- Speaker #0
On lève dans 10 minutes ! Non, mais ne beuglez pas comme ça, imbécile ! Nous avons rendez-vous chez le costumier. Nous sommes des phares! Vous savez, la vie d'artiste, on n'a pas toujours son temps. Oh, mais c'est très joli, mon petit, ce que vous faites, très joli. Encore un peu maladroit, mais très joli. Ça joue comme des merdes. Ben, là, il pense, talent. Nous verrons si nous passons le 22.
- Speaker #1
Ma petite muse. Ils vont me faire faire du théâtre. Je serai une muse au cinquième acte. Je dirai des vers.
- Speaker #0
Je ne peux pas croire qu'avec cette gracieuse faculté que vous avez de pleurer sur commande, vous n'ayez jamais songé à vous en servir.
- Speaker #1
Colombe, c'est le rôle d'une comédienne pour les comédiennes qui veulent jouer un rôle. Bienvenue dans Rôles Titres, le podcast narratif, culturel et immersif qui vous plonge dans l'univers des femmes de fiction. Je m'appelle Camille Forbe et je suis comédienne. Dans chaque épisode, je vous emmène à la rencontre d'une héroïne du théâtre ou de la littérature. Je vous raconte ce qui la rend singulière, ce qu'elle touche, ce qu'elle interroge dans notre société et dans notre construction du féminin. À mes yeux, chacune de ces héroïnes est essentielle. Et ce podcast existe pour faire entendre leur voix. Alors j'espère que vous aussi, vous en porterez un fragment d'elle. Message de service. Rôle titre, c'est aussi une newsletter, des réseaux sociaux, des recos et des ressources culturelles autour de ces héroïnes inspirantes. Pour approfondir le podcast, pour le suivre et le soutenir pour qu'il dure, Toutes les infos sont dans les notes de l'épisode. Pensez-y. Mais pour l'instant, il est l'heure, pour rôle titre, d'entrer en scène. Quelle place donnez-vous à l'amour dans votre vie ? Le rôle principal ? Un rôle secondaire ? Voir même, c'est un simple accessoire que vous prenez et reposez ? Colombe vous ouvre les portes de son théâtre, pour vous raconter sa version de l'amour. Colombe c'est une pièce drôle, légère et endiablée de Jean Hanouilh, qui vous fait pénétrer dans les coulisses du théâtre. On y suit les premiers pas de Colombe, jeune fleuriste, propulsée comédienne. Son mari Julien, parti faire son service militaire, n'a pas eu d'autre choix que de la confier à sa mère, l'immense comédienne Madame Alexandra, qui gère la troupe d'une main de fer. Coup du sort pour Julien, qui méprise ce monde de paillettes. Coup de chance pour Colombe, qui découvre des perspectives qu'elle n'envisageait pas durant ses premières années de mariage. Dans cet épisode, le théâtre s'invite dans le théâtre. Au milieu de la poussière de scènes et de maquillage, on esquivera la cruauté. On parlera de l'égoïsme indispensable pour survivre. Et évidemment, du théâtre et des hommes, indispensables pour aimer vivre. Vous écoutez Rôles Titres, l'épisode... Colombe, celle qui ne subit pas. Colombe, on pouvait s'y attendre, est un oiseau rare.
- Speaker #0
Duc, c'est ravissant ! Où avez-vous été déniché, ce nom-là !
- Speaker #1
Elle a beaucoup de qualités. Douce, facile à vivre, elle sait se faire apprécier de tous ceux qui la rencontrent.
- Speaker #0
Charmante ! Elle est charmante !
- Speaker #1
Julien, son mari, n'est pas des plus agréables.
- Speaker #0
Non, non, je ne suis pas sociable.
- Speaker #1
Mariés depuis deux ans, ils font tout de même bon ménage avec un bébé de un an. Seulement, il est temps de sortir du nid. Julien part faire son service militaire. Il n'a pas d'autre solution que de laisser Colombe chez sa mère, la comédienne Madame Alexandra.
- Speaker #0
Je viens lui demander de faire vivre ma femme et mon fils pendant ces trois ans. C'est excellent, trois ans !
- Speaker #1
Problème, il se déteste.
- Speaker #0
Monsieur part pour le service militaire. Moi qui l'en déclame la Marseillaise tous les 14 juillet à l'Elysée, vous pensez bien que si je le leur avais demandé, ils me l'auraient réformé tout de suite. Mais monsieur ne veut pas. Monsieur doit adorer ça comme son père a joué aux petits soldats. Seulement, il laisse sa femme seule à Paris, sans un sou.
- Speaker #1
Colombe n'a pas vraiment d'avis sur la question. Elle ne se plaint jamais. Elle prend la vie comme elle vient. Pour moi, tout est tellement plus simple. Tout le monde est gentil, il n'y a rien de laid, et j'ai seulement envie d'être heureuse. C'est une colombe tout terrain, qui sait s'adapter à son environnement, avec en plus une forme de séduction qui rend le tout facile. Naturellement docile mais aussi intelligente et pratique, elle sait comment prendre les gens, s'adapter donc, et même mieux, se faire adopter par la troupe de comédiens.
- Speaker #0
Madame Coulomb, vous serez toujours jolie comme un cœur. Les fous de travail, c'est du plaisir. Oh, je suis sûre qu'elle a une jolie voix, une muse. Ils vont la faire jouer. Oui,
- Speaker #1
ils ont tous été très gentils.
- Speaker #0
Monsieur Poitier va lui écrire quatre vers pour le cinquième acte et elle aura sept francs par jour. Vous pouvez partir tranquille maintenant.
- Speaker #1
Colombe picore tout ce que la vie a à lui donner de bon. Et la vie lui ouvre les portes du théâtre. C'est aussi simple que ça. Là où Colombe se distingue, c'est qu'elle n'est pas aussi innocente que son prénom le laisse penser. Une colombe n'est pas une oie blanche. Paisible, douce. Oui, mais pas né de la dernière pluie. Cela lui sera très utile dans le monde du théâtre plein d'hypocrisie. Pour débuter en tant que comédienne, Colombe doit travailler.
- Speaker #0
Le travail, avant tout. Oh, c'est très joli, mon petit, ce que vous faites, très joli. Encore un peu maladroit, mais très joli.
- Speaker #1
Mais aussi repousser les assauts de ses nombreux prétendants qui ont deux, voire trois fois son âge.
- Speaker #0
Il faudra passer chez moi un soir. Après une répétition, je vous ferai travailler.
- Speaker #1
Elle comprend très bien leur manigance, mais sait aussi qu'elle ne doit surtout pas les froisser. C'est là qu'elle démontre toute son astuce, pour maintenir la paix sans y perdre des plumes. Elle est le parfait dosage pour plaire et faire plaisir sans se sacrifier. Je ne perçois pas Colombe comme le symbole de l'innocence immaculée, mais plutôt comme dans le proverbe, la bave du crapaud. n'atteint pas la blanche colombe. Elle est suffisamment futée pour s'envoler sur une branche et se tirer d'un mauvais pas. Tout en délicatesse, bien sûr. Julien n'a pas à se soucier des crapauds qui tournent autour de Colombe. Colombe sait très bien se débarrasser de ce qu'elle ne veut pas. Il devrait plutôt se méfier de ce qu'elle veut. Car à force de vivre au théâtre, Colombe se met à rêver. Et quand on rêve, On finit par trouver qu'un des crapauds n'est pas si vilain, et on serait même tenté de l'embrasser pour voir s'il ne se changerait pas en prince charmant.
- Speaker #0
C'est dans les bras de Julien que vous vous figurez être pour jouer si bien ?
- Speaker #1
Oh non, le pauvre ! Il ne me dirait pas ces mots-là. Même s'il y a une histoire d'amour au cœur de l'intrigue, Colombe est avant tout une pièce drôle, pas romantique. Dès la lecture, ou si vous avez l'occasion de regarder la captation indiquée en note de l'épisode, vous découvrirez ces personnages hauts en couleurs. C'est une spécialité d'Anouilh, parler des sujets qui nous tourmentent, l'infidélité, l'argent, la vieillesse, avec beaucoup d'humour pour faire passer ça tout en légèreté. Dans le genre, Colombe est pour moi sa meilleure pièce. J'aime Colombe, l'héroïne, follement, mais j'aime aussi tous les autres personnages. À ce jour, c'est la seule pièce que j'aurais envie de monter telle qu'elle, sans rien changer. Il n'y a pas un rôle faiblard et pas un seul mot à couper. Chaque fois que je relis Colombe, je voudrais les voir prendre vie sous mes yeux. La réussite de la pièce tient dans sa galerie de personnages. Ils sont entiers, typiques, il y en a des clownesques. À nous, il les compare aussi beaucoup à des animaux. Colombe, bien sûr, mais aussi Madame Alexandra qui est un tigre.
- Speaker #0
Un jeune homme de Toulouse, il me dit qu'il vous a vu jouer dans l'impératrice, il dit qu'il veut se tuer pour vous. C'est bien, remercie.
- Speaker #1
Julien, un pélican. Des fournettes, le directeur du théâtre particulièrement pingre. C'est un verre.
- Speaker #0
Mais vous ne pensez qu'à l'argent Desfournettes. Vous me dégoûtez.
- Speaker #1
Et la surette, employée pour les travaux pénibles, un âne.
- Speaker #0
La carrière. Et c'est comme ça toute la journée, depuis dix ans, à Père Lépine. Bien, Madame Chey, qui dit le salarié, et avec nos sourires.
- Speaker #1
Ce n'est pas anodin. Anouilh a beaucoup travaillé sur les fables et en a écrit lui-même une cinquantaine.
- Speaker #0
Je n'ai pas l'air d'un caniche, je l'air d'un phoque!
- Speaker #1
Dans ce zoo humain, chaque rôle a son cri et ses moyens limités. Ils ont tous leur partition à défendre. Et la grande réussite, c'est que il n'y en a pas un qui l'emporte de façon évidente. J'adore quand les opinions du public sont partagées à la sortie d'une pièce de théâtre. Quand chaque personnage a ses vérités, qu'il est difficile de contredire. Certains spectateurs se rangeront du côté de Madame Alexandra, d'autres compatiront avec le pauvre Julien. Mon cœur va à Colombe, et je sais que ça n'a rien de rationnel. Finalement, certains ne verront en Colombe qu'une pièce drôle, et le rôle de Colombe ne les marquera même pas plus que ça. Elle n'est pas le personnage qui a le plus de textes. De mon côté, je fais confiance à l'auteur. Anouilh avait une particularité. Il regroupait ses pièces par genre. Il y avait ainsi les pièces noires, les pièces roses, les pièces grinçantes. Mais il n'a pas rangé Colombe... dans les pièces costumées, ni même dans les pièces farceuses. Il l'a classée dans ses pièces brillantes. Et c'est aussi comme ça que je vois Colombe. Je suis très partiale en ce qui concerne le rôle de Colombe. Je n'arrive pas à faire autrement que l'adorer. J'ai été surprise en en parlant autour de moi de constater le nombre de gens qui ne prennent pas son parti. Une anecdote à ce sujet. Il y a 5 ans environ, j'avais déjà lu au moins 36 fois la pièce, j'ai eu l'occasion de travailler sur un rôle de mon choix. Et je savais que le metteur en scène adorait Anouilh. Je me dis que c'est l'occasion rêvée et je lui parle de Colombe. Il est effectivement très enthousiaste et me dit avec un grand sourire Ah, Colombe, quelle femme cruelle ! Mon visage s'est décomposé, j'ai dû bredouiller un oui oui bien sûr et puis j'ai changé de sujet. Je me souviens que je suis rentrée dardard à la maison et le soir même J'ai relu Colombe d'une traite, en cherchant partout où elle pouvait bien être cruelle. C'était impossible. Et d'ailleurs, j'ai choisi de travailler un autre rôle avec lui. J'étais perturbée par cet échange. C'était pas juste une opinion en l'air. C'était la vie de quelqu'un d'expérimenté qui connaissait effectivement très bien Anouilh. Et moi, je ruminais des arguments de haut vol comme Ah, ça c'est bien une idée d'homme de trouver Colombe est cruelle Moi, je croyais dur comme fer à ma lecture et à mon ressenti du rôle. D'ailleurs, j'y crois toujours. Personne ne m'a fait changer d'avis sur Colombe. Et parfois, il faut croire ses tripes. Mais je dois bien reconnaître que, oui, vous trouverez du monde pour vous dire que Colombe, c'est une fausse ingénue, c'est une manipulatrice, qu'elle cède aux vanités du monde de théâtre et qu'elle est sans scrupules. Je ne comprends pas ces gens. Pour moi, Colombe, c'est quelque chose de beaucoup plus simple. Elle est l'incarnation de la femme qui ne subit pas. Colombe n'est pas cruelle. Elle fait ce dont elle a envie au moment où elle a envie de le faire. Par exemple, elle aime Julien, il la demande en mariage, elle l'épouse. Ça lui plaît d'être comédienne, elle en a l'occasion, elle accepte. Quand des vieux barbons la séduisent, elle y trouve son compte pour aller au restaurant et se faire offrir une nouvelle robe à leurs frais. Mais le reste, non merci. Alors oui, dans l'histoire, il y a des dommages collatéraux et quelques hommes déçus. Mais en quoi ça la concerne ? C'est de leur faute à eux, s'ils ont cru à leurs propres illusions. Colombe ne leur a jamais rien promis. Il y a une exception à ça. C'est la promesse de mariage et la fidélité qui va avec. Ça, Colombe l'a bien promis à Julien deux ans auparavant. Et c'est une promesse qu'elle ne va pas tenir. C'est dire à quel point Colombe m'a charmée, elle m'en ferait presque cautionner l'adultère. Mais même là, je pense que Colombe a agi sans aucune cruauté. Dès le début de la pièce, on voit que Julien et Colombe ne sont pas d'accord sur l'engagement qu'ils ont pris le jour de leur mariage.
- Speaker #0
Tu es ma femme, tu as accepté de me suivre et d'être pauvre il y a deux ans, c'est vrai ça ?
- Speaker #1
J'ai accepté parce que je t'aimais mon chéri, voilà tout.
- Speaker #0
Mais ça ne me suffit pas que tu m'aimes, je vais être loin. Alors jure, comme nous avons juré autrefois.
- Speaker #1
Devant le maire ? Il était trop laid, avec son écharpe sur le ventre et ses pellicules. Ça ne comptait pas. Mais ce n'est pas parce que j'ai juré, idiot chéri, que je suis ta femme. C'est parce que je t'aime.
- Speaker #0
Mais je ne veux pas que tu sois ma femme parce que tu m'aimes. Mais demain, tu peux ne plus m'aimer. Je veux que tu sois ma femme toujours, parce que tu me l'as juré.
- Speaker #1
Un serment tenu par principe. Peu importe qu'on s'aime ou non, puisqu'on a juré. Une garantie. Ça, c'est le point de vue de Julien. Froid, rigide, et le public rit un peu par pitié. Ou alors, se rester fidèle. Parce qu'on s'aime. Ça, c'est le point de vue de Colombe. Mais c'est un serment bien plus fragile. Car Julien a raison. Demain, tu peux ne plus m'aimer. Entre les deux, lequel est le plus moral, le plus beau ? Et qu'est-ce qu'on choisit comme code de conduite de sa vie ? Ce qui est passionnant, c'est que Hanouille oppose deux vertus en opposant Julien et Colombe. D'un côté, Julien est le gardien de la morale, de l'amour absolu. et éternel. Mais il est infiniment triste. Et il trouve que le monde entier est laid. C'est tellement lourd. C'est ça, subir. Non,
- Speaker #0
non, mon chéri. Je n'ai que toi au monde. Tu sais que je vais crever de te quitter. Mais tu sais aussi que tu ne pourrais plus m'aimer si je faisais quelque chose de laid pour te garder.
- Speaker #1
Mais quelle idée, mon chéri. Je pourrais très bien t'aimer quand même, moi. De l'autre côté, Colombe a cette capacité à voir la beauté du monde. La vie est trop belle pour être subie. Alors Colombe s'arrange d'un amour imparfait, qui vacille et où il y a un peu de saleté dans les coins. Et dans sa plus belle tirade à l'acte 4, elle chante la joie de tous ceux qui trouvent leur petit bonheur coupable au jour le jour. Tu veux que je te dise tout ? Depuis que tu es partie, je suis heureuse. Je me réveille, il fait soleil, j'ouvre mes persiennes et il n'y a rien de tragique dans la rue pour la première fois. Le rempailleur de chaises qui est au coin du Crédit Lyonnais me crie Bonjour beauté, je t'adore ! Et je lui réponds Bonjour ! Et c'est pas un drame pour toute la matinée de lui avoir répondu. Et si le facteur sonne et que je l'ouvre en chemise, c'est pas un drame non plus. Je ne suis pas une femme perdue, figure-toi. Nous sommes une fille et un facteur, comptant l'un de l'autre, voilà tout. Lui que je sois en chemise, et moi d'y être, et que ça ait l'air de lui faire plaisir. Et il repart tout guiré parce qu'il se figure qu'il a vu quelque chose et qu'il aime mieux ça qu'un verre de vin, cet homme. Et moi je suis contente d'être belle, enfin, sans honte. Et je fais mon ménage en dansant, en chemise. Et je me lave toute nue dans ma cuisine, la fenêtre ouverte. Et tant pis si le monsieur d'en face prend ses jumelles. C'est un plaisir que le bon Dieu nous donne à tous les deux, voilà tout. C'est pas pour ça que je suis une fille damnée et que je dois pleurer deux heures avec toi et te consoler. Oh, mon pauvre Biqué, tu ne le sauras sans doute jamais, mais... Si tu pouvais te douter comme c'est facile la vie sans toi, comme c'est bon d'être soi, enfin, tel que le bon Dieu vous a fait. En tout cas, même si Colombe ne tiendra pas sa promesse de mariage, je trouve trop fort de la taxer de cruauté. Être cruelle, c'est faire souffrir inutilement, volontairement, et aimer ça. On pourra toujours se demander si elle est sincère quand elle dit qu'elle ne veut pas faire de la peine à Julien. Il y aura autant de Colombe que de réponses à cette question. Normalement, j'aime laisser ces questions d'interprétation ouvertes. Mais dans le cas de Colombe... Je n'arrive pas à faire autrement que de me dire qu'elle n'a aucune intention de nuire, qu'elle ne fait que mettre fin à une situation qui les rendait malheureux tous les deux, même si, oui, ça fait souffrir au passage. Oui, Julien, c'est bien triste. Mais j'ai eu mal, moi aussi. Celle que tu aimais, celle que tu essayais que je sois, tu l'avais imaginée tout seul. C'était pas moi. Je veux quand même moi, avec mes petites qualités et mes défauts. Je veux que ça fasse plaisir à quelqu'un de m'aimer. Toi, je ne t'ai jamais fait plaisir et tu ne comprendras jamais rien aux femmes. Mais c'est tout ce qu'elles savent faire sur la Terre, plaisir. Il ne faut pas leur enlever ça. Maintenant, je vais être en retard, Julien. Nous avons tout dit. Colombe n'est pas cruelle. Et je vais même un cran plus loin. Je nous recommande de suivre son exemple. Elle gagne son argent, elle pense à son avenir.
- Speaker #0
C'est ça qui me fait le plus peur, tu vois. C'est que tu deviennes si vilaine un jour que j'arriverai à ne plus t'aimer. C'est de penser que tu resteras seul au monde, avec ton pauvre petit égoïsme.
- Speaker #1
C'est ça. Elle est égoïste, mais avec le bon degré d'égoïsme.
- Speaker #0
Moi, moi, moi, moi. Tu ne sais plus dire que ce mot-là.
- Speaker #1
Oui, mon biquet, j'ai appris. Tu tombes de haut parce qu'avant, il n'y avait que toi qui le disais. Et bim, Colombe n'a pas un égoïsme cynique, comme d'autres personnages de la pièce. Elle reste capable de se tourner vers les autres et de donner. À son fils, par exemple.
- Speaker #0
Il a tout ce qu'il lui faut, le chérubin. Ah, pour ça, Madame Julia est parfaite.
- Speaker #1
Tout ceci,
- Speaker #0
c'est pour lui.
- Speaker #1
Simplement, elle pense aussi à elle. Elle a l'agressivité saine de ceux qui ne se laissent pas envahir, en particulier par ceux qui nous aiment un peu trop.
- Speaker #0
Parce que je te connais mieux que toi-même, Colombe.
- Speaker #1
On n'écrit pas assez de pièces de théâtre pour rappeler aux femmes d'être égoïstes. Ça en dit sûrement plus long sur moi que sur Colombe, mais je ne me vois pas descendre en dessous de ce seuil d'égoïsme. J'y serais en danger.
- Speaker #0
Mais je l'aime, moi. Bon, tu l'aimes, ça c'est un fait. Mais elle ne t'aime plus, c'est un autre fait. C'est aussi valable que le premier. Alors qu'est-ce que tu veux qu'elle fasse ? Qu'elle fasse semblant de t'aimer parce qu'il se trouve que toi tu l'aimes ? Qu'elle s'embête pendant 70 ans ? Parce qu'à toi, ça te fait du bien ? Je lui ai tout donné !
- Speaker #1
Il y a une forme d'instinct de survie dans l'égoïsme. Ce n'est pas que penser à soi ou à ses petits intérêts, c'est aussi rester à l'écoute de ses désirs et laisser une porte ouverte pour qu'ils aient une chance de se réaliser. Colombe est une pièce merveilleuse parce que l'héroïne qui pense à elle n'en paye pas des conséquences funestes. La fin n'est pas moralisatrice. Colombe a répondu à un désir profond, avec lequel elle est complètement en phase. Il lui reste peut-être un peu de nostalgie, mais pas de regrets. Ça laisse une belle fin. Enfin, je parle de la première fin, parce qu'il y en a une deuxième, que je ne dévoilerai pas. Une fin ouverte, fantasmagorique. Je vous lis seulement la dernière Didascalie. Si vous le pouvez, allez lire Anouilh, parce que c'est Didascalie... contiennent parfois une histoire à elles seules. Et ils se sauvent en courant, gaiement, à travers le théâtre sombre, vers leur destin. Le rideau tombe. Voilà. Là où je pense que Colombe parlera au plus grand nombre dans nos vies, c'est dans cette histoire d'équilibre entre amour de l'autre et amour de soi. Après, il y a un autre thème non négligeable de ce personnage, c'est Colombe, la comédienne.
- Speaker #0
Vous savez, la vie d'artiste, on n'a pas toujours son temps.
- Speaker #1
L'univers est accrocheur. Les répétitions, les machinistes.
- Speaker #0
Nous sommes des phares!
- Speaker #1
Les costumes à ajuster, la fiction qui se mélange à la réalité.
- Speaker #0
Je ne peux pas croire qu'avec cette gracieuse faculté que vous avez de pleurer sur commande, vous n'ayez jamais songé à vous en servir.
- Speaker #1
Hanoï nous offre un de ses procédés favoris. Le théâtre dans le théâtre. Évidemment, il maîtrise son sujet. Pour n'importe quel spectateur, ça reste fascinant et très drôle de découvrir l'envers du décor. Derrière les paillettes, il y a bien souvent les désaccords de mise en scène.
- Speaker #0
Nous verrons si nous passons le 22 !
- Speaker #1
Les jalousies, les galères de financement.
- Speaker #0
Ça voudrait augmenter de cent sous! Oh merde, oui !
- Speaker #1
Mais surtout, il y a la question de savoir démêler le vrai du faux. Dans Colombe, on se croirait parfois dans Inception. Dans quelle couche de réalité est-on ? On a des personnages qui jouent à faire semblant, puis qui redeviennent eux-mêmes. Mais sur la scène d'où nous sommes en train de les regarder. Mais alors, c'est du faux. Et qu'est-ce qui relève de l'histoire ? Et qu'est-ce qui est la vraie vie ?
- Speaker #0
Tu joues en ce moment.
- Speaker #1
Colombe fait d'une pierre deux coups. C'est une superbe occasion de découvrir les coulisses et le monde féroce du théâtre, mais ce n'est pas son véritable sujet. Elle nous montre la joie, le travail, les mensonges, l'argent, les disputes et la folie de la vie. Et puis, et cela me touche plus personnellement, il y a quelques réflexions de Colombe disséminées dans la pièce sur sa sensibilité artistique. Et ça montre que Colombe n'est pas venu au théâtre uniquement pour ses paillettes ou par désir de célébrité. Petit à petit, le théâtre lui offre bien plus que ça. Il nourrit son imagination. Hum, comme c'est beau ce que vous racontez, Madame Chéri ! On dirait qu'on lit des histoires ! Elle devient capable de raconter ses propres histoires en répétition.
- Speaker #0
Et vous pensez que vous êtes toujours Colombe ?
- Speaker #1
Oui. mais une autre Colombe qui aime le conte, comme c'est écrit.
- Speaker #0
Et quand nous dirons la scène des adieux ? Vous serez très malheureuse ?
- Speaker #1
Pas vraiment, mais j'aurais tout de même envie de pleurer de vraies larmes. Colombe est évidemment déterminante dans mon quotidien de comédienne. C'est ma pièce de recalibrage. Chaque fois que j'ai un coup de mot, je la relis pour me rappeler pourquoi je suis là. Si tu savais comme ils sont amusants, ils parlent tous en même temps, ils crient, ils se disputent, ils s'embrassent, on doit jamais s'ennuyer avec eux. Ils vont me faire faire du théâtre, je serai une muse au cinquième acte, je dirai des vers, j'aurai une robe, et c'est pas pour dans longtemps, c'est pour tout de suite. C'est moi, c'est moi, tu crois, Julien ? Si Colombe, et ses collègues, et ses amants, étaient parmi nous aujourd'hui, Il se poserait exactement les mêmes questions que dans la pièce. Comment aimer l'autre ? Comment aimerait-on être aimé ? Et quelle juste place faut-il donner à l'amour dans notre vie ? Parce que tout de même, on n'a pas que ça à faire entre les problèmes d'argent et de santé.
- Speaker #0
Oh, mais vous nous embêtez avec votre amour ! Vous voyez bien que nous parlons de choses sérieuses, enfin !
- Speaker #1
Il y aurait les mêmes loupés, les mêmes incompréhensions cocasses, et les mêmes faux espoirs. Preuve qu'il faut jouer et rejouer encore ces scènes dans la vie. Les scènes où Julien rêve l'amour et le construit à son image.
- Speaker #0
Mais j'ai refait un monde, à moi, où tout est plus difficile et plus dur. Mais c'est toi qui es ce monde, Colombe.
- Speaker #1
Les scènes où Colombe répond à cette question si difficile. Comment veux-tu être aimé ? Tu ne m'aimes que pour mes qualités, tu crois que c'est flatteur ? Tout le monde peut m'aimer pour mes qualités. Il faut que tu m'aimes aussi pour mes défauts si tu m'aimes. Les scènes où tout le monde se dispute parce que personne ne laisse l'autre l'aimer à sa manière. Une astuce tout de même, pour augmenter nos chances de succès en amour. En observant Colombe... La blanche colombe, elle semble se distinguer des autres personnages sur un point. Si elle brille d'une lumière si blanche par rapport aux autres, ce n'est pas par innocence, mais parce qu'elle est libre du poids du passé et des regrets. En effet, chaque personnage, sauf colombe, semble trimballer un bagage bien encombrant. Madame Alexandra et son refus de vieillir, Armand, le frère, qui se réfugie dans la facilité, son éternelle excuse. Julien, écorché vif. par le rejet depuis l'enfance, et les employés tous asservis par nécessité. Or, on ne sait rien du passé et de l'enfance de Colombe. À nous, il nous a sûrement fait ce cadeau pour nous permettre de nous identifier. Elle arrive sans bagage. Et c'est la meilleure disposition qui soit pour se rendre complètement disponible pour le théâtre et peut-être pour la vie. Colombe, c'est la part de vous qui, sans bagage, Le jour où tu viendras, le jour où tu viendras. Il y a autant de conceptions de l'amour que d'êtres humains. Parmi toutes ces conceptions possibles et imaginables, possibles dans la vie et imaginables dans nos rêves, l'exploit est de parvenir à en combiner deux pour s'aimer en couple. Pour cela, il faut bien accorder ses violons, sinon ça sonne faux, comme au théâtre. En nous offrant une deuxième fin, à nous, il laisse voir comment on pourrait rejouer la scène. Ce qu'il y a de sublime au théâtre, c'est qu'on peut chaque soir rejouer son destin et peut-être réussir la naissance d'un amour parfaitement accordé. Ce qu'il y a de sublime dans la vie, c'est qu'on ne peut pas répéter. Il n'y a qu'une seule représentation. Colombe, c'est la pièce qui me fait aimer la vie et le théâtre pour ces deux raisons. Colombe est une pièce où on rit de l'amour et où on rêve de la vie, ou l'inverse. C'est une comédie brillante et acidulée, dans le monde des paillettes et des fantômes du théâtre. Dans ce monde en carton pâte, plus vrai que nature, Colombe est un drôle d'animal. Tantôt une comédienne qui dit comme elle ressent, tantôt une femme qui vit comme elle aime. On l'a vu, c'est une femme qui ne subit pas. À tous les coups, elle gagne, puisqu'elle fait ce qu'elle aime et ce qu'elle trouve beau. Je conclurai par une citation de Jules Renard, un autre drôle d'animal, avec lequel Colombes serait bien d'accord. Nous voulons de la vie au théâtre et du théâtre dans la vie. Merci d'avoir écouté Rôle titre. Si vous avez apprécié l'épisode, voici trois choses que vous pouvez faire. Vous abonner à Rôle titre sur votre plateforme de podcast préférée et laisser 5 étoiles s'il s'agit d'Apple Podcast ou de Spotify. Rejoindre la newsletter de Rôle titre ou son compte Instagram pour découvrir encore plus de contenu inspirant. Me soutenir financièrement par une donation sur la plateforme Ko-fi. Je vous explique tout en détail dans les notes de l'épisode. Une dernière chose.
- Speaker #0
Rôles-titres abritent les femmes de fiction qui appartiennent à mon panthéon intérieur. Mais leur voix ne peut se propager que grâce à vous. Parler du podcast autour de vous, partager ses épisodes sur les réseaux sociaux, c'est faire entendre la voix de ces héroïnes à des auditeurs toujours plus nombreux. Je vous dis à très vite pour lever le rideau sur une prochaine héroïne. Et si vous avez accueilli en vous un fragment de celle d'aujourd'hui, Faites entendre sa voix, faites résonner Role titre.