis l'époque de Fédot ? Je ne trouve pas tellement, ce sont les mêmes questions vulgaires, qu'il s'agisse de me balader toute nue ou de faire pipi la porte ouverte. Si je suis seule, aucun problème. Si mon mari est là, ça se négocierait avec lui, il y en a que ça dérange. Et s'il y a des invités, alors mon salon ne m'appartient plus vraiment. Je ne compte plus non plus les jeunes mères de mon entourage qui n'ont pas une minute de tranquillité parce que leurs enfants en bas âge les suivent jusque dans les toilettes. Virginia Woolf était formelle. Un lieu à soi, ça doit être une pièce qui ferme à clé. Clarisse, tiens bon ! Ce que j'aime chez Clarisse, c'est qu'elle n'agit pas tellement par conviction féministe, mais à nouveau, de par son naturel. Ça la rend très confiante. Et elle vient déballer toute sa féminité avec l'assurance d'un homme. Elle ne doute de rien, comme eux, comme tous les hommes qu'elle rencontre pendant la pièce.

  • Speaker #0

    Tu n'as pas honte ? Te montrer comme ça avec un domestique à tes trousses ?

  • Speaker #2

    Mais non, mais c'est parce que Victor n'avait pas enlevé les tasses ! Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses ! Et c'est moderne. Clarisse me rappelle mon grand-père, qui bronzait une fois, en slip, dans le jardin, et qui allait jusqu'au portail récupérer le courrier dans les mains du facteur, sans prendre le temps d'enfiler un pantalon avant. C'était un homme. Il était chez lui et il était peinard. Clarisse me rappelle encore le proverbe anglais A man's home is his castle Un homme est chez lui comme dans son château À nouveau le proverbe dit un homme, pas une femme. Eh bien Clarisse, elle ne se gêne pas. Puisque le monde extérieur, la société, les mariages mondains, les meetings politiques, c'est le lieu de son mari, chez elle, ce sera vraiment chez elle. C'est pas tant qu'elle veut s'exhiber partout, mais il lui faut bien un lieu où sa nature, une nature très expansive, c'est vrai, puisse s'exprimer sans limite. Clarisse est hyper féminine, pas toujours futée. Et elle illustre donc à merveille une citation et un conseil de Sarah Agui que j'adore. Il suffit d'avancer dans la vie avec la confiance d'un homme blanc et médiocre. Bien qu'on soit dans une comédie avec des scènes franchement potaches, Clarisse est un rôle qui vient toucher à mon intimité. Lire, mais ne te promène donc pas toute nue. C'est la garantie de passer un bon moment, c'est du fédot, ça déménage, il y a des mots joués, des rires. Mais quand même, je me disais, il y a un petit truc en plus dans cette pièce. J'aime le fait qu'on ait accès à l'intimité d'un couple qui s'aime encore. C'est ce que je ressens des ventreaux. Il y a beaucoup de coquuffiages dans Fedeau. Il y a des pièces où les couples vivent chacun dans leur coin. Là, ils s'engueulent, mais il y a quelques moments de tendresse qui redonnent du souffle à la pièce.

  • Speaker #0

    Eh bien, sois gentiment là. Je te supplie de ne plus te promener toujours en chemise comme tu le fais.

  • Speaker #2

    Eh bien oui, dis-moi ça comme ça. Quand ils ne sont que tous les deux, leurs rapports changent. On voit que Clarisse s'intéresse quand même aux affaires politiques de son mari.

  • Speaker #0

    Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme. Ça n'a aucun rapport.

  • Speaker #2

    Et lui ? Il est charmé par la spontanéité qu'il va ensuite lui reprocher en public. Il n'y a rien de plus désarmant que l'assurance du naturel de Clarisse. Autrement dit, elle le tient par l'intime.

  • Speaker #1

    Une saute de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues.

  • Speaker #2

    Et c'est autour de l'intime que je me pose des questions à la fin de la pièce. On ne voit Clarisse que dans son appartement. Comment se comporte-t-elle avec son mari au dehors ? Leurs moments d'intimité sont-ils continuellement interrompus ? Pourquoi Ventroux tient-il à ce que Clarisse soit plus rangée qu'elle ne l'est réellement devant son fils ? A-t-il peur qu'il finisse par ressembler à sa mère ? Et s'ils avaient eu une fille, une fille de 13 ans, qui ferait que Clarisse ne serait plus la seule femme de la maison ? Clarisse montrerait-elle le même exemple ?

  • Speaker #1

    J'allais me baigner toute nue

  • Speaker #2

    En moins d'une heure, on rentre dans l'intimité de ce couple. Mais on ne sait pas tout. Finalement, Fedeau nous a caché bien des choses. Par pudeur, ou peut-être parce que, même en déculottant Clarisse, il restera toujours une face cachée de la lune. Clarisse, c'est une drôle de mère qui se met à nu, tout naturellement, sans phare, sans les convenances bourgeoises. On n'a pas l'habitude de pénétrer l'intimité d'une femme, et encore moins d'une mère. Ce serait pénétrer ses secrets, son espace, ses défauts, voire sa bêtise. Mais c'est aussi ce qui fait tout le plaisir de regarder Mais ne te promène donc pas toute nue On sent bien, en tant que public, qu'on ne devrait pas être là, mais on est curieux. Heureusement, ça ne fait pas de mal, on est au théâtre. Clarisse a raison de défendre sa chambre. Elle ne le fait pas par principe, mais presque inconsciemment, en utilisant sa plus grande force, sa très grande naïveté. Et je terminerai là-dessus, parce que c'est cette puissante naïveté que j'envie à Clarisse et dont j'espère garder un fragment. Naïveté vient du verbe naître Mais la vraie naïveté, ce n'est pas l'ignorance, ni la pure innocence de celui ou celle qui vient de naître. C'est la capacité à laisser naître les choses telles qu'elles sont. Anu Merci d'avoir écouté Roll Titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Roll Titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôles-titres abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner Rôle Titre,

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Description

“Mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant !” Clarisse, Acte I, Scène 2

Vie publique contre vie privée, la dispute éclate entre les époux Ventroux. S’il est indécent de se promener toute nue, il faut bien avoir un temps décent pour s’habiller, non ?

Dans cet épisode léger comme le frôlement d’une nuisette qui glisse et retombe sur le tapis, il faudra se rendre à l’évidence :
- se mettre à nu n’a rien d’obscène, c’est nécessaire
- ceux qui ne veulent pas faire de vagues, sont finalement ceux qui font le plus de bruit
- toute intimité n’est pas impudique
Bonne écoute

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🔎 Références sources :
Théâtre (Libretheatre): Mais n’te promène donc pas toute nue, Georges Feydeau, 1911, créée au Théâtre Femina
Lecture : Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, 1989

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation (INA) : Mais n’te promène donc pas toute nue, 1962, réalisation de Roger Iglesis, avec Mony Dalmès dans le rôle de Clarisse
Musique : Le Vol du bourdon, Nikolaï Rimsky-Korsakov, 1900
Musique : Galop dans Il Gattopardo, Nino Rota, 1963
Musique : Dans l’eau de la claire fontaine, Georges Brassens, 1961, reprise par Violaine
©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oh non, non, tu vas pas oser te prendre dans l'appartement en chemise de nuit avec ton chapeau sur la tête ?

  • Speaker #1

    Moi je te prie d'attendre mes flics et j'enlèverai mon chapeau tout à l'heure.

  • Speaker #0

    Oh, ton chapeau, je m'en fiche pas mal de ton chapeau, c'est pas à peine où que j'en ai. Mais enfin,

  • Speaker #2

    qu'est-ce que j'ai encore fait ?

  • Speaker #0

    Mais rien, rien, tu n'as jamais rien fait. Alors je ne vois pas. Tant pis alors, car c'est encore plus grave si tu n'as même plus conscience de la portée de tes actes.

  • Speaker #1

    Et maintenant tu voudras m'expliquer ?

  • Speaker #0

    Alors tu trouves que c'est une tenue pour une mère d'aller changer de chemise devant son fils ?

  • Speaker #1

    Mais quelle importance sera-t-il ? Auguste est un enfant. Oh, si tu crois qu'il sait seulement ce qu'est une femme.

  • Speaker #0

    En tout cas, ce n'est pas à toi de lui apprendre. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nuit ?

  • Speaker #2

    Clarisse, c'est le rôle d'une femme trop voyante pour être cachée dans l'ombre de son mari. Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast narratif, culturel et immersif qui vous plonge dans l'univers des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Dans chaque épisode, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature. Je vous raconte ce qui la rend singulière ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure, toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure pour rôle titre d'entrée en scène. Dans quelle tenue êtes-vous pour traîner à la maison ? Un vieux sweatshirt ? Votre pyjama ? Et vous arrive-t-il de rester nu ? Quel pied, n'est-ce pas ? Mais ne te promène donc pas toute nue est la pièce qui traite de cette question domestique. C'est une farce conjugale écrite par Georges Feydeau. Elle met en scène, et elle met à mal, un couple. Clarisse et Julien Ventroux. Lui est député et veut faire avancer sa carrière, mais pour cela, il faut défendre sa réputation contre des opposants politiques et des journalistes avides de scandale. Clarisse, elle, revient d'un mariage mondain et étouffant. Elle a bien prévu de se reposer chez elle en petite tenue. À son aise. Ce qui ne va pas du tout, mais alors pas du tout, arranger les affaires de son mari. Pendant que Ventroux frôle la crise cardiaque chaque fois que Clarisse apparaît dénudée, Clarisse reste droite dans ses bottines. C'est la plus naturelle des bourgeoises, la plus ingénue, mais attention, si on lui tourne trop autour, elle pique. Vous écoutez Roll Titre, l'épisode Clarisse, du culot sans culotte. Faire le portrait de Clarisse, ce n'est pas vous parler de son physique, mais de ce qu'elle porte. Elle est définie par ses vêtements. Ou plutôt, par l'absence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nue ?

  • Speaker #2

    Par la transparence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    On te voit au travers comme dans du papier calque.

  • Speaker #2

    Par l'inconvenance de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Tu trouves que c'est une tenue ?

  • Speaker #2

    Clarisse est une bourgeoise, c'est l'épouse du député Ventroux. Mais à part ça, blonde, brune, rousse, filiforme ou bien en chair, aucune importance pour la saisir. En revanche, il est très important qu'elle ait ses bottines, son chapeau et sa chemise de nuit qu'elle ne va pas tarder à quitter au lever de rideau. Le corps de Clarisse fait parler alors qu'il n'est jamais décrit. Ça ne fait rien, c'est elle-même qui va nous le dévoiler au grand jour. C'est son premier trait de caractère. Faire une entrée culottée. Clarisse donc fait son entrée en se promenant en petite tenue dans son appartement.

  • Speaker #0

    Mais d'abord, quel besoin tu te mets en chemise de nuit à 4h de l'après-midi ?

  • Speaker #2

    N'empêche que quand je suis en train de transpiration, j'ai éprouvé le besoin de me mettre à l'aise. Je crois que c'est permis. Il n'y aura pas beaucoup plus d'explications que ça. Clarisse a chaud, elle se déshabille, c'est comme ça. C'est tout naturel. Clarisse respire le naturel. C'est absolument charmant car c'est aussi une bourgeoise. Et ça amène un très joli paradoxe. Clarisse évolue dans un appartement aménagé avec goût. Il y a des vêtements sophistiqués, il y a des domestiques, des codes de bienséance très précis, des invités à accueillir avec un protocole. Je suis désolée mon cher, mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon. Je vois pas pourquoi j'aurais les miennes en madapolam. Tout cela, Clarisse le comprend, le respecte en partie, et en même temps... Elle est simple comme bonjour. On n'est pas au milieu de la nature dans cette pièce. Clarisse n'est pas naturelle comme une nymphe des forêts. Pourtant, elle en a la vivacité. Elle est intuitive. Elle parle même aux insectes qui tournent autour de la cafetière. Oh, mais regarde-moi ça ! Allez les mouches ! Allez les guêpes ! Allez mesdames ! Elle est avenante avec tous, qu'il s'agisse d'un invité bourgeois, du voisin du dessus ou d'un inconnu. Elle est très naturelle aussi dans sa maternité. Dans ses rapports avec son fils, les choses sont simples.

  • Speaker #0

    Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d'avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui.

  • Speaker #2

    Ben mon fils quoi ? C'est ma chair ? C'est mon sang ? Eh ben que la chair de ma chair voit ma chair, y'a rien d'inconvenant ! À part les préjugés.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout, les préjugés, c'est tout !

  • Speaker #2

    Pour les esprits mesquins, oui ! Mais Dieu merci, je suis au-dessus de tout ça ! Une bourgeoise naturelle, c'est un peu antinomique. Eh bien, c'est Clarisse. Et se promener toute nue, ça raconte ce naturel. Clarisse en déborde tellement qu'elle ne va pas s'encombrer de couches de tissu. Se mettre toute nue, c'est pour elle, mettre à nu sa nature. Il y a un deuxième point très fort, très présent chez Clarisse, qui la rend bien reconnaissable. Elle n'est pas intelligente. Sa vivacité lui fait faire aussi des bons dans sa pensée. Souvent, elle loupe un bout de la conversation, elle ne saisit pas le second degré de son mari. Et elle étale son ignorance d'une façon assez navrante. Oh, bah dis, il a du culot, cet homme qui a dit de toi ping-pong !

  • Speaker #0

    Comment dis-tu ça ?

  • Speaker #2

    Ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ping-pong ? Ping-pendre, pas ping-pong.

  • Speaker #2

    On dit pas ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ah, on dit pas ping-pong.

  • Speaker #2

    J'ai toujours entendu ping-pong.

  • Speaker #0

    Tu as toujours mal entendu.

  • Speaker #2

    C'est toujours délicat pour un auteur de créer un personnage bête, tout en le gardant attachant. Dans d'autres pièces de Fédot, on a des rôles féminins qui font semblant d'être bêtes, mais pour parvenir à leur fin, c'est de la fourberie. Là, non. Clarisse est juste complètement à côté de ses pompes de temps en temps.

  • Speaker #0

    Oh non, c'est à décourager.

  • Speaker #2

    Ça marche bien pour deux raisons. D'abord, son mari n'est pas futé non plus.

  • Speaker #0

    À la suite de mon discours sur la question agricole, on est tout de suite venu m'offrir le portefeuille de la marine. Ministre de la marine. Tout de même, hein. Tu me vois ?

  • Speaker #2

    Toi ? Ministre de la marine ? Tu sais même pas nager. Bref, y en a pas un pour rattraper l'autre. Et ensuite, parce que dans sa bêtise, Clarisse a tout de même sa logique. Le biographe Henri Gidel nous en parle très bien dans son analyse du théâtre de Fédot. Clarisse illustre le type de la femme logique dans son illogisme et qui excelle à imprimer aux discussions conjugales des directions totalement imprévues. Ses raisonnements sophistiqués et propres à détraquer la cervelle de son époux ont toujours des points de départ si vulgaires qu'il s'en dégage par contraste un comique irrésistible et une puissante impression de vérité quotidienne. Une puissante impression de vérité quotidienne. C'est ça. En passant par la bêtise, Clarisse atteint des vérités. Et pour une fois, j'adore que ce soit le rôle féminin qui dise des énormités avec force.

  • Speaker #0

    Mais songe que tu es la femme d'un ministre de demain. Eh bien, quand tu seras ministresse, est-ce que tu te baladeras dans les couloirs du ministère en chemise ? Est-ce que tu te montreras à eux comme ça ?

  • Speaker #2

    Même en voyant, je mettrai ma robe de chambre. Clarisse fait briller l'adage plus c'est gros, plus ça passe Bon, très bien. Mais au-delà de nous faire rigoler pendant une heure de spectacle, que retient-on du personnage de Clarisse ? C'est beaucoup plus qu'une exhibitionniste. Dans ses protestations contre son mari, dans son refus catégorique d'aller se couvrir, elle a un argument qui fait mouche et qui résonne encore aujourd'hui. Elle est chez elle. Clarisse défend pour elle, et pour toutes les femmes, le droit d'avoir un lieu à soi. Non, ça c'est le comble ! Je n'ai plus le droit d'entrer dans ma chambre maintenant ! Ici, je fais évidemment le lien avec Une chambre à soi laissé de Virginia Woolf paru en 1929. C'est un texte majeur du féminisme, dans lequel Virginia Woolf pose un constat simple, mais fort. Pour pouvoir écrire de la littérature, il faut deux choses à une femme. Une pièce où elle ne sera pas dérangée, et un peu d'argent à elle. Deux choses très difficiles à obtenir pour les femmes au début du XXe siècle. Clarisse est créée en 1911, un peu avant une chambre à soi donc, et elle n'a sûrement pas les prétentions intellectuelles d'écrire le moindre roman. Mais elle annonce la couleur. Qu'est-ce qu'on vient l'emmerder sur son territoire ? Où veux-tu que j'aille me déshabiller ? À la cuisine ? À l'office ? Devant les domestiques ? C'est pour le coup que tu crierais comme un putois ? Tout démarre dans la chambre de Clarisse. Sa chambre à elle et à elle uniquement, puisqu'à l'époque, il est fréquent pour la bourgeoisie de faire chambre à part. Or, cette chambre est envahie par le fils et par le mari de Clarisse, alors qu'elle veut se changer peinarde. Il n'y a pas de mauvaise foi, je suis chez moi dans ma chambre, c'est vous qui n'aviez pas besoin d'y être. Je ne vous ai pas demandé d'y venir, n'est-ce pas ? Eh bien, si ma tenue vous gênait, vous n'aviez qu'à vous en aller. C'est la question des frontières qui est posée. Où est le terrain public et privé ? Où sont les lieux de la famille, du couple et de Clarisse ? Est-ce qu'elle a un endroit à elle où elle peut exister sans devoir faire attention à son comportement parce que des hommes l'entourent ?

  • Speaker #0

    Oh, mais ils n'ont pas besoin d'entrer pour te voir, ils n'ont qu'à regarder !

  • Speaker #2

    Au fil de la pièce, l'invasion continue. Des hommes du milieu politique de Ventroux défilent et les mésaventures rocambolesques s'enchaînent.

  • Speaker #0

    C'est pour dire à monsieur qu'il était venu ce matin un monsieur qui a laissé sa carte. Mais qui ça ? Oh non, c'est pas possible. Oh bah celle-là, il est venu, lui. Ah lui, parfaitement. Quoi, lui, qui lui ? Celui-là, enfin ce monsieur.

  • Speaker #2

    Mais qui les a laissés entrer ? C'est là l'erreur du député Ventrou. Il fait rentrer des hommes, des hommes politiques en plus, dans le foyer, qui est l'espace domestique féminin par excellence à l'époque. Alors fatalement ça frictionne. Le territoire masculin extérieur entre en collision avec le territoire féminin intérieur. Qui résiste ? Est-ce que les choses ont tellement changé dans nos maisons depuis l'époque de Fédot ? Je ne trouve pas tellement, ce sont les mêmes questions vulgaires, qu'il s'agisse de me balader toute nue ou de faire pipi la porte ouverte. Si je suis seule, aucun problème. Si mon mari est là, ça se négocierait avec lui, il y en a que ça dérange. Et s'il y a des invités, alors mon salon ne m'appartient plus vraiment. Je ne compte plus non plus les jeunes mères de mon entourage qui n'ont pas une minute de tranquillité parce que leurs enfants en bas âge les suivent jusque dans les toilettes. Virginia Woolf était formelle. Un lieu à soi, ça doit être une pièce qui ferme à clé. Clarisse, tiens bon ! Ce que j'aime chez Clarisse, c'est qu'elle n'agit pas tellement par conviction féministe, mais à nouveau, de par son naturel. Ça la rend très confiante. Et elle vient déballer toute sa féminité avec l'assurance d'un homme. Elle ne doute de rien, comme eux, comme tous les hommes qu'elle rencontre pendant la pièce.

  • Speaker #0

    Tu n'as pas honte ? Te montrer comme ça avec un domestique à tes trousses ?

  • Speaker #2

    Mais non, mais c'est parce que Victor n'avait pas enlevé les tasses ! Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses ! Et c'est moderne. Clarisse me rappelle mon grand-père, qui bronzait une fois, en slip, dans le jardin, et qui allait jusqu'au portail récupérer le courrier dans les mains du facteur, sans prendre le temps d'enfiler un pantalon avant. C'était un homme. Il était chez lui et il était peinard. Clarisse me rappelle encore le proverbe anglais A man's home is his castle Un homme est chez lui comme dans son château À nouveau le proverbe dit un homme, pas une femme. Eh bien Clarisse, elle ne se gêne pas. Puisque le monde extérieur, la société, les mariages mondains, les meetings politiques, c'est le lieu de son mari, chez elle, ce sera vraiment chez elle. C'est pas tant qu'elle veut s'exhiber partout, mais il lui faut bien un lieu où sa nature, une nature très expansive, c'est vrai, puisse s'exprimer sans limite. Clarisse est hyper féminine, pas toujours futée. Et elle illustre donc à merveille une citation et un conseil de Sarah Agui que j'adore. Il suffit d'avancer dans la vie avec la confiance d'un homme blanc et médiocre. Bien qu'on soit dans une comédie avec des scènes franchement potaches, Clarisse est un rôle qui vient toucher à mon intimité. Lire, mais ne te promène donc pas toute nue. C'est la garantie de passer un bon moment, c'est du fédot, ça déménage, il y a des mots joués, des rires. Mais quand même, je me disais, il y a un petit truc en plus dans cette pièce. J'aime le fait qu'on ait accès à l'intimité d'un couple qui s'aime encore. C'est ce que je ressens des ventreaux. Il y a beaucoup de coquuffiages dans Fedeau. Il y a des pièces où les couples vivent chacun dans leur coin. Là, ils s'engueulent, mais il y a quelques moments de tendresse qui redonnent du souffle à la pièce.

  • Speaker #0

    Eh bien, sois gentiment là. Je te supplie de ne plus te promener toujours en chemise comme tu le fais.

  • Speaker #2

    Eh bien oui, dis-moi ça comme ça. Quand ils ne sont que tous les deux, leurs rapports changent. On voit que Clarisse s'intéresse quand même aux affaires politiques de son mari.

  • Speaker #0

    Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme. Ça n'a aucun rapport.

  • Speaker #2

    Et lui ? Il est charmé par la spontanéité qu'il va ensuite lui reprocher en public. Il n'y a rien de plus désarmant que l'assurance du naturel de Clarisse. Autrement dit, elle le tient par l'intime.

  • Speaker #1

    Une saute de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues.

  • Speaker #2

    Et c'est autour de l'intime que je me pose des questions à la fin de la pièce. On ne voit Clarisse que dans son appartement. Comment se comporte-t-elle avec son mari au dehors ? Leurs moments d'intimité sont-ils continuellement interrompus ? Pourquoi Ventroux tient-il à ce que Clarisse soit plus rangée qu'elle ne l'est réellement devant son fils ? A-t-il peur qu'il finisse par ressembler à sa mère ? Et s'ils avaient eu une fille, une fille de 13 ans, qui ferait que Clarisse ne serait plus la seule femme de la maison ? Clarisse montrerait-elle le même exemple ?

  • Speaker #1

    J'allais me baigner toute nue

  • Speaker #2

    En moins d'une heure, on rentre dans l'intimité de ce couple. Mais on ne sait pas tout. Finalement, Fedeau nous a caché bien des choses. Par pudeur, ou peut-être parce que, même en déculottant Clarisse, il restera toujours une face cachée de la lune. Clarisse, c'est une drôle de mère qui se met à nu, tout naturellement, sans phare, sans les convenances bourgeoises. On n'a pas l'habitude de pénétrer l'intimité d'une femme, et encore moins d'une mère. Ce serait pénétrer ses secrets, son espace, ses défauts, voire sa bêtise. Mais c'est aussi ce qui fait tout le plaisir de regarder Mais ne te promène donc pas toute nue On sent bien, en tant que public, qu'on ne devrait pas être là, mais on est curieux. Heureusement, ça ne fait pas de mal, on est au théâtre. Clarisse a raison de défendre sa chambre. Elle ne le fait pas par principe, mais presque inconsciemment, en utilisant sa plus grande force, sa très grande naïveté. Et je terminerai là-dessus, parce que c'est cette puissante naïveté que j'envie à Clarisse et dont j'espère garder un fragment. Naïveté vient du verbe naître Mais la vraie naïveté, ce n'est pas l'ignorance, ni la pure innocence de celui ou celle qui vient de naître. C'est la capacité à laisser naître les choses telles qu'elles sont. Anu Merci d'avoir écouté Roll Titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Roll Titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôles-titres abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner Rôle Titre,

Description

“Mon fils, quoi ? C’est ma chair ! C’est mon sang ! Eh ben !… que la chair de ma chair voie ma chair, il n’y rien d’inconvenant !” Clarisse, Acte I, Scène 2

Vie publique contre vie privée, la dispute éclate entre les époux Ventroux. S’il est indécent de se promener toute nue, il faut bien avoir un temps décent pour s’habiller, non ?

Dans cet épisode léger comme le frôlement d’une nuisette qui glisse et retombe sur le tapis, il faudra se rendre à l’évidence :
- se mettre à nu n’a rien d’obscène, c’est nécessaire
- ceux qui ne veulent pas faire de vagues, sont finalement ceux qui font le plus de bruit
- toute intimité n’est pas impudique
Bonne écoute

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🔎 Références sources :
Théâtre (Libretheatre): Mais n’te promène donc pas toute nue, Georges Feydeau, 1911, créée au Théâtre Femina
Lecture : Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, 1989

🎧 Références sonores citées dans l’épisode (extraits) :
Captation (INA) : Mais n’te promène donc pas toute nue, 1962, réalisation de Roger Iglesis, avec Mony Dalmès dans le rôle de Clarisse
Musique : Le Vol du bourdon, Nikolaï Rimsky-Korsakov, 1900
Musique : Galop dans Il Gattopardo, Nino Rota, 1963
Musique : Dans l’eau de la claire fontaine, Georges Brassens, 1961, reprise par Violaine
©️ Crédits
Rôle Titre est un podcast de Camille Forbes propulsé par Ausha 


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Oh non, non, tu vas pas oser te prendre dans l'appartement en chemise de nuit avec ton chapeau sur la tête ?

  • Speaker #1

    Moi je te prie d'attendre mes flics et j'enlèverai mon chapeau tout à l'heure.

  • Speaker #0

    Oh, ton chapeau, je m'en fiche pas mal de ton chapeau, c'est pas à peine où que j'en ai. Mais enfin,

  • Speaker #2

    qu'est-ce que j'ai encore fait ?

  • Speaker #0

    Mais rien, rien, tu n'as jamais rien fait. Alors je ne vois pas. Tant pis alors, car c'est encore plus grave si tu n'as même plus conscience de la portée de tes actes.

  • Speaker #1

    Et maintenant tu voudras m'expliquer ?

  • Speaker #0

    Alors tu trouves que c'est une tenue pour une mère d'aller changer de chemise devant son fils ?

  • Speaker #1

    Mais quelle importance sera-t-il ? Auguste est un enfant. Oh, si tu crois qu'il sait seulement ce qu'est une femme.

  • Speaker #0

    En tout cas, ce n'est pas à toi de lui apprendre. Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nuit ?

  • Speaker #2

    Clarisse, c'est le rôle d'une femme trop voyante pour être cachée dans l'ombre de son mari. Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast narratif, culturel et immersif qui vous plonge dans l'univers des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Dans chaque épisode, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature. Je vous raconte ce qui la rend singulière ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure, toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure pour rôle titre d'entrée en scène. Dans quelle tenue êtes-vous pour traîner à la maison ? Un vieux sweatshirt ? Votre pyjama ? Et vous arrive-t-il de rester nu ? Quel pied, n'est-ce pas ? Mais ne te promène donc pas toute nue est la pièce qui traite de cette question domestique. C'est une farce conjugale écrite par Georges Feydeau. Elle met en scène, et elle met à mal, un couple. Clarisse et Julien Ventroux. Lui est député et veut faire avancer sa carrière, mais pour cela, il faut défendre sa réputation contre des opposants politiques et des journalistes avides de scandale. Clarisse, elle, revient d'un mariage mondain et étouffant. Elle a bien prévu de se reposer chez elle en petite tenue. À son aise. Ce qui ne va pas du tout, mais alors pas du tout, arranger les affaires de son mari. Pendant que Ventroux frôle la crise cardiaque chaque fois que Clarisse apparaît dénudée, Clarisse reste droite dans ses bottines. C'est la plus naturelle des bourgeoises, la plus ingénue, mais attention, si on lui tourne trop autour, elle pique. Vous écoutez Roll Titre, l'épisode Clarisse, du culot sans culotte. Faire le portrait de Clarisse, ce n'est pas vous parler de son physique, mais de ce qu'elle porte. Elle est définie par ses vêtements. Ou plutôt, par l'absence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Mais enfin, qu'est-ce que c'est que cette manie que tu as de toujours te promener toute nue ?

  • Speaker #2

    Par la transparence de ses vêtements.

  • Speaker #0

    On te voit au travers comme dans du papier calque.

  • Speaker #2

    Par l'inconvenance de ses vêtements.

  • Speaker #0

    Tu trouves que c'est une tenue ?

  • Speaker #2

    Clarisse est une bourgeoise, c'est l'épouse du député Ventroux. Mais à part ça, blonde, brune, rousse, filiforme ou bien en chair, aucune importance pour la saisir. En revanche, il est très important qu'elle ait ses bottines, son chapeau et sa chemise de nuit qu'elle ne va pas tarder à quitter au lever de rideau. Le corps de Clarisse fait parler alors qu'il n'est jamais décrit. Ça ne fait rien, c'est elle-même qui va nous le dévoiler au grand jour. C'est son premier trait de caractère. Faire une entrée culottée. Clarisse donc fait son entrée en se promenant en petite tenue dans son appartement.

  • Speaker #0

    Mais d'abord, quel besoin tu te mets en chemise de nuit à 4h de l'après-midi ?

  • Speaker #2

    N'empêche que quand je suis en train de transpiration, j'ai éprouvé le besoin de me mettre à l'aise. Je crois que c'est permis. Il n'y aura pas beaucoup plus d'explications que ça. Clarisse a chaud, elle se déshabille, c'est comme ça. C'est tout naturel. Clarisse respire le naturel. C'est absolument charmant car c'est aussi une bourgeoise. Et ça amène un très joli paradoxe. Clarisse évolue dans un appartement aménagé avec goût. Il y a des vêtements sophistiqués, il y a des domestiques, des codes de bienséance très précis, des invités à accueillir avec un protocole. Je suis désolée mon cher, mais toutes les femmes de ma condition ont des chemises en linon. Je vois pas pourquoi j'aurais les miennes en madapolam. Tout cela, Clarisse le comprend, le respecte en partie, et en même temps... Elle est simple comme bonjour. On n'est pas au milieu de la nature dans cette pièce. Clarisse n'est pas naturelle comme une nymphe des forêts. Pourtant, elle en a la vivacité. Elle est intuitive. Elle parle même aux insectes qui tournent autour de la cafetière. Oh, mais regarde-moi ça ! Allez les mouches ! Allez les guêpes ! Allez mesdames ! Elle est avenante avec tous, qu'il s'agisse d'un invité bourgeois, du voisin du dessus ou d'un inconnu. Elle est très naturelle aussi dans sa maternité. Dans ses rapports avec son fils, les choses sont simples.

  • Speaker #0

    Je te demande simplement, quand ton fils est dans ta chambre, d'avoir la pudeur de ne pas te déshabiller devant lui.

  • Speaker #2

    Ben mon fils quoi ? C'est ma chair ? C'est mon sang ? Eh ben que la chair de ma chair voit ma chair, y'a rien d'inconvenant ! À part les préjugés.

  • Speaker #0

    Mais c'est tout, les préjugés, c'est tout !

  • Speaker #2

    Pour les esprits mesquins, oui ! Mais Dieu merci, je suis au-dessus de tout ça ! Une bourgeoise naturelle, c'est un peu antinomique. Eh bien, c'est Clarisse. Et se promener toute nue, ça raconte ce naturel. Clarisse en déborde tellement qu'elle ne va pas s'encombrer de couches de tissu. Se mettre toute nue, c'est pour elle, mettre à nu sa nature. Il y a un deuxième point très fort, très présent chez Clarisse, qui la rend bien reconnaissable. Elle n'est pas intelligente. Sa vivacité lui fait faire aussi des bons dans sa pensée. Souvent, elle loupe un bout de la conversation, elle ne saisit pas le second degré de son mari. Et elle étale son ignorance d'une façon assez navrante. Oh, bah dis, il a du culot, cet homme qui a dit de toi ping-pong !

  • Speaker #0

    Comment dis-tu ça ?

  • Speaker #2

    Ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ping-pong ? Ping-pendre, pas ping-pong.

  • Speaker #2

    On dit pas ping-pong ?

  • Speaker #0

    Ah, on dit pas ping-pong.

  • Speaker #2

    J'ai toujours entendu ping-pong.

  • Speaker #0

    Tu as toujours mal entendu.

  • Speaker #2

    C'est toujours délicat pour un auteur de créer un personnage bête, tout en le gardant attachant. Dans d'autres pièces de Fédot, on a des rôles féminins qui font semblant d'être bêtes, mais pour parvenir à leur fin, c'est de la fourberie. Là, non. Clarisse est juste complètement à côté de ses pompes de temps en temps.

  • Speaker #0

    Oh non, c'est à décourager.

  • Speaker #2

    Ça marche bien pour deux raisons. D'abord, son mari n'est pas futé non plus.

  • Speaker #0

    À la suite de mon discours sur la question agricole, on est tout de suite venu m'offrir le portefeuille de la marine. Ministre de la marine. Tout de même, hein. Tu me vois ?

  • Speaker #2

    Toi ? Ministre de la marine ? Tu sais même pas nager. Bref, y en a pas un pour rattraper l'autre. Et ensuite, parce que dans sa bêtise, Clarisse a tout de même sa logique. Le biographe Henri Gidel nous en parle très bien dans son analyse du théâtre de Fédot. Clarisse illustre le type de la femme logique dans son illogisme et qui excelle à imprimer aux discussions conjugales des directions totalement imprévues. Ses raisonnements sophistiqués et propres à détraquer la cervelle de son époux ont toujours des points de départ si vulgaires qu'il s'en dégage par contraste un comique irrésistible et une puissante impression de vérité quotidienne. Une puissante impression de vérité quotidienne. C'est ça. En passant par la bêtise, Clarisse atteint des vérités. Et pour une fois, j'adore que ce soit le rôle féminin qui dise des énormités avec force.

  • Speaker #0

    Mais songe que tu es la femme d'un ministre de demain. Eh bien, quand tu seras ministresse, est-ce que tu te baladeras dans les couloirs du ministère en chemise ? Est-ce que tu te montreras à eux comme ça ?

  • Speaker #2

    Même en voyant, je mettrai ma robe de chambre. Clarisse fait briller l'adage plus c'est gros, plus ça passe Bon, très bien. Mais au-delà de nous faire rigoler pendant une heure de spectacle, que retient-on du personnage de Clarisse ? C'est beaucoup plus qu'une exhibitionniste. Dans ses protestations contre son mari, dans son refus catégorique d'aller se couvrir, elle a un argument qui fait mouche et qui résonne encore aujourd'hui. Elle est chez elle. Clarisse défend pour elle, et pour toutes les femmes, le droit d'avoir un lieu à soi. Non, ça c'est le comble ! Je n'ai plus le droit d'entrer dans ma chambre maintenant ! Ici, je fais évidemment le lien avec Une chambre à soi laissé de Virginia Woolf paru en 1929. C'est un texte majeur du féminisme, dans lequel Virginia Woolf pose un constat simple, mais fort. Pour pouvoir écrire de la littérature, il faut deux choses à une femme. Une pièce où elle ne sera pas dérangée, et un peu d'argent à elle. Deux choses très difficiles à obtenir pour les femmes au début du XXe siècle. Clarisse est créée en 1911, un peu avant une chambre à soi donc, et elle n'a sûrement pas les prétentions intellectuelles d'écrire le moindre roman. Mais elle annonce la couleur. Qu'est-ce qu'on vient l'emmerder sur son territoire ? Où veux-tu que j'aille me déshabiller ? À la cuisine ? À l'office ? Devant les domestiques ? C'est pour le coup que tu crierais comme un putois ? Tout démarre dans la chambre de Clarisse. Sa chambre à elle et à elle uniquement, puisqu'à l'époque, il est fréquent pour la bourgeoisie de faire chambre à part. Or, cette chambre est envahie par le fils et par le mari de Clarisse, alors qu'elle veut se changer peinarde. Il n'y a pas de mauvaise foi, je suis chez moi dans ma chambre, c'est vous qui n'aviez pas besoin d'y être. Je ne vous ai pas demandé d'y venir, n'est-ce pas ? Eh bien, si ma tenue vous gênait, vous n'aviez qu'à vous en aller. C'est la question des frontières qui est posée. Où est le terrain public et privé ? Où sont les lieux de la famille, du couple et de Clarisse ? Est-ce qu'elle a un endroit à elle où elle peut exister sans devoir faire attention à son comportement parce que des hommes l'entourent ?

  • Speaker #0

    Oh, mais ils n'ont pas besoin d'entrer pour te voir, ils n'ont qu'à regarder !

  • Speaker #2

    Au fil de la pièce, l'invasion continue. Des hommes du milieu politique de Ventroux défilent et les mésaventures rocambolesques s'enchaînent.

  • Speaker #0

    C'est pour dire à monsieur qu'il était venu ce matin un monsieur qui a laissé sa carte. Mais qui ça ? Oh non, c'est pas possible. Oh bah celle-là, il est venu, lui. Ah lui, parfaitement. Quoi, lui, qui lui ? Celui-là, enfin ce monsieur.

  • Speaker #2

    Mais qui les a laissés entrer ? C'est là l'erreur du député Ventrou. Il fait rentrer des hommes, des hommes politiques en plus, dans le foyer, qui est l'espace domestique féminin par excellence à l'époque. Alors fatalement ça frictionne. Le territoire masculin extérieur entre en collision avec le territoire féminin intérieur. Qui résiste ? Est-ce que les choses ont tellement changé dans nos maisons depuis l'époque de Fédot ? Je ne trouve pas tellement, ce sont les mêmes questions vulgaires, qu'il s'agisse de me balader toute nue ou de faire pipi la porte ouverte. Si je suis seule, aucun problème. Si mon mari est là, ça se négocierait avec lui, il y en a que ça dérange. Et s'il y a des invités, alors mon salon ne m'appartient plus vraiment. Je ne compte plus non plus les jeunes mères de mon entourage qui n'ont pas une minute de tranquillité parce que leurs enfants en bas âge les suivent jusque dans les toilettes. Virginia Woolf était formelle. Un lieu à soi, ça doit être une pièce qui ferme à clé. Clarisse, tiens bon ! Ce que j'aime chez Clarisse, c'est qu'elle n'agit pas tellement par conviction féministe, mais à nouveau, de par son naturel. Ça la rend très confiante. Et elle vient déballer toute sa féminité avec l'assurance d'un homme. Elle ne doute de rien, comme eux, comme tous les hommes qu'elle rencontre pendant la pièce.

  • Speaker #0

    Tu n'as pas honte ? Te montrer comme ça avec un domestique à tes trousses ?

  • Speaker #2

    Mais non, mais c'est parce que Victor n'avait pas enlevé les tasses ! Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses ! Et c'est moderne. Clarisse me rappelle mon grand-père, qui bronzait une fois, en slip, dans le jardin, et qui allait jusqu'au portail récupérer le courrier dans les mains du facteur, sans prendre le temps d'enfiler un pantalon avant. C'était un homme. Il était chez lui et il était peinard. Clarisse me rappelle encore le proverbe anglais A man's home is his castle Un homme est chez lui comme dans son château À nouveau le proverbe dit un homme, pas une femme. Eh bien Clarisse, elle ne se gêne pas. Puisque le monde extérieur, la société, les mariages mondains, les meetings politiques, c'est le lieu de son mari, chez elle, ce sera vraiment chez elle. C'est pas tant qu'elle veut s'exhiber partout, mais il lui faut bien un lieu où sa nature, une nature très expansive, c'est vrai, puisse s'exprimer sans limite. Clarisse est hyper féminine, pas toujours futée. Et elle illustre donc à merveille une citation et un conseil de Sarah Agui que j'adore. Il suffit d'avancer dans la vie avec la confiance d'un homme blanc et médiocre. Bien qu'on soit dans une comédie avec des scènes franchement potaches, Clarisse est un rôle qui vient toucher à mon intimité. Lire, mais ne te promène donc pas toute nue. C'est la garantie de passer un bon moment, c'est du fédot, ça déménage, il y a des mots joués, des rires. Mais quand même, je me disais, il y a un petit truc en plus dans cette pièce. J'aime le fait qu'on ait accès à l'intimité d'un couple qui s'aime encore. C'est ce que je ressens des ventreaux. Il y a beaucoup de coquuffiages dans Fedeau. Il y a des pièces où les couples vivent chacun dans leur coin. Là, ils s'engueulent, mais il y a quelques moments de tendresse qui redonnent du souffle à la pièce.

  • Speaker #0

    Eh bien, sois gentiment là. Je te supplie de ne plus te promener toujours en chemise comme tu le fais.

  • Speaker #2

    Eh bien oui, dis-moi ça comme ça. Quand ils ne sont que tous les deux, leurs rapports changent. On voit que Clarisse s'intéresse quand même aux affaires politiques de son mari.

  • Speaker #0

    Je te demande pourquoi tu te promènes en chemise, tu me réponds en faisant le procès du parlementarisme. Ça n'a aucun rapport.

  • Speaker #2

    Et lui ? Il est charmé par la spontanéité qu'il va ensuite lui reprocher en public. Il n'y a rien de plus désarmant que l'assurance du naturel de Clarisse. Autrement dit, elle le tient par l'intime.

  • Speaker #1

    Une saute de vent soudaine, jeta mes habits dans les nues.

  • Speaker #2

    Et c'est autour de l'intime que je me pose des questions à la fin de la pièce. On ne voit Clarisse que dans son appartement. Comment se comporte-t-elle avec son mari au dehors ? Leurs moments d'intimité sont-ils continuellement interrompus ? Pourquoi Ventroux tient-il à ce que Clarisse soit plus rangée qu'elle ne l'est réellement devant son fils ? A-t-il peur qu'il finisse par ressembler à sa mère ? Et s'ils avaient eu une fille, une fille de 13 ans, qui ferait que Clarisse ne serait plus la seule femme de la maison ? Clarisse montrerait-elle le même exemple ?

  • Speaker #1

    J'allais me baigner toute nue

  • Speaker #2

    En moins d'une heure, on rentre dans l'intimité de ce couple. Mais on ne sait pas tout. Finalement, Fedeau nous a caché bien des choses. Par pudeur, ou peut-être parce que, même en déculottant Clarisse, il restera toujours une face cachée de la lune. Clarisse, c'est une drôle de mère qui se met à nu, tout naturellement, sans phare, sans les convenances bourgeoises. On n'a pas l'habitude de pénétrer l'intimité d'une femme, et encore moins d'une mère. Ce serait pénétrer ses secrets, son espace, ses défauts, voire sa bêtise. Mais c'est aussi ce qui fait tout le plaisir de regarder Mais ne te promène donc pas toute nue On sent bien, en tant que public, qu'on ne devrait pas être là, mais on est curieux. Heureusement, ça ne fait pas de mal, on est au théâtre. Clarisse a raison de défendre sa chambre. Elle ne le fait pas par principe, mais presque inconsciemment, en utilisant sa plus grande force, sa très grande naïveté. Et je terminerai là-dessus, parce que c'est cette puissante naïveté que j'envie à Clarisse et dont j'espère garder un fragment. Naïveté vient du verbe naître Mais la vraie naïveté, ce n'est pas l'ignorance, ni la pure innocence de celui ou celle qui vient de naître. C'est la capacité à laisser naître les choses telles qu'elles sont. Anu Merci d'avoir écouté Roll Titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Roll Titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Roll Titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose. Rôles-titres abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, faites entendre sa voix, faites résonner Rôle Titre,

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