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De l'art à l'économie, un parcours de recherche sur l'incertitude

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23min |13/06/2024
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De l'art à l'économie, un parcours de recherche sur l'incertitude

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Description

Les recherches du sociologue Olivier Pilmis l'ont mené à s'intéresser au monde de l'art et des comédiens sous l'angle de l'incertitude du marché du travail. Comment construire une carrière longue à partir d'engagements courts et atténuer l'incertitude d'une activité professionnelle ?
La crise des subprimes aux Etats-Unis et l'observation ethnographique d'une rédaction amènent Olivier Pilmis à son objet de recherche actuel : la prévision économique. Comment produit-on un discours sur le futur qui soit légitime ? Comment évaluer ce qui n’est pas mesurable, prévisible ? Et à quoi servent ces prévisions ?
Mobilisant des approches quantitatives et qualitatives, Olivier Pilmis revient notamment sur la récente dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s et sur la pandémie de 2020.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage Société Radio-Canada

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue à tous et à toutes, vous écoutez le podcast Objet trouvé du Centre de Sociologie des Organisations, le CSO. Nous vous proposons des récits de nos chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales autour de leurs relations à leurs objets de recherche. Aujourd'hui, nous recevons Olivier Pilmis. Installez-vous confortablement, nous sommes ensemble pour une vingtaine de minutes. Bonjour Olivier.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous êtes chargé de recherche au CNRS et sociologue au CSO. Vous vous intéressez au monde de l'art et aux comédiens et vous avez fait d'ailleurs une thèse qui s'intitule l'organisation de marchés incertains, une sociologie des mondes de la pige et de l'art dramatique sous la direction de Pierre-Michel Menger. Quelle est votre analyse de ce marché ?

  • Speaker #0

    Pour prendre celui des comédiens, c'est un marché qui est extrêmement intéressant du point de vue de l'incertitude. Parce qu'en fait on a un marché sur lequel les engagements sont extrêmement courts. Le contrat le plus fréquent pour un comédien ou une comédienne, c'est un contrat d'une journée. Donc c'est un contrat qui est vraiment extrêmement court. Et donc en fait ça pose la question de comment construire une carrière longue. de plusieurs années, d'une carrière peut-être, à partir d'engagements qui sont aussi courts. Donc c'était l'élément qui m'intéressait le plus, c'était par exemple comment on gère le fait qu'on a des engagements d'une journée par exemple et donc une incertitude extrêmement forte sur le niveau d'activité, sur le niveau de revenus et des besoins qui quant à eux sont extrêmement stables sous la forme d'un loyer par exemple, les besoins d'un enfant si on en a un, etc. Et par ailleurs c'est un marché qui est d'autant plus intéressant que du fait même de cette incertitude, de la tendance régulière de ces ...d'emploi et de chômage dans ce secteur, on a un dispositif particulier, qui est un dispositif d'indemnisation du chômage, qu'on appelle le régime de l'intermittence du spectacle, qu'il a précisément pour composer avec cette alternance d'emploi et de chômage. Et en fait, j'avais commencé ma thèse là-dessus, sur le monde des comédiens, et en fait, précisément pour éviter que ça soit surdéterminé par l'existence particulière de ce régime d'indemnisation du chômage, de l'intermittence, dont on sait... qui est extrêmement structurant dans ces secteurs-là, j'ai décidé du coup de le comparer avec un autre secteur, un autre marché, qui présente des conditions un peu similaires, et qui est en fait le cas des journalistes pigistes. Parce qu'on a quelque chose qui est un peu similaire, c'est qu'on a des engagements qui sont plutôt brefs. On fait un sujet pour une radio ou une télévision, on fait un article pour un magazine. Mais par contre, on a des conditions d'emploi qui sont à peu près similaires, mais on n'a pas ce système d'analyse du chômage. Les journalistes pigistes sont salariés théoriquement en CDI. Ça n'a pas l'air surprenant, mais c'est le cas. C'est le cas. contractuellement, légalement, pour le dire comme ça. Et donc ça me donnait comme une espèce de petit modèle, où j'avais deux marchés extrêmement similaires du point de vue des conditions d'emploi, mais avec, dans un cas, un régime d'annulation spécifique, et pas dans l'autre. Et donc ça me permettait un peu d'essayer de regarder quel était l'effet du coup de ce système, de ce régime sur un secteur d'emploi particulier. Et en fait j'étais arrivé à distinguer deux régimes d'emploi sur ce secteur-là. Un premier qui est un régime d'emploi extrêmement court, ce qu'on a en tête quand on pense à l'intermittence du spectacle. C'est-à-dire qu'on va faire un contrat avec une compagnie, un contrat avec une boîte de production, etc. Et en fait c'est une activité qui est très éparpillée, entre de multiples employeurs. Tu vas faire une pub... à un moment donné, occasionnellement, mais ça sera tout. Et un second régime d'emploi, que j'avais appelé un régime autour de noyaux durs d'employeurs, avec des employeurs beaucoup moins nombreux, mais avec lesquels les relations sont extrêmement longues. Pour le coup, c'est par exemple un comédien qui va faire tous les spectacles d'une même compagnie de théâtre sur plusieurs années, toutes les saisons. C'est un mécanisme de comédien fétiche, et c'est un moyen d'apprécier le passage d'un régime à l'autre, pour le prendre un peu... Un peu comme ça, de manière extrêmement simple, c'est de s'intéresser au cas du téléphone. Qui téléphone à qui ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire ?

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un pigiste qui téléphone à une rédaction pour leur proposer un sujet, en leur disant j'ai une idée de sujet extrêmement intéressante qui irait très bien pour votre journal, et donc je vous le propose ou bien est-ce que c'est une rédaction en chef qui appelle un pigiste ? pour lui demander, tiens, j'ai pensé à toi pour tel sujet, parce que je sais que tu es spécialiste de ça, etc. Qui téléphone à qui, c'est un peu une manière d'illustrer ce passage d'un régime à l'autre. C'est comme ça que j'ai analysé ces marchés du travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors ensuite, ce monde de l'art vous amène à votre objet de recherche actuel, qui est la prévision économique. On peut dire en fait la gestion de l'incertitude, ce dont vous venez de parler. Alors expliquez-nous votre approche sociologique qui vous amène à observer des données assez importantes, des données quantitatives issues de plusieurs pays.

  • Speaker #0

    D'une part, ça peut paraître surprenant d'aboutir à la prévision économique en venant des mondes de l'art. J'ai juste un tout petit excursus très rapide sur la manière dont c'est rentré. La genèse de cet objet est assez intéressante. Il y a un peu deux éléments qui m'amènent à la prévision économique. Il y a d'abord la question de la prévision qui apparaît à un moment donné dans ma vie, à partir de la question de l'incertitude. J'étais parti de comment des comédiens et des pigistes gèrent l'incertitude concernant leur activité. Et en fait, dans une autre enquête, ensuite, dans des rédactions de presse, je suis arrivé à la question dont une rédaction de presse gère l'incertitude d'un événement. Pour prendre un exemple très simple, moi j'ai fait des observations en rédaction et je m'attendais à un monde complètement frénétique, avec des gens qui courent dans tous les sens, des coups de fil, etc. J'aime bien le cinéma et par exemple je me représentais les hommes du président, un peu en permanence. Et en fait, en arrivant, en faisant des observations en rédaction, je perçois un monde qui est extrêmement calme. On est plus proche de la bibliothèque universitaire, à certains égards, que du film policier.

  • Speaker #1

    C'est vrai qu'on ne s'y attend pas.

  • Speaker #0

    Et c'est précisément ce qui m'a surpris. Ce type d'image d'épinal qu'on peut avoir, c'est aussi ça des prénotions. Ce que Durkheim appelle des prénotions, c'est des représentations un peu toutes faites. Et quand on constate que ces prénotions sont d'une certaine manière démenties, ça devient un levier assez intéressant pour la recherche. Et donc je me suis demandé comment ça se fait que ce soit aussi calme. Et je me souviens encore un jour lors de cette observation. On était au bouclage, on était très très peu nombreux à ce moment-là, et il y avait l'un des directeurs de la rédaction, enfin des rédacteurs en chef adjoint de la rédaction qui était là, et je lui demande, on était littéralement en train d'attendre, parce qu'en fait il y a le bouclage, c'est qu'il y a qu'à demander de vous envoyer le journal. Et je me disais, mais qu'est-ce qui se passe si c'est le 11 septembre, là maintenant, tout de suite ? Et lui me répond qu'effectivement il serait un peu embêté si c'était là maintenant tout de suite. Il me décrit la procédure qu'il ferait à ce moment-là pour rappeler tout le monde, etc. Et là il ajoute, vous savez c'est quand même rare qu'un événement surgisse comme ça sans prévenir. et se surgissent comme ça sans prévenir ça m'a vraiment intrigué et en fait je me suis rendu compte qu'ils avaient des mécanismes de prévision assez forts dans la rédaction que par exemple par exemple c'est pas qu'il va gagner l'élection présidentielle américaine mais on sait que ça sera vraisemblablement ou bien Trump ou bien Biden et donc en fait on peut faire le portrait qui généralement sera publié le lendemain sur deux pages de l'avis du président on peut le préparer à l'avance on sait qu'il y a des agendas qui traînent, on sait que c'est un peu plus l'ouverture du salon de l'auto à un certain moment de l'année. Donc il va falloir envoyer quelqu'un là-bas. Mais si on y va, c'est pour parler de quoi ? Est-ce qu'on y va pour parler, par exemple, de la voiture électrique ? Parce que c'est l'un des sujets du moment. Donc il y a toute une série de démons de préparation.

  • Speaker #1

    On peut anticiper.

  • Speaker #0

    Exactement. Et la deuxième manière dont la prévision arrive parmi les objets de recherche, c'est en fait le contexte post-2008, la crise de 2008, la crise des subprimes, qui en fait évolue à un moment donné pour devenir la crise des dettes souveraines. Et je me souviens, à un moment donné, c'était un été, et que le standard de la course dégrade la note américaine. Et en fait, qu'est-ce que ça dit de la capacité future de l'État américain à rebrosser ses dettes ? Qu'est-ce que ça dit des taux d'intérêt que vont rencontrer les Américains à terme ? Et je me rends compte que pendant ces périodes de crise, les discours sur le futur sont absolument partout. Et donc je me rends compte que c'est un moyen d'aborder l'incertitude qui est différent de ce que j'ai fait jusque-là. qui me permet d'aborder des gens qui gèrent l'incertitude non pas pour eux-mêmes, comme le font les rédactions de presse ou les comédiens, mais pour d'autres, parce que les prévisionnistes ne gèrent pas l'incertitude pour eux, mais pour d'autres. et par ailleurs j'avais été formé en économie et c'était un sujet qui m'intéressait et par ailleurs un sujet important de l'époque et donc pour revenir à votre question désolé ça a été extrêmement long mais comment gérer ces données là en fait de mon côté je me suis toujours attaché dans tout mon parcours de chercheur à manipuler autant que possible des données différentes c'est à dire des données ce qu'on appelle des données quantitatives et des données qualitatives je dis ce qu'on appelle ce qui à mon sens c'est plutôt des approches qualitatives et des approches quantitatives on peut faire ce qu'on appelle du quanti quantique avec des sources textuelles, avec des archives, ça typiquement c'est ce qu'on appelle les méthodes d'analyse textuelle qui sont extrêmement nombreuses. On peut également faire du qualitatif avec une base de données en s'interrogeant sur les conventions qui sont derrière, etc. Quelque chose par exemple à l'un des rosiers. Je dirais plutôt des approches quantité-vie, approche qualitative. De mon côté, j'ai toujours essayé de mobiliser ça ensemble, c'est en faisant des entretiens. En utilisant des grosses bases de données, par exemple dans le cas de la prévision, je gère une base de données qui ressemble, si je ne me trompe pas, au dernier compte, environ 40 000 prévisions, en faisant des observations ethnographiques, en traitant les archives, c'est autant de points de vue différents sur le même objet. Donc pour moi, la question de gérer ces données économiques, c'est juste une nécessité pour la recherche. Oui,

  • Speaker #1

    c'est ce croisement d'informations qui vous... permet d'affiner ou d'analyser les données ?

  • Speaker #0

    Exactement. D'un côté, on a, avec les approches quantitatives, quelque chose qui est effectivement une puissance d'objectivation, qui est vraiment, vu de ma fenêtre, inatteignable pour les approches qualitatives. Mais avec les approches qualitatives, on a quelque chose qui rend beaucoup mieux compte des mécanismes, qui se déroulent parfois un peu à bas bruit, et dont ces données quantitatives, elles ne peuvent que rendre le résultat final, pour le dire comme ça.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, finalement, je vais vous poser la question qu'on a tous en tête. Comment évaluer ce qui n'est pas pas mesurable, ce qui n'est pas prévisible, puisqu'en fait, on parle quand même de prévision. Donc, comment fait-on ? Et puis, autre question, mais à quoi servent ces prévisions, concrètement ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, ce sont les deux questions auxquelles on pense assez spontanément quand on est sur ce secteur-là. Alors pour aborder la première, comment on mesure ce qui n'est pas mesurable au fond ? Alors il n'y a pas que les privilégionnistes qui le font. Dans le cas des privilégionnistes, c'est flagrant qu'ils mesurent ce qui n'est pas mesurable parce qu'ils travaillent sur le futur. Mais en fait, c'est le cas d'un peu tous les économistes. Au sens où les économistes manipulent des conseils qui sont très abstraits. Le PIB ça n'existe pas vraiment, c'est une convention comptable. Le PIB potentiel, qui est donc le PIB que pourrait atteindre une économie dans une situation particulière, qui serait globalement une situation de plein emploi, c'est un concept abstrait dans des conditions abstraites. Donc mesurer ce qui n'est pas mesurable, c'est le pain quotidien de l'économiste. Mais ceci étant, ça pose quand même des vrais enjeux à un moment donné. Et donc, comment on fait première méthode ? Il y a en fait ces conventions qui existent et qu'on utilise. Donc le PIB c'est ça, l'inflation c'est ça. L'inflation ça n'existe pas dans la nature, mais voilà, il y a une mesure sur laquelle on est d'accord. On peut avoir des débats sur la manière de la mesurer, mais par contre sur la définition de ce qu'est le PIB ou de ce qu'est l'inflation, on est d'accord. Mais il y a effectivement parfois des effets pour mesurer des choses pas mesurables qui ont été extrêmement frappantes pendant le confinement, durant la pandémie en 2020. Parce qu'en fait, c'est un moment très particulier de l'histoire économique récente. Pas tant la pandémie en tant que telle que le confinement. En fait, le confinement, les restaurants sont fermés, les magasins sont fermés. L'activité économique est réduite. Les théâtres sont fermés, tout est fermé. Et en fait ça a créé une situation économique assez particulière, puisqu'en fait c'est un moment où les économistes ne comprennent littéralement pas, et donc les prévisionnistes, ne comprennent littéralement pas ce qui se passe, parce qu'en fait c'est un moment où les lois ordinaires de l'économie ne s'appliquent plus. Et très concrètement, quand les lois de l'économie ne s'appliquent plus, c'est qu'en fait pour l'une des lois de l'économie, c'est que la consommation correspond au niveau de revenu, qu'elle suit le niveau de revenu. Quand les revenus augmentent, on va consommer plus, quand les revenus baissent, on va consommer moins. Et en fait, durant le confinement, on se retrouve dans une situation où la consommation s'effondre, alors que les gens n'ont pas supplié de perte de revenus, pour une raison extrêmement simple, qui est qu'en fait, c'est fermé. On aurait bien aimé consommer davantage, mais il n'y a pas la possibilité de le faire. Et donc, comment on fait pour mesurer cette espèce de perte de la consommation liée au confinement ? Sachant que par ailleurs, comme précisément c'est fermé, les données économiques ordinaires ne remontent pas. Et que par ailleurs, le confinement c'est une situation qui est extrêmement inhabituelle, et donc qui suppose d'avoir des données plus fréquentes pour la mesurer en temps réel que d'habitude. Les données économiques, généralement, c'est publié par l'INSEE par exemple tous les trimestres. Et là en fait, il faudrait plutôt des données hebdomadaires. Donc il faut les trouver et trouver un moyen aussi de les traiter.

  • Speaker #1

    Toutes ces conditions étaient totalement inédites.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est un moment, pour le sociologue que je suis, assez extraordinaire. Parce que ça a été un moment de très grande innovation de la part des prisonniers pour trouver de nouvelles mesures en utilisant, par exemple, certains ont utilisé les indicateurs de bruit. pour avoir une idée de l'activité dans la ville. Les gens ne prennent plus leur voiture, ça veut dire qu'ils ne vont plus au travail. Et on le sait parce qu'en fait, bêtement, il y a moins de bris dans les rues de Paris, par exemple. On va regarder les données de cartes bancaires. C'est pratique de ce point de vue-là, parce que pendant le confinement, l'argent liquide a disparu, n'est jamais réellement revenu, j'ai l'impression. Et en fait, du coup, toutes les transactions se faisaient par cartes bancaires, qui du coup permettait de voir, tiens, quels secteurs de la consommation sont plus ou moins touchés, quels autres sont plutôt moins touchés. d'autres indicateurs encore, j'en passe et des meilleurs, et en fait il y a eu un moment pour essayer de mesurer la perte d'activité au bout du compte qui était impliquée par le confinement. Qu'est-ce que ça représente comme point de PIB perdu qu'un jour de confinement ? Donc quelque chose qui n'est effectivement pas mesurable puisqu'en fait c'est un raisonnement qui est un peu contrefactuel, qui est un raisonnement assez classique en économie aussi, qui est par rapport à la situation normale, on est X points de PIB en dessous. Et pour répondre à votre deuxième question, je me suis rendu compte qu'il y avait une deuxième question, effectivement, qui était à quoi servent ces prévisions ? Et en fait, pour le dire très très rapidement, ça m'a armé les décisions. Parce qu'il y a par exemple, tous les ans, le gouvernement, à l'automne, sort un document qui s'appelle le projet de loi de finances, qui décrit les recettes et les dépenses de l'année à venir. Et en fait, ces recettes et ces dépenses de l'année à venir, elles sont assises sur un certain nombre d'hypothèses. Il y a des hypothèses qui concernent le futur de l'économie. Quelle va être la consommation des ménages ? quel va être le niveau de l'emploi l'année prochaine, quelle va être la situation économique des grands pays libitrophes avec lesquels nous avons des relations commerciales, etc. Et donc, toutes ces hypothèses-là, en fait, elles sont importantes parce qu'elles définissent pour partie les recettes et les dépenses qui vont être faites. Par exemple, la consommation des ménages, c'est de la TVA. Et donc, c'est une recette fiscale. qui peut servir après à financer tel ou tel programme de politique sociale, par exemple, qu'on voudrait financer. Et donc pour cette raison-là, en fait, la prévision est utile pour les enjeux de décision. Le problème, effectivement, c'est que vous ne savez pas de quoi demain sera fait, au sens propre, qu'il faut quand même prendre une décision aujourd'hui, par exemple, quand on a un gouvernement, mais également un ménage, également une entreprise, etc. Et qu'en fait, vous ne savez pas de quoi demain sera fait, et qu'en fait, il faut essayer d'avoir une vision... crédible, pour le dire comme ça, ou en tout cas suffisamment convaincante, de à quoi demain va peut-être bien ressembler pour pouvoir décider de l'allocation de ressources diverses et variées.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez en tête une prévision qui a eu un impact fort justement sur les économies, si on parle à nouveau des états ?

  • Speaker #0

    Ah ben là, il y en a assez régulièrement. Non mais très sincèrement, il y en a assez régulièrement parce que, pour le dire comme ça, ce qui est intéressant c'est que souvent les prévisions qui ont un impact fort sont les prévisions ratées. des prisons ratées, c'est-à-dire que il ne s'est pas passé ce qui était prévu.

  • Speaker #1

    Vous avez des cas en tête ?

  • Speaker #0

    Là, il y a un cas tout à fait récent qui date d'il y a quelques jours ou quelques semaines, fin mai, si je ne me trompe pas. Donc nous enregistrons début juin. Et en fait, il y a eu une décision de Standard Poor's de dégrader la note française exactement ce que j'évoquais précédemment à propos des Etats-Unis, quelques années plus tard. Et en fait, Standard Poor's a dégradé la note française pour la passer de AA+, à AA. Ce qui désigne une mesure de la capacité de l'État prêté à l'État français de rembourser ses emprunts souverains. Et donc, et qui est réputé, j'ai bien réputé, avoir un effet sur les taux d'intérêt auxquels la France va emprunter par la suite. Donc une décision qui impacte le futur assez fortement. Donc déjà, c'est une décision qui a à voir avec le futur. Aura-t-elle un impact sur les taux d'intérêt ? Je ne sais pas. Elle est réputée en avoir un, parfois ça n'est pas toujours observé. Mais ce qui est plus intéressant en fait, c'est que cette décision de Scandale Imposte de dégrader la note française. En fait, elle est venue après une autre annonce du gouvernement français concernant le déficit. C'est qu'en fait, le déficit pour 2023 était prévu à 4,9 milliards d'euros. Et en fait, il a été à 4,9%. Et en fait, il s'est avéré être à 5,5%. Donc, il y a un écart de 0,6%. Quand on sait le montant du PIB, c'est une somme qui n'est pas tout à fait anodine. Et donc, en gros, une erreur de prévision concernant le montant du déficit, qui était en fait liée également à une erreur de prévision concernant les recettes fiscales. On en revient là. Et donc, en fait, une erreur de prévision concernant les recettes fiscales à hauteur de 20 milliards. et également d'une prévision révisée à la baisse de croissance pour 2024. Donc pour résumer le schéma, on va être d'un côté des recettes fiscales sous-évaluées, moins que prévues, un déficit plus élevé que prévu, et une croissance pour l'année à venir révisée à la baisse. Donc ces trois éléments-là sont la justification pour Standard Poor's de dégrader la note française. Donc on se retrouve dans un cas assez classique finalement d'erreur de prévision. Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est que quand le gouvernement français annonce Ce déficit plus élevé que prévu, il l'associe instantanément à une décision de réduction de certaines dépenses. Donc on voit à nouveau le lien entre prévision et décision. Et comment dès lors, l'erreur de prévision va entraîner une nouvelle décision qui consiste là très concrètement dans une coupe budgétaire. Mais ce qui est encore plus intéressant à certains égards, c'est qu'une autre justification pas spontanée de sa décision. à la trajectoire de réduction du déficit de la France jusqu'à 2027, la fin du quinquennat. Le gouvernement français dit que la trajectoire du déficit en 2027 nous amène en dessous des 3% prévus par les traités européens. Et son annuaire de pause dit que nous ne pensons pas que cette trajectoire sera suivie et que les déficits seront en dessous de 3%. Donc là, ce sont deux discours sur le futur qui s'affrontent. en 2024 concernant 2027 au fond et la question étant lequel des deux va être non pas vrai en fait c'est pas ça vraiment la question mais lequel des deux va être le plus convaincant et donc c'est vraiment un cas tout à fait remarquable et comment lequel des deux va être le plus convaincant ça je ne sais pas non d'accord

  • Speaker #1

    Alors, dernière question que je pose à chacun de mes invités. Selon vous, quelle est la place du sociologue aujourd'hui dans notre société ? Et puis on peut même aller au-delà. Quelle place devrait-il ou devrait-elle prendre aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    C'est une question qui est un peu délicate, mais en tout cas, me semble-t-il, les sociologues n'ont pas la place qui devrait être la leur, on pourrait dire comme ça. Par exemple, dans le débat public ou dans la manière dont ils sont convoqués. En fait, me semble-t-il, quand on convoque un sociologue, souvent, c'est au titre de ses enquêtes. Les enquêtes sont évidemment très importantes dans la sociologie, on est bien d'accord. Mais malgré tout, les sociologues ne sont pas uniquement des collectionneurs de faits empiriques. Pour dire comme ça, par exemple, quand on entend souvent un sociologue invité à la radio, c'est au titre de vous avez fait une enquête sûre, racontez-moi ce monde-là Un peu comme un espèce de reporter qui bénéficierait du temps long, donc ne bénéficie pas toujours les journalistes, mais qui, au fond, remplirait une fonction à peu près similaire. Finalement... Et c'est par exemple très très apparent, quand on regarde la manière dont certains courant de l'économie, je pense par exemple à l'économie comportementale, que j'ai eu l'occasion d'étudier avec quelques collègues du CSO.

  • Speaker #1

    Oui, ce qui a fait l'objet d'un livre,

  • Speaker #0

    le biais comportementaliste,

  • Speaker #1

    absolument.

  • Speaker #0

    Et en fait, parfois, quand les économistes comportementaux prétendent collaborer avec des sociologues, c'est en fait pour que les sociologues apportent des petits faits empiriques. qui vont être inclus dans un modèle économique. Et ce qui, dès lors, oublie complètement le fait que la sociologie, c'est aussi un point de vue, c'est aussi un ancrage théorique, et que, me semble-t-il, par exemple, si on prend les questions de prévision économique, un regard sociologique sur ces questions-là peut apporter un éclairage différent, mais tout aussi pertinent. que celui d'autres disciplines et en particulier de l'économie. Par exemple, vous évoquiez la dégradation de la note française parce qu'on avait une pause. Lors de la révélation de l'annonce que le déficit était plus élevé que prévu, le ministre Bruno Le Maire avait déclaré que la prévision de déficit n'est pas d'une science exacte. Disant ça, en fait, ce qu'il visait, c'était les enjeux de marge d'erreur, un problème purement statistique, au fond, ou purement économétrique. Et, me semble-t-il, il y a d'autres manières d'envisager cette question-là que purement économétrique. Et, par exemple, se poser la question de comment se fait-il ? que, par exemple, ces erreurs de prévision arrivent, mais en le replaçant d'un point de vue institutionnel, organisationnel, collectif, en somme, peut produire un éclairage vraiment différent, mais vraiment pertinent sur ces questions-là. Donc, il me semble-t-il, quelque chose dont il faudrait se rappeler, c'est que c'est également un point de vue, ce n'est pas juste une collection, ce n'est pas juste un travail empirique.

  • Speaker #1

    Oui, je comprends. Très bien. Bon, merci Olivier. C'était le podcast Objet trouvé du CSO. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous sur votre plateforme d'écoute préférée et faites le savoir autour de vous.

Description

Les recherches du sociologue Olivier Pilmis l'ont mené à s'intéresser au monde de l'art et des comédiens sous l'angle de l'incertitude du marché du travail. Comment construire une carrière longue à partir d'engagements courts et atténuer l'incertitude d'une activité professionnelle ?
La crise des subprimes aux Etats-Unis et l'observation ethnographique d'une rédaction amènent Olivier Pilmis à son objet de recherche actuel : la prévision économique. Comment produit-on un discours sur le futur qui soit légitime ? Comment évaluer ce qui n’est pas mesurable, prévisible ? Et à quoi servent ces prévisions ?
Mobilisant des approches quantitatives et qualitatives, Olivier Pilmis revient notamment sur la récente dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s et sur la pandémie de 2020.


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  • Speaker #0

    Sous-titrage Société Radio-Canada

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue à tous et à toutes, vous écoutez le podcast Objet trouvé du Centre de Sociologie des Organisations, le CSO. Nous vous proposons des récits de nos chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales autour de leurs relations à leurs objets de recherche. Aujourd'hui, nous recevons Olivier Pilmis. Installez-vous confortablement, nous sommes ensemble pour une vingtaine de minutes. Bonjour Olivier.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous êtes chargé de recherche au CNRS et sociologue au CSO. Vous vous intéressez au monde de l'art et aux comédiens et vous avez fait d'ailleurs une thèse qui s'intitule l'organisation de marchés incertains, une sociologie des mondes de la pige et de l'art dramatique sous la direction de Pierre-Michel Menger. Quelle est votre analyse de ce marché ?

  • Speaker #0

    Pour prendre celui des comédiens, c'est un marché qui est extrêmement intéressant du point de vue de l'incertitude. Parce qu'en fait on a un marché sur lequel les engagements sont extrêmement courts. Le contrat le plus fréquent pour un comédien ou une comédienne, c'est un contrat d'une journée. Donc c'est un contrat qui est vraiment extrêmement court. Et donc en fait ça pose la question de comment construire une carrière longue. de plusieurs années, d'une carrière peut-être, à partir d'engagements qui sont aussi courts. Donc c'était l'élément qui m'intéressait le plus, c'était par exemple comment on gère le fait qu'on a des engagements d'une journée par exemple et donc une incertitude extrêmement forte sur le niveau d'activité, sur le niveau de revenus et des besoins qui quant à eux sont extrêmement stables sous la forme d'un loyer par exemple, les besoins d'un enfant si on en a un, etc. Et par ailleurs c'est un marché qui est d'autant plus intéressant que du fait même de cette incertitude, de la tendance régulière de ces ...d'emploi et de chômage dans ce secteur, on a un dispositif particulier, qui est un dispositif d'indemnisation du chômage, qu'on appelle le régime de l'intermittence du spectacle, qu'il a précisément pour composer avec cette alternance d'emploi et de chômage. Et en fait, j'avais commencé ma thèse là-dessus, sur le monde des comédiens, et en fait, précisément pour éviter que ça soit surdéterminé par l'existence particulière de ce régime d'indemnisation du chômage, de l'intermittence, dont on sait... qui est extrêmement structurant dans ces secteurs-là, j'ai décidé du coup de le comparer avec un autre secteur, un autre marché, qui présente des conditions un peu similaires, et qui est en fait le cas des journalistes pigistes. Parce qu'on a quelque chose qui est un peu similaire, c'est qu'on a des engagements qui sont plutôt brefs. On fait un sujet pour une radio ou une télévision, on fait un article pour un magazine. Mais par contre, on a des conditions d'emploi qui sont à peu près similaires, mais on n'a pas ce système d'analyse du chômage. Les journalistes pigistes sont salariés théoriquement en CDI. Ça n'a pas l'air surprenant, mais c'est le cas. C'est le cas. contractuellement, légalement, pour le dire comme ça. Et donc ça me donnait comme une espèce de petit modèle, où j'avais deux marchés extrêmement similaires du point de vue des conditions d'emploi, mais avec, dans un cas, un régime d'annulation spécifique, et pas dans l'autre. Et donc ça me permettait un peu d'essayer de regarder quel était l'effet du coup de ce système, de ce régime sur un secteur d'emploi particulier. Et en fait j'étais arrivé à distinguer deux régimes d'emploi sur ce secteur-là. Un premier qui est un régime d'emploi extrêmement court, ce qu'on a en tête quand on pense à l'intermittence du spectacle. C'est-à-dire qu'on va faire un contrat avec une compagnie, un contrat avec une boîte de production, etc. Et en fait c'est une activité qui est très éparpillée, entre de multiples employeurs. Tu vas faire une pub... à un moment donné, occasionnellement, mais ça sera tout. Et un second régime d'emploi, que j'avais appelé un régime autour de noyaux durs d'employeurs, avec des employeurs beaucoup moins nombreux, mais avec lesquels les relations sont extrêmement longues. Pour le coup, c'est par exemple un comédien qui va faire tous les spectacles d'une même compagnie de théâtre sur plusieurs années, toutes les saisons. C'est un mécanisme de comédien fétiche, et c'est un moyen d'apprécier le passage d'un régime à l'autre, pour le prendre un peu... Un peu comme ça, de manière extrêmement simple, c'est de s'intéresser au cas du téléphone. Qui téléphone à qui ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire ?

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un pigiste qui téléphone à une rédaction pour leur proposer un sujet, en leur disant j'ai une idée de sujet extrêmement intéressante qui irait très bien pour votre journal, et donc je vous le propose ou bien est-ce que c'est une rédaction en chef qui appelle un pigiste ? pour lui demander, tiens, j'ai pensé à toi pour tel sujet, parce que je sais que tu es spécialiste de ça, etc. Qui téléphone à qui, c'est un peu une manière d'illustrer ce passage d'un régime à l'autre. C'est comme ça que j'ai analysé ces marchés du travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors ensuite, ce monde de l'art vous amène à votre objet de recherche actuel, qui est la prévision économique. On peut dire en fait la gestion de l'incertitude, ce dont vous venez de parler. Alors expliquez-nous votre approche sociologique qui vous amène à observer des données assez importantes, des données quantitatives issues de plusieurs pays.

  • Speaker #0

    D'une part, ça peut paraître surprenant d'aboutir à la prévision économique en venant des mondes de l'art. J'ai juste un tout petit excursus très rapide sur la manière dont c'est rentré. La genèse de cet objet est assez intéressante. Il y a un peu deux éléments qui m'amènent à la prévision économique. Il y a d'abord la question de la prévision qui apparaît à un moment donné dans ma vie, à partir de la question de l'incertitude. J'étais parti de comment des comédiens et des pigistes gèrent l'incertitude concernant leur activité. Et en fait, dans une autre enquête, ensuite, dans des rédactions de presse, je suis arrivé à la question dont une rédaction de presse gère l'incertitude d'un événement. Pour prendre un exemple très simple, moi j'ai fait des observations en rédaction et je m'attendais à un monde complètement frénétique, avec des gens qui courent dans tous les sens, des coups de fil, etc. J'aime bien le cinéma et par exemple je me représentais les hommes du président, un peu en permanence. Et en fait, en arrivant, en faisant des observations en rédaction, je perçois un monde qui est extrêmement calme. On est plus proche de la bibliothèque universitaire, à certains égards, que du film policier.

  • Speaker #1

    C'est vrai qu'on ne s'y attend pas.

  • Speaker #0

    Et c'est précisément ce qui m'a surpris. Ce type d'image d'épinal qu'on peut avoir, c'est aussi ça des prénotions. Ce que Durkheim appelle des prénotions, c'est des représentations un peu toutes faites. Et quand on constate que ces prénotions sont d'une certaine manière démenties, ça devient un levier assez intéressant pour la recherche. Et donc je me suis demandé comment ça se fait que ce soit aussi calme. Et je me souviens encore un jour lors de cette observation. On était au bouclage, on était très très peu nombreux à ce moment-là, et il y avait l'un des directeurs de la rédaction, enfin des rédacteurs en chef adjoint de la rédaction qui était là, et je lui demande, on était littéralement en train d'attendre, parce qu'en fait il y a le bouclage, c'est qu'il y a qu'à demander de vous envoyer le journal. Et je me disais, mais qu'est-ce qui se passe si c'est le 11 septembre, là maintenant, tout de suite ? Et lui me répond qu'effectivement il serait un peu embêté si c'était là maintenant tout de suite. Il me décrit la procédure qu'il ferait à ce moment-là pour rappeler tout le monde, etc. Et là il ajoute, vous savez c'est quand même rare qu'un événement surgisse comme ça sans prévenir. et se surgissent comme ça sans prévenir ça m'a vraiment intrigué et en fait je me suis rendu compte qu'ils avaient des mécanismes de prévision assez forts dans la rédaction que par exemple par exemple c'est pas qu'il va gagner l'élection présidentielle américaine mais on sait que ça sera vraisemblablement ou bien Trump ou bien Biden et donc en fait on peut faire le portrait qui généralement sera publié le lendemain sur deux pages de l'avis du président on peut le préparer à l'avance on sait qu'il y a des agendas qui traînent, on sait que c'est un peu plus l'ouverture du salon de l'auto à un certain moment de l'année. Donc il va falloir envoyer quelqu'un là-bas. Mais si on y va, c'est pour parler de quoi ? Est-ce qu'on y va pour parler, par exemple, de la voiture électrique ? Parce que c'est l'un des sujets du moment. Donc il y a toute une série de démons de préparation.

  • Speaker #1

    On peut anticiper.

  • Speaker #0

    Exactement. Et la deuxième manière dont la prévision arrive parmi les objets de recherche, c'est en fait le contexte post-2008, la crise de 2008, la crise des subprimes, qui en fait évolue à un moment donné pour devenir la crise des dettes souveraines. Et je me souviens, à un moment donné, c'était un été, et que le standard de la course dégrade la note américaine. Et en fait, qu'est-ce que ça dit de la capacité future de l'État américain à rebrosser ses dettes ? Qu'est-ce que ça dit des taux d'intérêt que vont rencontrer les Américains à terme ? Et je me rends compte que pendant ces périodes de crise, les discours sur le futur sont absolument partout. Et donc je me rends compte que c'est un moyen d'aborder l'incertitude qui est différent de ce que j'ai fait jusque-là. qui me permet d'aborder des gens qui gèrent l'incertitude non pas pour eux-mêmes, comme le font les rédactions de presse ou les comédiens, mais pour d'autres, parce que les prévisionnistes ne gèrent pas l'incertitude pour eux, mais pour d'autres. et par ailleurs j'avais été formé en économie et c'était un sujet qui m'intéressait et par ailleurs un sujet important de l'époque et donc pour revenir à votre question désolé ça a été extrêmement long mais comment gérer ces données là en fait de mon côté je me suis toujours attaché dans tout mon parcours de chercheur à manipuler autant que possible des données différentes c'est à dire des données ce qu'on appelle des données quantitatives et des données qualitatives je dis ce qu'on appelle ce qui à mon sens c'est plutôt des approches qualitatives et des approches quantitatives on peut faire ce qu'on appelle du quanti quantique avec des sources textuelles, avec des archives, ça typiquement c'est ce qu'on appelle les méthodes d'analyse textuelle qui sont extrêmement nombreuses. On peut également faire du qualitatif avec une base de données en s'interrogeant sur les conventions qui sont derrière, etc. Quelque chose par exemple à l'un des rosiers. Je dirais plutôt des approches quantité-vie, approche qualitative. De mon côté, j'ai toujours essayé de mobiliser ça ensemble, c'est en faisant des entretiens. En utilisant des grosses bases de données, par exemple dans le cas de la prévision, je gère une base de données qui ressemble, si je ne me trompe pas, au dernier compte, environ 40 000 prévisions, en faisant des observations ethnographiques, en traitant les archives, c'est autant de points de vue différents sur le même objet. Donc pour moi, la question de gérer ces données économiques, c'est juste une nécessité pour la recherche. Oui,

  • Speaker #1

    c'est ce croisement d'informations qui vous... permet d'affiner ou d'analyser les données ?

  • Speaker #0

    Exactement. D'un côté, on a, avec les approches quantitatives, quelque chose qui est effectivement une puissance d'objectivation, qui est vraiment, vu de ma fenêtre, inatteignable pour les approches qualitatives. Mais avec les approches qualitatives, on a quelque chose qui rend beaucoup mieux compte des mécanismes, qui se déroulent parfois un peu à bas bruit, et dont ces données quantitatives, elles ne peuvent que rendre le résultat final, pour le dire comme ça.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, finalement, je vais vous poser la question qu'on a tous en tête. Comment évaluer ce qui n'est pas pas mesurable, ce qui n'est pas prévisible, puisqu'en fait, on parle quand même de prévision. Donc, comment fait-on ? Et puis, autre question, mais à quoi servent ces prévisions, concrètement ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, ce sont les deux questions auxquelles on pense assez spontanément quand on est sur ce secteur-là. Alors pour aborder la première, comment on mesure ce qui n'est pas mesurable au fond ? Alors il n'y a pas que les privilégionnistes qui le font. Dans le cas des privilégionnistes, c'est flagrant qu'ils mesurent ce qui n'est pas mesurable parce qu'ils travaillent sur le futur. Mais en fait, c'est le cas d'un peu tous les économistes. Au sens où les économistes manipulent des conseils qui sont très abstraits. Le PIB ça n'existe pas vraiment, c'est une convention comptable. Le PIB potentiel, qui est donc le PIB que pourrait atteindre une économie dans une situation particulière, qui serait globalement une situation de plein emploi, c'est un concept abstrait dans des conditions abstraites. Donc mesurer ce qui n'est pas mesurable, c'est le pain quotidien de l'économiste. Mais ceci étant, ça pose quand même des vrais enjeux à un moment donné. Et donc, comment on fait première méthode ? Il y a en fait ces conventions qui existent et qu'on utilise. Donc le PIB c'est ça, l'inflation c'est ça. L'inflation ça n'existe pas dans la nature, mais voilà, il y a une mesure sur laquelle on est d'accord. On peut avoir des débats sur la manière de la mesurer, mais par contre sur la définition de ce qu'est le PIB ou de ce qu'est l'inflation, on est d'accord. Mais il y a effectivement parfois des effets pour mesurer des choses pas mesurables qui ont été extrêmement frappantes pendant le confinement, durant la pandémie en 2020. Parce qu'en fait, c'est un moment très particulier de l'histoire économique récente. Pas tant la pandémie en tant que telle que le confinement. En fait, le confinement, les restaurants sont fermés, les magasins sont fermés. L'activité économique est réduite. Les théâtres sont fermés, tout est fermé. Et en fait ça a créé une situation économique assez particulière, puisqu'en fait c'est un moment où les économistes ne comprennent littéralement pas, et donc les prévisionnistes, ne comprennent littéralement pas ce qui se passe, parce qu'en fait c'est un moment où les lois ordinaires de l'économie ne s'appliquent plus. Et très concrètement, quand les lois de l'économie ne s'appliquent plus, c'est qu'en fait pour l'une des lois de l'économie, c'est que la consommation correspond au niveau de revenu, qu'elle suit le niveau de revenu. Quand les revenus augmentent, on va consommer plus, quand les revenus baissent, on va consommer moins. Et en fait, durant le confinement, on se retrouve dans une situation où la consommation s'effondre, alors que les gens n'ont pas supplié de perte de revenus, pour une raison extrêmement simple, qui est qu'en fait, c'est fermé. On aurait bien aimé consommer davantage, mais il n'y a pas la possibilité de le faire. Et donc, comment on fait pour mesurer cette espèce de perte de la consommation liée au confinement ? Sachant que par ailleurs, comme précisément c'est fermé, les données économiques ordinaires ne remontent pas. Et que par ailleurs, le confinement c'est une situation qui est extrêmement inhabituelle, et donc qui suppose d'avoir des données plus fréquentes pour la mesurer en temps réel que d'habitude. Les données économiques, généralement, c'est publié par l'INSEE par exemple tous les trimestres. Et là en fait, il faudrait plutôt des données hebdomadaires. Donc il faut les trouver et trouver un moyen aussi de les traiter.

  • Speaker #1

    Toutes ces conditions étaient totalement inédites.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est un moment, pour le sociologue que je suis, assez extraordinaire. Parce que ça a été un moment de très grande innovation de la part des prisonniers pour trouver de nouvelles mesures en utilisant, par exemple, certains ont utilisé les indicateurs de bruit. pour avoir une idée de l'activité dans la ville. Les gens ne prennent plus leur voiture, ça veut dire qu'ils ne vont plus au travail. Et on le sait parce qu'en fait, bêtement, il y a moins de bris dans les rues de Paris, par exemple. On va regarder les données de cartes bancaires. C'est pratique de ce point de vue-là, parce que pendant le confinement, l'argent liquide a disparu, n'est jamais réellement revenu, j'ai l'impression. Et en fait, du coup, toutes les transactions se faisaient par cartes bancaires, qui du coup permettait de voir, tiens, quels secteurs de la consommation sont plus ou moins touchés, quels autres sont plutôt moins touchés. d'autres indicateurs encore, j'en passe et des meilleurs, et en fait il y a eu un moment pour essayer de mesurer la perte d'activité au bout du compte qui était impliquée par le confinement. Qu'est-ce que ça représente comme point de PIB perdu qu'un jour de confinement ? Donc quelque chose qui n'est effectivement pas mesurable puisqu'en fait c'est un raisonnement qui est un peu contrefactuel, qui est un raisonnement assez classique en économie aussi, qui est par rapport à la situation normale, on est X points de PIB en dessous. Et pour répondre à votre deuxième question, je me suis rendu compte qu'il y avait une deuxième question, effectivement, qui était à quoi servent ces prévisions ? Et en fait, pour le dire très très rapidement, ça m'a armé les décisions. Parce qu'il y a par exemple, tous les ans, le gouvernement, à l'automne, sort un document qui s'appelle le projet de loi de finances, qui décrit les recettes et les dépenses de l'année à venir. Et en fait, ces recettes et ces dépenses de l'année à venir, elles sont assises sur un certain nombre d'hypothèses. Il y a des hypothèses qui concernent le futur de l'économie. Quelle va être la consommation des ménages ? quel va être le niveau de l'emploi l'année prochaine, quelle va être la situation économique des grands pays libitrophes avec lesquels nous avons des relations commerciales, etc. Et donc, toutes ces hypothèses-là, en fait, elles sont importantes parce qu'elles définissent pour partie les recettes et les dépenses qui vont être faites. Par exemple, la consommation des ménages, c'est de la TVA. Et donc, c'est une recette fiscale. qui peut servir après à financer tel ou tel programme de politique sociale, par exemple, qu'on voudrait financer. Et donc pour cette raison-là, en fait, la prévision est utile pour les enjeux de décision. Le problème, effectivement, c'est que vous ne savez pas de quoi demain sera fait, au sens propre, qu'il faut quand même prendre une décision aujourd'hui, par exemple, quand on a un gouvernement, mais également un ménage, également une entreprise, etc. Et qu'en fait, vous ne savez pas de quoi demain sera fait, et qu'en fait, il faut essayer d'avoir une vision... crédible, pour le dire comme ça, ou en tout cas suffisamment convaincante, de à quoi demain va peut-être bien ressembler pour pouvoir décider de l'allocation de ressources diverses et variées.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez en tête une prévision qui a eu un impact fort justement sur les économies, si on parle à nouveau des états ?

  • Speaker #0

    Ah ben là, il y en a assez régulièrement. Non mais très sincèrement, il y en a assez régulièrement parce que, pour le dire comme ça, ce qui est intéressant c'est que souvent les prévisions qui ont un impact fort sont les prévisions ratées. des prisons ratées, c'est-à-dire que il ne s'est pas passé ce qui était prévu.

  • Speaker #1

    Vous avez des cas en tête ?

  • Speaker #0

    Là, il y a un cas tout à fait récent qui date d'il y a quelques jours ou quelques semaines, fin mai, si je ne me trompe pas. Donc nous enregistrons début juin. Et en fait, il y a eu une décision de Standard Poor's de dégrader la note française exactement ce que j'évoquais précédemment à propos des Etats-Unis, quelques années plus tard. Et en fait, Standard Poor's a dégradé la note française pour la passer de AA+, à AA. Ce qui désigne une mesure de la capacité de l'État prêté à l'État français de rembourser ses emprunts souverains. Et donc, et qui est réputé, j'ai bien réputé, avoir un effet sur les taux d'intérêt auxquels la France va emprunter par la suite. Donc une décision qui impacte le futur assez fortement. Donc déjà, c'est une décision qui a à voir avec le futur. Aura-t-elle un impact sur les taux d'intérêt ? Je ne sais pas. Elle est réputée en avoir un, parfois ça n'est pas toujours observé. Mais ce qui est plus intéressant en fait, c'est que cette décision de Scandale Imposte de dégrader la note française. En fait, elle est venue après une autre annonce du gouvernement français concernant le déficit. C'est qu'en fait, le déficit pour 2023 était prévu à 4,9 milliards d'euros. Et en fait, il a été à 4,9%. Et en fait, il s'est avéré être à 5,5%. Donc, il y a un écart de 0,6%. Quand on sait le montant du PIB, c'est une somme qui n'est pas tout à fait anodine. Et donc, en gros, une erreur de prévision concernant le montant du déficit, qui était en fait liée également à une erreur de prévision concernant les recettes fiscales. On en revient là. Et donc, en fait, une erreur de prévision concernant les recettes fiscales à hauteur de 20 milliards. et également d'une prévision révisée à la baisse de croissance pour 2024. Donc pour résumer le schéma, on va être d'un côté des recettes fiscales sous-évaluées, moins que prévues, un déficit plus élevé que prévu, et une croissance pour l'année à venir révisée à la baisse. Donc ces trois éléments-là sont la justification pour Standard Poor's de dégrader la note française. Donc on se retrouve dans un cas assez classique finalement d'erreur de prévision. Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est que quand le gouvernement français annonce Ce déficit plus élevé que prévu, il l'associe instantanément à une décision de réduction de certaines dépenses. Donc on voit à nouveau le lien entre prévision et décision. Et comment dès lors, l'erreur de prévision va entraîner une nouvelle décision qui consiste là très concrètement dans une coupe budgétaire. Mais ce qui est encore plus intéressant à certains égards, c'est qu'une autre justification pas spontanée de sa décision. à la trajectoire de réduction du déficit de la France jusqu'à 2027, la fin du quinquennat. Le gouvernement français dit que la trajectoire du déficit en 2027 nous amène en dessous des 3% prévus par les traités européens. Et son annuaire de pause dit que nous ne pensons pas que cette trajectoire sera suivie et que les déficits seront en dessous de 3%. Donc là, ce sont deux discours sur le futur qui s'affrontent. en 2024 concernant 2027 au fond et la question étant lequel des deux va être non pas vrai en fait c'est pas ça vraiment la question mais lequel des deux va être le plus convaincant et donc c'est vraiment un cas tout à fait remarquable et comment lequel des deux va être le plus convaincant ça je ne sais pas non d'accord

  • Speaker #1

    Alors, dernière question que je pose à chacun de mes invités. Selon vous, quelle est la place du sociologue aujourd'hui dans notre société ? Et puis on peut même aller au-delà. Quelle place devrait-il ou devrait-elle prendre aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    C'est une question qui est un peu délicate, mais en tout cas, me semble-t-il, les sociologues n'ont pas la place qui devrait être la leur, on pourrait dire comme ça. Par exemple, dans le débat public ou dans la manière dont ils sont convoqués. En fait, me semble-t-il, quand on convoque un sociologue, souvent, c'est au titre de ses enquêtes. Les enquêtes sont évidemment très importantes dans la sociologie, on est bien d'accord. Mais malgré tout, les sociologues ne sont pas uniquement des collectionneurs de faits empiriques. Pour dire comme ça, par exemple, quand on entend souvent un sociologue invité à la radio, c'est au titre de vous avez fait une enquête sûre, racontez-moi ce monde-là Un peu comme un espèce de reporter qui bénéficierait du temps long, donc ne bénéficie pas toujours les journalistes, mais qui, au fond, remplirait une fonction à peu près similaire. Finalement... Et c'est par exemple très très apparent, quand on regarde la manière dont certains courant de l'économie, je pense par exemple à l'économie comportementale, que j'ai eu l'occasion d'étudier avec quelques collègues du CSO.

  • Speaker #1

    Oui, ce qui a fait l'objet d'un livre,

  • Speaker #0

    le biais comportementaliste,

  • Speaker #1

    absolument.

  • Speaker #0

    Et en fait, parfois, quand les économistes comportementaux prétendent collaborer avec des sociologues, c'est en fait pour que les sociologues apportent des petits faits empiriques. qui vont être inclus dans un modèle économique. Et ce qui, dès lors, oublie complètement le fait que la sociologie, c'est aussi un point de vue, c'est aussi un ancrage théorique, et que, me semble-t-il, par exemple, si on prend les questions de prévision économique, un regard sociologique sur ces questions-là peut apporter un éclairage différent, mais tout aussi pertinent. que celui d'autres disciplines et en particulier de l'économie. Par exemple, vous évoquiez la dégradation de la note française parce qu'on avait une pause. Lors de la révélation de l'annonce que le déficit était plus élevé que prévu, le ministre Bruno Le Maire avait déclaré que la prévision de déficit n'est pas d'une science exacte. Disant ça, en fait, ce qu'il visait, c'était les enjeux de marge d'erreur, un problème purement statistique, au fond, ou purement économétrique. Et, me semble-t-il, il y a d'autres manières d'envisager cette question-là que purement économétrique. Et, par exemple, se poser la question de comment se fait-il ? que, par exemple, ces erreurs de prévision arrivent, mais en le replaçant d'un point de vue institutionnel, organisationnel, collectif, en somme, peut produire un éclairage vraiment différent, mais vraiment pertinent sur ces questions-là. Donc, il me semble-t-il, quelque chose dont il faudrait se rappeler, c'est que c'est également un point de vue, ce n'est pas juste une collection, ce n'est pas juste un travail empirique.

  • Speaker #1

    Oui, je comprends. Très bien. Bon, merci Olivier. C'était le podcast Objet trouvé du CSO. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous sur votre plateforme d'écoute préférée et faites le savoir autour de vous.

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Description

Les recherches du sociologue Olivier Pilmis l'ont mené à s'intéresser au monde de l'art et des comédiens sous l'angle de l'incertitude du marché du travail. Comment construire une carrière longue à partir d'engagements courts et atténuer l'incertitude d'une activité professionnelle ?
La crise des subprimes aux Etats-Unis et l'observation ethnographique d'une rédaction amènent Olivier Pilmis à son objet de recherche actuel : la prévision économique. Comment produit-on un discours sur le futur qui soit légitime ? Comment évaluer ce qui n’est pas mesurable, prévisible ? Et à quoi servent ces prévisions ?
Mobilisant des approches quantitatives et qualitatives, Olivier Pilmis revient notamment sur la récente dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s et sur la pandémie de 2020.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage Société Radio-Canada

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue à tous et à toutes, vous écoutez le podcast Objet trouvé du Centre de Sociologie des Organisations, le CSO. Nous vous proposons des récits de nos chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales autour de leurs relations à leurs objets de recherche. Aujourd'hui, nous recevons Olivier Pilmis. Installez-vous confortablement, nous sommes ensemble pour une vingtaine de minutes. Bonjour Olivier.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous êtes chargé de recherche au CNRS et sociologue au CSO. Vous vous intéressez au monde de l'art et aux comédiens et vous avez fait d'ailleurs une thèse qui s'intitule l'organisation de marchés incertains, une sociologie des mondes de la pige et de l'art dramatique sous la direction de Pierre-Michel Menger. Quelle est votre analyse de ce marché ?

  • Speaker #0

    Pour prendre celui des comédiens, c'est un marché qui est extrêmement intéressant du point de vue de l'incertitude. Parce qu'en fait on a un marché sur lequel les engagements sont extrêmement courts. Le contrat le plus fréquent pour un comédien ou une comédienne, c'est un contrat d'une journée. Donc c'est un contrat qui est vraiment extrêmement court. Et donc en fait ça pose la question de comment construire une carrière longue. de plusieurs années, d'une carrière peut-être, à partir d'engagements qui sont aussi courts. Donc c'était l'élément qui m'intéressait le plus, c'était par exemple comment on gère le fait qu'on a des engagements d'une journée par exemple et donc une incertitude extrêmement forte sur le niveau d'activité, sur le niveau de revenus et des besoins qui quant à eux sont extrêmement stables sous la forme d'un loyer par exemple, les besoins d'un enfant si on en a un, etc. Et par ailleurs c'est un marché qui est d'autant plus intéressant que du fait même de cette incertitude, de la tendance régulière de ces ...d'emploi et de chômage dans ce secteur, on a un dispositif particulier, qui est un dispositif d'indemnisation du chômage, qu'on appelle le régime de l'intermittence du spectacle, qu'il a précisément pour composer avec cette alternance d'emploi et de chômage. Et en fait, j'avais commencé ma thèse là-dessus, sur le monde des comédiens, et en fait, précisément pour éviter que ça soit surdéterminé par l'existence particulière de ce régime d'indemnisation du chômage, de l'intermittence, dont on sait... qui est extrêmement structurant dans ces secteurs-là, j'ai décidé du coup de le comparer avec un autre secteur, un autre marché, qui présente des conditions un peu similaires, et qui est en fait le cas des journalistes pigistes. Parce qu'on a quelque chose qui est un peu similaire, c'est qu'on a des engagements qui sont plutôt brefs. On fait un sujet pour une radio ou une télévision, on fait un article pour un magazine. Mais par contre, on a des conditions d'emploi qui sont à peu près similaires, mais on n'a pas ce système d'analyse du chômage. Les journalistes pigistes sont salariés théoriquement en CDI. Ça n'a pas l'air surprenant, mais c'est le cas. C'est le cas. contractuellement, légalement, pour le dire comme ça. Et donc ça me donnait comme une espèce de petit modèle, où j'avais deux marchés extrêmement similaires du point de vue des conditions d'emploi, mais avec, dans un cas, un régime d'annulation spécifique, et pas dans l'autre. Et donc ça me permettait un peu d'essayer de regarder quel était l'effet du coup de ce système, de ce régime sur un secteur d'emploi particulier. Et en fait j'étais arrivé à distinguer deux régimes d'emploi sur ce secteur-là. Un premier qui est un régime d'emploi extrêmement court, ce qu'on a en tête quand on pense à l'intermittence du spectacle. C'est-à-dire qu'on va faire un contrat avec une compagnie, un contrat avec une boîte de production, etc. Et en fait c'est une activité qui est très éparpillée, entre de multiples employeurs. Tu vas faire une pub... à un moment donné, occasionnellement, mais ça sera tout. Et un second régime d'emploi, que j'avais appelé un régime autour de noyaux durs d'employeurs, avec des employeurs beaucoup moins nombreux, mais avec lesquels les relations sont extrêmement longues. Pour le coup, c'est par exemple un comédien qui va faire tous les spectacles d'une même compagnie de théâtre sur plusieurs années, toutes les saisons. C'est un mécanisme de comédien fétiche, et c'est un moyen d'apprécier le passage d'un régime à l'autre, pour le prendre un peu... Un peu comme ça, de manière extrêmement simple, c'est de s'intéresser au cas du téléphone. Qui téléphone à qui ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire ?

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un pigiste qui téléphone à une rédaction pour leur proposer un sujet, en leur disant j'ai une idée de sujet extrêmement intéressante qui irait très bien pour votre journal, et donc je vous le propose ou bien est-ce que c'est une rédaction en chef qui appelle un pigiste ? pour lui demander, tiens, j'ai pensé à toi pour tel sujet, parce que je sais que tu es spécialiste de ça, etc. Qui téléphone à qui, c'est un peu une manière d'illustrer ce passage d'un régime à l'autre. C'est comme ça que j'ai analysé ces marchés du travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors ensuite, ce monde de l'art vous amène à votre objet de recherche actuel, qui est la prévision économique. On peut dire en fait la gestion de l'incertitude, ce dont vous venez de parler. Alors expliquez-nous votre approche sociologique qui vous amène à observer des données assez importantes, des données quantitatives issues de plusieurs pays.

  • Speaker #0

    D'une part, ça peut paraître surprenant d'aboutir à la prévision économique en venant des mondes de l'art. J'ai juste un tout petit excursus très rapide sur la manière dont c'est rentré. La genèse de cet objet est assez intéressante. Il y a un peu deux éléments qui m'amènent à la prévision économique. Il y a d'abord la question de la prévision qui apparaît à un moment donné dans ma vie, à partir de la question de l'incertitude. J'étais parti de comment des comédiens et des pigistes gèrent l'incertitude concernant leur activité. Et en fait, dans une autre enquête, ensuite, dans des rédactions de presse, je suis arrivé à la question dont une rédaction de presse gère l'incertitude d'un événement. Pour prendre un exemple très simple, moi j'ai fait des observations en rédaction et je m'attendais à un monde complètement frénétique, avec des gens qui courent dans tous les sens, des coups de fil, etc. J'aime bien le cinéma et par exemple je me représentais les hommes du président, un peu en permanence. Et en fait, en arrivant, en faisant des observations en rédaction, je perçois un monde qui est extrêmement calme. On est plus proche de la bibliothèque universitaire, à certains égards, que du film policier.

  • Speaker #1

    C'est vrai qu'on ne s'y attend pas.

  • Speaker #0

    Et c'est précisément ce qui m'a surpris. Ce type d'image d'épinal qu'on peut avoir, c'est aussi ça des prénotions. Ce que Durkheim appelle des prénotions, c'est des représentations un peu toutes faites. Et quand on constate que ces prénotions sont d'une certaine manière démenties, ça devient un levier assez intéressant pour la recherche. Et donc je me suis demandé comment ça se fait que ce soit aussi calme. Et je me souviens encore un jour lors de cette observation. On était au bouclage, on était très très peu nombreux à ce moment-là, et il y avait l'un des directeurs de la rédaction, enfin des rédacteurs en chef adjoint de la rédaction qui était là, et je lui demande, on était littéralement en train d'attendre, parce qu'en fait il y a le bouclage, c'est qu'il y a qu'à demander de vous envoyer le journal. Et je me disais, mais qu'est-ce qui se passe si c'est le 11 septembre, là maintenant, tout de suite ? Et lui me répond qu'effectivement il serait un peu embêté si c'était là maintenant tout de suite. Il me décrit la procédure qu'il ferait à ce moment-là pour rappeler tout le monde, etc. Et là il ajoute, vous savez c'est quand même rare qu'un événement surgisse comme ça sans prévenir. et se surgissent comme ça sans prévenir ça m'a vraiment intrigué et en fait je me suis rendu compte qu'ils avaient des mécanismes de prévision assez forts dans la rédaction que par exemple par exemple c'est pas qu'il va gagner l'élection présidentielle américaine mais on sait que ça sera vraisemblablement ou bien Trump ou bien Biden et donc en fait on peut faire le portrait qui généralement sera publié le lendemain sur deux pages de l'avis du président on peut le préparer à l'avance on sait qu'il y a des agendas qui traînent, on sait que c'est un peu plus l'ouverture du salon de l'auto à un certain moment de l'année. Donc il va falloir envoyer quelqu'un là-bas. Mais si on y va, c'est pour parler de quoi ? Est-ce qu'on y va pour parler, par exemple, de la voiture électrique ? Parce que c'est l'un des sujets du moment. Donc il y a toute une série de démons de préparation.

  • Speaker #1

    On peut anticiper.

  • Speaker #0

    Exactement. Et la deuxième manière dont la prévision arrive parmi les objets de recherche, c'est en fait le contexte post-2008, la crise de 2008, la crise des subprimes, qui en fait évolue à un moment donné pour devenir la crise des dettes souveraines. Et je me souviens, à un moment donné, c'était un été, et que le standard de la course dégrade la note américaine. Et en fait, qu'est-ce que ça dit de la capacité future de l'État américain à rebrosser ses dettes ? Qu'est-ce que ça dit des taux d'intérêt que vont rencontrer les Américains à terme ? Et je me rends compte que pendant ces périodes de crise, les discours sur le futur sont absolument partout. Et donc je me rends compte que c'est un moyen d'aborder l'incertitude qui est différent de ce que j'ai fait jusque-là. qui me permet d'aborder des gens qui gèrent l'incertitude non pas pour eux-mêmes, comme le font les rédactions de presse ou les comédiens, mais pour d'autres, parce que les prévisionnistes ne gèrent pas l'incertitude pour eux, mais pour d'autres. et par ailleurs j'avais été formé en économie et c'était un sujet qui m'intéressait et par ailleurs un sujet important de l'époque et donc pour revenir à votre question désolé ça a été extrêmement long mais comment gérer ces données là en fait de mon côté je me suis toujours attaché dans tout mon parcours de chercheur à manipuler autant que possible des données différentes c'est à dire des données ce qu'on appelle des données quantitatives et des données qualitatives je dis ce qu'on appelle ce qui à mon sens c'est plutôt des approches qualitatives et des approches quantitatives on peut faire ce qu'on appelle du quanti quantique avec des sources textuelles, avec des archives, ça typiquement c'est ce qu'on appelle les méthodes d'analyse textuelle qui sont extrêmement nombreuses. On peut également faire du qualitatif avec une base de données en s'interrogeant sur les conventions qui sont derrière, etc. Quelque chose par exemple à l'un des rosiers. Je dirais plutôt des approches quantité-vie, approche qualitative. De mon côté, j'ai toujours essayé de mobiliser ça ensemble, c'est en faisant des entretiens. En utilisant des grosses bases de données, par exemple dans le cas de la prévision, je gère une base de données qui ressemble, si je ne me trompe pas, au dernier compte, environ 40 000 prévisions, en faisant des observations ethnographiques, en traitant les archives, c'est autant de points de vue différents sur le même objet. Donc pour moi, la question de gérer ces données économiques, c'est juste une nécessité pour la recherche. Oui,

  • Speaker #1

    c'est ce croisement d'informations qui vous... permet d'affiner ou d'analyser les données ?

  • Speaker #0

    Exactement. D'un côté, on a, avec les approches quantitatives, quelque chose qui est effectivement une puissance d'objectivation, qui est vraiment, vu de ma fenêtre, inatteignable pour les approches qualitatives. Mais avec les approches qualitatives, on a quelque chose qui rend beaucoup mieux compte des mécanismes, qui se déroulent parfois un peu à bas bruit, et dont ces données quantitatives, elles ne peuvent que rendre le résultat final, pour le dire comme ça.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, finalement, je vais vous poser la question qu'on a tous en tête. Comment évaluer ce qui n'est pas pas mesurable, ce qui n'est pas prévisible, puisqu'en fait, on parle quand même de prévision. Donc, comment fait-on ? Et puis, autre question, mais à quoi servent ces prévisions, concrètement ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, ce sont les deux questions auxquelles on pense assez spontanément quand on est sur ce secteur-là. Alors pour aborder la première, comment on mesure ce qui n'est pas mesurable au fond ? Alors il n'y a pas que les privilégionnistes qui le font. Dans le cas des privilégionnistes, c'est flagrant qu'ils mesurent ce qui n'est pas mesurable parce qu'ils travaillent sur le futur. Mais en fait, c'est le cas d'un peu tous les économistes. Au sens où les économistes manipulent des conseils qui sont très abstraits. Le PIB ça n'existe pas vraiment, c'est une convention comptable. Le PIB potentiel, qui est donc le PIB que pourrait atteindre une économie dans une situation particulière, qui serait globalement une situation de plein emploi, c'est un concept abstrait dans des conditions abstraites. Donc mesurer ce qui n'est pas mesurable, c'est le pain quotidien de l'économiste. Mais ceci étant, ça pose quand même des vrais enjeux à un moment donné. Et donc, comment on fait première méthode ? Il y a en fait ces conventions qui existent et qu'on utilise. Donc le PIB c'est ça, l'inflation c'est ça. L'inflation ça n'existe pas dans la nature, mais voilà, il y a une mesure sur laquelle on est d'accord. On peut avoir des débats sur la manière de la mesurer, mais par contre sur la définition de ce qu'est le PIB ou de ce qu'est l'inflation, on est d'accord. Mais il y a effectivement parfois des effets pour mesurer des choses pas mesurables qui ont été extrêmement frappantes pendant le confinement, durant la pandémie en 2020. Parce qu'en fait, c'est un moment très particulier de l'histoire économique récente. Pas tant la pandémie en tant que telle que le confinement. En fait, le confinement, les restaurants sont fermés, les magasins sont fermés. L'activité économique est réduite. Les théâtres sont fermés, tout est fermé. Et en fait ça a créé une situation économique assez particulière, puisqu'en fait c'est un moment où les économistes ne comprennent littéralement pas, et donc les prévisionnistes, ne comprennent littéralement pas ce qui se passe, parce qu'en fait c'est un moment où les lois ordinaires de l'économie ne s'appliquent plus. Et très concrètement, quand les lois de l'économie ne s'appliquent plus, c'est qu'en fait pour l'une des lois de l'économie, c'est que la consommation correspond au niveau de revenu, qu'elle suit le niveau de revenu. Quand les revenus augmentent, on va consommer plus, quand les revenus baissent, on va consommer moins. Et en fait, durant le confinement, on se retrouve dans une situation où la consommation s'effondre, alors que les gens n'ont pas supplié de perte de revenus, pour une raison extrêmement simple, qui est qu'en fait, c'est fermé. On aurait bien aimé consommer davantage, mais il n'y a pas la possibilité de le faire. Et donc, comment on fait pour mesurer cette espèce de perte de la consommation liée au confinement ? Sachant que par ailleurs, comme précisément c'est fermé, les données économiques ordinaires ne remontent pas. Et que par ailleurs, le confinement c'est une situation qui est extrêmement inhabituelle, et donc qui suppose d'avoir des données plus fréquentes pour la mesurer en temps réel que d'habitude. Les données économiques, généralement, c'est publié par l'INSEE par exemple tous les trimestres. Et là en fait, il faudrait plutôt des données hebdomadaires. Donc il faut les trouver et trouver un moyen aussi de les traiter.

  • Speaker #1

    Toutes ces conditions étaient totalement inédites.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est un moment, pour le sociologue que je suis, assez extraordinaire. Parce que ça a été un moment de très grande innovation de la part des prisonniers pour trouver de nouvelles mesures en utilisant, par exemple, certains ont utilisé les indicateurs de bruit. pour avoir une idée de l'activité dans la ville. Les gens ne prennent plus leur voiture, ça veut dire qu'ils ne vont plus au travail. Et on le sait parce qu'en fait, bêtement, il y a moins de bris dans les rues de Paris, par exemple. On va regarder les données de cartes bancaires. C'est pratique de ce point de vue-là, parce que pendant le confinement, l'argent liquide a disparu, n'est jamais réellement revenu, j'ai l'impression. Et en fait, du coup, toutes les transactions se faisaient par cartes bancaires, qui du coup permettait de voir, tiens, quels secteurs de la consommation sont plus ou moins touchés, quels autres sont plutôt moins touchés. d'autres indicateurs encore, j'en passe et des meilleurs, et en fait il y a eu un moment pour essayer de mesurer la perte d'activité au bout du compte qui était impliquée par le confinement. Qu'est-ce que ça représente comme point de PIB perdu qu'un jour de confinement ? Donc quelque chose qui n'est effectivement pas mesurable puisqu'en fait c'est un raisonnement qui est un peu contrefactuel, qui est un raisonnement assez classique en économie aussi, qui est par rapport à la situation normale, on est X points de PIB en dessous. Et pour répondre à votre deuxième question, je me suis rendu compte qu'il y avait une deuxième question, effectivement, qui était à quoi servent ces prévisions ? Et en fait, pour le dire très très rapidement, ça m'a armé les décisions. Parce qu'il y a par exemple, tous les ans, le gouvernement, à l'automne, sort un document qui s'appelle le projet de loi de finances, qui décrit les recettes et les dépenses de l'année à venir. Et en fait, ces recettes et ces dépenses de l'année à venir, elles sont assises sur un certain nombre d'hypothèses. Il y a des hypothèses qui concernent le futur de l'économie. Quelle va être la consommation des ménages ? quel va être le niveau de l'emploi l'année prochaine, quelle va être la situation économique des grands pays libitrophes avec lesquels nous avons des relations commerciales, etc. Et donc, toutes ces hypothèses-là, en fait, elles sont importantes parce qu'elles définissent pour partie les recettes et les dépenses qui vont être faites. Par exemple, la consommation des ménages, c'est de la TVA. Et donc, c'est une recette fiscale. qui peut servir après à financer tel ou tel programme de politique sociale, par exemple, qu'on voudrait financer. Et donc pour cette raison-là, en fait, la prévision est utile pour les enjeux de décision. Le problème, effectivement, c'est que vous ne savez pas de quoi demain sera fait, au sens propre, qu'il faut quand même prendre une décision aujourd'hui, par exemple, quand on a un gouvernement, mais également un ménage, également une entreprise, etc. Et qu'en fait, vous ne savez pas de quoi demain sera fait, et qu'en fait, il faut essayer d'avoir une vision... crédible, pour le dire comme ça, ou en tout cas suffisamment convaincante, de à quoi demain va peut-être bien ressembler pour pouvoir décider de l'allocation de ressources diverses et variées.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez en tête une prévision qui a eu un impact fort justement sur les économies, si on parle à nouveau des états ?

  • Speaker #0

    Ah ben là, il y en a assez régulièrement. Non mais très sincèrement, il y en a assez régulièrement parce que, pour le dire comme ça, ce qui est intéressant c'est que souvent les prévisions qui ont un impact fort sont les prévisions ratées. des prisons ratées, c'est-à-dire que il ne s'est pas passé ce qui était prévu.

  • Speaker #1

    Vous avez des cas en tête ?

  • Speaker #0

    Là, il y a un cas tout à fait récent qui date d'il y a quelques jours ou quelques semaines, fin mai, si je ne me trompe pas. Donc nous enregistrons début juin. Et en fait, il y a eu une décision de Standard Poor's de dégrader la note française exactement ce que j'évoquais précédemment à propos des Etats-Unis, quelques années plus tard. Et en fait, Standard Poor's a dégradé la note française pour la passer de AA+, à AA. Ce qui désigne une mesure de la capacité de l'État prêté à l'État français de rembourser ses emprunts souverains. Et donc, et qui est réputé, j'ai bien réputé, avoir un effet sur les taux d'intérêt auxquels la France va emprunter par la suite. Donc une décision qui impacte le futur assez fortement. Donc déjà, c'est une décision qui a à voir avec le futur. Aura-t-elle un impact sur les taux d'intérêt ? Je ne sais pas. Elle est réputée en avoir un, parfois ça n'est pas toujours observé. Mais ce qui est plus intéressant en fait, c'est que cette décision de Scandale Imposte de dégrader la note française. En fait, elle est venue après une autre annonce du gouvernement français concernant le déficit. C'est qu'en fait, le déficit pour 2023 était prévu à 4,9 milliards d'euros. Et en fait, il a été à 4,9%. Et en fait, il s'est avéré être à 5,5%. Donc, il y a un écart de 0,6%. Quand on sait le montant du PIB, c'est une somme qui n'est pas tout à fait anodine. Et donc, en gros, une erreur de prévision concernant le montant du déficit, qui était en fait liée également à une erreur de prévision concernant les recettes fiscales. On en revient là. Et donc, en fait, une erreur de prévision concernant les recettes fiscales à hauteur de 20 milliards. et également d'une prévision révisée à la baisse de croissance pour 2024. Donc pour résumer le schéma, on va être d'un côté des recettes fiscales sous-évaluées, moins que prévues, un déficit plus élevé que prévu, et une croissance pour l'année à venir révisée à la baisse. Donc ces trois éléments-là sont la justification pour Standard Poor's de dégrader la note française. Donc on se retrouve dans un cas assez classique finalement d'erreur de prévision. Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est que quand le gouvernement français annonce Ce déficit plus élevé que prévu, il l'associe instantanément à une décision de réduction de certaines dépenses. Donc on voit à nouveau le lien entre prévision et décision. Et comment dès lors, l'erreur de prévision va entraîner une nouvelle décision qui consiste là très concrètement dans une coupe budgétaire. Mais ce qui est encore plus intéressant à certains égards, c'est qu'une autre justification pas spontanée de sa décision. à la trajectoire de réduction du déficit de la France jusqu'à 2027, la fin du quinquennat. Le gouvernement français dit que la trajectoire du déficit en 2027 nous amène en dessous des 3% prévus par les traités européens. Et son annuaire de pause dit que nous ne pensons pas que cette trajectoire sera suivie et que les déficits seront en dessous de 3%. Donc là, ce sont deux discours sur le futur qui s'affrontent. en 2024 concernant 2027 au fond et la question étant lequel des deux va être non pas vrai en fait c'est pas ça vraiment la question mais lequel des deux va être le plus convaincant et donc c'est vraiment un cas tout à fait remarquable et comment lequel des deux va être le plus convaincant ça je ne sais pas non d'accord

  • Speaker #1

    Alors, dernière question que je pose à chacun de mes invités. Selon vous, quelle est la place du sociologue aujourd'hui dans notre société ? Et puis on peut même aller au-delà. Quelle place devrait-il ou devrait-elle prendre aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    C'est une question qui est un peu délicate, mais en tout cas, me semble-t-il, les sociologues n'ont pas la place qui devrait être la leur, on pourrait dire comme ça. Par exemple, dans le débat public ou dans la manière dont ils sont convoqués. En fait, me semble-t-il, quand on convoque un sociologue, souvent, c'est au titre de ses enquêtes. Les enquêtes sont évidemment très importantes dans la sociologie, on est bien d'accord. Mais malgré tout, les sociologues ne sont pas uniquement des collectionneurs de faits empiriques. Pour dire comme ça, par exemple, quand on entend souvent un sociologue invité à la radio, c'est au titre de vous avez fait une enquête sûre, racontez-moi ce monde-là Un peu comme un espèce de reporter qui bénéficierait du temps long, donc ne bénéficie pas toujours les journalistes, mais qui, au fond, remplirait une fonction à peu près similaire. Finalement... Et c'est par exemple très très apparent, quand on regarde la manière dont certains courant de l'économie, je pense par exemple à l'économie comportementale, que j'ai eu l'occasion d'étudier avec quelques collègues du CSO.

  • Speaker #1

    Oui, ce qui a fait l'objet d'un livre,

  • Speaker #0

    le biais comportementaliste,

  • Speaker #1

    absolument.

  • Speaker #0

    Et en fait, parfois, quand les économistes comportementaux prétendent collaborer avec des sociologues, c'est en fait pour que les sociologues apportent des petits faits empiriques. qui vont être inclus dans un modèle économique. Et ce qui, dès lors, oublie complètement le fait que la sociologie, c'est aussi un point de vue, c'est aussi un ancrage théorique, et que, me semble-t-il, par exemple, si on prend les questions de prévision économique, un regard sociologique sur ces questions-là peut apporter un éclairage différent, mais tout aussi pertinent. que celui d'autres disciplines et en particulier de l'économie. Par exemple, vous évoquiez la dégradation de la note française parce qu'on avait une pause. Lors de la révélation de l'annonce que le déficit était plus élevé que prévu, le ministre Bruno Le Maire avait déclaré que la prévision de déficit n'est pas d'une science exacte. Disant ça, en fait, ce qu'il visait, c'était les enjeux de marge d'erreur, un problème purement statistique, au fond, ou purement économétrique. Et, me semble-t-il, il y a d'autres manières d'envisager cette question-là que purement économétrique. Et, par exemple, se poser la question de comment se fait-il ? que, par exemple, ces erreurs de prévision arrivent, mais en le replaçant d'un point de vue institutionnel, organisationnel, collectif, en somme, peut produire un éclairage vraiment différent, mais vraiment pertinent sur ces questions-là. Donc, il me semble-t-il, quelque chose dont il faudrait se rappeler, c'est que c'est également un point de vue, ce n'est pas juste une collection, ce n'est pas juste un travail empirique.

  • Speaker #1

    Oui, je comprends. Très bien. Bon, merci Olivier. C'était le podcast Objet trouvé du CSO. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous sur votre plateforme d'écoute préférée et faites le savoir autour de vous.

Description

Les recherches du sociologue Olivier Pilmis l'ont mené à s'intéresser au monde de l'art et des comédiens sous l'angle de l'incertitude du marché du travail. Comment construire une carrière longue à partir d'engagements courts et atténuer l'incertitude d'une activité professionnelle ?
La crise des subprimes aux Etats-Unis et l'observation ethnographique d'une rédaction amènent Olivier Pilmis à son objet de recherche actuel : la prévision économique. Comment produit-on un discours sur le futur qui soit légitime ? Comment évaluer ce qui n’est pas mesurable, prévisible ? Et à quoi servent ces prévisions ?
Mobilisant des approches quantitatives et qualitatives, Olivier Pilmis revient notamment sur la récente dégradation de la note de la France par Standard & Poor’s et sur la pandémie de 2020.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Sous-titrage Société Radio-Canada

  • Speaker #1

    Bonjour et bienvenue à tous et à toutes, vous écoutez le podcast Objet trouvé du Centre de Sociologie des Organisations, le CSO. Nous vous proposons des récits de nos chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales autour de leurs relations à leurs objets de recherche. Aujourd'hui, nous recevons Olivier Pilmis. Installez-vous confortablement, nous sommes ensemble pour une vingtaine de minutes. Bonjour Olivier.

  • Speaker #0

    Bonjour.

  • Speaker #1

    Vous êtes chargé de recherche au CNRS et sociologue au CSO. Vous vous intéressez au monde de l'art et aux comédiens et vous avez fait d'ailleurs une thèse qui s'intitule l'organisation de marchés incertains, une sociologie des mondes de la pige et de l'art dramatique sous la direction de Pierre-Michel Menger. Quelle est votre analyse de ce marché ?

  • Speaker #0

    Pour prendre celui des comédiens, c'est un marché qui est extrêmement intéressant du point de vue de l'incertitude. Parce qu'en fait on a un marché sur lequel les engagements sont extrêmement courts. Le contrat le plus fréquent pour un comédien ou une comédienne, c'est un contrat d'une journée. Donc c'est un contrat qui est vraiment extrêmement court. Et donc en fait ça pose la question de comment construire une carrière longue. de plusieurs années, d'une carrière peut-être, à partir d'engagements qui sont aussi courts. Donc c'était l'élément qui m'intéressait le plus, c'était par exemple comment on gère le fait qu'on a des engagements d'une journée par exemple et donc une incertitude extrêmement forte sur le niveau d'activité, sur le niveau de revenus et des besoins qui quant à eux sont extrêmement stables sous la forme d'un loyer par exemple, les besoins d'un enfant si on en a un, etc. Et par ailleurs c'est un marché qui est d'autant plus intéressant que du fait même de cette incertitude, de la tendance régulière de ces ...d'emploi et de chômage dans ce secteur, on a un dispositif particulier, qui est un dispositif d'indemnisation du chômage, qu'on appelle le régime de l'intermittence du spectacle, qu'il a précisément pour composer avec cette alternance d'emploi et de chômage. Et en fait, j'avais commencé ma thèse là-dessus, sur le monde des comédiens, et en fait, précisément pour éviter que ça soit surdéterminé par l'existence particulière de ce régime d'indemnisation du chômage, de l'intermittence, dont on sait... qui est extrêmement structurant dans ces secteurs-là, j'ai décidé du coup de le comparer avec un autre secteur, un autre marché, qui présente des conditions un peu similaires, et qui est en fait le cas des journalistes pigistes. Parce qu'on a quelque chose qui est un peu similaire, c'est qu'on a des engagements qui sont plutôt brefs. On fait un sujet pour une radio ou une télévision, on fait un article pour un magazine. Mais par contre, on a des conditions d'emploi qui sont à peu près similaires, mais on n'a pas ce système d'analyse du chômage. Les journalistes pigistes sont salariés théoriquement en CDI. Ça n'a pas l'air surprenant, mais c'est le cas. C'est le cas. contractuellement, légalement, pour le dire comme ça. Et donc ça me donnait comme une espèce de petit modèle, où j'avais deux marchés extrêmement similaires du point de vue des conditions d'emploi, mais avec, dans un cas, un régime d'annulation spécifique, et pas dans l'autre. Et donc ça me permettait un peu d'essayer de regarder quel était l'effet du coup de ce système, de ce régime sur un secteur d'emploi particulier. Et en fait j'étais arrivé à distinguer deux régimes d'emploi sur ce secteur-là. Un premier qui est un régime d'emploi extrêmement court, ce qu'on a en tête quand on pense à l'intermittence du spectacle. C'est-à-dire qu'on va faire un contrat avec une compagnie, un contrat avec une boîte de production, etc. Et en fait c'est une activité qui est très éparpillée, entre de multiples employeurs. Tu vas faire une pub... à un moment donné, occasionnellement, mais ça sera tout. Et un second régime d'emploi, que j'avais appelé un régime autour de noyaux durs d'employeurs, avec des employeurs beaucoup moins nombreux, mais avec lesquels les relations sont extrêmement longues. Pour le coup, c'est par exemple un comédien qui va faire tous les spectacles d'une même compagnie de théâtre sur plusieurs années, toutes les saisons. C'est un mécanisme de comédien fétiche, et c'est un moyen d'apprécier le passage d'un régime à l'autre, pour le prendre un peu... Un peu comme ça, de manière extrêmement simple, c'est de s'intéresser au cas du téléphone. Qui téléphone à qui ?

  • Speaker #1

    C'est-à-dire ?

  • Speaker #0

    Est-ce que c'est un pigiste qui téléphone à une rédaction pour leur proposer un sujet, en leur disant j'ai une idée de sujet extrêmement intéressante qui irait très bien pour votre journal, et donc je vous le propose ou bien est-ce que c'est une rédaction en chef qui appelle un pigiste ? pour lui demander, tiens, j'ai pensé à toi pour tel sujet, parce que je sais que tu es spécialiste de ça, etc. Qui téléphone à qui, c'est un peu une manière d'illustrer ce passage d'un régime à l'autre. C'est comme ça que j'ai analysé ces marchés du travail.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors ensuite, ce monde de l'art vous amène à votre objet de recherche actuel, qui est la prévision économique. On peut dire en fait la gestion de l'incertitude, ce dont vous venez de parler. Alors expliquez-nous votre approche sociologique qui vous amène à observer des données assez importantes, des données quantitatives issues de plusieurs pays.

  • Speaker #0

    D'une part, ça peut paraître surprenant d'aboutir à la prévision économique en venant des mondes de l'art. J'ai juste un tout petit excursus très rapide sur la manière dont c'est rentré. La genèse de cet objet est assez intéressante. Il y a un peu deux éléments qui m'amènent à la prévision économique. Il y a d'abord la question de la prévision qui apparaît à un moment donné dans ma vie, à partir de la question de l'incertitude. J'étais parti de comment des comédiens et des pigistes gèrent l'incertitude concernant leur activité. Et en fait, dans une autre enquête, ensuite, dans des rédactions de presse, je suis arrivé à la question dont une rédaction de presse gère l'incertitude d'un événement. Pour prendre un exemple très simple, moi j'ai fait des observations en rédaction et je m'attendais à un monde complètement frénétique, avec des gens qui courent dans tous les sens, des coups de fil, etc. J'aime bien le cinéma et par exemple je me représentais les hommes du président, un peu en permanence. Et en fait, en arrivant, en faisant des observations en rédaction, je perçois un monde qui est extrêmement calme. On est plus proche de la bibliothèque universitaire, à certains égards, que du film policier.

  • Speaker #1

    C'est vrai qu'on ne s'y attend pas.

  • Speaker #0

    Et c'est précisément ce qui m'a surpris. Ce type d'image d'épinal qu'on peut avoir, c'est aussi ça des prénotions. Ce que Durkheim appelle des prénotions, c'est des représentations un peu toutes faites. Et quand on constate que ces prénotions sont d'une certaine manière démenties, ça devient un levier assez intéressant pour la recherche. Et donc je me suis demandé comment ça se fait que ce soit aussi calme. Et je me souviens encore un jour lors de cette observation. On était au bouclage, on était très très peu nombreux à ce moment-là, et il y avait l'un des directeurs de la rédaction, enfin des rédacteurs en chef adjoint de la rédaction qui était là, et je lui demande, on était littéralement en train d'attendre, parce qu'en fait il y a le bouclage, c'est qu'il y a qu'à demander de vous envoyer le journal. Et je me disais, mais qu'est-ce qui se passe si c'est le 11 septembre, là maintenant, tout de suite ? Et lui me répond qu'effectivement il serait un peu embêté si c'était là maintenant tout de suite. Il me décrit la procédure qu'il ferait à ce moment-là pour rappeler tout le monde, etc. Et là il ajoute, vous savez c'est quand même rare qu'un événement surgisse comme ça sans prévenir. et se surgissent comme ça sans prévenir ça m'a vraiment intrigué et en fait je me suis rendu compte qu'ils avaient des mécanismes de prévision assez forts dans la rédaction que par exemple par exemple c'est pas qu'il va gagner l'élection présidentielle américaine mais on sait que ça sera vraisemblablement ou bien Trump ou bien Biden et donc en fait on peut faire le portrait qui généralement sera publié le lendemain sur deux pages de l'avis du président on peut le préparer à l'avance on sait qu'il y a des agendas qui traînent, on sait que c'est un peu plus l'ouverture du salon de l'auto à un certain moment de l'année. Donc il va falloir envoyer quelqu'un là-bas. Mais si on y va, c'est pour parler de quoi ? Est-ce qu'on y va pour parler, par exemple, de la voiture électrique ? Parce que c'est l'un des sujets du moment. Donc il y a toute une série de démons de préparation.

  • Speaker #1

    On peut anticiper.

  • Speaker #0

    Exactement. Et la deuxième manière dont la prévision arrive parmi les objets de recherche, c'est en fait le contexte post-2008, la crise de 2008, la crise des subprimes, qui en fait évolue à un moment donné pour devenir la crise des dettes souveraines. Et je me souviens, à un moment donné, c'était un été, et que le standard de la course dégrade la note américaine. Et en fait, qu'est-ce que ça dit de la capacité future de l'État américain à rebrosser ses dettes ? Qu'est-ce que ça dit des taux d'intérêt que vont rencontrer les Américains à terme ? Et je me rends compte que pendant ces périodes de crise, les discours sur le futur sont absolument partout. Et donc je me rends compte que c'est un moyen d'aborder l'incertitude qui est différent de ce que j'ai fait jusque-là. qui me permet d'aborder des gens qui gèrent l'incertitude non pas pour eux-mêmes, comme le font les rédactions de presse ou les comédiens, mais pour d'autres, parce que les prévisionnistes ne gèrent pas l'incertitude pour eux, mais pour d'autres. et par ailleurs j'avais été formé en économie et c'était un sujet qui m'intéressait et par ailleurs un sujet important de l'époque et donc pour revenir à votre question désolé ça a été extrêmement long mais comment gérer ces données là en fait de mon côté je me suis toujours attaché dans tout mon parcours de chercheur à manipuler autant que possible des données différentes c'est à dire des données ce qu'on appelle des données quantitatives et des données qualitatives je dis ce qu'on appelle ce qui à mon sens c'est plutôt des approches qualitatives et des approches quantitatives on peut faire ce qu'on appelle du quanti quantique avec des sources textuelles, avec des archives, ça typiquement c'est ce qu'on appelle les méthodes d'analyse textuelle qui sont extrêmement nombreuses. On peut également faire du qualitatif avec une base de données en s'interrogeant sur les conventions qui sont derrière, etc. Quelque chose par exemple à l'un des rosiers. Je dirais plutôt des approches quantité-vie, approche qualitative. De mon côté, j'ai toujours essayé de mobiliser ça ensemble, c'est en faisant des entretiens. En utilisant des grosses bases de données, par exemple dans le cas de la prévision, je gère une base de données qui ressemble, si je ne me trompe pas, au dernier compte, environ 40 000 prévisions, en faisant des observations ethnographiques, en traitant les archives, c'est autant de points de vue différents sur le même objet. Donc pour moi, la question de gérer ces données économiques, c'est juste une nécessité pour la recherche. Oui,

  • Speaker #1

    c'est ce croisement d'informations qui vous... permet d'affiner ou d'analyser les données ?

  • Speaker #0

    Exactement. D'un côté, on a, avec les approches quantitatives, quelque chose qui est effectivement une puissance d'objectivation, qui est vraiment, vu de ma fenêtre, inatteignable pour les approches qualitatives. Mais avec les approches qualitatives, on a quelque chose qui rend beaucoup mieux compte des mécanismes, qui se déroulent parfois un peu à bas bruit, et dont ces données quantitatives, elles ne peuvent que rendre le résultat final, pour le dire comme ça.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, finalement, je vais vous poser la question qu'on a tous en tête. Comment évaluer ce qui n'est pas pas mesurable, ce qui n'est pas prévisible, puisqu'en fait, on parle quand même de prévision. Donc, comment fait-on ? Et puis, autre question, mais à quoi servent ces prévisions, concrètement ?

  • Speaker #0

    Oui, alors effectivement, ce sont les deux questions auxquelles on pense assez spontanément quand on est sur ce secteur-là. Alors pour aborder la première, comment on mesure ce qui n'est pas mesurable au fond ? Alors il n'y a pas que les privilégionnistes qui le font. Dans le cas des privilégionnistes, c'est flagrant qu'ils mesurent ce qui n'est pas mesurable parce qu'ils travaillent sur le futur. Mais en fait, c'est le cas d'un peu tous les économistes. Au sens où les économistes manipulent des conseils qui sont très abstraits. Le PIB ça n'existe pas vraiment, c'est une convention comptable. Le PIB potentiel, qui est donc le PIB que pourrait atteindre une économie dans une situation particulière, qui serait globalement une situation de plein emploi, c'est un concept abstrait dans des conditions abstraites. Donc mesurer ce qui n'est pas mesurable, c'est le pain quotidien de l'économiste. Mais ceci étant, ça pose quand même des vrais enjeux à un moment donné. Et donc, comment on fait première méthode ? Il y a en fait ces conventions qui existent et qu'on utilise. Donc le PIB c'est ça, l'inflation c'est ça. L'inflation ça n'existe pas dans la nature, mais voilà, il y a une mesure sur laquelle on est d'accord. On peut avoir des débats sur la manière de la mesurer, mais par contre sur la définition de ce qu'est le PIB ou de ce qu'est l'inflation, on est d'accord. Mais il y a effectivement parfois des effets pour mesurer des choses pas mesurables qui ont été extrêmement frappantes pendant le confinement, durant la pandémie en 2020. Parce qu'en fait, c'est un moment très particulier de l'histoire économique récente. Pas tant la pandémie en tant que telle que le confinement. En fait, le confinement, les restaurants sont fermés, les magasins sont fermés. L'activité économique est réduite. Les théâtres sont fermés, tout est fermé. Et en fait ça a créé une situation économique assez particulière, puisqu'en fait c'est un moment où les économistes ne comprennent littéralement pas, et donc les prévisionnistes, ne comprennent littéralement pas ce qui se passe, parce qu'en fait c'est un moment où les lois ordinaires de l'économie ne s'appliquent plus. Et très concrètement, quand les lois de l'économie ne s'appliquent plus, c'est qu'en fait pour l'une des lois de l'économie, c'est que la consommation correspond au niveau de revenu, qu'elle suit le niveau de revenu. Quand les revenus augmentent, on va consommer plus, quand les revenus baissent, on va consommer moins. Et en fait, durant le confinement, on se retrouve dans une situation où la consommation s'effondre, alors que les gens n'ont pas supplié de perte de revenus, pour une raison extrêmement simple, qui est qu'en fait, c'est fermé. On aurait bien aimé consommer davantage, mais il n'y a pas la possibilité de le faire. Et donc, comment on fait pour mesurer cette espèce de perte de la consommation liée au confinement ? Sachant que par ailleurs, comme précisément c'est fermé, les données économiques ordinaires ne remontent pas. Et que par ailleurs, le confinement c'est une situation qui est extrêmement inhabituelle, et donc qui suppose d'avoir des données plus fréquentes pour la mesurer en temps réel que d'habitude. Les données économiques, généralement, c'est publié par l'INSEE par exemple tous les trimestres. Et là en fait, il faudrait plutôt des données hebdomadaires. Donc il faut les trouver et trouver un moyen aussi de les traiter.

  • Speaker #1

    Toutes ces conditions étaient totalement inédites.

  • Speaker #0

    Exactement. Et c'est un moment, pour le sociologue que je suis, assez extraordinaire. Parce que ça a été un moment de très grande innovation de la part des prisonniers pour trouver de nouvelles mesures en utilisant, par exemple, certains ont utilisé les indicateurs de bruit. pour avoir une idée de l'activité dans la ville. Les gens ne prennent plus leur voiture, ça veut dire qu'ils ne vont plus au travail. Et on le sait parce qu'en fait, bêtement, il y a moins de bris dans les rues de Paris, par exemple. On va regarder les données de cartes bancaires. C'est pratique de ce point de vue-là, parce que pendant le confinement, l'argent liquide a disparu, n'est jamais réellement revenu, j'ai l'impression. Et en fait, du coup, toutes les transactions se faisaient par cartes bancaires, qui du coup permettait de voir, tiens, quels secteurs de la consommation sont plus ou moins touchés, quels autres sont plutôt moins touchés. d'autres indicateurs encore, j'en passe et des meilleurs, et en fait il y a eu un moment pour essayer de mesurer la perte d'activité au bout du compte qui était impliquée par le confinement. Qu'est-ce que ça représente comme point de PIB perdu qu'un jour de confinement ? Donc quelque chose qui n'est effectivement pas mesurable puisqu'en fait c'est un raisonnement qui est un peu contrefactuel, qui est un raisonnement assez classique en économie aussi, qui est par rapport à la situation normale, on est X points de PIB en dessous. Et pour répondre à votre deuxième question, je me suis rendu compte qu'il y avait une deuxième question, effectivement, qui était à quoi servent ces prévisions ? Et en fait, pour le dire très très rapidement, ça m'a armé les décisions. Parce qu'il y a par exemple, tous les ans, le gouvernement, à l'automne, sort un document qui s'appelle le projet de loi de finances, qui décrit les recettes et les dépenses de l'année à venir. Et en fait, ces recettes et ces dépenses de l'année à venir, elles sont assises sur un certain nombre d'hypothèses. Il y a des hypothèses qui concernent le futur de l'économie. Quelle va être la consommation des ménages ? quel va être le niveau de l'emploi l'année prochaine, quelle va être la situation économique des grands pays libitrophes avec lesquels nous avons des relations commerciales, etc. Et donc, toutes ces hypothèses-là, en fait, elles sont importantes parce qu'elles définissent pour partie les recettes et les dépenses qui vont être faites. Par exemple, la consommation des ménages, c'est de la TVA. Et donc, c'est une recette fiscale. qui peut servir après à financer tel ou tel programme de politique sociale, par exemple, qu'on voudrait financer. Et donc pour cette raison-là, en fait, la prévision est utile pour les enjeux de décision. Le problème, effectivement, c'est que vous ne savez pas de quoi demain sera fait, au sens propre, qu'il faut quand même prendre une décision aujourd'hui, par exemple, quand on a un gouvernement, mais également un ménage, également une entreprise, etc. Et qu'en fait, vous ne savez pas de quoi demain sera fait, et qu'en fait, il faut essayer d'avoir une vision... crédible, pour le dire comme ça, ou en tout cas suffisamment convaincante, de à quoi demain va peut-être bien ressembler pour pouvoir décider de l'allocation de ressources diverses et variées.

  • Speaker #1

    Est-ce que vous avez en tête une prévision qui a eu un impact fort justement sur les économies, si on parle à nouveau des états ?

  • Speaker #0

    Ah ben là, il y en a assez régulièrement. Non mais très sincèrement, il y en a assez régulièrement parce que, pour le dire comme ça, ce qui est intéressant c'est que souvent les prévisions qui ont un impact fort sont les prévisions ratées. des prisons ratées, c'est-à-dire que il ne s'est pas passé ce qui était prévu.

  • Speaker #1

    Vous avez des cas en tête ?

  • Speaker #0

    Là, il y a un cas tout à fait récent qui date d'il y a quelques jours ou quelques semaines, fin mai, si je ne me trompe pas. Donc nous enregistrons début juin. Et en fait, il y a eu une décision de Standard Poor's de dégrader la note française exactement ce que j'évoquais précédemment à propos des Etats-Unis, quelques années plus tard. Et en fait, Standard Poor's a dégradé la note française pour la passer de AA+, à AA. Ce qui désigne une mesure de la capacité de l'État prêté à l'État français de rembourser ses emprunts souverains. Et donc, et qui est réputé, j'ai bien réputé, avoir un effet sur les taux d'intérêt auxquels la France va emprunter par la suite. Donc une décision qui impacte le futur assez fortement. Donc déjà, c'est une décision qui a à voir avec le futur. Aura-t-elle un impact sur les taux d'intérêt ? Je ne sais pas. Elle est réputée en avoir un, parfois ça n'est pas toujours observé. Mais ce qui est plus intéressant en fait, c'est que cette décision de Scandale Imposte de dégrader la note française. En fait, elle est venue après une autre annonce du gouvernement français concernant le déficit. C'est qu'en fait, le déficit pour 2023 était prévu à 4,9 milliards d'euros. Et en fait, il a été à 4,9%. Et en fait, il s'est avéré être à 5,5%. Donc, il y a un écart de 0,6%. Quand on sait le montant du PIB, c'est une somme qui n'est pas tout à fait anodine. Et donc, en gros, une erreur de prévision concernant le montant du déficit, qui était en fait liée également à une erreur de prévision concernant les recettes fiscales. On en revient là. Et donc, en fait, une erreur de prévision concernant les recettes fiscales à hauteur de 20 milliards. et également d'une prévision révisée à la baisse de croissance pour 2024. Donc pour résumer le schéma, on va être d'un côté des recettes fiscales sous-évaluées, moins que prévues, un déficit plus élevé que prévu, et une croissance pour l'année à venir révisée à la baisse. Donc ces trois éléments-là sont la justification pour Standard Poor's de dégrader la note française. Donc on se retrouve dans un cas assez classique finalement d'erreur de prévision. Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est que quand le gouvernement français annonce Ce déficit plus élevé que prévu, il l'associe instantanément à une décision de réduction de certaines dépenses. Donc on voit à nouveau le lien entre prévision et décision. Et comment dès lors, l'erreur de prévision va entraîner une nouvelle décision qui consiste là très concrètement dans une coupe budgétaire. Mais ce qui est encore plus intéressant à certains égards, c'est qu'une autre justification pas spontanée de sa décision. à la trajectoire de réduction du déficit de la France jusqu'à 2027, la fin du quinquennat. Le gouvernement français dit que la trajectoire du déficit en 2027 nous amène en dessous des 3% prévus par les traités européens. Et son annuaire de pause dit que nous ne pensons pas que cette trajectoire sera suivie et que les déficits seront en dessous de 3%. Donc là, ce sont deux discours sur le futur qui s'affrontent. en 2024 concernant 2027 au fond et la question étant lequel des deux va être non pas vrai en fait c'est pas ça vraiment la question mais lequel des deux va être le plus convaincant et donc c'est vraiment un cas tout à fait remarquable et comment lequel des deux va être le plus convaincant ça je ne sais pas non d'accord

  • Speaker #1

    Alors, dernière question que je pose à chacun de mes invités. Selon vous, quelle est la place du sociologue aujourd'hui dans notre société ? Et puis on peut même aller au-delà. Quelle place devrait-il ou devrait-elle prendre aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    C'est une question qui est un peu délicate, mais en tout cas, me semble-t-il, les sociologues n'ont pas la place qui devrait être la leur, on pourrait dire comme ça. Par exemple, dans le débat public ou dans la manière dont ils sont convoqués. En fait, me semble-t-il, quand on convoque un sociologue, souvent, c'est au titre de ses enquêtes. Les enquêtes sont évidemment très importantes dans la sociologie, on est bien d'accord. Mais malgré tout, les sociologues ne sont pas uniquement des collectionneurs de faits empiriques. Pour dire comme ça, par exemple, quand on entend souvent un sociologue invité à la radio, c'est au titre de vous avez fait une enquête sûre, racontez-moi ce monde-là Un peu comme un espèce de reporter qui bénéficierait du temps long, donc ne bénéficie pas toujours les journalistes, mais qui, au fond, remplirait une fonction à peu près similaire. Finalement... Et c'est par exemple très très apparent, quand on regarde la manière dont certains courant de l'économie, je pense par exemple à l'économie comportementale, que j'ai eu l'occasion d'étudier avec quelques collègues du CSO.

  • Speaker #1

    Oui, ce qui a fait l'objet d'un livre,

  • Speaker #0

    le biais comportementaliste,

  • Speaker #1

    absolument.

  • Speaker #0

    Et en fait, parfois, quand les économistes comportementaux prétendent collaborer avec des sociologues, c'est en fait pour que les sociologues apportent des petits faits empiriques. qui vont être inclus dans un modèle économique. Et ce qui, dès lors, oublie complètement le fait que la sociologie, c'est aussi un point de vue, c'est aussi un ancrage théorique, et que, me semble-t-il, par exemple, si on prend les questions de prévision économique, un regard sociologique sur ces questions-là peut apporter un éclairage différent, mais tout aussi pertinent. que celui d'autres disciplines et en particulier de l'économie. Par exemple, vous évoquiez la dégradation de la note française parce qu'on avait une pause. Lors de la révélation de l'annonce que le déficit était plus élevé que prévu, le ministre Bruno Le Maire avait déclaré que la prévision de déficit n'est pas d'une science exacte. Disant ça, en fait, ce qu'il visait, c'était les enjeux de marge d'erreur, un problème purement statistique, au fond, ou purement économétrique. Et, me semble-t-il, il y a d'autres manières d'envisager cette question-là que purement économétrique. Et, par exemple, se poser la question de comment se fait-il ? que, par exemple, ces erreurs de prévision arrivent, mais en le replaçant d'un point de vue institutionnel, organisationnel, collectif, en somme, peut produire un éclairage vraiment différent, mais vraiment pertinent sur ces questions-là. Donc, il me semble-t-il, quelque chose dont il faudrait se rappeler, c'est que c'est également un point de vue, ce n'est pas juste une collection, ce n'est pas juste un travail empirique.

  • Speaker #1

    Oui, je comprends. Très bien. Bon, merci Olivier. C'était le podcast Objet trouvé du CSO. Si vous avez aimé cet épisode, abonnez-vous sur votre plateforme d'écoute préférée et faites le savoir autour de vous.

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