- Speaker #0
Je suis Frère Joseph, moine au monastère Ski de Sainte-Foy, dans les Cévennes.
- Speaker #1
Très bien, je suis enchantée de faire cette interview avec vous.
- Speaker #0
Et bien moi aussi, Emmanuel.
- Speaker #1
Je vous ai demandé d'amener une photo de vous quand vous étiez enfant. Qu'est-ce que vous avez choisi comme photo ?
- Speaker #0
Alors j'ai choisi une photo quand j'avais 9 ans, une photo qui est presque un peu comme une photo d'identité.
- Speaker #1
Ah oui, je vois. Si vous regardez ce petit enfant, il est mignon. Comment vous le trouvez ?
- Speaker #0
Je le trouve mignon, oui.
- Speaker #1
Vous vous reconnaissez ?
- Speaker #0
Pas vraiment, en réalité.
- Speaker #1
Pas vraiment ?
- Speaker #0
Pas vraiment, mais je le trouve mignon, oui.
- Speaker #1
Il est où cet enfant en vous aujourd'hui ? Des sensations quand vous regardez cette image, si vous plongez un peu dedans, si vous vous reliez à lui ?
- Speaker #0
Oui. Alors quand je vois son regard très ouvert, je retrouve tout à fait mon tempérament qui est d'être émerveillé un peu partout, et très curieux. J'ai une curiosité insatiable, je pense que je l'avais aussi enfant, et une capacité d'émerveillement très grande. C'est ce que je ressens.
- Speaker #1
On le sent, c'est vrai, on le voit dans la photo. Vous vous souvenez de ce qui vous émerveillait à l'époque ?
- Speaker #0
Alors excusez-moi, ça m'émerveille toujours. Ce qui m'intéressait le plus à l'époque, c'était les voitures.
- Speaker #1
Ce qui roule.
- Speaker #0
C'est toujours le cas, oui, toutes les machines en fait. C'est toujours le cas aujourd'hui en fait, je n'ai pas changé du tout de goût. Alors c'est un petit peu décalé pour un moine de s'intéresser aux machines ou aux voitures, mais je continue à regarder les voitures. Et quand j'étais enfant, quand j'avais 9 ans en voiture, je pense que je ne regardais pas tant que ça. le paysage, mais je regardais plutôt les modèles de voitures qu'on croisait, leurs marques. Je connaissais à peu près tous les modèles, je pense, à l'époque. C'est moins le cas aujourd'hui.
- Speaker #1
Et cette curiosité pour les voitures, enfant, ça vous faisait quoi ? C'était parce que ça roulait, parce que c'était pour aller vers quelque part, ça a été une liberté ?
- Speaker #0
Alors je pense que les machines, déjà à l'époque, C'était un peu comme un animal. Par exemple, j'avais un seul travail que je faisais même déjà à 9 ans, c'était de passer l'aspirateur, qui était une machine. Et cet aspirateur, qui était un aspirateur traîneau, c'est ce qu'on dit avec un...
- Speaker #1
Un traîneau.
- Speaker #0
Un traîneau, avec un tuyau que je pouvais donc tirer. C'était vraiment un peu comme une machine, comme un animal, pardon. Et c'est plutôt ça qui m'animait. J'aime beaucoup les animaux. Déjà à l'époque, j'aimais beaucoup les animaux, on y reviendra. Et c'est un peu comme un animal. Je ne vois pas la machine comme un instrument, par exemple, de pouvoir, comme beaucoup d'hommes, voire même sexuel, de domination, pour impressionner. Non, c'est vraiment un animal. J'ai beaucoup joué aux petites voitures, c'était mon jeu principal, et je jouais avec l'aspirateur. Et encore aujourd'hui, j'aime bien passer l'aspirateur.
- Speaker #1
Animal et machine, je ne vois pas trop le lien. Vous pouvez me préciser ? Oui,
- Speaker #0
alors c'est quelque chose qui n'est pas du tout monastique, là aussi, c'est que moi je donne même un nom à mes machines. La machine qui me sert à débroussailler...
- Speaker #1
Vous humanisez la machine, en fait ?
- Speaker #0
Oui, je ne l'humanise pas dans le sens que ce n'est pas un humain, mais je lui donne quand même un nom, et c'est original. Ce n'est pas très monastique non plus. J'ai déjà eu des retraitants qui sont venus qui m'ont dit « Attendez, un moine orthodoxe, il ne doit pas donner un nom à une machine. » Je vais me donner un nom à mes voitures successives.
- Speaker #1
Donc le fait de nommer, c'est créer une relation. Oui. Et donc, enfant, vous créez des relations privilégiées, comme besoin de faire du lien, en fait, avec une machine, avec une petite voiture, avec d'autres choses ?
- Speaker #0
Alors, bien sûr, avec les animaux qu'on a eus, et surtout les chiens qu'ont eu mes parents. Et j'ai toujours beaucoup aimé les chiens. C'est un animal un peu privilégié pour moi. Je me suis même senti souvent chien. Il m'est déjà arrivé de mordre un chien qu'il avait mordu. Enfin, qui m'avait pincé.
- Speaker #1
Enfant ?
- Speaker #0
Enfant. Un chien qui me pince, je voudrais bien le pincer, moi aussi. J'avais une relation un peu comme un chien, donc j'aime beaucoup les animaux. Et aussi au monastère, ça me suit. Donc, de même que je continue à m'intéresser aux voitures et à aimer les voitures que j'ai, qu'à le monastère, ou les machines que nous utilisons, je m'intéresse beaucoup, on n'a plus de chiens malheureusement, mais au champ des oiseaux, aux oiseaux en général. À les observer, à connaître le nom de leur espèce. leur type de chant, un petit peu leurs mœurs, des oiseaux qui sont dans le monastère, toujours pareil, ceux avec qui je suis en relation. C'est pas théorique. J'ai rencontré des perroquets qui m'ont beaucoup touché, mais je n'ai pas du tout creusé comment vivait un perroquet. En revanche, j'ai vraiment creusé comment vit un rouge-queu, un rouge-gorge, une mésange bleue, une mésange charbonnière, un mycithel-tarchepot, vous voyez, tous les animaux que nous croisons sans arrêt au monastère, et qui nous connaissent d'ailleurs tous très bien, c'est sûr, et qui nous reconnaissent même.
- Speaker #1
Donc quand on regarde cette photo de frère Joseph, enfant, Avec cette curiosité, cette innocence de regard, quand vous replongez dans cet environnement de nommer, de créer du lien avec des objets, d'aimer les animaux, est-ce que vous arrivez à aujourd'hui voir à quel moment ça se manifeste, au-delà de créer du lien avec les oiseaux comme vous avez dit ? Comment il vit en vous aujourd'hui ce petit garçon-là ? A quel moment vous le sentez qu'il est vivant ?
- Speaker #0
Dans ma capacité, comme je vous l'ai déjà dit, d'émerveillement, même face à une toute petite bestiole, à une larve de hanneton. C'est impressionnant une larve de hanneton, c'est presque appétissant.
- Speaker #1
Une larve de hanneton ?
- Speaker #0
Oui, c'est gros, c'est ce que mangeait Sanglier beaucoup. Il a l'orçat d'ailleurs. Il y en a plein ici, j'ai entendu. Et donc c'est gros comme un... Quelquefois même quand c'est une belle, belle larve, c'est un gros, en tout cas comme de phalange. On sent que ça peut se manger. et bien moi comme enfant je suis là, je suis émerveillé je suis complètement époustouflé par la nature quelle qu'elle soit, la plus humble nature, même une larve un petit ver de terre je suis complètement émerveillé par la capacité qu'un ver de terre a sa manière de s'enrouler et c'est en cela que je pense que je suis complètement connecté à ce petit enfant que je suis toujours je suis plus un petit enfant je pense Il y a des personnes qui restent toute leur vie un peu adolescentes. Moi, je crois que je reste plutôt toute ma vie un peu enfant. Plutôt un enfant de moins de 10 ans.
- Speaker #1
Comment ça se passe de garder cette âme d'enfant, cette capacité à s'émerveiller, avec quand même une discipline, une dureté du quotidien, une gestion de la connaissance, de toute la maturité d'adulte que vous avez, et toute l'expérience aujourd'hui que vous avez ? Comment on marie ces deux choses-là ?
- Speaker #0
Eh bien, je pense qu'enfant, j'étais quand même sérieux et assez discipliné.
- Speaker #1
Donc déjà adulte.
- Speaker #0
Et donc du coup, adulte, je continue à être assez discipliné et quand même assez sérieux. En fin de compte, pour moi, ce n'est pas antinomique. Je pouvais même avoir des sentiments de responsabilité, même vis-à-vis de mes parents. Ça m'est arrivé.
- Speaker #1
Quand vous étiez enfant, vous vous sentiez responsable de vos parents ?
- Speaker #0
Ça m'est arrivé. Je vais vous donner un exemple. qui m'a beaucoup pesé. Et puis, en fin de compte, après, avec un recul, j'ai pensé que ce que j'avais fait était bien. Mais à l'époque, ça m'avait été très lourd. C'est qu'on avait un chien que ma mère promenait dans le bois de Vincennes, c'était à Paris, et puis elle l'avait lâché, et puis manque de chance, c'est un vélomoteur qui a horté le chien. Et ma mère, au lieu d'attraper le chien d'abord, elle a voulu aussi attraper le chat d'un vélomoteur, s'interposer, voilà. Et du coup le chien s'est enfui, il était blessé mais il s'est enfui. Il s'est enfui et puis il a traversé le bois de Vincennes, il a traversé une route, il s'est fait écraser. Et là, il était vraiment blessé grièvement. Donc il a fallu le faire piquer. Et ce que j'ai fait à l'époque, comme je savais que ma mère serait très très inquiète pour mon propre ressenti de cette situation, de perdre mon chien, j'ai montré aucune émotion, enfin le moins possible. Le moins possible d'émotion.
- Speaker #1
Pour ne pas gêner votre mère.
- Speaker #0
Pour ne pas que ma mère soit encore en plus devant son petit en train de pleurer parce qu'il a perdu son chien, alors qu'elle se sentait responsable. Donc je n'ai montré aucune émotion et je pense que j'avais 7-8 ans. Donc à 7-8 ans, bien sûr, on est sérieux, moi je pense, et on peut se sentir responsable et choisir de ne pas exprimer d'émotion autant que possible pour ne pas rajouter encore de la peine à ma mère qui elle, se sentait complètement coupable d'avoir pas su gérer notre pauvre chien. C'est un exemple pour vous.
- Speaker #1
Je vois très bien.
- Speaker #0
Et de donner de...
- Speaker #1
Oui, oui, donc en fait, il y a une maturité quand même et déjà une posture de protégée. porter la souffrance que pourrait ressentir l'autre ?
- Speaker #0
Je pense en chaque enfant, beaucoup d'enfants ça je suppose en tout cas. En tout cas pour moi c'est évident, il y a d'autres moments de ma vie comme ça, c'était évident.
- Speaker #1
Vous avez ce sentiment là encore aujourd'hui de devoir vous abstraire de ressentir pour épargner l'autre ?
- Speaker #0
Alors je pense que oui, je pense que ça doit m'arriver. Je ne suis pas exceptionnellement altruiste du tout. Mais parce que je peux aussi ne pas du tout avoir ressenti le besoin de l'autre ou son vrai sentiment évidemment, par manque d'altruisme. Mais je pense que oui, c'est tout à fait identique. Je ne vois pas tellement de différence entre ce petit enfant et moi aujourd'hui, quel que soit le plan.
- Speaker #1
Du coup, quand vous le regardez, est-ce qu'il est fier de ce que vous avez fait de vous ?
- Speaker #0
Ah, ce petit enfant ? Je pense qu'il est assez neutre. Il a fait ce qu'il a fait, tout simplement. Je pense qu'il est assez neutre. Je pense que je suis assez neutre sur ma vie. Je la trouve pas particulièrement noble, ni belle, ni... je crois pas avoir fait grand-chose. J'ai essayé de faire ce que j'avais à faire, en quelque sorte. Et ce que je pensais avoir à faire au moment, à chaque moment, plus ou moins bien. Voilà, c'est tout, tout simplement. Je pense qu'il serait neutre, comme je le suis aujourd'hui d'ailleurs.
- Speaker #1
Neutre ? Ça veut dire quoi être neutre ?
- Speaker #0
C'est-à-dire ne pas entrer trop dans une émotion, ni dans un regret, ni dans une aspiration à autre chose, de vivre ce que j'ai à vivre au moment présent, autant que possible. Et bien sûr maintenant, ce qui n'était pas le cas quand j'étais enfant, parce que je n'avais reçu aucune éducation religieuse. Maintenant toujours, en essayant, en étant enfant j'essayais d'écouter plutôt mes impulsions, d'écouter mon cœur en quelque sorte. Et puis aussi ce que me demandait la société quand même, déjà enfant. Et puis maintenant j'essaie d'être à l'écoute du plus profond de moi, de plus profond. Mais peut-être qu'en fin de compte je mets un autre mot, mais que je suis à l'écoute de mon cœur autant que je peux aujourd'hui, et que j'étais aussi à l'écoute de mon cœur autant que je pouvais à l'époque. Là aussi je ne sens pas vraiment de grande différence.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a une nuance entre écouter son cœur et écouter son besoin ?
- Speaker #0
Ah oui, alors la nuance est énorme parce que quand on écoute son cœur profond, on fait souvent des choses, on est appelé du moins, on n'écoute pas forcément cet appel, mais étrangement notre cœur profond il nous appelle, donc je pense bien sûr que c'est... la personne que j'appelle Dieu, qui nous appelle à travers notre cœur, au plus profond de nous, nous appelle toujours à faire des choses, enfin pas toujours, souvent, à faire des choses qui ne sont pas si confortables que ça. La vie dans un monastère, par exemple, n'est pas si confortable qu'on pourrait l'imaginer. Et donc ça me fait traverser des choses qui sont assez inconfortables, de manière assez sereine, je pense. C'est en cela que... que je pense que j'écoute toujours autant que je peux à mon petit niveau mon cœur. Mais quelquefois je ne réponds pas à l'appel si ça me paraît trop inconfortable. Ça arrive.
- Speaker #1
Donc il y a une forme de négociation tranquille, un dialogue intérieur entre... Comment ça se ressent ? C'est un degré vibratoire ? Comment on voit les couches entre un appel...
- Speaker #0
Superficiel ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Qui en fait compte souvent un désir, une sorte de pulsion,
- Speaker #1
une réaction, un automatisme.
- Speaker #0
Une peur, un automatisme, voilà. Ça se ressent quand on est, d'abord il faut être relativement apaisé pour le ressentir intérieurement, et puis je pense que ça ne se ressent pas sur le moment, ça se ressent dans les conséquences. C'est-à-dire que si c'est un appel du cœur profond, après on est toujours apaisé, on n'est pas dans le trouble. Ce n'est pas de moi, ce n'est pas une constatation que j'ai faite, mais c'est aussi ce que disent les pères de l'Église ou les moines, c'est que quand on a suivi les impulsions profondes de notre cœur, ensuite les actes qu'on commet en suivant ces impulsions profondes nous mettent en paix, on n'est pas du tout dans un trouble. C'est pour ça qu'ils parlent souvent, les moines, de saveurs d'ailleurs. Parce qu'on peut répondre à l'appel, nous on croit, de puissances, comment les appeler, obscures, et de tentations. Et si on répond aux tentations, si on répond à ces puissances obscures, et bien on est justement dans le trouble, on est divisé intérieurement. Au contraire, si on répond à notre cœur profond, on est en paix.
- Speaker #1
C'est intéressant parce que ça voudrait dire que finalement le cœur est un peu un baromètre vibratoire. Si c'est juste, c'est tranquille, et si c'est pas juste, ça s'agite.
- Speaker #0
Oui, c'est troublé, c'est pas si simple, ça paraît. C'est une écoute, quoi. Les choses sont compliquées, notre décision est compliquée. Ça se sent, c'est une saveur différente, mais on sent quand même que c'est compliqué. On se dit je dois faire telle chose, mais c'est quand même un peu compliqué.
- Speaker #1
Par exemple, quand je vois autour, là dans le monastère, vous avez beaucoup œuvré le jardin esplendide, les murs de pierre... Ça vient d'un appel ? Comment vous décririez toutes les œuvres qui aujourd'hui manifestent une telle beauté dans ce lieu que vous avez fait ?
- Speaker #0
Il y a deux choses. La beauté du lieu dans lequel nous sommes, le Ski de Sainte-Foy, son harmonie, vient d'abord d'un regard qui n'est pas le mien. C'est le regard du frère Jean, qui est le fondateur du monastère. Ce n'est pas le mien et je pense qu'il faut un seul regard. Dans ma vie j'ai toujours observé que quand quelque chose est très harmonieux, même homogène dans l'erreur, même l'erreur est harmonieuse en quelque sorte, c'est parce qu'il y a un seul regard. Moi je suis informaticien de profession et je me rappelle qu'au niveau informatique, quand on crée un logiciel, c'est mieux qu'il y ait un seul architecte global. Du coup le logiciel peut même être homogène dans l'erreur ou dans l'imperfection plutôt que dans l'erreur.
- Speaker #1
Il y a une logique.
- Speaker #0
Il y a une harmonie dans l'imperfection. Et là, l'harmonie du lieu vient vraiment du regard du frère Jean, qui a un regard très artiste. Moi, par contre, comme je vous ai dit, j'aime les machines, j'aime les animaux, j'aime la relation aux pierres, aux choses, mais je ne me préoccupe pas tant que ça de l'harmonie globale. C'est l'œuvre du frère Jean. Et par contre, dans ma relation... Quelle était votre question ? Vous pouvez revenir, parce que j'ai un peu dévié.
- Speaker #1
C'est pas grave, c'est ça, c'est-à-dire le fait de, quand même, d'accord, c'est l'harmonie du frère Jean, ce lieu avant tout, mais néanmoins, les murs en pierre, par exemple, c'est vous qui les avez faits.
- Speaker #0
Prenons l'exemple des murs en pierre, qui rejoint ce que je vous ai dit sur les coudes du cœur. Si je suis en train de faire un mur à pierre sèche, alors la caractéristique des murs à pierre sèche, c'est un travail que je fais un peu moins parce que j'ai une moins bonne santé, mais donc les murs à pierre sèche tiennent des terrasses de terre, donc c'est un... construire un empilement, comme vous avez dit d'ailleurs dans votre visite, un empilement de pierres qui fait à la base peut-être 80 cm, 1 mètre, et en haut un peu moins, ça peut être 60 cm, et ça peut être un mur de 3 mètres. À ce moment-là, il faut que la base soit plus large. Moi, je fais seulement des petits murs, pas plus de 2 mètres, en général. Et la caractéristique de cet empilement, c'est qu'il sert à tenir la terre, à construire, à bâtir une terrasse. Ce qu'on bâtit, ce n'est pas le mur, en fait, c'est une terrasse de terre, parce que... Dans le monastère, la nature autour de nous, les cévennes du terroir de Chisteuse, ce ne sont que des éboulis de pierres et de terre. On ne pourrait pas y faire pousser des arbres, et en particulier surtout pas des châtaigniers, ni des fruitiers, ni cultiver tellement, c'est que des éboulis. Donc il fallait rassembler les pierres et apporter de la terre, souvent d'alluvions, des rivières. Et ce qui a été fait, c'est un travail colossal, formidable, qui a été fait dans toutes les cévennes depuis des siècles et des siècles. Et donc ce mur sert à tenir la terre. Et donc c'est un travail traditionnel. Et j'ai observé que les travaux très traditionnels anciens demandaient toujours la même, il me semble, la même qualité. C'est pour que le mur soit harmonieux, il faut que pendant le processus de fabrication du mur, pendant que je le construis, je sois moi-même dans un état intérieur paisible, et que j'écoute mon cœur, une fois encore. Et il y a un état... Très rare, alors là c'est le sommet qui est très rare, c'est quand on sent, qu'on écoute tellement son cœur que les pierres nous appellent. C'est-à-dire que la pierre me dit, moi j'ai besoin d'être là. Et vous prenez la pierre, vous la posez.
- Speaker #1
Et elle va pile au bon endroit.
- Speaker #0
Pile. Une autre pierre vous appelle, vous la prenez, vous la posez. Ça marche. Une autre pierre, vous la prenez, vous la posez. Et puis il y a un moment dramatique, alors tragique, c'est que vous commencez à penser que ça marche. Et vous dire tiens ! Je suis dans cet état qui fait que ça marche. Et paf, ça s'écroule.
- Speaker #1
Donc c'est bien la leçon, dès qu'on s'approprie une création, elle se demande à être renouvelée.
- Speaker #0
Oui, et du coup, je n'écoute plus vraiment mon cœur, et je suis troublé. Alors peut-être que je suis pressé, je veux finir, je commence à être fatigué, je commence à m'énerver éventuellement. Eh bien, ça va se ressentir dans le mur. C'est que dans le mur, je verrai une partie où j'étais vraiment à l'écoute de mon cœur, en paix avec moi-même, comme ce petit enfant. Et puis des parties où j'étais plus troublé, pressé, et ça se voit tout de suite.
- Speaker #1
Comme la calligraphie un peu.
- Speaker #0
Oui, comme tout art traditionnel je pense, j'espère, je suppose. Et dès qu'on utilise du ciment, par exemple, là on sort complètement de cette logique, parce qu'on se met à écouter un niveau. maintenant plus à niveau laser et on bâtit de manière complètement mécanique presque en fait là on n'a plus besoin d'être à l'écoute de son coeur on n'y est d'ailleurs plus et là du coup qu'est ce qui se passe bien sûr on demande à l'ouvrier du rendement il bosse le plus vite possible comme une bête et tout est au rendement et au rendement et au rendement et au rendement et le mieux se ressent.
- Speaker #1
Vous avez vécu ça dans votre vie ? Pardon je vous coupe. C'est trop au rendement.
- Speaker #0
J'ai eu de la chance en fin de compte dans ma vie même en informatique Il me semble que je n'ai jamais eu le ressenti... Vous travaillez où quand vous étiez en Afrique ? Alors là où j'ai travaillé le plus longtemps dans ma vie professionnelle, c'est dans un grand groupe pétrolier en fait. J'ai travaillé seulement en France, mais dans un grand site informatique du groupe, ou dans des usines du groupe, ou au siège qui était à la Défense. Et même en informatique, on retrouve ces qualités aussi, c'est qu'on peut aussi être dans un état intérieur assez paisible. Ou le programme, si on développe un programme, ou si on analyse une application, si on prépare une application, ça se passe de manière plus paisible. Je retrouve la même logique. Mais il ne faut pas là non plus être sous une contrainte très grande. La chance que j'ai eue, c'est que j'ai peu travaillé en société de service, c'est-à-dire dans des sociétés qui sont astreintes à un cahier des charges très précis, à des délais très très forts, à un coût aussi limité. Et là, je pense que les pauvres, ils peuvent rarement être dans cet état-là. Il faut des bousses. il faut redépoter, dépoter, dépoter le plus vite possible.
- Speaker #1
Et quel est le déclic à un moment donné qui fait que ce besoin, que le cœur soit en émerveillement, que ce petit enfant soit toujours main dans la main avec vous, avec votre sensibilité, et qu'il y a finalement une sorte d'harmonie qui peut se créer avec le langage informatique, qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné ça bascule vers autre chose ?
- Speaker #0
Donc déjà dans cet état intérieur dont je vous ai parlé, on a encore un émerveillement très grand. Moi j'ai un smartphone, vous l'avez remarqué, je suis époustouflé par mon smartphone. Je suis un fan, je me qualifie de high moine. Je ne sais pas si on peut dire des noms. Un moine geek ? Oui voilà, je suis un fan de Steve Jobs, le fondateur d'Apple.
- Speaker #1
Vous lui ressemblez.
- Speaker #0
Un très grand intégrateur, un intégrateur de génie, du travail de dizaines de milliers de personnes. totalement génial qui a donné, en particulier, l'iPhone. Alors je ne sais pas si je peux faire la publicité, mais je suis époustouflé, émerveillé comme un enfant. Émerveillé par quoi ? Moi, quand j'ai écrit des programmes, quand après j'ai construit des applications, quand j'étais responsable de projet et puis de service informatique, j'étais toujours témoin d'erreurs. Et puis votre smartphone, incroyablement, c'est rare qu'il y ait des erreurs. très rares qu'elles soient graves. En général, elles ne sont pas graves. Il faut être très observateur. Si vous n'êtes pas observateur, vous recommencez, vous n'avez pas vu qu'il y avait une erreur, en fait, il y a eu une anomalie, et puis vous avez recommencé, ça a marché. Moi, je suis là devant un appareil qui ne se plante pas. C'est un véritable merveilleux. C'est incroyable. Je suis époustouflé par le travail qui a été fait par les autres. Mais du coup,
- Speaker #1
comment on passe quand même de ce programme informatique et de l'iPhone qui est dans votre poche, mais qui n'est plus dans votre poche dans une tour à la défense, qui est dans votre poche. Dans ce monastère merveilleux, comment ça se fait cette transition-là ?
- Speaker #0
Pour moi, il n'y a aucune contradiction. Vous savez, les moines ont été... Il faut savoir que les mathématiques en France, en Occident, en Europe, vous le savez certainement, les mathématiques viennent bien sûr des Grecs et des hindous, mais plutôt des Grecs pour l'Europe. Et après, ça s'est perdu, et les Grecs m'ont transmis par miracle aux Arabes. Et les Arabes m'ont transmis aux moines. Les premiers grands mathématiciens au Moyen-Âge, c'était des moines, ils étaient toujours innovants. Ils n'avaient pas, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, les moines n'ont jamais été, quand c'était très traditionnel, réticents face à la technologie. Ils ont toujours su qu'avec une hache, on pouvait couper un arbre, faire une charpente magnifique. C'est d'ailleurs le plus noble, une scie, c'était considéré comme démoniaque au Moyen-Âge. C'était l'hache, l'instrument noble. Mais on pouvait aussi attaquer son voisin, le décapiter, voilà, le même outil. L'informatique, c'est pareil. Un iPhone, ça peut servir pour vous à organiser vos interviews, avoir un travail très noble, et puis ça peut aussi servir à mettre des gens au chômage, parce qu'on est là uniquement à la recherche du profit, et non pas à la recherche de créer quelque chose de nouveau, de créer du chiffre d'affaires, non, que le profit, et puis on veut réduire le nombre de personnel, voilà. C'est le même outil, c'est l'informatique. qu'il soit créé du nouveau, et peut même aller quelquefois vers le bien-être de l'humanité, soit qu'il peut être extrêmement néfaste pour l'être humain. Donc c'est complètement neutre, et ça j'en suis conscient. Et donc j'ai cette approche, l'avantage c'est que l'iPhone au moins il met personne au chômage, d'ailleurs en ce qui me concerne, en mon astère. Et donc j'en suis conscient et je peux garder cet émerveillement.
- Speaker #1
Je vois, il y a une constante qui se décline différemment, mais il y a cette constante. Oui,
- Speaker #0
quelle que soit la chose avec laquelle je suis en relation, ou l'être, ou le sujet avec lequel je suis en relation.
- Speaker #1
J'ai vu le magnifique jardin où vous m'avez emmené hier, où on a ramassé les branchages, et c'est vraiment... vous y passez beaucoup de temps.
- Speaker #0
Alors normalement c'est plutôt... le frère Jean a des problèmes de santé actuellement, donc je le remplace un peu, c'est plutôt lui le jardin. Alors moi enfant, j'étais peu en relation avec les plantes, parce que j'étais un pur, je pourrais dire une sorte de plante hors sol.
- Speaker #1
C'est-à-dire ?
- Speaker #0
C'est-à-dire que j'étais... moi je jouais dans un appartement avec une petite voiture, avec mon chien éventuellement, voilà. Mais la seule chose qui me reliait à la nature en fin de compte c'était un animal. Mais sinon j'étais plutôt une planteur sol, j'aurais jamais cueilli une fleur.
- Speaker #1
Vous alliez pas dans la forêt ? Vous alliez pas à vos premiers repas ? Si,
- Speaker #0
mais je m'intéressais pas tant que ça en fin de compte je pense. Là aussi je regardais les chiens, je regardais les voitures, mais je regardais même pas trop les arbres, pas trop les plantes, j'étais pas très tourné vers le gétal. En revanche, par rapport aux pierres, là il y avait un pont évident, c'est que j'ai énormément joué au Lego. Et maintenant je fais des pierres sèches, des murs à pierres sèches.
- Speaker #1
Comme des Legos.
- Speaker #0
Le pont il est évident avec les Legos. Là il y avait vraiment un pont. Evident. Et puis la matière elle me correspond. Je collectionnais des pierres quand j'étais enfant. C'était la seule collection que j'ai jamais faite dans ma vie, c'est des pierres et des fossiles. Vous voyez c'est animal, c'était pas des fossiles végétaux. Animal, genre trilobite, des choses comme ça. C'était un miracle si j'en trouvais. Ou...
- Speaker #1
Minéral.
- Speaker #0
Ou minéral. Mais le végétal, là, j'étais très très mal.
- Speaker #1
Et les arbres qui sont là, le cerisier par exemple ?
- Speaker #0
Alors, il a fallu du temps pour que je m'habitue. Même couper l'herbe, j'avais l'impression que c'était violent. En fait, couper l'herbe, couper un arbre, c'est violent. Et comme j'ai l'impression que c'est violent, d'ailleurs je peux être violent. Parce que vous savez, si on a ce regard, je ne savais pas trop gérer ma force à l'époque. Je ne savais pas trop tronçonner, aiguiser la tronçonneuse. Donc je peux faire des choses où... ou qui était violente en fin de compte. Et là, il m'a fait une progression, jusqu'à ce que je finisse par considérer les plantes un peu comme des animaux, en fin de compte, et penser vraiment qu'elles ont une forme de conscience. Je suis sûr qu'un animal a une conscience. Alors, est-ce qu'on peut parler de l'âme des plantes, l'âme des animaux ? C'est sûr. Vous savez que le mot âme vient de anima, vient de ce qui est animé, et fait donc distinction avec les plantes. Mais je pense qu'il y a quelque chose comme ça, et donc je m'intéresse à ça aussi pour les plantes, à me dire qu'elles ont une sorte d'esprit, je ne sais pas lequel, il y a quelque chose. Comme les plantes qui soignent par exemple. Mais pas un esprit au sens animiste du mot, bien sûr. Je ne vais pas adorer la création ni rien, mais penser qu'elles ont quand même quelque chose de plus que juste une espèce de mécanique. C'est plus qu'une mécanique en fait, une plante. Et donc petit à petit, je m'intéresse de plus en plus aux plantes. Alors c'était un peu par service bien sûr au début. Et puis après ça m'a complètement... de plus en plus... Par exemple j'ai fait une expérience, et c'est à quoi vous vouliez peut-être renvoyer, une expérience un peu enfantine, parce que normalement ça ne se fait pas. C'est qu'on nous avait offert des cerises Napoléon, des très bonnes cerises blanches, très originales, et puis j'étais un peu fasciné par ces cerises, et je me suis dit, tiens je vais planter une cerise dans un pot. Normalement ça ne se fait pas, vous savez on fait germer la cerise dans... dans de la ouate, ce que ne faisaient pas les anciens, d'ailleurs ils n'avaient pas d'ouate ou de sopalin, au réfrigérateur. Alors comment faisaient les anciens ? Peut-être qu'ils faisaient comme j'ai fait. Et donc j'ai mis la cerise dans un pot, j'ai arrosé, rien, j'ai attendu, j'ai attendu, et puis, coup de chance génial, ça finit par sortir. Alors pour moi c'est pareil, émerveillement et total. Face à une plante qui naît, je suis complètement époustouflé de cette petite chose qui sort là. et puis donc je l'ai planté dans la nature à un endroit très très privilégié en fait où je pensais Elle pourrait profiter un peu de l'eau du potager, mettre ses racines sous le potager, très privilégié. Mais le problème de ces endroits très privilégiés, c'est que c'est là où le frère Jean coupe l'herbe, avec une de vos sérieuses arbres. Alors du coup, je l'ai entourée, protégée, etc. Elle a grandi, et puis elle est devenue, cette petite arbre est devenue un très grand cerisier en 28 ans. Tellement qu'elle est très très grande, je ne sais pas la hauteur, mais une dizaine de mètres sûre. Ce qui est très haut pour un cerisier. Et un jour d'ailleurs, on a un visiteur qui est un chef gastronomique, parce que le frère Jean fait très bien la cuisine, il a des amis grands chefs cuisiniers, et il voit ce cerisier qui avait ses cerises. Et puis il dit voilà il a des cerises Napoléon, il faut en prendre si vous voulez, il y a tout ce que vous voulez. Il fait des dizaines ou des centaines de kilos de cerises Napoléon. Il dit ah mais c'est très cher, c'est incroyable, vous avez ces cerises-là ici comme vous avez fait. Et le frère Jean lui répond maintenant on n'a rien fait et il est là depuis très très longtemps. Et puis j'arrive et j'entends il est là depuis très longtemps. Je dis non il n'est pas là depuis très longtemps, il est là depuis 28 ans. Miracle absolu. Et donc du coup j'ai raconté l'histoire que je viens de vous raconter.
- Speaker #1
Ah oui, donc il y a eu cette capacité.
- Speaker #0
Pour moi c'est miraculeux.
- Speaker #1
Oui, mais c'est-à-dire qu'en fait vous avez quand même créé d'un noyau.
- Speaker #0
Oui, la nature a créé. Vous avez co-créé ?
- Speaker #1
On peut dire ça ?
- Speaker #0
Si j'avais regardé sur internet, j'aurais vu qu'il ne fallait pas le faire. Enfin, en tout cas, quand elle ne te conseillait pas.
- Speaker #1
Comme quoi l'iPhone, des fois, il faut toujours l'écouter. Voilà,
- Speaker #0
il ne faut pas toujours l'écouter, oui. Et j'ai goûté un instinct d'enfant. Mais je suis fasciné. L'éradie par exemple, c'est aussi un émerveillement, particulièrement d'abord parce que c'est très beau. C'est rouge, c'est blanc, le feuillage, c'est très très beau. Et puis surtout, si j'ai, je vais dire foiré, si j'ai pas très très bien géré les choses, il n'y a presque rien. Ça c'est la nature. La sanction est terrible, il ne peut y avoir rien du tout. La nature est terrible. C'est pas une maman consolatrice et sympa,
- Speaker #1
qui pardonne,
- Speaker #0
elle est extrêmement généreuse, ou extrêmement dure. C'est la sanction. Et puis si ça a marché, vous avez des radis, mais j'ai quand même pas compté réellement les graines et les radis, mais j'ai l'impression qu'il y a plus de radis que de graines.
- Speaker #1
La multiplication des radis.
- Speaker #0
Incroyablement généreuse. Alors là aussi, pour moi, je garde cet émerveillement. Et puis une tristesse des enfants, quand ça n'a pas marché du tout, je me rends compte que j'ai perdu au jeu. Je ne suis pas très bon joueur dans ce cas-là.
- Speaker #1
Je comprends, c'est vraiment... C'est vraiment une disponibilité, c'est comme de garder une disponibilité et de faire avec ce qu'il y a ici, qui est quand même une nature très tranchée.
- Speaker #0
Ah oui, alors on est dans une nature qui est... Bon, le climat est quand même assez doux, on a un climat méditerranéen, mais quand même le paysage est rude et c'est un climat quand même assez rude, puisqu'il peut y avoir des épisodes sévenoles, des pluies torrentielles, il peut y avoir des vents forts qui cassent les arbres. Donc c'est quand même oui une nature, moi je n'idéalise pas du tout la nature. Je l'ai idéalisé quand j'étais jeune, c'est un peu... Mais maintenant je ne l'idéalise plus du tout. Je vois bien qu'elle peut être extrêmement dure, elle nous donne beaucoup de travail. Nos frères sangliers, que j'apprécie beaucoup, qui me merveillent aussi, parce que je trouve ça super mignon les marcassins, ils m'interviennent dans des relations avec un très gros mâle qui n'avait aucune peur de moi, et vraiment on est resté face à face sans se regarder. Il le prend pour une agression, lui il est un peu de côté, donc je me souviens même être un peu de côté aussi comme lui. Mais je sens qu'il y a une vraie relation, qu'on pourrait nouer une relation. Prudente, mais c'était avant la saison de la chasse, il n'a pas encore peur. Mais on est quand même obligé de chasser. On laisse le chasseur venir sur nos terres, parce que sinon on serait envahis de s'en cliquer, on ne pourrait plus rien faire, il n'y aurait plus de potager. Il détruirait tout. Il détruirait tout, et la nature s'en porte très bien, là j'ai remarqué ça très souvent. Ça m'a d'ailleurs aussi émerveillé, un autre émerveillement pour moi c'est les champignons. J'adore chercher les champignons et je suis émerveillé et époustouflé par une girole. Et bien là où poussent nos giroles, les sangliers aiment beaucoup tout défoncer. Il faut ratisser pour mettre en place les choses. Et bien après, les giroles ressortent très très bien. La végétation repousse très bien. En fait, ils ont biné. Alors ils n'ont pas fait le jardin à notre goût. Voilà, ça ne répond pas à nos objectifs. mais la nature elle semble portent beaucoup mieux peut-être qu'avec notre action à nous. Ce qui pousse est beaucoup plus dynamique, beaucoup plus varié, beaucoup plus diversifié. Et donc probablement pour la nature, ce qu'ils font est mieux que ce que nous faisons. Mais nous, les récolteurs, il y a ce cas.
- Speaker #1
Donc il y a une façon d'être en partenariat finalement.
- Speaker #0
Avec la nature, oui, certainement. Le frère Jean m'a beaucoup appris ça aussi, c'est de donner un visage. aussi à la nature, aux plantes. Lui, il le fait beaucoup aussi, bien sûr.
- Speaker #1
Le personnifié.
- Speaker #0
Alors, c'est dangereux quand on dit personnifié, parce qu'on peut nous accuser d'être un peu animiste, en fait.
- Speaker #1
C'est quoi le risque ?
- Speaker #0
Le risque, c'est de se mettre à être dans un état un peu d'adoration de la nature. Le risque, c'est un risque que j'avais moi-même quand j'étais jeune. Donc, j'étais écolo un peu... Intolérant, à fond contre la chasse, mais alors j'avais un rêve enfant. C'était d'acheter un fusil à pompe et de chasser des chasseurs. Enfin, je peux être violent, vous voyez, comme dans un film de cow-boy. Voilà, parce que je me disais après tout, pour une fois, ça sera armégal avec les chasseurs. Alors, ce sera tous les deux armégal. Maintenant, je ne suis plus du tout comme ça, vous voyez, c'est le risque de trop d'écologie, d'une écologie complètement intolérante. On pourrait même se dire, j'y ai pensé, mais je ne suis pas le premier. Malheureusement, j'y ai pensé, parce que je vais vous dire, ce n'est pas du tout monastique. Et terrible, mais c'est un vrai danger, et certains l'ont fait. C'est de se dire, après tout, il vaudrait mieux que l'humanité disparaisse. Si l'humanité disparaît, la nature peut reprendre, complètement, complètement libre. Et on pourrait se dire, après tout, il faut adapter un petit coup de pouce là, pour faire disparaître l'humanité. Je ne suis pas le premier à l'avoir pensé. Il y a des gens qui le pensent. Je crois même qu'il y a un Suédois, je ne sais plus où, qui avait pris un flingue, qui a tué une centaine de personnes, et ça faisait partie de son idéologie. Vous voyez, ça peut être terrible d'idéaliser trop la nature. De manière, comme toujours,
- Speaker #1
fanatique. D'idéaliser tout court, j'ai envie de dire.
- Speaker #0
Et puis d'être fanatique, bien sûr. Oui,
- Speaker #1
mais donc, en fait, c'est ça, c'est les excès.
- Speaker #0
Les excès, voilà, fanatiques. Donc,
- Speaker #1
quand j'entends ça de votre sensibilité, ça serait qu'un cœur sensible qui peut ressentir une injustice et se mettre en colère.
- Speaker #0
Oui. On peut le voir comme ça, et donc même enfant, alors ça ça m'a... Mais maintenant ce n'est plus du tout le cas, puisque j'ai compris justement, d'abord que la nature est une création de Dieu, et que l'être humain est à l'image même du Créateur, qu'un être humain c'est complètement merveilleux et ça doit être respecté bien sûr, même s'il fait les pires bêtises, et ça j'ai bien compris, et j'ai surtout compris que la nature est terrible, c'est-à-dire que dans la nature tout n'est que prédation, c'est que tout le monde mange tout le monde. Il y a toute une chaîne, comme vous savez, où les uns mangent les autres, etc. C'est toute une chaîne invraisemblable où tout le monde se mange. C'est-à-dire que le sanglier que nous on tue et qu'on mange, il mange les larves. Vous voyez, tout est comme ça dans tous les domaines. Je ne sais pas, une sauterelle va manger, certaines de nos sauterelles vont manger tout petit, tout petit, jusqu'aux insectes, je suppose. Je ne sais pas exactement ce que mangent les sauterelles qui sont dans nos grisons. Mais en tout cas, elles sont mangées par le rouge-queue, sans aucun scrupule, bien sûr. Et tout est une chaîne comme ça, et le rouge-queloui, il est mangé par un chat. C'est toute une chaîne invraisemblable comme ça, en fait, de prédation. Et je l'ai compris, mais tardivement, c'est vrai. Elle est magnifique et terrible.
- Speaker #1
Alors que l'humanité a cette capacité moins prédateur ?
- Speaker #0
Alors je pense que l'humanité fait partie de cette chaîne. Mais est-ce qu'elle peut, en tout cas, comme fait un animal... C'est en faire partie de manière assez... Elle pourrait le faire de manière plus raisonnée, certainement. Je ne suis pas un militant écologiste. Mais il pourrait le faire de manière plus raisonnée et de manière toujours moins violente intérieurement. On peut être... faire quelque chose qui apparaît comme violent extérieurement, bien sûr, comme tuer un animal, envoyé à la boucherie, mais le faire de la manière la plus noble possible. On peut élever des animaux qu'on va envoyer à la boucherie. Mais les élever de la manière la plus respectueuse possible, et non pas comme on élève par exemple les cochons, qui ne sont pas des animaux de meute, qui ne sont pas des animaux très sociaux comme nous, et surtout les mâles, donc ils ne sont pas du tout des animaux sociaux en groupe, un mâle normalement non, et on les met parqués des centaines, des centaines, des centaines, dans un espèce de petit enclos, où j'imagine qu'ils doivent être très violents entre eux, très agressifs. Ça doit se ressentir dans la viande. Donc même là, on pourrait le faire de manière plus raisonnée, tout en étant toujours des prédateurs, bien sûr. Et je ne suis pas contre le fait de manger de la viande. On est toujours des prédateurs, mais on les élève de manière plus consciente, plus raisonnée, évidemment moins rentable, car on ne gagne jamais, vous savez, on ne gagne jamais sans perdre en même temps.
- Speaker #1
Vous dites que Dieu crée la nature et l'homme ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Donc Dieu est dans la nature et dans l'homme.
- Speaker #0
Alors l'esprit, le Saint-Esprit, pour nous, il est partout. Il est partout, il est dans la nature et dans l'homme.
- Speaker #1
Qu'est-ce qui fait une différence ? Comment on peut sentir la nuance ?
- Speaker #0
Alors là, il y a une nuance. Maintenant, je vais vous dire quelque chose que je n'ai pas expérimenté. Je pense qu'un animal a vraiment une âme. Et la tradition chrétienne, en tout cas, dit, et là je... Je ne vais pas plus loin, parce que je suis bon public aussi, donc je ne vais pas plus loin. La tradition chrétienne dit que seul l'homme est à l'image de Dieu, en fait, et a cette responsabilité, ce libre arbitre. Parce que l'animal, dit la tradition chrétienne, n'a pas le libre arbitre de l'homme. Ce qui fait qu'il ne peut pas être pécheur, d'ailleurs. Un animal ne peut pas pécher. S'il est violent, c'est sa nature. Et si un chien attaque un être humain, en général, c'est le maître du chien qui est responsable, qui en a fait un petit fauve. Mais lui-même, de lui-même, il n'est pas un fauve, il ne va pas attaquer gratuitement comme ça un être humain. Et donc, c'est le libre arbitre de l'homme qui est exceptionnel, selon la tradition chrétienne. Je ne suis pas allé plus loin. Mais de ce que j'ai vu d'un chien, effectivement, je pense que je connais assez bien les chiens, à part les chiens dressés pour... Pour attaquer en fait. J'ai jamais vu chez un chien quelque chose de pervers. Quand il attaque, c'est qu'il a peur en fait.
- Speaker #1
Un humain aussi ?
- Speaker #0
Je pense que l'être humain peut être beaucoup plus trouble. Beaucoup plus trouble. Il n'y a rien de pervers. Et si un chat joue à chasser des souris, c'est parce qu'il a un trop gros bol de croquettes. Il n'a pas besoin de nourriture. Comme il n'a pas besoin de nourriture, il joue. Comme l'homme,
- Speaker #1
s'il n'a pas besoin de nourriture, il est moins prédateur.
- Speaker #0
Ah oui, oui mais cette nourriture est quand même le résultat d'une prédation, même si c'est la nature. Même si c'est, comment dire, même si on est végétarien, pour que la culture puisse être viable, il faut quand même empêcher les animaux de tout défoncer. Donc un végétarien, il sera bien obligé de trouver une solution vis-à-vis des sangliers, des chevreuils, des cerfs. Qu'est-ce qu'il va faire ? A mon avis, il va déléguer à quelqu'un de faire quelque chose. Et s'il ne fait rien, les cultures sont défoncées, donc on ne pourra pas être végétarien, on ne pourra pas nourrir des milliards d'individus. C'est évident. On ne peut plus vivre de cueillette d'ailleurs. D'ailleurs on vivait de chasse et de cueillette, mais pas que de cueillette. Et même pour vivre de chasse et de cueillette, vous le savez, on est certain qu'on ne pourrait plus du tout vivre de chasse et de cueillette. Il faut bien sûr forcément une culture beaucoup plus intensive pour nourrir des milliards d'individus.
- Speaker #1
Oui, je vois.
- Speaker #0
Excusez-moi, j'ai un peu dérivé. Mais dans tout ça, je gère toujours une sorte d'émerveillement pour les sangliers. Et puis, je sympathise beaucoup avec les chasseurs. Je m'émerveille sur la manière à laquelle ils chassent, ce que font les chiens, sur le fait que les sangliers sont plus intelligents que les chiens. Tout ça, ça m'émerveille, en fait. Même la chasse.
- Speaker #1
Cette notion d'émerveillement, elle est vraiment intense chez vous.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai. Et de curiosité.
- Speaker #1
C'est là où on se dit que ce petit garçon, il est vraiment intact. Est-ce qu'il avait des désirs cet enfant ? Il voulait être quoi quand il était petit ?
- Speaker #0
Alors, quand j'étais à l'âge de ce petit enfant, je suis presque sûr que je voulais être professeur d'histoire.
- Speaker #1
Rien à voir avec tes voitures.
- Speaker #0
Ça, ça a plutôt à voir avec les femmes. C'est que je voulais bien être professeur d'histoire, que tu es une dame que je trouvais super.
- Speaker #1
Comme quoi la transmission se fait par l'amour.
- Speaker #0
Bien sûr, que je trouvais que c'était une prof super. Ça me passionnait complètement et j'aimais beaucoup l'histoire ancienne. Et ça, ça m'est resté bien sûr, puisque comme on a une religion ancienne, si on veut un peu comprendre nos textes, c'est bien d'avoir un peu de notion d'histoire ancienne.
- Speaker #1
Donc c'est intéressant parce que finalement ce que vous faites aujourd'hui, ça nourrit aussi cette envie qu'avait ce petit garçon d'histoire. Oui, bien sûr. Puisque finalement il y a l'histoire des pères de l'Église.
- Speaker #0
Le pont est évident, le pont est complètement évident.
- Speaker #1
Ça avait répondu à votre désir de petit garçon en plus.
- Speaker #0
Ah oui, puisque je suis souvent en train de lire des choses très anciennes, des textes anciens. On chante une partie des offices en slavon, dans la langue liturgique slave.
- Speaker #1
Slave, je les ai entendues hier chanter en slavon.
- Speaker #0
En slavon.
- Speaker #1
Slavon.
- Speaker #0
Et alors là, je me régale, parce que c'est carrément une langue ancienne, qui a été même créée vers l'an 1000 par deux saints, qui ont voulu traduire la Bible, qui était déjà traduite en grec. L'Ancien Testament a toujours été en grec. Pardon, le Nouveau Testament a toujours été en grec. L'Ancien Testament, bien sûr, était en hébreu ou en aramien, mais très majoritairement en hébreu et un peu en grec aussi. Et donc ils ont traduit l'Ancien Testament du grec, de la version grecque qui existait, et le Nouveau Testament qui était déjà en grec, ils les ont traduits en slavon, dans une nouvelle langue qu'ils ont créée, à partir des dialectes de là où ils étaient.
- Speaker #1
Ils étaient de quelle région ?
- Speaker #0
Ils étaient entre la Bulgarie et la Macédoine, dans ces coins-là. C'était un dialecte, oui, macédo...comment on dirait, bulgaro-macédonien.
- Speaker #1
C'était des peuples nomades un peu,
- Speaker #0
des Balkans ? Non, non, là on est vers l'an 1000, je pense que c'était très sédentarisé déjà, certainement. Ils ont créé une langue de toutes pièces qui n'a jamais été parlée. Ils ont créé une grammaire en s'inspirant bien sûr des dialectes slaves, pour que les peuples slaves puissent comprendre le plus facilement possible cette traduction du grec en slavon. Et en gardant même, ils ont fait un calque, ils ont gardé même l'ordre des mots grecs en slavon.
- Speaker #1
Et du coup,
- Speaker #0
on est vraiment dans l'histoire ancienne, même quand on chante la liturgie. Donc le pont est entier.
- Speaker #1
Donc les chants d'hier, vous les chantez en slavon ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et vous les comprenez ?
- Speaker #0
En français. C'est impératif de comprendre ce qu'on chante. Je ne comprends pas tout le slavon, parce que c'est une langue très très difficile. Et la grammaire est elle-même très très difficile, plus difficile que la grammaire russe. Mais j'ai appris avec des Russes très compétents, des chantres russes, tous ces textes que je chante, je les ai appris avec eux, je connais la grammaire de ces textes. et je les comprends, je comprends chaque mot. Voilà, c'est indispensable parce qu'en fait on a deux difficultés avec le slavon et le russe. Une difficulté qui est celle de toute langue, c'est que si on ne comprend pas le texte, on ne peut pas donner les accents dans la phrase. En français, vous savez, on dit souvent le français n'a pas d'accent tonique, l'accent tonique est toujours sur l'avant-dernière syllabe ou la dernière syllabe. Et du coup on dit il n'y a pas d'accent en français. Mais ce n'est pas vrai du tout, en fait la langue française a énormément d'accents. Magnifique, c'est pour ça que beaucoup d'étrangers aiment le français et la poésie française, c'est parce qu'il y a un accent dans la phrase, il y a un mouvement dans la phrase. Même si chaque mot, effectivement, est accentué plus ou moins à la dernière ou à la dernière. On a la même chose en slavon. Si on ne comprend pas la phrase, on ne peut pas mettre l'accent dans la phrase, parce qu'on va accentuer quelque chose qui ne l'est pas. Par exemple, nous sommes montés ensemble dans l'atelier. Si vous ne comprenez rien, vous pouvez très bien dire, nous sommes montés... dans l'atelier et vous accentuez dans ce qui n'a aucun sens et oui comme vous comprenez rien vous accentuez n'importe comment et donc il faut comprendre pour savoir que ce qui est important c'est nous sommes montés montés important ensemble dans quelque part important l'atelier donc on accentue mais en slavon et en plus la difficulté du russe aussi c'est que chaque mot a un accent n'importe où peut-être qu'en russe atelier l'accent sera sur le a ce sera dans l'atelier C'est pour ça que vous entendez des russes qui parlent, c'est très joli en français, qui vous accentuent les mots aussi. Ça vous donne... Tout étranger qui parle une langue,
- Speaker #1
même nous, quand on parle en anglais. Oui, et là, en l'occurrence,
- Speaker #0
eux, ils accentuent les mots. Alors du coup, ça vous donne une musique très très intéressante en français, où il est en train d'accentuer dans l'atelier, et tout ça.
- Speaker #1
Et quand vous chantez les textes, c'est toujours la même modulation, ou il y a quelque chose qui va venir... modifier quand même un peu la modulation ?
- Speaker #0
Quand je chante, j'essaie donc d'être le plus traditionnel possible, et donc il y a ce qu'on appelle des tons, c'est-à-dire qu'il y a des sortes de canevas mélodiques. Vous savez, c'est quand on dit par exemple « j'ai du bon tabac, j'ai du bon tabac dans ma tabatière » , on pourrait dire Il y a aussi du beurre dans le frigidaire, et je vais monter dans l'atelier. Oui, on garde un canevas mélodique. Et donc nous on a une multitude de canvases, ça existait aussi dans le chant végorien, parce que c'est un chant a cappella. Les instruments de musique sont interdits, dans l'Antiquité ils étaient interdits, et au Moyen-Âge catholique en fait, dans le chant végorien, il n'y avait pas d'instrument. L'orgue est arrivée au XIVe siècle. Donc on n'avait pas d'instrument, et on n'avait pas de partition en général, souvent. Et c'était des canevas mélodiques, avec des tons. Alors pour le chant verrouillant, on dit des modes. Dans l'ancien chant russe, on dit aussi des modes. Et maintenant, on a des tons, une multitude de tons, avec des types de textes. Suivant les types de textes, qui sont moins nombreux, et on a donc ces tons qui se déclinent, et on a des canevas mélodiques. C'est pour ça que vous m'avez vu chanter sans aucune partition, parce que suivant les types de textes, et suivant le ton qui est écrit sur le texte, je sais que ce texte est de ton 1, il y a 8 tons par type de texte. Il y a au moins quatre types de textes, c'est déjà au moins 32 canevas mélodiques, mais il y en a plus. Et donc je sais le canevas mélodique, et puis je vais chanter comme j'ai du matabat dans ma tabatière. Mais bien sûr, je ne peux pas le faire en slavon, parce que là il faut que je comprenne parfaitement ce que je chante, et il faut que j'accentue correctement les mots en respectant autant que possible la musique de la phrase. Sinon on ne comprendrait pas, pas bien. Et le problème du chant liturgique, C'est que la mélodie ne compte pas, elle est secondaire. Ce qui compte, impérativement, c'est la compréhension du texte.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Il faut qu'on comprenne le texte. C'est un bon bel texte. du tout, c'est raté. Mais ça, je chante en slavon, vous ne comprenez pas. Mais un russe ou un ukrainien qui vient, lui, il comprend, surtout que c'est les chants les plus habituels, il comprend très bien, et donc il est impératif de comprendre le texte. C'est pour ça aussi que la polyphonie a toujours une vraie polyphonie, c'est-à-dire celle de Jean-Sébastien Bach. Vous savez, le contrepoint, c'est-à-dire dans la musique, j'aime beaucoup Jean-Sébastien Bach, c'est extraordinaire, c'est une véritable cybernétique. Parce qu'il y a plusieurs mélodies qui s'entrecroisent. Dans la tradition de chant, surtout monastique, normalement, il y a des exceptions, mais normalement, quand c'est très traditionnel et monastique, il y a une seule mélodie, et si c'est à plusieurs voix, ça peut être à quatre voix, les trois autres voix accompagnent cette mélodie de manière très très simple. C'est une harmonisation très simple. Par exemple, il y a une des voix qui sera souvent une quarte, c'est-à-dire deux notes et demi en dessous. Très souvent, c'est ce qu'on appelle un bourdon d'ailleurs, dans la tradition musicale du Moyen-Âge français, et très souvent en bourdon, il y a une voix qui sera une tierce au-dessus de la mélodie.
- Speaker #1
Un peu comme les cloches ?
- Speaker #0
Oui, comme les cloches. Oui, tout à fait comme les cloches, parce que les cloches sont des harmoniques.
- Speaker #1
On les appelle les bourdons.
- Speaker #0
Et l'idéal du chant liturgique a cappella, et du chant traditionnel aussi a cappella, c'est qu'il soit avec une harmonie naturelle de la voix. C'est-à-dire que ça suit vraiment les harmonies naturelles. les harmoniques. Dès que vous retrouviez justement cette harmonique en tierce, en quinte bien sûr d'abord, à l'octave évidemment, en quinte, en tierce, en quarte en dessous, ce qui correspond à la quinte au-dessus, donc ça doit suivre l'harmonie naturelle. Comme vous savez, le problème dramatique de l'orgue ou du piano, et de tous les instruments occidentaux, vous le savez, je vous avoue, vous vous acquiescez, c'est qu'ils suivent le tempérament égal qui a été beaucoup propagé par Jean-Sébastien Bach d'ailleurs. Même s'il ne l'a pas inventé, je crois. Mais lui était très fort, et c'est ce qui lui a permis sa cybernétique musicale, avec plusieurs mélodies. Mais du coup, on n'a pas l'harmonie naturelle de la voix. Et nous, on pense... Bon, d'abord, on sait que c'est très difficile, l'harmonie naturelle. Il faut être super pêche, très très dynamique, pour chanter naturellement. Et c'est difficile, on divise, on baisse beaucoup, tout seul, sans instrument. On baisse très vite. Donc c'est très très difficile, sans le soutien d'un instrument. mais quand on y arrive, il y a des exemples Si vous entendez un chœur qui chante de manière très naturelle, il y a de très très bons russes qui le font, vous vous dites, c'est solaire, c'est extraordinairement lumineux comme chant. Cristallin, lumineux, qu'est-ce qui se passe ? On se demande. Et c'est justement, il n'y a pas ce tempérament égal qui a dû mécaniser la musique, en quelque sorte. Et nous vivons dans une musique mécanique.
- Speaker #1
Oui, alors qu'il y a quelque chose de très vivant dans vos chants. Oui, très vivant,
- Speaker #0
qui ne peut pas être reproduit. Oui, qui demande d'être très vivant soi-même. Et je ne suis pas très bon. Moi, figurez-vous, il m'arrive de prendre le diapason pour ne pas trop baisser. J'ai pris le diapason au début du chant, je sais que je commence en A. À l'arrivée, je suis quelquefois en sol. J'ai pu bien baisser très très vite. Donc c'est très difficile, bien sûr. Je serais déjà moi, un petit chanteur, très content de chanter aussi juste qu'un piano. Mais ce n'est pas du tout l'objectif.
- Speaker #1
Je comprends.
- Speaker #0
Et on pense, nous, justement, que si on est dans le tempérament naturel... qui n'est pas égale, et bien du coup quelque chose se passe même pour la prière, parce qu'on vit dans un environnement où on comprend le texte très bien, s'il est bien articulé, ce qui n'est pas toujours mon cas, vous l'entendez d'ailleurs lors de l'interview, donc si le texte est bien articulé, s'il y a cette harmonie naturelle, on pense qu'on est beaucoup plus à même de rentrer dans notre cœur, de prier.
- Speaker #1
Merci beaucoup Frère Joseph pour ce tempérament naturel et votre partage et votre générosité.
- Speaker #0
Merci à vous, merci Emmanuel.